Copyright 6 juillet 2017
J'ai commencé à travailler sur des textes mystiques à l'âge où l’on prend retraite après la « vie professionnelle ». Il était trop tard pour atteindre à l’érudition littéraire. Mais proposer la relecture d’écrits rédigés par des guides, des « aînés » sachant évoquer un Inexprimable, demeurait à portée.
Une première réédition s'imposa : celle des écrits de Madame Guyon. Ils étaient devenus presque introuvable à la fin du siècle dernier par suite de la condamnation du Quiétisme et donc généralement discutés sans être lus. Il fallait compenser la suppression de nombreux imprimés comme l’absence de toute défense frontale car l’entreprise était devenue risquée.
Je me suis limité à un témoignage exprimé dans ma langue par un témoin ayant mené une vie « complète » laïque et ceci récemment si l’on prend en compte la longue histoire des mystiques chrétiens.
Ensuite, en
explorateur je remontai le fleuve du Grand Siècle à la recherche d’un Eldorado
transmis (madame
Guyon n’a rien inventé et n’est certes pas une « nouvelle
mystique »). Tel un « archéologue des textes » je fouillai les
sables de bibliothèques religieuses. C’est un travail de recherche comparable à
celui que j’ai pratiqué dans ma vie antérieure scientifique.
Je découvris une filiation, dont la colonne vertébrale passe du franciscain Chrysostome à monsieur de Bernières, puis à Monsieur Bertot, enfin à Madame Guyon, et ceci bien avant d'en retrouver en Suisse attestation enregistrée à la fin du XVIIIe siècle. Puis au-delà une telle « chaîne » de transmission, je compris qu'il s'agissait de ressusciter un réseau de nombreuses figures mystiques en relations humaines intimes et directes.
Hommes et femmes s’assemblent à leurs contemporains mystiques comme dans une solution saturée un sel cristallise autour d’un fil. Ils forment ainsi une lignée. On peut les présenter assez simplement mais schématiquement en soulignant l’importance de deux nœuds : les amis de l’Hermitage de Caen précèdent et donnent naissance au cercle quiétiste parisien animé par monsieur Bertot puis par madame Guyon et Fénelon.
En fait toute constellation se compose de nombreux astres : ici une centaine de figures mystiques parvinrent par quelque précieuse « réaction chimique » à rayonner avec intensité leur énergie. Le fil devint graphe.
L'originalité de mon travail fut d’associer des florilèges de témoignages intimes aux conditions vécues par leurs auteurs, sans aller au-delà de leur vie concrète en relevant avec précision les traces de leurs relations, liens ou arcs du graphe. Heureusement l'immensité à explorer est réduite dès lors que l'on s'attache aux seules figures mystiques accomplies, sans se perdre dans l'océan des textes religieux destinés aux débutants, aux usages rituels, etc.
Venant d'une autre planète que celle des spécialistes de la littérature spirituelle, j’ai été aidé par quelques-uns : parmi les aînés madame Gondal, André Derville, Jacques Le Brun, Philippe Sellier, Irénée Noye.
J'ai eu la bonne surprise de vérifier que nous apprécions une même cohorte d’auteurs tout en étant bien incapable de définir leur appartenance et pertinance « mystique ». Si une approche sémantique, linguistique, etc., pouvait les singulariser, si une théologie religieuse pouvait faire briller et découvrir ces aiguilles cachées, quelle serait alors la place réservée aux poètes, aux peintres, aux musiciens? En outre il n’existe à ce jour aucun dictionnaire des termes mystiques utilisés en notre langue.
Je m’en suis donc tenu à l’édition de textes. Complets ou en florilèges. Pouvoir caché exhorbitant. Se détachent dans l’opus :
Quatre ensembles : une réédition de Madame Guyon (incomplète : un essentiel prélevé dans une œuvre imposante) ; un relevé d’expériences sous forme de florilèges faisant le tour des principales figures mystiques d’Occident en les situant historiquement ; sous forme de florilège limité aux (nombreux) Franciscains du XVIIe siècle ; sous la forme inhabituelle d’une chronologie débordant le cadre chrétien le plus largement possible.
Certains volumes sont disponibles chez quelques éditeurs, d’autres peuvent être acquis à l’unité par achat en ligne, d’autres attendent pour cause d’un lectorat inexistant ou de droits d’auteurs (cas d’usage de rééditions critiques par exemple pour Fénelon).
Au total plus de soixante titres (2001 à 2017) constituent une "bibliothèque mystique" de près de trente mille pages choisies. Elle vient s’ajouter à des éditions déjà réalisées mais en fait minoritaires en nombre du point de vue d’une mystique accomplie (quand il s’agit de la France du XVIIe siècle où rien n’existe de comparable aux grandes éditions des flamands, anglais ou rhénans, un peu comme si la mystique cessait bien avant Guyon).
Il était nécessaire d'introduire aux florilèges des présentations pour rassembler des connaissances historiques rares et dispersées donnant la silhouette de tel auteur méconnu hors du champ mystique. Ce peut être le cas du très grand Constantin de Barbanson en quatre tomes. Souvent il s’agit simplement d’assembler des sources rares et dispersées. Cas de Quiroga couvrant trois tomes même si tout le travail critique reste à faire.
Les présentations souvent développées sous forme d’études « immergées » au sein d’une soixantaine de titres couvrent environ deux mille pages. Comme je n'ai plus l'ambition ni la volonté de rédiger quelque synthèse, il me semble utile de rendre accessibles ces études en listant leurs sources.
Mes apports s'appuient sur le Dictionnaire de Spiritualité (1930-1992) achevé par André Derville devenu l’initiateur et ami lorsque je commençai une nouvelle vie par des visites à la bibliothèque jésuite de Chantilly avant sa fermeture ; et sur quelques érudits dont se détache Jean Orcibal (Correspondance de Fénelon, Etudes d'Histoire et de littérature religieuse à la source de reprises autour de Guyon et des membres quiétistes contemporains).
Tous conseillent une approche des figures individuelles plutôt que de groupes sociaux. Ce sont les seuls modèles disponibles en l’absence de toute théorie. L’approche propre à l’école des Annales fut nécessaire au renouveau des études historiques mais s’avère inadaptée au domaine mystique[1].
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Voici le résumé de mes contributions assemblées dans le présent dossier de référencement.
Il exclut tous les textes réédités lorsqu’ils ne sont pas de brefs choix de citations par thèmes. Ils incluent les tables des matières pour convaincre de les lire en explicitant les contenus réédités par leurs titrages.
J’ai réparti la soixantaine de titres disponibles[2] sous sept ensembles :
(1) COLLECTIFS assemblant des figures mystiques de toutes origines (Chronologies I à IV) puis chrétiennes privilégiant les mystiques français du XVIIe siècle (Expériences mystiques... I à V)
(2) FRANCISCAINS, domaine que j’ai travaillé parce qu’ils sont à la source de nombreuses renaissances mystiques chrétiennes dont la filiation de la quiétude. Il s’agit de François d’Assise et ses disciples, La vie mystique chez les franciscains du XVIIe siècle I à III, Benoît de Canfield, Constantin de Barbanson I à V, Martial d’Etampes ; Jean-Chrysostome de Saint-Lô et Archange Enguerrand sont également de franciscains mais ici rattachés à « (3) Filiations avant madame Guyon », infra.
Je laisse de côté l’autre domaine que j’ai exploré concernant les Grands Carmes et les carmélites de la réforme arrivées en France en 1604. Je distribue les titres achevés dans les sept ensembles retenus tandis que d’autres en développement ne sont pas listés sinon en note[3].
Le XVIIe siècle me semble mener à deux réseaux mystiques (et à eux seuls en tant que réseaux constitués[4]) : la présente filiation centrée sur madame Guyon, le réseau des Carmes et carmélites (ce dernier influant sur madame Guyon par Maur et Saint-Samson).
Vient maintenant le principal massif concentré autour de la filiation de la quiétude (les « quiétistes ») ou « école de l’Amour ». Etudes et florilèges sont ici regroupés en suivant la chronologie :
(3) FILIATION PRECEDANT MME GUYON
En ouverture, couvrant (3) à (6), article : Une Filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô ... madame Guyon.
Les fondateurs : Jean Chrysostome de Saint-Lô et Jean de Bernières (quatre ouvrages).
Leurs
proches : Marie des Vallées
(trois ouvrages), Mère Mectilde, Amis des
Ermitages de Caen et de Québec.
Les transmetteurs : Archange Enguerrand, Monsieur Bertot, auxquels je rattache le Grand Carme en relation avec madame Guyon Maur de l’Enfant-Jésus (deux ouvrages)
(4) MME GUYON, BIOGRAPHIE
Un résumé sur le net, outre l’article revu du Wikipedia français : Notice SIEFAR ; introductions de l’édition de La Vie par elle-même et autres écrits biographiques ; étude sur les rapports délicats avec des contradicteurs dont le Général des Chartreux intitulée Quiétude et vie mystique ; étude fondatrice sur la vie carcérale et à Blois intitulée Les année d’épreuves...
(5) MME GUYON, MYSTIQUE
Publications d’œuvres outre la Vie citée précédemment : Explications de la Bible, choix opéré dans l’immense commentaire œuvre de jeunesse ; Discours spirituels I & II, l’essentiel en pleine maturité ; intégrale Correspondance I à III ; L’expérience « quiétiste » un florilège ; et surtout un choix représentatif de toute l’œuvre : Œuvres mystiques.
(6) FILIATION APRES MME GUYON
François La Combe, somme des écrits très notables du confesseur ici assemblés pour la première fois.
François de Fénelon ... le Gnostique ; Fénelon mystique un choix privilégiant la correspondance par dirigé(e)s ; La direction de Fénelon par Mme Guyon.
Marie-Anne de Mortemart (successeur de madame Guyon ?) ; Saint-Simon (un relevé dans les Mémoires portant sur les membres du cercle quiétiste)
Les disciples au siècle des Lumières : Ecoles du cœur au siècle des Lumières ; D. Henderson, Mystics of the North-East (simple réédition).
On a ainsi constitué un solide massif documentaire assurant une appréciation favorable à « l’école du cœur » et à son animatrice : assemblages utile à ceux qui vont prendre la suite.
S’ajoute « hors cadres » des études et textes de :
(7) MYSTIQUES DE FRANCE et D’EUROPE
Rééditions d’assemblages autour de béguines dont Hadewijch et l’auteur du Nuage d’Inconnaissance
Disciple en droite
ligne de Jean de la Croix : Quiroga
I à III.
Mystiques du XVIIe siècle jusqu’à maintenant non réédités : Jean de Saint-Samson Le vrai esprit du carmel, Jeanne de Chantal I & II, Armelle Nicolas Le Triomphe de l’Amour divin. Choix de lettres de Jean-Joseph Surin
Une grande « béguine tardive » mystique dont le témoignage reste à comparer à celui de la Vie de madame Guyon : Maria Petyt I & II.
Lilian Silburn, Le Vide, les Voies, le Maître
Références de ce dossier dans Auteurs et textes mystiques (Tables et bibliographie). Ce récapitulatif donne aussi la table d’une centaine de figures qui ont connues le XVIIe siècle et d’autres informations quantifiées.
§§
J’ai suivi autant que possible un ordre chronologique. Une étude replace une figure dans son cadre historique avant de préparer son témoignage, manifestation mystique d’un vécu commun à tous en tout lieu et en tout temps. Je me suis limité aux seuls témoins accomplis, sans pouvoir justifier mon choix (v. remarque supra sur l’accord entre maîtres érudits).
L'ordre <...franciscains, Chrysostome, Bernières et son cercle, Bertot, Guyon et son cercle...> n’a pas changé depuis l’article qui ouvre « (3) filiations avant... » Mais il s’est progressivement complexifié par adjonction de ceux qui entouraient les deux noeuds : Chrysostome et Bernières à Caen puis madame Guyon à Paris. La colonne vertébrale ou axe unidimensionnel < Franciscains ... Guyon > devient graphe non planaire !
Mon but est : rectifier -- du point de vue mystique -- la vision que l’on porte sur le XVIIe siècle français. En restituant la place centrale au réseau de « pré-quiétistes » et de « quiétistes » (adeptes de la quiétude) ou « école du cœur » (il s’agit de nombreux signets accumulés en trois siècles). La vision d’une « Ecole française » spirituelle autour de Bérulle est beaucoup plus large et vague inclusive de tous les dévots[5].
Je me tourne actuellement vers l'Espagne de Jean de la Croix par son disciple Quiroga et vers les franciscains à l’origine de multiples renaissances siècle après siècle (dont l’école du cœur).
Des témoignages « étoilés » dont de nombreux provenant de témoins hors des Eglises et religions ont été recueillis en Chronologies I à IV.
Présentation, Tables & bibliographies
Filiation à l’époque Classique
Filiation au siècle des Lumières
Mystiques de France et d’Europe
PRESENTATION DE
CONTRIBUTIONS AUX FLORILEGES MYSTIQUES.
TABLE GENERALE
- BIBLIOGRAPHIES
CHRONOLOGIE
MYSTIQUE I ORIGINES A 1600
CHRONOLOGIE
MYSTIQUE II 1600 à 1700 Un Grand Siècle
CHRONOLOGIE
MYSTIQUE III 1700 à 2017 Fidèles aux Traditions
« Étoilement mystique », une
bifurcation
CHRONOLOGIE
MYSTIQUE IV 1700 à 2017 Hors des Traditions
EXPÉRIENCES
MYSTIQUES EN OCCIDENT I DES ORIGINES À LA RENAISSANCE
EXPÉRIENCES
MYSTIQUES EN OCCIDENT II L’INVASION MYSTIQUE EN FRANCE DES ORDRES ANCIENS
Le jeu des influences de 1381 à 1594.
Troubles, chartreux et traducteurs.
EXPÉRIENCES MYSTIQUES EN
OCCIDENT III ORDRES NOUVEAUX ET FIGURES SINGULIÈRES
EXPÉRIENCES
MYSTIQUES EN OCCIDENT IV UNE ECOLE DU
CŒUR
EXPÉRIENCES
MYSTIQUES V DES LUMIERES A NOS JOURS
FRANÇOIS
D’ASSISE ET SES DISCIPLES
Chronologie de la vie de François
Présentation synchronique selon les œuvres des
principaux mystiques
Figures mystiques du XIVe au XVIe siècle
Nécrologe des capucins de la province de Paris
BENOIT DE
CANFIELD, DE LA VOLONTE DE DIEU, QUINZE
CHAPITRES DE LA REGLE DE PERFECTION.
CONSTANTIN de
BARBANSON I LES SECRETS SENTIERS DE L’ESPRIT DIVIN
Un mystique spéculatif flamand d’expression française
CONSTANTIN de
BARBANSON II LES SECRETS SENTIERS DE L’AMOUR DIVIN
CONSTANTIN de
BARBANSON III & IV ANATOMIE DE L’AME
CONSTANTIN de
BARBANSON V ANATOMIE DE L’AME
Présentation commune aux trois parties de l’Anatomie de
l’âme
Présentation propre à la troisième partie de l’Anatomie
MARTIAL
D’ETAMPES Maître en oraison
<<<< ORIGINES d’une FILIATION >>>>
JEAN-CHRYSOSTOME
DE SAINT-LO (1594-1646)
Présentation des écrits de Chrysostome publiés par
ses disciples Bernières et Mectilde
Note sur la direction de Bernières par le P.
Chrysostome
JEAN
DE BERNIERES LE CHRETIEN INTERIEUR ET LETTRES A L’AMI INTIME
ŒUVRES
MYSTIQUES I L’INTERIEUR CHRETIEN SUIVI DU CHRETIEN INTERIEUR ET DES PENSEES
Un courant mystique « ouvert »
Description des éditions anciennes
Jean de
Bernières ŒUVRES MYSTIQUES II
CORRESPONDANCE
RENCONTRES
AUTOUR DE MONSIEUR DE BERNIERES (1602 – 1659)
Jean de Bernières, sources et influences sur
l’histoire de la spiritualité
MARIE
DES VALLEES LE JARDIN DE L’ AMOUR DIVIN
Marie des Vallées, possédée par Dieu
INFLUENCE
MYSTIQUE ET POSTERITE DE MARIE DES VALLEES
LES AMITIÉS
MYSTIQUES DE MÈRE MECTILDE DU SAINT-SACREMENT 1614-1698
LES AMIS DES
ERMITAGES DE CAEN & DE QUEBEC
Les amis de Bernières : « L’école du Cœur »
Disciples et filiation en France
ARCHANGE
ENGUERRAND DIRECTEUR FRANCISCAIN RECOLLET (1631-1699)
Le « Bon religieux » auprès de Mme
Guyon
« Un récollet français méconnu »
MONSIEUR BERTOT
DIRECTEUR MYSTIQUE
Monsieur Bertot, Directeur Mystique
5. La
direction de Madame Guyon.
MAUR DE L’ENFANT-JESUS ECRITS DE LA MATURITE
1664-1689
Maur de l’Enfant-Jésus, grand carme.
Maur de
l’Enfant-Jésus ENTREE A LA DIVINE
SAGESSE
<<<< VIES DE MADAME GUYON
>>>>
JEANNE-MARIE
BOUVIER DE LA MOTHE [MADAME GUYON] (1648-1717), DICTIONNAIRE DE LA SIEFAR
LES
ANNÉES D’ÉPREUVES DE MADAME GUYON EMPRISONNEMENTS ET INTERROGATOIRES SOUS LE
ROI TRES CHRETIEN
JEANNE-MARIE
GUYON LA VIE PAR ELLE-MEME ET AUTRES ECRITS BIOGRAPHIQUES
Résumé et table de correspondance
QUIETUDE
ET VIE MYSTIQUE : MADAME GUYON ET LES CHARTREUX.
MADAME
GUYON ECRITS SUR LA VIE INTERIEURE
LETTRES
DE DIRECTION PUBLIEES AU SIECLE DES LUMIERES
MADAME GUYON
CORRESPONDANCE I DIRECTIONS SPIRITUELLES
MADAME GUYON
CORRESPONDANCE II ANNEES DE COMBAT
MADAME GUYON
CORRESPONDANCE III CHEMINS MYSTIQUES
MADAME GUYON
EXPLICATIONS DE LA BIBLE
L’EXPERIENCE
« QUIETISTE » DE MADAME GUYON.
<<<< FILIATION DES LUMIERES >>>>
FRANÇOIS
DE FENELON, LA TRADITION SECRETE DES MYSTIQUES OU LE GNOSTIQUE DE CLEMENT
D’ALEXANDRIE
LA
DIRECTION DE FÉNELON PAR MADAME GUYON
FRANÇOIS LA
COMBE (1640-1715) VIE, ŒUVRES, ÉPREUVES du Père Confesseur de Madame GUYON
François Lacombe mystique et
martyr
I. Un savoyard actif (1640 - 1687)
MARIE-ANNE
DE MORTEMART (1665-1750)
ÉCOLES DU CŒUR
AU SIÈCLE DES LUMIÈRES Disciples de madame Guyon & Influences
D. HENDERSON,
MYSTICS OF THE NORTH-EAST
HADEWIJCH
LETTRES SPIRITUELLES & BEATRICE DE
NAZARETH SEPT DEGRÉS D’AMOUR
JEAN DE
SAINT-SAMSON LE VRAI ESPRIT DU CARMEL
Jean de Saint-Samson
(1571-1636)
JEANNE DE CHANTAL RECUEIL DES BONNES CHOSES
& EXTRAITS DE LETTRES
JEANNE DE CHANTAL, ÉCRITS RELEVÉS
DANS L’ÉDITION DE 1875
La bonne armelle, servante
bretonne (1606-1671)
MARIA PETYT (1623-1677) Mystique flamande
Notices & Études par Albert Deblaere
C ~1350 Hymne d'Akhnaton.
AC ~250 Hymne … Zeus
AC ~300 Lao Tseu/Laozi
AC ~350? Mundaka Upanishad
AC ~250 Tchoang-tseu/Zuangzi
AC ~500 Parménide
AC ~540 Isaie
AC ~ 575 Livre de Job
AC~399 Socrate (AC 470 ? AC 399) & Platon (AC 427 ? AC 348/7)
0000Chanson Esquimau (Alaska, Groenland)
0000 Pygmées
0070~ Paul l'Apôtre
0270 Les Ennéades de Plotin (205-270)
0080~ L'Evangile selon Matthieu
0390~ La Vie de Moïse Grégoire de Nysse (~331 apr. 394).
0430 Augustin (~354 - 430)
0430~ Cassien (~360 ~430)
0485 Proclus (412 - 485).
0500? Sutra on Perfect Wisdom (Abhisamayalankara).
0500~ Denys l'Aréopagite
0632 Le Coran de Muhammad (~570 - 632)
0713 Houei-neng (638-713), Soutra de l’Estrade
0761 Wang Wei (701-761) & 762 Li po (701-762)
0780~ Jean de Dalyatha (~690 ~780)
0800?? Le cycle de La grande libération attribué à … Padmasambhava.
0801 Rabia (~713-801)
0849 Bistami/Bayazid (777-848/9)
0900~ Femmes soufies des premiers siècles de l’Hégire
0900~ Hommes soufis des premiers siècles de l’Hégire
0911 Junayd (830-911)
0922 Hallaj (857-922) présenté par Hamadani
0965 Niffari (879-965)
1021 Sulami (937?-1021)
1022 Symeon le Nouveau Théologien (949 - 1022)
1030~ Abhinavagupta (~955 - ~1030) et le Siva‹sme du Cachemire.
1033 Ab–al-Hasan Kharaqani (960-1033)
1049 Abu Said (? - 1049)
1050~ Milarepa
1064 Ibn Hazm (994-1064)
1089 Khwadja Abdullah Ansari (1006-1089)
1111 Hamid al-Ghazali (1058-1111) et son frère Ahmad (-1126)
1131 Ayn Al-Quzat Hamadani (1098 ? 1131)
1141 Hugues et Richard de Saint-Victor (? 1141).
1141 Ibn Al-Arif (-1141)
1148 Guillaume de Saint-Thierry(~1085-1148)
1153 Bernard de Clairvaux (1091-1153)
1188 Guigues II (? - 1188)
1191 Sohravardi (1155 ? 1191)
1209 Ruzbehan (1128-1209)
1220 Najmoddin Kubra (1145-1220)
1226 François d'Assise (1182-1226)
1230 Attar (1142-1230)
1235 Ibn al Faridh
1240 Hirrali (? - 1240)
1240 Ibn Arabi (1165-1240)
1240~ & ~1280 Hadewijch I & II
1240~ Traité de l'Unité
1273 Rumi (1207-1273)
1280~ Le Zohar compilé par Moïse de Leon (1240-1305).
1290 Nasafi (?-1290) & Traités du soufisme.
1300~ Hugues de Balma
1306 Jacopone da Todi (~1233 - 1306).
1309 Angèle de Foligno (1248 - 1309).
1310 Marguerite Porete (~1250 - 1310).
1318 Sultan Valad (1226-1318)
1320 Shabestari (?-1320).
1321 Dante Alighieri (-1321)
1328 Maitre Eckhart (~1260 - 1328).
1349 Richard Rolle (~1295?? ? 1349)
1361 Tauler (~1300-1361)
1361~ L'Imitation de la Vie Pauvre de N.S.J.C.
1366 Suso(~1295-1366)
1370~ La Theologia Deutsch ou Livre de la Vie Parfaite.
1370~ Le Nuage d'Inconnaissance.
1376 Hyegun (1320-1376)
1381 Jan van Ruusbroec (1293-1381)
1381 Maneri (~1263-1381)
1389 Baha Al-din Naqshband (1317-1389)
1390 Hafez de Chiraz (1316/1317 - 1390)
1390 Ibn Abbad de Ronda (1332 ? 1390)
1390~ Lalla (~1320 - ~1390).
1408~ L'Imitation de Jésus-Christ, Thomas a Kempis (1379 ? 1471).
1411 Gerlach Peters (1378-1411).
1420~ Julian de Norwich (~1343 - après1416)
1428 Jili (1366-1428)
1440~The book of Margery Kempe (~1373 ~1440)
1471 Denys le chartreux (1402-1471).
1477 Henri van Herp/Harphius (1400 - 1477).
1492 Jami (1414-1492).
1500~ Derviches anatoliens
1508 Nil Sorskij (1433-1508), influence
1510 Catherine de Gênes (1447 - 1510)
1518 Kabir (~1440 - 1518)
1529 Brug-pa (1455-1529)
1535 La Perle évangélique.
1538 Subida del Monte Sion de Bernardino de Laredo (1482 ~1540).
1548 Institutions pseudo-taulériennes
1562 Pierre d'Alcantara (1499 - 1562)
1566 Louis de Blois (1506 - 1566) et son Institution spirituelle
1582 Thérèse de Jésus (1515 - 1582).
1588 Breve compendio d'Isabelle Bellinzaga.
1591 Jean de la Croix (1542-1591).
1591 Luis de Leon (1528-1591).
1596 Grégoire Lopez (1542 - 1596)
1598 Philippe Desportes
1600 Giordano Bruno (~1550 ? 1600)
1600~ Pierre de Croix
1603 Dadu (1544?1603) and the Bauls of Bengal
1608 Jacques Levasseur (1571?1638)
1610 BenoŒt de Canfield (1562-1610)
1618 Madame Acarie, [Iere] Marie de l'Incarnation (1566-1618).
1622 François de Sales (1567 - 1622).
1623 Exercices sacrés de l'amour de Séverin Rubéric (? ? apr.1625).
1624 Jacob Bohme (1575?1624).
1624 Shaykh Ahmad Sirhindi (1564 ? 1624)
1628 Joseph de Jésus Maria [Quiroga](1562-1628).
1631 Constantin de Barbanson (1582-1631).
1631 Exercice divin de Marie de Beauvilliers (1574 - 1657).
1633 George Herbert (1593 ? 1633)
1635 Jean-François de Reims (? ? 1660).
1635 Louis Lallemant (1588 - 1635).
1635 Martial d'Etampes (1575 - 1635).
1636 Jean de Saint-Samson (1571 - 1636).
1637 Madeleine de Saint-Joseph (1578 - 1637).
1638 Falconi (1596 - 1638)
1639 Jeanne de Cambry (1581-1639)
1641 Condren (1588-1641)
1641 Dom Augustin Baker (1575 - 1641).
1641 Jeanne de Chantal (1572 - 1641).
1644 Isabelle des Anges (1565 - 1644)
1646 Jean-Chrysostome de Saint-L“ (1594 - 1646)
1649 Gaston de Renty (1611 - 1649).
1650~ Pierre Cluniac (1606 - après 1642).
1652 Maur de l?Enfant-Jésus (1617/8 - 1690).
1652 Marie-Madeleine de Jésus [de Bréauté] (1579-1652)
1654 Marie de Valernod, dame d?Herculais (1619 - 1654).
1655~ Hubert Jaspart (1582 ~1655)
1656 Marie des Vallées (1590-1656)
1656~ Claudine Moine (1618 - après 1655)
1657 Jean-Jacques Olier (1608-1657)
1657 Le Pèlerin Chérubinique d?Angelus Silesius (1624 - 1677).
1657 Madeleine de Neuvillette (1610 - 1657)
1658 Jean Rigoleu [c] (1596 - 1658).
1659 Jean de Bernières (1600 - 1659)
1661 Sarmad (? -1661)
1662 Pascal (1623 -1662)
1665 Jean-Joseph Surin (1600 -1665)
1667 Victorin Aubertin (1604 - 1669)
1668 Antoine Civoré (1608 - 1668)
1670 Le Jour Mystique de Pierre de Poitiers (? -1683)
1671 Armelle Nicolas (1606-1671)
1671 La mère Agnès (1593-1671)
1672 Marie de l'Incarnation [Guyart] (1599-1672).
1674 Geneviève Granger (1600 - 1674)
1674 Thomas Traherne (1637 - 1674)
1677 Baruch de Spinoza (1632 - 1677)
1677 Charlotte Le Sergent (1604 - 1677).
1678 Antoinette de Jésus (1612 - 1678)
1678 Henry Scougal (1650 - 1678).
1680 Alexandrin de la Ciotat (1629 - 1706).
1680 Marie Bon (1636?-1680)
1680~ poèmes de Catharina Regina von Greiffenberg (1633-1694)
1681 Monsieur Bertot (1622-1681), Directeur Mystique.
1682 Epiphane Louys (1614-1682)
1682 Marie (1644-1682) et Claude Hélyot (1628-1686)
1686 Traités de la vie intérieure de Maximien de Bernezay.
1686 Nicolas Barré (1621 - 1686).
1689 Jean Aumont (1608 - 1689)
1690 Robert Barclay (1648 - 1690) et les Quakers.
1691 Laurent de la Résurrection (1614 ? -1691)
1694 Matsu Basho (1644 ? -1694)
1696 Claude Martin (1619 -1696).
1696 Molinos (1628 - 1696).
1698 Catherine / Mectilde de Bar (1614-1698)
1699 Archange Enguerrand (1631 - 1699).
170~ Textes bouddhiques dont L’enseignement de Vimalakîrti
1708 François de Laval (1623-1708) et l’Ermitage de Québec.
1709 Alexandre Piny (1640-1709)
1711 Machrab (1657-1711)
1715 Fénelon (1651 - 1715)
1715 François La Combe (1640-1715).
1717 Jeanne-Marie Guyon (1648 - 1717)
1719 Malaval (1627-1719)
1719 Pierre Poiret (1646 -1719)
1720 Claude-Fran‡ois Milley (1668 -1720)
1733 James (1645-1726) et Georges Garden (1649-1733)
1737 Maria-Magdalena Martinengo (1687 ? 1737)
1751 Jean-Pierre de Caussade (1675 - 1751)
1751~ L'Abandon à la Providence divine
1769 Gerhard Tersteegen (1697 - 1769)
1775 Paolo [Danei] della Croce (1694-1775)
1782 La Philocalie, une bibliothèque spirituelle.
1785 Khwaja Mir Dard (1720-1785)
1798 Jeanne Le Royer (1731-1798)
1803 Jean-Nicolas Grou (1731 - 1803)
1804 Emmanuel Kant (1724-1804)
1820 Pierre de Clorivière (1735 - 1820)
1823 Sheikh Al-Arabi ad-Darqawi (-1823)
1827 Dov Baer de Loubavitch (1773 - 1827)
1833 Seraphim de Sarov (1759-1833)
1837 Giacomo Leopardi (1789 - 1837).
1840~ Optino et la Paternité spirituelle en Russie.
1843 Johann Christian Friedrich Hölderlin (1770 - 1843).
1849 Edgar Allan Poe (1809-1849)
1850 William Wordsworth (1770-1850)
1852 François Libermann (1802 - 1852)
1854 Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling (1775-1854)
1855 Gérard de Nerval (1808-1855)
1867 Charles Baudelaire (1821 ? 1867)
1870~ Récits d'un pèlerin [russe]
1881 Amiel (1821 ? 1881)
1883 Abd el-Kader (1807-1883)
1886 Emily Dickinson (1830-1886)
1891 Arthur Rimbaud (1854 - 1891)
1892 Charles-Louis Gay (1815-1892)
1897 Thérèse de l’Enfant-Jésus (1873-1897)
1900 Félix Ravaisson (1813-1900)
1902 Richard Maurice Bucke (1837-1902)
1906~ Archimandrite Spiridon
1908 Lucie Christine (1870 - 1908)
1910 William James (1842-1910)
1914 Jean Jaures (1859 - 1914)
1914 Témoignages issus des Enfers (1914-1953)
1917 Léon Bloy (1846-1917)
1918 Marie-Antoinette de Geuser « consummata »(1889-1918)
1919 Rosa Luxemburg (1871-1919)
1922 Marcel Proust (1871-1922).
1922 W. H. Hudson (1841-1922)
1924 Franz Kafka (1883-1924)
1929 Hugo von Hofmannsthal (1894-1929)
1932 Ramakrishna (? -1932)
1933 Henri Bremond (1875-1933)
1934 Ahmad al Alawi (-1934)
1934 Ha‹m Nahman Bialik (1873 -1934)
1938 Edmond Husserl (1859-1938)
1938 Ossip Mandelstam (1891 -1938)
1938 Starets Silouane (1866-1938)
1941 Henri Bergson (1859-1941)
1941~Thomas Kelly (1893-1941), Quaker
1942 Edith Stein (1891-1942)
1942 Brandsma (1881-1942)
1943 Etty Hillesum (1914 - 1943).
1943 Jiri Langer (1894-1943)
1943 Simone Weil (1909 - 1943)
1944 René Daumal (1908-1944)
1946 H.G. Wells (1866-1946)
1948 Georges Bernanos (1888-1948)
1948 Vital Lehodey (1857-1948)
1950 Joé Bousquet (1897-1950)
1950 Ramana Maharshi (1879 - 1950)
1950 Simon Frank (-1950)
1953 Jean Baruzi (1881-1953)
1955 Albert Einstein (1879-1955)
1955 Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955)
1960 Jules Supervielle (1884-1960)
1960 Ra‹ssa Maritain (1883-1960)
1961 Dag Hammarskjold (1905-1961)
1961 Erwin Schrodinger (1887-1961).
1962 Gaston Bachelard (1884-1962)
1963 Aldous Huxley (1894-1963).
1963 Ramdas (-1963)
1966 D.T.Suzuki (1870-1966)
1967 Marie Noel (1883-1967)
1968 Antonio Porchia (1885 - 1968)
1968 Jean Paulhan (1884?1968)
1971 mile Dermenghem 1892-1971
1971 Jean Grenier (1898-1971)
1973 Henri Le Saux / Swami Abhishtktananda (1910-1973)
1975 Carlo Levi (1902-1975)
1975 Maurice Zundel (1897-1975)
1975 Patrice de la Tour du Pin (1911-1975)
1977 Evguénia Guinzbourg (1906-1977)
1979 Jeanne Schmitz-Rouly (1891-1979)
1979 Paul Agaësse (-1979)
1980 Lev Gillet (1893 ? 1980)
1980~ Lu Kuan Yu (1898?-) & Hsu Yun
1982 Varlam Chalamov (1907 - 1982)
1983 Arthur Koestler (1905-1983).
1984 Henri Michaux (1899-1984)
1985 Vladimir Jankélévitch (1903-1985)
1986 Bernadette Roberts (1931-1986)
1987 Jean-Baptiste Porion (-1987)
1988 Sayd Bahodine Majrouh (-1988)
1992 Lilian Silburn (1909-1992)
1995 Gilles Deleuze (1925 -1995)
1995 Roberto Juarroz (1925 -1995)
1997 George Wald (1906-1997)
1998 Julien Green (1900-1998)
1999 liane Jeannin-Garreau (1911-1999)
2000~ R.H. Blyth [on Zen]
2000~ Toshihiko Izutsu [on Zen]
2002 Marie-Dominique Molinié (1918-2002)
2008 Alexandre I. Soljenitsyne (1918-2008)
2009 Stephen Jourdain (1931-2009)
2012 Dalila Pereira da Costa (1918-2012)
3000 Claude Vigée (1921 -? )
3000 Dom Georges Lefebvre
3000 Fabienne Verdier (1962-
3000 François Roustang (1923 -? )
3000 Henri Chambron (1926- )
3000 Jacques Ancet (1942 -
3000 Kenneth White (1936-)
3000 Nils Kuhn de Chizelle
3000 Radu Mihaileanu (1958-
3000 Yolande Duran-Serrano
ENTREES CHOISIES
Le tableau unique dont les quatre parties couvrent
les pages suivantes distribue des figures choisies parmi toutes les entrées
d’une « chronologie mystique ».
La disposition est verticalement chronologique (de page en page) et horizontalement (de gauche à droite) par
appartenances.
La résolution 4 colonnes x 4 pages soit 16
cellules est statistiquement valide compte tenu de 305 entrées ( ~ 19 noms en
moyenne par cellule) dont 97 choisies (~ 6 par cellule).
Répartition des entrées totales et > triées
:
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
2000
130
figures > 33
1700
70
> 19
1600
75
> 28
1000
32
>17
AC 500
HORS TRADITIONS RELIGIEUX CHRETIENS CHRET. France
81 fig. > 22 74 > 27 69
> 25 78
>23
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
La répartition s’avère assez uniforme avec en
moyenne ~20 entrées par ligne (chronologique) ou colonne (appartenance).
Par contre la variance entre cellules est
importante (15, 14,13,11,...,0 !).
1600 à 1700 Basho Spinoza Pascal 3 |
1600 à 1700 |
1600 à 1700 Barclay Quakers Angelus Silesius Jabob Boehme 3 |
1600 à 1700 m. Mectilde fr. Laurent J. Bertot Marie de l’Inc. b. Armelle Nic. P. de Poitiers J.-J. Surin Bernières J.Chrys.de St.Lô J. de Chantal J. de St-Samson Fr.de Sales B. de Canfield 13 |
HORS
TRADITION 1000
à 1600 |
RELIGIEUX 1000
à 1600 Brug-pa Kabir Naqsband Zohar Rumi Ibn
Arabi H.
du blâme Attar Ghazali Milarepa Abhinavagupta 11 |
CHRETIENS 1000
à 1600 Jean
de la Croix Thérèse
d’Avila Perle
& Instit. Cath.deGênes Harphius Julian
of Norw. Gerlac
Peters Ruusbroec Nuage
d’Inc. Eckhart Tauler H.
de Balma François
d’Ass. Symeon
le NT 14 |
CHRET.
FRANCE 1000
à 1600 Hadewijch Guignes
II Guillaume
de St-Thierry. 3 |
AC
500
à 1000 Plotin Socrate Parménide Bouddha 4 |
AC
500 à 1000 Bistami Soufis,
Rabia Coran Mohammed Tchoang-tseu Lao-tseu Isaïe,
Job Upanisads
8 |
AC
500 à 1000 Denys Augustin Evangiles Jésus 4 |
AC
500 à 1000 Cassien |
L’ordre est ici celui des naissances !
L’ensemble des figures ayant connu le XVIIe
siècle[6] couvre un siècle et demi environ. Cette identification des principaux
membres formant la communauté mystique déborde en effet le siècle de part et
d’autre, puisque certains naissent dans la seconde moitié du XVIe
siècle et d’autres connaîtront le début du Siècle des Lumières.
Notre approche dissocie le saint du mystique,
relativise les notions d’écoles calquées sur l’appartenance à un ordre, tente
de compenser — difficilement, par suite d’un manque de sources — le
déséquilibre observé entre modèles consacrés et vie menée dans le monde laïc.
Les figures d’intérêt mystique représentent un peu plus de la moitié de
l’ensemble : soit 33 présences féminines (F), 16 appartenances à l’ordre du Carmel (c), des
bénédictin (e) s (b), 9 jésuites (j), 11 capucins (cp), des
récollets (r), des membres du Tiers Ordre franciscain (t), 14 laïcs (L).
Des regroupements d’importances inégales sont
indiqués en colonne « Gr [oupe] » : 1. Parisiens actifs au début
du siècle, 2. autour de François de Sales, 3. autour de Port-Royal, 4. au nord
du royaume, 5. Parisiens actifs plus tardivement, 6. École du pur amour, 7.
normands ou en relation, 8. quiétistes, 9. étrangers. Toutes les figures ne
sont pas regroupées (vie en province, ermites…).
Apparaissent quelques noms illustres de
religieux qui ne sont pas mystiques, tels que Bossuet ou Labadie. L’on
peut parfois considérer comme des « contre-exemples », mais ils ne
furent pas indifférents aux mystiques. Enfin la présence de quelques étrangers
n’appartenant pas à la sphère d’expression française, tel Baker ou Sandaeus
(auteur d’un célèbre dictionnaire de termes mystiques), qui écrivaient en
latin, s’impose parce que la moitié des éditions du XVIIe siècle
étaient faites dans cette langue encore largement lue ; ou bien, tel
Angelus Silesius, poète silésien, ou Robert Barclay, mystique quaker, pour
souligner le débordement de frontières linguistiques ou des principales
dénominations religieuses lorsque l’on s’attache aux seuls mystiques. Dans les
cas hors catholicité, nous avons dissocié leur présentation du fil
chronologique (reportée en fin de volumes III et IV).
L’ordre chronologique est essentiel si l’on
s’interroge sur les rencontres et des influences possibles. Lorsque l’on adopte
l’ordre alphabétique, l’accès par nom est évident, mais la liste ne constitue
alors qu’un repérage, remplacé ici par les index des volumes II à IV.
NOM (PRÉNOM) |
naiss. |
décès |
âge |
Gr. |
App. |
1 Anne de Jésus |
1545 |
1621 |
76 |
9 |
c,F |
Anne de Saint-Barthélémy |
1549 |
1626 |
77 |
9 |
c,F |
Brétigny (Jean
Quintanadavoine) |
1556 |
1634 |
78 |
1 |
|
Gallemant (Jacques) |
1559 |
1630 |
71 |
1 |
|
Beaucousin (Richard) |
1561 |
1610 |
49 |
1 |
|
Canfield (Benoit de —) |
1562 |
1610 |
48 |
1 |
cp |
Quiroga (Joseph de Jésus Maria) |
1562 |
1628 |
66 |
9 |
c |
Ange de Joyeuse |
1563 |
1608 |
45 |
1 |
cp |
Coton (Pierre) |
1564 |
1626 |
62 |
1 |
j |
10 Isabelle des Anges |
1565 |
1644 |
79 |
9 |
c,F |
Marie de l’Incarnation (Acarie) |
1566 |
1618 |
52 |
1 |
c,F |
François de Sales |
1567 |
1622 |
55 |
2 |
|
Saint-Samson (Jean de —) |
1571 |
1636 |
65 |
|
c |
Chantal (Jeanne de —) |
1572 |
1641 |
69 |
2 |
F |
Le Gaudier (Antoine) |
1572 |
1622 |
50 |
|
j |
Marie de Beauvilliers |
1574 |
1657 |
83 |
1 |
b, F |
Baker (David-Augustin) |
1575 |
1641 |
66 |
4 |
b |
Rubéric (Séverin) |
|
Apr.1625 |
|
|
r |
Bérulle (Pierre de —) |
1575 |
1629 |
54 |
1 |
|
20 Martial d’Étampes |
1575 |
1635 |
60 |
|
cp |
Marie de Valence (Teyssonnier) |
1576 |
1648 |
72 |
|
F |
Joseph du Tremblay (« Père
J. ») |
1577 |
1638 |
61 |
1 |
cp |
Gregorio da Napoli |
1577 |
1641 |
64 |
|
|
Madeleine de Saint-Joseph (de
Fontaines) |
1578 |
1637 |
59 |
1 |
c,F |
Sandaeus (Maximilien) |
1578 |
1656 |
78 |
9 |
|
Marie de Jésus (de Bréauté) |
1579 |
1652 |
73 |
1 |
c,F |
Marguerite d’Arbouze |
1580 |
1626 |
46 |
|
b, F |
Cambry (Jeanne de —) |
1581 |
1639 |
58 |
4 |
F |
Saint-Cyran (Jean-Ambroise
Duvergier de H.) |
1581 |
1643 |
62 |
1 |
|
30 Vincent de Paul |
1581 |
1660 |
79 |
5 |
|
Camus (Jean-Pierre) |
1582 |
1652 |
70 |
2 |
|
Constantin de Barbanson |
1582 |
1631 |
49 |
4 |
cp |
Jaspart (Hubert) |
1582 |
1655 |
73 |
|
|
Bourgoing (François) |
1585 |
1662 |
77 |
1 |
|
Condren (Charles de —) |
1588 |
1641 |
53 |
5 |
|
Jean-Evangéliste de Bois-le-Duc |
1588 |
1635 |
47 |
9 |
cp |
Lallemant (Louis) |
1588 |
1635 |
47 |
5 |
j |
Saint-Jure (Jean-Baptiste) |
1588 |
1657 |
69 |
6 |
|
Catherine de Jésus |
1589 |
1623 |
34 |
|
c,F |
40 Marie des Vallées |
1590 |
1656 |
66 |
6 |
F |
Marillac (Louise de —) |
1591 |
1660 |
69 |
|
F |
Angélique Arnauld |
1591 |
1661 |
71 |
3 |
F |
Louise de Ballon |
1591 |
1668 |
77 |
|
b, F |
Agnès (Mère) |
1593 |
1671 |
78 |
3 |
F |
Chrysostome de Saint-Lô (Jean) |
1594 |
1646 |
52 |
6 |
t |
Chardon (Louis) |
1595 |
1651 |
56 |
|
|
Falconi (Jean) |
1596 |
1638 |
42 |
9 |
|
Rigoleuc (Jean) |
1596 |
1658 |
62 |
5 |
j |
Marie-Madeleine de Jésus (de
Bains) |
1598 |
1679 |
81 |
5 |
c,F |
50 Marie de l’Incarn. (du Canada)
(Guyart) |
1599 |
1672 |
73 |
|
c,F |
Granger (Geneviève) |
1600 |
1674 |
74 |
6 |
b, F |
Surin (Jean-Joseph) |
1600 |
1665 |
65 |
5 |
j |
Eudes (Jean) |
1601 |
1680 |
79 |
7 |
|
Bernières (Jean de —) |
1602 |
1659 |
57 |
6 |
L |
Victorin Aubertin |
1604 |
1669 |
65 |
|
r |
Noulleau (Jean-Baptiste) |
1604 |
1672 |
68 |
|
|
Charlotte Le Sergent |
1604 |
1677 |
73 |
|
b, F |
Cyprien de la Nativité |
1605 |
1680 |
75 |
|
c |
Cluniac (Pierre) |
1606 |
p1642 |
|
5 |
j |
60 Armelle (Nicolas) |
1606 |
1671 |
65 |
5 |
F, L |
Aumont (Jean —) (« Le vigneron ») |
1608 |
1689 |
81 |
6 |
L |
Civoré (Antoine) |
1608 |
1668 |
60 |
|
j |
Olier (Jean-Jacques) |
1608 |
1657 |
49 |
5 |
|
Amelote (Denis) |
1609 |
1679 |
70 |
5 |
j |
Neuvillette (Madeleine de —) |
1610 |
1657 |
|
5 |
F, L |
Labadie (Jean de —) |
1610 |
1674 |
64 |
|
|
Renty (Gaston de —) |
1611 |
1649 |
38 |
7 |
L |
Agnès de Jés.Maria (Bellefonds) |
1611 |
1691 |
80 |
5 |
c,F |
Hardouin de S.Jacques (Eloi) |
1612 ? |
1661 |
|
|
cp |
70 Antoinette de Jésus |
1612 |
1678 |
66 |
|
F |
Louys (Epiphane) |
1614 |
1682 |
|
|
|
Catherine /Mectilde de Bar
(Mère du St-Sacrement) |
1614 |
1698 |
84 |
7 |
b, F |
Laurent de la Résurrection |
1614 |
1691 |
77 |
5 |
c |
Maur de l’Enfant-Jésus |
1615 |
1690 |
|
|
c |
Guilloré (François) |
1615 |
1684 |
69 |
|
j |
Bourignon (Antoinette) |
1616 |
1680 |
64 |
9 |
F |
Blémur (Jacqueline Bouette de —) |
1618 |
1696 |
78 |
7 |
b, F |
Moine (Claudine) |
1618 |
p1655 |
|
5 |
F, L |
Hamon (Jean) |
1618 |
1687 |
69 |
3 |
L |
80 Claude Martin (dom —) |
1619 |
1696 |
77 |
7 |
b |
Bertot (Jacques) |
1620 |
1681 |
61 |
6 |
|
Barré (Nicolas) |
1621 |
1686 |
65 |
5 |
|
Pascal (Blaise) |
1623 |
1662 |
39 |
3 |
L |
Boudon (Henri-Marie) |
1624 |
1702 |
78 |
7 |
|
Scheffler (Angelus Silesius) |
1624 |
1677 |
53 |
9 |
L |
Rancé (Armand-Jean de —) |
1626 |
1700 |
74 |
|
|
Boniface Maes |
1627 |
1706 |
79 |
9 |
|
Bossuet (Jacques-Bénigne) |
1627 |
1704 |
77 |
5 |
|
Malaval (François) |
1627 |
1719 |
92 |
8 |
|
90 Molinos (Michel de —) |
1628 |
1696 |
68 |
8 |
|
Enguerrand (Archange) |
1631 |
1699 |
68 |
6 |
r |
Le Gall de Querdu |
1633 |
1694 |
61 |
7 |
|
Bon (Marie de l’Incarnation
—) |
1636 |
1680 |
44 |
8 |
F |
Petrucci (Pierre-Matthieu) |
1636 |
1701 |
65 |
8 |
|
Piny (Alexandre) |
1640 |
1709 |
69 |
5 |
|
La Combe (François) |
1640 |
1715 |
74 |
8 |
|
La Colombière (Claude de —) |
1641 |
1682 |
41 |
|
|
Hélyot (Claude et Marie) |
1644 |
1682 |
37 |
5 |
F, L |
Poiret (Pierre) |
1646 |
1719 |
73 |
9 |
L |
100 Barclay (Robert) |
1648 |
1690 |
42 |
9 |
L |
Guyon (Jeanne-Marie) |
1648 |
1717 |
69 |
6 |
F, L |
Scougal (Henry) |
1650 |
1678 |
28 |
9 |
|
Fénelon (Franç. de Salignac de —) |
1651 |
1715 |
64 |
6 |
|
Honoré de Sainte Marie (dom —) |
1651 |
1729 |
78 |
5 |
c |
Milley (François-Claude) |
1668 |
1720 |
52 |
|
|
Caussade (Jean-Pierre de —) |
1675 |
1751 |
76 |
6 |
j |
Dutoit (Jean-Philippe) |
1721 |
1793 |
72 |
6 |
|
Bellinzaga (Isab.)(« d.milan ») |
|
1624 |
|
9 |
F, L |
César de Bus |
|
1607 |
|
|
|
110 Laurent de Paris |
|
1631 |
|
|
cp |
Jean-François de Reims |
|
1660 |
|
|
cp |
Pierre de Poitiers |
|
1683 |
|
|
cp |
Bernezay (Maximien de-) |
|
Apr.1686 |
|
|
r |
Paul de Lagny |
|
1694 |
|
|
cp |
Simon de Bourg-en-Bresse |
|
1694 |
|
|
cp |
Quelques entrées sont doublées ou font l’objet de renvois entre auteurs.
Les vignettes .pdf ou .jpeg permettent de mieux voir les couvertures et de lire les quatrièmes.
Quatrième de couverture :
Archange Enguerrand se rattache par l’intermédiaire de son maître Jean Aumont au réseau de « l’école du cœur » issu de l’Ermitage fondé à Caen par monsieur de Bernières. Entré chez les récollets, il séjourna un temps au mont Alverne, l’illustre « désert » franciscain proche d’Assise.
A son retour, il croisa à Montargis la jeune madame Guyon âgée de vingt ans. C’est le « bon religieux » qui l’introduisit à la vie intérieure. Un bref rappel de cette rencontre figure dans la Vie par elle-même rédigée par la mystique. Il est suivi de l’étude d’Archange par André Derville, jésuite qui mena à bien l’achèvement du Dictionnaire de Spiritualité.
Le
corps du volume livre pour la première fois le second travail ample du même
biographe A. Derville. Il s’agit d’une série complète de lettres de direction
adressées à une religieuse dans l’épreuve. Ces lettres lui font prendre sa
juste place parmi les grands directeurs mystiques du dix-septième siècle. Elles
soulignent l’intérêt d’une œuvre profonde et de belle écriture restée pour sa
plus grande partie manuscrite.
Armelle Nicolas Témoin du Pur Amour, Le
Triomphe de l’Amour divin dans la vie d’une grande servante de Dieu, Texte
présenté par Dominique et Murielle Tronc, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix,
coll. « Sources mystiques », 2011, 519 p.
Quatrième de couverture :
Armelle Nicolas (1606-1671), servante rustique et illettrée, expérimenta l'envahissement de l'Amour divin, auquel elle répondit par le don absolu d'elle-même. Au coeur d'une Bretagne où oeuvraient les missionnaires jésuites, Armelle bénéficia notamment de l'aide spirituelle des Pères Jean Rigoleuc et Vincent Huby.
Son amie ursuline Jeanne de la Nativité nota soigneusement les actions et les dits de celle qui appelait Dieu « son divin Amour », et avait fait de la fidélité à cet amour l'axe de sa vie rude et simple de domestique. Le lecteur est frappé d'emblée par l'ampleur de vue et l'optimisme d'Armelle, basés sur une confiance inconditionnelle en la grâce, par une persévérance opiniâtre qui dépasse tous les obstacles, courant à l'union avec Dieu avec intensité et ardeur.
Le Triomphe nous donne avec une exactitude remarquable le récit d'une vie mystique achevée : on suit Armelle dans cet itinéraire surprenant depuis la passion de ses débuts, jusqu'à l'insondable paix de l'unité divine de son achèvement, au fil d'un abandon de plus en plus profond.
L'influence de l'ouvrage fut très grande au-delà des frontières françaises, jusqu'en Hollande, en Allemagne, en Angleterre et en Écosse. Une mystique à redécouvrir.
Armelle Nicolas, « Aime-Moi », Faits et dits de la Bonne Armelle, servante bretonne, Dits mis en forme par Gérard Pfister, suivis de deux chapitres du « Triomphe du divin Amour »
Armelle Nicolas, « Aime-Moi », Faits et dits de la Bonne Armelle, servante bretonne, Dits mis en forme par Gérard Pfister, suivis de deux chapitres du « Triomphe du divin Amour », Arfuyen, à paraître, 166 p.
Carmélites françaises à l’âge classique, Histoire
et Florilège de leurs écrits spirituels, par moniale-ermite Marie de l’Enfant-Jésus,
Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques ».
[belles pages oubliées issues de carmélites des trois premières générations
françaises.], à paraître.
Constantin de Barbanson, III & IV, Anatomie de l’âme, Première partie comportant vingt-deux chapitres, Depuis le commencement de la vie spirituelle, jusqu'à l'état expérimental de la grâce supernaturelle. Deuxième partie, Il y a encore une seconde Anatomie à passer selon l'être de la déiformité, après la mort de la propriété. Oeuvres mystique annotée par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Constantin de Barbanson », 2014, 407 p. [L’Anatomie de l’âme est un ouvrage très rare réédité la première fois comme défense et illustration de la pratique mystique.]
Constantin de Barbanson, V, Anatomie de l’âme, Troisième partie comportant quatre Traités, Comment l’âme qui est parvenue à l’état de la perfection se doit comporter pour faire progrès…, Présentation et notes par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Constantin de Barbanson », 2014, 346 p.
Dom Georges Lefebvre, Prière du Cœur et pureté de cœur, coll. « Chemins mystiques », lulu.com, Hors Commerce, 2016, 130 p. [avec des textes de Saint Grégoire le Grand et de Saint Jean de la Croix réédition d’un ouvrage rare d’un moine de l’abbaye de Ligugé paru chez Desclée de Brouwer en 1953 – exemplaire annoté par Lilian Silburn].
Dominique de Saint-Albert, Œuvres mystiques, fr. Klaus & D. Tronc. [en préparation]
D. Tronc, art. « Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon », XVIIe siècle, PUF, n°1-2003, 95-116. [L’article révisé sur Madame Guyon sous Wikipedia, renvoie à cairn.be (la distribution électronique Cairn pour les éditions des Presses Universitaires de France) qui reproduit l’article...
...traduit in Recherchen XXVI, Benediktinerinnen, « Weitergabe eines mystichen Erbes… », Köln 2008.]
D. Tronc, « L’expérience ‘quiétiste’ de Madame Guyon », Mélanges Carmélitains, Téqui éd., vol. 2 (2004), 349-395. [Florilège].
Cf. Madame Guyon
D. Tronc, « Quiétude et vie mystique : Madame Guyon et les Chartreux », Transversalités, Inst. Cath. de Paris, n°91, juillet-septembre 2004, 121-149. [Repris partiellement : Les années d’épreuve…, « Annexes, Le procès des mœurs », Champion, 2009, 450-462.]
Cf. Madame Guyon
D. Tronc, « Un mystique réformateur des carmes, Jean de Saint-Samson (1571-1636) », Carmel, n°112, juin 2004, 71-83. [Florilège].
Cf. Jean de Saint-Samson
D. Tronc, Expériences mystiques en Occident I. Des Origines à la Renaissance, Editions Les Deux Océans, 2012, 344 p. [fonds repris par Trédaniel-Dervy] [guide & florilège introduisant aux principales figures mystiques de la Tradition chrétienne].
D. Tronc, Expériences mystiques en Occident II. L’invasion mystique en France des Ordres anciens, Editions Les Deux Océans, 2012, reprise Trédaniel-Dervy, 378 p.
56 [2017] Dominique et Murielle Tronc, Expériences mystiques en Occident IV. Une Ecole du Cœur, Editions Dervy, en préparation, 592 p. [Ouverture & table ; Quiétismes ; I L’école du cœur en France et Nouvelle France 1601-1671 : Ecole du cœur et Bernières, L’Ermitage, Bertot, Canada ; II Mme Guyon, Fénelon et leurs amis 1648-1717 : Mme Guyon, Fénelon, L’œuvre, La Voie ; III Filiations 1717-1792 : France, Ecosse, Hollande, Suisse & Allemagne ; IV Influences : Chez les catholiques, Chez les protestants, Echos au XIXe siècle, Echos et usage au XXe s. ; Synthèse ; Tableaux], Hors commerce [en préparation].
D. Tronc, Expériences mystiques en Occident V. Des Lumières à nos jours, Hors commerce [en préparation].
D. Tronc, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siecle. Tome I. Introductions, Florilège issu de Traditions franciscaines (Observants, Tiers Ordres, Récollets), Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 367 p.
D. Tronc, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siecle. Tome II. Florilège de figures mystiques de la réforme Capucine. Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 400 p.
D. Tronc, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siecle. Tome III. Un grand siècle franciscain à Paris [Pierre Moracchini] & Nécrologe capucin - Le franciscanisme et l’invasion mystique [Jean-Marie Gourvil] - Figures mystiques féminines, Minimes, Un regard sur les héritiers - Tables. Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques ».
Les Amis des Ermitages de Caen & de Québec, dossier assemblé par D. Tronc, coll. « Chemins mystiques », lulu.com, 564 p. [Filiations et amis, directions mystiques, membres du cercle normand, Marie de l’Incarnation, liens et documents]
Quatrième de couverture :
« Nous présentons en première partie sous le titre I. FILIATION ET AMIS le cercle large de l’Ermitage normand. C’est la vision « horizontale » où nous accordons la plus grande importance aux mystiques fondateurs.
Comment s’opère la succession d’aîné à cadet ? C’est la vision « verticale » Nous reprenons les liens entre quelques fondateurs en seconde partie où nous centrons l’aperçu intérieur sur des II. DIRECTIONS MYSTIQUES dont celles de Bernières et de Mectilde par « notre bon père Chrysostome ».
« Suivent des matériaux :
« III. MEMBRES DU CERCLE NORMAND regroupe des extraits mystiques pour ses principales figures.
« IV. MARIE
DE L’INCARNATION extraits de correspondance.
« V. LIENS entre les deux principales figures de Marie de l’Incarnation et de Jean de Bernières.]
D. Tronc, Ecoles du Cœur au siècle des Lumières, Disciples de madame Guyon & Influences, coll. « Chemins mystiques », lulu.com, 260 p. [Présentation, Filiations de la quiétude : Française, Ecossaise, Hollandaise, Suisse et germanique, & Influences en terres catholiques, en terres protestantes, Echos au XIXe siècle, Reconnaissance au XXe siècle, Synthèse.]
Chronologie Mystique I Des Origines à 1600, Florilège établi par Dominique Tronc, en préparation, Hors Commerce.
Quatrième de
couverture :
Je propose une approche globale de témoignages « mystiques ». Quatre tomes assembleront des textes provenant de cultures diverses dans le temps et dans l’espace :
I Origines à 1600, toutes Traditions confondues (le présent ouvrage)
II Traditions de 1600 à 1700
III Traditions de 1700 à aujourd’hui
IV Témoignages hors cadres de 1700 à aujourd’hui.
Un accord entre spécialistes quant aux figures mystiques propres à diverses cultures témoigne de l’unicité du vécu au plus profond. Les variations d’origines culturelles et religieuses ne le voilent pas pour ceux qui y ont été rendus sensibles même une fois.
Un inventaire est présenté de manière originale pour la première fois, d’une façon qui peut apparaître provocatrice par sa diversité : une longue « page » déroulée chronologiquement ! Le lecteur fera son choix dans ce Florilège mystique. Il choisira et appréciera les textes du moins de quelques-uns. Il est inutile de les présenter longuement puisqu’il suffit de consulter une encyclopédie en ligne telle que Wikipedia. Nous nous plaçons donc à l’opposé de dictionnaires biographiques. Un nom, un beau dit ou un seul extrait qui parle au cœur, et cela suffit à justifier ce travail.
29 [2014] D. Tronc, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siecle. Tome I. Introductions, Florilège issu de Traditions franciscaines (Observants, Tiers Ordres, Récollets), Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 367 p.
Cf. Madame Guyon pour les photos
D. Tronc, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siecle. Tome II. Florilège de figures mystiques de la réforme Capucine. Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 400 p.
Cf. Madame Guyon
D. Tronc, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siecle. Tome III. Un grand siècle franciscain à Paris [Pierre Moracchini] & Nécrologe capucin - Le franciscanisme et l’invasion mystique [Jean-Marie Gourvil] - Figures mystiques féminines, Minimes, Un regard sur les héritiers - Tables. Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques ».
Cf. Madame Guyon
François d’Assise vu par ses disciples,
Un choix de sources à l’usage de Dominique Tronc et d’Amis, Reprenant des textes de l’Edition du
VIIIe centenaire, Hors
commerce pour raison de droits, 510 p. [Présentation, Quelques « pages » de François, Du
commencement de l’Ordre, Légende des trois compagnons, Compilation d’Assise
anciennement dénommée Légende de Pérouse, Témoignages sur des Spirituels issus
principalement des Actes.]
Quatrième de couverture :
FRANÇOIS D’ASSISE VU PAR SES
DISCIPLES
« L’édition du VIIIe centenaire » publiée en
deux volumes dans la collection « Sources Franciscaines » au Cerf en 2010
comporte 3418 pages. Je ne reprends ici qu’un huitième de ce nouveau « Totum »
de sources encore proches de François. Cinq parties suivent une brève
présentation: 1. Quelques « pages » de François.
2. Frère Jean, compagnon de
Gilles, auteur « Du commencement de l’Ordre », source primaire sobre et
originale. Elle fut écrite moins de quinze ans après la mort de François.
3. La « Légende des trois
compagnons » proposée par Léon, Rufin et Ange, en complément de la biographie
de Thomas de Celano. Elle fournit des informations uniques sur la période «
laïque » si mal connue de la vie de François (~1182 à 1206). On sait que sa
durée dépasse celle de la période fondatrice (1206 à 1226).
4. Frère Léon est à la source de la «
Compilation d’Assise », anciennement nommée « Légende de Pérouse ».
Je livre l’ensemble annoté en
incluant au fil du texte les passages repris de Celano (disjoints dans
l’édition du VIIIe centenaire). 5. Des témoignages éclairent les personnalités
de Léon et d’autres Spirituels. Outre quelques « pages » de François, ils sont
tirés des « Actus », la source latine source de la traduction italienne d’où
furent extraits les attachants « Fioretti ». Les notes généreuses et
indispensables de l’édition du VIIIe centenaire rendent caduques de nombreuses
biographies par ailleurs souvent colorées par leurs auteurs. Nous les
restituons au fil du texte courant en petit corps. Ce « Compagnon » commode a
été établi pour mon usage personnel. Son partage est limité à quelques amis. Il
livre un François mystique sans glose autre que les notes issues de recherches
sur lesquelles a pu être établi le nouveau « Totum ».
François de Fénelon, La Tradition secrète des mystiques ou Le Gnostique de Clément d’Alexandrie, présentation par Dominique et Murielle Tronc, « Les carnets spirituels », Paris, Arfuyen, 2006, 216 p. [Le Gnostique, précédemment publié par Dudon, revu et corrigé sur le ms. des Archives de Saint-Sulpice.]
La Direction de Fénelon par Madame Guyon, Correspondance présentée et éditée par Murielle et D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame Guyon », 504 p.
Cf. Madame Guyon
Fénelon mystique, un florilège, par D. Tronc, lulu.com, hors-commerce pour raison de droits, 457 p. [« Une rencontre mystique », bref extraits des « Œuvres et opuscules, » large choix de « Lettres de direction » par destinataires].
FENELON MYSTIQUE, UN FLORILEGE
Fénelon a fait l’objet d’un très grand nombre d’approches. Mais dès que l’on veut connaître le vécu spirituel de l’homme, études et choix de textes deviennent rares. Le titre « Fénelon mystique, un florilège » veut faire connaître l’essentiel de ses directions qui reflètent sa nature profonde. Le Florilège que je propose est chronologique. Le récit de la rencontre mystique avec madame Guyon précède des extraits d’écrits titrés dont se détache le saint Clément. Puis d’abondants témoignages privilégient la période de maturité où, délivré de toute illusion, Fénelon touche à l’achèvement mystique.
Je tire parti de l’édition critique récemment achevée de sa Correspondance. Elle permet de mieux cerner des personnalités diverses qui, aspirant à la vie intérieure, découvrirent le meilleur directeur spirituel de leur époque.
Je m’efface derrière des séries d’extraits regroupés autour de ces destinataires. Les besoins varient suivant leurs tempéraments. Le connaisseur des âmes se révèle être un ami patient dans (presque) tous les cas. Par sa profondeur et dans son exigence, il demeure pour nous un compagnon présent.
François Lacombe (1640-1715), Vie, Œuvres, Epreuves du Père Confesseur de Madame Guyon, Sources assemblées par D.Tronc, coll. « Chemins mystiques », lulu.com, 648 p.
Quatrième de Couverture
FRANÇOIS LA COMBE (1640-1715)
Vie, Œuvres, Epreuves du Père Confesseur de Madame Guyon
Sources présentées par Dominique Tronc
François La Combe ou Lacombe (1640-1715) fut le compagnon aîné confesseur de madame Guyon. Il est resté dans l’ombre lorsqu’il ne fut pas simplement et sommairement mis en cause.
Nous l’approchons sérieusement ici pour la première fois en rassemblant l’essentiel de ce qui le fait mieux connaître et apprécier. Nous disposons de nombreux documents : une Vie décrite d’après des témoignages provenant principalement de Madame Guyon, des Œuvres qui ne sont pas médiocres, des Epreuves dont témoignent d’amples lettres qu’il put faire parvenir de la prison de Lourdes.
Ce dossier est établi par recours à nos éditions des œuvres de madame Guyon (Vie, Correspondance, Années d’épreuves). Ses écrits rédigés ou traduits en Français sont réédités ici pour la première fois depuis le XVIIIe siècle.
Le confesseur dans tous les sens du terme, incluant de lourdes épreuves qui demeurent cachées et vécues sans répit jusqu’à la mort, est profondément mystique. Il est digne de l’attachement d’une dirigée devenue rapidement son inspiratrice.
Hadewijch LETTRES SPIRITUELLES
Béatrice de Nazareth SEPT DEGRÉS D’AMOUR
coll. « Chemins mystiques », lulu.com
Voici l’ouvrage épuisé des Lettres d’HADEWIJCH, accompagné d’un court traité par une autre béguine et de comparaisons avec d’autres spirituels. Il s’agit d’admirables traductions et de présentations érudites par Fr. dom Porion.
L’ouvrage livre le cœur de cette mystique qui vivait au treizième siècle et fut très influente sur Ruusbroec et bien d’autres mystiques. Je ne l’ai pas retrouvé disponible sur le Net, ce qui me conduit à l’éditer en ligne hors commerce pour des amis.
J’adjoins en fin d’ouvrage un relevé de lecture par Lilian Silburn et mon bref florilège extrait d’une « Chronologie mystique » en préparation.
48 [2016] D. Henderson, Mystics of the North-east, coll. « Chemins mystiques », lulu.com, 390 p. [réédition de l’ouvrage « introuvable » publié en 1934 à Aberdeen. Outre le grand intérêt offert par l’Introduction et par l’exceptionnelle qualité de ce travail érudit, l’ouvrage comporte des lettres de disciples adressés à Mme Guyon et échangés entre eux].
MYSTICS OF THE NORTH-EAST Cette belle étude irremplaçable est difficile d’accès : il nous a fallu la retrouver à l'Université d'Aberdeen. Elle approche avec grande autorité et bienveillance les disciples écossais de madame Guyon dont certains l’entouraient à Blois et assistèrent à sa mort.
PREFACE 7 CONTENTS 10 INTRODUCTION. 13 I. FORERUNNERS. 13 II. MADAME GUYON, PIERRE POIRET, ETC. 18 III. RELIGIOUS CONDITIONS IN THE NORTH-EAST AFTER THE REVOLUTION. 26 IV. JACOBITE SYMPATHIES. 35 V. DR. GEORGE GARDEN. 41 VI. LORD DESKFORD. 50 VII. ALEXANDER, 4TH LORD FORBES OF PITSLIGO. 57 VIII. WILLIAM, 14TH LORD FORBES, AND JAMES, 16TH LORD FORBES. 61 IX. CHEVALIER RAMSAY. 68 X. JAMES KEITH, M.D. 74 XI. THE GARDEN CASE. 81 XII. SOME MINOR CHARACTERS. 86 XIII. THE LETTERS. 93 LETTERS OF JAMES KEITH, M.D., AND OTHERS, TO LORD DESKFORD. 99 [...] CORRESPONDENCE BETWEEN JAMES CUNNINGHAM OF BARNS AND DR. GEORGE GARDEN. [...] INDEX 379
Ruusbroec l’Admirable, La Pierre brillante (Traduction et commentaire par Max Huot de Longchamp), suivi de l’Ornement des Noces spirituelles (Traduction de 1606 par un chartreux de Paris), Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2010, 283 p.
Jean-Chrysostome de Saint-Lô
(1594-1646), Du Tiers Ordre de Saint François d’Assise, Fondateur de l’Ecole du
Pur Amour. Dossier de sources transcrites et présentées par Dominique Tronc.
Lulu.com, 2017, 378 p.
Ce dossier contient de
larges extraits prélevés dans les sources qui nous éclairent sur les débuts de
« l’école du cœur » :
Présentation
Les débuts du tiers Ordre
frranciscain - Vincent Mussart - Notices (J.-M. de Vernon)
La Vie d’Antoine Le Clerc,
sieur de la Forest (J.-M.
de Vernon)
L’Homme Intérieur ou La Vie
du Vénérable Père Jean Chrysostome (Henri-Marie
Boudon)
Divers exercices de piété et
de perfection (Chrysostome
de Saint-Lô édité par M. de Bernières)
Divers traités spirituels et
méditatifs (Chrysostome
de Saint-Lô édité par Mère Mectilde)
Deux directions :
Monsieur de Bernières et Mère Mectilde (Extraits
prélevés dans les sources précédentes)
J’omet la transcription de
près de la moitié des Divers exercices de
piété et de perfection, gros assemblage de six cent pages d’écrits
recueillis « de notre bon Père ».
Il s’agit d’exercices méditatifs et ascétiques. Ils soulignent les épreuves
subies par Jésus-Christ, le modèle pour François d’Assise qui fut fidèlement
repris à l’Ermitage de Caen. Ils
constituaient des supports utilisés tous les jours et lors des retraites par
les Associés de l’Abjection. Marqués par un esprit de grande humilité et de
simplicité franciscaine, mais aussi par le dolorisme propre aux dévots du Grand
Siècle, des sections sont écourtées lorsqu’elles s’avèrent répétitives et
mettent alors mal en valeur la fraîcheur spontanée propre à la vie des
mystiques. Par contre la dernière partie de l’assemblage livre les directions
personnelles assurées par le P. Chrysostome. Elle est admirable.
Jean de Bernières, Œuvres
Mystiques I, L’Intérieur chrétien
suivi du Chrétien intérieur augmenté des Pensées, Edition critique avec une
étude sur l’auteur et son école par D. Tronc, Ed. du Carmel, coll.
« Sources mystiques », 2011, 518 p.
Rencontres autour de Monsieur de
Bernières (1603-1659) Mystique de l’abandon et de la quiétude, coll.
« Mectildiana », Editions
Parole et Silence, 2013, 594 p. [ce collectif assemblé par J-M. Gourvil &
D. Tronc, regroupe les contributions de dom T. Barbeau, J. Dickinson, J.-M.
Gourvil, I. Landy, dom J. Letellier, B. Pitaud, J. Racapé, dom E.de Reviers, D.
Tronc, A. Valli.]
Jean de Bernières, Œuvres mystiques II Correspondance, Lettres et Maximes introduites et annotées par dom Éric de Reviers, o.s.b., en préparation, 707 p.
Quatrième de couverture :
Jean de Bernières, Œuvres mystiques II
Correspondance.
Lettres et Maximes
introduites et annotées par dom Éric de Reviers, o.s.b.
Le Chrétien intérieur de Bernières (1602-1659) fut lu par tous les
spirituels du Grand Siècle. Ils pouvaient accéder à ses nombreuses éditions.
Mais les lettres qui furent assemblées sous ce titre à grand succès ont été
partiellement réécrites suivant en cela une pratique habituelle à l’époque pour
construire « un livre ». Ses sources ont par ailleurs disparues.
Nous disposons par chance d’un
trésor qui révèle encore mieux la grandeur du mystique : des Maximes et des Lettres furent publiées dix années plus tard discrètement sous le
titre prudent d’Œuvres spirituelles.
Elles ne font guère double emploi avec les reprises propres au « Chrétien
intérieur » car les lettres les plus admirables datant de la fin de la vie
de Jean de Bernières n’étaient devenues disponibles qu’après la mort de sa sœur
Jourdaine. S’y ajoutent des lettres préservées dans l’Ordre fondé par la Mère
Mectilde du Saint-Sacrement qui fut en étroite relation avec le mystique.
La reconstitution présentée ici
a rétabli l’ordre chronologique. Ceci permet d’apprécier pleinement l’évolution
intérieure de Jean de Bernières sur dix-huit ans. Son ascension mystique
mène d’une « abjection » -- prise au sens ancien de s’incliner devant
la grandeur divine -- à l’ « abandon » au travail fécond de la grâce
divine.
Jean de Saint-Samson, Le vrai esprit du Carmel, Œuvre assemblée par le P. Donatien de S. Nicolas. Sources manuscrites, Edition critique présentée par D. Tronc avec une étude par Max Huot de Longchamp, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2012, 607 p.
Contribution :
Jean de Saint-Samson, Le Cabinet mistique et un choix de lettres. [En préparation et en cours de saisie pour les lettres]
Jean-Joseph SURIN Lettres, Un choix dans l’édition par Michel de Certeau de la Correspondance, Suivi d’une brève présentation de leur auteur, Par Dominique Tronc, coll. « Chemins mystiques », lulu.com, 212 p.
Jean-Joseph SURIN
Lettres
Un choix dans l’édition par Michel de Certeau de la Correspondance
Suivi d’une brève présentation de leur auteur
Par Dominique Tronc pour ses Amis
L’édition de la Correspondance de Jean-Joseph Surin (1600-1665) livre le cœur qui l’anima. Il suffit de relever un « essentiel mystique » dans le texte admirablement établi, présenté et annoté par Michel de Certeau.
Je propose un florilège. Il représente un quatorzième de l’imprimé devenu d’accès limité car paru il y a plus de cinquante ans. Il veut aider à entreprendre un effort de lecture requis pour extraire la moëlle spirituelle d’une terrible mécanique, celle de « l’aventure » ou drame de Loudun .
J’y adjoins en fin de ce court volume une présentation de Surin suivie de quelques extraits hors correspondance .
Jean-Nicolas Grou, Manuel des âmes intérieures, texte présenté par le Père Max Huot de Longchamp, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2012, 365 p.
Jean-Pierre de Caussade, Lectures Caussadiennes ; le manuscrit Cailhau et le recueil de Langres, textes présentés par Marie-Paule Brunet-Jailly, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2009, 323 p.
Jeanne de Chantal, Écrits mystiques relevés dans l’édition de 1875 par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame de Chantal », 664 p. [environ la moitié des tomes II & III de l’édition de 1875].
Quatrième de couverture :
JEANNE DE CHANTAL, ÉCRITS RELEVÉS DANS L’ÉDITION DE 1875 Par Dominique Tronc
Des « Œuvres diverses » couvrent les tomes II et III de l’ « Édition en huit tomes publiée par les soins des religieuses du premier monastère de la Visitation Sainte-Marie d'Annecy ». Ces ‘joyaux de famille’ sont précédés d’une bonne biographie d’époque, puis associés à des textes tributaires de normes religieuses, enfin suivis par une très abondante ‘correspondance d’affaires’ - celles liées aux multiples fondations de couvents. Tout ceci explique que les huit volumes composites d’un vaste ensemble composite aient été rarement explorés à cœur et que les Œuvres diverses n’aient pas été rééditées depuis 1875.
Elles recèlent des diamants qui témoignent de l’accomplissement mystique mené à terme par la Mère de Chantal (1572-1641). Leurs éclats brillent dans telle conversation orale avec ses sœurs souvent d’origine simple ou au sein d’un fragment qui nous livre la vie intime de Jeanne. Tout lecteur sensible en recherche spirituelle appréciera ce que ces témoins sortis de leur gangue reflètent de l’Essentiel.
Il n’est pas inutile de ‘préparer le terrain’ en omettant les écrits marqués par leur époque. En un volume qui reste maniable le lecteur trouvera ici un peu plus de la moitié du contenu des deux tomes cités. Leur étude nous a incité à consulter les sources manuscrites préservées au couvent d’Annecy, ce qui nous a été généreusement accordé. Le présent choix opéré sur une édition non critique mais fidèle ouvre la série « Jeanne de Chantal ».
Jeanne de Chantal, Recueil des bonnes choses & Extraits de Lettres, D. Tronc et Béatrice Bernard, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame de Chantal ». 2015, 256 p. [« Les Entretiens du manuscrit de Turin-Verceil » transcrit par Béatrice Bernard ; Introduction et extraits de la Correspondance par D. Tronc.]
Quatrième de couverture :
JEANNE DE CHANTAL, RECUEIL DES BONNES CHOSES & EXTRAITS DE LETTRES
Introduction et extraits de la Correspondance
par Dominique Tronc
Les Entretiens du manuscrit de Turin-Verceil transcrit par Béatrice
Bernard
Le lecteur trouvera ici un condensé en deux parties qui met en valeur l’esprit mystique de la fondatrice des Visitations Jeanne de Chantal (1572-1641).
La Mère de Chantal livre sa direction mystique autant qu’ascétique dans près de cinquante Entretiens. Ils proviennent du manuscrit de Turin-Verceil conservé à Annecy. Il a été reconnu par la première éditrice comme la plus excellente des sources dont elles disposaient. Nous l’éditons ici sous sa forme primitive.
On peut tirer le meilleur parti des milliers de pages de « lettres d’affaires » qui répondaient aux multiples besoins des couvents de visitandines. Quatre-vingts extraits sélectionnés dans la Correspondance mettent en valeur l’orientation mystique de leur fondatrice. Tel paragraphe inséré dans une lettre adressée à une nouvelle fondation s’adresse particulièrement à une sœur éloignée où la Mère tient son rôle de conseillère et de directrice. Parfois Jeanne se livre à une confidente proche ce qui nous ouvre son vécu mystique.
Hors Commerce.
Madame Guyon, De la Vie intérieure, Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, présentés et annotés par D. Tronc, Paris, Phénix Editions - La Procure Librairie, Collection « La Procure », 2000, réédition 2004, 482 pages [Tirages limités épuisés ; sur ce choix de 80 Discours (156 pièces furent éditées au XVIIIe siècle) 15 ont été repris en 2005 : Madame Guyon, Ecrits sur la vie intérieure, pp. 23-193 ; puis 50 en 2008 : Madame Guyon, Oeuvres mystiques, « Discours spirituels », pp. 531-762.]
Madame Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Edition critique avec introduction et notes par D. Tronc, Etude littéraire par Andrée Villard, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2001, 1163 p. [Les 3 volumes de la Vie connus depuis leur publication au XVIIIe siècle et repris sous les titres « 1. Jeunesse, 2. Voyages, 3. Paris », sont suivis de : « 4. Prisons, 5. Compléments biographiques » ; l’édition rétablit l’ordre du ms. d’Oxford et inclut des additions provenant du ms. ‘de jeunesse’ de St-Brieuc.]
réédition :
Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles, Edition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2003, 928 p. [Directions reçues de Maur de l’Enfant-Jésus et de monsieur Bertot, 1671-1681 ; lettres et témoignages, 1681-1688 ; direction de Fénelon, 1688-1689, complément édité pour la premièrefois de l’année 1690 ; directions du marquis de Fénelon et de disciples étrangers, après 1710]
Madame Guyon, Correspondance, Tome II Combats, Edition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2004, 952 p. [Les lettres de l’animatrice du cercle quiétiste couvrent surtout les années 1693-1698 ; elles sont augmentées de Témoignages ; l’ensemble constitue le « dossier » utile pour étudier les aspects de la « querelle » relatifs au vécu intérieur].
Madame Guyon, Correspondance, Tome III Chemins mystiques, Edition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2005, 934 p. [Ce volume qui achève l’édition de la Correspondance reprend l’ensemble de lettres de direction publié en 5 volumes au XVIIIe siècle].
Jeanne-Marie Guyon, Explications de la Bible, L’Ancien Testament et le Nouveau Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, introduites et annotées par D. Tronc, Paris, Phénix Editions & hors commerce 2005, 441 p. [tirage limité épuisé ; extraits in Madame Guyon, Oeuvres mystiques, 355-382]
Madame Guyon, Ecrits sur la vie intérieure, présentation par Dominique et Murielle Tronc, Paris, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2005, 195 p. [15 Discours]
Madame Guyon, Oeuvres mystiques, éd. critique avec introductions par D. Tronc, Etude par le P. Max Huot de Longchamp, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2008, 796 p. [Un « compagnon » sous forme d’un volume maniable. Il reprend des œuvres brèves connues – Moyen Court, Torrents, Petit Abrégé, une partie du Cantique... Sa seconde moitié ouvre à la partie encore méconnue datant de la pleine maturité mystique : notes apportées aux Justifications, choix de Lettres et de Discours…]
Les années d’épreuve de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Documents biographiques rassemblés et présentés chronologiquement par D. Tronc. Etude par Arlette Lebigre. Paris, Honoré Champion, coll. « Pièces d’Archives », 2009, 488 p. [mise en ordre chronologique de pièces de procès incluant les interrogatoires et des témoignages issus de la Vie et de la Correspondance ; ce dossier est précédé d’une synthèse et s’achève sur des témoignages concernant la ‘décennie silencieuse’ vécue à Blois après les prisons.]
Madame Guyon, Explications du Nouveau Testament, Un choix, Ed. électronique Amazon Kindle, 2014, 220 p.
Madame Guyon, Explications du Nouveau Testament, choix présenté par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame Guyon ».
Madame Guyon, Explications de l’Écriture sainte, un choix présenté et annoté par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame Guyon ».
Madame Guyon, De la vie intérieure, Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, présentés par Dominique et Murielle Tronc, lulu.com, retiré de la coll. « Chemins mystiques » (remplacé par Discours... infra.), 642 p.
Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, présentés par Murielle et Dominique Tronc, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, Collection « Sources mystiques » Tome I et II, 344 + 314 pages [l’édition de ce choix de la plus grande partie des Discours achève la mise à disposition de l’essentiel de l’œuvre de Madame Guyon.]
Madame Guyon & François de Fénelon, Florilège mystique, [Les Justifications préparées en 1694 à l’occasion du « procès » d’Issy : en cours de préparation]
Madame Guyon, Lettres de direction, choix présenté par Dominique Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame Guyon ».
La direction de Fénelon par Madame Guyon, présentée et éditée par Murielle et Dominique Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame Guyon ».
Marc de la Nativité, Méthode claire et facile pour bien faire l’oraison, [Impression en ligne du pdf reproduisant cette édition ancienne
Quatrième de couverture :
METHODE CLAIRE ET FACILE pour bien faire Oraison Mentale.
ET POUR
S’EXERCER AVEC fruict en la Presence de Dieu.
Faisant le quatrième Traité de la Conduite Spirituelle des Novices.
Pour les Convens Reformez de l’Ordre de Nostre Dame du Mont-Carmel.
A Paris, Chez Joseph Cottereau, rue sainct Iacques à la Prudence
1650 [Impression en ligne du pdf reproduisant cette édition ancienne]
Marc de la Nativité, Traité de la Componction, [Impression en ligne du pdf reproduisant cette édition ancienne]
Marc de la Nativité, TRAITE DE LA COMPONCTION
Faisant le cinquième Tome de la Conduite des Novices des Carmes de la Province de Touraine
Par le R. P. Marc de la Nativité de la Vierge
Publié à Tours chez Philbert Masson en 1696
MARIA PETYT (1623-1677) Mystique flamande I Notices & Études par Albert Deblaere, Dossier assemblé par Dominique Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », 406 p.
MARIA PETYT (1623-1677)
Mystique flamande
I
Notices.
Etudes par Albert Deblaere.
Dossier assemblé par Dominique Tronc.
Maria Petyt (1623-1677) est une figure flamande qui égale les plus grandes : la béguine Hadewijch (~1250] ; des françaises comme Marie de l’Incarnation du Canada (1599-1672) et Madame Guyon (1648-1717). Elle témoigne avec ces dernières d’une expérience menée à terme. Elle partage leur indépendance. Elle connut la solitude propre aux spirituelles mystiques.
L’intérêt dépasse celui offert par un assemblage de fragments rédigés par Marie Petyt grâce à la valeur du pénétrant Albert Deblaere, lui-même profond spirituel. De larges citations bien choisies de Maria parsèment ses études.
Ces textes livrent et analysent une expérience mystique menée à terme sur toute la durée d’une vie en suivant un chemin parfois difficile. L’intériorité vécue ‘jusqu’à la moelle des os’ est associée au rendu très vivant d’une existence restée cachée au sein du monde bourgeois flamand.
Je restitue deux notices (relativement) récentes rédigées par A. Derville et P. Mommaers et des florilèges. Après ce hors d’œuvre, les études du P. Deblaere couvrent l’essentiel du tome I ; en commençant par sa plus récente, brève et synthétique ; en continuant par une thèse beaucoup plus ample et mystiquement profonde, qui, première chronologiquement, tenta d’aborder la richesse mystique en respectant la théologie catholique. Le tome II permet d’apprécier plus amplement les témoignages rédigés par la mystique.
MARIA PETYT (1623-1677) Mystique flamande II Textes traduits par Louis van den Bossche & Leurs contextes, Dossier assemblé par Dominique Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », 380 p.
MARIA PETYT (1623-1677)
Mystique flamande
II
Textes traduits par Louis van den Bossche
& Leurs contextes
Dossier assemblé par Dominique Tronc
Maria Petyt (1623-1677) prend place entre Marie de l’Incarnation du Canada (1599-1672) et Madame Guyon (1648-1717). Elle témoigne d’une expérience commune menée à terme, partage leur indépendance et connaît la solitude des spirituels.
Après avoir bénéficié de l’intérêt qui fut porté avec constance sur Marie Petyt par le très pénétrant spirituel Albert Deblaere, voici en tome II les traductions antérieures entreprises par Louis van den Bossche, dont se détache une suite continue autobiographique.
C’est en fait tout l’ensemble qui demeure irremplaçable. Il risquait d’être perdu. Il rétablit la vie intime d’une très grande figure digne héritière d’Hadewijch. Elle nous est plus proche par ce que l’on peut considérer comme un journal intime moderne.
Son autobiographie constitue un contrepoint unique à la « Vie par elle-même » de madame Guyon, vécu également difficile de l’autre grande « dame directrice » presque contemporaine.
Marie-Anne de Mortemart 1665-1750, La « Petite Duchesse » en relation avec Madame Guyon, Fénelon et son neveu, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », 270 p. [Esquisse biographique, Lettres des deux directeurs : madame Guyon et Fénelon ; Lettres au marquis de Fénelon]
Quatrième de couverture :
MARIE-ANNE DE MORTEMART
(1665-1750)
La « petite duchesse » en relation avec Madame Guyon, Fénelon et son neveu
UNE ESQUISSE BIOGRAPHIQUE 5
Esquisse 5
Le successeur dans la filiation ? 9
Opinions de Fénelon et de Chevreuse 10
Traits relevés par Saint-Simon 11
LETTRES DES DEUX DIRECTEURS 17
DE MADAME GUYON 19
DE FENELON 187
LETTRES DE MORTEMART AU MARQUIS DE FENELON 239
Annexes 259
Table des matières 265
Contribution :
Maur de l’Enfant-Jésus, Ecrits de la maturité 1664-1689, coll. « Sources mystiques », Toulouse, Editions du Carmel, 2007, 344 p. [le principal auteur mystique Grand Carme depuis le réformateur Jean de Saint-Samson fut en relation avec madame Guyon.]
Maur de l’Enfant-Jésus, Entrée à la Divine Sagesse, Editions du Carmel, coll. « Sources mystiques », Toulouse, 2008, 263 p. [Cinq courts mais profonds traités mystiques achèvent la restitution du corpus.]
Quatrième de couverture
LES AMITIES MYSTIQUES DE MERE MECTILDE
Les amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement, un Florilège livre un choix d’extraits de correspondances entre la fondatrice et plusieurs mystiques accomplis qui vécurent au XVIIe siècle. Il inclut aussi des « dits » livrés au cercle intime de ses dirigées.
C’est l’un des très rares ensembles qui demeure utile à tout lecteur en recherche spirituelle. Il mérite toute la reconnaissance accordée aux correspondances de François de Sales, de Jean-Joseph Surin, de Marie de l’Incarnation du Canada, de Jeanne-Marie Guyon, de François de Fénelon.
Mectilde ou Catherine de Bar (1614-1698), courageuse lorraine d’origine, annonciade devenue bénédictine puis fondatrice, traversa plusieurs fois le Royaume de France et tout son siècle en surmontant des obstacles extérieurs et intérieurs. Nous éclairons son évolution intérieure, depuis la jeune femme intense qui rencontre les mystiques normands jusqu’à la vénérable Mère du Saint-Sacrement, « une sainte » aux yeux de madame Guyon et de Fénelon.
Elle parle à cœur ouvert à ses amis et dans son cercle de bénédictines. Elle laisse comme testament les deux mots « adhérer-adorer » en se situant mystiquement dans la ligne de Jean de la Croix, de Benoît de Canfield et de Jean de Bernières. Ses paroles transcrites sont un trésor préservé à notre usage.
Mectilde et Bernières, Recherchen
9 [2005] Jacques Bertot Directeur mystique, Textes présentés par D. Tronc, coll. « Sources mystiques », Editions du Carmel, Toulouse, 573 p., 2005. [La première étude présentant le résultat de recherches sur la ‘vie cachée’ de monsieur Bertot et la reconstitution du corpus de ses écrits précède le choix d’un septième de leur volume]
Monsieur Bertot, Le Directeur mistique en édition
intégrale [en cours de saisie]
Dossier assemblé par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques » [« Florilège de poche » : reprise du Nuage en traduction par A. Guerne et en éd. anglais modernisée par E.Undrehill, ainsi que de l’Epitre de la direction intime par D.M. Noetinger]
Pierre de Poitiers, Le Jour mystique, traités de Théologie mystique, choix établi et présenté par moniale-ermite Marie de l’Enfant-Jésus, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2015.
José de Jésus Maria Quiroga 1562-1628, Historia de la Vida y Virtudes del Venerable P. F. Juan de la Cruz & Etudes, dossier assemblé par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », 338 p. [Sections françaises sur les épreuves à Tolède et en fin de vie avec leurs originaux espagnols augmentés d’un choix de chapitres, notices et études sur Quiroga.]
Quatrième de couverture :
JOSE DE JESUS MARIA [QUIROGA] 1562-1628
Historia de la Vida y Virtudes del Venerable P. F. Juan de la Cruz & Études
José de Jésus
Maria Quiroga appartient à la première génération qui succède à Jean de la
Croix (1542-1591). Il fut nommé l’archiviste “historiador” de l’Ordre naissant
des Déchaussés. Chargé d’écrire une relation de la vie de leur fondateur, il
débute rapidement l’enquête, puis publie sans autorisation en 1628 son grand
travail achevé depuis quelques années, une Vida
y virtudes. Elle met indirectement
en cause le renom de l’Ordre. L’auteur est destitué et “exilé” à Cuenca. Il
meurt la même année 1628. Des confrères seront chargés à leur tour de rendre
compte de la vie du saint fondateur.
Quiroga se veut
véridique, visite les lieux d’épreuves, enquête, n’omet aucun des faits vécus
par son héros. Formé par les novices de Jean de la Croix, il eut accès à tous
et à toutes, au-delà de dépositions signées.
Trois parties à
ce premier dossier : Sections françaises consacrées aux épreuves de la prison à
Tolède et de la fin de vie en Andalousie. Originaux espagnols augmentés d’un
choix de chapitres. Notices et études sur l’historien.
L’orientation
prise par les carmes espagnols sous l’influence de Thomas de Jésus privilégiera
une voie de méditation matinée d’ascèse,
comme préalable à la voie contemplative que Jean de la Croix enseignait
pour conduire une vie mystique. Quiroga, historien passionné, illustre et
défend l’approche de son Maître.
José de Jésus Maria [Quiroga] 1562-1628, L’Oraison (adaptation par la Mère Marie du Saint-Sacrement) & Réponse à un doute, Apologie mystique en défense de la Contemplation divine (traductions par le Père Max de Longchamp), coll. « Chemins mystiques », 440 p.
José de Jésus Maria [Quiroga] 1562-1628, Subida del alma a Dios que aspira a la divina Union (1656) Segunda parte: De la entrada del alma al Parayso Espiritual (1659), Don que tuvo sans Juan de la Cruz, Repuestas, Apología mística en defensa de la Contemplación divina, 2016, transcriptions des éditions primitives par D.Tronc, coll. « Chemins mystiques », 604 p.
Mémoires de Saint-Simon concernant Fénelon, Madame Guyon et leurs proches, dossier assemblé par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », 363 p. [Extraits des tome 1 à 13 des Mémoires concernant Mme Guyon, Fénelon, Chevreuse & Beauvilliers, le Dauphin & la Dauphine, Mme de Maintenon.]
Quatrième de couverture : MEMOIRES DE SAINT-SIMON CONCERNANT FENELON, MADAME GUYON ET LEURS PROCHES
Ce dossier contient les principaux extraits des Mémoires du duc de Saint-Simon relatifs aux membres des cercles animés par Madame Guyon et par Fénelon. Il donne des précisions biographiques et historiques portant sur les membres des cercles de la quiétude.
Les Mémoires sont un admirable témoignage de la vie de Cour de la dernière décennie du Grand siècle aux trois premières du siècle des Lumières. En outre, malgré la relative jeunesse de leur auteur à l’époque de la « querelle », ils nous apparaissent bien informés et à nos yeux équilibrés : Saint-Simon était l’ami des ducs.
Notre relevé fut établi sur l’édition Chéruel complétée par des notes et quelques « Additions au Journal de Dangeau » reprises de l’édition Boislisle.
Saint Thérèse de Jésus, Le Château ou Demeures de l’âme, Traduction française de Jean de Brétigny (1601), 2015, 278 p. [« Lire le Château de l’âme » par le P. Max H. de Longchamp, « L’édition de Jean de Brétigny » par Emmanuel Pénicaut, « Traité du Château ou Demeures de l’âme »]
Saint Thérèse de Jésus, La Vie de la Mère Thérèse de Jésus écrite par elle-même, Traduction française de Jean de Brétigny (1601), 2015, 489
Saint Thérèse de Jésus, Le Chemin de Perfection Sainte Thérèse de Jésus dans la traduction française de Jean de Brétigny (1601), 2015, 294
www.cheminsmystiques.com , www.cheminsmystiques.fr & www.madameguyon.fr présentent des chemins tracés par nos aînés aux siècles passés et nos éditions. De nombreux textes peuvent être téléchargés.
Honoré Champion, coll. « Sources Classiques » & coll. « Pièces d’Archives » : http://www.champion.ch/ & http://www.champion.ch/cgi/run?wwfrset+3+401513103+1+1+wwmenu+wwlibr+
Arfuyen, « Les carnets spirituels » :
Editions du Carmel, coll. « Sources mystiques »
Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques » : http://www.paroisseetfamille.net/mag/category.php?id_category=10
Parole et silence, coll. « Mectildiana » :
http://www.paroleetsilence.com/Rencontres-autour-de-Jean-de-Bernieres-1602-1659_oeuvre_11081.html
Editions « Les Deux Océans » > Dervy
« Chemins mystiques »
http:
//www.lulu.com
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[2017] Chronologie de Mystiques et Associés I Des origines à 1600, Un Florilège
établi par Dominique Tronc, hors commerce, 400 p.
Je propose une approche globale de témoignages « mystiques ». Elle
rassemble des textes provenant de cultures diverses dans le temps et dans
l’espace. Elle souligne l’universalité d’une vie intérieure unique proposée à
tous lorsqu’ils accèdent aux fondamentaux de leur Source commune ; un « océan de textes » est
accessible de nos jours grâce au réseau de communication mondiale devenu
l’outil d’une noosphère. Il offre une même intelligence des vécus.
Un accord finalement large entre spécialistes quant
aux figures mystiques propres à diverses traditions témoigne de l’unicité du
fond. Les variations d’origines culturelles et religieuses ne voilent pas le
vécu mystique pour ceux qui y ont été rendus sensibles une fois. Et l’unité
sous-jacente n’enlève rien à chaque Tradition. Elle les conforte, alors même
que certaines structures religieuses soulignent des différences pour tenter de
maintenir des frontières évanescentes.
Un inventaire est présenté de manière originale ici
pour la première fois, d’une façon qui peut apparaître provocatrice par sa
diversité : une longue « page » déroulée chronologiquement. Le lecteur fera son
choix dans ce florilège mystique. Il choisira et appréciera des textes
de ses auteurs, du moins de quelques-uns. Il est inutile de les présenter en
détail puisqu’il suffit de consulter immédiatement une encyclopédie en ligne
telle que Wikipedia. Nous nous plaçons donc à l’opposé de dictionnaires
biographiques sans citations. Un nom, un beau dit ou un seul extrait qui parle
au cœur, et cela suffit à justifier ce travail. Un libre choix de noms
constitue le fil d’Ariane nécessaire et suffisant de nos jours d’information surabondante.
Nous ne retenons ici que des mystiques accomplis, sans considération des
influences qu’ils exercèrent socialement ou religieusement.
§
Cette séquence s’inscrit comme l’une des Histoires
globales qui rassemblent traditions et cultures comme composantes d’une
unique évolution humaine. Dans quelques domaines j’ai apprécié de belles
synthèses [7]. Certaines sont conscientes d’une relativité de la notion
même du temps au bénéfice de l’unité de leur sujet. Ici cette unité souligne
l’intemporalité de l’expérience mystique.
Les liens électroniques instantanés soulignent
aujourd’hui l’écart matériel croissant entre riches et pauvres, entre puissants
et faibles, et les contradictions entre « systèmes » imperméables à la critique interne de par leur
nature suggestionnaire plutôt que raisonnable. La résolution pacifique de ces
contradictions dépend d’une possibilité d’ouverture à tous les rameaux de la
gerbe humaine. Peut-on y contribuer sans exacerber les sensibilités ? Et sans
tenter une « synthèse » qui se
placerait indûment au-dessus de ces témoignages.
Il existait dans les cultures anciennes des formes
littéraires laissant peu de place aux idées directement exprimées et
délivrées ainsi de toute généralisation indue : choix de paraboles ou
d’apologues, constituant des « colliers » aux pierres choisies qui traduisent la sensibilité de
l’artisan joaillier. Notre culture d’Occident met en avant l’inventivité
individuelle et « les idées », mais
ces formes sont bien adaptées au vécu intérieur. Les perles seront ici des
auteurs ou des œuvres. Elles sont enfilées en un collier selon l’ordre
chronologique présumé.
Pour les auteurs célèbres, nous pouvons en rester au
goût donné par quelques brèves citations en renvoyant à des éditions facilement
accessibles. La lecture et relecture de certaines œuvres entières
s’impose : c’est par exemple le cas du corpus réduit qui nous est
parvenu de Jean de la Croix. Pour de nombreux mystiques difficilement
accessibles, notre choix sera plus substantiel. Nous renverrons souvent à des
extraits préparés à partir d’éditions originales ou de traductions érudites
(entre parenthèses, ceux qui restent à établir).
J’indique pour chaque auteur cité des sources en me
limitant à des ouvrages personnellement consultés et en tâchant d’associer une
édition de référence à une édition facilement accessible. Les extraits de ces
sources sont souvent brefs, condition requise pour que le « rouleau textuel » ne soit pas
désespérément long (la table des matières qui ouvre ce rouleau permet une
recherche aisée lorsque l’on connaît déjà un nom). J’alterne
citation nue et notice plus longue, selon les entrées. Certaines seront très
amples pour des figures aux grandes influences : Gazali,
Ruusbroec…
Si la mystique est une et intemporelle,
ses formes d’expression humaine restent liées à un modèle lentement évolutif au
cours du déroulement d’une culture. On observe des regroupements par grandes
périodes qui voient tel milieu prédominer par le nombre des entrées : en
Occident, ces « vagues » couvrent
successivement l’Antiquité, puis les terres de très anciennes civilisations
recouvertes par l’Islam, enfin les terres d’une Europe naissante défrichée et
convertie au christianisme (en orient la situation est
moins claire : foyer antique indien dont la réforme bouddhique se propage
en Chine fusionnant avec ses traditions propres avant d’atteindre le sauvage
Tibet et le lointain Japon ?). Plus précisément daté : l’abondance des
mystiques en terres d’Islam entre le neuvième siècle et le douzième siècle
précède celle en terres chrétiennes à partir du treizième jusqu’au dix-septième
siècle. Cette dernière vague au fil de ses épanouissements voit se
succéder pays flamand et rhénan, Italie, Espagne, enfin la France
particulièrement riche d’un « Grand siècle » que nous favoriserons.
L’ordre chronologique des textes, même s’il est parfois délicat à
établir [8], présente les
avantages suivants :
– Il évite les confrontations alors que les
présentations mettant en avant des structures culturelles et des traditions
religieuses peuvent facilement y glisser.
– Il tient compte des influences possibles au sein d’une
culture sur un auteur en situant ce dernier parmi ses pairs, entre aînés
proches et cadets. Des filiations par rencontre directes entre figures
apparaissent ainsi possibles ou non.
– Un auteur ou une œuvre se retrouve aisément parce que son
époque est généralement connue approximativement, ce qui évite de
parcourir trop d’entrées du « grand défilé de l’évolution » culturelle.
– Le lecteur sera « réveillé » par des voisinages inattendus. Ainsi l’entrée
pour Rûmi (-1273) est suivie de celle pour le Zohar (~1280) compilé par
un Moïse de Leon contemporain de la seconde béguine Hadewijch (~1280). De même,
plus tard, le très catholique monsieur de Bernières (-1659) est contemporain du
fort libre sufi indien Sarmad (-1661).
– Le choix de privilégier des auteurs et quelques œuvres
détache des trésors mystiques d’une gangue du suivi religieux. Je partage une
hiérarchie de valeur situant la mystique en premier clairement exprimée
par al-Ghazali (-1111) puis par Bergson (-1941) [9].
– Enfin une telle approche hors structure
contraignante autre que des dates nous facilite l’inclusion de figures « exotiques » sans en avoir
la légitimité requise érudite et linguistique.
Le spectre de couleurs portées par les figures est
large, en ouvrant même l’accès à des poètes, à quelques « témoins » d’instants
mystiques ou à des « avocats » défenseurs
dans les temps plus récents où la caution religieuse disparaît. Le sens
imprécis attaché au terme « mystique » nous y autorise-t-il ?
Il sera facile pour le lecteur d’orienter son regard
sur le vaste paysage que je propose sans autorisation justifiée dans la
direction qui lui convient. Les figures retenues sont toujours celles de « témoins » même s’il ne
s’agit parfois que d’un contact ou « instant » vécu. On demeure donc dans le cercle expérimenté,
évitant les nombreux penseurs au service d’une Cause. Certaines figures sont
citées sans contenu pour nous préserver de leur oubli sans les défigurer par
mon indigence. Enfin l’importance d’une entrée n’est pas proportionnée à sa
taille.
On ne peut guère compenser la sous-représentation propre aux littératures
commentariales « sans auteur signé » typiques des traditions de l’Extrême-Orient. Nous y
avons pallié par l’introduction de quelques « textes
fédérateurs » qui ont inspiré des générations de méditants dont
des mystiques (le cas est particulièrement net dans le cas de la tradition
bouddhique dont les sûtras sans auteur connu n’ont souvent survécu
que sous forme d’adaptations par des traducteurs aux prises avec une grande
diversité de sources et de langues, du sanscrit au chinois).
On note une « absence » propre à l’époque la plus récente. Elle apparaît
d’un relevé statistique effectué sur nos entrées. Mais comment élargir des œillères ? Il faut
apprécier la disparition d’une langue mystique commune, la cause première de
cette absence parmi les chrétiens affirmés, puis plus tard tenir compte de la
non-perception de la nature mystique d’un vécu par son bénéficiaire (l’« ingénierie »
psychologisante de l’âme y contribue aujourd’hui comme anciennement celle de
l’absence d’une affiliation religieuse a pu faire disparaître toute trace).
À partir de 1700 environ se produit une sortie des cadres
traditionnels : un « étoilement ». Certes le mystique n’a pas besoin d’adhérer à une
orthodoxie, mais son œuvre ne survit que très exceptionnellement si elle n’est
portée par un corps intermédiaire, par exemple religieux [10].
Notre époque connaît de multiples chocs contribuant à cet étoilement :
l’irruption des sciences soumet au contrôle expérimental et à la raison ; la rencontre sur un pied d’égalité entre civilisations ; le changement des cadres de représentation écarte toute synthèse
collective typique d’un « âge classique ».
L’homme perd des repères, car la rencontre des modèles
culturels lentement bâtis autour de croyances ancestrales les relativise.
Pourtant le vécu mystique n’enlève rien à chaque Tradition : il la fonde.
Que proposer à la génération montante ? Avant elle
beaucoup connaissaient des Écritures sacrées, certains fréquentaient les
principaux auteurs mystiques reconnus, tels Jean de la Croix. Les nouveaux
chercheurs se confrontent à l’immense richesse d’un réseau sans repères. D’où
la nécessité de proposer un choix sous forme d’entrées choisies.
Ouvrons le vécu mystique sans croyance associée ni
soutien autre que celui des compagnons de route. Le vécu doit répondre au test
d’universalité. L’expérience mystique ne peut dépendre d’avant ou d’après,
d’ici ou de là même si son expression en est colorée. Ce que le carme Honoré de
Sainte-Marie avançait dès 1708, relevant siècle après siècle un grand courant
des mystiques avant comme après Jésus-Christ [11].
J’apporte quelque précision en ce qui ne peut être
défini qu’en creux, comme un « ni ceci, ni cela ». Le terme « mystique » a été galvaudé : dérivé du grec mustes « initié », il en est
arrivé à désigner toutes sortes de phénomènes incompréhensibles, bizarres,
voire pathologiques (on parlera de « délire mystique »). On y mêle les transes chamaniques ou les
expériences dues aux substances hallucinogènes. On le confond souvent avec le
paranormal ou avec le miraculeux, domaine de tout ce qui contredit les lois
habituelles de la matière ou du biologique. Rien de tout cela n’a intéressé nos
auteurs.
La mystique n’est pas non plus le simple prolongement
des expériences humaines les plus hautes comme l’amour, la beauté de la
musique ou de la nature, les compréhensions fulgurantes, la ferveur religieuse…
Elle n’est pas non plus vécue dans les méditations de « pleine
conscience » qui font tant
de bien par la paix qu’elles apportent, mais qui appartiennent au développement
personnel, corporel et psychologique : il y a là un repos parfait de
toutes les facultés, mais c’est en soi que l’on repose, dans sa propre nature.
Le domaine mystique fait partie de ce qu’on appelle le
« spirituel », il en est
même le cœur. La spiritualité est à la fois plus large et beaucoup plus
vague : elle englobe tous les écrits où l’on s’oriente vers « Dieu ». L’intellect,
l’imaginaire, le sentiment tournent autour du divin : on est souvent dans
une rêverie autour de, une « réflexion sur ». Dans le meilleur des cas, il s’agit d’un élan, d’une
tension vers Dieu, qui prépare l’être à être attentif à l’évènement inouï qui
peut se produire.
Face à l’immensité du champ spirituel, nous nous
concentrons sur les témoignages d’expérience du divin. Des textes racontent
l’irruption dans l’humain d’une dimension verticale, d’une autre nature, que
les hommes sont forcés d’appeler « divine », car elle ne peut être fabriquée par les facultés
humaines : l’Énergie impersonnelle qui sous-tend l’univers se manifeste à
l’homme. C’est ce face à face entre l’humain minuscule et « Dieu », qui forme le
domaine propre à la mystique : l’homme rencontre sa source et la source de
toutes choses. Des hommes et des femmes ont vécu cette irruption du divin en
eux depuis l’aube de l’humanité, et cette expérience est universelle. Ils
attestent la présence au centre d’eux-mêmes d’une Réalité expérimentée au-delà
du corps, du psychologique, de l’intellect ou de l’imaginaire, qui existe
au-delà de l’humain, mais qui envahit l’humain.
Cette expérience est ressentie au centre, au « cœur » de
l’être : c’est pourquoi elle est souvent appelée « intériorité ». Une fois
vécue, on ne peut plus la nier, quelles que soient les contraintes extérieures.
On ne peut que s’incliner devant elle, la vénérer et l’aimer. Cette Présence
comble le vide de la nature humaine. En comparaison, tout ce qui a été vécu
avant n’est rien que transitoire, illusoire, préoccupation d’enfants ou de
fous : le capucin Benoît de Canfield parle du Tout de Dieu et du rien de
la créature. Pour Pascal, cette expérience est si importante qu’il la transcrit
sur un papier qu’il garde toujours sur sa poitrine : « Joie, pleurs de
joie ».
Les manifestations du début sont diverses, mais
universelles : vibration du cœur, coulées d’amour, de béatitude, de
silence, de paix, qui envahissent la personne et l’émerveillent. Le mystique
les recherche, les attend, les favorise ; il les pleure lors de sécheresses, de « nuits », lorsque la
Présence semble disparaître. Même si elle est recherchée volontairement, cette
Présence se manifeste librement : c’est pourquoi bien des textes
l’appellent la « grâce ». Si les
préparatifs qui veulent faire remonter vers Dieu par l’effort humain sont
parfois récompensés, ils sont bien entendu sans commune mesure avec cette
liberté : « L’Esprit
souffle où il veut », dit l’apôtre Jean (Evangile 3, 8).
Cette présence peut au début recevoir des
qualificatifs : paix, amour… Mais certains mystiques sont amenés à prendre
conscience que ce ne sont que des effets de cette Présence et désirent
davantage. Un double mouvement s’opère : par amour, dans un abandon total,
le mystique se donne au divin pour qu’il fasse ce qu’il veut, en réponse le
divin l’envahit de plus en plus et nettoie tout ce qui n’est pas lui. Le
mystique perd toute projection vers l’objet Dieu. Un grand retournement
s’opère où le divin prend la place au cœur de l’homme, où s’opère l’union
entre Dieu et l’homme : [l’âme] « ouvre la capacité de tout son esprit pour engloutir
cet abîme, mais au contraire s’en trouve être heureusement absorbée et
engloutie…[12] » Ceci au prix d’un profond dénuement et d’une grande
obscurité, car le divin est incompréhensible aux facultés humaines[13] : c’est le « Nuage
d’inconnaissance », titre d’un
profond texte mystique[14].
La vie humaine parvient là à son accomplissement parfait où le mystique
participe au grand courant de la Vie universelle. Saint Paul s’écrie : « Je vis, non
plus moi, mais Jésus-Christ vit en moi[15]. »
Il ne reste plus que le grand Rien, le grand Vide. Ce
vécu s’exprime souvent en termes religieux, mais il n’est pas le produit de la
religion : la mystique est première. Les religions sont les
expressions particulières à chaque civilisation d’une expérience
universelle : à partir de l’expérience de Jésus, du Buddha, de François
d’Assise s’organise une communauté qui espère recréer les conditions où elle
peut se manifester (croyances, prières, règles, méditations, ascèse…).
L’organisation nécessaire pour le grand nombre fossilise l’élan créateur,
naissent les lois et la théologie. « La mystique » en tant que corpus textuel ne fait pas partie du champ
intellectuel, n’élabore pas de champ conceptuel ou de problématique : elle
tente péniblement d’exprimer l’indicible par des mots.
Ses entrées par figures mystiques ou rarement par
thèmes sont réparties chronologiquement et couvrent quatre tomes :
I Origines à 1600 toutes Traditions confondues
II 1600 à 1700 toutes Traditions
III 1700 à aujourd’hui : toutes Traditions
IV 1700 à aujourd’hui : Hors cadres traditionnels
« L’objet » proposé n’a guère de modèle dans la littérature
récente. L’idée serait-elle neuve[16] ? Outre
quelques poètes (généralement nous nous sommes limités à un seul poème par
entrée), je dissémine quelques titres « hors norme » évoquant des domaines
d’expression autre que l’écrit, voies alternatives du témoignage mystique écrit :
en peinture, Van der Weiden, fra Angelico, Rembrandt valident la tradition
chrétienne ; les lavis de
la période chinoise des Song valide le bouddhisme T’chan ; les Selva Morale e Spirituale de Monteverdi
ou les Cantates de Jean-Sébastien
Bach remplacent des théologies datées. [...]
Le premier tome ouvrait sur les principales figures mystiques des origines. La mise en ordre chronologique de ces grandes figures révélait trois vagues successives en ce qui concerne l’Occident : figures de l’Antiquité païenne juive et chrétienne jusqu’au VIe siècle, figures d’Islam du VIIIe au XIIIe siècle, Réveil chrétien médiéval du XIIe au XVIe siècle.
Ce second tome couvre le seul XVIIe siècle en opérant un effet de ‘zoom’. Sa résolution accrue provient d’un travail d’éditeur de madame Guyon. Il m’a conduit à rechercher les origines de ce dont cette dernière témoigne, car en bonne mystique elle n’invente rien. Ces origines furent souvent qualifiées de « pré-quiétistes » et elles ont été généralement ignorées (ou pire) par des historiens religieux. Je veux y remédier. L’arbre dont le tronc suit un axe ...Chrysostome le franciscain -- Bernières -- Bertot -- Guyon – Fénelon l’archevêque... a de nombreuses branches qui lui appartiennent ou qui lui sont voisines : reliant Marie de l’Incarnation du Canada à Bernières, entre la Mère du Saint-Sacrement Mectilde et Guyon, etc.
Une exploration plus large suivie d’une recherche qui se souhaiterait exhaustive ne m’a pas permis de découvrir une filiation distincte dont l’importance soit comparable à l’arbre précédent. Je reste toujours persuadé que, du moins pour le Grand Siècle, « quiétisme » est synonyme de « mystique » ; l’on y retrouve l’Essentiel transmis par une communication sans parole qui laisse certains dévots perplexes.
L’espace par figure est limité pour que le volume reste de taille raisonnable. Il est variable sans préjuger d’une importance mystique qui lui serait en proportion (l’importance sociale à l’époque est laissée de côté ; puis tout dépend de ce qui nous est parvenu[17]). Pour permettre tout approfondissement par un lecteur captivé, cela oblige à y inclure de nombreuses notes même en se limitant à des références choisies ou à quelques rapprochements. Je livre fréquemment une amorce bibliographique par figure. Elle se limite alors à quelques ouvrages appréciés en main propre.
Avant 1700, les mystiques appartenaient à l’une des branches de la famille chrétienne. Le Siècle des Lumières change profondément la situation en Europe tandis que l’élargissement hors des frontières géographiques européennes met en cause ce référentiel parce que l’on reconnaît la validité d’autres cultures associées à d’autres religions. Faut-il continuer après 1700 à s’en tenir au seul occident chrétien ?
L’ « étoilement mystique » déborde le cadre composé jusqu’à maintenant de figures souvent catholiques et d’expression française. Certaines figures se rattachent toujours aux grandes Traditions du Livre ou d’Orients mais d’autres découvrent à la vie intérieure sans y être conduits par une pratique religieuse ou par quelque mode d’emploi. Quelques-unes ignorent même la fente qui leur est ouverte intérieurement et pour un instant ; elles poursuivent alors leur quête.
Les deux dernières parties de ce Florilège rendent ainsi compte d’une bifurcation : « 1700 à 2000 Fidèles aux Traditions » & « 1700 à 2000 Hors cadres traditionnels. »
Je ne crois pas au « crépuscule des mystiques » évoqué par Louis Cognet. Certes le langage commun à toute théologie a disparu (il avait été précisé juste à temps dans le monde catholique au XVIIe siècle en latin puis en français par Sandaeus, Civoré, madame Guyon, Honoré de Sainte-Marie) [18]. S’en est suivi l’absence d’un corps facilement reconnaissable d’auteurs-témoins susceptible d’être triés selon un critère théologique ou regroupés par Ordres religieux.
L’indépendance vis-à-vis de représentations communes conduit à un émiettement ou plus poétiquement à un « étoilement ». Il s’agit de retrouver le peuple dispersé des mystiques dont l’unité intérieure est voilée sous des habits divers. Ils circulent dans de multiples allées et ne se rencontrent guère.
Comment organiser une présentation en respectant leur variété ? En multipliant les points de vue variant les thèmes abordés ? Par reconnaissance de la diversité des conditions d’entrée dans la vie intérieure ? En évoquant des diversités sociales et culturelles ? De tels classements recouvriraient la vie intérieure sous ses habits.
On retiendra ici en premier l’appartenance à l’un ou l’autre de deux types de vécu : I. Le mystique demeure fidèle à la Tradition dans laquelle il a été élevé ou s’est converti. II. L’expérience mystique se situe hors de cadres religieux et culturels devenus à ses yeux caducs ou secondaires. Voyons de plus près la structure au second niveau :
Pour les figures qui constituent le premier de deux ensembles, le « jardin mystique » est taillé à la française, selon une répartition en plusieurs massifs,
« I. Fidèles aux Traditions » présente des figures sous cinq entrées. Le premier chapitre intitulé « L’école du Cœur » assure une certaine continuité avec le tome précédent d’Expériences mystiques sous ce même nom. Le second chapitre couvre plus largement le monde catholique. Le troisième aborde quelques grands textes des auteurs Orthodoxes. Le quatrième chapitre sort du monde chrétien tout en demeurant au sein des trois religions du Livre : il glane quelques mystiques juifs ou ayant vécu en terres d’Islam. Enfin le dernier cinquième chapitre souligne que la vie mystique est universelle. Il évoque de rares figures indiennes, chinoises et japonaises. Au sein de chaque chapitre l’ordre est chronologique, ordonné par dates de décès.
II. Diverses confessions s’affrontèrent puis se replièrent sur elles-mêmes, prises au sein des luttes qui leur firent oublier la prise de conscience de dimensions jusqu’alors ignorées. Car se succèdent sur trois siècles trois dévoilements de l’imprévisible Nature : celle de ses théâtres infimes ou immenses, celle de son âge incommensurable à l’histoire humaine, enfin celle de son évolution vers toujours plus de complexité et de variété.
La mystique perçue comme une façon de vivre son rapport avec un Dieu et prenant place au sein d’une tradition reçue et vérifiée disparaît de l’esprit des modernes ; particulièrement chez des scientifiques jugés « athées » alors qu’ils sont le plus souvent agnostiques.
L’abandon de croyances traditionnelles est compensé par des témoignages individuels forts. S’exprimant diversement, des « mystiques sans Dieu » paraissent diluer une expérience insaisissable ?
Pour des figures relevées au cours du dernier XXe siècle, le jardin mystique se présente « à l’anglaise » dans un espace sauvage aux aperçus inédits. « II. Hors cadres » présente ainsi des figures qui n’ont pas rattaché leur rencontre « d’un plus Grand qu’eux-mêmes » [19] à une Tradition. Leurs vies ont toutefois été changées, marque qui leur est commune. Ces pèlerins cheminent hors piste sans pouvoir facilement situer ce qui leur est arrivé (nous ne retenons aucun de ceux qui se présentent sur la grand-place du marché spirituel en maîtres proposant quelque « nouvel enseignement »).
Les deux premiers chapitres présentent des figures à la recherche de la vie mystique soit par l’exercice de leur réflexion (« chercheurs ») soit par l’exercice de leur intuition (« poètes »). Les trois derniers chapitres rassemblent des témoins : ceux de « l’instant mystique », ceux auxquels la vie mystique se révèle au sein de l’épreuve, enfin des « témoins pour notre temps ». Ils confirment la nature mystique de certaines expériences, même si cela n’est pas évident à leurs yeux.
Plus d’une centaine de figures sont proposées en dix chapitres répartis entre fidèles aux traditions et chercheurs ou témoins hors cadre [20]. Leur nombre est ainsi rendu comparable à celui des figures ayant connu le XVIIe siècle et qui disposaient d’une section dans Expériences mystiques en Occident, tomes II à IV. S’ajoutent quelques entrées couvrant soit un genre d’expression soit une œuvre collective.
J’ai regretté de n’avoir pu équilibrer les entrées entre de trop nombreux clercs et de trop rares laïcs pour la première partie consacrée aux figures attachées aux Traditions. De fait les clercs bénéficient tout à la fois d’un devoir de mémoire assez bien respecté dans les Ordres et d’une supposée proximité avec le divin aux yeux des témoins (incluant leurs éditeurs). Leurs entrées en religion suivent l’expérience initiatrice commune à presque tous les mystiques ce qui favorise les Ordres.
J’ai ici décidé d’être très ouvert dans ma récolte de figures « sauvages ». Leur nombre comparable à celui des figures « sages ». Certaines entrées se situent à la frontière du champ mystique. Elles paraîtront à certains en être distantes ? Il est utile de séparer le champ libre mystique d’enclos délimités par des théologies. Le lecteur est au contact de sensibilités diverses réunies autour d’une même Source.
Des contributions ont pourvu à une large récolte, particulièrement proposées par Emmanuel […]
Lilian Silburn avait établi le projet d’un volume portant sur les « instants mystiques » en assemblant un dossier préparatoire de textes pertinents. Nous ne pouvons qu’en éditer un bon nombre en seconde partie « Hors cadres » sans pouvoir proposer des correspondances avec les vécus du sivaïsme du Cachemire. Elles existent dans des notes et tableaux qui n’ont pas encore été transcrits. L’essentiel de l’esprit mystique que L. S. a si généreusement distribué se découvre dans ses nombreux écrits et plus intimement dans : Jacqueline Chambron, « Lilan Silburn, une vie mystique » Paris, Almora, 2015.
Je présente ce florilège en étant très conscient de l’injustice qui consiste à citer très brièvement les plus grandes figures -- elles sont aisément accessibles ailleurs -- pour accorder une grande place à quelques témoignages ou études dispersées en publications difficilement accessibles.
Le lecteur ignorera une majorité d’entrées pour approfondir quelques découvertes et cela suffit à justifier le florilège. Nous limitons les renseignements de nature identitaire. On les trouve sur divers sites dédiés dont en premier lieu sur Wikipedia.
Ce premier chapitre complète le tome IV d’Expériences mystiques portant le même nom. Ce chapitre s’ouvre en reprenant des figures charnières déjà actives au Grand Siècle, mais qui ont dépassé l’année 1700 [21].
S’y ajoutent des figures nées après cette date, mais de la même lignée. Une certaine ampleur accordée aux entrées et aux notes pour les premières figures assure une continuité avec le travail de restitution détaillé du tome IV d’Expériences, mais nous serons plus brefs pour la suite.
Le titre « École du cœur » couvre non seulement des quiétistes au sein du monde
catholique, mais également
des piétistes au sein du
monde protestant (Poiret et Tersteegen…).
Ils partagent tous et parfois entre eux une même vision d’un
« christianisme intérieur »
[en cours]
D. Tronc, Expériences mystiques en Occident
I. Des Origines à la Renaissance, Editions Les Deux Océans, 2012, 344 p.
[repris par Trédaniel-Dervy] [guide & florilège introduisant aux
principales figures mystiques de la Tradition chrétienne]
Arpentant les allées de la mystique, j’ai regretté de ne pas trouver de guide qui m’évite de perdre du temps en lectures inutiles : voilà pourquoi, parvenu à l’âge mûr, je publie ce travail destiné aux amateurs - ceux qui aiment - attirés par des beaux textes disséminés au sein d’une immense littérature spirituelle. Beaucoup ne disposent pas de carte, ne savent pas par où commencer, quelles éditions choisir, et surtout quels sont les textes essentiels.
Je me suis attelé à opérer un choix sévère de personnes et d’œuvres puis à les présenter en suivant le fil historique. Je me suis concentré sur deux points essentiels : ne citer que les témoignages d’expérience du divin en évitant toute littérature dérivée ; mettre en valeur les influences personnelles exercées par des « aînés » expérimentés sur leur entourage constitué de « cadets » : les mystiques ne se forment pas tout seuls, même en lisant d’excellents livres !
Le lecteur est en droit de demander des précisions sur ce que recouvre à nos yeux le domaine « mystique ». Nous donnerons notre perception « de la mystique », que nous ferons suivre des « opinions de quelques-uns ». Cette introduction s’achèvera sur un aperçu du contenu des quatre volumes de l’ouvrage qui couvriront la vie de personnes mystiques ayant vécu en terres chrétiennes occidentales.
On ne trouvera pas ici une réflexion sur la mystique puisque notre but est de laisser place à des témoignages qui font pressentir un au-delà inexpliqué du psychisme humain. Soulignons leur originalité et le respect qui leur est dû : lorsqu’un alpiniste éprouvé raconte son ascension de l’Éverest, il ne vient guère à l’esprit de remettre en cause son vécu. Écoutons de même un « aîné » tenter d’en rendre compte, même si nous sommes déroutés lorsqu’il s’appuie sur des expériences non partagées, en s’exprimant à travers des symboles ou des croyances qui ne sont plus les nôtres.
Jamais le terme « mystique » n’a été plus galvaudé qu’à notre époque, comme le montre tout sondage effectué sur le net ou en feuilletant certaines revues : dérivé du grec mustes « initié », il en est arrivé à désigner toutes sortes de phénomènes incompréhensibles, bizarres voire pathologiques (délire mystique). On y mêle les transes chamaniques ou les expériences dues aux substances hallucinogènes. On le confond souvent avec le paranormal ou avec le miraculeux, domaine de tout ce qui contredit les lois habituelles de la matière ou du biologique. Rien de tout cela n’a intéressé les auteurs que nous allons présenter.
Comme en témoignent des récits venus du monde entier, l’expérience qualifiée de « mystique », c’est-à-dire cachée - parce qu’elle ne se prête qu’à des descriptions indirectes et qu’elle n’est confirmée que par ses effets -, est spécifique. Elle est définie dans toutes les traditions comme l’expérience humaine de ce qui sous-tend l’univers, qu’on l’appelle Dieu, Grâce divine, Énergie…
Loin de n’être qu’un sentiment décrit comme « océanique », il est confrontation au Vide ou au Plein situé au-delà des expériences instantanées, des sentiments, des imaginations, de l’intellect. « Dès que les cavernes de l’entendement et de l’imagination sont vacantes, l’essence divine se révèle [22] » et l’homme s’incline du plus profond de son être devant l’irruption de ce qu’il perçoit comme au-delà de son corps et de son psychisme mais dont il ne sait rendre compte. Le don reçu satisfait l’aspiration de celui qu’il remplit et donne un sens à sa vie.
Si son intensité est très forte, il peut conduire, de façon le plus souvent transitoire, à des manifestations liées à notre faiblesse, qui ne sont pas l’expérience ultime. Ces phénomènes ont trop souvent détourné de l’essentiel l’attention des observateurs. Connaissances médicales, observations ethnologiques, pratiques psychanalytiques nous permettent d’identifier à des intoxications, à des phases hystériques ou délirantes beaucoup de « phénomènes » et bizarreries (sensations physiques, visions, etc.) : ils appartiennent au registre de la maladie ou de la projection individuelle. Même si certains en étaient affligés, les grands mystiques les ont toujours rejetés et s’en méfiaient, appelant à dépasser le particulier de l’individu humain pour aller à l’Un. Nous avons donc délibérément écarté ce domaine pour aller vers les témoignages d’expériences profondes dont nous donnerons de nombreux extraits.
La mystique n’est pas non plus le simple prolongement des expériences humaines les plus hautes comme le sont l’amour, la perception de la beauté de la musique ou de la nature, les compréhensions fulgurantes, la ferveur religieuse. Elle n’est pas non plus présente dans les méditations de « pleine conscience » qui font tant de bien par la paix qu’elles apportent, mais qui appartiennent au développement personnel, corporel et psychologique : il y a là un repos parfait de toutes les facultés, mais c’est en soi que l’on repose, dans sa propre nature.
Le domaine mystique fait partie de ce qu’on appelle le « spirituel », il en est même le cœur qui anime tout. La spiritualité est à la fois plus large et beaucoup plus vague : elle englobe tous les écrits où l’on s’oriente vers « Dieu ». L’intellect, l’imaginaire, le sentiment tournent autour du divin : on est trop souvent dans une rêverie autour de…, dans une réflexion sur… Dans le meilleur des cas, il s’agit d’un élan, d’une tension vers Dieu, qui prépare l’être à être attentif à l’événement inouï qui peut se produire.
Face à l’immensité du champ spirituel, nous nous sommes efforcés d’éliminer les discours sur le divin pour nous concentrer sur les témoignages d’expérience. Les textes mystiques racontent l’irruption dans l’humain d’une dimension verticale, d’une autre nature, que les hommes sont forcés d’appeler « divine » car elle ne peut être fabriquée par les facultés humaines : l’Énergie qui sous-tend l’univers se manifeste à l’homme.
C’est ce face à face entre l’humain minuscule et « Dieu », qui forme le domaine propre à la mystique : l’homme rencontre sa source et la source de toutes choses. Des hommes et des femmes ont vécu cette irruption du divin en eux depuis l’aube de l’humanité, et cette expérience est universelle. Ils attestent la présence au centre d’eux-mêmes d’une Réalité expérimentée au-delà du corps, du psychologique, de l’intellect ou de l’imaginaire, qui existe au-delà de l’humain mais qui l’inclut et peut l’envahir intensément.
Cette expérience est ressentie au centre, au « cœur » de l’être : c’est pourquoi elle est souvent appelée « intériorité ». Une fois vécue, on ne peut plus la nier quelles que soient les contraintes extérieures ou les doutes d’origine intellectuelle. On ne peut que s’incliner devant elle, la vénérer et l’aimer. Une mystique contemporaine raconte joliment : « Et plus ça allait, plus je m’abandonnais à cette « chose » qui avait pris jour en moi, qui a pris pouvoir sur tout. J’en suis tombée folle amoureuse. Tout le reste est passé au second plan. » [23].
Cette Présence comble le vide de la nature humaine. En comparaison, tout ce qui a été vécu avant n’est rien que du transitoire, de l’illusoire : le capucin Benoît de Canfield (1562-1610) parlera du Tout de Dieu et du rien de la créature. Pour Pascal, cette expérience est si importante qu’il la transcrit sur un papier qu’il garde toujours sur sa poitrine : « Joie, pleurs de joie ».
Ces manifestations du début sont diverses, mais universelles : vibration du cœur, coulées d’amour, de béatitude, de silence, de paix, qui envahissent la personne et l’émerveillent. Le mystique les recherche, les attend, les favorise ; il les pleure lors de sécheresses, de « nuits », lorsque la Présence semble disparaître. Même si elle est recherchée volontairement, cette Présence se manifeste librement : c’est pourquoi bien des textes l’appellent la « grâce ». Si les préparatifs qui veulent faire remonter vers Dieu par l’effort humain, peuvent servir à apaiser ou favoriser cette expérience, ils sont bien entendu sans commune mesure avec cette liberté : « L’Esprit souffle où il veut », dit l’apôtre Jean [24].
Cette présence peut au début recevoir des qualificatifs : paix, amour… Mais selon leurs destins individuels, certains mystiques sont amenés à prendre conscience que ce ne sont que des effets de cette Présence et ils désirent davantage. Un double mouvement s’opère : par amour, dans un abandon total, le mystique se donne au divin pour qu’il fasse ce qu’Il veut ; en réponse, le divin l’envahit de plus en plus et nettoie tout ce qui n’est pas Lui. Le mystique perd alors toute projection vers l’objet-Dieu. Un grand retournement s’opère où le divin prend la place au cœur de l’homme, où se réalise l’union entre Dieu et l’homme :
[L’âme] « ouvre la capacité de tout son esprit
pour engloutir cet abîme, mais au contraire s’en trouve être heureusement
absorbée et engloutie…[25].
Ceci au prix d’un profond dénuement et d’une grande obscurité car le divin est incompréhensible aux facultés humaines [26] : c’est le « Nuage d’inconnaissance », titre d’un texte anglais du XIVe siècle sur lequel nous reviendrons. Ruusbroec déclare :
Là toutes nos puissances défaillent, et nous
sommes précipités dans ce qui s’ouvre à notre regard, et tous nous devenons un,
et un seul tout, dans l’embrassement
d’amour de l’Unité des Trois.
Là […] nous sommes un même être, une même vie, une même béatitude avec
Dieu ; là toutes choses sont
accomplies, et toutes choses se renouvellent. [27].
Saint Paul s’écrie : « Je vis, non plus moi, mais Jésus-Christ vit en moi »[28]. La vie humaine parvient là à son accomplissement parfait où le mystique participe au grand courant de la Vie universelle.
Il ne reste plus que « le Rien », qui n’est pas vide car y vibre l’Amour éternel :
… [l’âme] demeure comme suspendue en une immense vacuité …, sans pouvoir voir ni appréhender chose
aucune, ni même elle-même ; laquelle infinie vacuité … ressemble à la
sérénité du ciel …, et est une déiforme lumière. Or en cette lumière est aussi l’amour (non autre chose)
qui doucement enflamme, brûle et allume l’âme, et ce si secrètement, simplement
et intimement qu’elle ne cause nul mouvement ou motion de l’âme qui puisse empêcher
cette sérénité, mais au contraire, elle en est si subtilement agitée et si
doucement éprise qu’elle se fond, liquéfie et s’évanouit davantage, et est sa
tranquillité et sérénité augmentée.[29].
Si ce vécu s’exprime souvent en termes religieux, il n’est pas le produit de la religion : l’expérience mystique est première. Les religions sont les expressions particulières à chaque civilisation d’une expérience universelle : à partir de l’expérience de Jésus, du Bouddha, de François d’Assise, s’organise une communauté qui espère recréer les conditions où elle peut se manifester (croyances, prières, règles, méditations, ascèse…).
L’organisation nécessaire pour le grand nombre fossilise l’élan créateur : naissent les règles et la théologie. Cependant comme le christianisme était la première grille de lecture et la principale issue pour des êtres attirés par la mystique jusqu’au XXe siècle, certains entrent dans les Ordres et y trouvent parfois leur épanouissement : Benoît de Canfield, Jean de la Croix, François de Sales… C’est leur expérience qui revivifie la vie chrétienne et lui redonne son sens. Beaucoup de nos textes se situeront donc dans le champ religieux.
Ces mystiques écrivent pour tenter de mener leurs lecteurs vers l’indicible qu’ils ont vécu mais qui dépasse infiniment la foi religieuse. Ils ont souvent été persécutés par des contemporains qui entendaient les ramener vers des croyances communes et compréhensibles, se proclamant juges d’une expérience qu’ils n’avaient pas : on brûla Marguerite Porete, on censura Jean de la Croix et Benoît de Canfield, on persécuta madame Guyon… Puis la peur de ne pas être dans les normes entraîna le tarissement de la littérature mystique catholique depuis le début du XVIIIe siècle.
Les textes mystiques ne font pas partie du champ intellectuel, n’élaborent pas de champs conceptuel ou de problématique : ils tentent péniblement de suggérer l’indicible avec des mots. Nous laisserons Benoît de Canfield exprimer cette impuissance [30] :
Cette essence ne peut être comprise, sinon
comme elle-même se donne à comprendre, ni [ne se peut] entendre, sinon comme
elle-même se donne à entendre ; ni [ne peut être] vue, sinon comme
elle-même se donne à contempler, ni goûtée, ni connue, ni possédée, sinon comme
elle veut être goûtée, connue et possédée. Elle se laisse comprendre quand,
comment et à qui il lui plaît ; elle se donne à entendre, goûter et être
possédée quand, comment et à qui il lui semble bon, et de nous, nous n’y
pouvons rien.[31].
Quiconque, en effet, s’est uni à la
Vérité […] a pleine conscience de ne pas être le fou que prétendent les autres et
il sait que la possession de la vérité simple, perpétuelle, immuable, l’a délivré tout au contraire de la
fluctuation instable et mobile à travers les multiples variations de
l’erreur.[32].
C’est d’une expérience individuelle qu’il
faut partir ; et il se pourrait que même une étude exhaustive des
vocabulaires, des traditions, enfin des faits mystiques eux-mêmes ne fût jamais
aussi féconde que la directe analyse d’un devenir mystique déterminé. La
mystique, en tant que vie, aboutit à des individus, et à eux seuls. Toute
classification des états serait vaine, si elle ne nous conduisait à la brûlante
expérience d’un être.[33].
« La mystique ». Quelle mystique ? L’emploi tardif substantivé est peu heureux car il réifie l’action de la grâce divine en donnant l’apparence d’un contenu, voire d’un acquis, à ce qui est seulement signe d’un flux vivant qui prend place « dans le Vide » [34].
S’il nous faut répondre à une demande fondée de clarification, nous pouvons citer les noms de « douze compagnons » présentés dans ce volume [35]. Ces « chevaliers accomplis mystiques » veillèrent cinq siècles : Guillaume de Saint-Thierry (-1148), François d’Assise (-1226), Hadewijch I & II (~1230 & ~1280), Angèle de Foligno (-1309), Maître Eckhart (-1328), Tauler (-1361), l’auteur inconnu du Nuage d’Inconnaissance (~1370), Ruusbroec (-1381), Julian of Norwich (-apr.1416), Catherine de Gênes (-1510), Thérèse d’Avila (-1582), Jean de la Croix (-1591). Un tableau où figurent leurs noms et dates complètes, des œuvres et des sources traduites choisies, précède la Table des matières. Ils privilégient tous une vie intérieure sobre qui dépasse les phénomènes (reconnaissant cependant ceux qui leur ont ouvert l’entrée en vie mystique tel que l’épisode des « cris » rapporté par le « frère copiste » d’Angèle).
Nous
partageons une position exprimée par le philosophe Bergson (elle ne
transparaîtra que rarement puisque nous nous effaçons devant les témoignages
mystiques, mais il se doit déclarer dans cette introduction ce qui influe
nécessairement sur nos choix textuels [36]) : la vie mystique ne dépend pas de la
pratique religieuse, même si le vécu de ses meilleurs membres s’est inscrit
historiquement dans son cadre. Nous faisons donc nôtre cette déclaration de
Bergson :
Nous nous représentons donc la religion comme la cristallisation, opérée
par un refroidissement savant, de ce que le mysticisme vint déposer, brûlant,
dan l’âme de l’humanité [37].
Le cadre moderne diffère profondément de celui du XVIIe siècle ! La croyance en Dieu et dans un « au-delà » de salut ou de condamnation a disparu chez beaucoup (mais si l’on en croit Lucien Febvre, il en était de même dans le vécu de la majorité des hommes du XVIe siècle). Pourtant l’expérience mystique se renouvelle, mais la diversité des modes d’expression voile dorénavant sa permanence.
Au traditionnel mot Dieu, substituer (par exemple) le mot Énergie semble respecter aux yeux de nos contemporains, tout particulièrement chez les scientifiques, le caractère dynamique d’une circulation perçue au sein d’un univers dont le mystique est un grain. Cela permettrait d’éviter un rejet au nom du modèle évolutif reconnu actuellement mais ne laisse pas de place à l’expérience d’un amour ressenti personnellement[38]. Notons simplement que la représentation acquise du monde physico-biologique, celle d’un immense devenir dynamique, demeure compatible avec l’expérience d’un Centre actif mais ne peut évidemment éclairer une expérience individuelle.
Finalement, sont mystiques …ceux qui s’appellent tels entre eux ! Pour Leszek Kolakowski, le mysticisme serait une « doctrine » selon laquelle…
…l’âme humaine communique au moyen d’une
expérience (non sensible, mais analogue par son caractère direct à celle qui se
produit dans le contact des sens humains avec leurs objets) avec la réalité
spirituelle qui conserve la primauté … par rapport à toute autre réalité ;
on admet en même temps que cette communication, liée à une intense affection
d’amour … est … le bien suprême auquel l’homme peut accéder dans sa vie
terrestre.[39].
L’approche de phénomènes ou expériences est assez bien couverte par la définition qui vient d’être citée. Elle sera élargie selon la voie servie s’il s’agit d’une « doctrine ». Doctrine ou voie ont une certaine utilité : ils permettent de vérifier l’expérience lorsqu’elle est invoquée (car un « délire » n’est jamais à exclure). Mais demeure que seul l’individu peut vivre un dépassement par rapport à l’identité collective religieuse et dépasser son propre donné individuel pour développer une vie toute autre, donnée par grâce.
Ainsi le vécut Pierre Poiret (1646-1719), l’actif éditeur de très nombreux textes mystiques et disciple apprécié de Madame Guyon, que nous citons ci-dessous pour éviter le regrettable péché d’anachronisme historique ! Il est invoqué conjointement par Kolakowski qui ne semble pas conscient d’un déplacement du sens entre son texte et sa citation. Car Poiret ne s’intéresse pas tant aux événements qu’au travail de la grâce divine que ces derniers manifestent. Au sein d’une théologie paulinienne, il insiste sur le côté positif du travail de la grâce, optimisme qui compense l’impuissance de l’homme réduit à sa volonté propre, le grand thème du siècle de Pascal :
Tous les auteurs mystiques conviennent en
ceci : Que Dieu nous a créés pour être unis à Lui, transformés à Sa
ressemblance, et afin que Lui-même devienne et soit tout en nous selon les
termes de l’Écriture même. Que ceci ne pouvant se faire que par l’Esprit du
Seigneur (selon la même Écriture) dès que l’homme s’est voulu servir de son
propre esprit et de sa propre volonté pour se perfectionner lui-même, il s’est
ruiné et perdu, lui et toute sa race. …
Que Dieu seul peut le délivrer et le vider
parfaitement de tous ces maux là, et refaire son ouvrage défait, qui est cet
homme même perdu et ruiné. Que Dieu [40] pour
cet effet se présente à lui avec Ses divines opérations ; que c’est à l’homme
d’y consentir, à les accepter, à y coopérer - et à s’y abandonner ; et que
moyennant cela Dieu le travaille, le purge, l’éclaire, le dispose à Son union,
l’unit enfin lors qu’il est convenable, de la manière qu’Il trouve bonne et le
transforme selon Son bon plaisir à Son image, l’avançant par son Esprit de
clarté en clarté, comme parle saint Paul. Et enfin, que l’union et la
perfection … consistent en une identification, pour ainsi dire, de volonté avec
celle de Dieu, en laquelle celle de l’homme soit tellement transformée que Dieu
fasse désormais de lui tout ce qu’il Lui plaît sans aucune résistance de sa
part … Voilà un raccourci de toute la Substance de la Théologie Mystique, et c’est dans le fond la même chose
qu’enseignent tous les auteurs éclairés qui ont écrit de cette science des
saints.[41].
Les mystiques accomplis perdent tout
intérêt envers les phénomènes et les états temporaires,
soulignant simplement que leur état est devenu stable et permanent : ainsi
Marie de l’Incarnation du Canada (1599-1672) entre sa première (1633) et sa
seconde Relation (1654). Madame Guyon (1648-1717), abondante sur certaines circonstances
prosaïques de la vie ordinaire, est fort sobre dès qu’il s’agit de son
expérience mystique et ne peut qu’affirmer un état final
« constant ».
Outre la grande fresque de Bremond [42], quelques ouvrages permettent de ne pas se perdre dans des aspects secondaires ou particuliers : le précis encore utile établi par A. Tanquerey propose en ouverture une « liste chronologique et méthodique des principaux auteurs… » : le plan suit les trois voies mise en honneur depuis Balma ; ce qui est sage, plutôt que de tenter une définition à priori de l’ascèse et de la mystique [43]. Le « guide de vie » établi par Max Huot de Longchamp commente un large choix de textes mystiques en présentant leurs auteurs [44]. Des aspects historiques et thématiques sont développés avec précision par P. Agaësse, A. Deblaere et d’autres collaborateurs du Dictionnaire de spiritualité [45],[46]. Finalement on observe un bon accord et la permanence d’un choix d’auteurs canoniques retenus par les auteurs chrétiens de toutes époques[47].
Ces auteurs précèdent des dérives postérieures substituant apparitions, miracles… au vécu mystique devenu discret après la condamnation de 1699 (bref Cum alias). Un « matérialisme spirituel » comparable se manifesta plus récemment par des descriptions extérieures de phénomènes physiques, approches qui se voulaient scientifiques et sont en fait scientistes (Leuba, etc.).
Ces manifestations de la faiblesse humaine se prêtent souvent à de justes réductions aux couches psychologiques, développées par Janet, par Freud et leurs successeurs[48]. Une botanique de telles manifestations fut proposée avec grand succès par le P. Poulain dans un ouvrage qui eut une large diffusion[49] parce qu’il était adapté aux récits d’apparitions qui occupèrent la place laissée vide à la suite du Crépuscule des mystiques et de leur condamnation.
Des milieux protestants anglo-saxons se détachent les ouvrages de grandes figures : W. James, E. Underhill, von Hügel…[50]. Enfin l’Orient orthodoxe, attaché aux grands Grecs cappadociens, fournit une « contre-épreuve » à l’Occident latin[51].
Nous écarterons de notre volume les très nombreux auteurs de textes introductifs. Ils souffrent souvent d’une tendance ascétisante en vue de préparer à recevoir la grâce, ou tentent d’occuper et de consoler ceux qui l’attendent. Ils peuvent être l’œuvre d’authentiques mystiques car ceux-ci ne choisissent pas d’écrire mais répondent à la demande ou à l’injonction de ceux qui les entourent. Un immense champ religieux sera finalement laissé de côté pour que puissent émerger des auteurs qui répondaient à des demandes qui supposent le chemin intérieur engagé.
Le contact avec « ce qui peut se manifester en nous de plus grand que nous » est vécu à travers les âges dans le monde entier : on aborde ici une fraction, celui du monde occidental qui fait surtout appel aux formulations chrétiennes, et en son sein on privilégie la France où la rencontre des influences provoque un essor remarquable au début du XVIIe siècle. Sainte-Beuve, dans son Port-Royal puis l’abbé Bremond dans son Histoire littéraire du sentiment religieux en France (1916-1933) ont mis en lumière la variété des spiritualités du Grand Siècle[52]. L’ensemble couvre quatre volumes. Chacun comporte quatre chapitres d’importances égales mais d’extensions variables :
I. Des Origines à la Renaissance s’attache aux principales figures qui marqueront les mystiques à partir du XVIIe siècle. Cette ouverture peut être utilisée indépendamment comme un guide introduisant à la Tradition mystique occidentale.
Le premier chapitre présente un panorama des grandes influences qui déterminèrent son expression chrétienne. Il rappelle l’existence de mystiques qui vécurent en terres d’islam ou de religion juive, car il y eut de nombreuses influences croisées entre les religions du Livre.
Cette « ouverture de l’ouverture » est suivie d’un panorama précis couvrant l’Europe occidentale voisine de la France : l’est de la France d’aujourd’hui, la vallée du Rhin, les Flandres et l’Angleterre font l’objet du second chapitre, l’Italie et l’Espagne du suivant.
Le quatrième et dernier chapitre couvre le XVIe siècle qui va assurer une transmission de la tradition mystique facilitée par des réformes qui prennent place dans le monde catholique ; il rend compte d’influences entre le nord et le sud de l’Europe rendues possibles par l’apparition de l’unité politique qui assura la puissance d’un Charles-Quint.
Nous abordons ensuite le cœur de cette exploration qui devient beaucoup plus fouillée. Il était difficile de trouver des éléments communs permettant de classer la variété des expériences vécues. Nous avons retenu la façon dont l’existence concrète est encadrée : vie réglée en clôture ou vie dans le monde - toutefois conscients que ce critère distinctif n’affecte que des formes extérieures, tandis que le vécu mystique est comparable pour tous.
II. L’Invasion mystique des Ordres anciens souligne la vitalité méconnue issue d’ordres traditionnels au sein desquels surgissent des réformes qui manifestent la vie, telles des branches d’arbres, ici mystiques. Son premier chapitre décrit le jeu des influences et s’attache à restituer une vue d’ensemble sur la population des mystiques du Grand Siècle à l’aide de listes et de leur analyse, ce qui est tout à fait neuf. Le second chapitre traite un cas particulier important mais sous-estimé dans l’historiographie moderne : celui des missionnaires franciscains, principalement capucins. Nous reprendrons souvent en deux chapitres consécutifs un tel balancement entre synthèse générale et cas particulier. La vie réglée en clôture couvre le chapitre troisième consacré aux traditions monastiques et aux réformes. Le quatrième chapitre analyse précisément le cas particulier du carmel « déchaussé ».
III. Ordres nouveaux et figures singulières s’ouvre sur un bref chapitre situant la vie mystique dans son nouveau contexte culturel, politique et religieux : car l’époque moderne commence en fait au milieu du siècle, lorsque la prise de conscience du rôle de l’expérience, couplée à la découverte de l’immensité du monde, se généralise.
Puis nous présentons des figures – que l’on présente d’habitude isolées --, au sein de structures réglées mais de création nouvelle ; enfin hors de toute clôture et n’ayant pas à suivre une Règle portant sur le déroulement de la vie journalière. Cette contraction en deux chapitres de nombreuses figures masculines, souvent agrégées en une « école française », est facilitée parce que le très vaste ensemble de la dévotion méditative se situe hors de notre domaine[53]. Le dernier chapitre qui ferme ce troisième volume aborde l’autre moitié du genre humain par quatre figures féminines illustrant des conditions de vie très diverses.
IV. Une école du cœur couvre un réseau demeuré suspect trop longtemps. La quiétude naît en Espagne, arrive en France par l’Italie, se développe dans le cercle normand et à Paris. Rapidement la seconde génération de ce réseau associant laïcs et religieux se heurte à la méfiance générale qui s’est développée vis-à-vis des mystiques. Le cercle de Montmartre sera repris par Madame Guyon, grande figure mystique qui trouve enfin ici sa juste place. On sait que son apparition chronologiquement tardive empêcha qu’elle ne figure, sinon en filigrane, dans les histoires inachevées de Bremond et de Cognet disparus trop tôt. Son influence sera déterminante sur des proches et sur le siècle suivant.
Étoilement des mystiques du même volume achève l’entreprise. Nous doutons de la réalité de tout Crépuscule des mystiques, titre suggestif de l’ouvrage de Louis Cognet centré sur la figure de Madame Guyon, devenu trop fameux[54]. Il s’agit plutôt de l’effet « pervers » d’une diversification dans les expressions de l’expérience, liée à la disparition d’une langue technique commune adoptée du début du XIIe jusqu’à la fin du XVIIe siècle, celle d’une théologie mystique tributaire d’une représentation caduque du monde.
Une trentaine de figures de ces trois derniers siècles sont remarquables par leur diversité ; certaines surprendront des lecteurs par leur éloignement vis-à-vis de toute attache religieuse. Elles témoignent de la permanence de premiers contacts mystiques dont les manifestations ne se réduisent pas au domaine psychologique[55].
Le champ théorique d’une théologie mystique au sens réduit depuis le XVe siècle n’est pas abordé. L’investigation s’attache aux données biographiques et aux influences qui s’exercèrent entre des personnes. Aucun modèle d’école n’écrase leur diversité concrète.
§
Je m’incline devant ces textes très profonds avec le respect qui leur est dû. Le lecteur exercera son propre jugement.
[Des origines à la Renaissance : pp.31-340]
D. Tronc,
Expériences mystiques en Occident II. L’invasion mystique en France des Ordres
anciens, Editions Les Deux Océans, 2012, reprise Trédaniel-Dervy, 378 p.
Nous avons présenté dans
notre précédent ouvrage les grandes figures mystiques reconnues qui vont
inspirer l’essor d’expression française au début du XVIIe siècle[56]. Une synthèse chronologique distribuée géographiquement les assemblait,
qui a préparé l’étude entreprise ici.
Celle-ci est plus
localisée dans le temps et l’espace. Trois volumes couvriront une durée brève
en privilégiant l’espace géographique d’expression française. Un tel changement
de résolution ou « grossissement » va révéler des figures moins célèbres
dont certaines furent même oubliées au sein de dictionnaires érudits. Chaque
nom bénéficie d’une section propre quand nous lui reconnaissons une valeur
comparable à celle des figures précédentes dans la qualité du vécu mystique.
Car si leurs facilités d’écriture littéraire sont parfois limitées, – c’est le
cas à l’est pour le profond franco-flamand Constantin de Barbanson ou à l’ouest
pour l’humble bretonne Armelle Nicolas, -- il ne s’agit jamais de figures
mystiquement « mineures ».
La densité propre au
Grand Siècle en Europe catholique est en effet extraordinaire : là où l’on
pouvait raisonnablement s’attendre à ne relever que deux ou trois noms de
grande valeur, notre récolte se monte à plus de dix figures originales de tout
premier ordre réparties seulement sur quelques dizaines d’années[57].
La France a été peu
présente jusqu’ici, si l’on excepte l’impulsion assurée par les grands moines
du XIIe siècle : Bernard de Clairvaux et son ami Guillaume de
Saint-Thierry, les « intemporels » chartreux… Elle va prendre
maintenant une place centrale, après les éclipses successives causées par la
Guerre dite de cent ans puis par des luttes religieuses. Cette émergence
accompagne la montée en puissance politique. Le royaume devient la principale
puissance européenne après avoir desserré l’étau de l’empire de Charles-Quint.
Le Siècle classique français succède au Siècle d’or espagnol.
À « l’invasion
mystique » - expression chère à Bremond que nous croyons toujours
globalement justifiée[58] -, va succéder l’irrigation d’une société par ses sources internes. Celle-ci vit en effet un printemps spirituel par
des renaissances qui ont lieu au sein du royaume, surtout dans ses ordres
religieux. Elles s’appuient sur des textes étrangers, adaptés par une
armée de traducteurs. L’invasion des textes prépare ainsi l’accueil favorable
de franciscains italiens et anglais expatriés, puis de carmélites espagnoles.
Une présentation
entièrement chronologique ne s’impose pas à propos d’une durée si brève
concernant les relations entre trois générations. Se croisent et se heurtent
hommes ou femmes de deux mondes : l’un est relié encore à une
représentation médiévale hiérarchisée dans la structure matérielle de l’univers
comme dans les royaumes de l’outre-tombe[59]; l’autre prend progressivement conscience d’un univers qui se découvre
sans limites, dépourvu de centre, autonome dans ses mouvements depuis Galilée,
incluant des vides depuis Pascal. Parallèlement à une cosmologie bouleversée,
une brisure est accomplie depuis peu au sein du christianisme : les
Réformes rencontrent la Contre-Réforme catholique. Enfin des civilisations
lointaines mais évoluées sont découvertes.
L’ancien monde perdure
plutôt au sein des ordres religieux traditionnels tandis que le nouveau monde
demande des rénovations capables de répondre aux défis posés. Celles-ci
prennent la forme de fondations adaptées aux exigences culturelles ou aux
découvertes maritimes : l’humanisme est pris en compte au sein du royaume
par les jésuites comme par leurs opposants jansénistes, tandis qu’au-delà des
mers sont envoyées des entreprises missionnaires au Canada et en Extrême
Orient.
Nous avons réservé le
tome II aux ordres religieux « anciens » qui vont retrouver une
vitalité inattendue. Le tome suivant III prendra en compte les fondations
nouvelles. Le dernier tome IV s’attachera à l’émergence d’une mystique de la
quiétude plus dégagée de contraintes ecclésiales et par là restée marquée et
mal comprise.
Ce volume II comporte
quatre parties :
1. Des textes et des
hommes précède
l’étude des premiers mystiques de France par un court rappel des influences[60] et du rôle des traductions qui assurèrent en français la mise à
disposition de l’essentiel de la tradition mystique[61]. Nous suggèrerons (tome III) un vaste « paysage mystique » et
spirituel en donnant la liste chronologique de figures qui connurent le Grand
Siècle, précisant aussi leur appartenance et leur importance à nos yeux. Elle
comporte plus de cent noms, patiemment évalués en « arpentant les allées
de la mystique » : sur un siècle et demi[62], une soixantaine nous a semblé avoir une expérience mystique.
2. Traditions
monastiques et réformes rappelle la permanence de l’érémitisme, puis couvre de multiples
réformes : celles-ci sont multiformes chez les bénédictines, également
augustiniennes, célèbre à Port-Royal. La rénovation des grands carmes est menée
par l’aveugle convers Jean de Saint-Samson et par ses disciples. Ce qui nous
conduira à évoquer de façon détaillée une rénovation cette fois féminine et de
large influence jusqu’à nos jours :
3. Le Carmel
déchaussé expose
l’aventureuse implantation en France de l’héritage venu d’Espagne, le pays
ennemi de l’époque. Le récit haut en
couleur a été déjà conté, mais ses suites internes à la vie mystique
carmélitaine n’ont jamais fait l’objet d’une synthèse. Nous nous attacherons à
mettre en valeur les actives « ouvrières » religieuses et non les
autorités masculines dont elles dépendaient : il s’agit de madame Acarie
devenue converse sous le nom de (première) Marie de l’Incarnation, d’Isabelle
des Anges, la seule Espagnole demeurée en France, de Madeleine de Saint-Joseph
restée injustement dans l’ombre de Bérulle, de ses compagnes et dirigées… En
conclusion de ce parcours féminin, nous rendons justice aux carmes grâce à deux
grandes figures tardives : le convers mystique Laurent de la Résurrection
et l’historien de la Tradition Honoré de Sainte-Marie.
4. Les Franciscains constituent la partie la plus neuve de notre étude et l’oubli d’une
synthèse relevant les nombreux spirituels franciscains, déploré par Bremond,
est ainsi réparé. Benoît de Canfield est reconnu parce qu’il fait partie de la
« première génération » capucine et qu’il exerça une forte influence
sur son siècle : nous mettrons sa Reigle
en valeur. Bien d’autres capucins
sont de valeur égale, dont Constantin de Barbanson, Martial d’Étampes et
Jean-François de Reims. Quatre récollets les accompagnent, de Séverin Rubéric à
Maximien de Bernezay. Surtout se détachent par une fécondité sans commune
mesure avec leur faible nombre des tertiaires réguliers ou laïcs emmenés par la
grande figure de Jean-Chrysostome de Saint-Lô : ils achèvent notre revue
des ordres « anciens ». Parce qu’ils ont toujours été liés aux laïcs,
les réguliers nous conduisent vers un monde nouveau, celui des mystiques normands
animés par M. de Bernières et celui de ses successeurs de l’école du Cœur. Les
uns et les autres seront abordés dans les prochains volumes.
Notre but n’est pas historique même si nous avons
médité pour chacun des volumes une présentation solidement structurée
chronologiquement au sein de diverses localisations ou états de vie. Nous
voulons avant tout faire apprécier des textes qui peuvent répondre à
l’intuition mystique.
Dorénavant la nature anthologique de notre entreprise
se révèlera plus largement et nous n’hésiterons pas à citer quelques textes de
façon suivie (ici pour la bénédictine Marie de Beauvilliers puis pour le
capucin Benoît de Canfield). Car les textes mystiques « sans idées »
sont rarement rendus accessibles : ils seront souvent réimprimés ici pour
la première fois depuis leur apparition...
Il nous est possible de le faire sans limitation à dix
lignes par citation parce que nous ne dépendons pas de rééditions récentes très
généralement absentes (ou fautives). Nous avons eu recours à l’édition dernière
du vivant de l’auteur ou à la première édition établie peu après sa disparition
(mais souvent non sans une large intervention d’un écrivain tiers, suivant en
cela la pratique habituelle de l’époque). Nous modernisons l’orthographe et la
ponctuation et signalons nos coupures.
Notre rôle consiste à attirer le lecteur vers de beaux
textes. De nombreuses citations sont extraites de versions longues, voire
intégrales, disponibles sur notre site web « cheminsmystiques.fr »[63]. Certains livres
existent dans les bibliothèques électroniques, en particulier pour ceux
disponibles en versions anciennes, ce qui ne présente guère d’inconvénient[64].
Les citations sont données en italiques lorsqu’il
s’agit de textes mystiques d’époque. Elles sont données en romain lorsqu’il
s’agit plus rarement de reprises d’études modernes.
Les références sont très nombreuses. Nous avons tenu à
donner les informations qui seront utiles à celui qui, recherchant un essentiel
disséminé au sein d’une immense littérature spirituelle, attiré par une ou deux
de nos citations, veut approfondir tel ou tel auteur. Et nous avons suggéré de
nombreux chemins de traverses qui mériteraient de plus amples explorations.
Le lecteur trouvera un Index regroupant noms et thèmes propres au XVIIe siècle
à la fin du prochain tome III. La Table
des matières en tient lieu pour les figures du présent tome.
Nous commencerons par
une approche synthétique afin de préparer aux explorations individuelles
réparties dans les chapitres suivants. Ceci nous permettra de rendre compte
d’influences qui se jouent sur deux siècles en les organisant géographiquement.
Puis nous rappellerons l’importance de la transmission d’une tradition mystique
écrite.
Plus de deux cents ans
séparent la mort de Ruusbroec de la fin des guerres de religion en France. La
première date clôt l’activité d’une trinité mystique : Tauler meurt
en 1360, l’anonyme auteur anglais du Nuage d’Inconnaissance est actif
autour de 1370, Ruusbroec meurt en 1381. La dernière date correspond au réveil
du pays le plus peuplé d’Europe : le début du règne d’Henri IV voit la
paix revenir en France, calme grâce auquel une « invasion mystique »
s’amorce par des traductions, bientôt suivie de l’arrivée de spirituels
étrangers par le nord et par le sud du royaume. Ils vont contribuer à un vaste
essor religieux.
L’histoire des
développements sur la durée de ces deux-cent treize années est complexe et
demeure mal cernée. On constate
globalement un tassement dans la continuité pour la tradition flamande tandis
que des développements neufs prennent place en Italie et en Espagne. Cependant
la tradition nordique reste dominante en France jusqu’à l’arrivée physique des
carmélites espagnoles, puis elle s’atténuera sous l’influence des agents de la
Contre-Réforme au service du Roi Très Chrétien[65].
Plus précisément Denys
le chartreux (1402-1471), Henri van Herp (Harphius) (1400-1477), puis La
Perle évangélique (~1520 ? éditée en 1535), enfin les Institutions
Taulériennes (1548 pour l’édition latine par Surius) transmettent dans le
monde catholique le message issu de Ruusbroec et de Tauler, sans oublier l’Institution spirituelle de Louis de
Blois (-1566). Dans le monde protestant, la Théologie germanique
prolonge l’influence d’Eckhart (dont le nom demeure inconnu) et celle de
Tauler : elle est éditée par Luther en 1516 puis en 1518.
On ne trouverait après
le XIVe siècle qu’un écho affaibli de l’élan mystique ? Une
complexité croissante est peut-être à mettre en cause associée à un effort
d’exploration moins grand qui affecte une période où la théologie et plus
largement la représentation du monde demeurent stables après un développement
rapide d’une culture européenne autonome au cours des deux siècles précédents.
Cet affaissement est-il
réel et dû à l’effet dévastateur de pestes récurrentes[66] ? Elles assombrissent en tout cas la vision spirituelle chez tous.
Faut-il invoquer la guerre dite de cent ans[67]? Faut-il souligner l’effet dévastateur de la division de la papauté[68], puis celui des luttes liées aux affrontements entre réformés et
catholiques après 1517 ?
Mais aucune période historique n’est
calme : suivront, pendant la période que nous allons étudier, - mais
surtout hors de France - les terribles guerres « de trente ans »
culminant vers 1630, qui scelleront l’opposition irréductible entre deux mondes
religieux campant sur des frontières enfin stabilisées, puis celle « de
quarante ans » à partir de 1672, qui voit l’affrontement entre deux mondes
politiques, Louis XIV
s’opposant à une Europe coalisée financée par la Hollande.
La mystique reste bien
vécue par des figures de la devotio moderna ou par celles d’inspiration
franciscaine. Simplement il ne leur est pas nécessaire d’inventer de nouveaux
modèles : la fraîcheur manque.
Pour éclairer cette
période de transition, il resterait à éclaircir le maillage dense des relations
entre « écoles » mystiques. Celle, initialement dominante, dite
« du nord », étend ses influences vers le sud. Après la Réforme, la
disparition du monde catholique nordique accélère le processus par migration.
Des influences sont
passées par quatre voies géographiquement distinctes dont les plus
déterminantes s’exercèrent de personne à personne :
L’activité
intellectuelle de cette chartreuse[69] est remarquable et met à profit l’arrivée de l’imprimerie : le corpus
taulérien dont nous avons précédemment vu la richesse est édité, et
transmet ainsi des influences qui passeront par le bénédictin Louis de Blois[70], les carmes Jean de la Croix et Jean de Saint-Samson, le capucin Benoit de
Canfield, et « de l’autre côté » par des luthériens dont Arndt et Gerhardt.
Plus précisément, des
relations étroites lient Maria van Hout ( ?-1547), qui a pour amie
l’auteur de la Perle évangélique et du Tempel, avec Gérard
Kalckbrenner (1494-1566), chartreux, son fils spirituel depuis 1530,
compilateur des Institutions pseudo-Taulériennes (en allemand) :
textes admirables auquel on attache malheureusement le péjoratif « pseudo »
parce qu’ils rassemblent, outre des textes de Tauler, des contributions
provenant d’Eckhart et d’autres spirituels.
L’entreprise est menée à
la chartreuse de Cologne en liaison avec Pierre Canisius (1521-1597) : ce
jésuite qui connaît également personnellement Maria van Hout[71], est l’éditeur-traducteur en latin de la compilation de ses amis
chartreux. Sa traduction va couvrir la France[72]. La Perle évangélique (~1520
? éditée en 1535) et l’Institution spirituelle de Louis de Blois
(1506-1566) concourent à cette conquête des spirituels[73]. Blosius appartient à la famille française des comtes de Blois et de
Champagne par son père et à la noblesse des Pays-Bas par sa mère Catherine de
Barbançon.
En Flandre espagnole, la
« façon nordique » se heurtera à l’incompréhension de Graciàn, le
bouillant (et attachant) confesseur de Teresa, avant de devenir celui d’Anne de
Jésus arrivée à Bruxelles en 1607. Mais l’influence parvint auparavant en
France par l’intermédiaire du capucin Benoît de Canfield qui lui emprunta
« les deux formes d’annihilation mystique, l’active et la passive[74] ».
Il faut enfin signaler
le rôle du prêtre Pelgrim Pullen qui rencontre la mystique Claesinne van
Nieuwlant en 1587 à Gand :
« L’expérience du non-être dont Claesinne et Pullen s’entretiennent
n’est pas tant une préparation ou une condition préalable à l’union avec Dieu
qu’un de ses aspects : c’est l’intensité de la présence du Tout Autre qui
est la cause de l’anéantissement. », explique Mommaers, qui cite
Pullen :
Lorsque l’homme connaît quelque
chose de Dieu, il se connaît lui-même et il ne connaît pas Dieu […] Lorsque
rien n’est connu, c’est alors que Dieu est connu. Cela veut dire : lorsque
l’homme se voit privé de tout, au point de ne plus rien avoir et de ne plus
rien connaître. Une telle connaissance ne peut entrer ni dans l’intelligence ni
dans l’entendement … S’abaisser sous Dieu voilà ce qu’est une telle
connaissance ; elle est cela et rien d’autre que cela. […] [75]
La mystique du Nuage
d’Inconnaissance et celle de Julian de Norwich est influente grâce à des
émigrés : à Paris William Fitch of Little Canfield (Benoît de Canfield) et
Archange de Pembrocke, puis plus tard à Douai Augustin Baker. Ce dernier centre
est important car une université catholique y fut fondée par les jésuites et
mise en concurrence avec la vénérable université de Louvain (on en retrouve un
signe révélateur dans l’opposition que rencontrera Jansénius pour des raisons
que l’on doit qualifier de politiques, par exemple l’esprit d’indépendance de
Flamands même catholiques vis-à-vis du pouvoir espagnol).
Nous livrons longuement
en dernière partie du volume des extraits de la Règle de Benoît. Son
compagnon Archange de Pembrocke est le directeur de Port-Royal à ses débuts,
entre 1609 et 1620 mais n’aurait pas laissé d’écrits.
Quant à dom Augustin
Baker (1575-1641), il prend l’habit bénédictin en 1605. En 1624, à
Cambrai, il aide le nouveau couvent de bénédictines anglaises. Il est renvoyé
en 1633 à Douai où il mène une vie retirée. Il
traduit en plusieurs volumes des œuvres réputées de Tauler, fait
connaître le Nuage ainsi que The Scale of perfection de
Hilton. Sa Sancta Sophia est un précis soigné de ses écrits et une
œuvre remarquablement claire[76].
Elle passe par Catherine
de Gênes, partiellement tributaire des deux Hadewijch : elle influence
Isabelle Bellinzaga, l’auteur du Breve Compendio que reprendra Bérulle.
Cette voie serait-elle secondaire ? Elle est surtout mal connue et ne se
limite pas aux transmissions des textes, si l’on considère les proches qui
entouraient Catherine et leurs successeurs[77].
L’arrivée de membres des
ordres italiens en France suit immédiatement la fin des guerres de
religion : se distinguent les capucins, le Tiers Ordre Régulier
franciscain auquel appartient Chrysostome de Saint-Lô, les ursulines, des
jésuites dont le père Coton, confesseur d’Henri IV, qui apporte le Breve
Compendio après son séjour milanais. Enfin les échanges avec Rome, centre
de la religion catholique, sont permanents.
L’arrivée du Carmel
féminin en France est capitale : les disciples de Jean de la Croix
apportent leur expérience et forment les mystiques françaises. Nous y
consacrerons tout un chapitre.
Les Espagnols ne
s’opposent pas profondément à la mystique du nord avec laquelle Jean de la
Croix a été en contact lors de ses études à Salamanque (ce qui s’explique
aisément car la Flandre faisait partie de l’empire de Charles Quint)[78]. Mais nous avons déjà noté l’opinion prudente d’Anne de Jésus arrivant en
Flandre à Bruxelles[79].
Évoquons maintenant
l’arrivée des textes mystiques étrangers en France car elle est
contemporaine de l’influence entre personnes. Elle s’est faite dans un contexte
très complexe.
La seconde moitié du XVIe
siècle couvre en France une période de troubles qui voit la destruction et la
décadence de très nombreux monastères. Le sommet des luttes civiles se situe
peu avant 1572, date du massacre de la Saint Barthélémy. Elle se termine grâce
à la modération d’Henri IV et à son talent
militaire qui lui permettent de reconquérir lentement le royaume.
On peut situer la
renaissance de la paix civile en 1594 qui voit son entrée à Paris suivie de son
abjuration à Saint-Denis. Absous par le pape (peut-être conseillé par le
mystique Philippe de Néri), Henri IV doit encore soumettre les dernières
places ligueuses : la date de l’Édit de tolérance de Nantes en 1598 serait
une date charnière pour la renaissance religieuse du royaume[80]. Une intense activité souligne alors le réveil religieux qui suit la paix.
Une tradition s’était
toujours maintenue chez les chartreux. Déjà au début de la
Renaissance, Lefèvre d’Etaples venait à la chartreuse parisienne de
Vauvert « puiser dans ‘les coffres pleins de manuscrits des œuvres
mystiques que les religieux communiquaient libéralement’ et dont les mystiques
rhénans constituent le fond le plus précieux[81] ». Les coffres ont disparu…
À la même chartreuse, on
publiait Harphius dès 1491 et Denys en 1538. À celle de Cologne, on éditait la Perle
en 1545, Tauler (et d’autres rhénans dans les Institutions taulériennes)
en 1548, Ruusbroec en 1549… Les
chartreux restent ainsi fidèles à leurs Coutumes :
Nous voulons que les livres qui
sont la nourriture éternelle de nos âmes soient conservés avec la plus grande
précaution et confectionnés avec la plus grande application, afin que ne
pouvant prêcher par les lèvres la parole de Dieu, nous la prêchions par les
mains…[82]
Ils ne se contentent pas
d’éditer pour transmettre les richesses du passé mais, conscients des exemples
offerts en leur temps ou presque, ils les traduisent. Une première traduction
de Catherine de Gênes voit le jour à la chartreuse de Bourg-Fontaine en 1598.
Elle est suivie de celle des œuvres de sainte Thérèse en 1601, par le
prêtre Jean de Brétigny (de Quintanadueñas) et le prieur chartreux de
Bourg-Fontaine[83]. Richard Beaucousin, vicaire de Vauvert en 1593, anime l’équipe qui
traduit la Perle évangélique
publiée en 1602 (puis en 1609) et L’Ornement des Noces de Ruusbroec
en 1606.
Richard Beaucousin
(1561-1610)[84] fut avocat avant de rentrer à l’âge de trente ans à la chartreuse de
Paris. Outre son entreprise de traductions, il contribua à l’introduction en
France du Carmel réformé espagnol. La cellule de « l’œil des
contemplatifs » fut en effet fréquentée par tout ce que Paris rassemblait
d’esprits tournés vers la mystique : un autre futur traducteur, René
Gaultier, madame Acarie, le jeune Bérulle, François de Sales, ainsi que
Philippe Thibault (à l’origine de la réforme parallèle purement française dite
de Touraine) :
« Il aura sur les milieux
spirituels de la capitale une influence extraordinaire. La foule des visiteurs
qui assiégeaient sa chambre claustrale troublaient le silence de la chartreuse,
si bien que dès 1598, ses supérieurs songèrent à l’éloigner de Paris et le
nommèrent prieur de Nantes. Le nombre des protestations fut si grand dans la
ville que la nomination fut rapportée. Mais en 1602 il est envoyé comme prieur
à Cahors, où il meurt le 8 août 1610 avec la réputation d’un grand
serviteur de Dieu.[85] »
Richard aida aussi à la
publication du Bref discours de Bérulle (qui reprend le Compendio
de la « Dame milanaise » Isabelle Bellinzaga), et surtout à la
défense de la Règle de Benoît de Canfield (1608).
Le XVIIe
siècle verra par la suite un très grand nombre d’œuvres produites par des
chartreux dont le nombre réduit est sans rapport avec leur influence, qui est
décisive[86]. Cette tradition de mise à disposition de textes mystiques se poursuivra
jusqu’à nos jours avec un dom Porion traduisant et présentant les poèmes et les
lettres des deux Hadewijch et de Béatrice de Nazareth[87] (outre des écrits personnels non signés)[88].
Une intense activité de
traduction se produit donc à la charnière de deux siècles et marque sur le plan des
écrits la convergence en France des influences provenant des Flandres
espagnoles, de l’Espagne et de l’Italie.
En premier lieu, la Perle
évangélique fut un relais essentiel entre Ruusbroec et le siècle nouveau
grâce à la mise à disposition du texte flamand en français et à son onction.
Son influence fut comparable à celle des Institutions Taulériennes écrites en latin, et à celle
de l’Institution spirituelle
également latine de Louis de Blois[89]. Ces trois textes furent d’une importance capitale : tous les
mystiques du siècle se sont appuyés sur eux pour justifier leur expérience.
Rappelons par un extrait
la profondeur de la Perle : elle appelle au retour intérieur qui,
s’il est poursuivi « l’espace d’un an entier », ne saurait rester
ignoré de Dieu :
Si l'homme se convertissant
soi-même, en soi-même prenait garde à l'inaction divine, il trouverait
d'admirables œuvres de Dieu en soi, voire qui surpassent même tous sens et
entendement naturels. Que si par l'espace d'un an entier il ne faisait autre
chose que seulement prendre garde et être attentif aux œuvres divines que Dieu
opère en lui, jamais n'aurait mieux employé année, ni aurait oncques [jamais]
fait œuvre si bonne que cette-ci ne la surpassât en bonté, et ne fût beaucoup
meilleure. Que si voire [vraiment] à la fin de l'année, quelque chose de cet
œuvre interne et occulte [caché], qui se fait au fond de l'âme, lui était
révélée, voire non révélée, il aurait néanmoins mieux employé cette année-là,
que tous ceux-là qui avec soi-même auraient cependant fait certaines grandes
œuvres. Pour-autant [pour cette raison] qu'avec Dieu rien ne peut être négligé.
Car sans doute Dieu tout-puissant
est plus noble que toutes les créatures. Et cet homme ici délaissant [quittant]
toutes les œuvres extérieures a assez à quoi s'occuper intérieurement. Et c'est
ici que se trouve la vraie part. Ce que toutefois fort peu veulent croire,
c'est à savoir qu'une œuvre si divine se fasse en ce fond-là. Et c'est pourquoi
un si grand erreur[90]
occupe et enveloppe les séculiers, et religieux aussi, pour-autant qu'ils sont
déchus et se sont éloignés [331r°] et égarés de ce fond spirituel, dans lequel
Dieu habite. Car ne voulant croire que Dieu soit dedans eux, certainement ils
ont délaissé la vive [vivante] veine inconnue à tous pécheurs.
Finalement il y en a plusieurs qui,
persistant en leur nature et propre sens, opèrent selon leur raison propre, et
veulent premièrement se perfectionner en la vie active et puis après és [dans
les] autres deux. Mais hélas, ils défaillent en cela, pour-autant que demeurant
en l'inférieur et sensuel homme, jamais ne deviennent spirituels et divins. La
raison est qu'ils ne s'introvertissent en cet essentiel fond spirituel, là où
ils devaient se réjouir totalement à Dieu, afin qu'il opérât avec eux. Au moyen
de quoi toutes leurs œuvres seraient rendues spirituelles et divines, en quoi
la vie active est parfaite.
Car quand l'homme, avec tout son
entendement et ses forces, s'applique intérieurement et extérieurement à son
Dieu, ainsi que fait le disciple à son maître, et qu'il laisse totalement tout
son sens, son entendement et ses forces en Dieu, alors Dieu tirant et prenant
cet homme à soi, opère toutes ses œuvres, porte toutes ses charges et le garde
en tout lieu de tous périls. C'est pourquoi quelqu'un dit : O homme, ou te
gardes toi-même, et pratiques avec grand labeur les vertus, et toutefois tu
n'adviendras jamais à un bon état. Ou, te résignant [t’abandonnant] toi-même,
accomplis toutes les vertus, et sans labeur, et tu parviendras à un très haut
état et degré[91].
Quant à l’influence
espagnole, elle se propagea par l’intermédiaire de René Gaultier
(~1560-1638) : ce visiteur de la cellule de Beaucousin fut un grand
traducteur des Espagnols. Conseiller d’État et avocat, il vécut à Paris et eut
au moins cinq enfants de Péronne de Laurent (-1656), épouse considérée comme un
« vrai miroir de perfection ». Il traduisit Pierre d’Alcantara (le
franciscain qui eut une influence décisive sur Teresa), et Jean de la Croix
(déjà !), mais aussi Louis Du Pont[92], Jean Climaque[93]… Ses traductions sont exactes et surtout mystiquement
« sensibles »[94].
En ce début de siècle,
tous respectent les contenus mystiques qu’ils adaptent par une compréhension
que l’on devine intime : ainsi pour le Cantico A de Jean de la
Croix rendu par Gaultier. Il faudra attendre Marie du Saint-Sacrement
(1861-1939) pour retrouver une telle qualité de compréhension grâce au partage
implicite d’une expérience mystique commune[95].
Ces spirituels qui sont
en même temps traducteurs, ne se contentent pas de travaux en cabinet : de
Brétigny et Gaultier partiront chercher des carmélites en Espagne, non sans
aventures. Tous sont très discrets sur leur vie personnelle : ils
s’effacent devant ce qu’ils transmettent.
Dès le début du siècle,
donnant ses racines au mouvement mystique, ils rendent donc disponible ce que
nous appellerions une « base de données », à savoir les textes
essentiels des siècles précédents qui serviront à conforter et défendre
s’il y a lieu, une vie vraiment mystique : ceci très directement (Ruusbroec,
Catherine de Gênes, Teresa et Jean de la Croix bien avant qu’il ne soit
pleinement reconnu), ou par le relais d’un spirituel qui sert d’intermédiaire
expérimenté (Harphius et l’auteur de la Perle évangélique).
En particulier, les Noces
spirituelles (1606) de Ruusbroec sont traduites en français par un
chartreux et tous les mystiques du royaume de France peuvent s’abreuver à sa
joie :
Mais je vous prie, quel est cet
avènement perpétuel de notre Époux ? Certainement, c’est la génération
nouvelle et l’illumination laquelle Dieu fait sans cesse en nous. Car ce fond
où reluit cette clarté, [185v°] voire et même qui est cette clarté même, est
fécond et vigoureux, et pour ce, la manifestation de la lumière éternelle est
continuellement renouvelée au plus profond de l’esprit. Et il faut certes,
qu’ici cède et succombe tout ce qui est des actions créées. […] Et l’avènement
de l’Époux céleste est si soudain et si léger que toujours il vient, et demeure
toujours au-dedans, et ce avec richesses infinies, et qu’il revient toujours
encore de nouveau et sans cesse, en propre personne, avec clarté infinie, comme
s’il n’était jamais venu. Car son avènement sans temps, consiste en quelque
maintenant éternel, et est toujours reçu avec désir nouveau et joie nouvelle[96].
Quelques années plus
tard, les minimes de Rouen publient les Institutions [Taulériennes] avec
la Vie … et Epistres et quelques excellents sermons… en 1614.
Puis la Théologie
Mystique de Harphius (Herp), le « héraut » de Ruusbroec, paraît à Paris en 1616 dans une belle
traduction offerte par J.-B. de Machault, conseiller du roi :
Que s'ils renonçaient à toute
propriété en toutes œuvres, ils passeraient toutes choses par un esprit nu et
pur ; en laquelle pureté ils seraient agis sans moyen par l'Esprit divin, en
prenant quelque certitude qu'ils sont enfants de Dieu ; « parce que ceux
qui sont agis et poussés de l'Esprit de Dieu, sont enfants de Dieu. »
En sixième lieu, aucuns sont qui
embrassent cette limitation, comme enfants secrets de Dieu ; lesquels doivent
nécessairement, non seulement vivre de vertus, et y veiller ; mais aussi
par-dessus toutes vertus mourir, et être ensevelis en Dieu pour renaître plus
heureusement en lui. Sur quoi faut savoir, combien que les hommes, quand ils
naissent du saint Esprit, sont alors enfants de grâce, et que leur vie est
ornée des vertus, et qu'ils surmontent toutes choses contraires à Dieu, selon
ce dire de saint Jean [I Jean, 5] : « Tout ce qui naît de Dieu surmonte le
monde ». Toutefois ceux-là sont ici appelés serviteurs ; parce qu'ils ne
se sentent encore bien établis en Dieu, ni certifiés de la vie éternelle ;
Mais quand nous montons en excès
par-dessus nous-mêmes, et qu'en notre monter à Dieu nous sommes faits si
simples, que l'amour pur et nu nous peut arrêter en sa sublimité, où il exerce
soi-même par-dessus tout exercice des vertus, savoir en notre origine, et où
nous naissons spirituellement. Là même nous sommes transformés, et mourons à
Dieu, à nous-mêmes, et à toute propriété, et sommes faits secrets enfants de
Dieu, en trouvant une noble vie en nous, selon ce dire de l'Apôtre [Colossiens,
3]: « Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en
Dieu. » [97]
Enfin paraît
tardivement, en 1622 [98], la traduction par Gaultier du Cantique
de Jean de la Croix, apporté en France par Anne de Jésus à qui il était dédié
(un manuscrit aujourd’hui perdu du Cantique A) :
Mais vous [le Père Archange,
capucin] qui avez déjà pris goût aux écrits du Révérend Père Jean de la Croix, je
m’assure que vous verrez d’aussi bon œil ce sien posthume qui n’a point encore
été mis sous la presse, où il se rend fort facile et familier pour la matière
qu’il traite. Ceux qui n’ont point expérimenté les grâces et unions mystiques
dont il parle, n’en sauraient juger, ce qui fermera la bouche à beaucoup de
gens qui s’entremettent le plus de ce qu’ils entendent le moins. Ayant déjà
prêté ma plume à la version des œuvres de ce religieux tant estimé de la sainte
Mère Thérèse, je n’ai pu lui dénier ce dernier labeur, pour communiquer aux
Français les trésors de sa rare doctrine[99].
Les œuvres mystiques
européennes essentielles – si l’on excepte Denys le chartreux dont l’œuvre
latine est d’extension considérable, et les mystiques anglais qui attendront le
milieu du siècle – sont ainsi toutes disponibles en français au tournant du
siècle. Fait essentiel : on n’a
plus besoin de recourir au latin, langue des clercs, ce qui ouvre accès aux
femmes, qui sauront en faire bon usage.
Ces traductions ne
privilégient pas l’élégance, - la langue française est encore rugueuse, - mais
leur précision rend compte fidèlement de l’intériorité exprimée dans le texte,
vécue par ces premiers traducteurs qui ressentent une obligation apostolique.
Leur travail qui s’approche du mot à mot nous les fait préférer aux
« belles infidèles » nées plus tard sous l’influence de l’école des
traducteurs issue de Port-Royal[100] : celle-ci recommande de repenser le texte pour le restituer, voulant
tirer le meilleur parti d’une langue française jugée désormais l’égale du
latin. Mais repenser un texte mystique en respectant l’intention de
l’auteur n’est pas possible parce que l’« onction » spirituelle passe
à côté du sens obvie (le problème
est bien reconnu dans le champ poétique) ; les traducteurs ont rarement
l’expérience mystique suffisante. L’idéal est de disposer d’une édition
originale et de pouvoir y remonter, ce qui était le cas vers 1620 où
l’espagnol, première langue d’Europe en avance littérairement, - son Siècle
d’Or est achevé, - était connu de nombreux lecteurs, dont des femmes.
Parallèlement à cette
disponibilité des textes, des catholiques émigrent et trouvent refuge en
France, tel Benoît de Canfield. Beaucoup d’autres vivent hors des frontières du
royaume, mais sont suffisamment proches pour que la langue française soit pratiquée
à côté du latin : à Mayence, le capucin Constantin de Barbanson écrit en
français, après une période passée auprès des bénédictines de Douai, ville
universitaire des Pays-Bas espagnols où œuvre (mais en latin) son contemporain
bénédictin Augustin Baker.
Les pays plus extérieurs
« du nord » et de l’est, Angleterre, Pays-Bas, Allemagne, sont
devenus protestants. Leurs nouvelles Églises s’opposent à ce qui leur paraît
être des reliquats du Moyen Âge : les approches de type mystique et la médiation
assurée par le corps des moines et des clercs « papistes ». Des
communautés réformées prennent leur place, en s’appuyant sur leur
interprétation littérale de l’Écriture, pour assurer une autorité laissée
vacante. Ceci ne laisse guère de place à l’intériorité, sinon celle dominée par
une conscience morale propre aux puritains anglais et bien plus tard reprise
par Kant. Quelques très belles figures mystiques existent cependant dans
l’Europe non catholique : souvent il s’agit de poètes (anglais…), de
quakers, de piétistes, de « chrétiens sans église ». Nous en
évoquerons quelques-uns dans le prochain tome.
Après la fécondité du
XVIe siècle, les pays du sud, Espagne et Italie, vont entrer en
décadence. C’est l’effet retard de contrôles stricts par leurs Inquisitions. Il
est vrai qu’elles ne brûlaient leurs victimes que « modérément » au
XVIIe siècle, seulement pour maintenir une peur jugée utile au salut
et à l’ordre public[101] : on sait comment la mise en scène d’un Autodafe
impressionna si fort la jeune Teresa qu’il se transforma en vision de l’enfer[102]. Nous présenterons au tome IV le récit du « spectacle » de
l’abjuration de Molinos à Rome qui dura une journée entière. De telles mises en
scènes interdisaient efficacement toute expression d’une liberté créatrice.
Elle n’est en effet que rarement exercée car les martyrs volontaires sont
rares… La décadence des imprimeurs accompagna celle de la pensée libre :
ils disparaissent en Espagne et en Italie, ne se maintiennent que les presses
d’Anvers dont témoigne le musée Plantin. La Hollande est le pays le plus peuplé
d’Europe : elle monte en puissance et ne subit pas encore de joug
despotique. Dans ce refuge de la pensée libre, on publiera des ouvrages
par dizaines de milliers au cours du
Grand Siècle.
|
Flandres & Angleterre |
Vallée du Rhin |
Italie & Espagne |
1400 |
Denys chartreux
(1402-1471) Herp
(Harphius) (1400-1477)
|
|
Catherine de
Gênes (1447-1510) |
1500 |
Louis de Blois
(1506-1566) P. Pullen & Claesinne van
Nieuwlant (~1587) à Gand |
Luther
imprime la Théologie Germanique en 1516/18
Chartreuse de Cologne La Perle
évangélique (~1520,
éd. 1535) M.van Hout
(+1547) Institutions Taulériennes (Surius traducteur 1548
& G.Kalckbrunner & P.Canisius) |
Réforme capucine (~1520) Réforme carmélitaine Thérèse d’Avila
(1515-1582) Jean de la
Croix (1542-1591) Breve Compendio (~1580) Ph. Neri (-1595) fonde l’Oratoire |
1600 |
Benoît de
Canfield (1562-1610) Augustin
Baker(1571-1641) traduit le Nuage. |
Dom
Beaucousin et ses chartreux traduisent la Perle (1602) |
A.
de Jesus (1545-1621)
A. de San
Bartolome (1549-1626) Constantin de
B. Chrysost.
de St-Lô |
[L’invasion
mystique des ordres anciens : pp. 37-378]
D. Tronc, Expériences mystiques en Occident III.
Ordres nouveaux et Figures singulières. Editions Les Deux Océans. Reprise
Trédaniel-Dervy, 1-394.
« Je sais le jugement que la plupart des hommes porteront sur ce livre. Ils y verront l'œuvre d'un moine halluciné, d'un solitaire hagard et d'un ermite ivre de jeûne et consumé de fièvre. Ils y verront un rêve extravagant et noir, traversé de grands éclairs, et rien de plus. C'est l'idée ordinaire que l'on se fait des mystiques ; et on oublie trop souvent que toute certitude est en eux seuls. »
Maurice Maeterlinck présentait ainsi l'œuvre de Ruysbroeck !
[...]
Nous ne
nous sommes pas trop étendus sur des figures largement reconnues dans les
histoires de la spiritualité : les fondateurs de la Visitation qui ouvrent le volume, les jésuites, les spirituels dans
le monde dont les “Amis de la Vérité”,
des figures pratiquant la charité,
etc. Nous avons par contre élargi le cercle mystique en soulignant la valeur de figures féminines singulières
qui vécurent à la périphérie ou hors du « royaume très
chrétien » ; enfin par une
incursion hors du monde catholique : évocation de mystiques britanniques ou
d’outre-Rhin, de poètes.
Nous sommes conscients du risque encouru
abordant telle figure imposante, par exemple Pascal - mais comment faire autrement ? - ou en
nous élargissant cavalièrement sur l’Europe pour respecter notre titre d’Expériences mystiques en Occident.
Certaines figures sont absentes
ici mais prendront
toute leur place en « IV. Une école
du cœur », dans l’approche du large mouvement mystique de la
quiétude.
Dans les tomes précédents, nous avons tenté de montrer que toute renaissance religieuse a pour origine l’impulsion donnée par un mystique : traversé par le courant de la grâce, il réveille son entourage et le ramène à la vie intérieure, il provoque ou dirige le changement qui se propage ensuite par l’intermédiaire de personnes qu’il a formées[103]. C’est ainsi que les ordres « anciens », les bénédictins, les carmes et les carmélites, surtout les franciscains, retrouvèrent en France une vitalité inattendue.
Tandis que les actifs réformateurs présentés dans le tome II ont été souvent oubliés[104], nous allons maintenant rencontrer des mystiques reconnus, dont quelques-uns sont encore célèbres de nos jours. Ces figures n’appartiennent pas aux ordres anciens, certaines sont même restés complètement indépendantes dans leurs vécus. D’autres ont adopté des approches novatrices qui leur ont permis de créer des structures nouvelles. Aussi leurs successeurs en révèrent-ils le souvenir.
Grâce à la puissance de certains ordres toujours actifs, quelques-uns occupent presque toute la place dans les fresques qui retracent l’histoire religieuse et spirituelle du Grand Siècle, au détriment de personnalités plus profondes. Comme l’expérience intérieure est notre fil conducteur, nous n’adopterons pas la même hiérarchie que les histoires classiques de la spiritualité[105]. Tenant à notre parti-pris subjectif, nous citons pour le XVIIe siècle une centaine de figures[106] en tenant compte non de leur notoriété, mais de l’impression de qualité intérieure mystique éprouvée à la lecture de leurs écrits ou de leurs ‘dits’. Le lecteur s’étonnera de la place réduite donnée à certains spirituels (Bérulle, des membres de « l’École française », des figures rattachées à Port-Royal). Nous préférons rester concentrés sur ce qui nous guide depuis le début : l’expérience du divin transmise d’âge en âge dans la profondeur mystique.
Le
critère de jugement dans l’histoire officielle de la spiritualité est la sainteté
et non pas l’expérience mystique (qui fait souvent peur). On confond souvent
saint et mystique, la sainteté pouvant apparaître à la
lecture de certaines hagiographies comme la condition préalable à l’ouverture
de toute vie intérieure. Or, Thomas d’Aquin le dit bien, « l’amour de Dieu n’est pas, comme le
nôtre, dépendant d’un bien préexistant dans l’être aimé ; il crée le bien
qu’il aime[107] ». La grâce divine est première :
l’effort, le mérite ne la font malheureusement pas venir. Elle semble répondre
à l’appel de l’homme, mais elle est la source de cet appel. Il n’y a pas
d’automatisme, l’ascétisme entraînant la grâce : celle-ci est libre, incompréhensible et inopinée.
Un saint n’a donc pas forcément
d’expérience mystique. Il montre l’exemple : il est l’incarnation du grand
idéal moral donné par les religions. Mais c’est par sa volonté propre qu’il
tend vers la perfection. Le mystique, lui, est traversé par la grâce : c’est
parce qu’il en suit les mouvements qu’il manifeste l’amour divin autour de lui.
S’il est parfait, sa sainteté n’est qu’une facette de son intériorité et une
conséquence de l’amour qui vit en lui. C’est parce qu’il acquiesce à l’action
de la grâce que s’accomplit la remise en ordre de ses comportements : après une
(longue) phase de nettoyage, le torchon aura exprimé son dû, le bois humide
sera devenu sec et pourra brûler d’amour.
Toutes les variantes sont possibles
: les mystiques s’imposent souvent une ascèse et pensent que leur état
d’impureté et de péché doit être purifié pour que la grâce descende. Au Grand
Siècle, l’héroïsme est très bien considéré et fait partie de la culture de
l’époque. C’est au bout d’un long périple que monsieur de Bernières ou madame
Guyon comprennent qu’ils ne font que tourner en eux-mêmes et que l’abandon à la
grâce est la seule voie efficace.
Exceptionnellement,
nous ouvrons ce tome III à quelques
spirituels qui n’ont pas laissé de trace écrite, mais qui sont admirables par
leur charité : nous avons fait le pari que l’amour universel dont ils ont
témoigné ne pouvait provenir que d’une intense vie intérieure.
§
Ce tome III comporte cinq parties :
1. Nous présentons le cadre où évoluent ces personnalités : un monde en mutation prédomine à partir du milieu du XVIIe siècle.
2. Apparaissent les créateurs ou membres des ordres nouveaux : François de Sales associé à Jeanne de Chantal et leurs visitandines, jésuites mystiques inspirés par Louis Lallemant, Jean-Jacques Olier fondateur des sulpiciens, des oratoriens.
3. Puis nous nous attachons à des mystiques actifs dans le monde : monsieur de Bernières, quelques spirituels illustres par leur charité, des « Amis de la vérité » assemblés autour de Port-Royal, des franciscains « tardifs » défenseurs de la vraie vie mystique.
4. Nous consacrons une place importante à cinq figures féminines mystiques remarquables (et à un couple). Elles réussirent à rester relativement indépendantes des structures religieuses pendant la plus grande partie de leur vie. Nous rendons ainsi justice au sexe ignoré mais souvent premier dans l’ordre mystique.
5. Enfin, pour ne pas demeurer cantonnés au monde catholique de France et en conformité avec le titre d’Expériences mystiques en Occident, nous évoquons quelques contemporains remarquables qui vécurent hors de la juridiction du « Roi très chrétien » dans le Saint-Empire, en république hollandaise, dans les îles britanniques. Ce dernier chapitre sera bien entendu un survol sans aucune visée exhaustive, pour rappeler que la mystique existait ‘ailleurs’.
Nous aurons alors évoqué aux tomes II et III une bonne partie du XVIIe siècle mystique européen. Restera à présenter l’école de la quiétude (tome IV), enfin à montrer que la vie mystique ne s’arrête pas en 1699 par une deuxième condamnation du quiétisme (tome V), même si ses expressions écrites furent par la suite et pour longtemps bridées.
Au début du XVIIe siècle, les mystiques qui rendaient compte de leur expérience par écrit le faisaient au sein d’un monde très différent du nôtre, même si la modernité apparaissait déjà chez quelques membres d’une minorité socialement favorisée. Si les structures où entraient ces « chrétiens intérieurs » se révélaient déjà très diverses depuis Réformes et Contre-Réforme, au milieu du XVIIe siècle s’opère aussi un basculement des connaissances et des idées : l’Ancien Monde du Moyen Age, dont les pratiques ont été transmises par les ordres religieux rénovés, laisse place à un monde nouveau qui va nécessiter d’autres manières de vivre intérieurement. De nouvelles formes vont devoir être inventées pour s’y adapter : nous les abordons au cours de ce volume.
Les institutions religieuses tentèrent de faire face à ces nouveautés, mais leurs efforts ne purent équilibrer la crispation de structures qui se trouvaient en proie à des luttes intestines : à l’opposition entre protestants et catholiques, s’ajouta l’opposition entre partisans des idées nouvelles et traditionalistes. Ces derniers perdront progressivement le contrôle des idées avant celle des hommes.
Aux XVIe et au XVIIe siècles, quatre phénomènes majeurs sont à l’origine de ce bouleversement des idées et du monde[108] : la circulation des idées facilitée par l’imprimerie, le progrès dans la connaissance du monde naturel, la montée en puissance de l’État souverain, la division confessionnelle de l’Europe. Ils mettent en cause l’unité du monde. L’individu se met à questionner la nature même d’une vérité disputée publiquement : à quelle confession doit-il se rattacher s’il en a le choix ? Faut-il inventer la tolérance ? S’il cherche des remèdes à la violence[109], doit-il se soumettre comme à un moindre mal à un despotisme qui ne deviendra « éclairé » qu’un siècle plus tard (et trop tard pour sa version française), ou faut-il réinventer une démocratie dont l’Antiquité donne une image idéalisée ?
Au début du XVIIe siècle,
la société demeurait attachée à un Ordre divin : elle était politiquement
reliée à l’Absolu par un Roi et religieusement dominée par des Églises.
Intériorisé à partir des écrits très appréciés de Denys, l’Ancien Monde
supposait une
adhésion à un ordre antérieur et supérieur
aux hommes. Leur attitude était dominée par une aspiration à la sagesse et au
salut dans l’intégration à un ordre divin, naturel, communautaire et
idéologique, préétabli, qui définissait le vrai, le bien, le juste, ainsi que
le statut et la personnalité même des individus[110].
On retrouve de nos jours un tel état
d’adhésion à l’état de survivances dans d’autres civilisations. Il s’exprime de
façon pathogène lorsque l’adhésion s’accompagne d’une soumission sociale sans
limite au sein de communautés qui se sentent trop menacées[111]. Anciennement « ce n’était pas l’individu qui était perçu comme
l’unité de base, mais la famille et la lignée, groupes naturels, la cité ou la
communauté organisée, porteuse du projet qui donne sens à la vie », tandis que nous vivons
aujourd’hui « dans des sociétés conçues comme des associations reposant
sur un contrat entre des individus libres qui leur préexistent en
principe : ils peuvent les modifier… »[112].
Mais arrive le physicien-praticien Galilée, qui ouvre un monde nouveau par l’observation combinée à l’expérience : il renverse des modèles admis en astronomie et en mécanique. Son influence n’a d’égale que celle du théoricien Descartes qui lie géométrie et algèbre. Ils permettront de quantifier des résultats expérimentaux, pour aboutir à la maturité scientifique atteinte à la fin du siècle par Newton.
La maîtrise apparente d’un monde matériel dépendant d’un monde spirituel ‘des idées’ est ainsi rapidement entamée[113]. L’inversion du processus de connaissance s’appuie sur l’expérience physique : Descartes assure que ses « conclusions sont toutes appuyées sur des expériences très certaines » (ce qui n’était encore le cas ni chez Bacon ni chez lui). L’orientation est acquise ainsi tôt, même si la rigueur expérimentale n’apparaît qu’au milieu du siècle, génialement chez Pascal qui associe pratique et théorie avec une grande inventivité. Sa liberté prise vis-à-vis de présupposés ouvre de nouvelles failles[114].
Cette liberté ne se manifeste pas encore dans deux domaines : celui de la représentation historique, car elle ne se prête pas à l’expérimentation scientifique immédiate ; et celui de l’exploration critique des sources bibliques qui débutera avec Spinoza[115].
Les Pensées de Pascal montre cet écart : le contraste est grand entre sa première partie avec la liberté prise sur tous les sujets, dont le politique, et sa seconde partie qui ne peut encore tenir compte que de la tradition biblique dans sa durée brève.
Il faut une génération pour qu’un acquis nouveau se généralise au niveau des connaissances de l’homme cultivé, puis une nouvelle génération pour qu’elle soit exprimée socialement et prise en compte - ou non - par les structures civiles et religieuses. La fermeture d’un Bossuet vis-à-vis de toute nouveauté et de toute tentative œcuménique, telle qu’elle fut entreprise par Leibniz, illustre cette rémanence. Une tension très forte se manifeste lorsque le débat devient public, à la charnière entre ancien modèle du monde et nouvelles ouvertures.
Toutefois en Hollande puis en Angleterre, l’orthodoxie s’ouvre dès le XVIIe siècle à la tolérance et au progrès qui en découle. Mais pas moins de quatre révolutions accompagnées des guerres menées par la république hollandaise pour survivre, puis de terribles luttes civiles au sein du royaume auront été nécessaires à l’accouchement d’une société politique déjà démocratique sous certains aspects[116].
La France eut moins de chance. À l’essor du début du siècle, rapidement freiné par les troubles de la Fronde, succède un renforcement de l’absolutisme mené par Louis XIV. Dans le contexte des guerres de religion, les juristes catholiques voulurent mettre le roi à l’abri des anti-absolutistes protestants et des tyrannicides (Henri IV avait été l’objet de plusieurs attentats avant celui qui lui coûta la vie). D’où une survalorisation du personnage royal, que le monarque mettra en scène tout en bridant toutes les expressions politiques dont la parlementaire. Le Roi-Soleil respecte cependant une morale[117]. En France, le régime
reste modéré, parce que nombre de traits traditionnels du royaume subsistent : le roi est chrétien, il respecte les “lois fondamentales”, il a un “esprit de justice, de conseil et de raison”, la société comporte encore des ordres, des corporations, des “pays” qui ont des droits propres dont le régime est obligé de tenir compte. D’ailleurs, le royaume est grand et incomplètement contrôlé. Mais ces éléments de modération sont étrangers à la doctrine absolutiste proprement dite. Quand le régime s’effondrera, ils disparaîtront. Le jacobinisme pourra alors hériter des pouvoirs d’État illimités qu’ont élaborés les théoriciens absolutistes[118].
Au sein de cet absolutisme, le système dit des Lettres de Cachet fait des victimes chez les spirituels. À la question fréquente : « Quelle est la justification de tel ou tel emprisonnement ? » posée par le moderne qui suspecte quelque transgression cachée, la réponse est : « Aucune n’est nécessaire ! » Ces lettres sont signées par le roi (mais par lui seul), sans intervention de la justice, mais souvent sous l’influence de son entourage : Richelieu pour Saint-Cyran emprisonné de 1638 à 1643, madame de Maintenon pour « la Guyon » qu’elle fait emprisonner de 1697 à 1703. Il ne s’agit que d’éloigner quelqu’un, de l’assigner à résidence, de l’emprisonner.
Saint-Cyran fut envoyé un
beau matin à Vincennes, sans motif, sans jugement, ayant été pris à son
domicile par des “messieurs” (annonciateurs des hommes en gabardine de polices
politiques modernes). Il passa cinq ans dans son cachot, mais il aurait pu y
passer, tout aussi bien, vingt ou quarante, si la mort inopinée du ministre
n’avait permis à ses amis de le faire libérer[119].
Nous étendons souvent au passé (et les
supposons à tort acquises) les conquêtes récentes de révolutions européennes.
Or la liberté de conscience et de culte qui nous considérons comme naturelle,
est absolument inconnue sous l’Ancien Régime : « L’évêque ou le
supérieur peut requérir des lettres de cachet contre des prêtres ou religieux
suspectés d’indiscipline (par exemple de jansénisme), pour contourner
l’impuissance de l’officialité paralysée par l’appel comme d’abus »
souvent interjeté par l’inculpé[120]. Les hérétiques, conformément au serment du sacre, doivent être
« exterminés » (entendons : rejetés hors des limites du royaume,
ex-terminare). L’édit de Nantes est révoqué par l’édit de Fontainebleau
de 1685 : toute liberté de culte est abolie, les églises réformées sont
détruites, ceux qui ne se convertissent pas sont bannis. Les juifs, bannis en
principe du royaume en 1615, ne font pas partie de la communauté française, pas
plus que les protestants.
De même, la liberté d’expression est restreinte. Il faut un privilège spécial pour imprimer des livres, et les privilèges ne sont accordés qu’après examen attentif par la censure. Les imprimeries sont étroitement surveillées, ce qui n’empêchera pas l’impression des Provinciales en feuilles grâce à des complicités. La solution habituelle était d’imprimer les ouvrages en Hollande.
Après les terribles luttes religieuses du XVIe siècle où l’angoisse et la peur créent la violence[121], la paix à peine rétablie, la France doit lutter contre l’encerclement pour sa survie. Car Charles-Quint unifiant Espagne, une partie de l’Italie, Autriche, Flandre, et riche de ses colonies, a créé le premier des empires sur lequel le soleil ne se couche pas.
En France, on ne peut encore parler de sentiment « national » : la diversité des provinces est grande et le français qui y est pratiqué est souvent un patois. Il s’agit plutôt d’une originalité qui s’exprime dans les coutumes intimement liées à la royauté la plus ancienne d’Europe. Les catholiques succombent d’ailleurs à l’attrait de la puissance étrangère qui se pose en protectrice de leur religion : tous admirent la culture hispanique arrivée à pleine maturité ; beaucoup parlent et lisent sa langue (ainsi que l’italien, langue de culture plus ancienne mais qui n’est plus associée à un pouvoir politique sinon celui de la papauté).
L’indépendance l’emportera pourtant grâce entre autres au génie de Richelieu : elle s’exprimera religieusement par le gallicanisme, et en politique se formeront des alliances assez compromettantes avec des principautés protestantes voire avec le Grand Turc. La démographie aidant, car la France est à elle seule aussi peuplée que le reste de l’Europe occidentale, la puissance française dominera l’espagnole dès lors que le pays sera unifié et en paix, et culminera sous Louis XIV. Mais sa politique guerrière provoquera contre elle l’union de l’Europe, financée par la Hollande, et conduira à des guerres perpétuelles.
Sur le plan culturel, le royaume se situe à mi-chemin entre l’état de servitude régnant au sud de l’Europe où l’Inquisition et un système de « castes » stérilisent tout essor[122], et l’état de liberté (relative) confinée à et près d’Amsterdam ou Londres. L’essor littéraire est toutefois grand, favorisé en France par le désintérêt obligé de la noblesse pour toute activité économique. Le développement des connaissances est moindre. L’expression des idées novatrices prend le chemin du nord de l’Europe.
Sur le plan religieux, les hétérodoxies sont nombreuses depuis la Réforme, mais restent étroitement circonscrites dans ces quelques « zones libres » (ou sauvages : la Suisse). L’Europe occidentale chrétienne est partagée entre sa moitié traditionnelle catholique du sud, qui conserve des richesses mystiques au prix de beaucoup de pesanteurs sociales, et sa moitié réformée du nord, diversifiée en Églises anglicane, luthérienne, calviniste. Elle facilite l’émergence d’un ordre bourgeois nouveau, mais au prix de la destruction des havres mystiques préservés par leurs clôtures.
Le problème n’est pas seulement politique : l’individualisme naissant fait surgir une opposition entre vécus intérieurs et structures ecclésiales. Kolakowski, l’historien-philosophe des mystiques hétérodoxes au XVIIe siècle, analyse l’essence irréductible de contradictions opposant les adeptes d’un christianisme intérieur aux Églises, qu’elles soient protestantes ou catholique[123] :
On voit que cette double opposition
[aux conceptions propres aux uns et aux autres], autrement dit l’idée que le
culte extérieur n’est pas nécessaire au salut dans l’Église catholique, et que
l’orthodoxie n’est pas nécessaire dans les Églises réformées, est l’équivalent,
dans la pratique, de l’exigence de la suppression des Églises en tant
qu’institutions visibles, si l’on remarque que l’existence de l’Église en tant
qu’institution sociale est définie par l’existence de la caste sacerdotale
qui, dans les deux cas, est ainsi privée de sa raison d’être. […]
Examiné dans l’abstrait, il [le
mysticisme] révèle l’orientation originelle de sa pensée : celle-ci est en
opposition directe au principe même d’organisation religieuse. C’est la
croyance que l’on atteint toutes les valeurs essentielles par le moyen d’une
communication directe de l’individu avec Dieu, donc sans tous les instruments
que l’Église fournit pour cette communication — rituels, sacrements, catéchèse.
C’est en même temps la croyance que la voie du salut, c’est la pratique de la
passivité (“laissez agir Dieu”), du perfectionnement intérieur passant par
tous les stades et toutes les pénibles expériences décrites dans les relations
des auteurs mystiques.
Presque universellement — mais avec
quelques exceptions toutefois — s’y associe la conviction que l’individu est
entièrement responsable de son propre salut et que le démon ne trouve accès à
l’âme que si elle le lui permet de bonne grâce ; que par conséquent le
principe de la responsabilité individuelle dans les rapports entre Dieu et
l’homme conserve sa valeur absolue ; et que ni le décret de la
prédestination divine assignant à chacun à l’avance son destin d’outre-tombe ni
les formalités peu gênantes des recours rituels ne peuvent nous dégager de
notre responsabilité, donc nous libérer de notre abandon à la grâce ; que
seul son propre effort rend l’âme individuelle capable de recevoir la grâce,
même si cet effort doit se ramener — comme le proclame la majorité des
mystiques — à se dépouiller de sa propre volonté et à atteindre à une
passivité totale face aux opérations surnaturelles qui s’effectuent dans l’âme,
si c’est donc là un effort paradoxal de passivité.
Les institutions religieuses recherchent bien l’appui des mystiques par confesseurs interposés, mais, incapables d’absorber le fait mystique, elles prétendent le faire rentrer dans un dogme étroit et en fixer l’expression dans une langue commune[124]. La censure menace tout le monde.
Pratiquement, l’opposition entre chrétiens intérieurs et appareil d’Église est atténuée par le respect que ces chrétiens observent vis-à-vis de l’ancienne vision du monde hiérarchique. Mais les tensions demeurent, envenimées par l’asservissement de l’appareil ecclésial au pouvoir royal.
Cette dépendance est accomplie en France en 1682 par la déclaration du clergé dite des « Quatre Articles » dans laquelle Bossuet a joué le premier rôle : « Nous déclarons […] que les rois et souverains ne sont soumis à aucune puissance ecclésiastique […] que leurs sujets ne peuvent être dispensés de la soumission ou de l’obéissance qu’ils leurs doivent ou absous du serment de fidélité [125] ». Ce dernier point ouvre la voie à des décisions arbitraires.
Confrontés à cette incompréhension, refusant de nier l’évidence de leur vécu, certains mystiques se retrouvent en marge des structures, mais en éprouvent une grande souffrance, car ils demeurent attachés aux formes religieuses tout en ayant le sentiment de représenter le vrai christianisme. Pour eux, la religion est la chose la plus simple du monde. J. Byrom, un lettré du XVIIIe siècle, du groupe mystique écossais d’Aberdeen, définira ainsi la “vraie religion : la chose la plus simple du monde ; non pas un mot, mais une chose ; non pas une matière de dispute, mais de pratique” [126].
Mais ils sont emprisonnés, condamnés ou bannis. Il devient dangereux d’être soupçonné de quiétisme. C’est probablement la peur qui explique le tarissement des écrits mystiques à la fin du XVIIe siècle[127] : on parlera d’un « crépuscule des mystiques » après le bref pontifical de 1699 condamnant le quiétisme[128].
Nombreux seront ces chrétiens sans
Église sommés de se soumettre ou de se démettre. L’exode hors des limites
religieuses prendra de l’ampleur au Siècle des Lumières, principalement en
Hollande, asile relativement ouvert, et dans le Saint-Empire, Allemagne aux
multiples centres de pouvoir : l’on peut ainsi se déplacer d’une principauté où
règne une confession vers sa voisine où demeure une rivale, et très simplement
d’université en université.
La théologie devient alors
philosophie avant que cette dernière n’entreprenne au XIXe siècle une
mutation vers la « science » politique. La tradition européenne ne
connut ainsi jamais une complète rupture. Des influences s’exercèrent : de
quiétistes et de piétistes sur Kant et ses successeurs dont Hegel, puis de ce
dernier sur ses critiques Kierkegaard ou Marx.
Le mouvement lent de l’Ancien Monde
religieux au Nouveau Monde des “Lumières” dont les membres s’opposaient aux
religieux fut voilé par la lutte entre partis religieux et laïque[129].
La
réconciliation peut aujourd’hui avoir lieu lorsque celui qui est animé d’une
vie intérieure ne se croit plus obligé de rentrer dans des structures
religieuses devenues minoritaires.
Nous pouvons parler d’Ordres « nouveaux » dans la mesure où leurs membres vivent au moins en partie comme des « spirituels dans le monde ». Jésuites, oratoriens et sulpiciens ont des contacts ouverts avec la société civile - mais pour un jésuite seulement après une longue préparation à l’apostolat actif ; la préparation est certes moins contraignante pour un oratorien ; enfin pour un sulpicien il s’agit d’une simple animation de séminaire et d’œuvres améliorant la qualité morale de ses dirigés. Du côté féminin, des visitandines répondent à une ouverture au monde sans devoir adopter la double clôture permettant l’éducation des filles, comme ce fut le cas chez les ursulines qui les précédaient (ces dernières pénétrèrent en France pour se retrouver bientôt ainsi « protégées »).
Nous différons nettement de présentations d’histoires religieuses du XVIIe siècle, où prédominent les figures des chapitres 2 et 3 du présent tome, ce qui représente moins du quart de nos tomes II, III et IV réservés au Grand Siècle. L’histoire religieuse doit rendre en effet compte des structures ecclésiales et ne peut guère s’intéresser à des individualités mystiques demeurées le plus souvent discrètes.
Nous présentons bientôt des figures à la fois accomplies mystiquement et reconnues socialement. Nous leur accordons une place qui les favorise peut-être beaucoup vis-à-vis de figures égales mystiquement, mais cachées - sur la vie desquelles nous sommes donc moins bien renseigné. Les figures reconnues seront celles de François de Sales et de Jeanne de Chantal entourée de ses visitandines, du jésuite Surin puis, à un niveau moindre, de monsieur Olier fondateur de Saint-Sulpice, de l’actif laïc Jean de Bernières et ses amis et successeurs très présents au tome IV, de Pierre de Poitiers et de capucins, enfin longuement de l’ursuline Marie de l’Incarnation qui mena la dernière moitié de sa vie à Québec.
Les inspirations qui animent les membres des Ordres convergent souvent, car ceux-ci tentent de répondre aux besoins communs d’une nouvelle société civile bourgeoise : il en est ainsi de l’Oratoire français et des sulpiciens ; de plus, dans ce cas, l’union est étroite car il faut tenir compte de l’influence de l’oratorien Condren sur le fondateur Olier (c’est « l’école française » au sens strict).
En général, et malgré la faible durée historique couverte ici sur trois générations, il nous a paru plus simple et très clair de respecter pour la présentation une chronologie définie par les dates de disparition des figures qui sont le plus souvent proches de leurs pics d’activité mystique. Elles sont parfois regroupées en familles d’une même localisation géographique : ceci rompt alors le fil chronologique.
La Chronologie de la France religieuse : une « école française ? » donnée en fin de tome résume l’évolution qui eut lieu de 1608 à 1642 c’est-à-dire couvrant la période critique du siècle pour son épanouissement spirituel. Elle situe des réformes qui se produisent simultanément et suggère des interactions que nous ne pouvions trop souligner au fil des présentations sans nuire à la clarté de l’exposé.
[...]
[Ordres nouveaux et figures singulières :
pp. 29-394]
56 [2017] Dominique et Murielle Tronc, Expériences mystiques en Occident IV. Une
Ecole du Cœur, Editions Dervy, en préparation, 592 p. [Ouverture &
table ; Quiétismes ; I L’école du cœur en France et Nouvelle France
1601-1671 : Ecole du cœur et Bernières, L’Ermitage, Bertot, Canada ; II
Mme Guyon, Fénelon et leurs amis 1648-1717 : Mme Guyon, Fénelon, L’œuvre, La
Voie ; III Filiations 1717-1792 : France, Ecosse, Hollande, Suisse &
Allemagne ; IV Influences : Chez les catholiques, Chez les
protestants, Echos au XIXe siècle, Echos et usage au XXe s. ;
Synthèse ; Tableaux], Hors commerce [en préparation].
A la suite du tome I d’Expériences mystiques en Occident qui introduisait aux grandes figures de l'Antiquité au Moyen Âge, nous avons consacré un tome II aux Ordres anciens, puis un tome III aux fondations récentes et aux figures féminines. Ce tome IV achève l'étude de figures mystiques nées au XVIIe siècle en abordant le mouvement qui fut stigmatisé sous le nom de « quiétisme ».
Nous bénéficions de belles études sur des figures connues[130], ou sur un groupe localisé géographiquement[131]. Mais aucune synthèse ne met en relief l’originalité d’un courant mystique qui subsista durant deux siècles dans son identité propre reconnue par ses membres successifs.
Ce courant ne se distingue ni par une Constitution, ni par une Règle, ni par un Ordre, ni par un cadre associatif. Il franchit allègrement les frontières politiques et religieuses. Enfin, on ne peut définir aisément un domaine d’étude par son « canon » de textes fondateurs. Pourtant ces figures se révèlent être les porteurs de la tradition mystique en France puis en Europe.
Les articles « Quiétisme » (1986) du Dictionnaire de Spiritualité restent aujourd’hui la meilleure source disponible pour accéder scientifiquement à ce courant, du moins sur la durée de la crise visible (mais elle ne couvre environ qu’un quart de siècle, la fin du XVIIe). Ses auteurs, excellents connaisseurs de l’Europe latine catholique, fournissent une abondante moisson : suivant l'ordre chronologique, ils passent en revue les principales figures considérées comme « quiétistes » par les Inquisitions catholiques, espagnole et italienne.
Il reste difficile de circonscrire précisément ce que l’on reprochait au « christianisme intérieur » de ces prévenus, tant cela repose sur des propositions certes condamnées mais que l’on ne retrouve pas dans les textes incriminés.
§
Notre apport se veut différent : nous exposerons une histoire oubliée parce qu’on a cherché à la percevoir par ses formes extérieures, dont nous venons d’indiquer l’absence. Nous ne chercherons pas à trouver une « théorie du quiétisme » évanescente, mais le vécu intérieur de personnes dont nous respecterons les témoignages en les citant : constitution d’un florilège orienté mystiquement plutôt que d’une thèse exposant des idées.
Ces spirituels se rencontrent autour d'une expérience centrale, celle de la grâce divine, à laquelle ils font le don de leur personne et de leur vie dans un abandon intérieur total. Ils ne se satisfont que de « l'amour pur », c'est-à-dire sans recherche de récompense. Prenant appui sur la grâce, ils considèrent l'effort humain et l'ascétisme comme secondaires. Cela ne veut pas dire que leur vie est relâchée car, contrairement au procès qui leur est fait, ils mènent une vie d'une rigueur exemplaire.
Loin de rester isolés dans leur maison ou leur couvent, ils se sont reconnus et ont échangé des correspondances. Leur spécificité est de n'avoir jamais transformé ce réseau d'amitiés spirituelles en un ordre qui aurait figé ce qui devait rester informel : ceux qui étaient clercs demeurèrent honnêtement fidèles à leurs diverses appartenances ecclésiales. Ces hommes et ces femmes n'éprouvaient aucune nécessité de cadre extérieur : unis par l'indicible, ils partageaient les mêmes évidences.
Ces liens sans contrainte ni règle formelle ne purent être acceptés par les autorités religieuses, qui, se sentant négligées, les combattirent avec vigueur. Les mystiques ont souvent dû affronter des ecclésiastiques hostiles parce que sans expérience intérieure.
A côté de ces amitiés entre égaux, des filiations spirituelles se nouèrent d'une génération à la suivante : ainsi Bernières fut formé par Chrysostome de Saint-Lô, madame Guyon par M. Bertot ; puis madame Guyon dirigea Fénelon et des cercles de disciples où ils expérimentèrent le degré le plus profond de la relation spirituelle, une communication silencieuse de la grâce de personne à personne, décrite abondamment par Mme Guyon.
Toutes ces relations forment un réseau complexe et cohérent qui constitue à nos yeux une École : nous considérons ce mouvement comme l'expression de la mystique universelle dans son vécu le plus profond. Quel nom donner à une telle association sans unité de condition ni liens canoniques[132] ? Les expressions d’Oratoire du cœur et d’École de l’oraison cordiale apparaissent chez Bremond dans le chapitre qu’il consacre à Querdu Le Gall (une des nombreuses figures secondaires du réseau) et à Jean Aumont[133]. Parler d'une Filiation mystique du pur Amour permettrait d'insister sur le lien de nature mystique qui exista entre aînés et cadets, et d’éviter la note intellectuelle attachée au terme École : malheureusement, ce titre serait trop long. En ayant soin d’enlever la note affective attribuée au mot cœur depuis Rousseau et le Romantisme, nous adopterons donc la contraction en École du cœur : cette dénomination implique une pratique de l’oraison orientée vers l'intériorité.
Son rôle est capital : nous pensons qu'elle sous-tend et féconde la vie mystique dans toute l'Europe depuis la fin des guerres de religions (1590) jusqu'à 1837, dernière trace que nous ayons relevée (au-delà de cette date, nous n’avons repéré que des influences indirectes). Ce rôle souterrain mais central justifie de lui consacrer ce volume entier.
Nous ne méconnaissons pas les influences dues à la lecture de livres, mais nous entendons affirmer encore une fois l'importance extrême des contacts de personne à personne, rencontres qui se poursuivent sous la forme de correspondances.
Un tel réseau d'amitiés spirituelles présente un grand intérêt pour notre époque parce qu'il préfigure un mode de relation recherché par l’individu d’aujourd’hui : repoussant les structures collectives, les idéologies, les rites ou les fondamentalismes religieux, celui-ci cherche une approche directe de l’Essentiel. Il lui faut cependant trouver un ancrage dans des relations interpersonnelles. Cette histoire de l'École du cœur qui traverse plus de deux siècles, prouve qu'il est possible de vivre la mystique la plus profonde tout en étant entouré de compagnons qui partagent la même aventure.
Nous continuons à privilégier le vécu intime d’hommes et de femmes en prise avec le jeu de la grâce. C'est donc à une moniale, disciple de la grande Catherine de Bar, que nous laisserons évoquer ce qui demeure l'unique sujet de nos volumes, l'expérience mystique :
Le langage des mystiques est fort malaisé à entendre pour ceux qui ne le sont pas.
C’est une théologie qui consiste toute en expérience, puisque ce sont des opérations de Dieu dans les âmes par des impressions de grâces et par des infusions de lumières ; par conséquent l’esprit humain n’y pourrait voir goutte pour les comprendre par lui-même.
Ce « Rien » dont notre Mère parle[134] avec tant d’admiration se trouve de cette nature. C’est, sans doute, un dépouillement de l’âme effectué par la grâce, qui la met en nudité et vide, pour être revêtue de Jésus-Christ, et pour faire place à son Esprit qui veut venir y habiter.
Mais nous pouvons dire encore que la nature, par elle-même, ne peut arriver à cet état. Il n’appartient qu’à Celui qui a su du rien faire quelque chose, [de] la réduire de quelque chose comme à rien, non pas par son anéantissement naturel, mais par un très grand épurement de tout le terrestre, où Il la peut mettre[135].
Détecter des influences spirituelles uniquement par la circulation des textes ne suffit pas. De même qu'on n'apprendra pas l'ébénisterie dans un livre, de même seuls des liens directs entre personnes sont à même de former les apprentis mystiques. Ce sont ces relations interpersonnelles dont nous entendons parler ici : nous nous attacherons donc à relever non pas « qui a lu qui » mais « qui a rencontré qui ».
Parce qu'ils ont en commun la même expérience du divin et les mêmes raisons de vivre, les mystiques se comprennent et des liens d'amitié se forment. Le rayonnement de certains aînés plus expérimentés attire la génération suivante : les cadets reçoivent l'enseignement d'un père ou d'une mère spirituelle. Ces liens sont parfois vécus sur plusieurs générations : ils constituent alors des filiations dont les intéressés sont parfaitement conscients.
Ce phénomène est bien connu dans le monde entier. Dans les traditions orientales, on parle des chaînes de transmission dans le soufisme, des maîtres se succèdent dans diverses traditions indiennes ou bouddhiques en Extrême-Orient. Aux débuts du christianisme de même, un évêque était reconnu parce qu’il était relié à tel apôtre dont l’autorité provenait de sa connaissance directe de Jésus[136] : cette conception était apparente encore chez Tertullien à la fin du second siècle, elle disparaîtra deux siècles plus tard chez Ambroise de Milan.
Nous pensons avoir trouvé un réseau d'amitiés de ce type chez les mystiques du « pur amour » au XVIIe siècle : ils se connaissaient et s'estimaient au sein d'une même génération (ex. Bernières et Catherine de Bar), puis chaque génération a formé des disciples. L'ensemble de ces liens forme un « arbre mystique » nourri par la sève de l’exceptionnelle vitalité spirituelle franciscaine sur plusieurs siècles. Le tronc est constitué de quatre personnalités hors du commun[137] : Chrysostome, Bernières, Bertot, Guyon. Ce tronc engendre de nombreuses branches de filiations qui existèrent dans les milieux plus divers et que leurs membres reconnaissent : à la fin du XVIIIe siècle, le pasteur Dutoit[138] savait qu'il se rattachait aux quatre personnes que nous venons de citer.
Ce courant mystique franciscain, transmis de génération à génération essentiellement en France, connut une efflorescence qui dura près de deux siècles et demi : en 1590, deux franciscains fondent ce courant ; en 1837, un cercle spirituel guyonien se meurt à Morges près de Lausanne.
A ces mystiques que nous regroupons sous le nom d’École du cœur, des détracteurs ont attaché le sobriquet de « quiétistes ». Ce surnom entache encore maintenant leur mémoire puisqu'ils firent l'objet de procès et de condamnations. Bien que ce ne soit pas notre sujet principal, nous commencerons par rappeler très brièvement en quoi consiste la « question du quiétisme ».
Après un chapitre sur les précurseurs espagnols et italiens, nous verrons éclore en France la vénérable tradition des Tiers-Ordres franciscains : elle va féconder la mystique française dès la fin de nos guerres de religion car des âmes ardentes vont rencontrer ces messagers. Puis deux nœuds de convergence vont se former autour de deux laïcs qui domineront la scène : monsieur de Bernières, actif au milieu du XVIIe siècle, et madame Guyon, active à la fin de ce siècle. Autour d'eux toutes les générations se rencontrent.
Les relations sont multiples au sein de ce réseau d’amis qui se prêtent mutuellement des soutiens spirituels. On voit en effet, au début du Grand Siècle, le « bon Père Chrysostome » et « sœur Marie » des Vallées diriger M. de Bernières et ses fidèles de l’Ermitage de Caen. Ensuite Bernières continue de diriger ses compagnons de l'Ermitage, en particulier M. Bertot, tandis que son amie Catherine de Bar fonde les bénédictines du Saint-Sacrement. Parallèlement, au Canada, Mgr de Laval (disciple de Bernières) crée un nouvel Ermitage, tandis que Marie de l’Incarnation[139] reste en relation épistolaire avec Bernières. Jean Aumont est relayé par le « bon franciscain » Archange Enguerrand. Ensuite M. Bertot est le grand transmetteur puisqu'il dirige Mme Guyon : autour d'elle, se formera un deuxième nœud car, à la fin du siècle, c'est elle qui, associée à son disciple Fénelon, animera la vie intérieure de cercles français. Puis au XVIIIe siècle le courant mystique se distribuera en de multiples branches, mais la peur d'être condamné pour « quiétisme » est un grand frein : tandis que les cercles spirituels se cachent en terres catholiques françaises, le courant se réfugie dans les terres piétistes protestantes. Puis il s'enlise et nous en perdons trace en Suisse après 1837.
Cette succession de directeurs spirituels est exceptionnelle car elle fut ininterrompue, formant comme les maillons d'une longue chaîne : le laïc sieur de la Forest, le père Chrysostome, le laïc Bernières, le prêtre Bertot, madame Guyon et Fénelon archevêque de Cambrai, et pour finir des pasteurs piétistes. Autre fait remarquable, ils furent indifféremment des laïcs ou des religieux puisque leur autorité ne reposait que sur leur profondeur intérieure. Autour d'eux gravitèrent des figures profondes qui permettent de supposer que d'autres canaux de transmission existèrent parallèlement (issus de Catherine de Bar ou de Mgr de Laval) ; mais ils sont moins documentés, probablement à cause de la clôture ou de rudes conditions de vie défavorables à la conservation de traces écrites.
Comme dans les
tomes précédents, aux biographies des uns et des autres nous associerons des
extraits de leurs « dits » ou de leurs écrits en les
différenciant bien par l’usage de caractères romains ou italiques. Rien ne
remplace le contact direct avec les textes. Même si ce tome IV commence
par un rappel essentiellement historique, nous ne nous attarderons pas sur les
structures, les règles et les conceptions théologiques : elles ne seront
là que pour faire comprendre au milieu de quelles contraintes vivaient ces
grands mystiques.
Ouverture
& table
Quiétismes
I L’école
du cœur en France et Nouvelle France (1601-1671 : 70)
Ecole du cœur et Bernières
Ermitage
Bertot
Canada
II Mme
Guyon, Fénelon et leurs amis (1648-1717 : 69)
Mme Guyon
L’œuvre
La Voie
Fénelon
III
Filiations (1717-1792 : 75)
France
Ecosse
Hollande
Suisse & Allemagne
IV
Influences
Chez les catholiques
Chez les protestants
Echos au XIXe siècle
Echos et usage au XXe s.
Synthèse
Tabl
Les quatre tomes d'Expériences mystiques en Occident qui précèdent ce cinquième et
dernier de la série présentaient des témoignages offerts par les mystiques qui
vécurent jusqu'au début du Siècle des
Lumières. Ils se rassemblaient le plus souvent autour d'une des branches
de la famille chrétienne, référence alors commune.
Un élargissement hors des frontières
géographiques européennes met en cause ce référentiel dès que l'on reconnaît la
validité d'autres cultures associées à d'autres religions : faut-il continuer
après 1700 à s'en tenir au seul occident chrétien ?
Un bouleversement culturel a en marche depuis
Galilée : ne faut-il pas ouvrir le champ mystique au-delà même des
Traditions ? Car nous sommes en présence d'une grande diversité d'expressions
mystiques voilant une même réalité.
Ce tome “V. Expériences mystiques, des Lumières à nos jours” est un
« étoilement mystique » dont le florilège déborde le cadre imposé aux
quatre tomes précédents. Rappelons qu’ils étaient consacrés aux figures
chrétiennes le plus souvent catholiques d'expression française ayant vécu avant
1700.
L’ouvrage couvre ici les années 1700 à 2000. Ses
figures témoignent d'une mystique vivante. Certaines se rattachent aux grandes
Traditions tandis que d'autres s'ouvrent à la vie intérieure sans y être
conduits par une pratique religieuse et par un mode d'emploi. Quelques-unes
d’entre elles ignorant même la fente qui est ouverte un instant à leur regard
intérieur et elles poursuivent en vain leur quête.
Chaque figure ne pourra bénéficier que d'une
courte section puisque leur nombre dépasse la centaine. La monotonie d'un
collier dont chaque grain serait de même taille est rompue par quelques textes
plus longs choisis pour leur précision.
Tous témoignent d’une rencontre livrée souvent
en son début, car les mystiques confirmés répugnent à décrire une expérience
qui devient de plus en plus indescriptible. Nous ne proposons aucune notice
biographique, car les sources disponibles sur le web font l’affaire, don’t en premier
lieu wikipedia. Toujours faute de place et pour marquer une hiérarchie de
valeur entre témoignage et contexte, nous ne lui ajoutons le plus souvent
qu’une note. Elle ouvre sur des sources choisies.
Un tel ensemble de textes suggère “d’y regarder
de plus près”. C'est le but d’un tel “jardin mystique” aux senteurs diverses.
§
Nous ne croyons pas à un crépuscule des mystiques. Certes le langage commun à
toute théologie [140] a disparu
( il avait été précisé juste à temps dans le monde
catholique au XVIIe siècle en latin puis en français par Sandaeus, Civoré,
madame Guyon, Honoré de Sainte-Marie). S'en est suivi
l'absence d’un corps facilement reconnaissable d'auteurs-témoins
susceptible d’être triés selon un critère théologique
ou regroupés par Ordres religieux.
L’indépendance vis-à-vis de représentations communes
conduit à un émiettement ou plus poétiquement
à un “étoilement”. Il s'agit de retrouver le peuple dispersé des
mystiques dont l’unité intérieure est voilée sous des habits divers.
Ils circulent dans de multiples allées et ne se rencontrent guère.
Comment organiser une présentation en respectant
leur variété ? En multipliant les points de vue variant les thèmes abordés
? Par reconnaissance de la diversité des
conditions d’entrée dans la vie intérieure ? En évoquant des diversités
sociales et culturelles ? De tels classements recouvriraient la vie intérieure
sous ses habits.
On
retiendra ici en premier l'appartenance à l'un ou l’autre de deux types de vécu
: I. Le mystique demeure fidèle à la
Tradition dans laquelle il a été élevé ou s’est converti. II. L’expérience mystique se situe hors de
cadres religieux et culturels devenus à ses yeux caducs ou secondaires. Voyons
de plus près la structure au second niveau :
I.
Pour les figures qui constituent le premier de
deux ensembles, le “jardin mystique” est taillé à la française, selon une
répartition en plusieurs massifs,
“I. Fidèles aux Traditions” présente des figures
sous cinq entrées. Le premier chapitre intitulé “L'école du Coeur” assure une
certaine continuité avec le tome précédent d’Expériences mystiques sous ce même
nom. Le second chapitre couvre plus largement le monde catholique. Le troisième
aborde quelques grands textes des auteurs Orthodoxes. Le quatrième chapitre
sort du monde chrétien tout en demeurant au sein des trois religions du Livre :
il glane quelques mystiques juifs ou
ayant vécu en terres d’Islam. Enfin le dernier cinquième chapitre souligne que
la vie mystique est universelle. Il évoque de rares figures indiennes,
chinoises et japonaises. Au sein de chaque chapitre l'ordre est chronologique,
ordonné par dates de décès.
II.
Diverses
confessions s’affrontèrent puis se replièrent sur elles-mêmes, prises au sein
des luttes qui leur firent oublier la prise de conscience de dimensions
juqu’alors ignorées. Car se succèdent sur trois siècles trois dévoilements de
l’imprévisible Nature : celle de ses théâtres infimes ou immenses, celle de son
âge incommensurable à l’histoire humaine, enfin celle de son évolution vers
toujours plus de complexité et de variété.
La
mystique perçue comme une façon de vivre son rapport avec un Dieu et
prenant place au sein d’une tradition reçue et vérifiée disparaît de l'esprit
des modernes ; particulièrement chez des scientifiques jugés
« athés » alors qu’ils sont le plus souvent agnostiques.
L’abandon
de croyances traditionnelles est compensé par des témoignages individuels
forts. S’exprimant diversement, des « mystiques sans Dieu »
paraissent diluer une expérience insaisissable ?
Pour des figures relevées au cours du dernier XXe
siècle, le jardin mystique se présente “à l’anglaise” dans un espace sauvage
aux aperçus inédits. “II. Hors cadres” présente ainsi des figures qui n’ont pas
rattaché leur rencontre “d’un plus Grand qu’eux-mêmes” [141] à une
Tradition. Leurs vies ont toutefois été changées, marque qui leur est commune.
Ces pèlerins cheminent hors piste sans pouvoir
facilement situer ce qui leur est arrivé (nous ne retenons aucun de ceux qui se
présentent sur la grand’place du marché spirituel en maîtresd proposant
quelque 'nouvel enseignement').
Les deux premiers chapitres présentent des
figures à la recherche de la vie mystique soit par l'exercice de leur réflexion
(“chercheurs”) soit par l'exercice de leur intuition (“poètes”). Les trois
derniers chapitres rassemblent des témoins: ceux de “l'instant mystique”, ceux
auxquels la vie mystique se révèle au sein de l'épreuve, enfin des “témoins
pour notre temps”. Ils confirment la nature mystique de certaines expériences,
même si cela n’est pas évident à leurs yeux.
§
En résumé une centaine de figures sont
proposées en dix chapitres répartis entre fidèles aux traditions et chercheurs
ou témoins hors cadre [142]. Leur
nombre est ainsi rendu comparable à celui des figures ayant connu le XVIIe
siècle et qui disposaient d’une section dans Expériences mystiques en Occident,
tomes II à IV. Les sections seront ici fort réduites si l’on excepte les toutes
premières qui assurent une transition avec le tome IV. S’ajoutent quelques
entrées couvrant soit un genre d’expression soit une œuvre collective.
Nous regrettons de n’avoir pu équilibrer les
entrées entre de trop nombreux clercs et de trop rares laïcs pour la première
partie consacrée aux figures attachées aux Traditions. De fait les clercs
bénéficient tout à la fois d’un devoir de mémoire assez bien respecté dans les
Ordres et d’une supposée proximité avec le divin aux yeux des témoins (incluant
leurs éditeurs). Leurs entrées en religion suivent l’expérience initiatrice
commune à presque tous les mystiques ce qui favorise les Ordres.
Nous avons choisi d’être ouverts dans la récolte
de figures “sauvages” - leur nombre n’est ainsi guère inférieur à celui de
figures “sages”.
Certaines entrées se situent à la frontière du
champ mystique. Elles paraîtront à certains en être fort distantes. Il est ici
utile de séparer le champ libre mystique d’enclos délimités par des théologies.
Le lecteur mis au contact de sensibilités diverses réunies autour d’une même
Source.
Des contributions ont contribuées à une large
récolte, particulièrement proposées par Emmanuel […]
Lilian Silburn avait établie le projet d’un
volume portant sur les “instants mystiques” en assemblant un dossier
préparatoire de textes pertinents. Nous ne pouvons qu’en éditer un bon nombre
en seconde partie “Hors cadres” sans pouvoir proposer des correspondances avec
les vécus du sivaïsme du Cachemire. Elles existent dans des notes et tableaux
qui n’ont pas encore été transcrits. L’essentiel de l’esprit mystique que L.S.
a si généreusement distribué se découvre dans ses nombreux écrits et plus
intimement dans : Jacqueline
Chambron, “Lilan Silburn, une vie mystique” Paris, Almora,
2015.
§
Je présente ce florilège en étant très conscient
de l’injustice qui consiste à citer très brièvement les plus grandes figures --
elle sont aisément accessibles ailleurs -- pour accorder une grande place à
quelques témoignages ou études dispersées en publications difficilement
accessibles.
Le lecteur ignorera une majorité d’entrées pour
approfondir quelques découvertes et cela suffit à justifier le florilège.
Nous limitons les renseignements de nature
identitaire. On les trouve sur divers sites dédiés dont en premier lieu
sur Wikipedia.
Des notes en petit corps livrent certaines
précisions et références.
Nous utilisons le romain grand corps pour les
citations et les « dits » des figures ; le romain en corps moyen
pour les citations de témoins ou d’historiens ; l’italique pour notre
« ciment » qui présente quelques éléments de nature intérieure et
mystique ; le romain petit corps pour les notes.
François d’Assise vu par ses disciples, Un choix de sources à l’usage de Dominique Tronc et d’Amis, Reprenant des textes de l’Edition du VIIIe centenaire, Hors commerce pour raison de droits, 510 p. [Présentation, Quelques « pages » de François, Du commencement de l’Ordre, Légende des trois compagnons, Compilation d’Assise anciennement dénommée Légende de Pérouse, Témoignages sur des Spirituels issus principalement des Actes.]
L’édition du VIIIe centenaire publiée en deux volumes au Cerf en 2010 dans la collection « Sources Franciscaines » comporte 3418 pages… Mon dossier propose le cinquième de ce dernier « Totum » de sources proches de François (manuscrits du XIIIe & XIVe siècles).
L’essentiel consiste en deux sources longues, la « Compilation d’Assise » et les « Actes ». Elles livrent l’esprit de François et son influence directe plus profondément que ne le permirent des écrits officiels requis pour l’Ordre.
Six restitutions :
1. Le choix de quelques « pages » de François.
2. Frère Jean, compagnon de Gilles, est l’auteur « Du commencement de l’Ordre », source primaire sobre et originale écrite moins de quinze ans après la mort de François.
3. La « Légende des trois compagnons » fut proposée par Léon, Rufin et Ange, en complément de la première biographie par Thomas de Celano. Elle fournit des informations uniques sur la période « laïque » de la vie de François (~1181 à 1206) dont la durée est supérieure à celle de la période fondatrice (1206 à 1226).
4. Frère Léon est à la source de la « Compilation d’Assise », anciennement nommée « Légende de Pérouse ». Il s’agit du meilleur des « évangiles franciscains ». Je restitue l’ensemble annoté en incluant au fil du texte les passages repris de Celano (ils sont séparés dans l’édition du VIIIe Centenaire au profit de ce dernier).
5. Les « Actes du Bienheureux François » sont la source latine traduite partiellement dans les célèbres « Fioretti ». Ils constituent des « Actes des Apôtres » franciscains rendus enfin disponibles.
6. Suivent quelques extraits d’autres sources et une brève introduction à François.
Les notes généreuses mais indispensables de l’édition du VIIIe centenaire rendent caduques de très nombreuses biographies colorées par l’esprit de leurs auteurs. Je les restitue en petit corps au fil du texte courant[143].
Ce « compagnon » commode, d’accès limité à mes amis, livre un François mystique sans glose autre que les notes issues de l’état récent des recherches qui ont permis le nouveau « Totum » franciscain[144].
Âge date
0 1181/2 naissance
à Assise
……..
1201
20 1202 prison
à Pérouse
1203
1204
1205 vers
les Pouilles, renonce à Spolète
25 1206 renonce
tous biens, Saint-Damien, lépreux
1207
1208 Bernard,
Pierre de Cattaneo, Gilles
1209 (12
frères) Rome
1210 Portioncule
1211
30 1212 Claire
à Saint-Damien
1213
1214
1215
1216 +
Innocent III
1217 (~1000
frères)
1218
38 1219 Damiette,
al-Malik al-Kamil, Terre sainte
1220 Chapitre,
renoncement à la direction
1221 (~3000
frères)
fr.
Élie succède à Pierre de Cattaneo
Règle
non bullata
1222
1223/4 Règle
bullata
1224 Alverne
(La Verna)
1225 maladie des yeux, cautérisation
45 1226 +
le 3 octobre.
Pour la chronologie, la généalogie des mss., les concordances, voir pp. 3173sq. « éd. » VIIIe
centenaire. Sources retenues soulignées.
__________
(1226) mort de François _______
1C
(1228)
Thomas de Celano Vita prima p.429
_______________
(1239) Élie est déposé ________________
Première
« récolte » des écrits de François !
AP (1240/41) Léon
(<1246)
Jean Du
commencement de l’Ordre p.971 fiches p.29
| écrits
p.1163
|(p.976) |
LG-3S
(1244/46) |
L. de Greccio - Légende 3 compagnons p.1045
2C (1246/47)
Celano Vita secunda p.1459 |
| __________|
LM (1257/63)
|
Bonaventure
p.2203
________(1276)
Ordre de recueillir les écrits de
François !_____
3S
(1276…) (1276...)
SPm Miroir de perf. minor.
2e recension
|____ ___|
CA (1310/11) Compilation
d’Assise p.1185
3S 3e recension (1317) SP Miroir
de perf. major. p.2675
|
Actus (1327/37) p.2713
I
Fioretti (trad. partielle des Actus) in éd. FF
29 [2014] D. Tronc, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siecle. Tome I. Introductions, Florilège issu de Traditions franciscaines (Observants, Tiers Ordres, Récollets), Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 367 p.
Toute « médecine
de l’âme » s’appuie sur un exposé
didactique. Il ne faut pas l’interpréter comme un chemin spirituel imposé. Il doit être associé au témoignage d’une expérience profonde chez l’écrivain mystique authentique. Ce dernier ne se
soucie pas de bâtir une œuvre. Son écriture est suscitée par la demande : besoins de ceux qui l’entourent, requête du confesseur, corres-pondants en recherche de direction spirituelle.
Souvent cela conduit à
rédiger un manuel qui fait fi de toute élégance littéraire. Ceci expliquerait
l’oubli très étonnant depuis trois siècles de certains des textes que l’on va
découvrir ; car leur qualité didactique, leur précision psychologique, leur souci de complétude, leur richesse et leur subtilité sont
uniques.
Nos choix sont
spécifiques du vécu mystique, ce qui réduit fort heureusement le champ exploré.
Il s’agit de fournir une nourriture de l’âme. Notre sélection laisse de côté
des aspects ascétiques et religieux et ne tente pas de rendre compte de toutes
les influences exercées à l’époque au sein de la société dévote. Certains
lecteurs seront surpris par l’absence de noms apparte-nant à la constellation
franciscaine, qui ne sont pas inconnus par ailleurs 1. Cependant, l’élagage
accompli, il reste plus de trente figures à faire revivre !
1. Notre appréciation est réservée sur Laurent de Paris (malgré M. Dubois-Qui-nard, Laurent de Paris, une doctrine du pur amour…, 1959) ou sur Louis-François d’Argentan (malgré son travail d’éditeur et d’imitateur de Bernières), figures aux
Les pages choisies au
sein de cette vaste littérature dormante de direction mystique rédigée
au Grand Siècle sont distribuées selon leur appartenance aux « religions »
franciscaines, puis aux capucins. Nous y rattachons quelques figures qui n’appar-tiennent pas directement à une branche franciscaine, mais qui témoignent de leur influence : une religieuse bénédictine
disciple très fidèle à l’enseignement de
Benoît de Canfield, deux minimes. Les branches franciscaines traditionnelles
sont présentées selon une succession chronologique au sein de chaque « religion ». Les
capucins, très présents car issus d’une réforme mystique encore récente, sont répartis en trois groupes
successifs : fondateurs, extension
européenne, défenseurs de la mystique.
Nous avons tenu à
présenter les rares aspects biographiques personnels qui nous sont parvenus
sans insister sur des fonctions 2 ni sur l’importance attribuée à l’époque 3. Cette approche « per-sonnaliste » est complétée par quelques études historiques : Dans l’introduction du tome I, un rapide survol des siècles fait le lien avec les origines
franciscaines en privilégiant
quelques figures mys-tiques. L’étude de Pierre Moracchini, « Un Grand Siècle à Paris (1574-1689) », propose pour la première fois une synthèse, certes limitée au cœur du Royaume mais qui permet ainsi d’inclure des informations précises touchant à la vie des communautés. Il
nous fait ainsi vivre aux côtés de nos auteurs. L’approche de Jean-Marie
Gourvil s’attache à des « avantages » franciscains.
Ce florilège reste
lacunaire puisque, à raison d’une vingtaine de pages pour une quarantaine
d’entrées ou auteurs, il ne peut
quelles nous réservons quand même deux entrées. Mais nous omettons Philippe d’Angoumois, Sébastien de Senlis, Yves de Paris et bien d’autres. On les retrouvera dans les listes figurant en annexe à la fin du tome troisième. Certains auteurs aux éditions devenues rares n’ont pu être consultés.
Les fonctions de gardiens, définiteurs, etc., sont les données assez abondantes, sûres et datées, que l’on trouve dans les nécrologes et les chroniques des Ordres.
Notre choix des figures par découverte directe des œuvres n’a pas tenu compte de telles caractéristiques « sociales ». S’ensuit l’omission de figures connues, car humainement visibles. L’élagage a laissé la place nécessaire pour mettre en valeur des figures demeurées discrètes, s’agissant souvent de maîtres des novices « oubliés » (l’observation est postérieure à leur choix !)
rendre la richesse et
l’architecture d’ouvrages de taille souvent considérable, dépassant parfois
mille pages. Car nombreux sont les capucins qui rédigent leur « manuel » :
parfois c’est le seul ouvrage issu de
leur main et ils le veulent alors complet, en tirant le meilleur parti de leur
expérience !
Pour nous, le choix de
leurs « bonnes feuilles » s’impose, car un résumé qui ne pourrait reprendre qu’une ossature commune à beaucoup ne présente pas d’intérêt. Les spirituels ne sont généra-lement pas des maîtres
logiciens ; ils évitent même toute origina-lité au
niveau des idées ou dans l’ordre des matières. Leur dessein et leur valeur sont autres : celui d’être des témoins et des guides avertis par
leur expérience propre assistée de celle acquise dans une fonction de
directeur.
Le parfum qui témoigne
de la réalité de l’expérience est donc rendu ici par des « extraits sensibles au cœur ». Nous
pouvons établir quelque parallèle avec le domaine poétique, où l’approche
anthologique est généralement acceptée ;
car les mots (essentiel-lement le vocabulaire de l’amour, assez pauvre dans notre langue) sont
communs à tous ; et l’essentiel, qui distingue les mystiques de la masse des « spirituels », tout
comme les bons poètes se dis-tinguent des versificateurs, passe entre
les mots.
La succession des
œuvres, les « perles
du collier », est proche de la séquence établie en comparant les dates de décès de leurs auteurs. Toutefois
quelques-uns d’entre eux ont préparé tôt un texte qui, ayant circulé, s’est
avéré source de problèmes — et ils s’en sont tenus là. Tel est le cas de Benoît
de Canfield : sa Règle ne
parut qu’en 1608, peu avant son décès, mais fut rédigée avant 1593. La majorité
des auteurs a répondu tardivement, souvent à la demande de certains fidèles qui
les entouraient, pour com-poser des textes publiés parfois après leur mort,
mais qui circu-laient auparavant par des copies manuscrites.
La juxtaposition des
figures ne permet pas de poser les bases d’une « école mystique » qui serait commune à tous, sinon par l’adoption de certaines formes où jouent les influences des théo-logies de « grands
anciens », tel Bonaventure. De telles
tentatives où l’on rassemble des individus dans des
écoles restent intellec-tuelles et extérieures (car basées sur les textes
écrits, voire des règles), donc secondaires au vu de l’orientation « intérieure » qui nous intéresse.
Nous constatons une
richesse concentrée au sein de quelques réseaux et discernons parfois des
filiations. La vie mystique est en effet grandement facilitée par les
influences qui relient une géné-ration « d’anciens » à la génération montante : elles s’exercent de personne à
personne au sein des réseaux,
dans ou hors des struc-tures, tandis que les influences indirectes par les
écrits demeurent des incitations utiles, mais secondaires (à l’exception de
corres-pondances qui doublent un lien personnel). Retrouver la trace de
filiations est une autre façon d’amorcer de futures synthèses associant les
figures individuelles.
Mais les nœuds propres
à de tels réseaux sont reliés diffici-lement entre eux pour plusieurs raisons,
même lorsque l’on a relevé de très nombreuses figures (environ quarante entrées
aux-quelles s’ajoutent de multiples figures intermédiaires citées). La durée
est longue si l’on inclut tous ceux qui ont connu le XVIIe siècle :
quatre générations se succèdent 4. L’espace est vaste, car il comprend les régions limitrophes francophones
du Royaume. Enfin, le grand nombre des franciscains du XVIIe siècle rend la reconnaissance entre mystiques
aléatoire. Nos auteurs restent donc, du moins à nos yeux, souvent isolés les
uns des autres, sauf quelques « paires » d’amis qui amorcent des filiations dont les autres chaînons sont perdus.
L’espace que nous
accorderons à chaque nœud ou figure est tantôt court, tantôt long. Cette
inégalité dans les volumes des textes retenus ne reflète pas toujours
l’importance que nous attri-buons à tel ou tel. Nous avons accordé plus
d’espace à des auteurs
4. Benoît de Canfield, capucin, est né en 1562 : c’est l’ancien,
l’initiateur célèbre par sa Règle (1608). À l’autre bout de la chaîne,
Alexandrin de La Ciotat, capucin, auteur du Parfait dénuement (1680),
meurt en 1706, et Maximien de Bernezay, récollet, auteur d’un beau Traité de
la vie intérieure (1686), pourrait lui avoir survécu.
|
|
dont les écrits
demeurent rares ou manuscrits. Les figures princi-pales bénéficient d’une
section séparée, quelle que soit la dimen-sion qui leur est allouée.
Si l’Anglais d’origine
Benoît de Canfield est reconnu assez largement, ou si le Rhéno-Flamand
Constantin de Barbanson a toujours bénéficié de la grande estime de trop rares
lecteurs, les mystiques que nous présentons à leurs côtés ne déméritent pas.
Des Français plus cachés, car tardifs dans l’histoire de leur « reli-gion », présentent l’avantage d’une écriture plus littéraire et claire que celles de Benoît ou de Constantin 5.
Ce panorama ne peut
être une « histoire de… », dans la mesure où des figures marquantes sont ici absentes quand
elles n’ont pas ou peu laissé de traces rédigées (tel est le cas d’Ange de
Joyeuse, contemporain de Benoît de Canfield). Surtout, notre orientation, qui
se veut mystique, laisse de côté ceux qui se limitent volon-tairement (ou non,
puisqu’un mystique ne cherche pas à réaliser une « œuvre » littéraire) aux premiers pas du pèlerinage en faisant la part belle à la méditation et à la préparation ascétique (les capucins de l’époque
sont champions dans ce domaine, même s’ils ne s’y attardent pas !)
Enfin nul doute que de nombreux tré-sors ne restent à découvrir, peut-être en
imprimé, certainement en manuscrit, et particulièrement dans le monde féminin.
Qu’entendons-nous par mystique ? Terme ambigu, dont l’usage fut souvent
détestable, tandis que spirituel recouvre un champ trop vaste.
Pour en cerner des
contenus, nous renvoyons à une liste de figures connues : avant l’an 1600, proposons, toutes apparte-nances confondues, les noms choisis de
Guillaume de Saint-Thierry, de François d’Assise et d’Angèle de Foligno, de Ruus-
5. Nous rétablissons aussi un équilibre souvent rompu entre les premiers arrivés, très favorisés dans les histoires de la spiritualité, et leurs successeurs souvent oubliés (car moins novateurs… ou jamais abordés en profondeur).
broec, de Tauler, de
l’auteur du Nuage d’inconnaissance, de Catherine de Gênes, de Thérèse
d’Avila et de Jean de la Croix… Cette liste privilégie la vie intérieure sobre
où les phénomènes ne font qu’accompagner l’entrée dans la vie mystique, telle
par exemple l’événement mis en avant par le « frère copiste » proche
d’Angèle de Foligno 6.
Dans le florilège que
nous proposons, un large champ religieux est écarté pour que puissent émerger
des auteurs dont l’expérience peut répondre aux besoins d’un chemin intérieur
déjà engagé. Les très nombreux textes ascétiques introductifs, ou bien chargés
par des descriptions de phénomènes, seront ignorés, même s’ils peuvent avoir été
rédigés par d’authentiques mystiques. Car ceux-ci répondent à la demande mais
ne la précèdent pas.
D’où vient l’unité
vécue sous-jacente à la diversité des condi-tions franciscaines ? Un franciscain récent explique 7 qu’en vue d’apporter une réponse au défi du temps jadis, celui de la
Réforme protestante, « par
une qualité plus élevée de la vie chrétienne
catholique », tous voulaient « faire un message de leur vie spiri-tuelle ». Mais au-delà de cette émulation, placée ici à un niveau honorable, quelques thèmes sont-ils récurrents chez nos auteurs ?
Dans une perspective
chrétienne, comme « l’homme est trop faible et trop insuffisant pour
aller tout droit à la volonté essen-tielle de Dieu, il a besoin de passer par
la médiation du Verbe incarné […] réalisation de cette volonté aimante de Dieu
sur sa créature ». Pour
un capucin comme Benoît de
Canfield, importe d’abord « l’aspect
mystique de la volonté de Dieu
dans cette iden-tification de la volonté de Dieu à Dieu lui-même ».
Le charisme particulier qui rassemble ceux inspirés par l’exemple de
François d’Assise, et qui est attesté dans des biographies de fran-
6 Angèle de Foligno, Le Livre de l’expérience des vrais fidèles, Droz, 1927, p. 53, « Dans la basilique d’Assise ». Notre anthologie privilégie ce qui est proche par l’es-prit des textes d’origine italienne assemblés en « parte terza » des Mistici francescani, secolo XIII, XIV, XV (trois ouvrages fondamentaux publiés aux Editrici Francescane).
7 Interview de Fr.
Willibrord figurant au début de « L’école
Saint-Honoré » du Fr. Godefroy de Paris,
Cahiers de spiritualité capucine, no 2, 1995, p. 10.
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ciscains de cœur comme
de bure, est celui de la « vertu
de pauvreté ». En témoigne Angèle de Foligno qui, après l’événement « excessif » de sa
rencontre avec l’Amour auquel nous venons de
faire réfé-rence, donne tous ses biens. La pauvreté matérielle demande une pauvreté du cœur
qui suppose la désappropriation du moi, mais qui n’est rendue possible que par
le don de la grâce divine. Elle répondait chez François d’Assise à la « disposition qui le maintenait dans la présence de Dieu et dans le sentiment de sa dépendance, avant d’être une série d’actes et
d’élévations » 8.
Dame Pauvreté est
servie dans la joie par une confiance qui répond à l’appel divin.
L’introduction
comporte une présentation synchronique en un tableau couvrant plus de vingt
figures datées, chacune accompagnée d’un titre d’œuvre également daté, qui
couvrent quatre générations.
Elle offre également
un survol rapide reliant le siècle de saint François (qui a été
traditionnellement fort bien étudié) au XVIIe siècle, qui, lui, resté ignoré !
Il relève quelques figures mystiques
fondatrices, pierres posées sur
un long chemin de près de
quatre siècles. Des liens directs entre
les figures, privilégiant
les plus récentes du XVIIe siècle, sont repris dans une table des
familles, agrémentée d’un arbre et suivie d’une esquisse de réseaux.
La majeure partie du
tome I est structurée autour des apparte-nances religieuses les plus
vénérables, en privilégiant leurs figures mystiques qui se succèdent au fil du
temps.
8. Dernières citations extraites du Dictionnaire de
spiritualité, tome 5, dont en colonne 1294 [DS 5.1294].
Les observants étaient nombreux, mais ne nous ont
apparem-ment guère laissé de traces mystiques. L’importante cohorte des « cordeliers » est ici
évoquée brièvement par deux figures : Pierre Petit est un ancêtre retenu parce qu’il exprime une dévotion populaire inchangée depuis
le Moyen Âge et largement vécue jusqu’à la fin du Grand Siècle ; Pierre David regrette l’indiffé-rence de ses
condisciples quant à leur intérieur.
Les tertiaires réguliers (Tiers Ordre régulier ou T.O.R.) et les tertiaires laïcs (T.O.) sont introduits par leur règle com-mentée… et
des billets de Noël :
un aspect sévère est ainsi tem-péré par l’humour.
Jean-Chrysostome de
Saint-Lô (1594-1646) est le plus grand de ceux que l’on nommait familièrement
tiercelins. Son œuvre est brève, rassemblée après sa mort par des disciples de
l’école normande de l’Ermitage fondée par Jean de Bernières, et éditée par ce
dernier. Nous donnons ici un choix de ce rigoureux direc-teur, après avoir
reconstitué partiellement le corpus de ses écrits.
Ses dirigés comptèrent
dans leurs rangs deux figures fortement marquées par des franciscains : le mystique Jean de Bernières (1602-1659), laïc du Tiers Ordre et Catherine (ou Mectilde) de
Bar (1614-1698), annonciade avant de devenir fondatrice bénédictine ; ils sont étroitement en relation. Celui
qu’ils appe-laient « notre
bon Père Chrysostome » contribua à faire naître un vaste réseau spirituel illustré en Nouvelle-France par l’ursuline Marie de l’Incarnation. Plus tard dans le siècle, Jean inspira par l’intermédiaire de Monsieur Bertot les belles
figures de Madame Guyon et de Fénelon.
Parmi les nombreux
disciples, le « pauvre
villageois » et tertiaire Jean Aumont
(1608-1689) est l’auteur de L’Ouverture
intérieure du royaume de l’Agneau occis dans nos cœurs (1660),
ouvrage parfois obscur, mais profond et savoureux. Cette vaste famille
d’inspira-tion franciscaine, s’étendant du Canada à la Pologne, dont nous ne
venons de citer que les principaux noms ayant laissé des écrits mystiques, est
regroupée ici sous le titre « L’École du cœur ».
Jean-Marie
de Vernon, historien du T.O.R. et ami d’Épictète, nous présente un recueil
aménagé à partir de lettres, élévations, défis, billets et documents spirituels
issus de la sœur carmélite (première) Marguerite du Saint-Sacrement (1590-1660)
ainsi qu’une attachante Mère Françoise de Saint-Bernard, clarisse.
Enfin Paulin d’Aumale
fut définiteur du T.O.R. Il nous est parvenu sous forme manuscrite quelques
traités de sa composi-tion, dont la Défense de l’oraison de pure foi,
devenue très néces-saire lorsque les auteurs dominants la fin du siècle font la
critique de toute « mystiquerie ».
Les récollets
sont bien présents, branche née de communautés où les récollections « en désert » prenaient une large place.
Des couvents avaient été désignés à cet effet en Espagne en vue « d’intérioriser » les
nombreux franciscains de la commune observance.
Séverin Rubéric est un
frère mineur « passeur » en France de cette réforme. Il est demeuré discret car quelque peu isolé en Guyenne. Il rédigea des Exercices (1623), un bref, mais beau texte. Le Chrétien
uni à Jésus-Christ au fond du cœur (1667), du récollet Victorin Aubertin
(1604-1669), décrit avec précision le vécu mystique de l’oraison. Éloy Hardouin
de Saint-Jacques (1612 ?-1661),
auteur d’une Conduite d’une âme
dans l’oraison depuis les premiers jusques aux plus sublimes degrez (1662),
se dis-tingue par son exposition très structurée, à laquelle on reproche-rait
peut-être trop de précision si nous en donnions l’intégralité. Elle vise à
l’union mystique.
Des extraits d’une
correspondance de direction présentent une figure qui, de par son appartenance
aux récollets est ici séparée de son inspirateur Jean Aumont, tertiaire
régulier : il s’agit d’Ar-change Enguerrand (1631-1699). De retour de l’Alverne, le lieu où se retira François stigmatisé, le « bon franciscain » éveilla
la jeune Madame Guyon à la vie intérieure. Ses lettres de direc-tion adressées
à une religieuse aux prises avec un tempérament scrupuleux et plongée dans la nuit
spirituelle sont restées jusqu’à maintenant manuscrites : elles méritent un meilleur sort. Maximien de Bernezay, l’auteur resté caché de Traités
de la vie intérieure (1685) ferme chronologiquement nos textes
écrits par des récollets. Il n’est cependant pas le dernier en qualité
intérieure !
Les frères mineurs
capucins formaient la cohorte
pre-mière en nombre devant celles de tous les autres ordres reli-gieux. Cette
réforme capucine est représentée ici par plusieurs maîtres des novices.
La lacune relative à
ce courant a été reconnue et soulignée par Henri Bremond, qui déclare dans son Histoire
littéraire du sentiment religieux : « Leur
juste place n’a pas encore été faite
aux capucins dans l’histoire de la renaissance que nous racon-tons », alors qu’« ils
ne le cèdent à personne, et néanmoins très peu les connaissent » 9. Bremond n’a pu
combler cette lacune, tant était large le domaine qu’il explorait, et son
exposé peut sembler parfois arbitraire quant à l’importance qu’il attribue à telle ou telle figure 10. Mais rares sont ceux
qui depuis font
9 Bremond, Histoire du sentiment religieux…, t. II, « L’invasion mystique », 142.
10 Ce défricheur de l’expression mystique de langue française, qui oriente encore de nos jours toute approche de synthèse du XVIIe siècle religieux, consacre environ soixante pages à l’humaniste Yves de Paris (sur lequel nous passerons rapidement), mais seulement quarante pages au groupe constitué d’Ange de Joyeuse, Benoît de Canfield et Joseph de Paris, tandis que Constantin de Barbanson, Jean-Chrysostome de Saint-Lô, Pierre de Poitiers (trois figures majeures) ne bénéficient d’aucun traite-ment propre… Paul de Lagny est approché en moins de vingt pages. Par contre une centaine de pages porte sur les influences des capucins, lorsque les récits peuvent en être savoureux : tel celui de la difficile réforme du couvent de Montmartre par Marie de Beauvilliers, les évocations des figures du « simple » Jean Aumont ou de membres bretons de l’école cordiale. Comparées aux quatre mille pages couvertes par le Senti-ment religieux, ces courtes excursions franciscaines soulignent le caractère hasardeux de la distribution proposée par le créateur de « l’école française de spiritualité » (ce dont il était conscient). Il est vrai que Sainte-Beuve concentrait toute l’histoire reli-gieuse autour du seul Port-Royal ! Concluons (même si le grand Bremond mérite une longue note) : la plus grande méfiance est ici, comme en bien d’autres domaines, justifiée vis-à-vis de tout canon ordonnant l’approche des siècles passés. Faut-il, en sceptiques, penser que « cette notion des œuvres du passé est tout à fait illusoire […], mince sélection spécieuse, basée sur des vogues qui ont prévalu dans l’esprit des clercs » ? (Citation empruntée à P. Ryckmans, placée en tête de son Su Renshan rebelle, peintre et fou, Paris-Hong Kong, 1970.)
revivre
par leurs travaux des auteurs ne figurant pas dans son exploration qui reste
inégalée.
Le trésor s’ouvre sur
des extraits de la Règle de Benoît de Can-field, lue tout au long du
siècle dans sa version corrigée de 1609. Des extraits de Constantin de
Barbanson et d’autres capucins jusqu’à ceux de l’auteur du vaste traité
intitulé Le Jour mys-tique, trésor capucin publié en 1671, exposent les
couleurs de la lumière intérieure. Mais à la fin du siècle la source
capucine est tarie 11. Son courant a circulé en France un siècle
durant (c.1580 à c.1680), aux côtés de celui de la quiétude, de ceux des deux
Car-mels, dont on connaît surtout celui issu de la réforme espagnole illustrée
par Thérèse d’Avila et Jean de la Croix, et de quelques filets d’eau mystique
coulant chez les bénédictins, les jésuites, les sulpiciens. Plus précisément on
distingue trois « périodes » :
La liste des fondateurs commence par Benoît de Canfield, dont la Règle
(1608) est largement citée, avec un choix effectué surtout sur sa troisième
partie, sommet de l’œuvre :
nous repro-duisons assez largement des textes extraits de l’édition corrigée qui fit autorité durant
le siècle 12. Nous lui associons
une béné-dictine, la réformatrice de Montmartre Marie de Beauvilliers, car elle
exprime simplement son enseignement.
Archange de Pembroke a
dirigé la Mère Angélique Arnauld. Le « Père Joseph » mérite mieux que d’être seulement reconnu comme « l’éminence grise » de Richelieu.
11 Tarie ? Ou cachée par suite de l’anti-mysticisme régnant ! La figure spiri-tuelle d’Ambroise de Lombez († 1778) offre une exception au siècle des Lumières. Nous lui consacrerons exceptionnellement une notice pour ne pas laisser dans l’oubli ce capucin « tardif » précédant de peu la fin de l’Ancien Régime (tome III, « Un regard sur les héritiers »).
12 Les quinze chapitres essentiels de la troisième et dernière partie sont dispo-nibles suivant leur première version non corrigée et demeurée largement ignorée au XVIIe siècle : Benoît de Canfield, La Règle de perfection, quinze chapitres…, Arfuyen, 2009. L’ouvrage entier, beaucoup plus large, bénéficie de l’édition cri-tique magistrale, malheureusement devenue introuvable et de lecture difficile, réa-lisée par Jean Orcibal.
L’Exercice des trois clous (1635) de Martial d’Étampes mérite de même mieux que ce que son
titre pourrait suggérer à tort d’ascèse excessive : l’étrange référence aux clous s’explique simplement par le
titre canonique de « filles
de la Passion » qui fut
donné aux capucines d’Amiens, dont Martial était le confesseur. Quelques citations
extraites de lettres et le Traité du silence soulignent la ferme douceur
du directeur 13.
La Vraie Perfection (1635 à 1660) de Jean-François de Reims prend
naturellement le relais. Cet auteur organisé et abondant, disciple de Martial,
améliore sur vingt ans un ouvrage dont le volume est quadruplé… tout en
conservant le même titre 14 !
Enfin cinq figures de
capucins spirituels plutôt que mystiques complètent et prolongent cette « première vague » capucine.
Une extension européenne groupe trois figures étrangères de larges influences qui, par hasard ou sous l’effet d’une latence dans la
diffusion capucine en Europe, s’avèrent être presque contem-poraines. Elles se
retrouvent ainsi naturellement regroupées après les fondateurs ou « défricheurs », mais avant les avocats « défen-seurs » de la mystique :
Gregorio da Napoli
(1577-1641), quasi-inconnu dont un manuscrit fut redécouvert récemment, établit
dignement une suite aux grands fondateurs capucins italiens et nous permet
ainsi d’honorer leur pays d’origine. De brefs extraits traduits de son texte
rendent compte d’un lyrisme transalpin.
Constantin de
Barbanson (1582-1631) est présenté large-ment compte tenu de sa grande
importance et de la rareté des sources. Des extraits reêmarquables (jamais
édités) du manuscrit
13 Un précédent volume de la collection « Sources mystiques » livre l’essentiel de l’œuvre mystique : Martial d’Étampes maître en oraison, textes présentés par José-phine Fransen et Dominique Tronc, éd. du Carmel, 2008.
14 Ce point illustre la nécessité de décrire
précisément les diverses éditions mises en circulation sous un même titre au
XVIIe siècle (un autre exemple
bien connu est offert par les libres compilations du Chrétien intérieur
exploitant la cor-respondance de Jean de Bernières). S’ajoutent les libertés
prises lors d’assemblages reliés par lots successifs dont les contenus peuvent
différer.
intitulé Secrets
sentiers de l’esprit divin précèdent deux chapitres des Secrets sentiers
de l’amour divin (1623). Nous avons dû sacri-fier ici l’Anatomie de
l’âme (1635), imposante merveille jamais rééditée depuis les années où
l’anatomiste Harvey découvrait la circulation du sang… Constantin est un auteur
difficile, à talent métaphysique, muni d’une vaste culture, ayant accès aux
auteurs d’Outre-Rhin. Il présente des observations que l’on ne trouve nulle
part ailleurs. L’influence de Constantin fut notable sur le spirituel anglais
bénédictin Augustin Baker 15, comme sur des religieuses capucines de Douai.
Le Royaume de Dieu
dans l’âme de Jean-Évangéliste
de Bois-le-Duc (1588-1635), écrit et publié en flamand en 1637, lui mérita
l’insigne surnom de « Jean
de la Croix flamand ». Nous
en présen-tons trois chapitres
traduits ici pour la première fois.
Suivent des défenseurs du vécu
mystique, capucins qui
assu-rèrent la tâche périlleuse d’être avocats de la vie mystique dans un
second demi-siècle devenu critique vis-à-vis de tout « irrationnel ».
Simon de Bourg-en-Bresse, auteur de Saintes Eslevations de l’âme à
Dieu par tous les degrez d’oraison (1657), est un optimiste qui nous
éveille à la possibilité d’atteindre « tout le blanc 16 et le but ». Peu augustinien, point
théoricien, c’est un bon médecin
spirituel.
Pierre de Poitiers est
l’auteur du Jour mystique (1671), remarquable et très ample traité qui
s’avère par ailleurs être l’une des références fréquemment citées dans les Justifications
de Madame Guyon. Nous en avons sélectionné des frag-ments présentant la voie
mystique. Cette somme claire, com-plète, profonde, apportant toute la lumière
nécessaire pour
15 Second cas de symbiose entre les ordres capucins et bénédictins, après l’in-fluence de Canfield sur Marie de Beauvilliers. Nous laissons de côté Baker à l’œuvre multiforme, latine et anglaise, alors que nous avons repris une partie de l’ouvrage de Marie de Beauvilliers associée à Benoît de Canfield.
16 D’une cible.
la
défense des mystiques 17, achèverait-elle la série des grands ouvrages
didactiques de théologie mystique ?
Paul de Lagny,
missionnaire capucin au Levant, termina sa vie à Paris au service des pauvres.
Il est remarquable par son dernier ouvrage, Le Chemin abrégé de la
perfection chrétienne (1673).
Alexandrin de La
Ciotat est un frère mineur capucin qui rem-plit la charge de gardien dans
plusieurs couvents de Marseille ou de sa région. Son ouvrage unique, Le
Parfait Dénuement de l’âme contemplative… (1680) fut apprécié par
son ami le Père Piny, méditerranéen comme lui.
La moitié du genre
humain a été occultée jusqu’ici (à l’exception de la bénédictine disciple de
Benoît de Canfield) :
nous réparons cette injustice en présentant quelques figures franciscaines qui appartenaient aux communautés des
clarisses, des capucines, des récollettes, des annonciades. Malheureusement,
l’usage d’éditer leurs écrits apparaissait contraire à l’esprit de pauvreté 18, tandis que l’exploration
de fonds manuscrits reste à faire.
L’ordre des minimes est présent. Nous ne voulions pas oublier ces
« cousins » de la famille franciscaine auxquels, trop peu
nom-breux, on ne pourrait consacrer un volume séparé. Mersenne fut l’intellectuel illustre. Mais l’ordre inclut des spirituels comme le « frère poète » Nicolas Barré, dont les manuscrits ont été redé-couverts récemment, ou comme Boniface
Maes, un flamand qui
17 Seul le bénédictin de Saint-Maur dom Claude Martin, fils de Marie de l’Incarnation du Canada, semble apporter à la même époque des éléments de valeur comparable (Questions ascétiques ainsi qu’une ébauche de défense des mys-tiques (ébauche en 1696 d’un Traité de la contemplation), au-delà du service insigne d’avoir sauvé les écrits de sa mère. Voir Claude Martin, Les Voies de la prière contem-plative, textes réunis et présentés par dom Thierry Barbeau, Solesmes, 2005.
18 On sait
qu’il n’en fut pas de même chez les carmélites, où les « dits » ou de « bonnes pages » de Madame Acarie, de la Mère Madeleine de Saint-Joseph, ainsi que de
certaines religieuses, même
mortes fort jeunes, furent partiellement édités dès le XVIIe siècle.
exerça
une large influence par sa brève Théologie mystique (1668) ; elle est présentée en termes certes
traditionnels, mais simples, clairs et attirants.
Un regard sur les héritiers prolonge jusqu’en 1789 une tra-dition stabilisée, en incluant deux
spirituels qui sinon demeu-reraient peut-être oubliés, et en soulignant
l’existence de suc-cesseurs d’une École du cœur déjà abordée. Car le crépuscule
des mystiques 19 est à interpréter comme sortie d’une langue et d’un corps de
croyances plutôt que du vécu d’une réalité divine.
Le cadre historique nous
permet d’entrevoir le cadre et les conditions dans lesquelles vécurent nos mystiques : trois études complètent le florilège.
Jean-Marie Gourvil
propose un aperçu de sociologue. Dans Un Grand
Siècle franciscain à Paris (1574-1689),
Pierre Morac-chini défriche la complexité d’un ensemble de communautés bien
vivantes dans la capitale du premier état centralisé d’Europe, sans négliger
des détails révélateurs d’influences modelant les individus. Son exploration se
conclut par un tableau très neuf classant les communautés franciscaines
établies à Paris au milieu du siècle. Une exploration du nécrologe franciscain couvrant la région d’Île-de-France
livre des extraits biographiques.
L’annexe Turba magna suggère l’immensité au sein de laquelle se
détache la toute petite minorité des figures retenues. Elle fournit des listes
d’auteurs franciscains consultés pour retenir dans ce florilège de rares
témoignages mystiques.
19. Début, devenu célèbre, du titre de l’ouvrage centré sur la figure de Madame Guyon : L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet-Fénelon, Desclée, 1958. Il sug-gère une interprétation réductrice de la vie mystique perçuecomme dépendante d’une hiérarchie dionysienne devenue caduque.
Premier quart de
siècle
Benoît de Canfield
(1562-1610)
Règle (1608-1609)
De 1623 à 1637
(deuxième quart du XVIIe siècle)
[Marie de Beauvilliers (1574-1657)
Exercice divin (1631)]
Gregorio da Napoli
La Doctrine admirable (c. 1622)
Constantin de
Barbanson (1582-1631)
Secrets Sentiers (1623), Anatomie
de l’âme (1635)
Martial d’Étampes
(1575-1635)
Traité très facile (1630),
L’Exercice des trois clous (1635)
Jean-François de Reims
(?-1660)
La Vraie Perfection (1635)
Jean-Évangéliste de
Bois-le-Duc (1588-1635)
Het Ryck Godts…/The Kingdome of God in the Soule (1637/9)
Séverin Rubéric (†
apr. 1625)
La Voie d’amour (1623
De 1651 à 1673
(troisième quart de siècle)
Jean-Chrysostome de
Saint-Lô (1594-1646)
Une anthologie spirituelle (1651), La Vertu d’abjection (1655)
[Jean de Bernières (1602-1659), laïc du Tiers
Ordre
Le Chrétien intérieur (1660), Œuvres
spirituelles (1671)]
Simon
de Bourg-en-Bresse († 1694)
Saintes Eslevations de l’âme à Dieu par tous les degrez d’Oraison (1657)
Le « pauvre villageois » Jean Aumont († 1689)
L’Agneau occis dans nos cœurs… (1660)
Le « bon franciscain » récollet Archange Enguerrand (1631-1699)
Œuvres et lettres (manuscrits)
Eloy Hardouin de
Saint-Jacques (1612 ?-1661)
Conduite d’une âme dans l’oraison (1661)
[Le « frère minime et poète » Nicolas Barré (1621-1686)
Poèmes (manuscrits)]
Victorin Aubertin
(1604-1669)
Le Chrétien uni à Jésus-Christ au fond du cœur (1667)
[Boniface Maes (1627-1706)
Théologie mystique (1668)]
Pierre de Poitiers (†
1683)
Le Jour mystique (1671)
Paul de Lagny († 1694)
Le Chemin abrégé de la perfection (1673)
Dernier quart de siècle
Alexandrin de La
Ciotat
Le parfait dénuement…
(1680)
Maximien de Bernezay
Traités de la vie intérieure (1685)
Jean-Marie de Vernon († apr. 1686)
Conduite chrétienne et religieuse… (1687)
Paulin d’Aumale
Discours du Dieu seul (c. 1690 ?)
Les franciscains sont
répartis en multiples branches, dont nous allons retrouver certaines fortes
actives au XVIIe siècle : il s’agit des tertiaires réguliers,
des récollets, des capucins. Une
telle diversification en plusieurs « religions » ne s’est pas faite sans peine, mais elle démontre la vitalité du
grand mouvement issu de François d’Assise.
L’évocation de
quelques figures attachantes des XVe
et XVIe siècles — nous omettons les grandes figures
fondatrices anté-rieures du XIIIe
siècle, si intensément étudiées qu’elles font méconnaître les suivantes —
illustre le thème dominant qui caractérise la spiritualité franciscaine : une pauvreté ascétique, mais vécue dans la joie. Des individualités diverses et fortes sont les ouvriers d’une
renaissance franciscaine multiforme qui suc-cède à la période troublée et en
déclin du XIVe siècle 20.
Nous avons retenu les
figures suivantes :
Harphius (1400-1477), dont l’influence
considérable transmettra au XVIIe siècle la mystique flamande de Ruusbroec
(1293-1381) ; une figure
ita-lienne, le fondateur des minimes François de Paule (1416-1507), parce que nous inclurons des minimes ; des figures espagnoles, dont le frère laïc médecin Bernardino de Laredo
(1482-c.1540), et le rénovateur des conventuels déchaussés Pierre d’Alcantara
(1499-1562), apprécié de Thérèse d’Avila.
Le réseau des
influences qui sous-tend l’« invasion
mystique » de la France se constitue
avant même la fin de l’affrontement au sein du Royaume entre
catholiques et réformés. Les pénétrations viennent d’Italie en ce qui concerne
l’implantation des capucins et des tertiaires réguliers ; d’Espagne, semble-t-il, par les récollets qui s’implantent dans le Sud-Ouest,
par la réforme carmélitaine
20. Le terme de déclin voire de décadence est utile et
résume une première appréciation globalement juste. On a cependant pu donner
pour titre à l’étude de la littérature spirituelle de Gerson à Lefèvre
d’Étaples (deuxième moitié du XIVe
s. et début du XVe s.) : Le Siècle d’or
de la mystique française :
un autre regard (Y. Masur-Matursevich, Archè, 2004).
liée
aux « déserts »
franciscains et précisément à Pierre d’Alcantara ; enfin des plaines nordiques rhéno-flamandes, par l’intermédiaire de nombreux livres traduits par des chartreux ou par des laïcs.
Une table des familles
franciscaines et de leurs influences donnée à la fin de cet aperçu
rappelle quelques grands noms précédant l’an 1600, puis situe par générations
de trente ans les auteurs que nous présenterons (ils sont alors soulignés),
accompagnés de quelques-unes des figures qui ont bénéficié de leur influence.
Les francis-cains ont donné naissance à de nombreuses branches, dont les trois
vivantes du point de vue mystique au XVIIe siècle sont les capu-cins, les tertiaires (réguliers et séculiers), les
récollets. Les minimes sont des cousins de la famille franciscaine. La table
est suivie d’un arbre des réformes de l’Ordre des frères mineurs qui appartient
à l’imagerie pittoresque des
représentations traditionnelles. Le faîte d’un robuste chêne enraciné sur six
vertus est constitué par la branche capucine, dont les membres seront les
franciscains les plus actifs en France au XVIIe
siècle.
Après la mort de François d’Assise en 1226
apparaissent deux tendances, celle des « Spirituels », qui
veulent maintenir l’idéal de perfection du fondateur, et celle de la « Communauté », tendance majoritaire qui n’observe plus littéralement
sa Règle et son Testa-ment, favorise la fondation de grands
couvents et assouplit la pra-tique de la pauvreté. Bien des problèmes pratiques
s’opposaient en effet à la stricte pauvreté matérielle, sans compter la sirène
attirante de l’étude intellectuelle. Le règne « efficace » de frère Élie, de 1232 à
1239, n’arrangea
rien. Celui, sensé, de saint Bonaventure, de 1257 à 1274, ne put récupérer une
situation tendue 21.
En 1282 on relève plus
de quarante mille religieux répartis en près de mille six cents maisons, ce qui
n’est plus compatible avec
21. P. GRATIEN, Histoire de la fondation et de l’évolution de l’Ordre des Frères mineurs au XIIIe siècle, 1928. L. IRIARTE, Histoire du franciscanisme, traduction, Cerf, 2004 et G.G. MERLO, Au nom de saint François, histoire des frères mineurs et du franciscanisme jusqu’au début du XVIIe siècle, traduction, Cerf, 2006.l’idéal des débuts et conduit à une organisation rigide. L’affron-tement entre « idéalistes » et « réalistes » est tranché en faveur de la « Communauté » par Jean XXII, le pape sous lequel eut lieu le procès d’Eckhart ; la situation pouvait être réglée pacifiquement par une division de l’Ordre, ce qui se produira plus tard.
Quatre figures
illustrent l’apogée franciscaine. Deux théologiens : Bonaventure (1221-1274), auteur d’un corpus abondant auquel appartient l’Incendium
amoris exposant la triple voie 22 et Raymond Lulle (1232-1316), voyageur à la
vie mouvementée, auteur lyrique aussi bien que théorique quelque peu négligé
aujourd’hui 23. Deux mystiques :
Jacopone da Todi (c. 1236-1306), procureur légal et notarial, pénitent
après la mort brutale de sa jeune femme,
franciscain proche des spirituels, excommunié, emprisonné, retiré près d’un
couvent de clarisses, est l’auteur le plus admiré de Laudes, forme
poétique ouverte par le Cantique des créatures de François 24 ;
Angèle de Foligno (1248-1309) dictera le récit de sa vie à frère Arnaud,
franciscain, selon des « pas » ou étapes intérieures ; deux périodes sont séparées par une expérience très forte d’amour divin survenue lors d’un voyage à Assise en 1291 et suivie de son entrée dans le Tiers Ordre 25.
22 Dict. de spir. [DS] 1.1768/1843 (E. Longpré) ; Saint Bonaventure, pré-senté par V.-M. BRETON, Aubier, 1943 ; Dizionario Bonaventuriano…, a cura di Ernesto Caroli, Editrici Francescane, 2008. Immense bibliographie.
23 DS 13.171/187 ; Ramon Llull, Obres essencials, Ed. Selecta, Barcelona, 2 vol., 1957 (outre l’attachant Libre d’Evast e d’Aloma e de Blanquerna, on peut se perdre au sein des immenses Arbre de ciencia et Libre de contemplacio).
24 Jacopone de Todi, Chants de pauvreté, trad. S. et I. Mangano, Arfuyen, Paris, 1994 (v. avant-propos, p. 7-13 et l’éd. bilingue de huit laudes) ; J. PACHEU, Jacopone de Todi…, Tralin, 1914 (éd. bilingue de très nombreuses laudes, transli-térée, facilitant le retour au texte par ailleurs modernisé) ; Iacopone da Todi, Laude, reprint a cura di Franco Mancini, Laterza, 1977 ; DS 8.20-26.
Puis la société
européenne est troublée par l’arrivée de la peste au milieu du XIVe siècle et par le schisme avignonnais : l’Ordre franciscain connaît la
stagnation.
Aux conventuels,
terme qui désigne ceux qui adaptent l’idéal de pauvreté aux contingences
permettant l’organisation de la crois-sante foule franciscaine des débuts, vont
être opposés les obser-vants, qui « s’unissent pour restaurer l’ordre dans son observance primitive et
sa splendeur », avec des méthodes diverses « donnant la préférence aux couvents pauvres et
écartés ». Cette dichotomie rend
compte trop brutalement d’une
grande complexité, car des réformes se font au sein des conventuels,
tandis que certains de leurs couvents deviennent observants 26. Il faut y ajouter la
circu-lation des personnes.
En France, un
mouvement de réforme naît au sein des conven-tuels et se développe sous
l’impulsion de sainte Colette († 1448). En Espagne, l’un des foyers
animés par Juan de Guadalupe († 1506) sera à l’origine des franciscains « déchaux », aux ten-dances érémitiques et pénitentielles.
En 1517, veille de l’expansion
luthérienne, on compte pour l’Europe environ vingt-cinq milles conventuels
et trente-deux mille observants, formant deux immenses familles
autonomes. Le corps des observants se divise à son tour, signe d’une
nouvelle poussée vitale.
Au terme d’un tel processus, la complexité issue d’une longue histoire interdit d’y trouver quelque classement ou « botanique » qui s’imposerait. Les dates de décisions juridiques traduisent en effet mal la réalité des réformes. Une filiation linéaire n’est évi-demment pas possible. Le schéma retenu dépend de l’apparte-nance de son auteur (par exemple, suivant l’image traditionnelle donnée à la fin de ce chapitre d’un arbre branchu et feuillu, le
26. De même, au Carmel, la réforme « externalisée » des déchaussés n’exclut pas celle des grands
carmes, demeurée interne à l’Ordre, dans la réforme
dite de Touraine.
faîte capucin
ne s’impose pas). Enfin les représentations gra-phiques changent selon le degré
de résolution recherchée. Adoptons
malgré tout, pour situer quelques-unes des appel-lations à l’intention d’un
lecteur non franciscain, une approche selon six familles 27 :
trois premières familles dérivent des obser-vants et se développent
fortement en Espagne où, à des influences de spirituels d’Italie
ou du Languedoc, en particulier d’Ubertin de Casale, succèdent celles de
franciscains du Nord, en particu-lier celle de Herp (Harphius), le « passeur » de
Ruusbroec 28 :
les déchaux
s’organisent autour de diverses figures dont l’es-pagnol Pierre d’Alcantara (†
1562) ;
les réformés
sont liés aux « déserts » ou
maisons de solitude ;
les récollets
prospèrent bientôt en Italie et France puis en Flandres et Allemagne.
À ces familles
dérivées des observants s’ajoutent trois autres branches :
les conventuels
perdent progressivement de leur importance :
restés nombreux en Allemagne et en
Europe centrale, ils furent très réduits par la réforme luthérienne ;
la famille des capucins,
née en Italie autour de 1520, donc postérieurement à la grande division entre
observants et conven-tuels, comprendra plus de trois mille frères répartis en
trois cents couvents avant même de franchir les Alpes en 1574 pour s’illus-trer
en France. Il s’est produit un croisement d’influences avec le mystique
Philippe Néri et son Oratoire romain. En Rhénanie et en Flandres, l’essor
capucin culminera dans la grande figure de Constantin de Barbanson. En France,
il s’étendra sur plusieurs générations, dont se détachent les figures mystiques
de Benoît de Canfield, Martial d’Étampes, Pierre de Poitiers… Cette réforme
peuple notre second tome.
DS 5.1304/14 (art. « Frères mineurs. II. Fondations et réformes franciscaines »).
DS 5.1359/67.
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Enfin, des mouvements
aux règles plus souples se main-tiennent depuis l’origine :
6. les tertiaires
ont mené tout d’abord comme laïcs une vie à part des autres branches. Certains
sont à l’origine de nouvelles pousses qui ne sont plus alors directement
rattachées à l’ordre franciscain, mais font partie de sa nébuleuse. D’autres
rentrèrent au sein d’un monde ecclésiastique soucieux de veiller au bon ordre
catholique : il s’agit des tertiaires réguliers 29. En Italie, les tertiaires
constituent une branche très vivante, car ils sont libres d’adapter
leur mode de vie à de nouvelles conditions sociales du fait de leur règle
souple : celle-ci est adoptée par les esprits indé-pendants comme Catherine
de Gênes (1447-1510).
Les liens qui existent
entre franciscains de ces diverses espèces constituent une limitation à toute
tentative de rendre compte de leur vie interne par quelque structure simple ; ainsi en Espagne, Osuna, Laredo, etc.,
accueillent à la fois les influences de spirituels méditerranéens, en
particulier d’Ubertin de Casale, et celle de franciscains du Nord de l’Europe,
dont van Herp (Harphius) 30.
Évoquons quelques
individualités mystiques influentes ita-liennes puis espagnoles,
parentes de l’arrivée de missionnaires en France. Elles illustrent l’esprit qui
anime les franciscains.
Henri van Herp ou
Harphius (1400-1477), le « héraut de Ruusbroec », entre chez les frères de la vie commune
à Delft en 1445. On lui offre une maison à Gouda dont il devient le pre-mier
recteur : il organise avec succès des conférences spirituelles et fait bâtir cinq
ou six cellules pour les frères et
les hôtes. En 1450, frappé par le renouveau franciscain lors d’un voyage
à Rome, il se fait frère mineur franciscain et est actif à Malines près de
Bruxelles, et à Anvers :
la province s’accroît ainsi de trois
29. DS
5.1381/7 ; Analecta T.O.R. 152 (1992) ; Histoire générale
et particulière du Tiers Ordre de saint François d’Assize, par le
R.P. Jean Marie de VERNON, 1667.
30. DS 5.1359/67.
ou
quatre nouveaux couvents. Il meurt gardien du couvent de Malines. « Sa doctrine spirituelle serait en retrait par
rapport à celle de Ruusbroec si l’on suit l’édition postérieure à la cen-sure romaine : il semblerait abandonner l’opinion de Ruusbroec selon laquelle, lorsque
dans la vie suressentielle “l’union sans différence” est atteinte, l’âme demeure habituellement dans la Divinité, et en sort pour agir d’une manière parallèle à celle des Personnes divines 31. »
Son œuvre maîtresse, Le
Miroir [Spieghel] de la perfection, fut traduite en latin par un chartreux
de Cologne en 1536 ;
la Theo-logia mystica est un recueil d’œuvres rassemblées par ses
disciples, dont la troisième partie, « l’Éden », semble être une belle prépara-tion au Spieghel. Sa savoureuse
traduction française du début du XVIIe siècle mériterait d’être de
nouveau rendue disponible 32. Il traite
magnifiquement de l’amour de conformation :
[656] La flamme de la charité ne veut laisser aucun entre-deux
entre soi et l’aimé. […] [683] Le conformé, donc, imitant jalousement son
conformant, s’approfondit en Dieu par chacun moment, et étant fait un avec
Dieu, habite toujours en unité. […] Il semble néanmoins à quelques-uns […]
qu’ils n’aiment point Dieu et ne se reposent en lui ; mais l’amour est cause de cette apparence ; car quand ils désirent aimer plus intensivement qu’il ne leur est permis par leurs propres forces, et qu’ils viennent à défaillir à
leur amour, ils se plaignent de ne point aimer.
Secondement, par l’envoi des rayons de ce don [d’amour], notre
esprit est illuminé intellectuellement et nous enseigne à considérer notre
noblesse. […] [685] Dieu opère en nous premièrement devant tous autres dons, et
toutefois est le dernier de tous, connu et senti de nous en sa propre nature.
DS 7.358 (v. DS, 7.346/66, art. « Herp »). Sur les termes « essentiel », etc.,
DS 4.1346/66
(Deblaere).
Harphius, Théologie mystique…, traduction (sur
l’édition postérieure à la censure romaine) par J.-B. de MACHAULT, Paris, 1616,
« Livre troisième intitulé […] paradis des
Contemplatifs », 622-847, à laquelle nous empruntons les
cita-tions (pagination indiquée
entre crochets).
Car après être devenus simples d’esprit, chômant d’action,
dénués de toutes images, immobiles, libres, morts à nous-mêmes, vivants à Dieu,
nous avons ainsi cherché Dieu […] nous sentons la descente des grâces […] en ce
renouvellement d’attouchement, l’esprit humain tombe en famine.
L’affection amoureuse est plus importante que l’entende-ment.
L’accès à la vie mystique est préparé par l’oraison aspi-rative, prière courte
et intense, menée en quatre pas :
s’offrir à Dieu totalement, requérir la volonté divine de se manifester afin que
l’âme se connaisse, se
conformer lorsque le feu de l’amour
s’allume dans le cœur et consume les défectuosités, s’unir à la volonté divine en y déversant
la sienne 33.
Harphius évoque avec
lyrisme l’union mystique :
[715] L’esprit et l’âme
ne sont qu’une même substance. […] L’esprit humain est quelquefois tant
soustrait du corps et de l’âme […] qu’il oublie tout ce qui est extérieur et
pareillement ignore ce qui se fait […] par mémoire ou entendement. […] [720] Ami,
montez plus haut. Le monter est le progrès en l’amour divin, qui est un
abîme sans borne.
Son influence fut très
large. Elle s’exerce (en parallèle avec celle de Ruusbroec) par l’intermédiaire
de La Perle évangélique. En Espagne, il influence Osuna, franciscain
comme lui, lu par Thérèse. Au XVIIe
siècle, il est reconnu par Constantin de Bar-banson et par Benoît de Canfield,
par des chartreux et des capu-cins, par le carme Jean de Saint -Samson ; plus tard le pasteur Poiret appréciera Herp et le fera connaître par une Bibliotheca mysticorum (1708)
qui aura une grande influence sur des Écos-sais et des piétistes allemands 34.
C. JANSSEN, « L’Oraison aspirative chez Herp », Carmelus, 1956, vol. III, 47.
DS 7.361/4. – Deuxième section de la « Lettre sur les principes et les carac-tères des principaux auteurs mystiques », P. POIRET, Ecrits sur la Théologie mys-tique, Grenoble, Millon, 2005, 139-141.
François de Paule
(1416-1507), Calabrais qui a passé un an chez les franciscains à l’âge de douze
ans puis s’est rendu à Assise, adopte la vie érémitique dès l’âge de quatorze
ans. Il vit dans la montagne, puis des compagnons le rejoignent, qu’il appelle
« les ermites de saint
François d’Assise », mais
sans qu’on puisse voir en ce fonda-teur
indépendant de dix-neuf ans un réformateur franciscain. Il restera simple frère
laïc, même lorsque, devenu célèbre, il sera tenu de venir jusqu’à la cour de
France en 1483. Les minimes ont pour origine les ermites groupés autour de lui
dès 1450. Ils sont progres-sivement « normalisés » par
trois règles successives 35.
La vue selon laquelle
les franciscains sont les premiers acteurs d’une renaissance mystique au sein
de l’Espagne devenue exclu-sivement catholique est recevable (mais les sources
sont des plus diverses dans ce creuset arabo-judéo-chrétien). Francisco de
Osuna (c. 1492-1540) est un auteur prolixe dans sa rédaction de la Ley de
amor santo (ou Cuarto abecedario) 36. Sa renommée béné-ficie de la conjonction de
trois causes : une production
quanti-tativement importante pendant la période charnière entourant la date de la
condamnation des Alumbrados, la lecture du Tercer abecedario par
la jeune Teresa, une ferme structure théologique 37.
DS 5.1040/51 (François de Paule), DS 10.1239/55 (Minimes). Alessandro GALUZZI, Origini dell’ordine dei Minimi, Rome, 1967 (« Corona Laterensis », 11) ; Benoist Pierre et André Vauchez, Saint François de Paule et les Minimes, en France de la fin du XVe au XVIIIe siècle, Coll. « Perspectives historiques », Presses Universitaires François-Rabelais, 2010.
DS 11. 1037/51, art. « Osuna » par Melchiades ANDRES. Éditions acces-sibles : Francisco de Osuna, Tercer abecedario espiritual, B.A.C., 1972 (v. « Intro-duccion general » du même Melchiades ANDRES, 1-117, suivie du Tercer abece-dario, 118 à 644) ; Misticos Franciscanos Espanoles [M.F.E], B.A.C., vol. I, 1948, Cuarte abecedario ou Ley de amor santo, 217 à 684.
Crisogono de Jesús,
grand historien du Carmel, le préfère à Bernardino de Laredo, probablement pour
cette fermeté structurelle : v. M.F.E., II, 1933, p. 24,
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Pour Miguel de Medina (1489-1578), Dios no tiene necesidad
de nadie, « Dieu
n’a besoin de recourir à quiconque » : tout est dit 38 ! Alonso de Madrid
(c. 1535) est un auteur attachant dans
son Arte para servir a Dios 39 qui souligne l’amour de Dieu, « un feu voulu par Dieu, qui toujours brûle sur son autel qui est notre âme 40 », et l’amour du prochain, comparable à
l’adoption d’un « enfant
aimé de son père 41 ».
Bernardino de Laredo
(1482-c.1540) célèbre le chant de l’amour pur, particulièrement dans la
troisième partie de la Subida del Monte Sion, selon sa version revue de
1538 42.
Mais, outre la difficulté posée par une langue encore primitive, sa
rédac-tion présente peu de formules remarquables se prêtant à de belles
citations. Par contre sa lecture induit lentement un état de paix : la lecture du chapitre xvii de la troisième partie de la Subida del Monte Sion
tira Teresa de sa perplexité quant à l’absence de toute pensée dans
l’oraison de quiétude. En effet, pour Bernar-dino, « Dieu lui-même impose le repos à nos
facultés. Bien plus, l’auteur soutient la possibilité de l’amour sans nulle connaissance ni nul antécédent 43 ».
De petite noblesse,
Laredo fut d’abord page, puis fit des études variées, enfin entra à vingt-huit
ans chez les franciscains. Il publia deux ouvrages de médecine. Il restera
frère laïc, attaché à un cou-vent situé à une trentaine de kilomètres de
Séville, infirmier pour
note. On peut se demander si cela n’est pas dû au
titre de l’œuvre de Laredo, Subida del monte Sion, qui souffre
d’une comparaison involontaire avec le chef-d’œuvre postérieur de Jean
de la Croix, de nom similaire. Les objectifs des deux textes sont en fait
distincts, ce qui préserve à nos yeux tout l’intérêt de la première Subida.
DS 10.904/5 ; Œuvre dans : Misticos franciscanos espanoles, vol. I, B.A.C, 1948 ; v. page 818 sur la « Infancia espiritual », ainsi que sa critique des ascètes, 772-775 : Y al fin triunfa de ellos un vano deseo de mandar a los otros, « en eux triomphe
la fin un vain
désir de commander les autres » : un Nicolas Doria opprimera Jean de la Croix.
DS 1.389/91 ; Misticos…, vol. I, « Arte para servir a Dios ».
Ibid., p. 158.
Ibid., p. 175.
DS 9.277/81 ; Misticos…, vol. II, Subida del
monte Sion, p. 25-442.
Fidèle DE ROS, Le
Frère Bernardin de Laredo, Paris, 1948, p. 135
la
province. Sa réputation médicale lui valut d’être appelé plu-sieurs fois à la
cour du Portugal 44.
Laredo aurait connu
Osuna et son Tercer abecedario. Il s’adresse simplement et directement à
son lecteur, comme un Pierre d’Alcantara. Son biographe suppose qu’une « école », asso-ciant
Osuna, Laredo, Alcantara, Ortiz, rapproche franciscains, carmélites par l’influence déterminante d’Alcantara
sur Thérèse, enfin le milieu des Alumbrados par Ortiz 45.
La contemplation est
amour qui se perd dans l’infini divin :
La facilité de la contemplation demeure en : aimer sans
condi-tion et fondre notre amour dans Celui qui est infini ; je veux dire que l’amant se perd ainsi lui-même, qu’il ne reste rien de lui par l’infinité
de l’amour en qui il fait
infusion. Ainsi dit Herp [Har-phius] :
« que l’esprit dans cet espace cesse de vivre à lui-même,
parce que tout vit à Dieu ». […] Et ainsi nous pouvons dire que l’amour de notre Dieu entre dans nos âmes comme le soleil dans le cristal, qu’il éclaire et pénètre et se montre en lui ; et il nous transforme
en son amour, comme le fer en feu 46.
Elle est sans
intermédiaire et subite, selon la belle comparaison de la lumière qui pénètre
instantanément toute ouverture :
Je dis que c’est une imperfection de s’exercer longtemps à
pen-ser à des qualités particulières aux créatures, voulant chercher en elles
des raisons d’aimer. Qui déborde d’amour infiniment ai-mable. Mais surmontant
le créé et sortant de lui, l’âme va à Dieu par une élévation d’esprit subite et
momentanée ;
elle ne demeure en chemin pas plus longtemps que la paupière de l’œil ne prend de temps à
bouger ou à cligner — à la
façon d’un rayon du soleil, lequel à l’instant qu’il naît à l’Orient arrive en
Occident. Ainsi doit faire l’âme qui en un instant élève l’esprit par la voie
de l’aspiration, laquelle est plus légère et momentanée que le rayon même du
soleil 47.
44. DS 9. 277.
45. DS 9. 280 & Fidèle DE ROS, Le
Père François d’Osuna, Beauchesne, 1936.
46. Misticos…, vol. II, Subida del monte Sion, p. 370.
47. Ibid., p. 373/4. Nos traductions.
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La pratique de la
contemplation est encore rare dans l’Espagne de son temps, même dans les
déserts franciscains :
Je regrette que dans les écoles du Christ on n’étudie avec une
très grande vigilance comment et de quelles manières nous connaissons notre
Dieu et Seigneur par une notion amoureuse et particulière. Laquelle
connaissance ne s’acquiert jamais sans que le Seigneur lui-même ne l’enseigne
par la théologie mystique, laquelle s’apprend dans la contemplation. Par elle
nous pouvons demeurer et persévérer, attachés dans les plus pures, les plus
inté-rieures et les plus délicates parties de notre intérieur ;
parce que le cœur
prend toujours de là
les sentiments qui continuellement l’éveillent
à
marcher vivement dans l’amour,
dans lequel, qui plus longtemps se nourrit, plus longtemps persévérera à aimer et à donner du temps à la prière 48.
La conformité nue est
le seul moyen :
On doit comprendre que lorsque le contemplatif cherche la
perfection, il ne pose guère l’œil sur son gain, ou sur sa dévotion, ou sur son
utilité, parce que toute son étude est de demeurer en conformité nue, simple et
entière avec la volonté de Dieu 49.
Pierre d’Alcantara
(1499-1562) entre chez les conventuels franciscains à seize ans. Il aurait déjà
eu le temps d’étudier à Sala-manque les arts libéraux, la philosophie et le
droit canon ! Il rem-plit diverses
fonctions chez les franciscains devenus observants déchaussés, et fonde des
couvents, voyage à Nice comme au Por-tugal. On le considère comme le rénovateur
de ces franciscains déchaussés. Sous sa réforme ils atteignirent le nombre de
sept mille et se répandirent hors d’Espagne. L’exemple fut suivi chez les
carmes et d’autres ordres. Son rôle est déterminant sur la réforme du Carmel
par Thérèse. « Cherchant
à atteindre les gens pauvres en moyens et en
temps », il écrit dans un style sobre et concis.
L’âme se nettoie de ses péchés avec l’oraison, la charité se
for-tifie. […] L’esprit se réjouit, l’intérieur se fonde, le cœur se puri-fie,
la vérité se découvre. […] La tristesse est bannie, les sens se renouvellent
[…] [par les] vives étincelles des désirs du ciel qui rejaillissent sans cesse
du brasier de l’amour divin 50.
L’oraison est parfaite quand celui qui prie ne se souvient pas
qu’il est en oraison 51.
48. Ibid., p. 387.
L’influence des très
nombreux franciscains présents en France dès la fin du XVIe siècle est peu reconnue en dehors de celle du
capucin Benoît de Canfield. Le texte — même abstrait et abrupt — de sa Règle
de perfection sera largement apprécié car le feu de l’expérience l’éclaire.
L’apport en France de certains de ses confrères flamands est incontournable,
mais reste peu exploré et sous-estimé 52.
Les capucins seront les plus influents des
franciscains. Ils se conforment assez nettement au programme de vie que
François recommandait et pratiquait :
place importante donnée à la vie de prière sous la forme d’une double méditation quotidienne, emprunt aux
pratiques des ermites, pauvreté et pénitence, cha-rité, prédication. Leur
oraison est affective selon l’esprit d’Har-phius. Ils pratiquent l’ascèse, tandis
que certains ouvrent les âmes à la vie mystique, car « la pratique de la pureté d’intention dans l’exercice de l’amour divin doit y conduire ».
La Pratica
dell’orazione mentale de l’italien Matthias Bellintani de Salo († 1611) est
traduite dix-huit fois. Mais cet organisateur actif est peu mystique, du moins
dans cette œuvre qui répond aux besoins de débutants. Il en sera de même pour
Laurent de Paris († 1631). Archange de Pembroke († 1632) est actif auprès de la jeune réformatrice de Port-Royal, mais n’a rien
laissé d’écrit
ALCANTARA, Tratado de la oracion
y meditacion, P. Ubald d’Alençon, Paris, 1923, p. 7.
Ibid., p. 56.
Les recherches intellectuelles ont
toujours été moins pratiquées chez les franciscains que chez les jésuites ou
chez les oratoriens. – Après avoir dominé aux siècles précédents, les
« moines » sont quelque peu méprisés au Grand Siècle, par suite de
l’inculture de certains « cordeliers » et de figures qui sont à
l’origine de troubles. De terribles exemples de fanatismes sont relevés par D.
Crouzet pour le XVIe siècle dans Les Guerriers de Dieu,
sinon quelques
lettres. François Nugent (1569-1635) est connu de Constantin de Barbanson et de
Martial d’Étampes, dont le disciple est Jean-François de Reims († 1660).
Jean-Évangéliste de Bois-le-Duc (1588-1635) est important en Flandre et en
Grande-Bretagne. Joseph de Paris († 1638) est connu pour son activité
politique. Louis-François d’Argentan († 1680) est édi-teur et imitateur de
Bernières.
Le courant se poursuit
dans la seconde moitié du Grand Siècle par de grandes figures, auteurs de
synthèses qui ont été négli-gées à cause de leur caractère tardif 53 :
Éloy Hardouin de Saint-Jacques († 1661), Pierre de Poitiers († 1683), Paul de
Lagny († 1694)… Hors des capucins, le Tiers Ordre régulier est représenté en
premier lieu par Chrysostome de Saint-Lô († 1646), qui est l’important
directeur de Bernières, de Catherine de Bar et de bien d’autres ; les récollets sont rapidement très présents.
Sur l’histoire générale
des franciscains et sur celle de la réforme capucine on dispose de bonnes
études, même si la quantité est modeste en comparaison de celles consacrées aux
jésuites ou à Port-Royal. Sur l’immense littérature d’un XVIIe siècle qui imprimera plus de soixante mille
ouvrages religieux, nous ten-tons de rétablir une juste évaluation d’auteurs
mystiques tardifs comparables aux plus grands. Leurs figures sont méconnues et
leurs écrits n’ont généralement pas été réédités.
On n’insistera jamais assez sur le déséquilibre d’appréciation qui existe entre les suivent. Les derniers sont handicapés parce qu’on leur prête facilement un manque de créativité, et parce qu’ils héritent d’une certaine complexification délicate à démêler. Il y a aussi des raisons concrètes, comme la disparition des chercheurs avant le terme de leurs quêtes : Bremond, puis Cognet disparurent trop tôt, alors même qu’ils se proposaient de rendre justice aux mys-tiques quiétistes de la fin du Grand Siècle.
Avant d’aborder
successivement chaque figure mystique, voici quelques repères adoptant des
représentations figurées complémen-taires :
une table des familles franciscaines et de leurs influences, un arbre « généalogique » des réformes de l’Ordre des frères mineurs, une esquisse de
réseaux franciscains
François d’Assise (1182-1226)
. . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Rhéno-Flamands >1300
. . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Hugues de Balma (actif autour de 1400) Harphius (1400-1477)
. . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
François Nugent |
_ _ |
*Benoît de Canfield _
_ |
*Archange de Pembroke |
|||
(c) (1569-1635) |
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(c) (1562-1610) (1608) |
(c) (†1632) |
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Marie de l’Incarnation [Madame Acarie] |
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(1566-1618) |
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*Martial d’Étampes |
*Marie de Beauvilliers |
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||||
(c) (1575-1635) (1630) |
(1575-1657) (1631) |
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. . . . . . . . . . .
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*Constantin de Barbanson |
_ _ David-A. Baker |
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(c)
(1582-1631) (1623) |
(1575-1641) |
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*Jean-François
de Reims |
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(c) (†1660) (1635) |
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*Jean-Chrysostome de
Saint-Lô |
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. . . . . . . . . . .
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(T) (1594-1646) (1651) |
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Marie de l’Inc. [du
Canada] _ _ Jean de Bernières |
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(1599-1672) |
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(1602-1659) |
|*Jean Aumont _ _ *Victorin Aubertin |
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*Mectilde (1614-1698) |
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(T)(†1689)(1660) (R)(1604-1699) (1667) |
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. . . . . . . . . . .
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Jacques Bertot |
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*Pierre de Poitiers |
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(1620-1681) |
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*Archange
Enguerrand |
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(c) (†1683) (1671) |
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(R) (1631-1699) |
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Madame Guyon (1648-1717)
Fénelon (1651-1715)
Hors tableau :
Séverin Rubéric (R) († apr.1625),
Jean-Évangéliste de Bois-le-Duc (C)
(1588-1635),
« Père Joseph » du
Tremblay (C) (1577-1638),
Éloy Hardouin de Saint-Jacques (C) (1612-1661),
Paul de Lagny (C) († 1694), * Alexandrin de La
Ciotat (C) († 1706),
Maximien de Bernezay (R), * Jean-Marie de
Vernon (T),
Tableau de branches
masculines
L’histoire complexe
des courants et de leurs interactions est sujette à diverses représentations
incertaines.
Pour livrer une
perspective globale qui reprenne de manière syn-thétique les explications de
cette introduction, nous adaptons un tableau de Frédéric Meyer (Frédéric Meyer,
Pauvreté et assistance spirituelle, Les Franciscains récollets de la province
de Lyon aux XVIIe et XVIIIe siècles, C.E.R.C.O.R., Univ. de
Saint-Étienne), qui tente de situer quelques noms donnés aux ramifications
fran-ciscaines, sachant qu’il n’existe pas de frontière nette, et qu’une
branche ayant donné naissance à une autre ne disparaît pas forcément pour autant.Conventuels dès
1250
>> Fusion en France avec la Régulière Observance en 1771
Observance, Régulière Observance ou cordeliers
Jean de la Vallée et diverses congrégations, Jean de Puebla,
Jean de Guadalupe
Stricte observance
Francisco de Osuña, Pierre d’Alcantara
Déchaux puis alcantarins 1562
Espagne, Portugal, Amérique latine
Riformati 1532
Italie
Récollets 1570
France, Canada, Flandre, Allemagne
Fusion des conventuels, de l’Observance sous toutes ses formes en 1897 sous le nom de « Frères mineurs (OFM) ».
Tiers Ordre régulier
Congrégation de Picpus en France en 1580 Vincent Mussart
>> XIXe
siècle : « T.O.R
. »
Capucins, 1525
Indépendants en 1619
D. Tronc, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siecle. Tome II. Florilège de figures mystiques de la réforme Capucine. Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 400 p.
À la fin du premier
siècle d’existence des frères mineurs capucins — la branche est née peu après
1517 —, toute l’Europe était conquise, avec près de dix-sept mille religieux
répartis en près de treize cents maisons. À l’apogée du milieu du XVIIIe siècle, l’ordre comptait trente-cinq mille
membres. Plus récemment, au milieu du XXe siècle, les capucins comptaient encore seize
mille reli-gieux (dont l’abbé Pierre, qui fut l’un d’entre eux avant de quitter
l’Ordre pour raison de santé). « Leur
vie se caractérisait par une austère simplicité et un amour fraternel, une vie intérieure intense, un apostolat multiforme 1. » Le but
auquel devaient conduire l’ob-servance de la règle était la vie d’oraison.
L’aphorisme de Bernardin d’Asti : « Si vous me demandez qui est bon religieux, je répondrai :
celui qui fait oraison. Si vous me demandez qui est meilleur reli-gieux, je répondrai :
celui qui fait meilleure oraison. Et si vous me demandez qui est excellent
religieux, j’affirmerai en toute sincérité :
celui qui fait excellente oraison », devint
un axiome pour toutes les générations de capucins 2.
Il est donc naturel
que nous retrouvions un grand nombre de capucins parmi les mystiques
franciscains du XVIIe siècle. Nous les avons répartis en trois
groupes : des fondateurs qui
assurèrent l’invasion et l’essor en France, trois grandes figures européennes,
1 DS 5.1313/14.
2 L. Iriarte, Histoire du franciscanisme (traduction), Cerf, 2004, p. 263 ; « Les capucins ont reçu : de Matthieu de Bascio l’habit, de Louis de Fossombrone la barbe et de Bernardin d’Asti l’âme et l’esprit », p. 254-255.
enfin des défenseurs,
méconnus, car arrivés tardivement. Parmi ces derniers, Pierre de Poitiers nous
livre, dans son Jour mystique, ce qui
est peut-être la meilleure et la dernière synthèse précé-dant un supposé « crépuscule des mystiques » — il s’agit en tout cas d’un assèchement des vocations ce qui explique l’oubli
de manuels destinés en premier lieu aux novices capucins.
L’« invasion » de la
France est en grand partie l’œuvre de
mis-sionnaires capucins, dont l’Anglais
de naissance Benoît de Can-field : celui-ci est reconnu, car il bénéficie de
son appartenance à la première génération et il a laissé un chef-d’œuvre, sa Règle. Mais bientôt, à une
demi-génération de distance, arrive à matu-rité une solide cohorte qui assure
l’essor spirituel dans chaque « pays » du Royaume 3 ;
leurs messages à tous sont très semblables.
Cet essor est lié à la
présence d’une foule de toutes origines géographiques. Il faut imaginer autour
de chaque figure — voire attaché à chaque couvent — un cercle de fidèles,
ceux-là mêmes pour lesquels, et souvent à leur demande, l’auteur capucin local
rédige plus ou moins adroitement un manuel reprenant l’exposi-tion d’une vie
chrétienne qui devient intérieure, puis, si Dieu le veut, mystique. Les
mystiques, clercs, mais aussi laïcs, s’avèrent de fait beaucoup plus nombreux
qu’on ne le pense habituellement 4.
En fin du tome III,
des ANNEXES apporteront des com-pléments à l’étude de figures « isolées » de ce présent tome II. Le tableau consacré aux couvents capucins fondés en France exploite statistiquement un essor
qui s’épuise dès la fin du pre-
3 On sait que le nom des capucins comporte, outre leur prénom (sous lesquels on les trouve classés en bibliothèque), leur « pays » ou ville d’origine – dont parfois ils ne s’éloigneront guère.
4 Le 30 janvier 1694, Bossuet, qui avait terminé
l’examen des écrits de Madame Guyon, « prétendait qu’il n’y a
que quatre ou cinq personnes dans tout le monde qui aient ces manières d’oraison [infuse] et qui soient dans cette difficulté de faire des actes ». « Il
y en a plus de cent mille dans le monde… », lui répondit Madame Guyon. (Vie,
3.14.13). – Le capucin Simon de Bourg-en-Bresse, que nous retrou-verons, avance
la proportion d’un mystique sur deux cents :
proportion assez cohé-rente
avec la réplique guyonnienne
puisque la population du Royaume était
proche de vingt millions d’âmes…
mier quart de siècle ; le nombre de couvents croît encore par la suite, mais l’âge moyen s’élève… Les chiffres restent cohérents avec une répartition des œuvres des mystiques qui
apparaît tar-dive en comparaison ; en effet les traces écrites datent
générale-ment d’une maturité acquise longtemps après le noviciat, voire de la
vieillesse qui pense devoir laisser trace de son expérience. Un tableau
esquisse des filiations capucines. Un complément à l’aperçu des populations
franciscaines souligne une fertilité mys-tique très variable selon les branches 5.
5 Pour aborder l’histoire des capucins de l’âge classique ; Catalogue de tous les religieux capucins qui sont morts en la province de Paris depuis son établissement jusques à maintenant (de 1576 à 1679 ; nous présentons ce nécrologe au tome III) ; P. Hildebrand, Revue d’Ascétique et de Mystique, 1938, « Les premiers capu-cins belges et la mystique », 245-294 ; Père Godefroy de Paris, Les Frères-Mineurs Capucins en France, Histoire de la province de Paris, tome I, 1937, tome II, 1950, Bibl. franciscaine provinciale ; Jean Mauzaize, Le Rôle et l’action des capucins de la province de Paris dans la France religieuse du XVIIe siècle, 2 tomes (thèse pour le doc-torat d’État, Paris-Sorbonne, dans laquelle Mauzaize prend la suite de Godefroy de Paris) ; P. Raoul de Sceaux, Histoire des frères mineurs capucins de la province de Paris (1601-1660), Blois, 1965 (la thèse est plus complète que son édition) ; Bernard Dompnier, Enquête au pays des frères des anges, Les Capucins de la province de Lyon aux XVIIe et XVIIIe siècles, Univ. de Saint-Étienne,1993 ; Pierre Moracchini, Recherches sur la notion de « famille franciscaine » en France du Nord et en Lorraine (fin XVIe-fin XVIIIe siècles), thèse, univ. de Strasbourg.
Nous ouvrons notre
séquence des grands mystiques capucins par Benoît de Canfield, dont les écrits
seront lus et reconnus par tous les spirituels du siècle. Une approche historique
plutôt qu’un florilège remonterait jusqu’au siècle précédent en citant des
directeurs et des prédicateurs.
François de Senlis
(1543-1601) aborde tout juste le siècle. Il fut converti à trente-cinq ans, ce
qui est tard pour l’époque. Il entra en 1578, la même année, au couvent de
Saint-Honoré 6, pour devenir « le plus austère et le plus spirituel de ses confrères » après avoir été « homme qui n’avait jamais songé qu’à tout ce qui pouvait lui faire plaisir ».
Le Père Pacifique de
Souzy (1555-1625), un bretteur qui « blessa
mortellement en duel un jeune gentilhomme de ses amis », devint le « mystique
appartenant à cette partie de l’École franciscaine remontant par Harphius à Ruysbroec l’Admirable ». Il
orientera spirituellement Andrée Le
Voix (ou Levoix ;
la com-pagne de Madame Acarie, qui entra la première de quinze car-mélites —
six espagnoles, sept francaises — lors de la cérémonie de fondation du « Grand couvent » de Paris). On touche ici aux échanges très libres entre « religions » : Canfield attire des dis-ciples d’origine très diverses 7.
[...]
Les auteurs d’origine
et de langue française occupent la plus grande partie de ce recueil
anthologique — dont le titre ne spécifie aucune limitation de nature
géographique ou linguis-tique, mais seulement temporelle, se limitant à des
figures qui ont connu le XVIIe siècle. Nous assurons dans cette section
intermédiaire une couverture qui s’étend à l’Europe en pré-sentant trois
mystiques de première importance qui ont vécu hors du Royaume.
Chronologiquement très
proches, ces trois figures excen-trées se trouvent rassemblées temporellement
de façon inat-tendue dans le « second
quart du siècle » de la table des prin-cipaux mystiques franciscains ou sous influence donnée précédemment — colonne il est vrai
largement remplie. Ils se retrouvent ainsi regroupés ici dans la séquence
chrono-logique des figures capucines, entre les « initiateurs » et les « défenseurs de la mystique ».
L’italien méconnu
Gregorio da Napoli sauve l’honneur mystique du pays d’origine des branches
franciscaines, dont la capucine. Le Rhéno-Flamand Constantin de Barbanson (qui
écrit en français), est l’auteur reconnu des Secrets Sen-tiers de l’amour divin, qui eurent une grande influence
dans le Royaume, mais méconnu d’une Anatomie de l’âme publiée post-mortem. Le Flamand Jean-Évangéliste
de Bois-le-Duc (immédiatement traduit
en anglais) est surnommé le « Jean
de la Croix du Nord ».
Cependant,
le centre de gravité capucin reste toujours situé en France, même s’il demeure
certainement d’autres figures étrangères à découvrir, comparables aux
nombreuses figures françaises mises en valeur par notre travail. Ceci
s’explique : le protestantisme a
recouvert le Nord et l’Est de l’Europe, dont les franciscains ont disparu ; la décadence du monde catho-lique du Sud de l’Europe s’accélère car
le contrôle inquisitorial devient
aussi lourd en Italie qu’il le fut en Espagne au siècle précédent ; cettte dernière n’est plus une pépinière francis-caine, les franciscains ayant été soupçonnés de liens avec les Alumbrados et
leurs présumés descendants. Cette décadence
est également culturelle, dont l’indice visible est la disparition de
nombreux imprimeurs 219. Une survivance en Flandre 220 ne suffit pas à compenser les pertes, d’où
s’ensuit la raréfaction de publications originales.
[...]
6 Fr. Godefroy de Paris, L’École Saint-Honoré, Cahiers de Spiritualité Capu
cine, no 2, pages 31-40 pour les deux
figures et nos citations.
Les mystiques sont
tenus en suspicion dès le premier tiers du XVIIe siècle. Constantin de Barbanson répond déjà,
dans son Anatomie de l’âme publiée
post-mortem en 1635, à de nom-breuses critiques faites aux Secrets Sentiers de l’amour divin (1623).
Puis le « ferrailleur redoutable 327 » Chéron publie en 1657 son Examen de la théologie mystique, qui fait
voir la différence des lumières
divines de celles qui ne le sont pas, et du vrai, assuré et catholique chemin
de la perfection de celui qui est parsemé de dangers et infecté d’illusions ; et qui montre qu’il n’est
pas conve-nable de donner aux affections, passions, délectations et goûts
spi-rituels la conduite de l’âme, l’ôtant à la
raison et à la
doctrine : ce programme sera repris dans le procès de la fin du siècle
mettant aux prises Nicole et Bossuet d’une part, Fénelon et Madame Guyon
d’autre part. Nous lui consacrons une longue note rassemblant ses objections,
parce qu’elles sont partagées par tous les « anti-mystiques » 328.
327 Michel de Certeau à propos de Maur de l’Enfant-Jésus (1954) aux prises avec Chéron. Voir Maur de l’Enfant-Jésus, Écrits de la maturité 1664-1689, éd. du Carmel, 2007.
328 Dans son Examen…, Jean Chéron, l’ex-provincial des carmes de la pro-vince de Gascogne, n’hésite pas à s’attaquer à Jean de la Croix, tout en prenant appui sur lui en le citant hors contexte !
Il
se réfère singulièrement à trois auteurs : « l’anatomiste de l’âme » Constantin de Barbanson,
Jean de Jesus Maria (Quiroga) auteur d’une très belle Théologie mys-tique, Sandaeus (ce dernier est rarement cité en
France et il ne s’agit pas ici de sa précieuse
Clavis). Les autres auteurs mystiques
sont peu cités.
Chéron représente le théologien-philosophe anti-mystique rationnel.
Ces derniers capucins défendent la voie mystique. Mais tel
Comme il est à l’origine de la première attaque violente du siècle, à laquelle nos « avocats du vécu mystique » vont tous avoir affaire, ses griefs (classiques) sont résumés ci-dessous à l’aide de citations de l’Examen, distribuées en cinq para-graphes reprenant les chefs d’accusation principaux.
Mépris des mérites justifiant l’inaction : « D’où vient que tous ces goûts
spiri-tuels, ces élévations, ces contemplations, ces états où l’âme se
trouve sans aucun usage de sa
[9] liberté, doivent être tenus pour suspects. Pourquoi cela ? Parce que tous ces états ne sont pas méritoires par eux-mêmes ;
ce sont comme des intervalles où
l’âme se repose sans avancer, sans combattre. […] Il
nous a mis en ce monde pour travailler, il n’a garde de nous ôter par ces
faveurs le temps qu’il nous a donné pour acquérir des mérites. »
L’idée d’aimer ce que l’on ne connaît pas est confuse : « Théologie mystique [… est] une explication [18], raisonnement ou intelligence des choses ou des vérités divines […]. Cependant ces auteurs donnant le doctorat de la théologie mystique aux plus simples femmelettes. […] Quelques-uns même la mettent dans un seul acte, qu’ils appellent contemplation amoureuse […] si subtil et si délicat que l’âme ne le voit ni le sent […] comme on peut voir dans le Degré du Mont-Carmel [l’œuvre de Jean de la Croix !], [19] p. 116 & p. 122, d’où il suit que cette connaissance générale […est une] idée confuse […], car il faut connaître avant que d’aimer, et n’aimer rien par-dessus son mérite. […] Ainsi je ne sais pourquoi l’auteur de La Nuit obscure [du même], dit en la p. 110 que cette contemplation amoureuse est une lumière pure, simple, générale. […] L’anatomiste de l’âme […] dit que Dieu excite l’âme au plus intime de la volonté à aimer, sans savoir quoi ni comment, il suppose la même fausseté. » [24]
Des descriptions de l’âme imaginaires : « Or, comme ils donnent à l’âme un fond, un milieu, un sommet, aussi lui donnent-ils un pourpris et un centre à ce pourpris, comme on peut voir dans l’auteur de l’Anatomie de l’âme […] [42] ; ainsi les mystiques parlent de la nature de l’âme « comme d’une arche de Noé, composée de plusieurs étages, comme d’un château qui a ses parties […] toutes imaginations fausses [43, 250] » ; or « il est obscur comment on peut voir et trouver dans un centre qui n’est qu’un point, une vaste solitude de divinité. » [265]
La célèbre « supposition impossible » : « N’est-ce pas donc une erreur épouvan-table de mettre le soin de son salut entre les empêchements de la perfection et dire qu’il ne faut point craindre l’enfer, mais s’en rapporter à Dieu qu’il en fasse comme il voudra ? […] C’est une ruse de Satan. » [209]
Les auteurs mystiques se contredisent, ils laissent tout lecteur mâle et peu mélanco-lique dubitatif devant ces « nouveaux mystiques » contraires à la doctrine évangélique : « Les maux que les visions des femmes ont causés dans l’esprit des doctes » [178] peuvent s’expliquer par les « productions de la mélancolie » [184]. Quant aux pro-ductions des « nouveaux mystiques » [198], « je laisse donc à penser au lecteur ce qu’il doit espérer de la lecture de ces livres […] : leurs auteurs si contraires entre eux se professent savoir tout par expérience, […] supposent que Jésus-Christ a souffert
|
|
n’est pas leur objet
premier ; il s’agit, loin de céder comme Chéron à une démangeaison de
plume, de répondre à une fonction de maître de novice qui leur a été confiée au
vu d’un accomplissement reconnu par leurs pairs. Ils évitent toute controverse,
mais exposent pas à pas des degrés et des étapes qui laissent deviner
l’expérience intime.
Une telle « mise en ordre » du vécu spirituel et mystique est nécessaire pour donner directions et conseils concrets à de jeunes disciples, expérimentant tel ou tel état qu’il faut donc présenter
avec précision, dans une juste
perspective d’évolu-tion, état qu’il faut dépasser en soulignant son
caractère relatif, les risques de stagnation, etc. Le danger qui s’ensuivait,
propre à toute systématisation en une échelle spirituelle à gravir, pou-vait
être corrigé au cas par cas par les relations personnelles établies entre
maîtres et dirigés durant les années de noviciat. L’insistance sur la grâce divine
reste de toute façon toujours clairement affirmée.
Quant à l’utilisation
qui aurait pu en être faite sans dis-cernement par des lecteurs extérieurs
curieux ou imagina-tifs, elle n’était guère encouragée : ces « œuvres » mystiques se présentent comme des manuels proposant des médecines de l’âme et ne font pas profession
de lyrisme. Elles reposent sur un vécu que leurs auteurs affirment réel et possible ;
ce ne sont pas simplement des idées qu’ils développent. Aussi ont-ils été
oubliés lorsque leur fonction a disparu par suite de l’assèche-ment spirituel
qui eut lieu au XVIIIe siècle au sein des « religions ». Ils demeurent sous-évalués par des érudits qui n’y ont pas trouvé une originalité
intellectuelle.
Leur contenu
expérimental authentifie la pérennité d’une vie intérieure indépendante de tel
ou tel système intellectuel, théologie, etc., d’où leur grand intérêt. Ces
traités fixent une tradition encore vivante mais en voie d’affaiblissement : la
mille reproches pour l’enseigner ; ce qui n’est point vrai, car la doctrine de Jésus-Christ est claire et facile à entendre. » [266]
nécessité
d’en sauver par écrit l’essentiel a probablement été ressentie par un Simon de
Bourg-en-Bresse comme par l’au-teur du Jour
mystique. Cela conduit à de gros volumes (res-pectivement 800 et 1600 pages !), dont nous ne donnons ici évidemment qu’un parfum.
Les termes employés
sont généralement clairs et simples, compte tenu des lecteurs non intellectuels
auxquels s’adressent ces méthodes. On trouvera ces témoignages optimistes,
témoi-gnant d’un vécu attesté vigoureusement.
[...]
D. Tronc, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siecle. Tome III. Un grand siècle franciscain à Paris [Pierre Moracchini] & Nécrologe capucin - Le franciscanisme et l’invasion mystique [Jean-Marie Gourvil] - Figures mystiques féminines, Minimes, Un regard sur les héritiers - Tables. Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques ».
L’intérêt de ce
registre des morts est double : premièrement, pas moins de mille cinq cents noms éclairent sur la durée d’un siècle la vie d’une communauté ;
deuxièmement cette commu-nauté est définie de manière précise par l’appartenance capucine et par la localisation géographique au sein du
Royaume. Son exploitation permet une approche statistique quantitativement
valide et qualitativement ciblée. Mais surtout, la mise en valeur par ses
rédacteurs de certaines figures remarquables, auxquels sont joints des éléments
biographiques, voire des récits, illustre concrètement et parfois
savoureusement des conditions de vie aventureuses et souvent héroïques.
Une brève présentation
d’ensemble sera suivie d’une chrono-logie datée et repérée au sein de la
séquence des numéros d’en-trées de noms (no 1 à no 1501). Cette chronologie se présente sèchement
en son début, car la première main est celle d’un rap-porteur sobre — et se
termine de même, car l’abondance des décès annuels à rapporter incita la
dernière main à évacuer toute donnée personnelle.
L’abondance de chiffres ne doit pas décourager le lecteur : ils sont
nécessaires pour situer et éventuellement pour retrouver telle figure dans le
long manuscrit du nécrologe ou pour tirer des renseignements quantitatifs de
l’ensemble. Heureusement, les entrées nominales ouvrent sur des précisions
concrètes qui évoquent des « vies » abrégées, mais en
conservant leurs couleurpropres. On les trouve au cœur de
la très longue liste, lorsque la file des capucins, dont le nombre croît exponentiellement, se prête encore à des approches
individualisées.
Il ne s’agit pas ici
de présenter une étude historique exhaus-tive. Nous désirons seulement attirer
l’attention des chercheurs sur une source exceptionnelle, portant sur un Ordre
religieux important par le nombre de ses membres et par la fécondité
spirituelle de certains d’entre eux. Surtout, les lecteurs des deux volumes
précédents de florilèges mystiques franciscains trouve-ront ici quelques points
d’ancrage dans un concret savoureux. Dans notre choix d’extraits de « vies », ils apprécieront les dures conditions d’existence des mystiques du temps. L’écho d’un vécu concret manquait à notre entreprise visant à ressusciter un monde franciscain d’un âge classique totalement disparu et oublié. Cer-tains extraits nous parlent directement par des détails prosaïques ou
par la naïveté d’une rédaction rapide encore proche des évé-nements rapportés.
Le document est
conservé au château du Titre 1. Il se présente comme
un manuscrit relié intitulé Catalogue de tous les religieux capucins qui sont
morts en la province de Paris depuis son établis-sement jusques à maintenant.
Le volume retourné et lu à l’envers propose les Noms de tous les religieux capucins de la province de Paris vivant en l’an 1655. Nous nous en
tiendrons ici à l’endroit.
Le Catalogue… est paginé de 1 à 100, puis
comporte les folios 101 à 108, soit 16 pages, enfin des folios non numérotés,
soit 57 pages. La liste chronologique des capucins comporte des renseignements
biographiques personnels qui évoquent une
1. Le manuscrit de la collection privée du château du Titre est resté globalement inexploité. Il a été consulté ponctuellement avant nous par Raoul de Sceaux, Jean Mauzaize lorsque ce dernier mit en valeur la figure de Martial d’Étampes et publia certaines lettres de ce dernier (Études franciscaines, XIV, no 32, juin 1964, 89-102). Sa consultation est aujourd’hui rendue possible en bonne reproduction photographique (s’adresser à la Bibliothèque Franciscaine de Paris, ou à nous-même).
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figure en quelques
traits, lorsque celle-ci est estimée par l’un des deux rédacteurs successifs
(changement de main page 41, année 1635). Hors chronologie sont reproduits des
lettres et des écrits concernant quelques figures remarquables. Parfois le
manuscrit opère des renvois ou comporte des ajouts.
Le « jusques à maintenant » du
titre correspond à juin 1679, tandis que le
premier décès est rapporté à la date de 1576 (il s’agit du Père Pacifique de Venise, premier commissaire général en France, arrivé à Paris
en juin 1574). On couvre donc la belle durée d’un siècle qui voit « l’invasion » des capucins en France, puis leur épanouissement, enfin leur « maturité ».
La notice du 646e
capucin décédé figure dès la fin de l’année 1646 ; le nombre croît ensuite si rapidement que leurs notices ne sont plus numérotées et se
réduisent très généralement à deux lignes :
tout trait personnel disparaît alors.
Le nécrologe relève les décès de 1501 capucins (sauf erreur
toujours possible).
Quelques figures
bénéficient d’une notice conséquente :
le mystique Martial d’Étampes
(† 1635) est couvert en 25 pages, suivi chronologiquement par le converti
devenu convertisseur d’hérétiques Raphaël de Raconis († 1637), puis par Paschal
d’Abbeville († 1645), spirituel couvert en 12 pages, par Louys de Paris (†
1640), actif en Italie « en
la compagnie de l’éminentis-sime cardinal
Cajetan », par Gabriel d’Amyche (d’Angleterre)…
Le relevé de notices
comportant huit lignes ou plus du manus-crit livre une trentaine de noms, dont
le célèbre Père Ange († 1634) « anglais
prédicateur […] en prison pour la consolation des catholiques qui y étaient ». Une « Liste
de capucins qui font l’objet d’une notice conséquente » sera donnée en fin d’étude par ordre de décès (comme dans le nécrologe) puis par ordre alpha-bétique (pour faciliter une recherche par nom).
Des lettres prennent
place au sein de notices biographiques, dont les seules qui nous soient
parvenues de Martial d’Étampes, le plus privilégié de tous les capucins
répertoriés — à juste titre à nos yeux 2 — ainsi que des pièces variées. Ainsi le récit très précis, concret et
savoureux d’une apparition du défunt Marcelin de Paris. De même les aventures
du très entreprenant Raphaël de Raconis 3 :
il admoneste une « damoiselle
qui d’ordinaire avait le sein découvert » ;
la damoiselle résistant, il fait « des prières » au résultat terrible, le sein devenant « hideux » !
Tandis que Vincent de Troyes († 1638) « prêche à La Rochelle selon le désir du roi Henry quatrième », d’autres préfèrent la tranquillité à trop de
paroles, mais rentrent finalement dans l’obéissance : ainsi Séra-pion de Paris († 1647) « qui avait le talent de prêcher et était fort nécessité [demandé] et à cette occasion, n’était guère régulier et, se voyant malade
pour mourir, il fut grandement touché […], se mit à prêcher tous ceux qui le venaient voir. […] ». Certains sont missionnaires, tels Juste de
Beauvais († 1639) « en la ville de Babylone […], fort aimé […] [du] roi de Perse, duquel
il obtint tout ce qu’il
voulait ».
Plus admirable à nos
yeux que Raphaël de Raconis, un autre Raphaël (de la Gravelle, † 1636) « ne respirait que de rendre du service aux
malades. […] Il avait grandement
importuné d’aller à la mission du Canada. […] Il
avait porté les armes […], infa-tigable à l’assistance des soldats
malades. […] Il ne pouvait faire ce
qu’il faisait sans une grâce particulière de Dieu ». Beaucoup de capucins dévoués meurent jeunes au service des pestiférés, tandis que Simplicien de
Chaumont « est mort le plus ancien
de tous les capucins de la France, âgé de 90 ans » ; mais il possédait « une grâce de parler de Dieu et des choses spirituelles » et « le
bon juge-ment lui a continué jusques
à la maladie d’apoplexie qui le saisit environ dix jours devant que de mourir ».
Enfin le nécrologe
n’oublie pas des frères « laïcs »
(convers) par-ticulièrement dévoués, tel Jacques de Provence († 1580), mort « seulement [après] trois ans de religion, servant les pestiférés de la ville de Paris », ou « l’ancien frère André d’Avignon († 1636)
2 Martial d’Étampes, maître en oraison, textes présentés par Joséphine Fransen et Dominique Tronc, éditions du Carmel, coll. « Sources mystiques », 2008.
3 On retrouvera ces récits partiellement reproduits infra.
qui, l’espace de 36
ans avait assisté les frères malades […], à la mort duquel quasi tous les
religieux se trouvèrent ».
Les noms figurant au
verso du volume sont présentés alpha-bétiquement en deux tables, selon cinq
colonnes : nom, âge à la vêture, lieu de la vêture, date précise, lieu et année « qu’ils décéde-ront » (dernière colonne très partiellement remplie par une main postérieure, qui corrige souvent des
indications appartenant aux autres colonnes). La table « prêtres et clercs » fait généralement
face à celle des « frères laïcs ». L’ensemble couvre 24 doubles pages. Il reste à étudier.
Voici comme annoncé
des extraits datés et repérés au sein de la séquence des numéros d’entrées des
noms (no 1
à no
1501) :
[Page de titre] : Catalogue de tous les religieux capucins qui
sont morts en la province de Paris depuis son établissement jusques à
maintenant.
[1] La sainte Église catholique a coutume d’enregistrer
soigneusement ceux qu’elle enrôle en la milice de Jésus-Christ, les faisant
enfants de Dieu par le moyen du sacrement de baptême. Et la religion séraphique
des capucins, à l’imitation de cette sainte coutume, est très soigneuse de
remarquer et faire écrire en un livre les professions de ceux qui, faisant
banqueroute au monde, s’enrôlent de franche volonté en la religion pour suivre
plus parfaitement les traces de Celui duquel ils ont été faits enfants au
baptême. Il nous a semblé néanmoins que ce n’est pas assez d’inscrire leur
naissance et commencement de vie spirituelle, si pareillement nous ne faisons
connaître l’heureuse fin d’icelle, puisque c’est la fin qui couronne l’œuvre.
Ne serait-ce pas peu de choses de faire voir leur entrée en la religion, si
ensuite on ne faisait connaître qu’ils ont obtenu la fin qu’ils prétendaient ? C’est pourquoi nous
avons jugé qu’il était très expédient de faire un livre pour y enregistrer tous
ceux qui ont persévéré au service de Dieu et sont décédés dans le corps de la
religion, afin que comme dans le premier on y voit la promesse qu’ils ont fait à Dieu, ainsi dans
celui-ci on y reconnaisse l’accomplissement d’icelle, montrant qu’ils ont fini
heureusement en Notre Seigneur dans le port de la religion. […2] Nous avons
donc commencé à noter en ce livre tous ceux que nous avons pu découvrir qui
sont morts en la province depuis son établissement. […]
1576 [2] (1) 4 Le premier capucin qui est mort en France en
la province de Paris a été le R. P. Pacifique de Venise, qui était venu le
premier commissaire général en France ;
arrivant à Paris au mois de juin de l’an 1574 et y étant le premier supérieur, y
mourut en l’année 1576. Et parce qu’il
n’y avait encore d’église ni de lieu au couvent de l’Assomption pour faire le
cimetière il fut enterré à Saint-Germain de l’Auxerrois dans la nef en notre
façon ordinaire, où il y eut grand concours de peuple. À Paris 5.
1580 (2) Frère Jacques
de Provence mourut ayant seulement trois ans de religion en servant les
pestiférés de la ville de Paris et fut enterré derrière la sacristie du couvent.
À Paris.
[3] (3) Vénérable Père
André de Bourgogne ayant seulement vécu deux ans de religion mourut en servant
les pestiférés de la ville de Paris et fut enterré le 17 septembre, jour de son
décès derrière la sacristie. À Paris.
1581 (4) Frère Bonaventure,
anglais, mourut le 21 mai, ayant vécu quinze mois en la religion. À Paris.
1584 (5 à 14) 6.
4 Nous faisons suivre ici la date (date-titre qui couvre toujours une pleine ligne du manuscrit) de la pagination [entre crochets], puis du numéro d’ordre (entre parenthèses) du capucin décédé ; ce dernier figure en ajout dans la marge gauche du manuscrit à partir du no 3.
5 Nous réduirons dorénavant les notices en indiquant pour les plus amples le nombre de lignes manuscrites – ici sept lignes.
6 Tandis que l’usage du gras est réservé aux seules années marquant le début de dizaines, nous omettons tous les contenus des notices brèves, soit la très grande majorité – la « forêt » de chiffres qui en résulte est justifiée par leur exploitation ainsi rendue toujours possible (dont l’établissement de notre tableau des décès annuels). Les dix décès de l’an 1584 ont tous lieu à Rouen et tous sont causés par la peste ! (Notons que le terme de « peste » recouvrait diverses épidémies aux conséquences
1586 (15) Père Joseph d’Anvers, ayant vécu sept ans en grande sainteté, mourut de peste à Paris et fut enterré dans le grand jardin où était le petit bois depuis coupé.
1587 [4] 7 (17-19) ; 1588 (20) ; 1589 (21-23). 1590 (24) ; 1591 (25) ; 1593 (26-27).
Ceux qui suivent sont morts depuis 1579 jusques en 1594, sans que j’aie pu savoir en quelle année : (28-38). [Ont été ajou-tées postérieurement des dates allant de 1586 à 1602.]
1594 (39-42) ; 1595 (43-47) ; 1597 (48) ; 1598 (49-53) ; 1599 (54-55).
1600 (56) ; 1601 (57-63) ; 1602 (64-65) ; 1603 (66-71) ; 1604 (72-73) ; [8] 1606 (74-77) ; 1607-1608 (78-85).
Ceux qui suivent sont morts depuis 1594 jusques en 1607 sans que j’aie pu savoir en quelle année : (86-91).
[9] 1608 (92-98) ; 1609 (99-100).
1610 (101-113). [Ajout d’une autre main :] « En cette année se fit la séparation de la custodie de Touraine érigée en Province […]. » 1611 (114-120) ; 1612 (121-125) ; 1613 (126-131) ; 1614 (132-138) ; 1615 (139-146) ; 1616 (147-154) ; 1617 (155-161) ; 1618 (162-174) ; 1619 (175-177).
1620 [13] (178-188) ; 1621 (189-194) ; 1622 (195-222) ; 1623 (223-255) ; 1624 (256-284) ; 1625 (285-318) ; 1626 (319-349) ; 1627 (350-369) ; 1628 (370-384) ; 1629 (385-395).
1630 (396-408) ; 1631 (409-430) ; 1632 (431-447) ; 1633 (448-459).
1634 [31] (460) Vénérable Père Ange, anglais, prédicateur, fut religieux fervent et employé aux missions d’Angleterre, où il fut plusieurs fois souffrant beaucoup de peine pour la sainte foi,
mortelles.) Aucun décès ne sera par contre relevé en 1585, année qui n’apparaît donc pas dans notre liste.
Nous omettrons dorénavant généralement des paginations (chiffres entre crochets) peu utiles (sinon au sein de citations longues), compte tenu de dates clairement indiquées – une par ligne –, et des numéros d’ordre des notices figurant en marge gauche.
Dieu ayant permis qu’il fût mis en prison pour la consolation des catholiques qui y étaient retenus, où il demeura l’espace de cinq ans avec grande ferveur et bon exemple, et enfin mis en liberté à la prière du Très Chrétien Roi de France par son ambassadeur. Étant retourné en France, fut mis de famille au couvent de Calais, où il décéda le 22 juin 1634, âgé de religion 26 ans à Calais.
(461-464) Père Philippe de Paris, profès, était fort zélé de l’honneur de l’Ordre […]. Il mourut pulmonique au couvent de Saint-Honoré à Paris après avoir donné des témoignages de sa patience et ferveur durant sa vie et sa grande maladie de huit mois […]. (465-466).
1635 (467-468) Le Révérend Père Archange Ripault, de Paris, religieux de très sainte vie, prédicateur et définiteur en la même province, gardien du couvent de Saint-Jacques, décéda […] après une longue maladie de six mois qu’il endura d’une merveilleuse patience. Âgé de religion trente-cinq ans. À Saint-Honoré.
1635 (468 [sic]-470).
[35] 471. Vénérable Père Martial d’Étampes, de qui la vie a été un rare exemplaire de la perfection religieuse, acquise par un travail égal à la fidélité d’un imitateur parfait de notre Père saint François. Son humilité profonde, sa patience invincible, son jeûne continuel et au-delà du commun pour le peu de nourri-ture qu’il prenait, sa mortification sans relâche, bref son oraison accompagnée d’extases ont été les moyens qui lui ont servi pour en atteindre la récompense, après avoir été gardien quelque temps. Il a été fait maître des novices, charge qu’il a exercée par l’espace de 20 ans, pendant lesquels il s’est proposé pour un modèle parfait de vertu à ses [36] novices ; puis élu en divers cha-pitres confesseur tant des filles de la Passion à Paris que de celles de sainte Claire à Amiens, par six à sept ans dans ce travail il est tombé malade au couvent desdites filles de sainte Claire, duquel il ne put être transporté pour l’excès de sa fièvre qu’après sa mort, le bruit de laquelle semé, aussi bien que celui de la sainteté de sa vie, causa lors du convoi de son corps, transporté du couvent des filles de sainte Claire où il était dans le nôtre, un si grand concours de peuple qu’à peine pouvait-on passer, et ne put-on empêcher que plusieurs ne lui coupassent de sa barbe, cheveux, et même de son habit, duquel je ne sais si sans la résistance il en fût resté pour le couvrir. Enfin il est mort aussi riche des biens du ciel qu’il avait été pauvre de ceux de la terre 8 […].
(472-479) Père Gratien d’Abbeville, profès religieux fort zélé de la gloire de Dieu, après en avoir procuré l’accroissement en un voyage qu’il a fait en terres étrangères, vécut le reste de ses jours en l’observance étroite de sa règle […].
Père Claude d’Ast. […] Il fut envoyé par le roi Henri III la Reine, avec le vénérable père Pierre Deschamps, rendre un vœu au Saint-Sépulcre de Jérusalem […]. (481-483).
1636 (484-489 puis 470-471 9) L’ancien frère André d’Avi-gnon, laïc, qui l’espace de 36 ans avait assisté les frères malades et fait l’office de l’infirmerie avec grande édification, se trouvant toujours aux communautés tant de jour que de nuit […], à la mort duquel quasi tous les religieux se trouvèrent […]. (472-484).
(485) [22 lignes] Père Raphaël de la Graville, profès de la
pro-vince d’Aquitaine, ayant achevé ses études en théologie en cette province,
s’était vu religieux fort zélé au salut des âmes, qui ne respirait que de
rendre du service aux malades, s’y employant par tour avec grande diligence et
charité. Il avait grandement impor-tuné d’aller à la mission du Canada, et
l’occasion s’en étant pré-senté que Sa Majesté Très Chrétienne demanda de nos
Pères pour assister son armée pourchasser l’armée espagnole de la Picardie, ce
bon Père s’y offrit, et fut accepté comme des plus propres à cet emploi. Il
avait porté les armes de plusieurs quartiers et savait ce que c’était de la vie
des soldats, et avait la grâce de parler
8 [Add. marg.] : « Ayant fait un plus ample discours de la vie et mort du défunt Père Martial […], j’en ai mis la copie ci-après à la page 71. » – Premier exemple de renvoi.
9 La main d’un correcteur annonce : « De tous les susdits morts de la Province depuis l’an 1610 que la Touraine fut séparée, en un autre livre j’ai marqué leur mort », ce qui explique la séquence inversée des numéros. Suit un changement de main avec corrections.
plusieurs langues, ce qui servit à la reddition de la ville de Roye, servant de truchement au gouverneur pour la capitulation qu’il voulait faire pour rendre la place. Il se rendait infatigable à l’assis-tance de soldats malades, leur administrant les sacrements pour bien mourir. […] (486).
1637 [43] (487-488 : longue notice) Le très vénérable Père Ange Raphaël de Raconis, prédicateur missionnaire apostolique qui avait été né de parents hérétiques. […] Il était infatigable à écrire et à conférer pour la conversion des hérétiques, et souvent j’ai admiré comment il avait trouvé le temps de tant écrire et composer des livres et des traités de controverses, que j’ai trouvés en ses coffres. […] Il y avait une damoiselle qui d’ordinaire avait le sein découvert, et l’ayant plusieurs fois admonestée, […] il fit des prières. […] Ce fut chose admirable que le sein lui vint si hideux et sec, qu’elle fut contrainte de le couvrir. […]
(489) Vénérable Père Maclou
de Pontoise, prêtre qui, porté du zèle du salut des âmes, était allé à la
mission du Levant, où il a demeuré plus de dix ans. […] (490-492).
(493) Vénérable Père
Hiérosme Joly de Paris, grandement désireux de s’employer à l’assistance des
pestiférés. […]
(494-523) Le Révérend
Père Vincent de Troyes, prédicateur qui était fort docte et versé aux
controverses, fut devoir prêcher à La Rochelle, selon le désir du roi Henry IVe. […]
(524-534) Père
Sérapion de Paris, qui avait le talent de prêcher et était fort nécessité et à
cette occasion, n’était guère régulier et se voyant malade pour mourir il fut
grandement touché et, regrettant fort sensiblement de n’avoir vécu si
exemplairement, […] se mit à prêcher tous ceux qui le venaient voir. […]
(535-538) Père Philippe d’Angoulmois […] s’est utilement employé à composer plusieurs livres de dévotion qui ont été imprimés. […]
1639 [48](539) Père
Simplicien de Chaumont, qui est mort le plus ancien de tous les capucins de la
France, âgé de 90 ans du monde, et de 62 de religion. Il a été gardien et
définiteur en
la
province. Il avait une grâce de parler de Dieu et des choses spirituelles avec
si grande efficace qu’il touchait ceux à qui il en parlait. Le bon jugement lui
a continué jusques à la maladie d’apoplexie qui le saisit environ dix jours
devant que de mourir. Sa face vénérable et sa douce conversation le rendaient
agréable et aimable à tous. Il fut enterré le dimanche après complies. Le Père
qui avait prêché en ayant averti le peuple, fut cause qu’un chacun le voulut
voir, et les hommes ayant trouvé le moyen de l’aller voir à la chapelle de
l’infirmerie, la foule y fut telle qu’on ne s’en pouvait approcher, et
l’affluence du peuple si grande par le cloître et dans l’église quand on y
apporta son corps qu’on avait bien de la peine à le passer. […]
(540-550) Très
Révérend Père Juste de Beauvais, prédicateur missionnaire qui a fait de grands
progrès pour l’Église en la ville de Babylone. Il y a vécu dans de grands
travaux pour y apprendre les langues, qu’il possédait si parfaitement qu’il
prêchait en arabe, en persan, en turc et avait réconcilié à l’Église romaine
les nesto-riens et jacobites. Il était fort aimé du vice-roi de Perse
gouver-neur de Babylone. Pour le bien des catholiques vexés injustement de la justice,
il fut trouver le roi de Perse, duquel il obtint tout ce qu’il voulut pour les
catholiques, mais en voyage il endura de si grandes chaleurs que peu après son
arrivée en Babylone il tomba malade et mourut en peu de jours. […]
(551-552) Frère Simon
de Paris, laïc [longue notice].
(553) Vénérable Père Anselme de Paris, fort dévot à la
sainte mère Colette, réformatrice de l’Ordre de sainte Claire. […] Enfin étant envoyé pour assister une grande quantité
de pauvres sol-dats malades, leur administrant les sacrements et rendant toutes
assistances corporelles qu’il pouvait en leurs maladies, il y tomba malade
d’une maladie pestiférée et eut quelque charbon ; on lui donna les derniers sacrements. Sa
maladie fut prolongée et sa
vie, pour augmenter sa couronne, pour les grandes douleurs qu’il endura, et mourut d’une mort glorieuse, le pouvant nommer martyr de
charité. […] (554-555).
1640
(556-559) Louys de Paris [51-54 :
long récit historique et
biographique].
(560-561) […] Ayant découvert une lettre écrite de Beauvais où l’apparition du défunt Père Marcelin de Paris est déclarée, je l’ai voulu rapporter ici : « Mon très cher Père, je n’ai voulu man-quer de satisfaire à votre désir de nous faire savoir si et comment le vénérable Père Marcellin de Paris s’est apparu à notre Très Révérend Père Gardien. Je vous en dirai toute la vérité, qui est que le Très Révérend Père Gardien étant demandé à la porte, il s’y achemina par le dortoir de l’infirmerie, et passant par dedans l’infirmerie où ledit Père Marcellin était mort il y avait quatre ou cinq jours, la porte et la fenêtre ouverte, il avise un capucin debout qui était dedans proche de la couche, le dos tourné vers la porte, et ne sachant qui c’était et ce qu’il était demandé ; ce capucin, qui était le Père Marcelin, se retourna d’une grande vitesse, prenant le Père Gardien et le serre par le poignet, [il] avait la main fort froide, en sorte que la meurtrissant. Y demeure long-temps sans douleur, et notre Père l’ayant reconnu, étant tout de même quand il mourut, lui dit : “Ha, c’est vous, Père Marcellin !
– Oui mon Père”, lui
répartit-il. Le Père Gardien lui demanda : “Hé, que
faites-vous ici ?” Le Père Marcelin lui répondit qu’il souffrait extrêmement et que cela ne se
pouvait pas dire. Inter-rogé pour quelle raison, il dit que c’était
particulièrement pour deux causes :
la première, pour n’avoir pas été fidèle d’assister aux oraisons, desquelles il s’abstenait toujours, et quoiqu’il eût bien la peine, que néanmoins s’il eût
voulu se faire un peu de violence, qu’il eût facilement surmonté cette peine.
L’autre cause était qu’il avait trop aimé les courses, et que si on savait ce
que Dieu demande d’un religieux, que l’on prendrait bien garde à soi de plus
près. […] Ce qu’ayant dit, aussitôt disparut. Voilà tout ce qui s’est passé en
cette apparition. »
(562-589).
(590) […] Le Très
Révérend Père Gabriel d’Amyche […] com-mença les exercices de la mission les
fêtes et dimanches, allant au village du vicariat [de Pontoise], où il a
partout fait un si grand fruit qu’il y était désiré et suivi comme un apôtre.
Du commencement il n’avait qu’un frère lai pour son
compagnon ; par après qu’on lui donna un prédicateur
et après deux pour exercer avec lui
la mission pour la multitude du peuple qui se voulaient confesser et gagner les
indulgences que le pape concède ès missions. Voici quelques remarques de ses
ferveurs et actions particulières tant au grand vicariat de Pontoise qu’en
l’évêché d’Amiens, où depuis plus de huit ans il a exercé la mission avec
grande satisfaction et édification, montrant partout une ferveur nonpareille à
rendre du service indifféremment à tous pour leur faire quitter le vin et se
vraiment convertir à Dieu, passant tous les jours une partie des nuits dans les
églises, y allant du grand matin dès les quatre et quelquefois en été dès les
trois heures, n’en sortant qu’à midi, ou à une heure le plus souvent ; où immédiatement après le dîner il y retournait, et n’en
sortait qu’à huit ou neuf heures et
quel-quefois à dix même, dans les plus grandes rigueurs de l’hiver aussi bien qu’en été, ce qui le rendait plus
admirable qu’imi-table à ses compagnons. Ce qui l’obligeait à une si rigoureuse
assiduité est la multitude de ceux qui se voulaient confesser à lui, qui de
plusieurs lieux l’attendait à la porte des églises, ou dedans, dès la minuit,
et à une heure, et quoi qu’ils fussent à jeun n’en voulaient sortir qu’à huit et
neuf heures du soir pour ne perdre et retrouver la commodité de se confesser à
lui. […] Ordinairement, du confessionnal il montait en chaire pour prê-cher ou
catéchiser, et de la chaire il retournait au confessionnal sans se reposer,
quoiqu’il sortît de la chaire bien échauffé, pour la manière avec laquelle il
prêchait, déclamant contre le vice et les fétiches, de quoi il se montrait
infatigable. […58] Lorsqu’on sonnait la cloche pour son sermon, l’on a vu
souvent les artisans quitter leur travail et les laboureurs leurs charrues, les
vignerons leurs vignes et les femmes leurs maisons chargées de leurs petits
enfants pour y assister. [59…] Un des grands fruits qui se fait ès missions, et
qui faisait singulièrement en ses conversations, était la réconciliation des
personnes qui vivaient de longtemps dans l’inimitié, et des procès qu’il leur
faisait quitter et mettait en bonne paix et amitié. Il ne sortait jamais des
lieux où il faisait la mission qu’il n’eût mis la paix ès familles où la
division était pour les inimitiés journalières et les longs
procès. Notre Dieu lui avait fait une grâce et donné un talent tout particulier
en cela, ce qui faisait que beaucoup le prenaient pour juge et arbitre
de leurs différends et en passaient par ce qu’il en ordonnait, s’y compor-tant
avec tant de prudence et d’équité que tous en demeuraient contents. […61]
1641. Des
missionnaires du Levant décédés l’an passé à Smyrne 10. (591-594) 11
(595) [72] Discours de la vie et mort du vénérable Père
Martial d’Étampes. […] Il était fort
estimé et aimé d’un chacun, aussi se
rendait-il aimable à tous pour sa modestie, pour ses bons exemples et vertus de
sa vie. Il était fort prompt à faire l’aumône, et c’était toujours à trois
pauvres au nom de la Très Sainte Tri-nité, ou à cinq en honneur des cinq plaies
de notre Sauveur. Il donnait son souper, se contentant d’une seule réfection
par jour. Les voisins venant demander des herbes de leur jardin pour quelques
maladies, il désirait que ce fût Jean qui leur en donne, à quoi il se montrait prompt
et dévot, et en leur donnant il disait : « Allez, allez, je prie Dieu qu’ils en guérissent » ; et on remarquait que
les malades guérissaient, et c’était pour cela que les voisins en voulaient
avoir de sa main. […73] Il était souvent attaqué de grandes tendresses de cœur
en ses sentiments de dévotion, qui ne lui permettaient pas de continuer ses
exercices. Un jour de Noël, […] cette tendresse de cœur ou sentiment de
dévotion fut de longue durée, et quasi de quatre heures sans le quitter pour
pou-
[P. 61 :]
« …Il est à propos de mettre ce qu’on a [d’]écrits de
deux autres missionnaires pour ne le point oublier…». Suivent diverses lettres [61-65].
La copie du long testament retrouvé d’un V. P. Damien et daté du 13 mars 1638 est intercalée après (592). Il couvre [66] à [68]. – Suit la notice du T. R. P. Léonard de Paris qui remplit de nombreuses charges, le pape Urbain VIII « lui témoigna beaucoup d’affection », « il a été adjoint au R. P. Joseph de Paris pour supérieur des missions du Levant, du Canada et d’Angleterre ». Elle couvre [69-70]. – Suit le T. R. P. Gabriel de Moncharmet, qui commence la très longue notice (595), non numérotée en son début, du T. V. P. Martial d’Étampes [71-84], et ajout de lettres, [95-99]. Nous en omettons la plus grande partie, par ailleurs utilisée et reproduite très partiellement : tome II supra, et Martial d’Étampes, maître en oraison, op.cit
voir dire la sainte messe. Depuis il
obtint de Dieu de n’être plus travaillé de tels sentiments à l’autel quand il y
avait des séculiers à l’église. […74] Il y avait à Paris deux personnes qui
avait changé le poids de leurs affections précédentes en haines
irréconciliables ;
plusieurs de nos Pères s’y étaient employés, lesquels,
comme les autres séculiers y avaient perdu leur peine, l’un d’eux étant fort
malade fut derechef exhorté par toutes sortes de personnes de pardonner à
l’autre, sans profit. Ce qui sachant le Révérend Père Henri de la Grange,
gardien du couvent de l’Annonciation, il y envoya notre Père Martial ; lequel n’eut pas sitôt parlé à lui l’espace de deux ou trois miserere,
que ce malade se sentit ému de tout son intérieur, et même ressentit de si
grandes douleurs en son corps, et même des peines en son esprit, et tout cela
invita le malade de dire avec un grand ressentiment au Père Martial qu’il le
suppliait de prier Dieu pour lui, qu’il ferait tout ce qu’il dési-rait pour se
réconcilier. Notre Père Martial […] fit oraison pour lui, et sur le soir il
retourna voir le malade et le réconcilia de telle sorte avec lui, qu’ils se
firent protestation d’être à l’avenir aussi bons et plus grands amis
qu’auparavant. […] Non seulement les paroles bénies du Père Martial étaient
efficaces à persuader le bien et à fuir le mal ;
mais aussi ses paroles mortes, je veux dire celles qu’il écrivait
à cette fin et que je
confirme par ce qui suit. Étant
Père maître des novices à Paris, il y avait un abbé assez débauché qui
l’était venu voir au
couvent, lequel fut édifié de son entretien et étant tombé malade, le Père
Martial le fut voir ;
et étant inspiré il envoya prier le Père Martial de le venir revoir ; et ceux qui en
vinrent faire la demande assurèrent
au portier que cet abbé était en grand danger de mourir en
très pauvre état, et en effet il avait mené une vie fort libertine pour un
homme de sa condition. Le portier, qui était Frère Raphaël de Paris, laïc, fut
aussitôt en avertir le vénérable Père Martial, et qu’on le deman-dait en
personne, et non un autre ;
[75] mais d’autant que pour lors il était fort occupé après ses novices, il lui
dit, sans s’étonner du danger que ledit Frère Raphaël lui assurait être cet
abbé, qu’il n’y pouvait aller — ayant peut-être reçu quelque connaissance du
genre de cette maladie et de l’état de ce malade — et dit aux
frères qu’il y allât lui porter un mot d’écrit de sa main, lui disant que si le
malade n’avait la force ou le courage de le lire, qu’il eût à lui lire ; et le chargea
expressément de lui
rapporter cet écrit. Frère Raphaël trouva cet abbé si
malade qu’il ne put lire cet écrit du père Martial, ce qui occasionna Frère
Raphaël de [le] lui lire. Le malade l’écouta fort attentivement, se voyant
dépeint en si peu [et] si véritables paroles, tout étonné, se leva promptement,
tirant des forces de sa faiblesse pour arracher cet écrit des mains de ce Frère Raphaël, et l’ayant, il le mit en son sein, et
pour prière qu’il pût faire au malade pour le ravoir pour le rapporter au Père
Martial, il ne le put retirer, le malade lui refusant, lui disant : « Il
faut nécessairement que Dieu ait révélé au Père Martial le secret de ma conscience, d’autant qu’âme vivante ne peut avoir
connaissance de ce qu’il me
dit, n’ayant que Dieu et ses anges
qui le sachent. » Et ces
paroles, que je nomme mortes sur le papier, furent si vives et efficaces aux
oreilles et au cœur de cet abbé malade, que promptement il prit résolution de
se confesser et se disposer à bien mourir, et particulièrement le vénérable
Père Martial l’avertissait qu’il n’avait plus que six heures à vivre et qu’il
eût à se faire quitte d’une grande affection d’avarice qu’il avait, ayant mis
et caché sous son oreiller un sac de pistoles, lui disant en son écrit qu’il
avait son cœur où était son trésor. […77] Voici le sentiment commun des mères
et sœurs religieuses de sainte Claire :
[…] « Nous
l’avons reconnu avoir un zèle tout particulier au salut des âmes, et assidu à travailler pour les avancer à la
per-fection, de sorte que la moindre imperfection lui était intolérable, et ne la pouvait supporter sans jaillir des larmes en abondance, et
même n’avait point de repos […], de sorte qu’il fallait bon gré mal gré que les
cœurs s’amollissent et retournassent à Dieu considérant son zèle et entendant
ses paroles efficaces à quitter le vice et l’imperfection. Il était porté à une
charité si grande vers les infirmes et ceux qui étaient en quelque nécessité
qu’il a employé volontiers sa vie, et incommodé sa santé pour leur apporter du
soulagement, et était si compatissant aux besoins et nécessités des affligés
qu’il en pleurait de compassion, et souffrait autant ou plus qu’eux ; particulièrement là où il voyait pouvoir avancer tant
soit peu la gloire de Dieu et le salut des âmes, ainsi qu’il le fit bien
paraître à la réforme des religieuses de saint Julien de cette ville d’Amiens,
là où il a souffert de grands affronts, tant des personnes ecclésiastiques qui
s’y opposaient que de celles qui entre elles ne se voulaient point réformer.
Mais sans perdre courage il y travailla. […] [78] Nous avons aussi reconnu
qu’il avait un tel mépris de soi-même que les blâmes et vitupérés ne le
touchaient non plus que les louanges, ne se souciant point dans quelle estime
on le tenait, et avait un tel désir de souffrir qu’il n’en cherchait que les
occasions, et qui faisait qu’il était fort rigoureux à lui-même. Il ne se
couchait que rarement après matines, employant à temps à faire oraison, ou à
écrire et composer pour nous instruire, de bouche ou par ses livres. De quelque
froid qu’il fît, il ne s’appro-chait du feu ; que si par prière qu’on lui en faisait il
s’en appro-chait, il ne s’y arrêtait guère, à s’asseoir comme en y passant. […]
[84] (596-597) ; 1642 (598-620).
1643 (621-623) […] Le
vénérable Père Jean-Louis de Paris, missionnaire de Canada, dont il était
retourné fort incommodé de sa santé et toujours depuis malade de diverses
incommodités, qui de fin l’ont rendu hydropique, et est mort prodigieusement
enflé. Il était âgé de 40 ans.
(624-626) Frère Simon
d’Issy, laïc, âgé de 82 ans. […] Ne pouvant plus faire aucun office, tant pour
sa vieillesse que pour une grande incommodité de rupture [fracture], il se mit
à rendre du service aux malades, à vider les saisines et les urinoirs ; et ne pouvant plus encore continuer ces
exercices et réduit à garder la chambre, il venait tous les jours à la messe […] appuyé sur son bâton, et dès les quatre heures du matin en tout temps. […] Il rendit paisiblement son esprit à Dieu ; après sa mort sa face parut plus belle qu’elle n’était durant la vie. Les
religieux le nom-maient ordinairement « le
bon homme » ; plusieurs par dévotion ont désiré avoir quelque chose qui lui
eût servi.
1644 (627-659) le
Révérend Père Paschal d’Abbeville. [92-93] 12
Suivi de lettres retrouvées
de Martial d’Étampes [93-99]
1645 (660-661)[100] À Paris, [au couvent] de l’Assomption,
le 10 de juin, décéda le très vénérable Père Arsène de Paris, prédi-cateur. Il
fut des premiers qui s’offrirent et fut envoyé à la mission des Topinambours.
Il fut contraint de s’en retirer, étant tombé comme perclus ; où depuis ayant recouvré sa santé, il fut employé
en charge de gardien, ayant toujours le zèle d’employer
sa vie en la conversion des infidèles ;
et en attendant l’occasion
il fut mis-sionnaire à l’armée royale durant le siège
de La Rochelle, où dans les
bastions il rendit bien du service aux soldats pour le spirituel. Depuis il fut
envoyé pour supérieur en la mission de Canada, où
il fut quelques années ;
[…] en particulier parmi les
sauvages qui n’ont de résidence que dans les forêts, où ils vivent de chasse et de pêche, n’ayant
l’usage de labourer les
terres pour y faire du blé,
comme ont a présent nos
religions, qui ont bien souffert à défricher les terres et à gagner les pères
et mères pour avoir leurs enfants, pour les baptiser et instruire, qu’il faut
nourrir et vêtir. Étant survenu quelques différends pour le temporel entre ceux
qui y commandaient pour le Roi Très Chrétien, ledit père Arsène retourna en
France, conservant toujours son affection de finir sa vie en la conversion des
infidèles, et disait, peu de jours devant sa mort, [qu’]il était tout près de
s’embarquer pour aller à une nouvelle mission qui se présentait. Ce Très
Révérend Père s’était fort employé à la connaissance du cours des astres et s’y était fort perfectionné, et
a laissé des écrits et fait imprimer quelque carte. Enfin, notre Dieu le
voulant retirer à lui et récompenser de tant de travaux en ses voyages par
terre et par mer, il tomba malade d’une fluxion fort abondante. […] Il décéda le
30 du mois de juin, âgé de 69 ans, en ayant passé 46 dans la sainte religion.
(662-669)[101] 13.
13. « Auparavant que de finir cette année 1645, j’ajouterai ici ce qui est venu en ma connaissance du R. P. Paschal d’Abbeville. » [101-105, soit 9 pages, car à partir de 101 ne sont paginées que les pages impaires : d’où 101 suivi ici de 101vo.] Nous omettons cette longue notice. – Au [105vo] s’ajoute une paperolle avec des noms de religieuses, certifiant « avoir vu une étoile sur l’église des Révérendes Mères capucines » !
1646 [106ro]. (662) 14 …Très Révérend Père Ange de Mor-tagne. […] Le Révérend Père Joseph de Paris l’avait bien choisi pour être son compagnon avec lequel il communiquait des affaires, et lui servit à déchiffrer les lettres. […] À la mort du définiteur Révérend Père Joseph, le cardinal de Richelieu le demanda au Révérend Père Piral pour assister les religieuses du Calvaire. […]
Agathange de Paris, (664) Frère Dominique de Méru,
Émilien de Beauvais, (666) François de Chartres. (667-676).
1647 [107 r°] 15 (677-685) Père Symphorien fut trouvé mort dans les champs. […] Il allait prêcher. […] (686-709) ; 1648 (710-740 ; 1649 (741-761).
1650 (761-793), 1651 (794-827), 1652 (828-889), 1653 (890-926), 1654 (927-945), 1655 (946-964), 1656 (965-976), 1657 (977-978) Le Révérend Père Leonard de la Tour […] était un gentilhomme fort accompli dans le monde et bienvenu à la cour du roi Louis XIII. […] Envoyé en la Grèce pour y établir la mission et qu’il a fondée spécialement dans l’île de Chios avec un grand exemple de sainteté et une extrême autorité de sa vie ; où après avoir passé 14 ans il est retourné. […] Il a été confesseur des filles de la Passion 16, lesquelles il a pris un grand soin pour leur enseigner la vie de l’esprit de laquelle il était animé, et dont il parlait si hautement si admirablement et si facilement que les plus grands théologiens étaient ravis 17 de l’entendre, avouant n’avoir jamais rien vu ni entendu de si profond et de si mystique. […] (979-998)
1658 (999-1020) ; 1659 (1021-1028).
1660 (1029-1035) Frère
Bernard de Puisseaux, laïc, est mort
Péronne âgée de quatre
ans de religion, étant venu de Saint-
14 À partir de [106] la numérotation propre au
nécrologe s’arrête et nous l’établissons nous-mêmes : indication entre crochets comme précédemment. Suite à une erreur « de
rupture » il faut substituer 670 à 662 et
de même ensuite (nous
15 À partir de là aucune pagination. On se repère par l’annonce des années.
16 Comme Martial d’Étampes.
Quentin, […] les pieds
et les mains gelés et le cœur attaqué par le grand froid et la neige qu’il
faisait. […] (1036-1050) 18.
1661 (1051-1093) ; 1662 (1092-1122) ; 1663 (1123-1151) ; 1664 (1152-1166) ; 1665 (1167-1187) ; 1666 (1188-1221) ; 1667 (1222-1247).
1668 (1248-1267) ; 1669 (1268-1288). Frère Paul de Senlis, laïc, mort à Milo en Grèce à son retour de Candie, où il était allé avec 7 autres capucins pour
y assister les malades de l’hôpital de l’armée du Roi, âgé de 20
ans de religion.
1670 [130 ro]
(1289-1309) ; 1671 (1310-1327) ; 1672 (1328-1349) ; 1673 (1350-1375) ; 1674 (1376-1395) ; 1675 (1396-1418) ; 1676 (1419-1439) ; 1677 (1440-1465) ; 1678 (1466-1482) [dont Yves de Paris en sa
88e année :] Un homme extraordinaire, du nombre de ces
esprits pénétrants […] ;
un si généreux mépris des honneurs. […] Son
humilité profonde ne l’a pu faire résoudre d’être élevé plus haut en dignité. […] Mort de la mort des justes. [...]
(1483-1490).
1679 [138 ro] (1491-1501)
[Fin de la liste.]
Le manuscrit lu à
l’envers construit à partir des données précé-dentes de longues tables où les
noms sont rangés cette fois alpha-bétiquement :
— Colonnes : nom, âge de vêture, ville lieu de la vêture, jour et mois, année, (informations), décès.
— Tables distinctes
pour les prêtres et pour les frères lais.
— Table par dates de
décès. Nous n’avons pas entrepris la revue de cet ensemble, qui constitue un
index utile à toute recherche par nom.
19 À partir d’ici les notices sont très généralement d’une sécheresse toute « classique », dont pour exemple : « Le [blanc] 1660 F. Pierre d’Amiens, clerc mort à Saint-Honoré âgé de 5 ans de religion. »
Sur un siècle, on
compte pour les capucins rattachés à la pro-vince de Paris une moyenne de 22
décès par an (en ne tenant compte que des années 1622 à 1679, soit en ne
considérant que la moitié droite de l’histogramme infra 19, mais cela repré-sente déjà presque 1 300
noms). On observe de très larges fluc-tuations : quinze années fastes enregistrent moins de 15 décès annuels, tandis que quinze années
d’épreuves, autour de 1625 puis autour de 1650, enregistrent plus de 30 décès
annuels (deux années dépassent les nombres de 60 puis 50). Seule la moitié des
années (soit trente environ sur soixante écoulées après 1620) enregistrent des
valeurs proches de la moyenne.
De telles variations
(rapport 2 entre quartiles extrêmes) sou-lignent la dureté des temps : guerres et famines, pour lesquelles nos
capucins étaient pourtant bien moins
exposés qu’une pay-sannerie qui constituait les neuf dixièmes de la population fran-çaise — tout en vivant certes pauvrement en
comparaison de bourgeois et de nobles de rang élevé. D’autres enseignements
quantitatifs pourraient être tirés du nécrologe : durées de vies depuis la naissance ou depuis la vêture, etc.
19. Les années antérieures à faible mortalité dont nous ne tenons pas compte correspondent aux faibles effectifs recrutés avant 1600 (approximativement). Il faut une génération environ pour atteindre un relatif état d’équilibre entre entrées et « sorties ».
[...][La fidélité des franciscains au
mysticisme médiéval par Jean-Marie Gourvil : pp.187-235] [Turba
magna : pp.239-24]
Benoît de Canfield, La Règle de perfection, Quinze chapitres de De la volonté de Dieu essentielle, d’après la première édition, Texte établi et présenté par Murielle et D. Tronc, Paris, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2009, 170 p. [Troisième partie de la Reigle collationnée sur le ms. de Troyes.]
Auparavant qu'elle vint à Coutances, elle ne savait point lire[145], mais lorsqu'elle y fut, on lui apprit à lire. En ce temps-là, Notre Seigneur lui fit avoir un livre qui s'appelle : la Règle de la Perfection qui est divisé en trois parties. La troisième partie traite de la plus haute contemplation et les deux premiers renseignent des moyens dont on peut se servir pour y arriver. Lorsqu'elle lut ce livre, elle ne savait lire que bien imparfaitement, en épelant et en hésitant. Néanmoins lorsqu'elle vint à l'ouvrir, elle lisait tout courant et sans broncher dans la troisième partie…
Après
le Concile de Trente (1545-1563), les catholiques vécurent un renouveau
intense. Notre époque peine à imaginer ce monde où franciscains et jésuites
prêchaient l’oraison à tous : ils en faisaient le pivot de la vie
chrétienne et rédigeaient de très nombreux textes portant sur la vie
intérieure. En 1574, les capucins[146], appelés d’Italie en France par Catherine de
Médicis, furent très bien accueillis : l’on se pressait en foule à leurs
prédications qui chantaient la joie et l’abandon à la grâce divine.
L’Anglais Benoît de Canfield (1562-1610),
converti après une jeunesse généreusement vécue, se réfugia en France pour
échapper aux persécutions de la première Elisabeth. Sa vie intérieure était
intense. Emerveillé par la beauté des églises et des cérémonies, il tombait en
extase en écoutant de l’orgue : « A
peine pouvais-je jamais entendre telle harmonie que les grosses larmes ne me
ruisselassent des yeux ; étant tout hors de moi, transporté en Vous, je
demeurai comme ayant perdu tout sentiment de moi et du monde [...] me trouvant
tout enflammé du feu de Votre amour[147]. » Entré
chez les capucins en 1587, il effrayait ses condisciples par des extases si
profondes qu’on ne pouvait l’en sortir. Une fois, suivant la médecine du temps,
on lui mit des pigeons fraîchement égorgés sur la tête, on le piqua avec de
grosses épingles, sans parvenir à le sortir de son état[148] ! Il dira : « Je le sentais bien, mais j’avais tellement l’esprit occupé
ailleurs que je ne pouvais l’en divertir pour parler ni donner aucun signe de
mon sentiment[149]. »
Il finit cependant par être reconnu et
respecté. Sa renommée se répandit : trop oublié aujourd’hui, il
devint la grande autorité mystique de son temps[150]. On lui demanda « d’expertiser » les
extases de Mme Acarie[151]. Bérulle lui confia Melle Abra de
Reconis qu’il avait ramenée du protestantisme. En 1598, il assura la direction
de l’abbesse de Montmartre Marie de Beauvilliers[152], et fut
son solide appui pendant la difficile réforme de cette influente abbaye. A
l’intérieur de l’ordre, il reçut la charge de former les novices : Martial
d’Etampes (1575-1635) reçut l’habit des mains de Benoît au couvent des capucins
d’Orléans ; il formera à son tour Jean-François de Reims (-1660). Aussi bien par ses écrits que par sa présence
personnelle, l’influence de Canfield fut immense : en 1694, Mme Guyon
achèvera sa grande anthologie des mystiques sur son nom[153].
En 1599, il tenta de partir évangéliser l’Angleterre, mais fut immédiatement emprisonné pour trois ans. Délivré grâce à Henri IV, il
revint en France où il reprit ses activités
de prédication et de direction. Il mourut au couvent de St Honoré le 21
novembre 1610.
*
L’essentiel de son expérience mystique est
rapporté dans la Reigle de perfection
contenant un abrégé de toute la vie spirituelle réduite à ce seul poinct de la
Volonté de Dieu, dont l’essentiel fut rédigé avant 1593. Il refusa
longtemps de la publier, tout en prêtant
des cahiers pour aider ses dirigés. Des copies circulèrent en France et en
Flandre. Sur ordre de ses supérieurs et afin d’éviter des altérations de sa
pensée, il se décida en 1608, deux ans avant sa mort, à en publier les deux
premières parties.
La troisième et dernière partie de la Reigle, qui concerne la vie mystique
avancée, ne lui semblait « être ni propre ni convenable au commun »
(Préface). Il avait souvent refusé de la communiquer, notamment à son
confrère Jean-Baptiste de Blois : « Ne
me demandez, je vous prie, cette troisième partie…[154] ». Il fut toutefois rassuré par la traduction
faite par les chartreux en 1606 de l’Ornement
des Noces spirituelles de Ruusbroec : « Et encore que la hauteur de son sujet me l’avait fait excéder la
capacité du commun, néanmoins la vérité
est qu’il y a plusieurs livres de style et sujet autant relevé »
(Epître au Lecteur, 1610). Il va
donc, à l’exemple de Ruusbroec, oser publier la troisième partie sur la
« vie suréminente », d’autant qu’il a scrupule à laisser sans conseil
les âmes expérimentées : « Ce
n’est pas chose équitable que les âmes bien avancées soient privées de viandes
solides sous prétexte que les commençants ne peuvent manger que du lait ;
ni qu’on ôte au philosophe ses livres de philosophie, sous ombre que le
grammairien ne les entend pas. » (Epître, 1610).
Ses admirateurs étaient de cet avis
puisqu’ils en avaient fait paraître en 1609 une édition « pirate »
chez Jean Osmont, à Rouen. L’auteur protesta parce qu’il n’avait pas relu
l’imprimé, probablement aussi par prudence, puisque cette édition fut aussitôt
critiquée par les autorités religieuses : François de Sales s’inquiétait
de l’absence en cette partie de l’humanité de Notre Seigneur ainsi que de la
condamnation de l’entendement et de l’imaginaire dans l’expérience de Dieu[155]. Des docteurs vinrent chez les capucins
demander des éclaircissements sur certains passages. Se tinrent alors des
conférences comme cela se reproduira à la fin du siècle lors de la querelle
quiétiste : « …un mystique y
défendit sa pensée contre des docteurs soucieux avant tout d’orthodoxie[156]. »
Il en sortit l’édition de 1610 chez
l’éditeur Chastellain : elle contenait des concessions prudentes aux
autorités, et en particulier un « Traité de la Passion » en quatre
chapitres ajoutés à la fin de la troisième partie. Jean Orcibal a montré
combien les omissions et les additions de termes comme « plutôt, comme, quasi, presque, en quelque
manière… » affaiblissent la hardiesse du texte initial en enlevant le
caractère absolu du néant de la créature.
Voilà pourquoi, publiant ici la troisième
partie de la Reigle, nous avons
choisi de reprendre l’édition Osmont : elle traduit le jaillissement original
de l’écriture de Benoît quand il parle d’expérience à d’autres mystiques sans
le contrôle de sa hiérarchie. Nous avons écarté les quatre chapitres ajoutés,
concession en contradiction avec une oraison où aucune image ne subsiste, car « l’image la plus déliée empêche le vol
de l’esprit[157]. »
*
Les
deux premières parties de l’œuvre traitent des abords de la vie
intérieure : la vie active des commençants, puis la vie d’oraison. La
troisième partie est de loin la plus fascinante puisqu’elle parle de la
« vie superéminente », à savoir des « choses abstraites[158] de la
haute contemplation et de l’essence de Dieu » (Préface 1609), autrement dit des sommets de la
vie mystique. Elle met en jeu « la
pure et nue foi contraire aux sens, qui est la partie supérieure de
l’âme », là où l’on « contemple
Dieu sans aucun moyen ou entre-deux » (Reigle, II, 12). Car cet amoureux de Dieu ne supporte aucun
intermédiaire entre Dieu et lui, si ténu soit-il : Canfield consacre
l’essentiel de l’œuvre à l’analyse subtile des nombreux obstacles qui
subsistent chez celui qui a pourtant dépassé l’attachement au corps et aux
passions.
La Reigle
de perfection […] réduite à ce seul
poinct de la Volonté de Dieu rassemble toute la vie intérieure en un
abandon actif à la volonté de Dieu, démontrée dès le premier chapitre de la
troisième partie comme identique à Dieu même. Cette volonté est connue à
l’homme par les commandements de Dieu et l’Eglise, mais elle est ressentie
intérieurement « par les
inspirations, illuminations, élévations et attractions de Dieu » ;
« elle est chose si délicieuse et
plaisante à l’âme qu’elle l’attire, enivre, illumine, dilate, étend, élève et
ravit en telle sorte qu’elle ne sent plus aucun vouloir, affection ou
inclination propre, mais, totalement dépouillée d’elle-même et de toute volonté
propre, intérêt et commodité, est plongée en l’abîme de cette volonté et
absorbée en l’abyssale volupté d’icelle, et ainsi est fait[e] un même esprit
avec Dieu. » [159]
L’homme renonce par amour à sa volonté propre, Dieu purifie l’âme de
tout ce qui n’est pas Lui et devient le principe de tous les actes humains.
Canfield suit ici la grande tradition de la mystique rhénane que l’on voit
développée dans la Perle évangélique,
qu’il avait probablement lue puisqu’elle avait été traduite en 1602.
La vie mystique cherche son achèvement dans
l’identification avec Dieu par l’anéantissement amoureux de la créature. D’où
cette dialectique : à chaque instant, le mystique choisit entre le Tout de Dieu
et le rien de la créature devant Dieu.
Deux
possibilités s’offrent d’annihilation de soi-même : la première est
passive, si l’amant de Dieu « toujours
attend l’actuel trait de Dieu » (Reigle,
III, 11), l’initiative divine à laquelle il essaie d’être toujours ouvert.
Mais, à cette attente amoureuse, Canfield préfère la seconde possibilité,
l’annihilation active : à ce stade, seule la volonté divine peut agir,
mais l’homme peut aider la grâce par « quelques
très subtiles industries de notre côté, non que telles industries soient des
actes de l'âme, mais tant s'en faut qu'au contraire elles servent pour assoupir
toutes actuelles opérations d'icelle et pour la rendre nue » (III, 3).
A tout instant donc, il essaie de marcher selon la « nue foi »,
c’est-à-dire de « voir ce tout au
Créateur » et « ce rien à
la créature », de vivre « continuellement avec toute constance
en cet abîme de l'Etre de Dieu, et en la nihilaité [néant] de toutes choses » (III, 13).
Tentant de décrire ces extases dans un
commentaire au Cantique mêlé de
comparaisons charnelles hardies, Canfield s’abandonne à de beaux épanchements
lyriques : « Ô quelle immense
beauté reluit en cette vision où est découverte la divine face amoureusement
riante sur l'âme ![160] » (III, 5). Mais l’exigence de cette expérience
se traduit aussi en termes sobres et absolus : « …si on contemple la créature sans contempler le Créateur, elle
est ; mais si on contemple le Créateur, il n'y a plus de créature […] Donc, d'autant qu'ici est question de
trouver Dieu, et cette infinie essence, il ne faut [pas] considérer la créature
comme quelque chose, mais comme absorbée en cet abîme » (III, 8).
Ce qui ne signifie pas mépriser la vie
ordinaire, mais, comme dans la « vie commune » vécue par Ruusbroec,
la laisser pénétrer par le divin : « Nous
n'entendons point quand nous disons qu'il ne faut retourner à la volonté
extérieure, qu'il faille mépriser les œuvres extérieures […], mais entendons qu'on les spiritualise et
annihile à mesure qu'on les fait » (III, 13).
Le mystique aspire à dépasser l’opposition
entre extases et vie ordinaire pour que sa vie tout entière soit remplie de
Dieu : cet état final « n'est autre
chose qu'une continuelle présence et habitude d'union entre Dieu et l'âme son
épouse, en laquelle l'âme revêtue de Dieu, et Dieu de l'âme sans se retirer et
sans aucune rétraction ou intervalle, vivent l’un dans l’autre… »
(III, 7). La langue de Canfield devient
incandescente quand il décrit l’aspiration de l’âme à cet état où Dieu seul
subsistera : elle « hait à mort
tout ce qui peut faire sentir quelque plaisir, ou avoir autre pensée d'elle‑même,
ou qui lui donne à savoir qu'elle est une et son Epoux un autre, auquel plus
que sa vie elle désire avec toutes créatures d'être fondue, liquéfiée, consumée
et anéantie » (III, 7).
Ce qui
a le plus choqué les censeurs romains, ne fut pas de dire la possibilité
d’extases exceptionnelles, depuis longtemps reconnue, mais la hardiesse
d’affirmer que l’expérience finale, qui allie vacuité et amour, peut être
« habituelle » : « … cette
annihilation est si parfaite et habituelle en l'âme en ce degré ici que, toutes
choses parfaitement réduites à rien, elle demeure comme suspendue en une
immense vacuité ou nihilaité, sans pouvoir voir ni appréhender chose aucune, ni
même elle‑même ; laquelle infinie vacuité, ou nihilaité, ressemble à la
sérénité du ciel sans aucun nuage, et est une déiforme lumière. Or en cette
lumière est aussi l'amour (non autre chose) qui doucement enflamme, brûle et
allume l'âme… » (III, 7).
*
Le lecteur va avoir devant les yeux une
oeuvre écrite par un Anglais immigré dans une langue archaïque : elle
nécessite donc une lecture lente. Par ailleurs, Canfield aimait à l’excès les
balancements et les parallèles logiques dans lesquels on se perd et qui
lui ont donné une réputation d’obscurité : c’est paradoxalement quand il
veut être très rigoureux qu’il devient difficile à suivre ! Il faut donc passer
outre les excès de logique, accepter de ne pas tout comprendre, pour aller vers
les passages denses, abrupts, tout droit sortis du feu de l’expérience
mystique. Un peu de patience permettra de s’attacher à ce mystique ardent, tout
frémissant d’amour divin et qui brûlait d’y amener ses lecteurs.
Constantin de Barbanson, I,
Les Secrets sentiers de l’Esprit divin, manuscrit précédant les Secrets sentier
de l’Amour divin, Introduction et annotations par D. Tronc, lulu.com, coll.
« Chemins mystiques », Série « Constantin de Barbanson », 364
p. [le ms. …de l’Esprit divin est une source très spontanée qui diffère
largement du volume publié Secrets sentiers de de l’Amour divin]
Cette étude ouvre sur l’ensemble des cinq volumes qui rassembleront l’opus de Constantin de Barbanson (1582-1631).
Constantin est né à la fin d’une période difficile marquée par les luttes entre catholiques et protestants. On connaît les figures du duc d’Albe s’opposant à celle de Guillaume le Taciturne fondateur de la dynastie d’Orange. Ce sont les acteurs d’une histoire terrible qui conduisit à la séparation définitive entre un sud catholique - la moderne Belgique - et un nord protestant - les Provinces unies ou moderne Hollande.
Le père de Constantin s’appelait Théodoric Paunet. Il était receveur des domaines de Barbanson ou Barbençon, situé dans la province du Hainaut [[161]]. Il fut établi sur ces terres par les seigneurs du lieu. Vers 1578 il eut pour fils aîné Jean, qui fit profession chez les franciscains capucins de Louvain le 28 mai 1600 sous le nom de frère Félix de Beaumont [[162]]. Un autre fils né vers 1580 devint frère mineur à Nivelles sous le nom de Pierre et vécut à Ypres, Gand et Bruges sous diverses charges. Il devint confesseur de l’archiduchesse Isabelle, puis fut enfin nommé évêque de Saint-Omer en 1627 pour mourir dès 1630. [[163]].
Enfin naquit en 1582 un troisième fils, baptisé sous le prénom de Théodoric, reprenant le prénom de son père qui venait d’être tué par des protestants. Il s’agit de notre futur capucin Constantin. Pour le moment il doit supporter avec sa mère et ses frères la misère - une misère d’ailleurs très générale en cette période troublée.
Puis il se présente le 20 septembre 1600 chez les capucins de Bruxelles qui avaient pour maître Jean de Landen. La province flamande comptait dix-sept couvents après seulement quinze ans d’existence : « Toute la province est spiritualisée : nombreux sont ceux qui éprouvent extases et rapts [[164]] », raconte en 1612 le Père Philippe de Cambrai qui est le premier chroniqueur à nous renseigner sur l’établissement de l’Ordre en Flandre. Le rédacteur de la préface à la réédition des Secrets Sentiers de 1932 résume et rapporte :
« Nous y pouvons lire
les « performances » de Jean de Landen prêchant tout le jour en
carême et rentrant à jeun le soir dans son couvent […] l’obéissance était
pratiquée jusque dans des choses impossibles, où la discrétion des supérieurs
nous paraîtrait facilement en défaut. Un religieux s’accuse un jour d’avoir
cassé un plat de terre cuite ; mange-le, lui fut-il répondu ; et
l’ordre fut exécuté. […] Sur les routes qu’il était si dangereux de fréquenter
seul, les capucins sont envoyés sans armes ni vivres ; jamais aucun d’eux
ne fut tué, dit Philippe de Cambrai ; ceux qui restaient au couvent
priaient tant pour les voyageurs ! »[[165]]
Ce sont quelques aspects de la vie concrète rigoureuse que dut connaître Constantin. Il est formé par le P. Francis Nugent [[166]], gardien du couvent de Douai, actif auprès des capucines et des bénédictines de la même ville. Ici la chronique signale que
« dès 1595 le danger
[d’un mouvement pseudo-mystique] semble assez grave pour que le Chapitre
provincial de Lille interdise de parler d’union […] en 1598 le P. Francis
Nugent est appelé à Rome pour se
justifier […] est privé de voix active et passive, le Provincial Hippolyte de
Bergame également ; et défense est portée, sous peine d’excommunication,
de lire ou seulement de conserver Harphius, Tauler, Ruysbroeck et autres
auteurs mystiques. » [[167]].
La rigueur concrète des conditions de vie s’accompagnait ainsi d’un contrôle des idées. Constantin s’y pliera tout en veillant à présenter une sereine défense de convictions basées sur son expérience.
Jean de Landen a été formé par le P. Bellintani de Salo, illustre capucin de la première époque qui mourut en 1611 à l’âge de 77 ans. Voici le bel aperçu rédigé par Noettinger, un bénédictin ami de la spiritualité qui anime la vie capucine :
« A le considérer [le
P. Bellintani], on croit toucher le fond de la spiritualité franciscaine et
voir une réussite de la première béatitude. Plus la pauvreté marque d’emprise
sur son âme, plus la charité s’y développe et son premier fruit, la joie. Non
pas le seul détachement des biens extérieurs, qui n’est que le premier pas dans
cette voie, mais l’esprit de pauvreté, mais la pureté de l’esprit, mais la
pauvreté de l’esprit, que d’autres définissent l’humilité parfaite,
l’anéantissement de tout son être, la conscience de son néant, la dépendance
absolue, l’abandon entre les mains de Dieu ». [[168]].
Jean de Landen est préposé à la formation des novices. Constantin fait profession entre ses mains le 20 septembre 1601 puis entreprend le cycle des études préparatoires au sacerdoce et au titre de prédicateur, probablement à Douai qui possède une université. Nous y trouvons trace en 1610 où il signe comme témoin d’une profession.
Constantin est envoyé en Rhénanie en 1612. Il séjourne à Cologne, parmi sept religieux désignés pour une première fondation et mène une vie itinérante. Il a juste trente ans.
Le bénédictin ami Noettinger précise :
« Peut-être,
cependant, dès les premières années, fut-il chargé d’instruire les
novices ; car ses supérieurs ne pouvaient ignorer la part qu’il avait eue
dans la formation spirituelle des bénédictines de Douai. »
Car en 1613, à l'âge de trente et un an, il prêche retraite à la demande de l’abbesse des bénédictines de Douai. Le manuscrit intitulé Secrets sentiers de l’Esprit divin [[169]] est probablement issu de cette retraite (ou d’une autre rencontre la suivant de peu). Dix ans sépareront la première retraite de la publication des Secrets sentiers de l’Amour divin parus dans cette même ville.
Faut-il y voir l’effet d’une résistance à surmonter ? Dans une lettre du 3 mai 1613 à Madame Florence de Werquignoel, la réformatrice et première abbesse de la Paix-Notre-Dame à Douai, à propos d’un Traité de l’oraison qui lui a été adressée (s’agirait-il de notre Secret sentiers de l’Esprit divin ?), Constantin écrit :
« C’est merveille
aussi si plusieurs choses qui y sont n’ont pas été contredites par ceux qui par
aventure les auront vues, car ces matières sont fort sujettes à être mécrues ou
rejetées par plusieurs qui s’y opposent. » [[170]].
En 1618-1619 il est responsable de la communauté capucine de Mayence et élu définiteur provincial. L’année suivante, il est gardien du couvent de Paderborn (où, déjà en 1615, il avait paru dans un acte dirigeant des travaux), ensuite des couvents de Munster, de Cologne en 1622, de Mayence en 1627, enfin de Bonn à partir de 1628.
« Plus d’une fois,
d’après l’usage courant, il aura été en même temps maître des novices, comme
plusieurs auteurs l’affirment
expressément. […Il] fut l’ami et l’admirateur de la jeune congrégation des
Capucines flamandes, fondées à Bourbourg (Nord) en 1614. Il fit connaître le
nouvel institut en Allemagne ; dans trois villes où il a été Gardien
(Cologne, Paderborn et Bonn) des monastères de femmes finirent par s’affilier à
la congrégation naissante. » [[171]].
Il garde des liens avec sa terre natale, lié d’amitié avec l’archidiacre de Tournai Jean Boucher, avec Madame Florence de Werquignoel, dont nous avons lu un extrait de lettre ; avec François Sylvius vice-chancelier de l’université ; avec les capucines de Flandre en délicatesse avec l’évêque de Saint-Omer …qui n’est autre que son frère Pierre.
« Il vint donc à
Saint-Omer, peut-être à temps pour revoir sa mère dont les funérailles furent
célébrées en l’église de récollets le 28 octobre [1628], réussit naturellement
à convaincre l’évêque, puis descendit chez les capucines où il se prêta de très
bonnes grâces aux ‘désirs de toutes celles qui avaient à lui parler.’ L’Histoire des Capucines de Flandre [[172]] nous a conservé la teneur d’une
direction donnée par lui à sœur Ange de Douai […] tourmentée d’angoisses et de
peines intérieures ; ‘Elle reçut pour avis que, étant à l’oraison, elle
devait se tenir simplement humiliée devant Dieu, et, comme en s'offrant à la
divine justice, attendre en silence ce qu'il plairait à Sa Majesté suprême de
lui envoyer ; qu’au sortir de l'oraison et dans toutes ses actions, elle devait
s'étudier à conserver le visage toujours serein et ne point faire paraître le
moindre signe de mélancolie, de tristesse et d'affliction intérieure, parce
qu'en cela la nature se nourrit et l’âme perd le fruit de sa souffrance en
cherchant avec empressement la compassion des créatures’ » [[173]].
Il venait de terminer le manuscrit de l’Anatomie de l’âme [[174]] lorsque la mort brutale par hémorragie cérébrale le surprit le 26 novembre 1631 [[175]]. L’ouvrage sera publié quatre ans plus tard. L’édition, un « cube » de plus d’un millier de pages denses, fut établie grâce à la fidélité d’un compagnon pour rendre hommage à une vie exemplaire :
« Tous les témoignages
nous [le] montrent bon jusqu’à l’extrême limite, celle qui voisine avec la
faiblesse, bon par détachement, aimé et vénéré de tous…». Il présente une
« voie affective ou mystique par négation … Aussi la volonté est-elle,
d’après les Secrets sentiers, la
principale faculté mystique. Entendez … surtout l’amour. » [[176]].
L’on trouve rapportée [[177]] que :
« …la vertu qui
brillait le plus chez lui était la mansuétude et la bénignité pour ses frères ;
elle allait jusqu'à la faiblesse. On rapporte que le démon, après avoir résisté
aux exorcismes pratiqués sur un énergumène par le père Constantin, annonça la
mort de ce vénérable religieux, au moment où elle avait lieu à une grande
distance, ajoutant que la cause de l'impuissance de ce père sur lui avait été
l'excès de son indulgence pour ses frères, et que ce même défaut lui avait
mérité quelque peine en purgatoire. La parole du démon se trouva vraie en ce
qui concernait la mort du père Constantin, seul point que l'on pût vérifier.
Elle eut lieu à Bonn, le 26 novembre
Influencé par la Mystica theologia d’Hugues de Balma [[179]], ouvrage attribué à l’époque à Bonaventure et relayé par les écrits de Harphius et de Canfield, Constantin exerça à son tour une influence notable sur le Cardinal Bona (1609-1674) et sur le capucin allemand Victor Gelen (†1669) ainsi que sur l’anglais mystique Augustin Baker (1575-1641) [[180]].
On relève ainsi des chaînes traduisant les influences exercées soit par les textes (>) soit directement (>>) :
Hugues de Balma > Harphius > Canfield > C. de Barbanson,
J. de Landen et F. Nugent >> C. de Barbanson,
C. de Barbanson > Bona, Gelen, Baker,
C. de Barbanson >> Dame de Werquignoeul, première abbesse de la Paix Notre-Dame de Douai,
F. Sylvius de l’Université de Douai, et C. de B. >> capucines de Flandre dont sœur Ange de Douai.
Plus tard il sera apprécié de l’éditeur protestant Pierre Poiret [[181]].
La bibliographie qui concerne Constantin n’est pas abondante et nous venons d’en présenter les informations utiles à notre propos. Aucune monographie consacrée à Constantin n’a été établie à ce jour, mais la réédition en 1932 des Secrets sentiers de l’Amour divin est soigneusement introduite. Quelques indications complémentaires figurent dans l’Histoire des capucines de Flandre.
Le capucin Théotime de Bois-le-Duc a tenté une synthèse du contenu mystique en deux articles dont le second est de grand intérêt [[182]]. Ces articles étant peu accessibles hors de quelques bibliothèques franciscaines, nous reproduisons le second en fin du présent volume : voir l’Annexe « ETUDES, I, La doctrine mystique du P. Constantin de Barbanson par le P. Théotime de Bois-le-Duc ». Nous la complétons par II, notice établie par le capucin Candide de Nant pour le Dictionnaire de spiritualité [[183]]. Enfin nous livrons III, “Lectures des sœurs capucines et auteurs capucins belges », un aperçu de lectures recommandées aux sœurs capucines par leur mère supérieure ainsi que des noms évoquant une turba magna d’auteurs spirituels capucins belges.
Constantin de Barbanson est original par son association du vécu mystique à la tentative de le traduire par un « système ». L’expérience exprimée avec vivacité dans les Secrets sentiers de l’Esprit divin éditée en 1623 dans les Secrets sentiers de l’Amour divin apporte des témoignages qui seront relayés par la théologie mystique de l’Anatomie de l’âme en 1635.
Le terme d’Anatomie peut sembler étrange appliqué au domaine mystique. Il est alors courant et inclut par exemple l’exposé de 1628 de la découverte par Harvey de la circulation sanguine Exercitatio anatomica. La compréhension « théorique » de l’expérience mystique était rendue nécessaire par des suspicions qui se manifestaient déjà à l’époque.
Elle demande un effort qui est largement récompensé. Il suffit de lire lentement quelques pages et d’y retourner sans vouloir couvrir d’un trait l’abondante Anatomie. On se situe encore tôt dans le siècle, et hors de France : la langue n’est pas fixée ; ses provinces et a fortiori les pays étrangers flamands ou des bords du Rhin sont en retard sur Paris d’un bon demi-siècle [[184]].
Constantin est remarquable par un optimisme qui le conduit à insister sur l’efficace manifestée par le mystique accompli. Ce dernier n’a plus à craindre une fausse « divinisation », car, loin d’être une illusoire possession, elle marque l’abandon et l’oubli total de soi-même, signes de la prise en main de l’être par la grâce.
Constantin expose une vie mystique avancée, en renvoyant pour le reste aux nombreux traités traitant de la méditation. Il présente sans détour un « état permanent » final. Il parle peu des représentations de Jésus-Christ : elles soutiennent une méditation affective à dépasser. Il tente d’harmoniser la théologie d’école avec sa propre expérience (la démarche intellectuelle de cette théologie scolastique s’écarte depuis le XVe siècle des recours à l’expérience mystique et ne peut donc plus être nommée Théologie mystique comme cela était le cas pour Hugues de Balma).
Constantin déclare :
« Nous avons été
créés, non pour nous anéantir, mais pour vivre et agir […] la grâce doit peu à
peu s’emparer de toutes nos facultés et de tous nos actes. » [[185]].
Il répond aux critiques provenant du père Graciàn (Gratien, †1614), le confesseur de Thérèse d’Avila. On sait que ce dernier devint le confesseur d’Ana de Jesus et d’Ana de San Bartolome. Il achevait en Flandre une vie devenue (enfin) paisible. Toujours très actif, Graciàn fut le moteur d’une querelle née de la divergence entre l’approche christocentrique thérésienne importée « du sud » et la traditionnelle approche apophatique « nordique » défendue par les capucins flamands [[186]]. La méfiance envers les mystiques « abstraits » s’était déjà manifestée dès l’arrivée de jésuites à Douai.
Ce conflit oblige Constantin à mettre de l’ordre dans son exposé mystique, non sans une certaine prolixité qui explique en partie l’obscurité dans laquelle est tombée l’Anatomie, par ailleurs desservie par un volume d’un bon millier de pages. Car la marque du capucin prêcheur est de s’en tenir souvent à un unique, mais fort volume, le « manuel » qui résume une vie d’apostolat. Ici, l’auteur est desservi par son origine (deux fois : origine excentrée, décalage temporel de l’état de la langue française), mais cela ne doit pas décourager la méditation de traités séparés dont chacun s’avère aussi lisible que la Reigle si appréciée de William Fitch of Little Canfield (le Père Benoît de Canfeld). Remède proposé : découvrir la vaste Anatomie os après os, en goûter quelques pages, voire une seule, et s’en tenir là.
Constantin prend la suite de Benoît, et par la chronologie et dans l’exposé de la vie mystique. Il prend le relais en allant plus profondément dans l’exposé de la voie, ce que nous attribuons en partie à leur différence d’âge lorsqu’ils écrivaient [[187]]. Son objectif est surtout défini plus largement, car il ne se limite pas à un exposé portant sur la pratique de l’oraison. Il n’est pas dualiste [[188]].
Aussi le carme Dominique de Saint-Albert (1596-1634),
le disciple le plus brûlant du grand Jean de Saint-Samson, pouvait-il
écrire :
« En ma solitude j’ai
conféré ces deux livres, celui du P. Benoît et de Barbanson. P. Benoît ne me
semble que spéculatif au respect de l’autre qui a la vraie expérience des
secrets mystiques. » [[189]]
Après avoir présenté l’auteur et son œuvre, nous abordons le contenu du premier des cinq volumes livrant le corpus. En 1613, à l'âge de trente et un ans, Constantin a prêché retraite à la demande de l’abbesse des bénédictines de Douai.
La source que nous éditons est probablement issue de cette retraite (ou d’une retraite la suivant de peu). Il s’agit du manuscrit 2367 réserve de la Bibl. Franciscaine de Paris qui s’avère précéder la première édition imprimée de 1623. Nous avons été introduits à ce manuscrit par la note du P. Willibrord de Paris dont nous allons donner des extraits [[190]]. En ouverture, la note décrit le manuscrit :
“La Bibliothèque
Franciscaine Provinciale de Paris possède un manuscrit apparemment inconnu des
historiens de !a spiritualité franciscaine, et qui semble pourtant ne pas
manquer d'intérêt. Il est intitulé simplement : Les / Secrets Sentiers / de / l'Esprit divin : / Composez / par le R.
P. Constantin / Capucin.
“Le titre et le nom de l'auteur piquent tout de suite
la curiosité.
“Ce manuscrit mesure 142 mm
de hauteur sur 91 de largeur. Il est tout entier de la même main, sur un papier
vergé, non filigrané, d'assez mauvaise qualité, sauf de la p. 237 à la p. 297,
où le support de l'écriture est plus solide. Ce détail n'est pas sans
importance, car la mauvaise qualité de ce papier a permis à l'encre de le
ronger totalement en bien des endroits, de le transpercer partout, et d'en
rendre ainsi la lecture assez pénible, d'autant plus que la main fut rapide,
serra les lignes, et ne s'appliqua point à calligraphier. Les 412 pages qui le
composent se répartissent ainsi : 1-8 deux pièces d'introduction ; 9 rappel du
titre, et titre de la 1re partie, puis une table jusqu'à la p. 11 ;
13 à 87, texte de la première partie ; 88 à 93 en blanc ; 93 rappel du titre et
titre de la seconde partie ; p. 95 prologue de cette partie, jusqu'à 101 ; 101
à 337, texte de cette partie, suivie du cri « Vive L'amour », 338 à 344 sont en
blanc ; 345 commence par : « Quant est des quiétudes. Scachez que... » et ce
texte va jusqu'à la page 360 ; 361 à 368 sont encore en blanc ; 369 débute
ainsi : « De la vie intime. / D'autant... » et cette suite termine le
manuscrit, à la p. 412.”
Tenter une datation approximative comme une relative localisation de ce livret par analyse des pièces des six parties reliées ensemble du volume [[191]] ne permet pas au P. Willibrord « d’obtenir une donnée précise ». Passant de la critique externe décevante à celle du contenu, l’intérêt du manuscrit lui apparaît alors pleinement – et nous a poussés à le lire :
Le P. Willibrord compare assez précisément l’imprimé au manuscrit dont il a repéré l’intérêt (ce qui n’exclut pas une découverte toujours possible de manuscrits parallèles [[192]] :
“Comme il a été impossible de déceler l'âge et
la provenance de l'écrit, on pourrait croire qu'il s'agit là d'une simple copie
sur l'imprimé, donc sans intérêt réel. Mais nous avons été frappé dès l'abord
par une première divergence entre ce manuscrit et le grand ouvrage du mystique
capucin. Ce chef-d'œuvre, dans toutes ses éditions imprimées
(1623-1629-1643-1649, etc., 1932 pour le français ; 1623 et 1698 pour le latin)
s'appelle : Les Secrets Sentiers de
l'AMOUR divin. Or notre manuscrit dit : Les
Secrets Sentiers de l'ESPRIT divin. C'est déjà une première différence. Si
nous avançons dans la suite du texte, nous ne manquons pas d'en relever bien
d'autres.
“D'abord les deux passages
qui ouvrent le traité, “A Dieu Tout Puissant” (1932, p. 14) et “Aux âmes
dévotes” (1932, p. 16) sont plus longs dans le manuscrit, et plus ou moins
interpolés de l'un en l'autre. De plus, le prologue des éditions imprimées
n'existe pas dans notre manuscrit (1932, p. 19 à 39). Mais considérons le corps
de l'ouvrage. Le Ms., à la p. 9,
porte : « Les voyes secrettes de l'Esprit divin. Première Partie contenante
certains points nécessaires à ceux qui veulent commencer à s'appliquer du tout
au vray amour de Dieu, et de la nécessité de son Esprit divin. » Comparez avec
le titre des éditions imprimées (1932, p. 43),
« Première partie
contenante aucuns préambules ou points plus, principaux, nécessaires d'être sus
et exercés par celui qui veut s'avancer au chemin de la perfection. » A la
suite de ce titre, le manuscrit donne sa table (p. 10). Regardons-là en même
temps que celle des éditions (1932, p. 40-41) :
“MANUSCRIT :
Du but et de la fin finale
du chemin de la perfection.
“Chapitre 1. Premier point
nécessaire à la Perfection de la cognoissance de Dieu et de soy-mesure.
Chapitre 2. De l'humilité, montrant la nécessité que nous avons d'icelle.
Chapitre 3. Humilité que c'est. Moyens pour acquérir la vraie humilité. Second point nécessaire à la perfection
[nos italiques faisant ressortir les différences]. Chapitre 4. De la
mortification. Troisièsme point
nécessaire à la perfection de l'amour divin. Chapitre 5. Moyens pour
acquérir l'amour divin. Chapitre 6. Aucuns advis touchant le chemin de la
perfection, et de l'oraison mentale.
“IMPRIMES :
“Chapitre 1. Du but et de
la fin prétendue en tout ce chemin du divin amour. Chapitre 2. De la
connaissance de Dieu et de soi-même. Chapitre 3. De l'humilité. Humilité, que
c'est. Moyens pour acquérir l'humilité. Chapitre 4. De la mortification.
Chapitre 5. De l'amour divin. Chapitre 6. Aucun avis.
[…]
“Pour ce qui est de la
deuxième partie voici leur titre mis en parallèle :
“MANUSCRIT:
“Seconde partie, contenante
une briève mais entière deduction de tout le chemin de la vraye Oraison mentale,
avec tous les estats et passages qui s’y rencontrent. (p.93).
“IMPRIMES :
“Seconde partie contenante
une entière description et poursuite de tout le chemin d'oraison mentale par
lequel on va à Dieu et parvient - on à la jouissance de son divin amour ; avec
les degrés, états et opérations que l'on y rencontre. (1932, p.103).
D'apparence on croit
trouver tout à fait la même matière. Mais si l'on compare un tant soit peu les
deux textes, on constate une divergence plus grande encore que pour la première
partie, en même temps qu'un réel parallélisme au fond, et de grandes pages
textuellement identiques. Contentons-nous de comparer les deux tables de
chapitres. Les quatre premiers ont des titres à peu près communs ; à partir du
cinquième, on rencontre la différence le
Ve du MS (p. 187) correspond au IXe des éditions ; le VIe
(p. 212) au Xe; le VIIe (p. 272) au XIIe, et à
la p. 301 le manuscrit porte un « Amen » terminal. Mais il ajoute (pp. 302 ;
305 ; 345 ; 369 et 401) des passages qui n'ont pas l'air de se faire suite
entre eux, ni de correspondre aux chapitres XIII à XVI que nous trouvons dans
les éditions imprimées. […]
L'on sait par ailleurs (dom
A. Julien nous l'affirme apud R.A.M.
1932, p. 412-415) que des copies d'un brouillon préparatoire à l'édition
circulaient bien des années avant l'impression première des Secrets Sentiers en
1623... Pas de doute, semble-t-il, que notre manuscrit ne soit un des premiers
états de cette œuvre. […]
Après avoir souligné combien les deux textes divergent, l’érudit père Willibrord conclut :
« Pas de doute, semble-t-il, que notre manuscrit ne soit un des premiers
états » des Secrets sentiers
publiés [[193]].
Sa brève, mais précieuse note nous a incité à déchiffrer le manuscrit car nous
avions déjà largement apprécié l’édition de 1623. Puis, appréciant sa fraîcheur
et l’élan qu’il peut nous communiquer, à le transcrire.
Constantin se propose de révéler « les voies les plus reculées de la connaissance des mortels » données par Dieu :
« C'est un secret, et
à l'oreille que je désire les vous dire, craignant que les inexperts ou
incrédules d'une si grande bonté divine ne sachent croire que ces choses sont
si faciles à qui s'emploie à les chercher [[194]].
« Car Dieu de son côté
nous le veut donner, nous invite à le rechercher, et jamais ne manquera à ceux
qui le cherchent en vérité : « Je
suis, dit-il, à la porte de vos âmes,
et je heurte, attendant si quelqu'un me la veut ouvrir, et celui qui me donnera
entrée chez soi, je viendrai et ferai un banquet avec lui en son âme [[195]] ».
§
Nous donnons dans les vingt pages qui suivent de nombreux et
assez amples extraits. Outre le choix de telles « bonnes feuilles »,
cela souligne l’intérêt concentré sur des chapitres de la seconde partie du
manuscrit ; on est ainsi encouragé à surmonter de premiers envois « à
Dieu » et « à l’âme fidèle » puis à s’habituer au ‘style
‘rocailleux’. Nos extraits couvrent surtout la dernière moitié manuscrite,
entre les pages (m158) et (m294).
Entre tous les moyens, « l'amour est l'exercice principal et le premier de tous qui rend tous les autres faciles, adoucissant toutes difficultés » et « l'amour est le pied, au moyen duquel il va en avant, et celui qui n'aime, ne chemine point aussi » : le terme d’amour sera constamment repris [[196]].
Le thème amoureux de l’extrême « supposition impossible » est présent par deux fois :
« Il faut encore avec
telle pureté et sincérité chercher cet amour qu'encore qu'on saurait que Notre
Seigneur ne nous voulût pour sien, ains [mais] plutôt qu'il nous voulût perdre
à jamais, encore que n'aurions jamais reçu aucun bénéfice de lui, encore que
n'espérions rien ni après ni Paradis, ni grâce ni gloire, [même ain]si
voudrions-nous lui servir, chérir et caresser de toutes les forces de notre
âme, le connaissant vraiment digne de tout honneur que lui voudrions faire [[197]].
Comment cela est-il possible sinon par une expérience mystique donnée par grâce ?
« …la connaissance expérimentale qu'elle
reçoit de l'amour, bonté, dignation [bienveillance] de Dieu en son endroit, lui donne un objet si aimable, si désirable, si
solide et si efficace en son esprit qu'elle est enseignée à exercer les actes
d'un amour le plus purifié qui lui est possible, inclinant son cœur à le
désirer, chérir et à le servir de tout son désir, comme bien souverainement
aimable, si digne de toute gloire, honneur et louanges ;
Ce qui « semble bon sans autre pourquoi » : sans qu’un don, secondaire en comparaison de ce qu’elle a reçu par « dignation », soit nécessaire :
[…] que combien même elle
n'aurait jamais rien reçu de lui, ni grâce [particulière], ni gloire, ni
paradis ni enfer, [ain]si voudrait-elle le servir, l'aimer et le désirer de
tout son cœur, pour ce seulement qu'il est digne, ou bien pour toute raison
parce qu'elle le veut ainsi, et que cela lui semble bon sans autre pourquoi ! [[198]].
Il existe une condition « pour arriver à cet amour divin » en attente :
Croire indubitablement que
ce grand Dieu est intimement dedans nous en notre esprit et n’est pas besoin de
l'aller (m57) chercher au Ciel par sublimes conceptions ni par discours des
choses saintes ; car il habite en votre esprit comme en sa propre image, et ne
s'en retire jamais, ne désirant que de se pouvoir donner à connaître à votre
âme, et lui communiquer ses grâces, son amour [[199]].
Sachant qu’Il est présent en notre esprit il ne reste…
… plus rien que de voir le
moyen de se dépêtrer peu à peu de ces imaginations grossières et extérieures de
l’humanité de Notre Seigneur, (m71) apprenant à le concevoir présent en son âme
au sommet de son esprit, et toujours cheminer ainsi en sa divine présence, sans
descendre aux opérations de l’imagination.
Alors :
Dieu nous tire d'un degré à
l'autre, tellement peu à peu et avec telle coopération nôtre, que l’on les
passe sans distinguer ou remarquer, sinon après que l'œuvre est faite. [[200]].
En résumé :
Dieu est un bien infini, la
source, l’origine et fontaine de tout bien, lequel est présent intimement à
notre âme […] de sorte qu’il n’est pas besoin de chercher Dieu trop loin de
nous […] Il est à la porte de notre cœur, (m105) attendant là si quelqu'un
lui doit ouvrir, pour le pouvoir combler de ses grâces [[201]].
Là-dessus vous devez savoir
qu’entre les œuvres que Dieu a faites
hors de nous en ce grand monde, il y a encore d’autres qu'il fait dedans nous,
et que nous expérimentons nous-mêmes, savoir est l'opération de sa divine grâce
en notre âme, nous faisant connaître par propre expérience sa bonté, sa
miséricorde, sa libéralité et sa grande dignation en notre endroit.
Et telle connaissance ici
de Dieu établie ainsi en nous parce qu’avons ressenti et expérimenté en
nous-mêmes, et non pas seulement par ouï-dire, (m141) comme elle est au dernier
point d'assurance et de certitude, aussi est-ce le moyen de connaître le plus
parfait et accompli, le plus solide, le plus ferme et le plus certain que l'on
pourrait avoir [[202]].
La « méthode » consiste en une continuelle oraison : pourrait-elle être discontinue et inférieure à ce que nous éprouvons dans un amour humain ?
N’avez-vous jamais aimé une
créature au monde ? Souvenez-vous combien il vous était agréable de penser
à icelle, comme rien ne nous en pouvait empêcher, comme notre cœur y était
porté […] vous commencerez à faire que tout le jour entier, voire toute votre
vie, vous sera une continuelle oraison, persévérant à savoir ainsi en continuel
mouvement d'amour et de désirs intérieurs vers Notre Seigneur à toute heure et
à tout moment, en tout temps et en tout lieu [[203]].
Ici au moment du passage de la méditation à l’élévation d’esprit ou contemplation, se pose le passage à l’acte : doit-il être volontaire ou non ? ce point se résoud par un juste milieu :
Car c'est ici le point tant
débattu, de savoir s'il est licite de faire ceci [se dépêtrer un peu des
images] de soi-même et quitter ainsi la méditation des Mystères sacrés pour
s'appliquer du tout à la recherche de Dieu spirituellement en son Esprit,
[sans] que l'on y soit intérieurement invité par l'abondance de la grâce et d'opération
divine : la plupart tenant que non et que c'est même pure tromperie que de dire
le contraire. Et de là puis après vient que mille et mille personnes (m158)
demeurent ici arrêtées, sans jamais passer plus outre, ou certes seulement
après un long temps extrêmement, pour n'oser aucunement s'ingérer eux-mêmes aux
choses ultérieures.
Constantin s’écarte nettement d’une quiétude mal comprise car on peut coopérer au travail de la grâce sans risque de s’y substituer.
Sachez donc que, touchant donc ce que
trouverez ainsi quelques livres, qui vous diront qu'il faut attendre que Notre
Seigneur nous tire par sa grâce à ces choses qui tiennent ainsi du plus relevé
que la considération des Mystères de l'humanité de Notre Seigneur, et nullement
s'ingérer de soi-même : il les faut entendre avec discrétion, que toute
présomption en soit tellement exclue et bannie, que pourtant la coopération que
nous devons apporter aux grâces divines, n'en soit point forclose [interdite].
Il est tout certain que cet
esprit, cet amour, ou cette présence divine que vous désirez, et pour laquelle
vous aspirez et le jour et la nuit, [il] ne sera pas en votre possibilité
naturelle de l'acquérir par aucun effort ou industrie que (m159) pourriez
oncques [jamais] y apporter, mais dépend du tout de la bonté divine de la nous
donner, par une infusion de sa grâce. Et c’est ce que veulent dire ceux qui en
parlent le plus pertinemment, le tout en l’attente de la divine attraction.
Mais au reste, de dire que
ne pourrions-nous y disposer par notre propre diligence, fidélité et
coopération, cela ne se peut aucunement soutenir. […]
Pour l’ordinaire, cette coopération peut même faire appel à l’exercice d’aspiration, pratiqué assez largement à l’époque par exemple chez des carmes de la réforme française dite de Touraine [[204]] :
Dieu opère avec nous
conformément aux exercices que prenons, soit pour les exercices de la vie
active, soit pour l'exercice intérieur d'amour ; et partant si on doit arriver
à cet Amour divin, il faut qu’on apprenne à s’écouler en Dieu avec les actes de
nos trois puissances supérieures de foi, d’espérance et d’amour.[…] C'est
pourquoi il faut que cheminant toujours en avant, nous traitions maintenant
plus outre d'une disposition encore plus immédiate [sans intermédiaire] que les
précédentes pour arriver à la jouissance de la présence de Dieu et de
l'opération de son divin Amour, à savoir de l’exercice de l’aspiration, qui est
(m161) un exercice spirituel, par lequel l'âme, se retirant tout en son cœur,
s'efforce de s'élever plus outre à Dieu, par dessus soi-même, non plus par
aucunes imaginations, mais selon que réellement, essentiellement et par
soi-même il est présent à chacun de nous, désireux de se communiquer à nous au
sommet de notre esprit par l'infusion de ses grâces […]
Constantin s’oppose à ‘l’oisiveté’, reproche justifié chez certains quiétistes déviants ; il suggère de se remémorer une expérience mystique passée puis de « captiver » son entendement, tenir en laisse la folle du logis, afin de s’élever à Dieu d’un vol léger :
Non pas que l'on doive être
intérieurement oisif, attendant que Dieu fasse tout, mais c'est s'approchant de
Dieu par amour, et le venant à connaître par expérience propre en son âme, au
lieu de la vivacité d'entendement que l'on appliquait à diverses bonnes
considérations, on les restreint maintenant à certaines intérieures espèces
obscures, non pas imaginées, mais restées de l'expérience que l'on a eue du
ressentiment [expérience] de l'opération divine. […] Alors, (m166) ne cheminant
plus que de la partie amative, on s'efforce de captiver son entendement quant
aux discours, pensées ou intelligences de quoi que ce soit, et certaines
intérieures espèces, énigmes ou idées, avec l'aide desquelles la volonté ou
partie amative s'aide à se dépêtrer de la terre et de tout ce qui est
d'inférieur, pour joyeusement, amoureusement et d'un vol léger s'élever à
Dieu […]
Décision prise, la dynamique d’une vie intérieure se met en route. Le pèlerinage est décrit en de belles pages comme une ascension jusqu’au repos, « lieu où habitent les désirs de son cœur » :
Elle [l’âme] poursuit, elle
patiente, elle attend, elle espère ; et en fin pendant toutes ces choses elle
ressent quelquefois comme, outre son effort en son industrie propre, Notre
Seigneur lui communiquer l'aide de sa divine opération, lui facilitant ses
actes, lui renforçant le courage. Et en cette sorte poursuivant son chemin,
ayant toujours l'œil de son désir vers le haut de l'esprit, elle s'aliène de la
terre, elle monte à la montagne du Seigneur, et finalement arrive aux
opérations de l'Esprit, là où, sans images d'aucuns Mystères, (m172) l'âme est
introduite tout dans soi-même plus intimement que ni tous les sens extérieurs
ou intérieurs, ni que son effort ou pouvoir naturel pourrait porter. […] Et là,
avec grande paix, quiétude et silence, la vue de son désir fort éclairée, elle
se met en la présence de cette souveraine Majesté, […] l'appréhendant en son
(m173) esprit comme idée d'un Être infini au-dessus de soi, surpassant toute sa
capacité, élevant à lui son cœur comme au seul objet de son désir et tout le
sujet de son amour, ne forgeant autre conception de lui que de son bien, son
désir, son amour, sa vie, son tout, […] elle demeure ainsi en soi-même
attentive à désirer et ressentir l'opération du divin Amour en elle, rapportant
sans cesse toutes ses pensées à rechercher en son esprit la présence et la face
de celui qui est tout son bien, Notre Seigneur, par ses dignations infinies,
trouvant cette âme ainsi vide, libre et disposée de tout autre chose si qu'elle
ne désire et n'attend autre que lui seul, auquel elle a mis tout son cœur, tout
son trésor et toute son attente, ne peut manquer à lui infondre toutes sortes
de grâces avec l'opération de son Amour divin. […] c'est chose incroyable des
occultes opérations de Dieu, qu'elle y trouvera des chemins inconnus, qu'il lui
montrera des connaissances infuses qu'il lui donnera, des inusitées affections
qui lui seront communiquées, et des désirs ardents dont sa volonté sera
enflambée ! […]
Mais
ce sera Dieu qui, par l'infusion de ses grâces, illuminera son âme de toute
sorte de divines connaissances qui lui sont nécessaires. Et de ces lumières
infuses, il la fera passer au repos de l'amour et de la fruition de la présence
de l'Esprit divin, selon que porte cet état ici, là où, demeurant ferme par une
adhésion (m177) tranquille, et reposée pour avoir trouvé la région de l'Esprit
divin, lieu où habitent les désirs de son cœur, [elle] attend là sa divine
opération, comme elle y est assez fréquente. [[205]]
Le chapitre 4 que nous avons privilégié se poursuit au chapitre suivant par une comparaison avec la montagne « où demeure le Dieu de Jacob » :
C’est ici que le cœur ou la
volonté de la créature commence à devenir le tabernacle, le temple et le
domicile de Dieu, dans lequel il versera d'ici en avant tant de grâces et tant
de sincères ressentiments de son divin Amour qu'il semblera à notre créature
qu’elle portera avec soi le Paradis, […] état de si merveilleuse pa[ix][[206]], tranquillité et de repos intérieur, que ri[en]
de plus admirable qu’un tel accoisement [[207]] de toute chose en cette âme, tout le reste des
autres puissances demeurant assoupi[es], outrepassées et comme insensibles, et
s’appliquant en cette région toujours ainsi immédiatement à Dieu, et
s’efforçant singulièrement de se solider en l’unité de l’Esprit. […] l’état de
la présence de Dieu, région de l’Esprit divin, ou bien région déiforme.
L’Unité est soulignée, sans attention du regard intelligent, mais par un actif sentiment éprouvé au centre de l’âme :
…l’âme ne doit pas se
forger rien de déterminé en son esprit, à quoi elle s’adresse comme à son Dieu,
son Seigneur, etc. Mais elle doit entendre que l’union est faite tout au cœur,
ou au centre de son âme, et que tout ce qu’elle voit sans soi, est la région divine
[…] ce n’est pas par une vue, ou par un regard intérieur de la simple
intelligence directement attentive à
considérer Dieu présent, que cette jouissance ou union se passe, mais par un
actuel ressentiment au centre de son âme, par un témoignage assuré de sa
proximité et présencialité [[208]] causée par lesdits traits divins.
…Devant lequel actif sentiment tout le reste, manifestations, effets advenants, ne sont que des accidents, des faiblesses de la nature à contrôler :
…tout ce qui paraît ainsi
au-dehors n’est rien qu’un effet ou accident extérieur nullement à estimer ni à
désirer (m198) puisque sans tels accidents on peut fort bien jouir de la
substance et des fruits de ce divin trait d’infusion divine ; voire plutôt est
à suivre et prier Notre Seigneur de réformer tels effets extérieurs advenants,
qu’il permet arriver, pour être trop paraissants aux yeux des hommes, qui
n’admirent que semblables choses extraordinaires.
Et les exagérations des témoignages d’amour ne sont qu’éblouissement devant la noblesse d’essence :
Jaçoit [bien] donc que vous oyez ou lisez les
exagérations du divin Amour en cet état, ne vous trompez pas, comme si l'âme
devait s'y arrêter, car bien que l'on écrive avec tant de paroles enflambées,
ce n'est pas néanmoins que l'on veuille exprimer le ressentiment ni la faire
attacher à la saveur qu’il porte avec soi, puisque ce n’est qu’un effet que
l’on doit négliger, mais c’est que l’on s’efforce de le décrire en sa noblesse
essentielle, et que l’on ne sait sinon avec semblables paroles. Sachez donc que
c’est à l’Esprit tout pur, nu, abstrait et séparé de tout ce ressentiment
d’amour, que l’on a au terme, (m203) que l’on doit s’arrêter en cet état, et
non pas à l’amour dont la partie amative est remplie.
Il s’agit d’être « transformé en l’Esprit » et non d’éprouver, comme l’indique la suite du même texte :
Le progrès dont de cet état
doit forme est de se perdre, de se plonger et de se transformer tellement en
Dieu que l’on ne sache plus que c’est d’amour, devenant si Esprit que l’amour
soit lais[ssé] fort loin derrière en bas au cœur ; et qu’ainsi transformé
en l’Esprit divin, voyant on ne voit point, sentant on ne sent point, écoutant
on n’oye point, pour la grande aliénation de soi-même en l’Esprit divin.
Et vous « n’aurez pas Dieu comme distinct de vous », mais élevé « en une vastité […] en Dieu par-dessus toute forme, être et distinction » :
Si donc vous désirez savoir
ce (m206) qu’entre tant de faveurs, de grâces et de caresses vous pouvez
remarquer pour votre avancement, c’est qu’étant retourné à vous-même, en votre
industrie propre, vous preniez garde de ne pas coopérer avec Dieu, vous
constituant en sa présence en telle forme que le teniez présent à vous comme
distinct et un autre que vous, auquel vous vous adressiez et teniez mille
propos, mais vous ressentant en votre centre à la façon qu’opérait en vous le
trait divin, auquel, comme j’ai dit ci-dessus, vous ramassiez là un recentre de
votre âme et l’Esprit divin, et tout ce qu’il y a identifiant, c’est-à-dire
unissant ce tout avec votre être, et coopérant en cette sorte à votre
avancement ; et ainsi n’aurez pas Dieu comme distinct de vous, mais comme
identifié avec votre être […]
[Il faut] remarquer ce que
j’ai dit [[209]], que de ne se pas former un tel intérieur,
auquel Dieu et vous soyez deux distincts, mais vous unissant par ensemble au
centre, votre élévation après soit toute gaie, joyeuse et sereine (m208), mais
bien sublime [[210]]
en une vastité, amplitude de chose, ne cherchant que de reposer en Dieu
par-dessus toute forme, être et distinction, par-dessus toute parole, encore
même mentale, par-dessus toute action forme autre qu’une oblation
représentation entière de tout votre être déifié, en la présence de cet Esprit
invisible, identifiant, ramassant et rabaissant en bas, en votre centre tout ce
qui se peut ramasser venant de l’esprit, pour rester au-dessus tout élevé en
l’unité de l’Esprit divin, non pas oiseux, mais tout en action, au cœur ou
volonté, afin de là le sentir en actions et mouvements, et non pas endormi ou
insensible [[211]].
Après la découverte rendue possible grâce à l’Amour divin qui se manifeste en premier à l’homme vient l’apparente absence de l’Amour. Il s’agit d’une « nuit ». Suit donc le grand renversement « difficile sans doute à passer » - non sans avoir préalablement averti l’âme et obtenu son consentement :
Finalement donc, après
plusieurs petites épreuves, Dieu, la voyant forte et courageuse, entièrement
dépêtrée de l'affection de la terre, résolue de Le suivre quoi qu'il lui puisse
coûter de peines et de fatigues, et de ne [pas] L'abandonner pour dur et
austère qu'Il se montre en son endroit, et surtout la reconnaissant forte assez
pour l'opération qu'Il veut faire en elle, lui met une inclination secrète de
se remettre, abandonner et se jeter du tout en Sa disposition divine, pour
faire d'elle selon Son bon plaisir en temps et en éternité, et ne désirant que
de Lui complaire à quel prix que ce soit.
Et après avoir finement
tiré son consentement total, commence à la mettre en un état auquel il faudra
qu'elle endure merveilleusement, et d'autant que c'est ici un des plus fâcheux
passages et (m216) rencontre [[212]] pénible de toute la vie spirituelle que ce présent
état de privation […], Dieu ayant coutume de mettre ici l'âme jusques au bout
de ses forces et de lui en donner autant qu'elle en puisse porter […] la prive
premièrement de toutes les opérations supérieures de l'esprit et de toute
occupation de son divin Amour, qu'elle soulait [se satisfaisait d’]avoir, la
remettant au plus bas de ses puissances inférieures, là où elle se trouve si
remplie de soi-même, si éloignée de la région divine que l'opération de Dieu
quasi ou point du tout ne se peut ressentir ; [[213]].
Suit la description d’un état de « martyre ». La raison
…est qu’il la veut conduire
à un état auquel elle ne pourra plus s’adresser à Dieu comme distinct d’elle [[214]] ou comme un autre second, mais auquel, par
grâce, tout son être, son fond et son opérer sera tout identifié avec celui-là
auquel auparavant elle soulait [se satisfaisait d’]adresser tous ses désirs,
ses affections et ses actes d’amour ; et partant il est nécessaire que cette
façon de s’adresser à Dieu comme second entièrement distinct d’elle, lui soit
ôté : autrement (m226) elle s’y voudrait toujours maintenir.
Dieu donc la voulant par
cette opération changer, lui ôte le moyen de se pouvoir plus écouler en lui par
amour ; par ainsi il faut qu’elle sache que jamais plus il ne se communiquera à
elle comme il faisait et voulait au haut de son esprit en la manière comme
auparavant. […] il faut que le tout se passe par l’accoisement [le repos],
tranquillité, et la paix qu’elle conserve (m228) en soi-même, et non autrement,
comme par moyen propre et unique pour cet état présent de s’en dépêtrer. […] La
raison est que par cet accoisement, l’esprit, qui est tout le supérieur de
l’âme, se regagnera peu à peu non pas en s’élevant par actions y tendant
directement, mais plutôt pour dire ainsi, icelui descendant en ce fond ;
L’évocation de représentations sensuelles qui nous parlent moins aujourd’hui s’achève sur une comparaison forte où Constantin évoque concrètement notre révolte :
Avez vous jamais vu un
chien enragé qui, ne pouvant arriver à celui qui le frappe, se prend au bâton
dont il est frappé. Ainsi cette nature humiliée jusqu'au bout, délaissée toute
à soi-même, remplie de sa malice, agitée quelquefois de colère, de rage,
d'impatience, se voudrait bander contre Dieu, et contre tout indifféremment, sa
malice ne (m232) respectant personne, mais n’y pouvant aborder [car] empêtrée
de l'esprit, se ronge, se passionne et se dépite toute en soi-même contre la
pressure et l'angoisse qu'elle ressent.
Avec un brève consolation lorsque « petit à petit tout va de mal en pis » :
Et puis sachez que si bien
en l'état précédent vous viviez en si grande assurance de l'Amour divin, vous
étiez néanmoins la même que vous êtes maintenant, et aussi imparfaite que pour
l'heure vous vous ressentez.
Enfin on va sortir de cette nuit (le mot n’est jamais utilisé par le très positif Constantin), mais très progressivement et nous lui laissons parole :
…c'est maintenant en ces
états qui suivront auxquels ne pouvant plus opérer d'action formée, tout
l'effort, toute l'industrie et tout le coopérer qu'elle pourra y apporter, sera
de se tenir gaie, joyeuse, contente et allègre au-dedans, et avec telle
disposition passer toutes les rencontres fâcheuses qui se présenteront en son
âme. (m260). Avec cette paix et joie selon l'Esprit au milieu des angoisses de
la nature, elle se dispose le plus immédiatement qu'il lui serait possible au
ressentiment de la nouvelle opération du divin Amour au plus intime de son
centre ; […] et à cet effet se tient insensible aux choses inférieures, se
tient légère et prête à s'envoler en Dieu, si le moyen lui en était donné. Mais
quoi, il n'y a moyen d'y aborder : aussi n'est-ce pas ici encore la fin.
[…elle ne peut] rien faire
autre chose pour tout, que bien doucement, humblement et pacifiquement
s'humilier, s'abaisser et se plonger en une profondeur sans fin, sans fond et
sans mesure qu'elle appelle son néant, et ainsi s'humiliant elle s'exerce comme
un ramas[[215]] de toute sa mesure intelligible en un point ;
tout immédiatement après quoi sans aucun milieu ne ressentira au-dedans de soi,
et dedans le pourpris [[216]] de son être créé ou naturel, une autre capacité
qui n'a ni borne ni limite, comme une région d'amplitude, d'étendue infinie,
laquelle chose ainsi immense n'est pas comprise de l'entendement.
Et depuis cette
introduction en une telle amplitude intérieure, tout ce qui se passe et s'y
agit avec Dieu, se fait d'une façon passive, recevant seulement et non
coopérant.
Et voici pourquoi tous les
mystiques et spirituels veuillent toujours appeler cet état ici passif,
d'autant qu'ils expriment si clairement que tout ce qu'ils en reçoivent est
purement infus de l'Esprit divin, ayant tellement outrepassé les limites de
leurs puissances naturelles et perdu l'activité d'icelles qu'il ne reste plus
rien d'elles que la capacité de recevoir, d'être mus et d'être remplis, et non
d'agir, se mouvoir ou coopérer de soi-même.[[217]].
Enfin le dernier chapitre [[218]] poursuit en explicitant une suite infinie des états.
Ayant à traiter de ce
dernier état [La nouvelle opération du divin Amour], je veux être autant bref
que Dieu y est abondant en ses opérations divines. Car comme il possède
intérieurement en cet état la créature, en usant comme de son instrument du
tout façonné à son divin vouloir, il la remplit tellement de soi-même que c'est
lui qui la meut et l'anime en ses opérations. Et laquelle partant n'a pas
beaucoup besoin de nos lois ou instructions (m273) après qu'elle aura passé les
premiers commencements de cet état, et qu'elle y sera un peu habituée. […]
Dieu resserrant
merveilleusement cet esprit dans ses bornes, qui volontiers s'élèverait à Dieu
par-dessus soi, tout ce qui lui peut venir d'élévation, méditation,
imaginations, élévations internes, ou pensée de quoi que ce soit, doit être
doucement négligé, et là laissé pour demeurer tout en soi-même en sa partie
supérieure, en une paix et sérénité d'esprit, quoique pauvre et dénuée de toute
chose, voire de Dieu même, sans élévation, sans imagination (m275) et sans
occupation autre qu'une solitude intérieure, […] elle entre dans l'être divin
comme dans une région de merveilleuse amplitude […] n'y trouve que Dieu, et
plus rien de soi-même, encore qu'elle voudrait […]
L'âme aimante ne perd
jamais son être essentiel de nature humaine pour se revêtir de l'être (m285)
divin. Mais elle perd son être naturel quant à sa corruption accidentaire et
quant à ses opérations naturelles, étant revêtue du nouvel homme, qui est créé
selon Dieu en justice et sainteté de vérité comme dit saint Paul aux Ephésiens
[…]comme dit Tauler après d'autres Pères spirituels, et expliquant commodément
ces choses par la similitude du fer, charbons ardents, de l'air illuminé des
(m286) rayons du soleil, de l'eau jetée en petite quantité dans un vaisseau de
vin, et semblables ; […]
quant aux actes extérieurs,
la personne opère toujours à la façon ordinaire des autres hommes, selon que
porte l’exigence des vertus morales, réservé seulement que son comportement
extérieur est plus doux, modeste, gracieux, bénigne, paisible et posé que celui
des autres, et comme elle est si toute passée en l'Esprit divin, si identifiée
avec Dieu qu'elle se semble à la manière susdite, Dieu, déifiée et toute
divinisée, Dieu lui étant soi-moi, sans avoir d'autre distinct de soi, à qui
elle se puisse adresser comme à son Dieu, son Seigneur, etc. Car elle se voit
soi-même être Tout, ou bien un grand Tout être soi-même, pour la grande
ressemblance qu'elle a avec Dieu, à la façon que le feu brûlant semble (m290)
plutôt être feu que non pas fer ; et si elle chante les louanges divines,
c'est soi-même qu'elle loue, c'est-à-dire celui qui est fait soi et son moi par
grâce […]
Après donc ces merveilleux
élèvements, cette si grande connaissance, Dieu la laisse peu à peu retourner à
elle, revivre la vie ordinaire des exilés de ce monde, la faisant descendre
jusqu'aux premiers degrés de cette région déiforme ; de là encore plus bas
hors d'icelle, tout en soi-même, jusques que même au plus bas de la nature
inférieure, et en si grande pauvreté et privation de toute grâce (m294) qu'elle
fut dernièrement avant cette jouissance divine ; avec cette différence
toutefois de son côté, qu'ayant ainsi eu l'expérience de la fin de cette œuvre,
elle est hors de tant de doutes qui l'accablaient la première fois qu'elle y
passa, n'y trouvant pas tant de difficulté, comme ayant trouvé ce secret, et
sondé le fond de cette pauvreté. […]
Et toujours ainsi par
vicissitude jusqu'à la mort. [[219]].
Constantin offre un aperçu couvrant la vie mystique dans son ensemble et sur sa durée. Il précise, avec une autorité qu’il affirme dès son envoi « à Dieu tout-puissant », le schéma traditionnel des trois voies, en lui donnant chair.
D’abord la découverte, rendue possible grâce à l’Amour divin qui se manifeste en premier à l’homme. Découverte qui n’exclut pas une mise à disposition de ce dernier par sa vigilance, l’attention amoureuse en miroir du don reçu.
Ensuite l’apparente absence de l’Amour est absolue et nécessaire pour couper à tout attachement. Elle est mal vécue. Il s’agit bien d’une « nuit », mais le terme s’est prêté à trop de développements emphatiques pour qu’il apparaisse chez unrhéno-flamand optimiste. Par contre ce dernier évoque une révolte bien concrète.
Puis une lente renaissance, état renouvelé, divinisation. Là l’âme est bien la même, mais elle perd toute vision d’elle-même, - est-elle encore et Dieu même ? L’âme demeure « en une paix et sérénité d'esprit, quoique pauvre et dénuée de toute chose, voire de Dieu même, sans élévation, sans imagination ». Cet état n’exclut pas des aller-retours, les descentes et remontées comme dans un ascenseur, mais cette fois les descentes seront « hors de doute. » Il s’agit finalement d’être assoupli comme un cuir que l’on tanne et d’apprendre à reconnaître l’infinie diversité des états.
On ne trouve guère un exposé comparable par sa complétude - déjà présente dans ce premier jet, elle sera approfondie dans l’Anatomie -, sauf peut-être chez madame Guyon : ses Torrens présenteront sous une comparaison empruntée à la belle nature un parallèle lyrique à l’exposé de Constantin.
Deux points nous sont chers : (i) ce n’est pas
seulement l’homme qui perd pied, mais l’obstacle d’une dualité disparaît, car
au retour de l’épreuve « Dieu » ne peut plus être perçu comme
distinct. (ii) des aller-retours sont vécus « toujours ainsi par
vicissitude jusqu'à la mort ».
Constantin de
Barbanson, II, Les Secrets sentiers de
l’Amour divin, Ouvrage publié à Douai en 1629, Oeuvre mystique annotée par D.
Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Constantin
de Barbanson », 2014, 350 p.
Les Secrets sentiers de l’Amour divin esquels
est cachée la vraie Sapience céleste et le Royaume de Dieu en nos âmes est une
oeuvre dont le titre rend parfaitement compte de son contenu.
Nous reproduisons ici, en tome II des oeuvres
de Constantin de Barbanson (1582-1631) la dernière édition du vivant de
l’auteur publiée à Lille en 1629. Ces Secrets sentiers de l’Amour divin… fut le
titre de la partie appréciée et éditée plusieurs fois du corpus des écrits de Constantin.
L’ultime réédition publiée à Solesmes en 1932 reprenait la première édition
publiée à Cologne en 1623. Le travail du bénédictin dom Noetinger [[220]] fit ainsi redécouvrir Constantin.
Nous renvoyons aux études de dom Noetinger.
Elles précèdent et suivent son édition du texte de Constantin, tandis que ses
notes reprises ici sont signalées par “[N]”. Nous renvoyons également à des
études postérieures dont la plus ample propose une théologie mystique ; études
franciscaines qui restent de nos jours d’accès malaisé, aussi ont-elles été
reproduites en fin de notre précédent tome I Les secrets sentiers de l’Esprit divin [[221]].
Nous avons antérieurement abordé et présenté un
choix de “bonnes feuilles” et de chapitres entiers extraits des deux Sentiers
de l’Esprit et de l’Amour. Ces florilèges figurent dans nos synthèses couvrant
le Grand Siècle [[222]].
La réédition de l’Amour divin de 1932 fut
suivie de la redécouverte en 1950 du manuscrit intitulé l’Esprit divin que nous
venons d’éditer pour la première fois dans la série consacrée à Constantin
comme tome I des oeuvres.
Le lecteur trouvera ici quelques
correspondances qui facilitent le passage de l’imprimé au manuscrit et
inversement. Elles sont indiquées entre crochets (par exemple “[m29]” propose
de se rendre à la page 29 du manuscrit publié au tome I).
Nous avons également indiqué entre parenthèses
les numéros de pages de la réédition de 1932. Nous avons souvent repris son
découpage en paragraphes d’un texte primitivement imprimé sans respiration.
Enfin nous indiquons directement sans parenthèses ni crochets (ces derniers
sont réservés aux appels de notes) les numéros de page de l’édition de 1629
reprise ici.
Nous renvoyons à l’étude ouvrant le tome I.
Elle situait Constantin et son oeuvre, dont le présent tome II de
l’Amour divin. Les trois parties de l’Anatomie constituent les tomes III à
V.
Respectant ainsi l’ordre chronologique de
composition du corpus, s’ordonne un témoignage mystique exceptionnel rédigé sur
vingt années. Il demande un effort de lecture tout comme c’est le cas pour
d’autres métaphysiciens plus récents d’outre-Rhin. Constantin demeure unique
par sa précision et par son originalité.
Constantin de
Barbanson, III & IV, Anatomie de l’âme, Première partie comportant
vingt-deux chapitres, Depuis le commencement de la vie spirituelle, jusqu'à
l'état expérimental de la grâce supernaturelle. Deuxième partie, Il y a encore
une seconde Anatomie à passer selon l'être de la déiformité, après la mort de
la propriété. Oeuvres mystique annotée par D. Tronc, lulu.com, coll.
« Chemins mystiques », Série « Constantin de Barbanson »,
2014, 407 p. [L’Anatomie de l’âme est un ouvrage très rare réédité la
première fois comme défense et illustration de la pratique mystique.]
Aux deux formes des Secrets sentiers s’ajoute l’Anatomie de l’âme [223] où Constantin de Barbanson (1582-1631)
justifie ses sentiers de l’Esprit et de l’Amour par une théologie toute
mystique.
La
cohérence de l’Anatomie est voilée.
Constantin tente d’exprimer une vision d’unité profonde assez nouvelle. Il n’a
guère pu s’appuyer sur des exemples ou sur des textes antérieurs. S’ajoute la
difficulté d’usage d’un français qui n’a pas encore bénéficié de la rénovation
opérée en littérature religieuse par François de Sales au début du XVIIe
siècle : les francophones vivant en terres rhéno-flamandes sont en retard sur
le plan linguistique.
C’est
la nouveauté conceptuelle défendue par Constantin qui nous encourage à
présenter intégralement son dernier texte difficile et long. Son originalité
restera pour longtemps inégalée, car les
contrôles mis en place au sein du monde catholique ont depuis limité la liberté
d’expression et des prises de risque acceptables par ses auteurs mystiques.
Il
fallait l’édition posthume d’un écrit quelque peu obscur et par là demeuré
confidentiel, livraison en un seul bloc du testament d’un capucin protégé par
son ordre, car jouissant d’une réputation personnelle irréprochable, pour
éviter un examen rigoureux suivi d’une éventuelle condamnation romaine. Nous
pensons que des aspects « monistes » répondront à certaines questions
devenues très actuelles. Constantin prolonge des expositions mystiques
antérieures telles celle offerte par Benoît de Canfield par sa Reigle.
Elle
fut rendue possible par le silence ultérieur imposé à ce dernier et par le
désir de nombreux dirigés d’un milieu flamand bouillonnant de capucins et de
capucines [224]. Ils contribuent à l’explosion mystique d’où
sera issue « l’invasion » du Royaume de France. Quelques grandes
figures s’en dégagent, telle celle contemporaine et voisine du « Jean de
la Croix flamand » Jean-Evangéliste de Bois-le-duc (1588-1635).
L’originalité
d’un tempérament « métaphysique » n’est pas indifférente de l’origine
géographique et d’une culture encore sensible aux mystiques du nord et du
Rhin. Son expression restera sous forme d’une synthèse rédigée dans les
dernières années d’une vie extérieurement simple et dévouée, éditée post-mortem puis oubliée par les courants
dominants.
§
L’édition
fut-elle entièrement préparée par l’auteur, selon le récit d’une mort survenant
au moment où il livre son manuscrit aux regards des censeurs, ou bien faut-il
plutôt voir dans une telle anecdote la justification « d’une œuvre » dont
nous possédons la compilation par un proche confrère de « papiers »
laissés lors d’un décès inattendu ?
Cela
expliquerait la perception qui naît quand on s’avance dans un long texte
parfois répétitif - diverses pièces se
recouvrent-elles ? - et d’un style de plus en plus relâché alors même que
notre intérêt croît ; il faut aussi tenir compte de l’ordre allant du
général structuré au particulier plus divers, une « descente » assez
habituelle aux publications du siècle [225].
Le
texte à nos yeux sans équivalent est resté caché comme déjà indiqué
puisqu’une seule édition a été faite hors du royaume après la mort de
Constantin ; parce qu’il livre une séquence de textes intermédiaires, le texte
livré par son auteur au jugement de l’inquisition de Douai ayant été perdu (ou
dissimulé) ; parce que l’écriture se ressent d’une langue tributaire d’un
milieu flamand et germanique ; par l’impression de pages entières sans
respiration (Kant !) ; par plus de mille pages édités à faible tirage
en un petit cube compact, dont la séquence de traités indépendants présente des
répétitions ; parce que cette édition unique posthume est rapidement
devenue rarissime.
Ayant
échappé aux censeurs par une difficulté évidente d’accès à la lecture comme par
son excentrement vis-à-vis de centres de contrôle romain, Constantin demeure
une autorité reconnue et acceptée dans le monde catholique [226], utile donc pour introduire dans sa tradition
certaines affirmations abruptes ; lesquelles sont hardies tant qu’on les
pose sur le plan des idées (toujours prêtes à être détachées de l’expérience
qui les justifie) et de la théorie, mais acceptables quand on reconnaît leur
dépendance vis-à-vis du vécu – « réalité expérimentale » chère à
notre métaphysicien. Nous proposons parfois quelque interprétation d’un texte
souvent obscur, compte tenu du vieux français et de l’expérience dont
Constantin tente de rendre compte pour la première fois dans notre langue.
Du
moins l’obscurité dans laquelle est tombé ce testament lui a permis de ne pas
être mis en cause pour une approche très originale, moniste, donc compatible
avec d’autres traditions alors que de nos jours survient leur rencontre.
§
On se
reportera au tome I pour la vie de l’auteur et ses sources. Nous avons aéré
l’édition en découpant le texte continu en de nombreux paragraphes afin
d’articuler une lecture qui sera nécessairement lente pour en tirer plein
profit intérieur. Certains termes déjà désuets à son époque ont été modernisés
(jà en déjà, etc.) après avoir signalé leur première occurrence. Le texte
intègre les errata qui couvrent les
cinq dernières pages de l’unique édition de 1635. Ponctuation et orthographe
sont revues.
Notre
édition en trois parties respecte le découpage de l’original, mais nous avons
regroupé dans le volume présent les deux premières parties. Elles sont un peu
plus courtes que la dernière : quatre beaux Traités que leur progression prépare.
Qui est une addition au livre des Secrets Sentiers de
l'amour Divin : enseignant en quoi consiste l'avancement spirituel de l'âme
dévote, et le vrai état de la perfection.
Où les vérités
fondamentales de la vie Mystique sont mises au jour, et réduite aux règles et
façons de parler de la Théologie Scolastique, et les abus découverts.
Oeuvre singulier et très utile, faite en faveur des
âmes qui suivent l'Esprit de Dieu, et pour la satisfaction de ceux qui les y
adressent.
Par le R. Père Constantin de Barbanson, Prédicateur
Capucin, Définiteur de la Province de Cologne, et Gardien du couvent de Bonne.
À Liège, chez Léonard Streele le Jeune
MDCXXXV
avec permission des supérieurs
Constantin de
Barbanson, V, Anatomie de l’âme,
Troisième partie comportant quatre Traités, Comment l’âme qui est parvenue à
l’état de la perfection se doit comporter pour faire progrès…, Présentation et
notes par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série
« Constantin de Barbanson », 2014, 346 p.
L’originalité de L’Anatomie de l’âme [[227]] de
Constantin de Barbanson (1582-1631) justifie sa redécouverte. Nous avons déjà
souligné l’intérêt de cet ensemble de textes en présentant l’auteur dans le
premier tome de la série qui lui est consacrée [[228]]. Le
lecteur surmontera ici quelques difficultés : l’usage d’un français
ancien, celui du XVIe siècle plutôt que du début du XVIIe
siècle, car la périphérie rhéno-flamande est en retard linguistique sur le
centre du royaume de France ; une nouveauté conceptuelle pour l’expression
de laquelle le novateur Constantin n’a guère pu trouver d’aide.
C’est cette nouveauté qui nous encourage à
présenter l’Anatomie intégralement.
Cette originalité restera inégalée, car les contrôles mis en place au sein du
monde catholique limiteront par la suite étroitement la liberté d’expression
d’auteurs mystiques. Il fallait l’édition posthume d’un capucin protégé par son
ordre, car jouissant d’une réputation irréprochable pour éviter un examen très
rigoureux et une éventuelle condamnation romaine.
Un certain parfum « moniste » répond
à une problématique très actuelle. Surtout Constantin prend la suite
d’expositions antérieures telle que celle offerte par le jeune Benoît de
Canfield dans sa Reigle. Elle fut
rendue possible et désirable par la présence de nombreux dirigés dans un milieu
flamand qui vit une explosion mystique d’où sera issue
« l’invasion » du Royaume de France par les capucins [[229]]. Quelques grandes figures en sont issues,
telle que celle du « Jean de la Croix flamand » Jean-Evangéliste de
Bois-le-duc (1588-1635).
Une Anatomie
de l’âme à nos yeux sans équivalent est restée cachée parce qu’une
seule impression en a été faite hors du royaume et après la mort de son auteur
; parce que l’écriture se ressent d’une langue tributaire d’un milieu flamand
et germanique ; par l’impression de trop de pages entières sans
respiration ; plus de mille pages édités en « un petit cube » compact
; l’édition unique est rapidement devenue rarissime.
Ayant ainsi échappé aux censeurs par une
difficulté d’accès comme par son excentrement vis-à-vis des centres de contrôle
romains, Constantin demeure une autorité reconnue et acceptée dans le monde
catholique [[230]],
utile donc pour introduire dans la tradition chrétienne certaines explicitations ;
affirmations hardies tant qu’on les pose sur le plan des idées et de la théorie
(toujours prêtes à être détachées de l’expérience qui les justifie), mais
acceptables quand on connaît leur dépendance vis-à-vis du vécu – réalité expérimentale
chère à notre métaphysicien.
Nous proposerons parfois une interprétation
d’un passage ambigu compte tenu de l’usage - correct - du vieux français et
d’une expérience dont Constantin tente de rendre compte pour la première fois
dans notre langue.
Nous avons aéré l’édition en découpant un flux
continu en de nombreux paragraphes afin d’articuler une lecture nécessairement
lente pour en tirer plein profit intérieur. Certains termes déjà désuets à son
époque ont été modernisés (jà en déjà, etc.) après avoir signalé leur première
occurrence. Le texte intègre les errata qui couvrent les cinq dernières pages
de l’édition de 1635. Ponctuation et orthographe sont revues.
Nous éditons ici la troisième et dernière
partie de l’Anatomie de l’édition de
1635. Elle se compose de quatre
Traités. Nous pensons que ces brèves synthèses furent constituées en dernier
lieu, en s’aidant des deux premières parties de cette même Anatomie, ainsi que des Secrets
sentiers [[231]] : en effet Constantin renvoie dans
les Traités à ses écrits antérieurs en indiquant des numéros de chapitres
développant le point en cours d’exposition. Ces Traités sont structurés, brefs,
précis et complets : ils peuvent être proposés en lecture avant d’aborder des
sources plus amples telles que les deux premières parties de l’Anatomie.
Le confrère capucin éditeur a rédigé plusieurs
textes en ajouts de ceux de Constantin. Ils sont distribués avant sa première
partie, puis avant sa troisième partie, et même encore brièvement en conclusion
[[232]].
Cette distribution indique que la mise en place des écrits qui “ont pu être
recouverts” fut progressive ; ce qui est confirmé par la présence au sein d’un
même volume de deux ensembles consécutifs d’Approbations (également reportés en
fin de volume).
On aboutit ainsi au “cube” très dense publié post-mortem en 1635 que nous éditons en
trois tomes : il fut malheureux de déprécier un riche trésor en le livrant tout
d’un coup et en vrac - du moins l’ensemble a-t-il été sauvé. Nous espérons
élargir le cercle de rares admirateurs en aérant ses très longs blocs textuels,
en mettant en valeur un accomplissement tout d’expérience et très précisément
‘anatomizé’.
La “Préface au lecteur” composée par le
confrère éditeur en ouverture de la troisième partie nous apprenait que :
« La matière de la troisième pièce [partie] de cette Anatomie Spirituelle devait être, lecteur dévot, la même que celle de la deuxième, mais ici réduite en ordre selon la suite et manière requise en sa pratique […] Mais comme [par le décès brusque de Constantin] il a plu à Dieu de lui donner plutôt sans remise la jouissance heureuse des secrets de sa sapience qu'il lui avait manifesté durant sa vie […] cette troisième partie, qui vous est ici exhibée, n'est autre qu'un amas, et assemblage de (2r°) certains traités et écrits du dit auteur qui sont à propos et se rapportent à la matière ; et sont [présents] tous ceux, qui après toutes sortes de devoirs [de sauver l’œuvre] humainement possibles ont pu être recouverts jusques aujourd'hui. Desquels néanmoins non seulement les plus parfaits et avancés en la voie mystique pourront cueillir plusieurs secrets, et documents rares. […] En gros, et en substance (2v°), tout est compris dans les traités qui sont ici assemblés, non seulement quant à la théorie, mais aussi en bonne partie quant à la pratique… »
Manquerait donc une synthèse finale comme il va
nous l’apprendre, mais heureusement selon l’éditeur ami “tout est compris dans
les Traités”, c’est-à-dire l’essentiel mystique. Dans la suite de sa Préface
nous trouvons quelques renseignements sur le sort dernier de ces écrits, et du
cas qu’en faisait un auteur bien conscient de leur caractère novateur. L’espoir
de leur “recouvrement” ne se serait pas réalisé, le confrère n’ayant pu
mettre la main sur des manuscrits dont il était certain que Constantin “y
travaillait actuellement tous les jours”:
« l'auteur
d'icelle [Anatomie], le propre jour
qu'il rendit l'âme, ayant paqueté ce qu'il avait prêt, et donné charge de le faire
adresser aux Pays-Bas pour être le (7r°) tout examiné, approuvé, et imprimé
avec ce qu'il avait envoyé auparavant, prononça ces paroles : « Je rends grâce
à Dieu, j'ai achevé mon livre, je ne vivrai plus guère, je ne m'en soucie pas,
puisque mon livre est achevé. » Et de fait la seconde partie de ladite Anatomie avec lettre écrite de sa main
du propre jour de son décès, par laquelle il promettait que les chapitres
derniers qui manquaient, et ensemble toute la troisième partie suivrait
bientôt, est venu à bon port, et été cause de cette impression. Ce qui fait
présumer qu'il était déjà venu à chef de tout son dessein, et ne restait qu'à
mettre le reste au net, ou qu'il l'aurait bientôt achevé. D'où par conséquent
se peut encore espérer le recouvrement de ce qui doit servir à
l'accomplissement de tout cet œuvre ; puisqu'il est certain qu'il en avait lors
chez soi, soit les copies, soit les minutes, (7v°) soit pour le moins tous les
premiers brouillons, et qu'il y travaillait actuellement tous les jours. »
Mais nous lisons dans le second jeu
d’Approbations la confirmation suivante du recouvrement de l’envoi dernier :
« À l'occasion du
recouvrement des manuscrits égarés du révérend père Constantin de Barbanson, et
des pièces y retrouvées, qui manquaient et ont été remises en cette sienne Anatomie, j'en ai fait une curieuse et
attentive revue d'un bout à l'autre […]. Fait à Betune le 12 de mars 1636. F.
BONAVENTURE DE LA BASSEE Prédicateur
Capucin. »
Il se peut donc que le recouvrement ait été
accompli après la rédaction d’une Préface non revue que nous venons de
largement citer ? Quoi qu’il en soit, “toute la troisième partie suivrait
bientôt” promettait Constantin. Ce que nous éditons ici s’en approche donc avec
certitude au niveau du contenu mystique. Le lecteur surmontera une forme qui
n’a pas eu le temps d’être finement polie, ce qui contraste parfois avec la
grande clarté et la netteté de la ferme pensée sous-jacente.
Nous avons largement annoté l’édition, car
ralentir la lecture ne paraît pas déplacé sur un texte aussi dense (peut-être
un polissage final aurait-il étendu l’écriture). Nous n’avons pas hésité à
s’aventurer à des interprétations touchant au vécu expérimental même s’il
demeure particulier à chacun : le lecteur jugera.
Souvent des termes rares surprennent. Ils ne
sont pas des erreurs sur le vocabulaire provenant d’un étranger, mais dénotent
l’usage de mots disparus depuis le XVIe siècle au sein du royaume de
France. Nous livrons leurs synonymes, parfois même si leur signification est
évidente, afin d’en justifier l’usage. Enfin l’auteur est marqué par son séjour
en Rhénanie et s’autorise des germanismes tels que des inversions opérées dans
la construction des phrases. Parfois il construit un terme neuf ou hapax par
association de deux termes reconnus ; à défaut il s’appuie sur le latin.
Plus profondément faudrait-il ici justifier
l’approche intérieure ? Constantin le fait théologiquement en citant des Pères
et saint Thomas. Une vérification consistera pour nous à citer un témoignage
sur son rayonnement personnel insistant sur sa douceur et s’achevant sur un
brusque décès :
«…il
est du tout croyable, que les bénédictions, et les avant-goûts de l'éternité
desquels Dieu l'a prévenu, et favorisé toute sa vie, lui ont été tournés à la
fin d'icelle immédiatement en jouissance, et félicité perpétuelle. Tel est le
sentiment de ceux qui ont connu la pureté, et l'intégrité, la douceur (4r°) et
mansuétude, la piété et dévotion, la candeur et ingénuité, la bonté et
simplesse vraiment chrétienne, et religieuse, l'amour et charité de Dieu et du
prochain, l'abstraction et le recueillement intérieur continuel, l'affection
très singulière aux choses de l'esprit, le désir et zèle amoureux de
l'avancement des âmes en icelles ; enfin l'observance, et perfection régulière
qui ont relui en la vie et conversation du R. P. Constantin de Barbanson. Le
témoignage qu'en a rendu l'un des premiers Pères Capucins de la province de
Cologne par lettre écrite de Bonne (où il est mort) en date du 18 de juin 1632,
porte entre autres les paroles qui suivent : ‘[…] Je ne me peux persuader
autrement, sinon que notre Dieu l'aura fait goûter immédiatement des effets les
plus secrets qu'il avait longtemps recherché, et pratiqué conformément à son
Livre. Il avait été a Vêpres, et pensant reposer quelque peu, il fut entendu
ronfler de la celle [cellule] voisine, et fut plutôt mort, qu'on n'aperçut
qu'il était malade. Celui qui a connu sa vie, ne sera étonné d'une telle mort :
car étant déjà mûr, et bien cuit au feu de l'amour divin, ce n'est pas
merveille, s'il est tombé tout à coup comme une pomme de l'arbre’, etc. »
Martial d’Etampes, Maître en Oraison, Textes présentés par Joséphine Fransen et D. Tronc, Editions du Carmel, coll. « Sources mystiques », 2008, 247 p. [comporte une étude et des écrits de cet éminent mystique capucin du début du XVIIe siècle.]
On ne connaît souvent parmi les franciscains
que le nom du capucin d’origine anglaise Benoît de Canfield car il
appartient à la première génération des fondateurs franciscains qui assurèrent
« l’invasion mystique » de la France dès la fin des guerres de
religion[233] :
l’influence de sa Reigle de perfection est restée inégalée. Elle fut cependant
complétée, voire approfondie sur de nombreux points, par les écrits d’autres
capucins d’égale valeur mystique. Ils ont fait vivre durant tout le siècle une
spiritualité enracinée sur la tradition transmise par Harphius[234].
Martial d’Etampes (1575-1635) est l’un de ces
franciscains qui furent, au début du XVIIe siècle, les infatigables
ouvriers intérieurs de l’essor spirituel. Il est le représentant le plus
illustre en son temps de la seconde génération capucine[235]. Il
exerça une forte influence sur Jean-François de Reims son contemporain. Et ce
n’est qu’après quatre générations, d’où sortirent plus d’une dizaine de grandes
figures mystiques, que s’étendit un « crépuscule » qui recouvrit jusqu’à nos jours la
grande tradition mystique franciscaine capucine[236].
Nous rappellerons brièvement l’histoire de la
famille franciscaine et l’esprit intérieur qui animait ses membres, avant de
présenter les rares informations qui nous sont parvenues sur la vie de Martial.
Quelques thèmes chers à celui-ci introduiront aux deux textes principaux de son
opus reproduits dans ce volume.
Après la mort de François d’Assise en 1226, des
franciscains « Spirituels » qui voulaient maintenir l’idéal de
perfection du fondateur s’opposèrent aux franciscains de la
« Communauté » qui n’observaient plus littéralement la Règle
et le Testament du fondateur.
Bien des problèmes pratiques posés par l’extension de l’ordre s’opposaient en
effet à la stricte pauvreté matérielle, sans compter la sirène offerte sous
forme d’études au sein des universités naissantes.
Le règne « efficace » du frère Elie,
de 1232 à 1239, n’arrangea rien. Celui, sensé, de saint Bonaventure, de 1257 à
1274, ne put récupérer une situation tendue[237].
Cependant, en 1282, on relevait plus de quarante mille religieux répartis en
près de mille six cents maisons. L’affrontement entre « idéalistes »
et « réalistes » fut
finalement tranché en faveur de la « Communauté » par Jean
XXII, le pape autoritaire responsable du procès d’Eckhart. Puis la société
européenne fut troublée par l’arrivée de la peste au milieu du XIVe
siècle ainsi que par le schisme avignonnais, et l’ordre franciscain connut
une décadence.
Mais des réformes successives assurent tout au
long de l’histoire franciscaine une grande vitalité.
Au « conventualisme », terme qui désignent la branche de ceux
qui adaptent l’idéal de pauvreté aux contingences permettant l’organisation de
la communauté, vont s’opposer les observants, qui « s’unissent pour
restaurer l’ordre dans son observance primitive et sa splendeur », avec
des méthodes diverses, mais en « donnant la préférence aux couvents
pauvres et écartés » [238].
Ce mouvement des observants naît vers 1380 puis
se développe à Foligno. En 1451 le mouvement compte deux cents religieux
répartis en trente-quatre maisons, formant de nombreuses petites communautés.
En France un mouvement de réforme prend forme au sein des conventuels et se
développe sous l’impulsion de sainte Colette (-1448). En Espagne, l’un des
foyers animé par Juan de Guadalupe (-1506) sera à l’origine des franciscains
« déchaux » aux tendances érémitiques et pénitentielles.
En 1517, à la veille de l’expansion
luthérienne, on compte pour l’Europe environ vingt-cinq mille conventuels et
trente-deux mille observants, formant deux immenses familles autonomes.
Divisions et réformes apparaissent, signes d’une poussée vitale. A la fin du
processus, on distingue de nombreuses familles franciscaines [239].
Les conventuels perdent progressivement de leur
importance : nombreux en Allemagne et en Europe centrale, ils sont touchés
par la réforme luthérienne. Les déchaux s’organisent autour de diverses figures
dont l’espagnol Pierre d’Alcantara qui fut influent sur Thérèse d’Avila. Les
récollets, issus de maisons de retraites ou « récollections »,
prospèrent en France puis en Belgique et en Allemagne.
Mais surtout une nouvelle famille est née en
Italie autour de 1520, celle des frères mineurs capucins. Ils sont plus de
trois mille répartis en trois cents couvents avant même de franchir les Alpes
en
Leur vie se caractérisait par une austère
simplicité et un amour fraternel, une vie intérieure intense, un apostolat
multiforme [241].
Le but auquel doivent conduire austérité et
observance de la Règle est la vie d'oraison. L'aphorisme de Bernardin d'Asti,
co-fondateur des capucins, devint un axiome pour toutes les générations [242] :
Si vous me
demandez qui est bon religieux, je répondrai : celui qui fait oraison. Si vous
me demandez qui est meilleur religieux, je répondrai : celui qui fait meilleure
oraison. Et si vous me demandez qui est excellent religieux, j'affirmerai en
toute sincérité : celui qui fait excellente oraison.
L’un d’entre eux est l’excellent religieux et
mystique Martial.
Jean Raclardy naît à Etampes le 22 juillet
1575, d’une famille de petits artisans. Il entre le 20 juillet 1597 au couvent
des capucins d'Orléans, y reçoit l'habit des mains de Benoît de Canfield,
maître des novices, fait profession le 29 juin 1598 entre les mains d’Honoré de
Paris sous le nom de Martial. Il est absorbé par la tâche de maître des novices
(Meudon, Paris, Troyes, Amiens) et de confesseur de religieuses capucines
(Paris, puis Amiens de nouveau, de 1631 à sa mort). De santé fragile, il exerça
sa patience dans ses infirmités. On lui
attribue miracles et prémonitions.
Il était
porté d'une charité si grande envers les infirmes et ceux qui étaient en
quelque nécessité, qu'il eut employé sa vie et incommodé sa santé pour leur
porter du soulagement, et était si compatissant aux besoins et nécessités des
affligés, qu'il en pleurait de compassion [243].
Nous disposons d’une seule mais solide étude
qui accompagnait l’édition de quelques lettres[244]. Elle
est l’œuvre de Raoul de Sceaux, le grand connaisseur de la vie franciscaine à
l’époque de Martial [245] :
S'il est aujourd'hui
possible de projeter quelque lumière sur cette existence volontairement
effacée, nous le devons à l'empressement du P. Sylvestre de Paris, l'Ancien,
qui, chargé, à titre d'archiviste de la Province de Paris, de tenir à jour le
nécrologe, a consacré à la mémoire du P. Martial d'Etampes plusieurs pages
pleines d'intérêt [ms. du Titre,
pages 36, 71 sv.], et inséré quelques lettres qui lui furent remises après la
mort de celui-ci. [...]
Jean Raclardy naquit à
Etampes le 22 juillet 1575, et ses parents François Raclardy et Michelle
Benoist, petits artisans mais excellents catholiques, firent baptiser leur
enfant le jour même à l'église Notre-Dame. Dès l'âge de six ans, celui-ci
déclarait vouloir être religieux dans l'Ordre de saint François, « et comme on
luy eu dit que ses religieux ne manioient et n'avoient point d'argent, il n'en
voulut plus avoir ny manier que pour avoir des livres, se portant a vouloir
étudier et s’adonnant a la lecture de livres de dévotion[246]». Chaque jour son père assistait à la messe célébrée de
grand matin « pour la commodité des artisans et manouvriers ». L'enfant
se levait à temps pour l'y accompagner, « et mesme il prit aussi la
coutume d'entendre tous les jours matines, et pour quelque mauvais temps qu’il
eut faict, on ne le pouvoit destourner ny retarder dy aller ».
Attrait de la prière,
attrait de la mortification, telles sont les deux caractéristiques de la
jeunesse du futur P. Martial. Il saura y répondre durant toute sa vie. On
l'estimait et on l'aimait ; bien plus, certains amis de sa famille avaient
confiance dans l'efficacité de ses prières. Des voisins venaient-ils chercher
des herbes dans le jardin des Raclardy pour quelque malade ? Ils désiraient que
ce fût l'enfant qui les leur donnât, et lui, agissant tout simplement, disait :
“Allez, allez, je prie Dieu pour qu'il en garisse », et la guérison,
effectivement, ne tardait pas. A vingt-deux ans il entra au couvent des Capucins d'Orléans, le 20 juillet
1597, et y reçut l'habit des mains du P. Benoît de Canfield, maître des
novices, que remplaça au cours de l'année, le P. Honoré de Paris. C'est dire
l'excellente formation que reçut le P. Martial, qui devait un jour lui succéder
dans cette charge.
Jeune prêtre, il sembla
déjà favorisé de grâces mystiques. « Il étoit souvent attaqué de grandes
tendresses de coeur... Un jour de Noël étant à l'autel, il en fut si vivement
attaqué, commençant le Gloria in exelsis,
qu'il fut contraint d'en sortir, ne pouvant continuer la messe et fallut prier un autre prestre d'aller dire cette messe,
et cette tendresse de cœur, ou sentiment de dévotion fut de longue durée, et
quasi de quatre heures sans le quitter pour pouvoir dire la saincte messe.
Depuis, il obtint de Dieu de nestre plus travaillé de tels sentiments a lautel
quand il y auroit des séculiers a l'esglise[247] » . Ces phénomènes
ne l'empêchèrent cependant pas d'exercer un certain ministère, prêchant
partout la paix et la charité. Dieu bénissait son apostolat. Le fait suivant
en est une preuve. A Paris, deux voisins s'étaient voué une haine réciproque,
et malgré les efforts des Capucins, nulle réconciliation ne semblait possible.
Le P. Martial, qui résidait alors au couvent parisien de l'Annonciation, au
faubourg Saint-Jacques, fut envoyé vers l'un d'eux, très malade, par le P.
Henri de La Grange Palaiseau, alors gardien du couvent[248]. Il s'y rendit et ne lui eut pas sitôt parlé, que
celui-ci se sentit transformé, « et mesme ressentit de si grandes douleurs en
son corps, et mesme des peines en son esprit, et tout cela incita le malade de
dire avec un grand ressentiment au P. Martial quil supplioit de prier Dieu pour
luy, et quil feroit tout ce quil desiroit pour se reconcilier ». Le Père revint
au couvent « ou il fit oraison pour luy, et sur le soir, retourna voir ledit
malade, et le réconcilia de telle sorte avec son ennemy, quils se firent
protestation d'estre a lavenir aussi bons et plus grands amis qu'auparavant[249] ».
Maître des novices au
couvent de Meudon en 1615[250], puis en 1617 en celui de Troyes, il exerça encore la
même charge au couvent d'Amiens en 1619[251]. L'enseignement départi à ses novices, nous le
découvrons dans ses oeuvres, et principalement dans le Traicté facile pour apprendre a faire oraison mentale, et surtout
l'Exercice des trois clous amoureux et
douloureux pour imiter Jésus-Christ attaché sur la croix au Calvaire[252], ou encore l'Exercice
du silence intérieur. Toutefois, la formation de ses novices, si absorbante
soit-elle, ne lui fait pas négliger, nous l'avons vu, la visite des malades,
obtenant la conversion in extremis,
de certains, celle par exemple, de cet abbé auquel il adresse un écrit qui le
bouleverse, le fait rentrer en lui-même et le convertit[253]. Il dirige la conscience de ses confrères.
Un jour, il dit à un
capucin favorisé par Dieu de sentiments extraordinaires : “Disposés vous a bien
souffrir, car assurément, après que nostre Dieu vous aura esprouvé et purgé, il
vous donnera bien d'autres lumières plus excellentes, ce qui est arrivé tant
pour les souffrances que pour les lumières”. Nostre Père Martial scavoit bien
que nostre Dieu ne communique point des graces extraordinaires, quil ne fait
auparavant ou par après ressentir de grandes souffrances ». Lui-même souffrait
presque continuellement, par suite d'une santé défaillante, « et avec ses
douleurs, il ne se relachoit point de ses austérités, veilles et travaux, ny de
jour ni de nuict, et... prechoit a former et instruire ses novices, plus par
exemple que de parolles, quoy que fort assidu a leur faire de ferventes
exhortations, lesquelles on admiroit ses lumières et les connaissances
intérieures que nostre Dieu luy donnoit, qu'il a couchés par escrit en cet
admirable livre des trois clous»[254].
On lui attribuait
certaines guérisons soudaines et humainement inexplicables, mais sa vie était
surtout digne d'admiration. Confesseur des Capucines de Paris de 1628 à 1631,
puis de celles d'Amiens de 1631 à sa mort[255], il se révéla un grand maître de la vie spirituelle. A
la demande du P. Sylvestre de Paris les moniales d'Amiens, après la mort de
leur confesseur, ont insisté dans une lettre insérée au nécrologe, sur la
charité, l'esprit de sacrifice du P. Martial. Son zèle pour l'avancement
spirituel des âmes qui lui étaient confiées, lui rendait intolérables les
moindres défaillances. « Il étoit porté d'une charité si grande vers les
infirmes et ceux qui étoient en quelque nécessité, quil eut emploié sa vie, et
incomodé sa santé pour leur apporter du soulagement, et étoit si compatissant
aux besoins et nécessités des affligés, quil en pleuroit de compassion ». La
réforme de l'abbaye de Saint-Julien d'Amiens lui coûta mille peines, tant de
la part des moniales que des autorités ecclésiastiques. « Il y travailla avec
telle ferveur et assiduité, quil gagna doucement les plus rebelles, et les a
tellement portées au bien... que par après, celles la eurent plus de résolution
a y continuer et persévérer. Il ny a que Dieu et luy qui scache ce qu'il a
souffert a établir cette réforme, et scache les actes d'humiliation et de
patience quil a pratiqués a gagner ces religieuses, lesquelles le
meprisoient... Et estant proche de mourir, lesdittes religieuses luy envoièrent
demander pardon de tout ce quil avoit souffert a leur occasion »[256].
Sa vie, tant à Paris,
qu'à Amiens, était rude. Après les matines il ne reprenait que rarement son
repos. C'est durant ces veilles qu'il faisait son oraison ou rédigeait ses
conférences et ses écrits. Austère, il l'avait toujours été. A Amiens, sa
mortification n'échappa guère aux religieuses. « En hiver, venant de grand
matin du couvent de nos Pères Capucins, qui est asses esloigné de nostre
monastère, et que les chemins fussent couverts de neges et quil fit grand
froid, il montoit droit au confessionaire, sans sarrester a se chauffer, pour
voir si quelqu'une d'entre nous avoit besoin de son assistance ». Les Capucines,
qui n'ignoraient pas quelles étaient ses souffrances corporelles, admiraient sa
patience au milieu des maladies qui l'accablaient mais qui ne l'empêchaient pas
de vaquer à son ministère de confesseur. Celui-ci était chargé, et le P.
Martial l'avouait lui-même dans la lettre II adressée, le 4 décembre, à une
Capucine de Paris : confessions, préparation des conférences, sermon du
dimanche, direction des retraitants[257], visite des malades occupaient amplement ses journées.
Malgré ses fatigues et ses infirmités, il demeurait humble aux yeux des
hommes, doux et patient, s'estimant le plus imparfait de ses novices[258].
Au cours du mois de juin
1635, le P. Martial d'Etampes sentit nettement ses forces décliner. Le 16 du
même mois, alors qu'il était allé, suivant son habitude, faire des conférences
spirituelles à trois communautés religieuses d'Amiens, il se sentit très mal.
Réunissant toutes ses forces, il parvint à célébrer encore la messe
conventuelle chez les Capucines, puis rentra au couvent assez éloigné de là, où
il arriva exténué. Le P. Aimé de Beauvais, son ancien novice et alors son
gardien. le trouva fort mal. « C'est maintenant, mon Père, lui dit-il, qu'il
faut avoir le coeur à Dieu ». Le malade répondit seulement : “Oui, à Dieu, à
Dieu, à Dieu ». On se hâta de lui donner les sacrements. Or, « le lundi à
l'heure des matines, un Frère le visitant pour luy rendre quelque service, luy
trouvant les pieds tout froids », il l'appela. Le mourant lui répondit « que
son esprit était en grande jubilation, proférant des paroles entrecoupées...
que le religieux ne pouvoit discerner ». Sur les quatre heures du matin « un
peu devant le lever du soleil », le P. Martial s'éteignit. On était au 19 juin
1635, jour anniversaire de sa profession.
Quand la nouvelle de la
mort arriva au monastère des Capucines, celles-ci, par l'intermédiaire de leur
syndic, tentèrent d'obtenir que la dépouille mortelle de leur confesseur fût
inhumée dans leur église, mais le P. Gardien du couvent d'Amiens s'y opposa
formellement. On se contenta de leur remettre le coeur du défunt, qui, placé
dans un vase de plomb, fut enterré devant l'autel principal de l'église. Le P.
Aimé accorda encore aux moniales la faveur de vénérer le corps de leur père
spirituel, et « toutes vinrent baiser les pieds... avec beaucoup de larmes et
de sanglots ». A trois heures de l'après-midi, on plaça la dépouille du P.
Martial dans le choeur des religieuses, pendant que celles-ci psalmodiaient
l'office des morts. Puis, les Capucins « vinrent processionnellement du couvent
au nombre de quarante-deux », assister à l'absoute et emmener le défunt, afin
de l'inhumer dans leur église. Ce fut un transfert triomphal. Le corps était
porté par six religieux, entourés de six autres portant un flambeau, et suivis
du reste de la communauté, ainsi que d'une foule telle « qu'on n'eut pas pensé,
quil y eut tant de peuple dans la ville ». Elle remplissait l'église à tel point,
que le cortège put difficilement y pénétrer. Il fut d'ailleurs impossible
d'arrêter la dévotion populaire. On coupa l'habit du défunt, ses cheveux et sa
barbe, aussi le P. Gardien donna-t-il l'ordre de couvrir le corps. « Les
tréteaux sur lesquels il étoit furent rompus, ...on l'emporta dans la chapelle
de saint Antoine de Pade ou il devoit estre enterré »[259].
La mémoire du P. Martial
d'Etampes demeura en bénédiction, non seulement à Amiens, mais dans toute la
Province de Paris. Peu de temps après le décès, un religieux écrivait au P.
Sylvestre, rédacteur du nécrologe : « Je l'ay recogneu grand observateur de la
régularité, ...fort fervent a se mortifier, tant en ses paroles qu'en ses
gestes, grandement austère en son vivre et en son dormir. ...grand homme
d'oraison et de pratique spirituelle, comme il a bien fait paroistre, tant en
ses leçons particulières qu'en ses exhortations... comme aussi ès livres et
escripts... réduisant toute sa doctrine... en pratique par imitation des
exemples de la vie de Nostre Seigneur, jusques a mourir en croix avec luy » [260].
Son enseignement est à la fois humain et élevé.
Tous sont appelés. Chaque acte d’une méthode d’oraison est déjà une oraison,
aussi devons-nous y entrer « comme à yeux clos, car Dieu n’a pas besoin de
nos règles pour nous donner ses grâces et lumières [261] ». Il parle des « secrets sentiers de Son
divin amour », en référence à Constantin de Barbanson[262].
Il s’agit de « plonger en Dieu comme des
poissons dans l'eau ». C’est un acte de la volonté, au travers des images.
Il demande simplement quelques paroles amoureuses, « sans plus d'autres
inventions pour aimer que l'amour même, car rien n'est plus propre à produire
un feu qu'un autre feu ». Cela suffit car « le doux, simple et
amoureux souvenir de Dieu contient éminemment tous les autres actes que l'on
pourrait produire, comme de dresser son intention. » Selon la tradition de
Benoît de Canfield : « Acquiescez à Sa volonté pour ne ressentir plus
qu'un seul vouloir. » Car « Dieu est toujours présent, paix et repos
au centre de soi-même », sans attribut particulier pour Celui qui
s’annonce par : Je suis qui suis. La
patience est requise car, « fontaine de bonté, il ne peut opérer que le
bien dans le mal qu'Il permet de nous arriver. » On atteindra finalement
un état où « l'on ne reconnaîtra plus que Dieu en nous, par la grâce
de son opération », tandis que « nous ne verrons plus que Dieu en
toutes choses. »
On trouve l’écho de son exigeante tendresse
dans des lettres :
C'est le propre des bonnes âmes, plus elles
approchent du soleil, de se perdre de vue et de s'anéantir tellement qu'elles
ne voient pas seulement leur ombre, car elles n'en ont point du tout tant elles
sont dans l'anéantissement et bas estime d'elles-mêmes [...] Interrogez votre
pauvre cœur pour savoir ce qu'il désire, et quand vous trouverez que ce n'est
pas Dieu ou ce qui vous peut aider à vous élever à lui, recourez-y promptement,
et vous remettez en Dieu seul. Cette remise de votre esprit en Dieu souvent
pratiquée vous apportera un grand profit, et abondance de fruits, et s'ils
n'ont été si grands depuis mon départ, ce n'est pas faute que je n'ai prié Dieu
pour vous, et si vous ne vous avancez, c'est que mes prières ne sont exaucées
pour n'être assez ferventes, priez qu'elles le soient [...] Frère Martial,
capucin inutile, et en parfaite santé grâce à Dieu [263].
Le Traité très facile pour apprendre à faire
l’oraison mentale commence par rectifier certaines représentations :
La dévotion n'est pas un sentiment comme
plusieurs se persuadent, mais c'est un acte de la volonté par lequel on se
porte promptement au service de Dieu[264].
Le ministère de Martial lui permet de donner
quelques conseils pour passer de la méditation au « silence de
l’esprit » qui est la marque de l’entrée dans l’oraison dite passive
:
Il faut passer au travers des images, objets,
distractions, et diverses pensées qui se présenteront à notre pauvre esprit
pour détourner notre vue de Dieu, et demeurer fixes en ce simple regard tant
qu'il nous sera possible, sans pourtant nous forcer, ni violenter la tête ni
l'estomac ; et pour pratiquer ceci plus facilement, il faut jeter les yeux de
l'esprit sur la grandeur de Dieu, sur sa majesté, sur sa bonté, puissance,
sagesse, et autres perfections ; mais particulièrement sur son amour, duquel Il
s'aime Lui-même, nous en réjouissant et L'en congratulant, en comprenant telles
perfections seulement en bloc, et sans aucune spéculation ou distinction, les
admirant et contemplant simplement au plus intérieur de notre âme ; puis en un
instant il faut retomber sur notre néant au plus intime de notre âme. Ce regard
doit être accompagné d'une grande révérence, qui causera une douceur en notre
intérieur et un silence en notre esprit, dans lequel nous devons demeurer tant
qu'il durera[265] .
Il conseille un « acte de foi » qui
consiste à « plonger » en Dieu :
Quand nous voyons donc la complaisance, le
chagrin ou le dégoût survenir, soit en l'opération intime, soit en l'oraison,
qui est son propre lieu, ou parmi les hantises et actions du prochain, sans que
nous nous amusions à combattre tels fantômes, il faut, par un acte de foi,
croire fermement que toutes ces tentations, distractions, dégoûts, inquiétudes,
efforts, perturbations, et bref tout ce que les démons nous peuvent susciter,
ne sont pas capables de faire que Dieu nous soit moins présent ni qu'il soit
moins digne d'être notre unique objet, ni empêcher que nous ne prenions en Lui
en ce temps-là même notre très parfait contentement ; et si les
distractions nous ont possédé quelque temps, en telle sorte que durant leur
violence nous n'ayons eu le loisir de recourir à l'anéantissement actif, comme
il arrive souvent en l'oraison et en d'autres rencontres, nous nous devons au
moins pour lors abîmer, plonger et jeter en Dieu comme des poissons dans l'eau,
sitôt que nous nous apercevons du péril auquel nous sommes. C'est pourquoi il
faut toujours nous tenir sur le bord du
lac…[266]
Il recourt à la comparaison traditionnelle
illustrant le dur chemin de transformation, qui sera reprise entre autres par
madame Guyon :
…et qu'il faut que nous nous considérions comme
le blé qui sert tant à l'entretien et à la nourriture des hommes, et qui ne
peut être bon à manger s'il n'a pas passé par beaucoup de métiers, parmi
lesquels il semble qu'il doive être plutôt consommé et anéanti, que pouvoir
servir à aucun usage ; car le jetant premièrement en terre, qui ne dirait qu'on
le veut perdre en le faisant pourrir ? Le mettant puis [188] après sous un
fléau, l'écrasant entre deux meules, le jetant dans un four embrasé, qui ne
dirait qu'il est entièrement perdu ? Et cependant c'est pour lors qu'il est
plus propre pour nos usages [267].
L’in-action
ou action divine en l’âme assure une nouvelle naissance dans le silence de
toutes nos puissances :
C'est là pareillement l'exercice des âmes
avancées, qui sont tirés de Dieu par un mouvement particulier, ou par je ne
sais quelle impuissance de ne pouvoir faire autrement, ce qui arrive par un
délaissement intérieur qui les rend incapables d'une plus grande et plus
actuelle occupation d'esprit, ou par une disposition corporelle qui leur donne
le même empêchement ; et c'est l'exercice de la seule chose nécessaire que
Notre Seigneur recommandait tant à Marthe, et dont il louait si hautement
Marie, qui écoutait dans le plus intime et le plus [311] profond de son cœur
avec un profond silence ces divines paroles, au pied de lesquelles étaient
prosternés. Ainsi les âmes séraphiques n'ayant qu'une pensée, qu'une volonté et
une action en l'objet de Dieu seul, si simplement, si nuement, si paisiblement
écouté, elles semblent plutôt souffrir la suave inaction de Dieu qu'agir
d'elles-mêmes […] Ce saint exercice nous a été enseigné de Jésus naissant aussi
bien que de Jésus prêchant Marthe et Marie : naissant, parce qu'il naquit au
temps de la minuit, que toutes choses étaient en un très profond silence, comme
dit le Sage, afin que cette sienne seconde naissance temporelle répondit à
l'éternelle, qui est grandement silencieuse ; que la troisième naissance qu'il
prétend faire en nos âmes, fût en quelque façon semblable aux deux susdites,
par la pratique d'un silence universel de toutes nos puissances, en l'objet de
quoi que ce soit, excepté de Dieu : car autrement comme Dieu ne se manifesta
pas à Élie dans le tourbillon ni dans la commotion, ni dans le feu, mais dans
un doux [314] respir d'un très agréable zéphir…[268]
La garde du cœur est permanente, sans souci
d’accéder à quelque attribut distinct :
Une âme séraphique, selon cet exercice, depuis le
lever du matin jusqu'au coucher du soir, ne fera donc autre chose
intérieurement, à quelque action qu'elle vaque, soit profane ou sainte, que de
se recueillir toute en la simple vue de Dieu seul ; à chaque [321] fois qu'elle
y retourne, si elle s'aperçoit en sortir par quelques distractions, elle y
rentre aussi paisiblement et confidemment, comme si elle n'en eût jamais sorti,
[…][327] Se portant donc ainsi avec les ailes d'un souvenir simple, et d'un
amour pur vers Dieu leur unique objet, comme si elles n'avaient que cela à
faire et à voir, elles y découvrent tout ce qui se passe et s'élève de
tumultueux en elles-mêmes, pour le calmer aussitôt, ni plus ni moins qu'en
voyant dans un miroir les tâches et les difformités de leur visage […] Cette
voie de l'âme fait un bruit silencieux comme le murmure confus des eaux et le
son de Dieu sublime, parce que tout ce qu'elle voit par pensée et qu'elle
reçoit de l'amour de Dieu (qui sont les deux ailes qui l'élèvent) n'est rien de
distinct par autre attribut particulier ; ainsi Dieu parlant de soi-même à
Moïse, ne lui dit-il pas : « Je suis qui suis », sans dire quel qu'il était.
C'est aussi le même langage de l'Epouse parlant de son Époux : « Mon Bien-aimé
est à moi et moi à lui », sans spécifier quel est le Bien-aimé, ni quelle
est la Bien-aimée, pour donner à
entendre qu'il est tout son bien, toute sorte
[330] de perfections…[269].
Les
trois clous sont
« conformité, uniformité, et déiformité [270] »,
non quelque dévotion imaginative comme pouvait le faire croire le titre de
l’œuvre dont nous indiquons dans la note bibliographique l’origine fortuite,
mais une expérience bien concrète d’une transformation vécue :
[195] Nous
expérimenterons en nous-mêmes de si grands changements intérieurs et extérieurs,
que nous ne les croirions pas, si le nous ne les voyons de nos propres yeux,
mais par des effets quasi inconcevables de la sainte opération de l'Esprit de
Dieu en nous, comme de paix sans plus d'inquiétudes…
On retrouve la fonte de la volonté en Dieu,
conformité qui donne la paix si recherchée :
Notre volonté étant fondue par le feu du divin
amour, elle s'écoulera tout en Dieu, pour n'avoir plus et ne ressentir plus
qu'un seul vouloir, semblable à celui de Dieu et par ce moyen plus divin ; que
tous nos désirs et souhaits seront accomplis, d'où nécessairement s'ensuivra la
paix ; car le plus grand ennemi d'icelle, qui est notre propre volonté, étant
surmonté, et lui ayant fait jeter les armes par terre, toutes les guerres
viendront à cesser, tant les inquiétudes d'esprit que les perturbations de
cœur, causées [214] par les dérèglements de la propre volonté en soi...
Renoncez aussi à tous les choix et élections de
vos raisons humaines et propre jugement,
encore que très bonnes et très saintes, qui ne font que tyranniser votre
pauvre cœur et le désunir de Dieu : c'est pourquoi anéantissez toutes les vues
et lumières de votre esprit, encore que très justes et raisonnables, qui vous
troublent et inquiètent, et divisent votre cœur de l'unité, pour vous rendre en
tout [225] uniformes par la lumière de la foi, afin de dissiper toutes les
multiplicités et de vous faire reposer non plus en votre plaisir, mais
seulement en celui de Dieu en l'état où vous êtes
Puis l’abandon conduit à « voir toutes
choses en Dieu » en nous déiformant :
...
Ne faisant quasi plus rien de nous-mêmes, comme si nous étions [253] dans l'impuissance, nous
devons voir Dieu en toutes choses, ou plutôt toutes choses en Dieu […] Cette
fidèle pratique nous rendra toujours déiformes, c'est-à-dire qu'elle
transformera nos actions humaines en divines…
Ici notre conversion doit [317] être ferme, notre
récollection stable, notre introversion continuelle, notre paix très grande, et
notre tranquillité très simple pour ce que nous commençons à entrer dans la
région déiforme, sur le haut de la montagne de l'Esprit, au lieu du calvaire,
d'où elle ne doit plus rien respirer que l'air du Paradis , et aspirer, et soupirer de vivre
dans la pureté de l'Esprit, en paix et silence, au-dessus de tous les troubles
et inquiétudes de la nature, et là aimer Dieu sans moyen.
Il affirme nettement la possibilité d’une union
divine en utilisant subtilement l’image classique du miroir :
L'union est toute spirituelle [...] lui fait
trouver Dieu partout, même dans les plus grandes souffrances : avec l'épouse,
elle en jouit comme d'un beau lys entre les ronces des tribulations,
C'est la pratique de la déiformité, où Dieu par
l'abondance de ses grâces, dissipe tous les empêchements et anéantit tous les
milieux et entre-deux de l'union de notre esprit pour nous unir à Lui : car par
cette pratique, ne voulant rien, ne désirant rien, ayant tout quitté, n'ayant
plus nulle propriété, notre âme sera comme un très beau miroir, dans laquelle
se pourra former l'image des vertus de Jésus-Christ crucifié, et surtout de la
charité. Or prenez garde que pour former l'image dans le miroir, il doit être
éloigné de l'objet pour la représenter au vrai, et voilà ce que l'âme fidèle
fait par l'anéantissement sous les pieds de toutes les créatures ; et
c'est en ce temps que ce grand [465] Dieu par un amour de bienveillance, forme
en cette âme l'image de sa toute-puissance, de sa bonté et de son amour...
L’œuvre se termine par quelques conseils pratiques et par un encouragement :
[626]...
Servez-vous des vertus et jamais ne servez les vertus...
Chaque degré est divisé en quatre articles, […]
Le quatrième article est l'opération de Dieu ; et c'est lors qu'il vous donne
l'assurance, par l'expérience de sa proximité, et qu'il vous regarde ; car ce
regard amoureux sur vous, dissipent par un instant tout le mal [642] qui est en
vous, pour vous remplir de tout bien...[271]
Les sources principales d’informations sur
Martial consistent en un article et en recensions dans le Dictionnaire de Spiritualité. Nous avons cité l’article d’intérêt
majeur paru dans les Etudes franciscaines,
qui utilise au mieux le nécrologe des capucins de la province de Paris ;
d’autres sources figurent dans les notes de cet article (également citées pour
cette raison). Ces références sont :
DS 10 col. 675 à 677 (art. « Martial
d’Etampes » par W.-C. van Dijk) - DS
5 col. 1375 (un paragraphe dans l’art. « Spiritualité franciscaine »
où Optat de Veghel lui attribue « l’essence de la spiritualité mystique de
son époque ».)
P. Raoul de Sceaux, “Lettres inédites du P.
Martial d'Etampes”, Etudes franciscaines,
XIV, n°32, juin 1964, p. 89-102 (il comporte la biographie citée précédemment,
suivie de lettres extraites du nécrologe).
Nécrologe [des capucins de la province de Paris], ms. « d’Hautefeuille »,
château du Titre (nous avons consulté son microfilm 76 aux Arch. des Capucins
de Paris).
Les sources sûres éditées au XVIIe
siècle sont au nombre de deux (mais selon van Dijk, on a également imprimé
des ouvrages sous son nom et malgré lui). La première source, dont le niveau
d’intérêt est variable, est cependant la seule qui a fait l’objet d’éditions
successives sans changement substantiel (à la différence de ce qui se produira
chez son disciple Jean-François de Reims dont l’œuvre atteindra quatre fois son
volume primitif dans des éditions successives tout en gardant le même
titre !) : le Traité très facile…
vise en effet à une distribution plus large que l’Exercice des trois Clous… puisque celui-ci était destiné au cercle des religieuses
capucines d’Amiens, les « filles de la Passion », dont il fut le
confesseur les quatre dernières années de sa vie (le titre ne doit donc
rien au dolorisme du siècle).
Traité
très facile pour apprendre à faire l’oraison mentale, divisé en trois parties
principales... Par le révérend
père Martial d'Etampes, prêtre capucin et maître des novices. Saint-Omer, 1630[272] ;
Paris, Thierry, 1635 ; Paris, Fremiot, 1639[273] [cette
édition n’est pas citée par van Dijk] ; Paris, Coignard, 1671, 1682, 1722[274] [toutes ces éditions ne diffèrent que par le
découpage d’un même texte ; les
deux dernières éditions sont suivies d’une Vie].
Le Traité très facile fut rapidement
complété par un Exercice du silence
qui tranche par son grand intérêt (nous le reproduirons suivant les éditions de
1639 et 1722).
L'exercice
des trois Clous amoureux et douloureux, pour imiter Jésus-Christ, attaché sur
la croix au Calvaire, et pour nous unir à luy, Paris, Jean Camusat, 1635[275].
S’ajoutent quelques lettres livrées dans le Nécrologe qui furent éditées dans
l’article des Etudes franciscaines.
Nous avons retenu ici deux textes[276] majeurs en les reproduisant
intégralement : le bref Exercice du
silence suivi de l’Exercice des trois
clous. La typographie des éditions est fort libre : les sous-titres
des œuvres commencent souvent par des
majuscules pour continuer en minuscules au moment même où ils approchent plus
précisément du contenu ; parfois même plusieurs petits paragraphes
successifs séparent les membres d’une même phrase… Aussi avons-nous uniformisé
tout sous-titre en un seul paragraphe et converti ses majuscules en
minuscules. La ponctuation est revue.
Trois niveaux de sous-titres sont utilisés. Nous introduisons un corps de caractère
réduit pour quelques passages jugés moins prégnants (Extrait de privilège, début de
l’Exercice des trois clous),
suggérant ainsi de les oublier.
Le style de l’Exercice du silence a été revu et policé par des retouches de
formes très nombreuses (et par quelques omissions), ce qui rend sa lecture plus
facile, s’adressant à un public plus large (quoique religieux), mais s’éloigne
souvent du jet spontané destiné aux religieuses capucines. Nous avons préféré
éditer les deux formes courtes de ce bijou[277]. On
lira le texte du premier jet « imparfait », parfois obscur mais
savoureux et plus proche de l’expérience mystique immédiate et concrète, de l’édition
de 1639 (Martial meurt en 1635), puis le texte repris sous une forme
littérairement plus achevée, aisé à lire et découpé en chapitres, de la dernière
édition de 1722.
Dominique
Tronc P.U.F. | Dix-septième siècle 2003/1 - n° 218 pages 95 à 116 ISSN 0012-4273
Article en ligne: http://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2003-1-page-95.htm
Madame Guyon revient à Paris en 1686, âgée de trente-huit ans. Veuve depuis dix ans, restée indépendante vis-à-vis de toute structure religieuse, elle affirme et exerce une autorité spirituelle. Celle-ci lui attache des disciples dont le plus illustre est Fénelon, ce qui lui attire rapidement de redoutables épreuves : elle les surmontera mais demeurera suspecte. Les circonstances décrites dans sa Vie et surtout dans sa Correspondance active et passive[278] doivent être éclairées par une approche historique. Respecter ce dont elle témoigne d’intime dans ses écrits conduit à préciser les influences reçues qui ne sont pas seulement d’origine scripturaire, mais transmises directement de personne à personne. La lecture des sources découvre alors la grandeur, souvent abrupte, d’une filiation mystique reconnue mais peu étudiée[279].
Celle-ci commence avec le franciscain Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646), s’illustre par la figure laïque de Jean de Bernières (1602-1659), s’étend au cercle de l’Ermitage dont fait partie le discret mais important confesseur Jacques Bertot (1620-1681). Le rôle de ce dernier déborde les clôtures religieuses et s’avère déterminant auprès de la jeune Jeanne-Marie Guyon (1648-1717). Elle assumera à son tour la fonction de ses prédécesseurs dans des circonstances devenues difficiles et donc d’une façon cachée.
Les quelques noms qui viennent d’être cités n’épuisent pas les richesses d’un réseau dont les figures couvrent le siècle (et au-delà). Les effets de la condamnation du « quiétisme » (1687) puis des Maximes des saints de Fénelon (1699), ainsi que leurs conséquences - absence de toute structure religieuse favorable, méfiance de laïcs par ailleurs sensibles à l’éloquence de Bossuet – ne sont pas encore totalement effacés. Bremond prévoyait un dernier volume de son grand œuvre consacré à l’histoire de la querelle du Quiétisme[280] ; Cognet avait l’espoir de rédiger une monographie sur Madame Guyon[281]. L’un et l’autre ont disparu trop tôt. Nous proposons ici un bref aperçu d’une école mystique qui attend son historien pour la replacer au centre de la vie spirituelle du siècle. Nous présentons successivement quatre figures liées par filiation en les situant au sein d’un « réseau » d’amis. Quelques citations donnent la saveur du vaste corpus de textes de nature expérimentale qui restent à éditer et à comprendre.
La première communauté du Tiers Ordre Régulier franciscain aurait été reconnue par le Pape en 1401 et se propage jusqu’à Gênes où ils ont en charge l’hôpital[282] ; Catherine de Gênes (1447-1510), dont l’influence sera très grande chez Jacques Bertot et Madame Guyon, a été une tertiaire franciscaine. De l’Italie arrivent deux membres du Tiers Ordre Régulier, Vincent de Paris et son compagnon Antoine. Ils recherchent une solitude peu compatible avec les événements politiques de la fin des guerres de religion, comme en témoigne ce récit des tribulations de nos deux ermites aux mains des gens de guerre, alors qu’ils voulaient vivre cachés dans la forêt :
Ils tombèrent entre les mains des Suisses hérétiques, qui espérant une bonne rançon de quelques Parisiens qu’ils avaient pris parce que le siège [de Paris, en 1590] devait être bientôt levé, étaient résolus de les laisser aller, et de prendre les deux hermites. Frère Antoine en eut avis secrètement par une Demoiselle prisonnière, le malade [Vincent] qui tremblait la fièvre quarte entendit ce triste discours, et se jetant hors de sa couche descendit l’escalier si promptement qu’il roula du haut en bas, sans néanmoins aucune blessure. L’intempérance des soldats, et l’excès du vin les avait mis en tel état, que Vincent et Antoine s’échappèrent aisément… [283]
Vincent établit le monastère de Picpus entre le Faubourg Saint Antoine et le château du bois de Vincennes ; la congrégation se développe et une bulle de 1603 ordonne qu’un Chapitre provincial soit tenu tous les deux ou trois ans. Le premier Chapitre a lieu en 1604.
Apparaît la figure du père Chrysostome de Saint Lô (1594-1646) dont la vocation est suscitée par Antoine le Clerc sieur de la Forest (1563-1628), un laïc parisien cultivé, consulté par de nombreux spirituels. Chrysostome est élu Provincial de France en 1634, puis, lorsque celle-ci est divisée en deux, prenant les noms de saint François et de saint Yves, il devient en 1640 Provincial de cette dernière, correspondant à la Normandie-Bretagne[284]. Actif voyageur, mort âgé de cinquante-deux ans, il a cependant eu le temps de rédiger des opuscules[285].
Les Pensées d’Eternité d’un certain solitaire et d’un autre serviteur de Dieu nous touchent par la rectitude et la grandeur convenant bien à une « ouverture spirituelle » pour une future école de vie intérieure. Ces textes évoquent les grandes peurs que l’on attribue parfois au Moyen Age mais possèdent aussi un côté biographique nouveau. Jean-Chrysostome résume ainsi très sobrement la durée d’une vie spirituelle sous la forme émouvante d’une liste :
I. Un autre serviteur de Dieu a été conduit à une très haute perfection par les vues pensées de l’Eternité. Il était de maison et façonné aux armes. Voici que environ à l’âge de vingt-trois ans, comme il banquetait avec ses camarades mondains, il entrouvrit un livre, où lisant le seul mot d’Eternité, il fut si fort pénétré d’une forte pensée de la chose, qu’il tomba par terre comme évanoui, et y demeura six heures en cet état couché sur un lit, sans dire son secret. […] III. Ensuite il fut tourmenté de la vue de l’éternité de l’Enfer, environ huit ans […] IV. Après cet état il demeura trois autres années dans une croyance comme certaine de sa damnation : tentation qui était aucune fois si extrême, qu’il s’en évanouissait. […] V. Ensuite de cet état, il demeura un an durant fort libre de toutes peines [...]VI. Après cette année, il en demeura deux dans la seule vue de la brièveté de la vie [...] VII. Ensuite [...] il fut huit ans dans la continuelle vue que Dieu l’aimait de toute Eternité…[286]
Ce guerrier plongé dans le monde pénètre tout à coup le sens profond du mot « éternité ». Une existence résumée en quelques points donne une impression d’élan absolu associée à la brièveté de notre condition. L’inspiration qui animera toute les membres de cette école est posée de façon saisissante : des expériences mystiques intenses, qui peuvent faire tomber à terre, sont suivies d’années d’épreuves. L’amour de Dieu pour sa créature est premier. La vie spirituelle est dynamique et couvre la durée d’une vie. Le chemin suivi est classique : initiative divine brusque et inattendue qui change la vie, très longue purification, victoire définitive de l’Amour.
Le traité de La Sainte Désoccupation de toutes les créatures, pour s’occuper en Dieu seul balaye le chemin sans compromis : il faut laisser la place et toute la place au divin qui alors anime la créature : « Dieu opère tellement en cette âme, qu’il semble que ce soit plutôt Lui qui produise cet amour [...] l’âme demeure souvent comme liée et garrotée, sans rien penser ni agir comme d’elle-même, mais mûe seulement[287]. » C’est la passiveté mystique au terme d’un long cheminement de « désoccupation très pure, par laquelle l’âme parvient à une continuelle vue et présence de Dieu[288]. »
Jean-Chrysostome anime un cercle mystique auquel appartiennent Jean de Bernières et Catherine de Bar, la mère du Saint-Sacrement (1614-1698) :
...l’on a vu plusieurs personnes de celles qui suivaient ses avis [...] courir avec ferveur [...] La première est feu M. de Bernières de Caen [...] le Père Jean Chrysostome lui avait écrit que l’actuelle pauvreté était le centre de sa grâce [...] Ce sentiment d’un directeur [...] adressé à un disciple [...] en augmentait les ardeurs d’une manière incroyable. Ainsi il commença tout de bon à chercher les moyens d’être pauvre. […] Ayant été soulagé de la fièvre quarte il s’en alla à Saint-Maur [...] pour y voir la R. Mère du Saint-Sacrement, maintenant supérieure générale des Religieuses bénédictines du Saint-Sacrement. Elle était l’une des filles spirituelles du bon père, et en cette qualité il voulut qu’elle fût témoin de son agonie. […] [il] mourut le 26 mars 1646 âgé de 52 ans [...] L’on remarqua que la plupart des religieux du couvent de Nazareth où il mourut, fondaient en larmes et même les deux ou trois jours qui précédèrent sa mort, et cela sans qu’ils pussent s’en empêcher[289].
Jean de Bernières témoigne directement de la direction de celui qu’il considère comme son père spirituel :
[…] ce me serait grande consolation que [...] nous puissions parler de ce que nous avons ouï dire à notre bon Père [...] puisque Dieu nous a si étroitement unis que de nous faire enfants d’un même Père [...] Savez-vous bien que son seul souvenir remet mon âme dans la présence de Dieu[290] ?
Jean de Bernières[291], né en 1602 d’un trésorier général de France, mène une vie laïque, sensible à l’amitié, insensible aux différences sociales, payant de sa personne lorsque maladie et misère sont en cause, désirant la pauvreté (mais capable de conseiller Mme de la Peltrie en procès avec sa famille et de gérer des ressources pour la fondation des missions du Canada), demeurant humain dans la peur de la mort (car il se souvient de l’agonie douloureuse de Jean-Chrysostome). La forme de ses écrits a été considérablement revue, ce dont se plaignaient déjà ses contemporains[292].
Bernières est ferme dans ses convictions :
Lorsqu’on attaque ses amis, il les défend avec énergie. Quand le grand archidiacre d’Evreux, Boudon, victime d’une sorte de conjuration, est menacé d’interdiction, Jean déclare à la cohorte ennemie que Boudon aura toujours un refuge en sa maison, et que lui, Jean, « se trouverait heureux d’être calomnié et persécuté pour lui »[293].
De concert avec Gaston de Renty (1611-1649), autre mystique laïc, grand seigneur qui passe des armes et des sciences à l’exercice de la charité[294], Bernières contribue à la fondation d’hôpitaux, de couvents, de missions et de séminaires.
Il paye de sa personne, car il va chercher lui-même les malades dans leurs pauvres maisons, pour les conduire à l’hôpital [...] porte sur son dos les indigents qui ne peuvent pas marcher jusqu’à l’hospice [...] il lui faut traverser les principales rues de la ville : les gens du siècle en rient autour de lui[295].
Il est aussi « le directeur des directeurs de conscience[296] » et parle avec humour d’un « hôpital » un peu particulier qui accueille des hôtes de passage :
Il m’a pris un désir de nommer l’Ermitage l’hôpital des Incurables, et de n’y loger avec moi que des pauvres spirituels [...] Il y a à Paris un hôpital des Incurables pour le corps, et le nôtre sera pour les âmes[297].
Je vous conjure, quand vous irez en Bretagne, de venir me voir; j’ai une petite chambre que je vous garde : vous y vivrez si solitaire que vous voudrez ; nous chercherons tous deux ensemble le trésor caché dans le champ, c’est-à-dire l’oraison[298].
Il prend ici soin de privilégier les rapports personnels dans sa direction, ce qui évoque des lettres que Madame Guyon adressera bien plus tard de Blois à des dirigés[299]. Il est cependant bien conscient de n’être que l’intendant de Dieu :
Nous vivons ici en grand repos, liberté, gaieté et obscurité, étant inconnus du monde, et ne nous connaissant pas nous-mêmes. Nous allons vers Dieu sans réflexion [...] Je connais clairement que l’établissement de l’Ermitage est par ordre de Dieu, et notre bon Père [Chrysostome] ne l’a pas fait bâtir par hasard ; la grâce d’oraison s’y communique facilement à ceux qui y demeurent, et on ne peut dire comment cela se fait, sinon que Dieu le fait[300].
Il est de fait au centre d’un large cercle : sur place M. de Gavrus, neveu de Jean, fonde l’hôpital général de Caen ; Boudon deviendra l’archidiacre « persécuté » d’Evreux, écrivain abondant auquel nous devons de précieuses informations ; Lambert de la Motte, Mgr de Béryte, est un des premiers évêques de la Chine.
L’influence de ce cercle s’étend au Canada, dans des circonstances pour le moins inhabituelles: Mme de la Peltrie, veuve, aussi généreuse qu’originale, veut fonder une maison religieuse au Canada. Sa famille s’y oppose, elle consulte un religieux qui suggère l’expédient d’un mariage simulé. La proposition est présentée à M. de Bernières, « fort honnête homme qui vivait dans une odeur de sainteté ». Ce dernier consulte son directeur :
Celui qui le décida fut le Père Jean-Chrysostome de Saint-Lô [...] Finalement Bernières se décida, sinon à contracter mariage [...] du moins à se prêter au jeu [...] en faisant demander sa main. [...] La négociation réussit trop bien à son gré. Au lieu de lui laisser le temps de réfléchir, M. de Chauvigny [le père], tout heureux de l’affaire « ...faisait tapisser et parer la maison pour recevoir et inspirait à sa fille les paroles qu’elle lui devait dire pour les avantages du mariage »[301].
Notons l’intervention positive du Père Chrysostome, qui peut être sévère mais sans étroitesse d’esprit, et la liberté de tous dans cette affaire qui prend une pente assez comique quand Bernières est veillé à Paris par Mme de la Peltrie lors d’une maladie. Finalement le grand départ de Dieppe de la flotte de printemps en 1639 emporte Mme de la Peltrie ( ? -1671), fondatrice temporelle de la communauté ursuline du Québec, et surtout Marie de l’Incarnation (1599-1672) qui animera cette communauté :
Marie de l’Incarnation est encore sous le coup du ravissement qu’elle vient d’avoir en la chapelle de l’Hôtel-Dieu. M. de Bernières monta dans la chaloupe avec les partantes [...] mais on lui conseilla de demeurer en France afin de recueillir les revenus de Mme de la Peltrie, pour satisfaire aux frais de la fondation[302].
De nombreux familiers de l’Ermitage suivront le même chemin : Ango de Maizerets, dont la vie se confondra avec celle du séminaire fondé là-bas à l’imitation de l’Ermitage, et qui se dévouera à l’éducation des enfants ; M. de Bernières, neveu de Jean, qui meurt à Québec en 1700 ; François de Montmorency-Laval (1623-1708), évêque de Québec ; M. de Mésy, duelliste raffiné converti, premier gouverneur de Québec ; Roberge, le fidèle valet de chambre et disciple, après la mort de son maître[303]. Bernières restera le correspondant préféré de Marie de l’Incarnation (avec le fils de cette dernière, dom Claude Martin), mais les longues lettres « de quinze ou seize pages » sont perdues.
Revenons en France : Catherine de Bar devenue Mère Mectilde du Saint-Sacrement, appréciée de Madame Guyon[304], fonde les bénédictines de l’Adoration perpétuelle du très Saint Sacrement à Paris ; elles iront en Lorraine et jusqu’en Pologne[305]. Le père Jean-Chrysostome est son confesseur. Elle se lie à Bernières et ils demeureront en correspondance. Elle passe environ un an au monastère de Montmartre et au moins trois années à Caen[306]. Son confesseur suivant, Epiphane Louys (1614-1682), mystique attachant, lorrain comme elle, s’est lié aussi avec Bernières.
Le laïc Jean de Bernières est influent à Paris par l’intermédiaire du jeune confesseur Jacques Bertot, son ami et surtout disciple, et il lui adresse quatorze lettres qui tranchent par leur ton et leur profondeur sur l’ensemble de sa correspondance[307]. Elles sont adressées à « l’ami intime », que nous pensons pouvoir identifier à Bertot grâce à quelques indices tels que « Je connais aussi que vous êtes encore utile et nécessaire aux B[énédictines] et à M[ontmartre][308] » :
…Dieu seul, et rien plus. Je n’ai manqué en commencement de cette année de vous offrir à Notre Seigneur, afin qu’Il perfectionne, et qu’Il achève Son œuvre en vous. Je conçois bien l’état où vous êtes : recevez dans le fond de votre âme cette possession de Dieu, qui vous est donnée en toute passiveté, sans ajouter votre industrie et votre activité, pour la conserver et augmenter. C’est à Celui qui la donne à le faire, et à vous, mon cher Frère, à demeurer dans le plus parfait anéantissement que vous pourrez. Voilà tout ce que je vous puis dire, et c’est tout ce qu’il y a à faire. Plus une âme s’avance dans les voyes de Dieu, moins il y a de choses à lui dire…[309]
Mon cher Frère, demeurez bien fidèle à cette grande grâce, et continuez à nous faire part des effets qui vous seront découverts : vous savez bien qu’il n’y a rien de caché entre nous, et que Dieu nous ayant mis dans l’union il y a si longtemps, Il nous continuera les miséricordes pour nous établir dans Sa parfaite unité, hors de laquelle il ne faut plus aimer, voir, ni connaître rien[310].
Jacques Bertot naît à Caen le 29 juillet 1622, fils unique d’un marchand drapier de Caen[311]. L’essentiel de sa vie est résumé longtemps après sa mort dans l’Avertissement placé en tête des œuvres rassemblées par Madame Guyon sous le titre Le Directeur mistique:
Monsieur Bertot [...] natif de Coutances[312] [...] grand ami de [...] Jean de Bernières [...] s’appliqua à diriger les âmes dans plusieurs communautés de Religieuses [... et] plusieurs personnes [...] engagées dans des charges importantes tant à la Cour qu’à la guerre [...] Il continua cet exercice jusqu’au temps que la providence l’attacha à la direction des Religieuses Bénédictines de l’abbaye de Montmartre proche Paris [sic], où il est resté dans cet emploi environ douze ans jusqu’à sa mort [...au] commencement de mars 1681 après une longue maladie de langueur. … [Il fut] enterré dans l’Eglise de Montmartre au côté droit en entrant. Les personnes [...] ont toujours conservé un si grand respect [...qu’elles] allaient souvent à son tombeau pour y offrir leurs prières.
On peut distinguer deux périodes dans cette vie, autour de deux localisations géographiques successives, à Caen puis à Paris ; on se gardera toutefois d’attribuer une trop grande importance à ces localisations, compte tenu de voyages fréquents.
Pendant vingt ans, de 1655 à 1675, Jacques Bertot, qu’il ne faut pas confondre avec d’autres ecclésiastiques normands[313], est prêtre séculier et directeur du monastère des ursulines de Caen :
(La même année 1655 biffé) Au même temps (add. marg.) […] nous perdîmes Monsieur Du Rocher de Bernay […] On procéda incessamment à l'élection d'un autre supérieur. Messieurs François de Laval, et Jacques Bertot furent présentés à l'évêque Monseigneur de Servien qui confirma supérieur Monsieur Bertot.[314]
Jourdaine de Bernières, sœur du vénéré Jean de Bernières, prestigieuse supérieure du couvent, lui vouait une confiance et une obéissance absolue, comme en témoignent les deux épisodes suivants :
Elle fut élue unanimement pour la dernière fois. Sa surprise la fit sortir du chœur et courir s'enfermer dans sa chambre pour empêcher sa confirmation et en appeler à l'évêque ; mais Monsieur Bertot, supérieur qui présidait à l'élection et M. Postel son assistant, allèrent la trouver et lui faire un commandement exprès de consentir à ce que le chapitre venait de faire. A ces mots, vaincue par son respect pour l’obéissance, elle ouvre la porte et se laisse conduire à l’église pour y renouveler son sacrifice…[315]
Il fit assembler les religieuses au chœur, et, en leur présence, blâma la conduite de leur supérieure à qui il fit une ferme réprimande avec des termes si humiliants que plusieurs des religieuses qui connaissaient son innocence en furent sensiblement touchées […] le jour même elle fut trouver le supérieur au parloir, non pas pour (se plaindre ou biffé) se justifier, mais pour lui parler des affaires de la maison comme à son ordinaire, dont il fut également surpris et édifié. Toutes choses bien éclaircies, il conçut une plus haute estime de la mère de saint Ursule [Jourdaine de Bernières] qu'il n'avait eu...[316]
Bertot est actif hors de cette charge de supérieur. Il est en relation avec la célèbre Marie des Vallées[317], influente sur saint Eudes, et l’apprécie :
Elle me disait que la Miséricorde [en note : c'est-à-dire l’amour-propre chargé des richesses spirituelles de la Miséricorde] allait fort lentement à Dieu, parce qu’elle était chargée de dons et de présents, de faveurs et de grâces de Dieu, qu’ainsi son marcher était grave et lent; mais que l’amour divin qui était conduit par la divine Justice, allant sans être chargé de tout cela, marche d’un pas si vite que c’est plutôt voler.[318].
Il est également lié à l’aventure commune de l’apostolat au Canada[319], illustrée par Marie de l’Incarnation. Son rayonnement va donc bien au-delà du monastère de Caen, ce dont témoignent plusieurs lettres[320] de Catherine de Bar (devenue la Mère fondatrice des bénédictines du Saint-Sacrement, appréciée par Madame Guyon au monastère de la rue Cassette) :
- à Jean de Bernières lui-même[321], qui, dès juillet 1645, atteste du fruit des activités du jeune disciple et nous éclaire sur sa vigoureuse direction (une caractéristique propre à l’école) :
Monsieur. Notre bon Monsieur Bertot nous a quittés avec joie pour satisfaire à vos ordres et nous l'avons laissé aller avec douleur. Son absence nous a touché, et je crois que notre Seigneur veut bien que nous en ayons du sentiment, puisqu'Il nous a donné à toutes tant de grâces par son moyen, et que nous pouvons dire dans la vérité qu'il a renouvelé tout ce pauvre petit monastère et fait renaître la grâce de ferveur dans les esprits et le désir de la sainte perfection. Je ne vous puis dire le bien qu’il a fait et la nécessité où nous étions toutes de son secours […] mais je dois vous donner avis qu'il s'est fort fatigué et qu'il a besoin de repos et de rafraîchissement. Il a été fort travaillé céans, parlant [sans] cesse, fait plusieurs courses à Paris en carrosse dans les ardeurs d'un chaud très grand. Il ne songe point à se conserver. Mais maintenant, il ne vit plus pour lui. Dieu le fait vivre pour nous et pour beaucoup d'autres. Il nous est donc permis de nous intéresser de sa santé et de vous supplier de le bien faire reposer.
Il vous dira de nos nouvelles et de mes continuelles infidélitées et combien j'ai de peine à mourir. Je ne sais ce que je suis, mais je me vois souvent toute naturelle, sans dispositions de grâce. Je deviens si vide, et si pauvre de Dieu même que cela ne se peut exprimer. Cependant il faut selon la leçon que vous me donnez l'un et l'autre que je demeure ainsi abandonnée, laissant tout périr. […]
- à la Mère Benoite de la Passion prieure de Rambervillers, le 31 août 1659 :
Monsieur [Bertot] a dessein de vous aller voir l’année prochaine, il m’a promis que si Dieu lui donne vie il ira. Il voudrait qu’en ce temps-là, la divine Providence m’y fît faire un voyage afin d’y venir avec vous [...] Il faut mourir. Monsieur Bertot sait mon mal [...]s’il vous donne quelques pensées, écrivez-le moi confidemment.
- à la Mère Dorothée (Heurelle), sous-prieure, le 8 août 1660 :
A Rambervilliers ce 8 août 1660. M. Bertot est ici, qui vous salue de grande affection [...] je ressens d’une singulière manière la présence efficace de Jésus-Christ Notre Seigneur.
Finalement, Bertot part de Caen pour Paris, en 1675[322] :
M. Bertot, après avoir été notre Supérieur, voulut se démettre de cette charge, ayant trouvé à Paris des occupations qui l'obligeaient à la résidence ; on fit élection de Monsieur de Launé Hué, (docteur de Sorbonne : ajout marg), pour remplir sa place (ajout interl : le 15 avril 1675.)
Dans la dernière partie de sa vie, Jacques Bertot est actif comme confesseur à la célèbre abbaye de Montmartre, proche du pèlerinage à saint Denis[323]. Le rôle de la vénérable abbaye bénédictine, fondée en 1133, était central depuis sa réforme mouvementée qui eut lieu au début du siècle avec l’aide de Benoît de Canfield :
Les religieuses de plus en plus mécontentes des efforts de leur abbesse [...] deux fois essayèrent vainement de l’empoisonner ; une autre fois, elles décidèrent quelques-uns de « leurs amis » à l’assassiner, mais l’un d’eux recula devant ce crime et prévint Madame de Beauvilliers qui dès lors logea dans une chambre séparée, à porte double et ne mangea plus d’aucun plat qui ne fut préparé par une des deux sœurs converses sur lesquelles on pouvait compter [elle les avait amenées avec elle] […] L’évêque de Paris [...] rassembla les religieuses [...] ordonna tout d’abord le rétablissement de la clôture ; toutes se levèrent et s’emportèrent, à ce qu’il paraît, de la façon la plus scandaleuse. Le prélat se retira en promettant à Mme de Beauvilliers de la défendre et en réalité il ne fit rien. Mme de Beauvilliers, soutenue par son seul directeur, le P. Caufeld [sic] prit résolument son parti...[324]
Cela se passait juste avant 1600 : on ne sait pas s’il connaît la réformatrice, Madame de Beauvilliers[325], mais il lit certainement attentivement l’opuscule qu’elle compose pour ses religieuses, en suivant de très près Benoît de Canfield :
“...s’il est si plaisant et agréable d’entrer dans le secret de notre intime ami, qu’est-ce d’entrer dans le secret et le plus caché du cœur de Dieu ? Et c’est ce que fait, et à quoi arrive l’âme par l’exercice continuel de la conformité de sa volonté à celle de Dieu, car en faisant la volonté de Dieu, l’âme la connaît...” [326]
Il est surtout lié à Françoise-Renée de Lorraine, Madame de Guise[327], abbesse qui lui succède en des temps moins troublés, de 1644 à 1669, avant de mourir en 1682 :
M[ada]me de Guise dirigea l’abbaye pendant vingt-cinq ans. Douée d’une haute intelligence, elle était en relation avec les beaux esprits et les femmes élégantes du temps : le docteur Valant, le médecin de M[ada]me de Sablé et de toute la société précieuse en même temps que de l’abbaye, nous a conservé plusieurs billets d’elle fort galamment tournés[328].
On note le choix de Bertot pour régler, vers 1673, une affaire compliquée où Jean Eudes, ami de Jean de Bernières, est attaqué par ses anciens confrères oratoriens qui tentent de le discréditer en ridiculisant son attachement à Marie des Vallées.
On entrevoit tout un réseau de relations transversales entre divers membres du groupe de l’Ermitage[329]. Madame de Guise a dû aider à la constitution du cercle dévôt[330] autour de Bertot, dont l’activité est attestée par la publication des deux volumes de ses Retraites sous l’impulsion de l’abbesse. Ces témoignages de son activité sont suivis, plus tardivement, de sa très intéressante mise au point sous le titre Conclusion aux retraites, également destinée à Madame de Guise[331]. Ce texte fondamental correspond probablement à celui qui est évoqué par Fénelon et expliqué par Orcibal. Ce dernier connaissait les deux volumes de Retraites, dont il fixe la date à 1662, alors que la Conclusion est publiée en 1684, soit peu après la disparition de Bertot[332].
Celui-ci se révèle en fait par une œuvre écrite assez abondante, remarquable par sa force et sa netteté en ce qui concerne l’expression du cheminement mystique, mais tombée dans l’oubli à la disparition des cercles guyoniens : l’anonymat (même si l’on évoque l’auteur en préface), l’extrême rareté des exemplaires, due à leur suppression des bibliothèques de communautés religieuses comme à leur dissémination européenne[333], la pauvreté ou l’étrangeté des titres expliquent cet oubli. Il est vrai que le style ne se soucie pas d’élégance, l’auteur visant à préciser l’expérience qu’il partage, quitte à tourner autour d’elle pour en souligner tous les aspects.
Le corpus de l’œuvre, tel que nous avons pu le reconstituer, comporte sept volumes publiés en trois fois sur 64 ans, donc à des dates très différentes : les volumes des Retraites en 1662, leur Conclusion en 1684, Le directeur Mistique en 1726. Un huitième volume qui s’intitulerait De la Contemplation resterait peut-être à découvrir[334].
De 1662, Diverses retraites…[335] et Continuation des retraites…[336] donnent en deux volumes, sous une pagination unique, sinon cohérente, des schémas de retraites probablement rassemblés par les soins d’auditeurs. De 1684, La conclusion des retraites…[337], troisième et dernier volume édité après la mort de Bertot, a été retrouvée à Chantilly[338]. Il s’agit d’un traité bref mais bien charpenté et très précis, couvrant avec grande autorité toute la voie mystique, dont nous ne connaissons pas d’équivalent contemporain. Les Torrents de Madame Guyon reprennent le fond de cet exposé sous une forme moins sévère, parfois lyrique.
A ces trois volumes s’ajoutent quatre volumes de textes et de lettres qui ont été rassemblés en hommage par sa disciple J.-M. Guyon et édités en 1726, quarante-cinq ans après la mort de Bertot, sous le titre : Le directeur Mistique ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guion…[339], par le cercle de P. Poiret peu après la mort de ce dernier. Il comporte douze traités, dont le style a pu être revu par Madame Guyon (vol. I), suivi de 221 lettres montrant les qualités de précision et l’autorité du directeur (vol. II à IV). Elles sont adressées à des correspondants non cités, dont en premier lieu Madame Guyon. A l’œuvre de Bertot celle-ci ajoute, nommément cités, une relation concernant Marie des Vallées et des lettres de Maur de l’Enfant-Jésus. L’ensemble se termine sur des lettres de Madame Guyon adressées à des disciples et non plus à Bertot. Cette édition très rare est suivie d’un choix en un volume également rare[340].
Il faut ajouter à ces œuvres publiées les lettres de Bertot reprises dans la correspondance de Madame Guyon[341] ainsi qu’une belle lettre[342] sous forme manuscrite, recopiée de la main de Dupuy, copiste de lettres de Madame Guyon, et datée du 22 mars 1677.
J. Bertot meurt prématurément à cinquante-neuf ans à Paris le 28 avril 1681[343]. Il n’a exprimé que de très rares confidences sur lui-même :
En vérité il [Notre Seigneur] me détourne tellement des créatures que j’oublie tout volontiers et de bon cœur. Ce m’est une corvée étrange que de mettre la main à ma plume. Tout zèle et toute affection pour aider aux autres m’est ôtée; il ne me reste que le mouvement extérieur : mon âme est comme un intrument dont on joue, ou si vous voulez comme un luth qui ne dit ni ne peut dire mot que par le mouvement de celui qui l’anime[344]. Cette disposition d’oubli me possède tellement, peut-être par paresse, qu’il est vrai que je pense à peu de chose.[345]
L’oubli mystique n’empêche pas une activité intense. Enfin il livre ses affinités par quelques noms d’auteurs spirituels :
Tant de livres ont été faits par de saintes personnes pour aider les âmes en la première conduite, comme Grenade, Rodriguez et une infinité d’autres [...] Pour la voie de la foi, il y en a aussi plusieurs, comme le bienheureux Jean de la Croix, Taulère, le Chrétien Intérieur [de Bernières] et une infinité d'autres...[346] Le livre de la Volonté de Dieu [ou Règle de Perfection] de Benoît de Canfeld peut beaucoup servir[347].
Le rayonnement de Bertot, « conférencier très apprécié de l'aristocratie et, en particulier, de divers membres de la famille Colbert[348] », déborde sur un cercle laïc que l’on retrouvera autour de Madame Guyon :
Chevreuse dut-il à Fénelon la connaissance de Mme Guyon ? Bien qu'il paraisse l'admettre, Saint-Simon fournit un fort argument à la thèse contraire. Après avoir indiqué que les conférences de Bertot à Montmartre étaient suivies par Mme de Charost et par le duc de Noailles, il ajoute en effet : « MM. de Chevreuse et de Beauvillier fréquentaient aussi cette école. Mme Guyon fit la connaissance de ces deux derniers par Fénelon [...] Ces deux ducs et leurs femmes depuis longtemps initiés aux rudiments de cette école par celle de Montmartre, goûtèrent Mme Guyon au point de se mettre sous sa conduite à la suite de l'abbé de Fénelon[349].
Saint-Simon, ami des ducs, mais ennemi de la dame qui les séduit d’une façon incompréhensible pour lui, souligne le 10 janvier 1694 les relations qui avaient lié Bertot et Madame Guyon, et la continuité que cette dernière assure :
Elle ne fit que suivre les errements d’un prêtre nommé Bertaut [sic], qui bien des années avant elle, faisait des discours à l’abbaye de Montmartre, où se rassemblaient des disciples, parmi lesquels on admirait l’assiduité avec laquelle M. de Noailles, depuis Maréchal de France, et la duchesse de Charost, mère du gouverneur de Louis XIV, s’y rendaient, et presque toujours ensemble tête à tête, sans que toutefois on en ait mal parlé. MM. de Chevreuse et de Beauvilliers fréquentaient aussi cette école[350].
Le témoignage donné
en 1695 par un informateur de Madame de Maintenon confirme le rôle central qui
fut celui de Bertot dans les cercles laïcs constitués autour de Montmartre. Il
met en lumière son activité auprès des Nouvelles
Catholiques, auxquelles Madame Guyon et
Fénelon furent attachées. Le lecteur appréciera les insinuations sur les
jeunes dames tôt levées et le parfum d’enquête policière qui se dégage d’un
document par ailleurs fort bien documenté[351] :
[f° 2v°] Il y a plus de vingt ans que l'on voit [vit] à la tête de ce parti [le quiétisme], Mr Bertau [Bertot], directeur de feu Madame de Montmartre. […] Cet homme était fort consulté ; les dévots et les dévotes de la Cour avaient beaucoup de confiance en lui ; ils allaient le voir à Montmartre, et sans même garder toutes les mesures que la bienséance demandait ; de jeunes dames de vingt ans partaient pour y aller à six heures du matin tête-à-tête avec de jeunes gens à peu près du même âge. On rendait compte publiquement de son intérieur, quelquefois l'intérieur par écrit courait la campagne. Mr B[ertot] faisait aussi des conférences de spiritualité à Paris dans la maison des Nouvelles Catholiques, et auxquelles plusieurs dames de qualité assistaient et admiraient ce qu'elle n'entendaient pas. […] Madame G[uyon] était, disait-il, sa fille aînée, et la plus avancée, et Madame de Charost était la seconde, aussi soutient-elle à présent ceux qui doutent. Elle paraît à la tête du parti, pendant que Madame Guyon est absente ou caché. […]
[f° 39v°] On pourra tirer des lumières de la sœur Garnier et de la sœur Ansquelin des Nouvelles Catholiques, si on les ménage adroitement, et qu'on ne les commette point. Elles peuvent parler sur Madame Guyon, sur la sœur Malin et sur Monsieur Bertot. Il se faisait chez elles des conférences de spiritualité auxquelles présidait Monsieur Bertot. […] Madame la duchesse d'Aumont et Madame la marquise de Villars pourront dire des nouvelles de la spiritualité du sieur Bertaut avec qui Madame Guyon avait une liaison si étroite qu'il disait que c'était sa fille aînée. […]
M. de Gaumont est un dirigé moins célèbre, « homme d’une pureté admirable[352] » selon Madame Guyon :
Marie Le Doux maîtresse d'école de la paroisse Saint-Sulpice assura en 1695 qu'elle était autrefois de la communauté des Quinze-Vingt qu'avait établie M. de Gaumont, prêtre, sous la conduite de M. Bertaut [Bertot]. Depuis il donna à ces filles le P. de La Combe pour supérieur et voulait que Mme Guyon fût supérieure[353].
En résumé, la vie de Monsieur Bertot, sans événements majeurs, mal connue - nous la décrivons ici pour la première fois - est celle d’un prêtre dévoué à la tâche de direction spirituelle, devenant le lien essentiel entre le groupe normand formé autour de l’Ermitage de Jean de Bernières et du monastère de Jourdaine et le groupe de Paris constitué autour du monastère de Montmartre. Le cercle de Paris deviendra celui de Madame Guyon lorsqu’elle prendra la succession de son directeur spirituel à son retour de voyages.
La dirigée la plus connue - parmi beaucoup d’autres, surtout des dames religieuses - de Monsieur Bertot est donc Madame Guyon[354], qu’il rencontre par l’intermédiaire de la mère Geneviève Granger[355].
Plusieurs rencontres sont nécessaires, qui mettent en jeu divers membres du « réseau » mystique associé à Bernières et à Bertot : le « bon père » franciscain Archange Enguerrand introduit la jeune femme à la vie intérieure[356], lui fait rencontrer la mère Granger[357], par ailleurs connue de la duchesse de Charost[358]. La mère Granger la prend en charge[359] et lui donne Bertot pour directeur. Elle le rencontre le 21 septembre 1671 dans des circonstances qui resteront gravées dans sa mémoire :
...je dirai que la petite vérole m'avait si fort gâté un oeil que je craignais de le perdre tout à fait, je demandai d’aller à Paris pour m’en faire traiter, bien moins cependant pour cela que pour voir M. B[ertot] que la M[ère] G[ranger] m’avait depuis peu donné pour directeur et qui était un homme d’une profonde lumière. Il faut que je rapporte par quelle providence je le connus la première fois. Il était venu pour la M[ère] G[ranger]. Elle souhaitait fort que je le visse; sitôt qu’il fut arrivé, elle me le fit savoir, mais comme j'étais à la campagne, je ne trouvais nul moyen d'y aller. Tout à coup mon mari me dit d'aller coucher à la ville pour quérir quelque chose et donner quelque ordre. Il devait m'envoyer quérir le lendemain, mais ces effroyables vents de la St Matthieu vinrent cette nuit-là de sorte que le dommage qu'ils causèrent [attesté et daté dans le journal d’un Montargois] m'empêcha de retourner de trois jours. Comme j'entendis la nuit l'impétuosité de ce vent, je jugeai qu'il me serait imp ossible d'aller aux Bénédictines ce jour-là et que je ne verrais point M. Bertot. Lorsqu'il fut temps d'aller, le vent s'apaisa tout à coup, et il m'arriva encore une providence qui me le fit voir une seconde fois[360].
Nous ne pouvons ici étudier la dimension mystique de la direction spirituelle reçue par Madame Guyon, ce qui grossirait démesurément notre texte[361]. Elle est assurée sans compromis par Monsieur Bertot. Cette rigueur existe aussi chez le « bon franciscain » Archange Enguerrand[362] ( ? -1699) et se retrouvera, mais avec souplesse, chez Madame Guyon[363]. C’est une caractéristique de l’école : l’amour du directeur se manifeste dans sa rigueur ; on n’affronte rien qui soit au-dessus de ses forces mais tout est apporté par la grâce[364]. Voici un exemple illustrant l’esprit de cette direction :
Vous ne pouvez assez entrer dans le repos et dans la paix intérieure; car c’est la voie pour arriver où Dieu vous appelle avec tant de miséricorde. Je vous dis que c’est la voie, et non pas votre centre : car vous ne devez pas vous y reposer ni y jouir ; mais passer doucement plus loin en Dieu et dans le néant ; c’est-à-dire qu’il ne faut plus vous arrêter à rien quoiqu’il faille que vous soyez en repos partout. Sachez que Dieu est le repos essentiel et l’acte très pur en même temps et en toutes choses [...] Je vous en dis infiniment davantage intérieurement et en présence de Dieu; si vous y êtes attentive vous l’entendrez. Soutenez-vous en Dieu nuement et simplement, seule et une [...] N’ayez donc plus d’idées, de pensées, de sentiments de vous-même, non plus que d’une chose qui n’a jamais été et ne sera jamais[365].
Il est le premier à parler de l’union spirituelle qu’il éprouve avec ses amis et disciples. Il les porte comme un père dans ses prières et les amène à l’union avec lui dans le même état spirituel :
Si j’entre dans cette unité divine, je vous attirerai, vous et bien d’autres qui ne font qu’attendre ; et tous ensemble n’étant qu’un en sentiment, en pensée, en amour, en conduite et en disposition, nous tomberons heureusement en Dieu seul...[366]
Jeanne-Marie Guyon commence ses voyages juste après la disparition de Bertot, par l’établissement des Nouvelles Catholiques, connues de ce dernier[367], à Gex, près de Genève. Mais découvrant vite l’ambiguïté de la situation des converties, après des voyages en Savoie-Piémont, elle revient en France en 1686, pour se retrouver au centre du cercle parisien – événement apparemment soudain[368] que nous comprenons mieux après avoir éclairé sa relation avec Monsieur Bertot.
Sur le plan de la vie intérieure, des textes, beaucoup plus amples que les allusions de Bernières ou de Bertot, attestent une transmission directe de la grâce de personne à personne, qui ne dépend que de Dieu seul et qui s’effectue de préférence en silence. Elle suppose un même recueillement des personnes. Elle est décrite ainsi :
Vous m’avez demandé comment se faisait l’union du cœur ? Je vous dirai que l’âme étant entièrement affranchie de tout penchant, de toute inclination et de toute amitié naturelle, Dieu remue le cœur comme il Lui plaît ; et saisissant l’âme par un plus fort recueillement, Il fait pencher le coeur vers une personne. Si cette personne est disposée, elle doit aussi éprouver au-dedans d’elle-même une espèce de recueillement et quelque chose qui incline son cœur […] Cela ne dépend point de notre volonté : mais Dieu seul l’opère dans l’âme, quand et comme il Lui plaît, et souvent lorsqu’on y pense le moins. Tous nos efforts ne pourraient nous donner cette disposition ; au contraire notre activité ne servirait qu’à l’empêcher[369]. »
On trouve de nombreux textes parallèles où se trouvent décrites les modalités de cette transmission, dans les Discours spirituels, la Vie par elle-même[370] et les Explications des deux Testaments. Le célèbre verset « …lorsqu‘il y a en quelque lieu deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je suis là au milieu d’elles » est commenté ainsi[371] :
Ils se parlent plus du cœur que de la bouche ; et l’éloignement des lieux n’empêche point cette conversation intérieure. Dieu unit ordinairement deux ou trois personnes […] dans une si grande unité, qu’ils se trouvent perdus en Dieu […] l’esprit demeurant aussi dégagé et aussi vide d’image que s’il n’y en avait point. […] Dieu fait aussi des unions de filiations, liant certaines âmes à d’autres comme à leurs parents de grâce.
A la fin de sa vie, de pieux disciples rapporteront la plongée spontanée dans l’intériorité qui s’effectue auprès d’elle, sans nulle suggestion orale ni rappel de sa part :
Elle vivait avec ces Anglais [des Ecossais] comme une mère avec ses enfants. […] Souvent ils se disputaient [le premier soulèvement écossais des jacobites eut lieu en 1715], se brouillaient ; dans ces occasions elle les ramenait par sa douceur et les engageait à céder ; elle ne leur interdisait aucun amusement permis, et quand ils s’en occupaient en sa présence, et lui en demandait son avis, elle leur répondait : « Oui, mes enfants, comme vous voulez. » Alors ils s’amusaient de leurs jeux, et cette grande sainte restait pendant ce temps-là abîmée et perdue en Dieu. Bientôt ces jeux leur devenaient insipides, et ils se sentaient si attirés au-dedans, que, laissant tout, ils demeuraient intérieurement recueillis en la présence de Dieu auprès d’elle[372].
Madame Guyon affirme ce lien intérieur avec Fénelon, qu’elle considère comme son fils spirituel le plus proche ; elle écrit en avril 1690 :
…j’ai cette confiance que si vous voulez bien rester uni à mon coeur, vous me trouverez toujours en Dieu et dans votre besoin[373].
A cette confiance Fénelon répond :
Si vous veniez à manquer, de qui prendrais-je avis ? ou bien serais-je à l'avenir sans guide ? Vous savez ce que je ne sais point et les états où je puis passer [...] Je puis me trouver dans l'embarras ou de reculer sur la voie que vous m'avez ouverte, ou de m'y égarer faute d'expérience et de soutien. Je me jette tête première et les yeux bandés dans l'abîme impénétrable des volontés de Dieu. Lui seul sait ce que vous m'êtes en Lui et je vois bien que je ne le sais pas moi-même, mais je vous perds en Lui comme je m'y perds[374].
Madame Guyon le considère même comme son successeur :
Je vous laisse l’esprit directeur que Dieu m’a donné. […] Je laisse aussi cette Vie que vous m’avez défendu de brûler, quoiqu’il y ait bien des choses inutiles[375].
Mais malheureusement il meurt avant elle. Dans les dernières années de sa vie, Mme Guyon réunissait à Blois des disciples, qui se voyaient aussi entre eux, indépendamment. On dispose de séries de lettres adressées au marquis de Fénelon, le neveu de l’archevêque, au baron de Metternich, diplomate de la cour de Prusse, à Poiret et à son groupe d’amis, à des Ecossais[376] . Les lettres circulaient entre les disciples, qui eux-mêmes voyageaient beaucoup entre Blois, Paris, Cambrai, la Hollande, l’Ecosse proche de celle-ci par mer…
On n’a pas de preuve que ce type de transmission de la grâce de cœur à cœur se soit poursuivi après la mort de Madame Guyon. Mais ses disciples ont continué à se réunir en cercles dont on retrouve les traces jusqu’en 1830 environ. Ainsi, en 1769, J.-Ph. Dutoit, un pasteur de Lausanne et éditeur de son œuvre, fut l’objet d’une visite de la police de Berne, dont le procès-verbal de saisie de ses livres se limite à quatre auteurs : Bernières, Bertot, Madame Guyon, Poiret (outre la Bible et l’Imitation)[377]. Cela ferme en quelque sorte deux siècles d’histoire.
On connaît par ailleurs l’influence sur des milieux très divers, dont le milieu maçonnique par l’intermédiaire du chevalier Ramsay. Il existe plus qu’une influence chez le jésuite Jean-Pierre de Caussade : L’Abandon à la Providence divine, œuvre préférée à d’autres du même auteur, constitue une résurgence en milieu catholique - avec toute la précaution rendue nécessaire après l’affaire du quiétisme - de la spiritualité de l’école[378]. Elle trouve aussi refuge dans les terres lointaines du Québec depuis Bernières, ou étrangères du protestantisme depuis Madame Guyon. L’œuvre de celle-ci et de ses prédécesseurs est connue des Quakers américains, de Wesley et des Méthodistes[379].
Cette tradition d’origine française est capitale par le témoignage qu’elle donne de la primauté accordée à la vie intérieure et à l’expérience mystique, qui peut s’accompagner d’une pratique religieuse mais n’en dépend pas. Cette expérience personnelle n’a pas été vécue par des génies solitaires, mais dans des cercles amicaux réunis autour d’un père ou d’une mère spirituelle qui transmettaient la grâce de cœur à cœur. On devine des filiations de ce type chez des Pères du désert, dans le milieu où vécut Syméon le Nouveau Théologien, chez des franciscains, des béguines et chez Ruysbroek, au Carmel, pour ne citer que des exemples antérieurs au sein de cultures d’inspiration chrétienne ; mais les témoignages écrits font le plus souvent défaut.
Honoré de Sainte-Marie, carme contemporain de Madame Guyon, avait cette perception de l’histoire de la spiritualité, qu’il nous présente comme un torrent spirituel, jamais interrompu, et détaille, siècle après siècle, avec une érudition étonnante pour son époque, dans sa belle Tradition[…] sur la contemplation[380].
Le crépuscule de la vie mystique[381] a vu, au sein du catholicisme, un développement étonnant de formes extérieures - culte marial, apparitions - dont beaucoup se détournent. Il vaut la peine de réhabiliter une filiation proposant un « christianisme intérieur » d’une grande sobriété. Certes elle a échoué à s’insérer dans le courant majoritaire, mais elle est parvenue à associer très tôt des catholiques à des protestants, et même à influencer quelques adeptes des lumières.
Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646), Du Tiers Ordre de Saint François d’Assise, Fondateur de l’Ecole du Pur Amour. Dossier de sources transcrites et présentées par Dominique Tronc. Lulu.com, 2017, 378 p.
Ce dossier contient de larges extraits prélevés dans les sources qui nous éclairent sur les débuts de « l’école du cœur » :
Présentation
Les débuts du tiers Ordre franciscain — Vincent Mussart — Notices (J.-M. de Vernon)
La Vie d’Antoine Le Clerc, sieur de la Forest (J.-M.
de Vernon)
L’Homme Intérieur ou La Vie du Vénérable Père Jean Chrysostome (Henri-Marie Boudon)
Divers exercices de piété et de perfection (Chrysostome de Saint-Lô
édité par M. de Bernières)
Divers traités spirituels et méditatifs (Chrysostome
de Saint-Lô édité par Mère Mectilde)
Deux directions : Monsieur de Bernières et Mère Mectilde (Extraits prélevés dans les sources précédentes)
J’omets la transcription de près de la moitié des Divers exercices de piété et de perfection, gros assemblage de six cents pages d’écrits recueillis « de notre bon Père ». Il s’agit d’exercices méditatifs et ascétiques. Ils soulignent les épreuves subies par Jésus-Christ, le modèle pour François d’Assise qui fut fidèlement repris à l’Ermitage de Caen. Ils constituaient des supports utilisés tous les jours et lors des retraites par les Associés de l’Abjection. Marquées par un esprit de grande humilité et de simplicité franciscaine, mais aussi par le dolorisme propre aux dévots du Grand Siècle, des sections sont écourtées lorsqu’elles s’avèrent répétitives et mettent alors mal en valeur la fraîcheur spontanée propre à la vie des mystiques. Par contre la dernière partie de l’assemblage livre les directions personnelles assurées par le P. Chrysostome. Elle est admirable.
Jean-Chrysostome
naquit vers 1594 dans le diocèse de Bayeux en Basse-Normandie, et étudia au
collège des jésuites de Rouen. Âgé de dix-huit ans, il prit l’habit, contre le
gré paternel, le 3 juin 1612 au couvent de Picpus à Paris[382]. Il fut confirmé dans sa vocation par un
laïc, Antoine le Clerc, sieur de la Forest : ce dernier est donc le
probable « ancêtre »
du courant spirituel de l’Ermitage qui passe par Chrysostome, par Bernières et
Mectilde-Catherine de Bar, et par bien d’autres dont Monsieur Bertot, Madame
Guyon.
Un
aperçu biographique intéressant nous est donné par l’historien du Tiers Ordre
franciscain Jean-Marie de Vernon, qui consacre très exceptionnellement
plusieurs chapitres à Antoine le Clerc[383] :
À vingt ans il prit les armes, où il vécut à la mode des autres guerriers, dans un grand libertinage. La guerre étant finie, il entra dans les études, s’adonnant principalement au droit. [...] Il tomba dans le malheur de l’hérésie [528] d’où il ne sortit qu’après l’espace de deux ans. [...] Son bel esprit et sa rare éloquence paraissaient dans les harangues publiques dès l’âge de vingt ans. Sa parfaite intelligence dans la langue grecque éclata lorsque le cardinal du Perron le choisit pour interprète dans la fameuse conférence de Fontainebleau contre du Plessis Mornay. [...]
[532] Un lépreux voulant une fois l’entretenir, il l’écouta avec grande joie, et l’embrassa si serrement, qu’on eut de la peine à les séparer. [...] Une autre peine lui arriva, savoir qu’étant entièrement plongé dans les pensées continuelles de Dieu qui le possédait, il ne pouvait plus vaquer aux affaires des parties dont il était avocat. [535] Ses biens de fortune étant médiocres, la subsistance de sa famille dépendait presque de son travail. [...]
Dieu lui révélait beaucoup d’événements futurs, et les secrets des consciences : par ce don céleste [sur lequel J.-M. de Vernon s’étend longuement, citant de multiples exemples], il avertissait les pécheurs [...] marquait à quelques-uns les points de la foi dont ils doutaient ; à d’autres il indiquait en particulier ce qu’ils étaient obligés de restituer. [...] Les âmes scrupuleuses recevaient un grand soulagement par ses conseils et ses prières. [...] [537] Le père Chrysostome de Saint-Lô […] a reconnu par expérience en sa personne la certitude des prophéties du sieur de la Forest, quand une maladie le mena jusques aux portes de la mort, comme elle lui avait été présagée. [...]
Quatre mois devant sa mort, étant sur son lit dans ses infirmités ordinaires, il s’entretenait sur [542] les merveilles de l’éternité : on tira les rideaux, et sa couche lui sembla parée de noir ; un spectre sans tête parut à ses pieds tenant un fouet embrasé : cette horrible figure ne l’effrayant point, il consacra tout son être au souverain Créateur. Il parla ainsi au démon : « Je sais que tu es l’ennemi de mon Dieu, duquel je ne me séparerai jamais par sa grâce : exerce sur mon corps toute ta cruauté ; mais garde-toi bien de toucher au fond de mon âme, qui est le trône du Saint-Esprit. » L’esprit malin disparaissant, le pieux Antoine demeura calme, et prit cette apparition pour un présage de sa prochaine mort ; ses forces diminuèrent toujours depuis et il tomba tout à fait malade au commencement de l’année 1628. Les sacrements de l’Église lui furent administrés en même temps. À peine avait-il l’auguste eucharistie dans l’estomac qu’il vit son âme environnée d’un soleil, et entendit cette charmante promesse de Notre Seigneur : « Je suis avec toi, ne crains point. » Les flammes de sa dilection s’allumèrent davantage, et il ne s’occupait plus qu’aux actes de l’amour divin, voire au milieu du sommeil.
[543] M. Bernard [un ami] présent sentit des atteintes si vives de l’amour de Dieu, qu’il devint immobile et fut ravi. [...] Le lendemain samedi vingt-trois de janvier [...] il rendit l’esprit à six heures du soir dans la pratique expresse des actes de l’amour divin. [...] On permit [544] durant tout le dimanche l’entrée libre dans sa chambre aux personnes de toutes conditions, qui le venaient visiter en foule. Les religieux du tiers ordre de Saint-François gardaient son corps, qui fut transporté à Picpus.
Le Père Chrysostome de Saint-Lô a été plus négligé encore que
Constantin de Barbanson. Pourtant, « les indices de
l’influence de Jean-Chrysostome sont de plus en plus nombreux et
éclairants : le cercle spirituel formé par lui, les Bernières, Jean et sa
Sœur Jourdaine, Mectilde du Saint Sacrement et Jean Aumont (peut-être tertiaire
régulier) auxquels les historiens en ajouteront d’autres (de Vincent de Paul à
Jean-Jacques Olier), a vécu une doctrine d’abnégation, de « désoccupation »,
de « passivité
divine[384] ».
Il est la figure discrète, mais centrale à laquelle se réfèrent tous
les membres du cercle mystique normand, qui n’entreprennent rien sans l’avis de
leur père spirituel (seule « Sœur Marie »
des Vallées jouira d’un prestige comparable). Ce que nous connaissons provient
de la biographie écrite par Boudon[385],
et les connaisseurs de l’école des mystiques normands Souriau[386],
Heurtevent[387],
plus récemment Pazzelli[388],
n’ajoutent guère d’éléments. Tout ce que nous savons se réduit à quelques
dates, car si Boudon est prolixe quant aux vertus, il est discret quant aux
faits. Sa pieuse biographie couvre des centaines de pages qui nous conduisent,
suivant le schéma canonique « de la vie aux vertus »,
mais le contenu spécifique au héros se réduit à quelques paragraphes.
Il assura le rôle de passeur entre l’ancien monde monacal et un monde
laïque. En témoignent des lettres remarquables de direction de Catherine de Bar
et de Jean de Bernières. Nous en reproduirons (pour la première fois) certaines
dans les chapitres suivants consacrés à ces disciples.
Lecteur en philosophie et théologie à vingt-cinq ans, il fut définiteur
de la province de France l’an 1622, devint définiteur général de son ordre
et gardien de Picpus en 1625, puis de nouveau en 1631, provincial de la
province de France en 1634, premier provincial de la nouvelle province de
Saint-Yves, en 1640, après que la province de France eut été séparée en deux.
Le temps de son second provincialat étant expiré, on le mit confesseur des religieuses de Sainte-Élisabeth de Paris, qui fut son dernier emploi à la fin de sa troisième année [de provincialat]. [...] Au confessionnal dès cinq heures du matin, il rendait service aux religieuses avec une assiduité incroyable. À peine quelquefois se donnait-il lieu de manger, ne prenant pour son dîner qu’un peu de pain et de potage, pour [y] retourner aussitôt[389].
Il alla en Espagne par l’ordre exprès de la Reine, pour aller visiter
de sa part une visionnaire, la Mère Louise de l’Ascension, du monastère de
Burgos. Voyage rude imposé par un monde qui n’est pas le sien :
Libéral pour les pauvres […] il ne voulait pas autre monture qu’un âne. […] Dans les dernières années de sa vie il ne pouvait plus supporter l’abord des gens du monde et surtout de ceux qui y ont le plus d’éclat[390].
Aussi, libéré de son provincialat, il éprouve une sainte joie et ne
tarde pas à se retirer :
Il ne fit qu’aller dans sa cellule pour y prendre ses écrits et les mettre dans une besace dont il se chargea les épaules à son ordinaire [...] passant à travers Paris [...] sans voir ni parler à une seule personne de toutes celles qui prenaient ses avis[391].
Il enseignait « qu’il fallait laisser les âmes dans une grande liberté, pour suivre les attraits de l’Esprit de Dieu […] ; commencer par la vue des perfections divines […] ; ne regarder le prochain qu’en charité et vérité dans l’union intime avec Dieu[392] ». Il eut de nombreux dirigés :
L’on a vu plusieurs personnes de celles qui suivaient ses avis [...] courir avec ferveur. [...] La première est feu M. de Bernières de Caen. [...] La seconde personne [...] qui a fait des progrès admirables [...] sous la conduite du Vénérable Père Jean-Chrysostome a été feu M. de la Forest [qui] n’eut pas de honte de se rendre disciple de celui dont il avait été le maître[393].
Enfin, après cette vie intense, l’incontournable chapitre terminant la
vie d’un saint ne nous cache aucunement l’agonie difficile :
Ayant été soulagé de la fièvre quarte il s’en alla à Saint-Maur [...] pour y voir la Révérende Mère du Saint Sacrement [Mectilde de Bar], maintenant supérieure générale des religieuses bénédictines du Saint Sacrement. Pour lors, il n’y avait pas longtemps qu’elle était sortie de Lorraine à raison des guerres, et elle vivait avec un très petit nombre de religieuses dans un hospice. [...] Elle était l’une des filles spirituelles du bon Père, et en cette qualité il voulut qu’elle fût témoin de son agonie : il passa environ neuf ou dix jours à Saint-Maur, proche de la bonne Mère. [...] Au retour de Saint-Maur, [...] il entra dans des ténèbres épouvantables. [...] Il écrivit aux religieuses : « Mes chères Sœurs, [...] il est bien tard d’attendre à bien faire la mort et bien douloureux de n’avoir rien fait qui vaille en sa vie. Soyez plus sages que moi. [...] C’est une chose bien fâcheuse et bien terrible à une personne qui professait la sainte perfection de mourir avec de la paille. [...] » L’on remarqua que la plupart de religieux du couvent de Nazareth où il mourut [le 26 mars 1646, âgé de 52 ans] fondaient en larmes et même les deux ou trois jours qui précédèrent sa mort, et cela sans qu’ils pussent s’en empêcher[394].
Je vais maintenant livrer l’intégralité de
ses écrits. Ils nous sont parvenus en deux livres rares publiés au milieu du
dix-septième siècle. L’importance de leur direction mystique justifie de lire
l’ensemble de style sévère proche des écrits du Moyen Âge. Il s’agit de
méditations et de retraites qui introduisent à la grandeur divine.
[...]
Les Divers exercices… publiés à Caen par les soins de Bernières (et non pas « traités » publiés à Paris par les soins de Mectilde), dont nous connaissons trois exemplaires, publiés quatre années après les traités, comprennent trois parties paginées séparément[395].[c1] La première partie rassemble de nouveau divers schémas propres à des retraites qui reflètent l’atmosphère doloriste de l’époque. Quelques extraits suffiront à mieux faire comprendre ce vécu dévot, en un aperçu unique d’une littérature qui fut très abondante.
Cette littérature privilégie les croix et l’exemple du Crucifié. Elle supprime trop tôt et par volonté propre les joies naturelles à la vie, au risque de provoquer des réactions très fortes, inconscientes, parce que réprimées, attribuées à l’époque aux démons. Elle met en place un réseau de contraintes où l’ascétisme prend facilement la première place, ce qui empêche toute vie intérieure mystique donnée par grâce de s’épanouir. Ce qui était liberté et joie devient limitation et peur. La vie naturelle est culpabilisée et contrôlée afin d’être évacuée au plus tôt : on privilégie ainsi l’exercice de la volonté si cher au Grand Siècle. Mais il est vrai que la vie était souvent courte et soumise aux aléas des maladies, ce qui suggérait d’aller vite !
Cet esprit du temps ne s’améliorera pas au fil du siècle. Les illustrations d’excès commis sont innombrables, telles les épreuves que s’inflige dans sa jeunesse Claude Martin, le fils de Marie de l’Incarnation du Canada, avant de devenir lui-même un très profond spirituel ; telle l’ascèse moralisante recommandée par le milieu de Port-Royal, que supporte fort mal Louis-Charles d’Albert, duc de Luynes et père du duc de Chevreuse (ce dernier deviendra disciple de Madame Guyon — qui en fournit elle-même un témoignage dans le récit de sa jeunesse). Cet excès débordera le siècle au sein du monde dévot et couvrira la première moitié du XVIIIe siècle[396].
L’Imitation a été le texte préféré d’une dévotion qui s’écarte de la pure mystique d’un Ruusbroec pour se charger de culpabilité voire de pratiques masochistes imitant les souffrances physiques de Jésus[397]. Cette dévotion ne correspond guère à ce que propose Jean-Chrysostome : il se démarque de son temps par son insistance sur la liberté et l’absence de vœux ; l’exercice « doit être très libre, sans contrainte, et sans empressement », pour servir l’Amour toujours premier. Mais d’autre part il fonde la « Société de la sainte Abjection » et — tout en admirant les héros cornéliens ses contemporains — nous regrettons l’usure prématurée de ses disciples Renty et Bernières.
Chrysostome a dirigé des retraites, dont nous allons donner
un exemple, car nous ne pouvons passer sous silence la tendance morbide qui
caractérise bien d’autres textes contemporains. Un tel imaginaire dévotionnel à
la frange de la vie mystique est de toute époque... La prière s’appuie ici sur
des représentations sanglantes de Jésus-Christ, d’un goût trop épicé pour notre
sensibilité — le piétisme, tel qu’il se présente dans les textes de certaines
cantates de Bach, s’inscrira plus tard dans cette tradition.
Une correspondance ignorée entre Chrysostome et Bernières est imprimée à la fin de l’ouvrage édité à Caen sous le nom de « Divers exercices de piété et de perfection [398]. » Elle couvre la dernière moitié de la seconde partie de l’ouvrage intitulé « Diversités spirituelles » avec une pagination nouvelle (signe d’ajout précédant de peu l’édition locale à Caen ?). Ces lettres non datées ont échappé à l’attention, car un Bernières discret se fait précéder par d’autres dirigé (e) s sans que son nom apparaisse [399].
C’est un document extraordinaire qui livre l’intimité des rapports entre les deux mystiques. On notera la netteté avec laquelle Chrysostome sait répondre aux questions de Bernières qui sont toujours proches des nôtres. Elles sont le plus souvent très concrètes (que faire de nos biens ?) et hors de toute considération théorique.
Bernières n’a pas encore atteint à cette date une pleine maturité intérieure. Il va rapidement surmonter ses hésitations et des scrupules, et sera en cela vivement mené et encouragé par « notre bon Père Chrysostome ». Voici ce dialogue de lettres dont les pièces sont numérotées ; nous ajoutons l’incipit entre guillemets, les titres d’origine étant divers et imprécis.
Présentation
de Monsieur de Bernières et de Mère Mectilde
Le Père Chrysostome a récolté une belle moisson : autour de lui s’est formée une communauté d’« âmes intérieures », dont les deux plus célèbres furent Mère Mectilde, fondatrice des Bénédictines du Saint-Sacrement, et Monsieur de Bernières, dont la figure rayonna sur les familiers de l’Ermitage.
Je reprends leurs initiations mystiques telles qu’elles vont paraître prochainement dans deux volumes consacrés à ces disciples « de notre Père Chrysostome ».
Monsieur de Bernières précède chronologiquement et spirituellement Mère Mectilde dont il assurera la direction mystique après le décès du Père. Il apparaît ici en premier par la reprise du « Cinquième et dernier Traicté, contenant un recueil de plusieurs diversités spirituelles de mesme Autheur... », la seconde moitié de la deuxième partie des « Divers exercices de piété et de perfection », œuvre de Chrysostome reproduite intégralement plus haut. Le « doublon » se présente ici un peu différemment, en cohérence avec l’édition d’une Correspondance de Bernières dont il constitue l’« ouverture ».
Les écrits de Mère Mectilde furent fidèlement préservés par ses « filles » bénédictines du Saint-Sacrement. Ils fournissent la seconde initiation, ici reproduite selon l’édition à paraître de ses « Amitiés mystiques ».
Auprès de dirigés devenus à leur tour directeurs, femmes et hommes s’agrégèrent, formant deux branches d’une « école » mystique marquée par l’esprit franciscain.
Une correspondance ignorée entre Chrysostome
et Bernières est imprimée à la fin de l’ouvrage édité à Caen sous le nom de « Divers exercices de
piété et de perfection [401]. » Elle couvre la
dernière moitié de la seconde partie de l’ouvrage intitulée « Diversités spirituelles ». Ces lettres non
datées ont échappé à l’attention, car un Bernières discret se fait précéder par
d’autres dirigé (e) s sans que son nom apparaisse [402] et
une nouvelle pagination est adoptée.
C’est un document extraordinaire qui livre
l’intimité des rapports entre les deux mystiques. Aussi D. Tronc l’édite ici en
un sous-ensemble précédant le grand corpus chronologique des lettres et
maximes [403].
On notera la netteté avec laquelle Chrysostome sait répondre aux questions de
Bernières qui sont toujours proches des nôtres. Elles sont le plus souvent très
concrètes (que faire de nos biens ?)
et hors de toute considération théorique.
Bernières n’a pas encore atteint à cette
date une pleine maturité intérieure. Il va rapidement surmonter ses hésitations
et des scrupules, et sera en cela vivement mené et encouragé par « notre bon Père
Chrysostome ». Voici ce dialogue de lettres dont les
pièces sont numérotées ;
nous ajoutons l’incipit entre guillemets, les titres d’origine étant divers et
imprécis.
Cinquième
et dernier Traicté, contenant un recueil de plusieurs diversités spirituelles
de mesme Autheur [reprise]
Autres avis de conduite à diverses personnes. Tant
sur l’oraison et contemplation, que sur les pratiques des plus pures vertus
chrétiennes, selon l’esprit et la grâce de la perfection évangélique.
1. Lettre. « J’ai
lu et considéré la vôtre… »
M., Jésus Maria. J’ai lu et considéré la
vôtre, dont je vous remercie très humblement, car l’honneur de votre souvenir
m’est très cher. Quant aux choses de votre âme, dont il vous a plu m’écrire ; voici mon petit
sentiment que je soumets à votre meilleur jugement. 78 [404].
1. Cette vocation à l’oraison vous oblige à
une grande pureté d’âme et de vertu, car c’est la raison que le lieu où le Dieu
tout saint veut reposer, et opérer, soit aussi bien pur, ou tendant à la pureté
de perfection sans retenue.
2. Cette vue simple et générale de
l’immensité Divine, avec la jouissance de votre volonté, est une parfaite
contemplation, et qui selon que vous écrivez, paraît purement passive. Prenez
garde si dans ce temps votre volonté est opérante, soit par admiration de
l’entendement auquel elle se conjoint, soit par amour, par adoration, ou par
quelque autre affection ;
il n’importe, pourvu qu’il se fasse quelque opération. Ce n’est pas que l’âme
ne se trouve quelquefois en cet état, sans pouvoir discerner si elle a opéré,
tant elle est passive, et Dieu opère puissamment en elle ; il semble en ce que
vous écrivez, que vos puissances soient en ce temps passivement en admiration,
et en amour 79 dans les coopérations fort simples, et tout cela est fort bon.
3. Vous avez raison de dire que s’abîmer
dans Dieu, est autre chose que de s’unir à Dieu, et que vous le sentez ainsi.
Sur quoi je vous dirai que selon que vous écrivez, il y a toujours union, mais
à raison de l’abondance, votre âme semble passer en une déiformité ; et vous connaîtrez
mieux cela dans l’expérience, que je ne vous le saurais expliquer avec la
science des livres.
4. Dans l’occasion de vos faiblesses, vous
vous défendez, vous abîmant dans l’immensité, sans pratiquer un acte formel de
vertu, contraire à l’imperfection ? À
quoi je réponds, que cela se peut, et fort bien ; néanmoins il est bon
ensuite dans la force de l’âme, de pratiquer tels actes formels de vertu,
semblables en quelque façon à celles que vous avez omis, à raison que la perfection
consiste en la vertu, et que l’âme y fait progrès par ces pratiques, beaucoup
plus que par la pratique 80 susdite.
5. Vous vous étonnez de vos faiblesses au
milieu de tant de faveurs ;
demeurez pacifique dans cette vue, aimant bien fort l’abjection qui vous en
provient ;
ensuite humiliez-vous, puis prenez à tâche de pratiquer les vertus contraires à
vos défauts, et laissez votre perfection entre les mains du bon Dieu, qui
manifestement vous chérit et demeure en vous.
Courage Monsieur, votre voie est très bonne ; souvenez-vous de moi
pauvre pécheur, environné et chargé de beaucoup d’affaires, etc.
2. Autres avis au
même. « J’ai
lu et considéré vos articles… »
M. J’ai lu et considéré vos articles,
assurément toutes ces lumières de la beauté d’abjection, tant en Jésus
81 qu’en l’âme du parfait, sont surnaturelles, c’est-à-dire passives, et
de la grâce d’oraison. Je vous crois appelé d’une manière particulière, à
honorer Jésus-Christ dans ses humiliations, dont la beauté qui vous pénètre,
marque une consommation de l’amour de Jésus dans votre âme. Il est bon de
cultiver cette vue de la beauté d’abjection, tantôt par la méditation, et
tantôt par œuvres.
La vue par laquelle l’âme voit la voie
d’abjection et de souffrance, incomparablement plus belle, que celle de douceur
et d’amour, est purement surnaturelle, et marque que l’âme passe en un état
bien plus parfait, que celui dans lequel elle était auparavant.
Il me semble que votre trait vous attire
présentement beaucoup à la Passion, qui est la très inscrutable Abjection de
Jésus. Je suis en lui, etc. 82
3. à 14. Voir l’édition supra du « Cinquième et dernier Traicté, contenant un recueil de plusieurs diversités spirituelles de mesme Autheur... », seconde moitié de la deuxième partie des « Divers exercices de piété et de perfection », œuvre de Chrysostome.
15. Autres propositions et réponses sur
l’oraison, etc.
[I.] M. Proposition. Comment doit-on conseiller les âmes sur la passiveté
d’oraison ;
les y faut-il porter, et quand faut-il qu’elles y entrent, et qu’elles en sont
les dangers ?
132
Réponse.
Ordinairement le spirituel ne doit pas prévenir la passiveté. Je dis
ordinairement, d’autant que s’il travaille fortement, il pourrait demeurer
quelque peu de temps sans agir, s’exposant à la grâce et à la lumière, et éprouver
de fois à autre si telle pauvreté lui réussit.
Benoît de Canfeld en son Traité de la
volonté Divine est de cet avis. Je crois néanmoins que celui qui s’en servira
doit être discret et fidèle. 2. Le spirituel lâche qui s’expose indiscrètement
à la lumière passive, se répand dans l’oisiveté, et dans la distraction, et
quelquefois s’il est faible de cerveau, il s’expose à l’illusion.
II.
Proposition. J’ai su de vous quelque chose touchant les communions
fréquentes, ce qui me fait vous demander comment on s’y doit disposer en esprit
d’oraison, lorsqu’on a des affaires.
Réponse.
Le spirituel ayant des affaires, s’il en est désoccupé dans l’affection, et
qu’il les conduise par principe de vue de Dieu, il se doit contenter 133 du peu
de temps que la Divine Providence lui donne. 2. Plusieurs se flattent dans les
affaires, et ne tendent pas assez fidèlement à ménager du temps pour
l’intérieur. 3. La communion indévote contriste Jésus-Christ.
III. Proposition.
Comment peut-on faire suivre l’idée opérante de son oraison dans l’occupation
du prochain ?
Réponse.
Cela doit être différent selon les diverses dispositions naturelles, et
surnaturelles des âmes, lesquelles doivent suivre pour présence de Dieu, ce qui
paraît plus propre en leur état, sans s’attacher à l’objet de leur oraison.
L’âme sera en un temps pénétrée d’une vérité ou objet, et en un autre temps
d’une autre vérité et d’un autre objet, en cela il faut observer la liberté
d’esprit. L’on peut donc garder l’idée opérante de l’oraison, dans quelques sentiments
faciles, et dans les résolutions ;
si l’objet de l’oraison vous presse de sa lumière, suivez-le, et faites usage
d’amour avec discrétion. 134
16. Autre lettre
du Père, dirigeant quelque âme à une haute perfection.
M. Jésus soit notre lumière. Les grâces
des âmes, et la vocation à la sainte perfection sont très différentes ; il importe
extrêmement au spirituel de bien examiner à quel état et à quel degré sa grâce
paraît ;
le conduire autrement n’étant pas passif à la conduite Divine, il avance très
peu, et demeure dans un centre qui n’est pas conforme au dessein de Dieu. Il
faut que le feu se retire à sa sphère, l’air à la sienne, et la terre et l’eau
à la leur. Et si le feu voulait se loger dans le centre de la terre, ce serait
un désordre répugnant au dessein de la Divinité. Ainsi en va-t-il du spirituel,
car s’il paraît par sa grâce être destiné à rendre et demeurer dans un centre
élevé de perfection, il fait contre le 135 dessein de Dieu de s’arrêter dans
celui qui est bas, terrestre et imparfait.
Je vous ai toujours dit que vous n’étiez pas
dans le centre de votre grâce, et de votre perfection, et que votre vocation
vous appelait à un état beaucoup plus pur et parfait. Votre grâce va
principalement à la contemplation, à laquelle pour soulager votre corps, vous
pourrez joindre un peu d’action.
2.[405] La
grâce vous appelle à la parfaite et pure conformité des différents états et
dispositions de Jésus-Christ, et j’ai reconnu cela très clairement, tant par
vos dispositions précédentes, que par celles que vous m’avez communiquées
depuis peu encore.
Pour donc correspondre parfaitement à la
conduite Divine, mon avis serait que vous entrassiez dans l’exécution des
propositions que vous m’avez faites ;
mais il faut que cela se fasse d’une manière bien pure, et conforme aux
dispositions de Jésus 136 Christ, et cela est très facile à faire ; et je crois que vous
n’aurez aucun repos que vous n’en usiez de la sorte, parce que vous ne seriez
pas dans le centre de votre grâce.
Comme donc j’ai bien étudié votre grâce, et
vos dispositions, je vous dis assurément que Dieu tout bon vous veut pauvre
Evangélique, en la manière qui vous a déjà été prescrite ; vous devez y tendre
et travailler ;
et cependant souvenez-vous que le diable est bien rusé pour empêcher la pureté
de perfection d’une âme.
Adieu
cher Frère. Voici le temps d’aimer du pur amour, ne tardez plus. Ce pur Amour
ne se peut trouver que dans le cœur évangélique très pauvre sans réserve.
Dieu. Jésus. Marie. Amour. Croix. Pureté.
Amen[406].
Mectilde, âgée de
vingt-huit ans et demi est depuis dix mois réfugiée en Normandie. Elle a
rencontré en juin 1643 Chrysostome par l’intermédiaire de Jean de
Bernières, l’un de ses dirigés qui a déjà pris soin d’elle sur le plan matériel
et que nous rencontrerons plus tard comme directeur mystique [408] :
Monsieur, mon très cher Frère,
Béni soit Celui qui par un effet de son amoureuse Providence m’a donné votre connaissance pour, par votre moyen avoir le cher bonheur de conférer de mon chétif état au saint personnage que vous m’avez fait connaître.
J’ai eu l’honneur de le voir et de lui parler environ une heure. En ce peu de temps, je lui ai donné connaissance de ma vie passée, de ma vocation et de quelque affliction que Notre-Seigneur m’envoya quelque temps après ma profession. Il m’a donné autant de consolation, autant de courage en ma voie et autant de satisfaction en l’état où Dieu me tient que j’en peux désirer en terre. O que cet homme est angélique et divinisé par les singuliers effets d’une grâce très intime que Dieu verse en lui ! Je voudrais être auprès de vous pour en parler à mon aise et admirer avec vous les opérations de Dieu sur les âmes choisies. O que Dieu est admirable en toutes choses ! Mais je l’admire surtout en ces âmes-là.
Il m’a promis de prendre grand intérêt à ma conduite. Je lui ai fait voir quelques lettres que l’on m’a écrites sur ma disposition. Il m’a dit qu’elles n’ont nul rapport à l’état où je suis et que peu de personnes avaient la grâce de conduite, ce que je remarque par expérience.
Entre autres choses qu’il m’a dites, et qu’il m’a assurée, c’est que j’étais fort bien dans ma captivité, que je n’eusse point de crainte que Dieu voulût que je sois à lui d’une manière très singulière et que bientôt je serai sur la croix de maladies et d’autres peines. Il faut une grande fidélité pour Dieu.
Je vous dis ces choses dans la confiance que vous m’avez donnée pour vous exciter de bien prier Dieu pour moi. Recommandez-moi, je vous supplie, à notre bonne Mère Supérieure [Jourdaine, sœur de Jean de Bernières] et à tous les fidèles serviteurs et servantes de Dieu que vous connaissez. Si vous savez quelques nouvelles de la sainte créature que vous savez [Marie des Vallées], je vous supplie de m’en dire quelque chose. [...]
On sent que la jeune
femme est nature dans sa relation, alternant compte-rendus, exclamations,
incertitude présente quant à sa « carrière ». Cela changera en passant de la dirigée à la directrice ! Pour l’instant la jeune Mectilde a
besoin d’être assurée en ce début de la voie mystique.
Le Père Chrysostome
apportera donc point par point ses réponses aux questions que se pose la jeune
dirigée. Elle lui demande conseil sur son expérience profonde et ardente.
Chrysostome lui répond de façon très détachée et froide de façon à ne susciter
chez cette femme passionnée ni attachement ni émotion sensible ; afin que son destin extraordinaire
soit mené jusqu’au bout, il ne manifeste pratiquement pas d’approbation, car il
veut la pousser vers la rigueur et l’humilité la plus profonde. La relation
faite à son confesseur est rédigée à la troisième personne ! – du moins dans ce qui nous est
parvenu[409].
Premier texte : Relation au Père Chrysostome avec réponses, juillet 1643.
1re Proposition : Cette personne [Mectilde] eut dès sa plus tendre jeunesse le plus vif désir d’être religieuse ; plus elle croissait en âge, plus ce désir prenait de l’accroissement. Bientôt il devint si violent qu’elle en tomba dangereusement malade. Elle souffrait son mal sans oser en découvrir la cause ; ce désir l’occupait tellement qu’elle épuisait en quelque sorte toute son attention et tous ses sentiments. Il ne lui était pas possible de s’en distraire ni de prendre part à aucune sorte d’amusement. Elle était quelquefois obligée de se trouver dans différentes assemblées de personnes de son âge, mais elle y était de corps sans pouvoir y fixer son esprit. Si elle voulait se faire violence pour faire à peu près comme les autres, le désir qui dominait son cœur l’emportait bientôt et prenait un tel ascendant sur ses sens mêmes qu’elle restait insensible et comme immobile en sorte qu’elle était contrainte de se retirer pour se livrer en liberté au mouvement qui la maîtrisait. Ce qui la désolait surtout, c’était la résistance de son père que rien ne pouvait engager à entendre parler seulement de son dessein. Il faut avouer cependant que cette âme encore vide de vertus n’aspirait et ne tendait à Dieu que par la violence du désir qu’elle avait d’être religieuse sans concevoir encore l’excellence de cet état.
Réponse : En premier lieu, il me semble que la disposition naturelle de cette âme peut être regardée comme bonne.
2. Je dirai que dans cette vocation, je vois beaucoup de Dieu, mais aussi beaucoup de la nature : cette lumière qui pénétrait son entendement venait de Dieu ; tout le reste, ce trouble, cette inquiétude, cette agitation qui suivaient étaient l’œuvre de la nature. Mais, quoi qu’il en soit, mon avis est, pour le présent, que le souvenir de cette vocation oblige cette âme à aimer et à servir Dieu avec une pureté toute singulière, car dans tout cela il paraît sensiblement un amour particulier de Dieu pour elle.
2e Proposition : cette âme, dans l’ardeur de la soif qui la dévorait ne se donnait pas le temps de la réflexion ; elle ne s’arrêta point à considérer de quelle eau elle voulait boire. Elle voulait être religieuse, rien de plus ; aussi tout Ordre lui était indifférent, n’ayant d’autre crainte que de manquer ce qu’elle désirait : la solitude et le repos étant tout ce qu’elle souhaitait.
Réponse : 1. Ces opérations proviennent de l’amour qui naissait dans cette âme, lesquelles étaient imparfaites, à raison que l’âme était beaucoup enveloppée de l’esprit de nature. 2. Nous voyons de certaines personnes qui ont la nature disposée de telle manière qu’il semble qu’au premier rayon de la grâce, elles courent après l’objet surnaturel : celle-ci me semble de ce nombre. Combien que par sa faute il se soit fait interruption en ce qu’elle s’éloignait[410] de Dieu.
Le dialogue se
poursuit et se terminera sur une 19e proposition : le père
Chrysostome est patient !
[...]
17e Proposition[411] :
Elle entrait dans son obscurité ordinaire et captivité sans pouvoir le plus
souvent adorer son Dieu, ni parler à Sa Majesté. Il lui semblait qu’Il se
retirait au fond de son cœur ou pour le moins en un lieu caché en son
entendement et à son imagination, la laissant comme une pauvre languissante qui
a perdu son tout ; elle cherche et ne trouve pas ; la foi lui dit qu’il est entré dans le centre de son âme, elle
s’efforce de lui aller adorer, mais toutes ses inventions sont vaines, car les
portes sont tellement fermées et toutes les avenues, que ce lieu est
inaccessible, du moins il lui semblait ; et lorsqu’elle était en liberté elle adorait sa divine retraite, et
souffrait ses sensibles privations, néanmoins son cœur s’attristait quelquefois
de se voir toujours privé de sa divine présence, pensant que c’était un effet
de sa réprobation.
D’autre fois elle souffrait avec patience, dans la vue de ce qu’elle a
mérité par ses péchés, prenant plaisir que la volonté de son Dieu s’accomplisse
en elle selon qu’il plaira à Sa Majesté.
Réponse : Il n’y a rien que de bon en toutes ses peines, il les
faut supporter patiemment et s’abandonner à la conduite de Dieu. Ajoutez que
ces peines et les autres lui sont données pour la conduire à la pureté de
perfection à laquelle elle est appelée et de laquelle elle est encore bien
éloignée. Elle y arrivera par le travail de mortification et de vertu.
18e Proposition : Son oraison n’était guère qu’une
soumission et abandon, et son désir était d’être toute à Dieu, que Dieu fût
tout pour elle, et en un mot qu’elle fût toute perdue en Lui ; tout ceci sans sentiment. J’ai déjà dit
qu’en considérant elle demeure muette, comme si on lui garrottait les
puissances de l’âme ou qu’on l’abîmât dans un cachot ténébreux. Elle souffrait
des gênes et des peines d’esprit très grandes, ne pouvant les exprimer ni dire
de quel genre elles sont. Elle les souffrait par abandon à Dieu et par
soumission à sa divine justice.
Réponse : J’ai considéré dans cet écrit les peines intérieures. Je
prévois qu’elles continueront pour la purgation et sanctification de cette âme,
étant vrai que pour l’ordinaire, le spirituel ne fait progrès en son oraison
que par rapport à sa pureté intérieure, sur quoi elle remarquera qu’elle ne
doit pas souhaiter d’en être délivrée, mais plutôt qu’elle doit remercier Dieu
qui la purifie. Cette âme a été, et pourra être tourmentée de tentations de la
foi, d’aversion de Dieu, de blasphèmes et d’une agitation furieuse de toutes
sortes de passions, de captivité, d’amour. Sur le premier genre de peine, elle
saura qu’il n’y a rien à craindre, que telles peines est un beau signe, savoir
de purgation intérieure, que c’est le diable, qui avec la permission de Dieu,
la tourmente comme Job. Je dis plus qu’elle doit s’assurer que tant s’en faut
que dans telles tempêtes l’âme soit altérée en sa pureté, qu’au contraire, elle
y avance extrêmement, pourvu qu’avec résignation, patience, humilité et
confiance elle se soumette entièrement et sans réserve à cette conduite de
Dieu.
Sur ce qui est de la captivité dont elle parle en son écrit, je prévois
qu’elle pourra être sujette à trois sortes de captivités : à savoir, à
celle de l’imagination et l’intellect et à la composée de l’une et de l’autre.
Sur quoi je remarque qu’encore que la nature contribue beaucoup à celle de
l’imagination et à la composée par rapport aux fantômes ou espèces en la partie
intellectuelle, néanmoins ordinairement le diable y est mêlé avec la permission
de Dieu, pour tourmenter l’âme, comme dans le premier genre de peines ; en quoi elle n’a rien à faire qu’à
souffrir patiemment par une pure soumission à la conduite divine ; ce que faisant elle fera un très grand
progrès de pureté intérieure.
Quant à l’intellectuelle, elle saura que Dieu seul lie la partie
intellectuelle, ce qui se fait ordinairement par une suspension d’opérations,
exemple : l’entendement, entendre, la volonté, aimer, si ce n’est que Dieu
concoure à ses opérations ; d’où arrive que suspendant ce concours, les facultés intellectuelles
demeurent liées et captives, c’est-à-dire, elles ne peuvent opérer ; en quoi il faut que l’âme se soumette
comme dessus[412] à la
conduite de Dieu sans se tourmenter. Sur quoi elle saura que toutes les peines
de captivité sont ordinairement données à l’âme pour purger la propriété de ses
opérations, et la disposer à la passivité de la contemplation. Sur le troisième
genre de peines d’amour divin, il y en a de plusieurs sortes, selon que Dieu
opère en l’âme, et selon que l’âme est active ou passive à l’amour, sur quoi je
crois qu’il suffira présentement que cette bonne âme sache :
1. Que l’amour intellectuel refluant en l’appétit sensitif cause telles
peines qui diminuent ordinairement à proportion que la faculté intellectuelle,
par union avec Dieu, est plus séparée en son opération de la partie inférieure.
2. Quand l’amour réside en la partie intellectuelle, ainsi que je viens
de dire, il est rare qu’il tourmente ; cela se peut néanmoins faire, mais je tiens qu’il y a apparence que,
pour l’ordinaire, tout ce tourment vient du reflux de l’opération de l’amour de
la volonté supérieure à l’inférieure, ou appétit sensitif.
3. Quelquefois par principe d’amour l’âme est tourmentée de souhaits de
mort, de solitude, de voir Dieu et de langueur ; sur quoi cette âme saura que la nature se
mêlant de toutes ces opérations, le spirituel doit être bien réglé pour ne
point commettre d’imperfections ; d’où je conseille à cette âme :
1. d’être soumise ainsi que dessus à la conduite de Dieu ;
2. de renoncer de fois à autre à tout ce qui est imparfait en elle au
fait d’aimer Dieu ;
3. elle doit demander à Dieu que son amour devienne pur et intellectuel ;
4. si l’opération d’amour divin diminue beaucoup les forces
corporelles, elle doit se divertir et appliquer aux œuvres extérieures ; que si ne coopérer en se divertissant,
l’amour la suit [la poursuit], il en faut souffrir patiemment l’opération et
s’abandonner à Dieu, d’autant que la résistance en ce cas est plus
préjudiciable et fait plus souffrir le corps que l’opération même. Je prévois
que ce corps souffrira des maladies, d’autant que l’âme étant affective,
l’opération d’amour divin refluera en l’appétit sensitif, elle aggravera le cœur
et consommera beaucoup d’esprit, dont il faudra avertir les médecins. J’espère
néanmoins qu’enfin l’âme se purifiant, cet amour résidera davantage en la
partie intellectuelle, dont le corps sera soulagé. Quant à la nourriture et à
son dormir, c’est à elle d’être fort discrète, comme aussi en toutes les
austérités, car si elle est travaillée de peines intérieures ou d’opérations
d’amour divin, elle aura besoin de soulager d’ailleurs son corps, se soumettant
en cela en toute simplicité à la direction. Sur le sujet de la contemplation,
je prévois qu’il sera nécessaire qu’elle soit tantôt passive simple, même
laissant opérer Dieu, et quelquefois active et passive ; c’est-à-dire, quand à son oraison la
passivité cessera, il faut qu’elle supplée par l’action de son entendement.
Ayant considéré l’écrit, je conseille à cette âme :
1. De ne mettre pas tout le fond de sa perfection sur la seule oraison,
mais plutôt sur la tendance à la pure mortification.
2. De n’aller pas à l’oraison sans objet. À cet effet je suis d’avis
qu’elle prépare des vérités universelles de la divinité de Jésus-Christ, comme
serait : Dieu est tout-puissant et peut créer à l’infini des millions de
mondes, et même à l’infini plus parfaits ; Jésus a été flagellé de cinq milles et tant de coups de fouet
ignominieusement, ce qu’Il a supporté par amour pour faire justice de mes
péchés.
3. Que si portant son objet et à l’oraison elle est surprise d’une
autre opération divine passive, alors elle se laissera aller. Voilà mon avis
sur son oraison : qu’elle souffre patiemment ses peines qui proviennent
principalement de quelque captivité de faculté. Qu’elle ne se décourage point
pour ses ténèbres ; quand elle les souffrira patiemment, elles lui serviront plus que les
lumières.
19e Proposition : Il semble qu’elle aurait une joie
sensible si on lui disait qu’elle mourrait bientôt ; la vie présente lui est insupportable,
voyant qu’elle l’emploie mal au service de Dieu et combien elle est loin de sa
sacrée union. Il y avait lors trois choses qui régnaient en elle assez
ordinairement, à savoir : langueur, ténèbres et captivité.
Réponse : Voilà des marques de l’amour habituel qui est en cette
âme. Voilà mes pensées sur cet état, dont il me demeure un très bon sentiment
en ma pauvre âme, et d’autant que je sens et prévois qu’elle sera du nombre des
fidèles servantes de Dieu, mon Créateur, et que par les croix, elle entrera en
participation de l’esprit de la pureté de notre bon Seigneur Jésus-Christ. Je
la supplie de se souvenir de ma conversion en ses bonnes prières, et je lui
ferai part des miennes [T4, p. 641] quoique pauvretés. J’espère qu’après
cette vie Dieu tout bon nous unira en sa charité éternelle, par Jésus-Christ
Notre Seigneur auquel je vous donne pour jamais.
Dans le deuxième texte
infra on note la précision et le soin pris de même pour encadrer la jeune
femme (elle n’aura que trente ans à la mort de son directeur). Une
liste (cette fois elle atteint trente points !) livre le parfum commun à l’école.
Bertot proposera plus tard de façon très semblable un « décalogue » de règles à observer par la jeune
madame Guyon (dans une filiation, on n’invente pas).
Nous livrons tout le
texte malgré sa longueur, car il est unique par sa précision et sa netteté dans
une direction mystique assurée avec fermeté par « le bon Père Chrysostome » : on est infiniment loin de
tout bavardage spirituel.
Deuxième texte : Autre réponse du même père à la même âme [413].
Cette vocation paraît : 1. Par les instincts que Dieu vous donne en ce genre de vie, vous faisant voir par la lumière de sa grâce la beauté d’une âme qui, étant séparée de toutes les créatures, inconnue, négligée de tout le monde, vit solitaire à son unique Créateur dans le secret dû.
2. Par les attraits à la sainte oraison avec une facilité assez grande de vous entretenir avec Dieu des vérités divines de son amour.
3. Dieu a permis que ceux de qui vous dépendez aient favorisé cette petite retraite qui n’est pas une petite grâce, car plusieurs souhaitent la solitude et y feraient des merveilles, lesquels néanmoins en sont privés.
4. Je dirai que Dieu par une Providence vous a obligée à honorer le saint Sacrement d’une particulière dévotion, et c’est dans ce Sacrement que notre bon Seigneur Jésus-Christ, Dieu et homme, mènera une vie toute cachée jusqu’à la consommation des siècles, que les secrets de sa belle âme vous seront révélés.
5. Bienheureuse est l’âme qui est destinée pour honorer les états de la vie cachée de Jésus, non seulement par acte d’adoration ou de respect, mais encore entrant dans les mêmes états. D’Aucuns honorent par leur état sa vie prêchante et conversante, d’autres sa vie crucifiée ; quelques-uns sa vie pauvre, beaucoup sa vie abjecte ; il me semble qu’Il vous appelle à honorer sa vie cachée. Vous le devez faire et vous donner à Lui, pour, avec Lui, entrer dans le secret, aimant l’oubli actif et passif de toute créature, vous cachant et abîmant avec Lui en Dieu, selon le conseil de saint Paul, pour n’être révélée qu’au jour de ses lumières.
6. Jamais l’âme dans sa retraite ne communiquera à l’Esprit de Jésus et n’entrera avec lui dans les opérations de sa vie divine, si elle n’entre dans ses états d’anéantissement et d’abjection, par lesquels l’esprit de superbe est détruit.
7. L’âme qui se voit appelée à l’amour actif et passif de son Dieu renonce facilement à l’amour vain et futile des créatures, et contemplant la beauté et excellence de son divin Époux qui mérite des amours infinis, elle croirait commettre un petit sacrilège de lui dérober la moindre petite affection des autres et partant, elle désire d’être oubliée de tout le monde [T4, p. 653] afin que tout le monde ne s’occupe que de Dieu seul.
8. N’affectez point de paraître beaucoup spirituelle : tant plus votre grâce sera cachée, tant plus sera-t-elle assurée ; aimez plutôt d’entendre parler de Dieu que d’en parler vous-même, car l’âme dans les grands discours se vide assez souvent de l’Esprit de Dieu et accueille une infinité d’impuretés qui la ternissent et l’embrouillent.
9. Le spirituel ne doit voir en son prochain que Dieu et Jésus ; s’il est obligé de voir les défauts que commettent des autres, ce n’est que pour leur compatir et leur souhaiter l’occupation entière du pur amour. Hélas ! Faut-il que les âmes en soient privées ! Saint François voyant l’excellence de sa grâce et la vocation que Dieu lui donnait à la pureté suprême, prenait les infidélités à cette grâce pour des crimes, d’où vient qu’il s’estimait le plus grand pécheur de la terre et le plus opposé à Dieu, puisqu’une grâce qui eût sanctifié les pécheurs, ne pouvait vaincre sa malice.
10. L’oraison n’est rien autre chose qu’une union actuelle de l’âme avec Dieu, soit dans les lumières de l’entendement ou dans les ténèbres. Et l’âme dans son oraison s’unit à Dieu, tantôt par amour, tantôt par reconnaissance, tantôt par adoration, tantôt par aversion du péché en elle et en autrui, tantôt par une tendance violente et des élancements impétueux vers ce divin[414] objet qui lui paraît éloigné, et à l’amour et jouissance auquel elle aspire ardemment, car tendre et aspirer à Dieu, c’est être uni à Lui, tantôt par un pur abandon d’elle-même au mouvement sacré de ce divin Époux qui l’occupe de son amour dans les manières [T4, p. 655] qu’il lui plaît. Ah ! Bienheureuse est l’âme qui tend en toute fidélité à cette sainte union dans tous les mouvements de sa pauvre vie ! Et à vrai dire, n’est-ce pas uniquement pour cela que Dieu tout bon la souffre sur la terre et la destine au ciel, c’est-à-dire pour aimer à jamais ? Tendez donc autant que vous pourrez à la sainte oraison, faites-en quasi comme le principal de votre perfection. Aimez toutes les choses qui favorisent en vous l’oraison, comme : la retraite, le silence, l’abjection, la paix intérieure, la mortification des sens, et souvenez-vous qu’autant que vous serez fidèle à vous séparer des créatures et des plaisirs des sens, autant Jésus se communiquera-t-Il à vous en la pureté de ses lumières et en la jouissance de son divin amour dans la sainte oraison ; car Jésus n’a aucune part avec les âmes corporelles qui sont gisantes dans l’infection des sens.
11. L’âme qui se répand dans les conversations inutiles, ou s’ingère sous des prétextes de piété, se rend souvent indigne des communications du divin Époux qui aime la retraite, le secret et le silence. Tenez votre grâce cachée : si vous êtes obligée de converser quelquefois, tendez avec discrétion à ne parler qu’assez peu et autant que la charité le pourra requérir ; l’expérience nous apprendra l’importance d’être fidèle à cet avis.
12. Tous les états de la vie de Jésus méritent nos respects et surtout ses états d’anéantissement. Il est bon que vous ayez dévotion à sa vie servile ; car il a pris la forme de serviteur, et a servi en effet son père et sa mère en toute fidélité et humilité vingt-cinq ou trente ans en des exercices très abjects et en un métier bien pénible ; et pour honorer cette vie servile et abjecte de notre bon Sauveur Jésus-Christ, prenez plaisir à servir plutôt qu’à être servie, et vous rendez facile aux petits services que l’on pourra souhaiter de vous, et notamment quand ils seront abjects et répugnants à la nature et aux sens.
13. Jésus dans tous les moments de sa vie voyagère a été saint, et c’est en iceux la sanctification des nôtres ; car il a sanctifié les temps, desquels il nous a mérité l’usage, et généralement toutes sortes d’états et de créatures, lesquelles participaient à la malédiction du péché. Consacrez votre vie jusqu’à l’âge de trente-trois ans à la vie voyagère du Fils de Dieu par correspondance de vos moments aux siens, et le reste de votre vie, si Dieu vous en donne, consacrez-le à son état consommé et éternel, dans lequel Il est entré par sa résurrection et par son ascension. Ayez dès à présent souvent dévotion à cet état de gloire de notre bon Seigneur Jésus-Christ, car c’est un état de grandeur qui était dû à son mérite, et dans lequel vous-même, vous entrerez un jour avec lui, les autres états [d’anéantissement] de sa vie voyagère n’étant que des effets de nos péchés.
14. L’âme qui possède son Dieu ne peut goûter les vaines créatures, et à dire vrai, celui-là est bien avare à qui Dieu ne suffit[415]. À mesure que votre âme se videra de l’affection aux créatures, Dieu tout bon se communiquera à vous en la douceur de ses amours et en la suavité de ses attraits, et dans la pauvreté suprême de toutes créatures, vous vous trouverez riche [T4, p. 659] par la pure jouissance du Dieu de votre amour, ce qui vous causera un repos et une joie intérieure inconcevables.
15. Vous serez tourmentée de la part des créatures qui crieront à l’indiscrétion et à la sauvagerie : laissez dire les langues mondaines, faites les œuvres de Dieu en toute fidélité, car toutes ces personnes-là ne répondront pas pour vous au jour de votre mort ; et faut-il qu’on trouve tant à redire de vous voir aimer Dieu ?
16. Tendez à vous rendre passive à la Providence divine, vous laissant conduire et mener par la main, entrant à l’aveugle et en toute soumission dans tous les états où elle voudra vous mettre, soit qu’ils soient de lumière ou de ténèbres, de sécheresse ou de jouissance, de pauvreté, d’abjection, d’abandon, etc. Fermez les yeux à tous vos intérêts et laissez faire Dieu, par cette indifférence à tout état, et cette passivité à sa conduite, vous acquerriez une paix suprême qui [vous établira dans la pure oraison[416]] et vous disposera à la conversion très simple de votre âme vers Dieu le Créateur.
17. Notre bon Seigneur Jésus-Christ s’applique aux membres de son Église diversement pour les convertir à l’amour de son Père éternel, nous recherchant avec des fidélités, des artifices et des amours inénarrables. Oh ! Que l’âme pure qui ressent les divines motions de Jésus et de son divin Esprit, est touchée d’admiration, de respect et d’amour à l’endroit de ce Dieu fidèle !
18. Renoncez à toute consolation et tendresse des créatures, cherchez uniquement vos consolations en Jésus, en son amour, en sa croix et son abjection. Un petit mot que Jésus vous fera entendre dans le fond de votre âme la fera fondre et se liquéfier en douceur. Heureuse est l’âme qui ne veut goûter aucune consolation sur la terre de la part des créatures !
19. Par la vie d’Adam, nous sommes entièrement convertis à nous-mêmes et à la créature, et ne vivons que pour nous-mêmes, et pour nos intérêts de chair et de sang ; cette vie nous est si intime qu’elle s’est glissée dans tout notre être naturel, n’y ayant puissance dans notre âme, ni membre en notre corps qui n’en soit infecté ; ce qui cause en nous une révolte générale de tout nous-mêmes à l’encontre de Dieu, cette vie impure formant opposition aux opérations de sa grâce, ce qui nous rend en sa présence comme des morts ; car nous ne vivons point à Lui, mais à nous-mêmes, à nos intérêts, à la chair et au sang. Jésus au contraire a mené et une vie très convertie à son Père éternel par une séparation entière, et une mort très profonde à tout plaisir sensuel et tout intérêt propriétaire de nature, et Il va appelant ses élus à la pureté de cette vie, les revêtant de Lui-même, après les avoir dépouillés de la vie d’Adam, leur inspirant sa pure vie. Oh ! Bienheureuse est l’âme qui par la lumière de la grâce connaît en soi la malignité de la vie d’Adam, et qui travaille en toute fidélité à s’en dépouiller par la mortification, car elle se rendra digne de communiquer à la vie de Jésus !
20. Tandis que nous sommes sur la terre, nous ne pouvons entièrement éviter le péché. Adam dans l’impureté de sa vie nous salira toujours un peu ; nous n’en serons exempts qu’au jour de notre mort que Jésus nous consommera dans sa vie divine pour jamais, nous convertissant si parfaitement [à son Père éternel] par la lumière de sa gloire que jamais plus nous ne sentions l’infection de la vie d’Adam ni d’opposition à la pureté de l’amour.
21. La sentence que Notre Seigneur Jésus-Christ prononcera sur notre vie au jour de notre mort est adorable et aimable, quand bien par icelle il nous condamnerait, car elle est juste et divine, et partant mérite adoration et amour : adorez-le donc quelquefois, car peut-être alors vous ne serez pas en état de le pouvoir faire ; donnez-vous à Jésus pour être jugée par lui, et le choisissez pour juge, quand bien même il serait en votre puissance d’en prendre un autre. Hugo, saint personnage, priait Notre Seigneur Jésus-Christ de tenir plutôt le parti de son Père éternel que non pas le sien : ce sentiment marquait une haute pureté de l’âme, et une grande séparation de tout ce qui n’était point purement Dieu et ses intérêts.
22. Notre bon Seigneur Jésus-Christ dit en son Évangile : bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Oh ! En effet, bienheureuse est l’âme qui n’a point ici d’autre désir que d’aimer et de vivre de la vie du pur amour, car Dieu lui-même sera sa nourriture, et en la plénitude de son divin amour assouvira sa faim. Prenez courage, la faim que vous sentez est une grâce de ferveur qui n’est donnée qu’à peu. Travaillez à évacuer les mauvaises humeurs de la nature corrompue, et cette faim ira toujours croissant, et vous fera savourer avec un plaisir ineffable les douceurs des vertus divines.
23. Tendez à acquérir la paix de l’âme autant que vous pourrez par la mortification de toutes les passions, par le renoncement à toutes vos volontés, par la désoccupation de toutes les créatures, par le mépris de tout ce que pourront dire les esprits vains et mondains, par l’amour à la sainte abjection, par un désir d’entrer courageusement dans les états d’anéantissement de Jésus-Christ quand la Providence le voudra, par ne vouloir uniquement que Dieu et sa très sainte volonté, par une indifférence suprême à tous événements ; et votre âme ainsi dégagée de tout ce qui la peut troubler, se reposera agréablement dans le sein de Dieu, qui vous possédant uniquement, établira en vous le règne de son très pur amour.
24. Il fait bon parler à Dieu dans la sainte oraison, mais aussi souvent il fait bon l’écouter, et quand les attraits et lumières de la grâce nous préviennent, il les faut suivre par une sainte adhérence qui s’appelle passivité.
25. Le spirituel dans les voies de sa perfection est sujet à une infinité de peines et de combats : tantôt il se voit dans les abandons, éloignements, sécheresses, captivités, suspensions ; tantôt dans des vues vives de réprobation et de désespoir ; tantôt dans les aversions effroyables des choses de Dieu ; tantôt dans un soulèvement général de toutes ses passions, tantôt dans d’autres tentations très horribles et violentes, Dieu permettant toutes ces choses pour évacuer de l’âme l’impureté de la vie d’Adam, et sa propre excellence. Disposez-vous à toutes ces souffrances et combats, et souvenez-vous que la possession du pur amour vaut bien que nous endurions quelque chose, et partant soyez à Jésus pour tout ce qu’il lui plaira vous faire souffrir.
26. Derechef, je vous répète que vous soyez bien dévote à la Sainte Vierge : honorez-la dans tous les rapports qu’elle a au Père éternel, au Fils et au Saint-Esprit, à la sainte humanité de Jésus. Honorez-la en la part qu’elle a à l’œuvre de notre rédemption, en tous les états et mystères de sa vie, notamment en son état éternel, glorieux et consommé dans lequel elle est entrée par son Assomption ; honorez-la en tout ce qu’elle est en tous les saints, et en tout ce que les saints sont par elle : suivez en ceci les diverses motions de la grâce, et vous appliquez à ces petites vues et pratiques selon les différents attraits. Étudiez les différents états de sa vie, et vous y rendez savante pour vous y appliquer de fois à autre ; car il y a bénédiction très grande d’honorer la Sainte Vierge. Je dis le même de saint Joseph : c’est le protecteur de ceux qui mènent une vie cachée, comme il l’a été de celle de Jésus-Christ.
27. La perfection ne consiste pas dans les lumières, mais néanmoins les lumières servent beaucoup pour nous y acheminer, et partant rendez-vous passive à celles que Dieu tout bon vous donnera, et en outre tachez autant que vous pourrez à vous instruire des choses de la sainte perfection par lectures, conférences, sermons, etc., et souvenez-vous que si vous ne nourrissez votre grâce, elle demeurera fort faible et peut-être même pourrait-elle bien se ralentir.
28. L’âme de Jésus-Christ est le paradis des amants en ce monde et en l’autre ; si vous pouvez entrer en ce ciel intérieur, vous y verrez des merveilles d’amour, tant à l’endroit de son Père que des prédestinés. Prenez souvent les occupations et la vie de ce tout bon Seigneur pour vos objets d’oraison.
29. Tendez à l’oraison autant que vous pourrez : c’est, ce me semble, uniquement pour cela que nous sommes créés : je dis pour contempler et [pour] aimer ; c’est faire sur la terre ce que font les bienheureux au ciel. Aimez tout ce qui favorisera en vous l’oraison, et craignez tout ce qui lui sera opposé. Tendez à l’oraison pas vive, en laquelle l’âme sans violence entre doucement dans les lumières qui lui sont présentées, et se donne en proie à l’amour, pour être dévorée par ses très pures flammes suivant les attraits et divines motions de la grâce. Ne vous tourmentez point beaucoup dans l’oraison, souvent contentez-vous d’être en la présence de Dieu, sans autre opération que cette simple tendance et désir que vous sentez de L’aimer et de Lui être agréable ; car vouloir aimer est aimer, et aimer est faire oraison.
30. Prenez ordinairement des sujets pour vous occuper durant votre oraison ; mais néanmoins ne vous y attachez pas, car si la grâce vous appelle à d’autres matières, allez-y ; je dis ordinairement, car il arrivera que Dieu vous remplissant de sa présence, vous n’aurez que faire d’aller chercher dedans les livres ce que vous aurez dans vous-même ; outre qu’il y a de certaines vérités divines dans lesquelles vous êtes assez imprimée, que vous devez souvent prendre pour objets d’oraison. En tout ceci, suivez les instincts et attraits de la grâce. Travaillez à vous désoccuper et désaffectionner de toutes les créatures, et peu à peu votre oraison se formera, et il y a apparence, si vous êtes fidèle, que vous êtes pour goûter les fruits d’une très belle perfection, et que vous entrerez dans les états d’une très pure et agréable oraison : c’est pourquoi prenez bon courage ; Dieu tout bon vous aidera à surmonter les difficultés que vous rencontrerez dans la vie de son saint Amour. Soyez fidèle, soyez à Dieu sans réserve ; aimez l’oraison, l’abjection, la croix, l’anéantissement, le silence, la retraite, l’obéissance, la vie servile, la vie cachée, la mortification. Soyez douce, mais retenue ; soyez jalouse de votre paix intérieure. Enfin, tendez doucement à convertir votre chère âme à Dieu, son Créateur, par la pratique des bonnes et solides vertus. Que Lui seul et son unique amour vous soient uniquement toutes choses. Priez pour ma misère et demandez quelquefois pour moi ce que vous souhaitez pour vous [417].
Les 26 lettres sont de Mectilde
sauf une : 6 en 1644,
5 en
1645,
13
en 1646
où meurt Chrysotome, 2 en 1653. Rien de fondamental sauf un profond attachement à
l’égard de Chrysostome (Mectilde est encore loin d’avoir achevé un détachement
mystique), le transfert de direction que ce dernier confie à Bernières, la récolte difficile
de ses écrits
auprès de ses confrères du TOR, l’édition entreprise à Paris par Mectilde qui obtiendra trois approbations. Bernières est absent en tant qu’écrivain
de lettres, mais il assurera l’édition complémentaire du volume publié à Caen,
nettement plus d’intérêt à nos yeux. Voici des extraits de ces lettres[418] :
15 février 1644 LMB Saint Maur (« Notre bon Père » surchargé).
... Je n’osais m’adresser
directement à vous, sachant bien que présentement les affaires du Canada vous
occupent, néanmoins j’étais pressée de vous demander par l’entremise de notre
bon Frère Monsieur de Rocquelay l’assistance que vous m’avez donnée. Notre bon
Père Chrysostome étant toujours surchargé d’affaires je ne l’ose l’importuner.
De sorte que je supplie votre charité de souffrir que je m’adresse
quelquefois à vous pour en recevoir ce que ma nécessité demande et ce que la
gloire d’un Dieu vous oblige de me donner....
31 mars 1644 LMB (Des bons effets d’une direction appréciée).
... Il n’y a rien dans cet écrit que
vous puissiez faire transcrire, car de plus de mille personnes vous n’en
trouverez point de ma voie ni qui lui soit arrivé tant de choses. Vous n’en
verrez qu’un bien petit abrégé en cet écrit, car des grands volumes ne
suffiraient pour contenir le tout. J’espère néanmoins que vous en concevez suffisamment
pour admirer la bonté de Dieu qui m’a enlevée par les cheveux comme le
Prophète. Le bon Père Chrysostome ne se peut tenir de remarquer quelle
Providence de Dieu, et combien amoureuse sur une pécheresse comme moi. Toute la
répugnance que je puis avoir de la vue de l’écrit, c’est certaines rêveries.
[...]
Voilà aussi un petit billet qu’une
de mes Sœurs écrit au Révérend Père Chrysostome, je vous supplie de me bien
recommander à lui à Dieu encore une fois mon très cher Frère.
13 mai 1644 LMJ (sur les écrits du Père).
À Jourdaine de Bernières... Le ciel vous récompensera de tout et
singulièrement du saint petit livre que vous m’avez envoyé. On dit qu’il ne
s’en trouve plus d’imprimé. Je vais le faire remettre sous la presse, car j’en
désire quantité[419]. Vous avez fort bien
compris dans la lettre de N[420] ce que je demande de
sa charité, et lesquelles choses il m’a promis. J’excuse le retardement qu’il
apporte à me donner ce bien d’autant que je sais qu’il est si fort occupé de
Dieu et employé ès œuvres de son service qu’il n’a pas le loisir d’effectuer ce
qu’il m’a promis, mais puisque la Divine Providence vous a fait la dépositaire
de ces trésors, je vous supplie en l’amour des sacrées plaies de notre très
adorable Maître de me faire part des grands biens que vous possédez.
Entre autres choses, il m’a parlé de
certains degrés de la parfaite abjection que notre bon Père Chrysostome a fait
depuis peu, mais ils ne sont imprimés. Lui ayant dit que j’avais un imprimeur à
ma liberté il m’assura qu’il me les enverrait avec la beauté divine et quantité
d’autres choses, je ne sais s’il en a perdu le souvenir. Au temps qu’il pourra
appliquer son esprit à ces choses, je supplie votre bonté de lui en parler.
Cependant, de votre[421] [26], soyez-moi
favorable et prenez quelque pitié d’une âme dans toutes sortes de privations.
Je vous renverrai fidèlement ce que vous m’envoyez après que je l’aurai copié.
19 août 1644 LMR (Visite attendue).
... J’attends cette semaine notre
très cher Père Chrysostome. J’attends quelque chose de sa charité pour une de
mes sœurs d’ici et pour la Mère Benoîte. Je vous enverrai le tout lorsque je
l’aurai, quand Notre Seigneur vous donnera quelque chose ensuite de sa divine
soif. Je vous supplie m’en faire part afin qu’avec vous je puisse au mieux qu’il
me sera possible désaltérer l’ardeur de mon Jésus et souffrir lors qu’il m’en
rendra digne. Je vous laisse tout à lui et pour lui. Je suis/M./Votre etc.
21 octobre 1644
LMR (Voyage à Paris ?)
... J’attends cette semaine le bon
Père Chrysostome pour l’entretenir sur les pensées d’une retraite que j’ai
faite ces jours passés. Je vous enverrai ses sentiments sur ce que j’ai
expérimenté. [...] Je vous supplie que notre cher N. se souvienne quelquefois
devant Dieu de sa pauvre et indigne Sœur. On m’a dit qu’il devait bientôt venir
à Paris. Je m’en réjouis, car certainement notre bon Père viendra à Saint-Maur
avec lui. Très cher Frère, tâchez d’être de la partie et notre joie sera
grande. Nous parlerons ouvertement de tout ce que nous aimons...
10 décembre 1644 LMR Saint Maur (sur la Mère Benoîte, « une élue »).
Je viens de recevoir une lettre que
notre bonne Mère Benoîte vous écrit. Je vous l’envoie vous suppliant de prendre
la peine de lui écrire comme vous l’avez reçue. Je pensais vous envoyer la
disposition, mais elle est encore entre les mains de notre bon Père
Chrysostome. Je promets qu’aussitôt qu’il y aura fait réponse, je vous en
enverrai la copie. Vous verrez un excès de la miséricorde divine à la
sanctification de cette âme. C’est une élue.
29 janvier 1645
LMR route de Rambervillers (Voyage en Lorraine ?)
À Monsieur de Rocquelay. Notre
sortie de Paris a été en quelque sorte si précipitée qu’il me fut
impossible de vous écrire selon que je l’avais projeté. J’appris de notre très
honoré Père Chrysostome qu’il devait venir dans dix jours, mais il n’y avait
pas moyen de retarder. Il me promit qu’il se souviendrait de moi dans les
saintes conférences que vous ferez ensemble. [...] Je vous écris la présente à
Voy, le dimanche 29 janvier 1645. Ce bourg est à 20 lieues de Rambervillers.
Février 1645
LMR Rambervillers (« Suppliez-le... »)
... Priez Dieu pour nous, je vous
supplie et m’obligez de prendre la peine de présenter nos humbles obéissances à
notre bon Père Jean Chrysostome. Suppliez-le d’avoir mémoire de moi devant
Notre Seigneur....
11 Août 1645 LMB (Maladie)
... Je vous assure, Mon très cher
Frère, que je vais prier Dieu en tous les lieux de ma connaissance pour la
conservation de notre bon Père [Chrysostome]. Plus je fais de réflexion sur nos
états plus je vois le besoin que nous avons de sa sainte conduite. Nous allons
commencer une neuvaine de communions pour cet effet, nous adressant à la sacrée
Mère de Dieu qui a tout pouvoir dans le Ciel. Chacune de nous en particulier le
demande à Dieu. Je vous supplie, attendant votre réponse dans notre pauvre
retraite de Saint-Maur, faites-moi savoir comme il se porte et puis que la
divine Providence vous tient à Paris. Tâchez de le faire soulager, Monsieur de
Saint-Firmin fut hier ici. Il me dit qu’il avait grand regret de n’être venu à
Saint-Maur que vous y étiez. Il désire de vous voir. Il connaît [51] de très
bons médecins. Voyez si je le dois prier de les consulter ou si vous prendrez
la peine de parler vous-même aux médecins pour leur faire concevoir ses
incommodités, il est important qu’ils en sachent les causes. Il me tarde
d’apprendre ce qu’ils en auront conclu. Je voudrais être à Paris pour employer
ma petite puissance à vous servir en cela. J’écris à monsieur Ameline sans lui
parler de son affaire. Je laisse le tout à notre bonne Mère qui en peut parler
comme il faut. Communiquez toutes choses à notre cher Père [Chrysostome]
et ensemble conclure de ce qu’il convient faire pour la gloire de Dieu, et pour
la perfection de celles qui seront destinées à cette œuvre....
25 Septembre 1645 LMB Saint Maur
Je ne vous mande rien de
particulier. Je suis trop pressée. Nos humbles et bien affectionnées
recommandations à notre cher Père [Chrysostome] lorsque vous le verrez.
5 novembre 1645
LMB (Les assistances reçues)
... Je vous supplie avant que de
partir de me recommander à notre très cher et bon Père [Chrysostome], et
le remerciez pour moi de tous les soins et [41] les assistances que j’ai reçus
de sa bonté. Obligez-le par vos intimes prières d’être toujours mon père et mon
cher directeur, puisque notre Seigneur me l’a donné par vous. Faites, je vous
supplie, que ce bonheur me soit continué...
10 Février 1646 LMB (Une maladie qui ne paraît pas grave...)
Jésus pauvre[422]
soit l’objet de votre amour ! J’ai reçu une de vos lettres c’est l’unique que j’ai
reçue depuis la maladie de notre très cher Père [Chrysostome] [...] Ne vous
mettez point en peine de son traitement, nous qui sommes près de lui. Nous en
avons bien soin. Il m’a mandé qu’il y avait apparence que sa fièvre le voulait
quitter et qu’il s’abandonnait à ce qu’il plairait à notre Bon Dieu d’en
ordonner. Il nous fait aussi espérer de le voir dès les premiers beaux jours.
Il faudrait que vous fussiez de la partie pour rendre la consolation entière.
26 Mars 1646 LMB (... conduit à l’extrémité ?)
Fidélité sans réserve[423] ! Sacrificate sacrificium, etc. Je
n’espérais pas vous mander de si tristes nouvelles, mais [98] il ne faut point
différer de vous dire que notre très cher Père [Chrysostome] reçut hier au
soir l’Extrême-Onction. Aujourd’hui matin, le médecin m’a mandé qu’il était à
l’extrémité. Je vous laisse à penser quelle surprise et quel choc j’ai reçu à
ces nouvelles. Il sortit d’ici mercredi, fête de notre Bienheureux Père[424]. Il était en si bonne
disposition que j’en étais toute ravie. Il retourna trop tôt pour nous, car
venant d’un bon air, le lendemain il retombe dans sa maladie dont les médecins
conclurent qu’il lui fallait tirer du sang. Ce qui l’a réduit dans l’extrémité
où il est, on n’en attend plus que la disposition de l’ordre divin. Je ne vous
puis dire combien une telle perte me touche. Encore, si vous étiez ici pour lui
rendre les derniers devoirs comme à notre très cher et très honoré Père !
C’est à présent que nous entrons
dans le vrai dépouillement, car il me semblait qu’en le possédant, je jouissais
d’une précieuse richesse. Je dirai désormais : « Mon Père qui
êtes aux Cieux », puisque je
le crois dans la béatitude éternelle s’il meurt. Et je commence déjà à le prier
fervemment qu’il me donne secours du ciel comme il l’a fait en la terre pour
aller à mon Dieu. J’ai mandé au bon Frère Jean [Aumont] de vous avertir
promptement de tout. Je ne sais s’il l’aura fait. Je finis, attendant des
nouvelles de ce saint Père, j’envoie savoir comme il est. Je vous
laisse dans la douleur de notre perte. Pour moi, je me sens comme abîmée dans
le divin plaisir de mon Dieu avec agrément de toute [99] privation que je
ressens très grande pour me donner moyen de me sacrifier de la bonne façon. À
Dieu, mon très cher Frère, et pour l’avenir, mon Père et mon Frère. Au saint
amour, je suis,/M/Votre, etc.
16 Avril 1646 LMJ. (La mort — Obtenir ses écrits — Une
petite ceinture de fer)
À la Mère Jourdaine de Bernières,
Supérieure des Ursulines de Caen.
... Je voudrais vous pouvoir dire
combien la mort de notre très saint Père Jean Chrysostome me dépouille des
créatures. Il me semble que je n’ai plus de secours en terre et que je me dois
désormais toute renfermer dans Dieu, où je trouverai celui qu’il a retiré de la
terre pour l’abîmer dans l’éternité de son divin amour. Je vois néanmoins que
mon dénuement n’est pas entier puisqu’il me reste la chère consolation d’écrire
à notre cher Frère et de recevoir ses avis et les vôtres. Notre saint Père nous
a instamment recommandé la communication avec grande franchise : ce sont
ses dernières paroles que j’observerai toute ma vie à votre endroit et celui de
nos deux bons frères. Ce fut l’avis qu’il me donna pour, après sa mort,
conserver entre nous son esprit et ses hautes maximes de perfection qu’il nous
enseignait de pratiquer. Je suis très aise que l’on vous écrivît sa mort. Le
bon Père Elzéar, son bon parent, nous vint voir et se chargea de nos lettres
qui vous exprimaient quelque peu de ma douleur. Je ne sais si vous l’avez reçu.
Quoiqu’il en soit, ne vous mettez pas en peine de ma santé. Elle sera toujours
bonne lorsque je ne désisterai point de me rendre à Dieu. J’écrivis ces jours
passés à notre très Cher Frère où je lui mandais que notre saint Père demeurait
toujours en abjection dans l’esprit de quelques-uns de leur maison, et Frère
Jean m’a mandé qu’il n’en faut point parler.
J’avais prié Monsieur de N. de faire
effort pour nous avoir quelques-uns de ses écrits, mais particulièrement celui
des attributs divins. Il les a demandés avec trop peu de ferveur et, comme le
Provincial lui demandait s’il les voulait voir et lire, j’en fus fâchée, car
s’il les eût pris pour quinze jours, je les aurais fait copier. Je vois bien
que ce bon M. n’était pas un de ses fidèles enfants. Il faut néanmoins que je
fasse un second effort pour les avoir, mais j’attendrai l’avis de notre bon
Frère auquel j’ai écrit de ceci. Le Révérend Père Elzéar vous fera bien mieux
que moi le récit de la mort de notre digne Père. Je crois qu’il est
présentement à Caen.
J’espère être demain ou après sur le
tombeau de notre saint Père où certainement je verserai beaucoup de larmes. Je
me souviendrai de vous, ma très Chère Sœur, car j’ai une grande confiance à ses
prières et, depuis sa mort, j’ai reçu beaucoup de miséricordes et grâces très
particulières. Je le prie en mes oraisons et je m’en trouve bien. Frère Jean
désire de nous voir. J’apprendrai encore quelque chose de lui. J’ai demandé
quelque chose pour conserver comme relique, mais je n’ai pas été digne
d’obtenir ce que je désirais. Un peu avant sa mort, il m’avait donné sa petite
ceinture de fer qu’il a portée beaucoup d’années. Je la garde bien chèrement et
duquel je voulais vous en écrire et à notre cher Frère, mais j’attendais encore
pour voir si ma disposition est solide....
24 Juin 1646 RMR (« Un souvenir très particulier » - Projet de publication)
Le jour de la Saint Jean [Baptiste],
qui est la fête de notre très cher frère duquel j’ai eu un souvenir très
particulier. Dieu seul ! Monsieur,
Jésus nous soit uniquement toutes choses à jamais ! Je me réserve de vous écrire après le départ de
notre chère Mère où j’espère avoir plus de loisir qu’à présent. Cependant votre
bonté m’oblige de vous écrire ce mot pour vous assurer que j’ai reçu les deux
livres que notre très cher Frère [Bernières] nous envoie (par votre bon
voisin). Je l’en remercie de tout mon cœur et vous aussi. C’est pour une bonne
demoiselle de nos bienfaitrices qui nous les a demandés très instamment. Vous
nous avez obligée extrêmement. Je [ne] prétends point vous entretenir par la
présente. Je me réserve à vous raconter mes dépouillements qui semblent
s’accroître tous les jours, mais d’une manière que je ne sais si je vous la
pourrai dire. Je vous supplie de dire à notre très cher et très bon Frère que
s’il veut faire imprimer quelque écrit de notre bienheureux Père [Chrysostome)]
que monsieur le Curé de Saint-Jean en Grève à Paris me promet telle approbation
que je voudrais pour les écrits de ce digne personnage. Que notre cher Frère
voie s’il est à propos de faire imprimer la sainte abjection. Une autre
personne s’offre à payer les frais qu’il y faudra faire. Je suis dans l’attente
de deux témoignages de deux bons prêtres, grands serviteurs de Dieu, qui ont eu
connaissance particulière de la béatitude de notre saint Père. Je vous les
enverrai si notre Seigneur me rend digne de les posséder. J’ai vu son portrait.
On me l’apporta jeudi dernier, mais il a si peu de ressemblance à son original
que j’ai prié le peintre d’en faire un autre. Je lui ai dit les défauts que j’y
trouvais. Il m’a promis d’y travailler au bref. La vue de son image quoique mal
faite m’a extrêmement touchée et causé de si grands respects que s’il eût été
bien naturel, je me fusse jetée en terre pour le révérer et le baiser dans un
grand sentiment d’humilité, mais il avait si peu de rapport que s’il ne m’eût
assuré qu’il l’avait (peint) pour représenter ce saint Père, je ne l’aurais
jamais pris pour cela....
7 juillet 1646 RMB (Confiée à Bernières)
... Ayez pitié de mes pauvretés et
me prêtez secours pour aller à Dieu. Notre Père [Chrysostome] m’a ordonné
d’avoir recours à votre charité et je vous demande l’aide que vous me devez par
son saint amour, pour ne point tomber dans une infidélité qui ne se pourrait bonnement
réparer....
28 Juillet 1646 RMB Le Bienheureux Grégoire Lopez – Elle se confie à Bernières)
... Je commençai le lendemain que
j’ai reçu votre lettre qui était le 20 juillet, la fête du bienheureux Grégoire
Lopez[425]. Je fus extrêmement
aise [77] de me pouvoir donner à la puissance et à l’amour de Jésus Christ avec
ce grand saint. Notre bienheureux Père [Chrysostome] m’a bien recommandé de
l’aimer et de tâcher de l’imiter dans sa haute pureté. Il est vrai que la
divine miséricorde m’a fait beaucoup de grâces, mais il faut que vous
connaissiez mes infidélités aussi bien que les faveurs que je reçois de notre
bon Seigneur. Elles sont extrêmes et la négligence que j’apporte à la grâce est
un défaut épouvantable, car il me semble que mon esprit ne devrait plus être ni
avoir vie qu’en Jésus-Christ. Je sens un grand désir d’user de la simplicité
dont vous nous parlez dans les vôtres pour par icelles avoir moyen d’accomplir
les conseils de notre bon Père, mais je vous supplie, avertissez-moi en toute
franchise et liberté de ce que vous remarquerez être contraire à l’esprit de
Jésus Christ. Vous ne pouvez refuser cette grâce sans offenser sa charité qu’il
a mise en vous et qu’il prend plaisir d’y régner....
21 Août 1646 RMB (Bernières saint Ange)
... Je remarque qu’au temps que vous pouvez posséder ce
bonheur, je priais plusieurs jours de suite mon saint ange [P. Chrysostome] de
faire prier cette sainte pour moi. Hélas, je ne pensais pas pour lors que vous
deviez faire l’office de mon Ange.
5 septembre 1646 L 1,34 Pauvres de toutes créatures, ne vivons que de Dieu purement en Dieu. (Union).
Ma très chère Sœur, pauvres de
toutes créatures, ne vivons que de Dieu purement en Dieu. Ce doit être à
présent là notre principale occupation, puisque ce que nous possédions de plus
cher en la terre est tellement en Dieu, qu’il sera éternellement une même chose
avec Lui. Nous ne pouvons donc désormais être unis à ce cher père [Chrysostome] que nous ne soyons unis à Dieu. Et c’est ce qui nous
doit faire estimer notre privation, puisqu’elle nous conduit à une si parfaite
union.
J’ai bien de quoi vous entretenir de
notre bon Père et de notre cher Ange [Chrysostome et Bernières]. Priez Dieu
pour moi de tout votre cœur. Je vous enverrai deux dispositions intérieures
bien jolies. À Dieu, mon très cher Frère ! Que Jésus vous consomme de son divin amour et nous
favorise d’une pauvreté suprême de toutes créatures, d’une souffrance sans
consolation d’aucune créature ! ...
5 Octobre 1646
RMR (Récolte d’écrits, portrait...)
... J’attends avec affection le
traité de la sainte abjection de notre B. P. [Chrysostome]. J’ai un imprimeur
tout prêt qui désire avec passion de l’imprimer et deux excellents docteurs qui
donneront leur approbation. Voyez si vous voulez prier Monsieur de Barbery d’y
joindre la sienne. Si vous m’aviez donné la beauté divine, il y a longtemps que
cela serait fait. Je vous supplie, que ce soit au plus tôt et me mandez, s’il
vous plaît, si notre très cher frère le veut en petit livre ou en cahier. Envoyez-moi
un petit morceau de papier de la largeur et longueur que vous le désirez. Voilà
une copie de son portrait que le peintre m’a envoyé, mais je l’ai trouvée si
mal rapportant à son original que je l’ai prié d’en faire d’autres et lui ai
dit les défauts que j’y remarque. Celui-ci n’en a quasi point de ressemblance.
Le second qu’il a fait est beaucoup mieux. J’espère qu’au troisième, il
réussira et puis il nous en fera des tableaux à l’huile plus solides que
celui-ci. Montrez-le, s’il vous plaît, et leur demandez s’ils ont reçu nos
lettres....
23 Octobre 1646 RMB (« il me semble que j’ai changé de disposition »)
Dieu seul et il suffit !
... Depuis la mort de notre bon Père
[Chrysostome], il me semble que j’ai changé de disposition et je ne sais si
vous avez vu quelque petite chose, mais grande pour moi, que j’ai reçue de la
divine bonté. Entre autres choses (Je serais trop longtemps à dire le reste),
il me fut donné d’entendre que cette année était pour moi une année de
miséricorde et, pour vous parler franchement, il ne se passe guère de jours que
je n’en reçoive de nouvelles. Je les attribue au mérite et à l’intercession de
notre bon Père et admire une chose en lui à mon égard. La première fois que je
m’en aperçus fut peu de jours après sa bienheureuse mort. Je me sentis poussée
intérieurement de demeurer environ deux heures à genoux, les mains jointes, et
mon âme se trouvait dans un si grand respect que je ne pouvais me mouvoir à
l’extérieur. Au commencement, je faisais une très humble et très douce prière à
notre bienheureux Père de me donner part à son esprit. Enfin je désirais avoir
liaison avec son âme, et entrer dans ses fidélités au regard de la grâce, et
après cette petite prière je me trouve dans un grand silence. Mon âme adhérait
passivement à son lieu et on me tenait en état de recevoir de grandes choses.
Dans ce silence et ce grand recueillement de toutes mes puissances, il se fit
en mon âme une impression de l’esprit de Jésus Christ et cela se faisait, tout
mon intérieur était rempli de Jésus Christ, comme une huile épanchée, mais qui
opérait une telle onction, que depuis ce temps-là, il m’en a toujours demeuré
quelque sentiment, mais ceci fit des effets tout particuliers en moi....
Pour notre refuge ici, nous vivons
comme des enfants attachés à la sainte Providence qui nous subvient en nos
besoins. Notre bon Père [Chrysostome] nous a très instamment exhortées en ses
derniers jours d’établir ce refuge et d’en faire une retraite d’âmes ordonnées
et attirées à l’oraison.
Ne devons-nous pas plus espérer de
vous voir, mon très cher Frère ? [Ne] viendrez-vous pas visiter le tombeau de notre
bon Père [Jean Chrysostome] et par même moyen consoler de votre présence ses
pauvres enfants ? Je n’espère
pas encore retourner en Lorraine, mais si cela est, il faut auparavant que vous
me fassiez la grâce de me faire voir la bonne âme de Coutances. Je ne crois pas
que Notre Seigneur désagrée cela (sic). J’espère qu’il vous en donnera la
pensée. Pour les commodités du voyage, j’y mettrai bon ordre et sans bruit. Il
suffirait que vous y trouvassiez pour nous y donner accès.
Le bon Frère Jean [Aumont] vous
salue d’une entière affection, et vous remercie de tout son cœur de la peine
que vous avez prise pour son dessein. Il est tellement rempli de la divine
grâce, à présent, qu’il a perdu tout autre désir.
6 Novembre 1646 RMB (« ... vous êtes mon bon Frère et celui qui m’est donné de Dieu par la bouche de notre bon Père. »).
... 3/Je crains de perdre l’esprit
d’oraison qu’il semble prendre quelque petit accroissement, celui de pénitence
et de sainte pauvreté et abjection que notre bon Père [Chrysostome] nous a si
saintement imprimées en notre esprit.
... À Dieu, mon très cher Frère ! Voyez avec
quelle simplicité je vous écris. Vous le voulez bien, car vous êtes mon bon Frère
et celui qui m’est donné de Dieu par la bouche de notre bon Père.
1653 L 3,51 Dieu est mon âme et mon âme est Dieu.
... J’espère d’être bientôt en
l’état que la direction du Père Chrysostome avait tant approuvé, et m’avait
conseillé de la part de Notre Seigneur. Que N. lui offre, s’il lui plaît, je
l’en prie de tout mon cœur, afin que dépouillé de moi-même, je sois revêtu de
Jésus-Christ....
1er Décembre 1653 lettre à Monsieur Henri Boudon
Mon très cher frère[426] Jésus soit notre unique vie pour le temps et
l’éternité. Il y a quelque dix ou douze jours que je suis incommodé d’un gros
rhume qui m’a empêché de répondre à vos précédentes dont je vous remercie,
ayant reçu beaucoup de consolation à les lire. Je réponds présentement à votre
dernière et voici une lettre pour notre chère Mère de St Jean toute conforme a
vos intentions que vous lui ferez tenir en la manière que vous le jugerez à
propos. Jamais cette bonne mère ne m’a parlé de Madame de Guise.
Lettre datée du 12 avril 1646 de Benoîte de la Passion à Mectilde
à notre révérende Mère Institutrice
réfugiée à Saint-Maur :
« Vive l’anéantissement sacré de mon Dieu ! Par la
lecture de votre lettre, j’ai appris que notre cher Père avait quitté la terre
pour aller au ciel. J’eus une grande émotion de cœur qui me continua le long du
jour (c’était le dimanche de Quasimodo). Cette émotion contenait en soi une
grande ardeur d’esprit, qui brisait quasi les forces du corps. L’espérance, la
réjouissance de sa béatitude emportait le dessus sur la tristesse. Au commencement
de l’office des morts, je fus outré de nouveau d’une grande tristesse, mais
l’intime complaisance au vouloir de ce grand Dieu ne permit point que les
larmes coulassent. Il me semblait que mon âme se fondait en dilection du bon
plaisir de Dieu. Étant en oraison après Vêpres, il me fut montré comme dans une
nuée assez claire, que la perte que nous avons faite se trouvait dans le ciel,
qu’on ne pouvait pas dire en vérité l’avoir perdu, que les pertes que l’on fait
en Dieu se retrouvent pleinement en Lui.
Vous savez, ma très Chère Mère,
combien j’ai perdu, parlant humainement, néanmoins il n’était pas en mon
pouvoir d’en faire le sacrifice à ce Dieu d’amour, parce que mon vouloir était
tout anéanti dans le vouloir divin. Je ne saurais dire, ma très Chère Mère,
l’occupation de mon esprit tout ce jour-là. J’aime autant en béatitude, et même
davantage que l’assistance que j’en recevais lorsqu’il était en terre. Il nous
peut beaucoup plus servir en ces hauts lieux qu’en cette vallée de larmes. Je
suis bien plus près de lui à présent que lorsqu’il était vivant à Paris, parce
que nous le trouvons en Dieu.
Il faut que je vous dise, ma Chère
Mère, qu’un peu avant la mort, une nuit en dormant il me semblait voir un
religieux de l’ordre de Saint-François, grandement vénérable, qui me parlait de
Dieu et des choses de la perfection avec beaucoup de dilection pour moi. La
nuit suivante, je vis le même religieux dans un lieu où il y avait une grande
assemblée de peuple, entr’autres vous y étiez, Chère Mère, et notre Mère
Prieure et une religieuse. Ce digne religieux était un peu éloigné de nous et
tenait dessous ses pieds un serpent et beaucoup de bêtes venimeuses qui dans
mon esprit représentaient le diable, la chair et le monde. Les ayant ainsi
subjuguées, il s’en alla avec grande vitesse et agilité dans un lieu très haut
et délicieux. Étant dans ce lieu délectable, il regardait toute l’assistance
avec une grande douceur. Qu’est ceci, disais-je en moi-même ? Ne serait-ce
point le Père Chrysostome qui s’en ira bientôt à Dieu ? Ma Chère
Mère, je vous dis ceci en simplicité, et je n’y fais
aucun fondemen
Jean de Bernières, Le Chrétien intérieur, textes choisis suivis
des Lettres à l’Ami intime, Texte établi et présenté par Murielle et D. Tronc,
Paris, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2009, 200 p.
[septième livre du Chrétien intérieur et « Lettres à l’Ami intime ».]
Jean de Bernières
(1602-1659) naît dans une grande famille normande fort pieuse : son père,
trésorier général des finances, fonde pour sa fille Jourdaine le couvent des
Ursulines de Caen.
Jean s’engage dans la
Compagnie du Saint-Sacrement de Caen fondée en 1644 par Gaston de Renty
(1611-1649) : ce grand seigneur était passé des armes et des sciences à
l’oraison et à l’exercice de la charité. La Compagnie avait pour but de
rassembler les chrétiens pour s’aider les uns les autres vers la perfection et
travailler ensemble au service des pauvres. Devenu le bras-droit de Renty,
Bernières lui succède en 1649.
Mais surtout, il fait
partie du Tiers Ordre franciscain laïc[427] :
il reste engagé dans le monde, tout en menant une vie consacrée à
l’oraison.
Il soulage la misère
autour de lui par une pratique intense de la charité : « Il paye de
sa personne, car il va chercher lui-même les malades dans leurs pauvres
maisons, pour les conduire à l’hôpital ... porte sur son dos les indigents qui
ne peuvent pas marcher jusqu’à l’hospice ... il lui faut traverser les
principales rues de la ville : les gens du siècle en rient autour de
lui. »[428].
Il contribue toute sa
vie à la fondation d’hôpitaux, de couvents, de missions et de séminaires. Avec
le prêtre Jacques Garnier, il fonde à Caen l’Hôpital des Pauvres Renfermez pour élever les enfants
abandonnés ; avec saint Jean Eudes, une maison pour les femmes repenties…
Il s’associe au projet
de Marie de l’Incarnation et de Mme de la Peltrie, qui veulent partir en 1639
en mission de conversion auprès des Iroquois du Canada : il aide Mme de
Peltrie dans son procès avec sa famille ; puis, malgré son envie de
partir, il reste gérer les ressources pour les missions du Canada. Il restera
en correspondance avec Marie de l’Incarnation pour qui il éprouve une grande
vénération.
Même s’il en fait bon
usage, sa fortune lui pèse. Rempli de l’idéal franciscain transmis par son père
spirituel du Tiers Ordre Régulier Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646), il
se sent coupable :
...il
faut tout quitter pour vaquer à Dieu seul, aimer pour cela les mépris, les
souffrances et la pauvreté.[429]
Quand il veut faire
donation de ses biens, sa famille résiste :
Ma belle-sœur fait de son mieux pour empêcher
que je ne sois pauvre ; elle me fait parler pour ce sujet par de bons
religieux [...] il n’y a plus moyen
d’être pauvre[430].
Il y parvient cependant et passe ses dernières années
dans un simple logis, mangeant du pain noir dans de la vaisselle en
terre ! Il ne vit plus que de ce que lui donne sa famille :
Je
ne dois non plus manquer à embrasser la pauvreté, quoiqu’elle m’abrège la vie
naturelle[431].
*
Sa charité repose sur
une vie spirituelle intense au milieu d’un groupe d’amis qu’il finit par
diriger. Ils ont le désir de se regrouper dans une maison commune : l’Ermitage, où ils pourront vivre une vie
d’oraison et de charité hors de toutes contraintes.
A la porte du monastère de Jourdaine
Bernières fait bâtir en 1648 une maison pour retraitants, « ouverte aux
laïques ou même aux religieux ». Il parle avec humour de cet hôpital un
peu particulier qui accueille les pauvres
spirituels :
Il
m’a pris un désir de nommer l’Ermitage l’hôpital des Incurables, et de n’y
loger avec moi que des pauvres spirituels, qui ayant la volonté de sortir de
leurs imperfections, en demeurent pourtant toujours entachés. Il y a à Paris un
hôpital des Incurables pour le corps, et le nôtre sera pour les âmes[432].
Jean y accueille ses
amis avec simplicité et dans une grande liberté :
Je
vous conjure, quand vous irez en Bretagne, de me venir voir ; j’ai une petite
chambre que je vous garde : vous y vivrez si solitaire que vous voudrez, nous
chercherons tous deux ensemble le trésor caché dans le champ, c’est-à-dire
l’oraison…[433].
Son premier biographe
témoigne : « Ce qui est de
merveilleux, c’est que l’on ne s’ennuyait jamais [...] il n’y avait aucun
exercice particulier de piété réglée parce que l’oraison perpétuelle en faisait
toute l’occupation. L’on s’y levait de grand matin, et durant toute la journée,
c’était une application continuelle à Dieu. Chacun avait sa cellule, mais on prenait
les repas en commun ; au sortir de table les ermites faisaient encore une heure
d’oraison ensemble, puis chacun reprenait sa liberté d’action [...] ils
allaient voir les malades, faisaient le catéchisme aux enfants abandonnés[434]. »
Son biographe moderne assure que « certains ménages y venaient aussi s’y
retirer[435] ».
Catherine de Bar, Mère
fondatrice des bénédictines du Saint-Sacrement, témoigne de cette vie
érémitique[436] et
de son admiration pour Bernières : « Messieurs de Bernières et Roquelay
[son secrétaire] vous saluent. Ils font des merveilles dans leur ermitage ; ils
sont quelquefois plus de quinze ermites. [...] Si notre bonne Mère Prieure
voulait écrire de ses dispositions à M. de Bernières, elle en aurait
consolation, car Dieu lui donne des lumières prodigieuses sur l’état du saint
et parfait anéantissement ».
Quand à l’animateur,
il reste bien conscient de n’être que l’intendant de Dieu, constatant
simplement une communication inexplicable :
Nous
vivons ici en grand repos, liberté, gaieté et obscurité, étant inconnus du
monde, et ne nous connaissant pas nous-mêmes. Nous allons vers Dieu sans
réflexion, et quelque temps qu’il fasse, bon ou mauvais, nous tâchons de ne
nous point arrêter. Je connais clairement que l’établissement de l’Ermitage est
par ordre de Dieu, et notre bon Père ne l’a pas fait bâtir par hasard, la grâce
d’oraison s’y communique facilement à ceux qui y demeurent, et on ne peut dire
comment cela se fait, sinon que Dieu le fait[437] .
Il est insensible aux différences sociales.
En témoigne cette conversation avec son serviteur :
Vous
êtes mon maître, je vous dois tout dire comme à mon père spirituel – Vous le
pouvez, lui dis-je, car je vous aime en Jésus-Christ, et je vous ai tenu auprès
de moi, afin que vous fussiez tout à lui[438].
Remplir cette fonction
de directeur lui est une charge. Plein de doutes sur lui-même, il se demande
s’il ne doit pas abandonner :
J’avoue
que ce m’est une grande croix de donner des enseignements aux autres, moi qui
en vérité ne sais rien[439].
Il écrit encore :
Il
ne faut pas prendre garde à ce que je dis : ma lumière est petite,
mon discernement faible, et ma
simplicité grande[440].
Il suscite pourtant un
tel respect qu’il dirige dans toutes les classes sociales, des laïcs et des
prêtres, des supérieurs de monastères. Il forme pendant quatre ans à l’Ermitage le futur premier évêque de
Québec, Mgr de Laval. Il initie à l’oraison des dizaines de religieuses en
faisant des conférences au parloir du monastère de Jourdaine.
Ce renouveau mystique
s’étendra de Caen à Paris par l’intermédiaire de monsieur Bertot (1620-1681),
son ami devenu confesseur de l’abbaye des bénédictines de Montmartre[441],
puis par madame Guyon (1647-1717), la dirigée laïque de ce dernier, qui lira
Bernières avec admiration et retrouvera la même absence de conventions pour mener
ses amis vers l’oraison.
*
Nous avons
heureusement des témoignages écrits de cette vie mystique. Bernières dictait,
sur ordre de son confesseur, à un prêtre qui vivait chez lui. Il écrivait aussi
beaucoup à ses dirigés : nous donnons ici un aperçu de cette correspondance par
les dix-huit lettres adressées à Jacques
Bertot, « l’ami intime ».
Compilé après sa mort, le Chrétien intérieur a été composé
principalement à partir des lettres précieuses pour son entourage : il
n’est donc pas un traité logique ou une méthode d’oraison.
Dans le livre VII du Chrétien intérieur que nous publions
presque entièrement à la suite de quelques chapitres tirés des livres
précédents, les lettres ont été collationnées les unes à côté des autres comme
on a pu : c’est ainsi que l’on passe du très beau chapitre 10 sur les
ténèbres divines au chapitre 11 qui traite d’une étape
« inférieure », la « petite » oraison de lumières. Mais
cela importe peu : comment ordonner les diverses facettes d’un diamant
d’où sortent une même lumière intérieure ?
On ne doit pas non plus
s’attendre à un « beau style » : la langue est celle d’une
conversation sans prétentions correspondant à la modestie de leur auteur. Par
contre, on trouvera là des comptes-rendus véridiques, un témoignage vécu d’une
grande simplicité. Il parle beaucoup de ses manques. Les choses sont telles
qu’elles sont : il les raconte avec une profonde honnêteté en restant au
plus près de l’expérience.
Ces états mystiques sont
difficiles à décrire :
Je m’exprime comme je puis, car il faut
chercher des termes pour dire quelque chose de la réalité de cet état qui est
au-dessus de toutes pensées et conceptions. Et pour dire en un mot, je vis sans
vie, je suis sans être, Dieu est et vit, et cela me suffit […] Voilà bien des
paroles pour ne rien exprimer de ce que je veux dire.[442]
L’oraison est le fondement de sa vie :
L’oraison est la source de toute vertu en
l’âme ; quiconque s’en éloigne tombe en tiédeur et en imperfection.
L’oraison est un feu qui réchauffe ceux qui s’en approchent, et qui s’en
éloigne se refroidit infailliblement.[443]
Il décrit plusieurs sortes d’oraison, mais
le livre VII propose surtout l’oraison passive dans laquelle il a vécu toutes
ses dernières années. Celle-ci met l’âme dans une nudité totale pour la rendre capable de l’union immédiate et
consommée, dit-il dans une lettre à sa sœur Jourdaine. Elle ne peut souffrir aucune activité, ayant pour
tout appui l’attrait passif de Dieu […] En cet état, il faut laisser opérer Dieu et
recevoir tous les effets de sa sainte opération par un tacite consentement dans
le fond de l’âme.[444]
Cette oraison ne peut s’appuyer que sur un
absolu renoncement à tout ce qui n’est pas Dieu :
Un homme d’oraison doit être un homme mort …
C’est se moquer de vouloir faire oraison et vouloir encore prendre goût aux
créatures.[445]
Il s’attriste :
Ainsi quand nous dormons, nous sommes dans un
profond oubli de Dieu ; mais, ce qui est déplorable, nous continuons cet
oubli dans le réveil, par le peu d’application à Dieu et à ses perfections,
toute notre âme étant occupée aux petites créatures.[446]
Dans une lettre du 29 mars 1654, il affirme
le but de l’Ermitage :
C’est l’esprit de notre ermitage que
d’arriver un jour au parfait néant, pour y mener une vie divine et inconnue au
monde, et toute cachée avec Jésus-Christ en Dieu.
Bien entendu,
Bernières et ses amis sacrifient à la sévérité de la spiritualité de leur
temps : pour participer à la Passion de Jésus-Christ, on se livre à des
pratiques que nous n’admirons plus (discipline tous les jours, croix d’argent à
pointes[447],
etc.). Car Bernières a été formé par « notre
bon père[448] »
Jean-Chrysostome avec une rigueur extrême : celui-ci avait fondé une
« Société de la sainte Abjection[449] »
dont les membres s’engageaient à être en communion avec la vie de Jésus et à
recevoir les mépris et les persécutions comme la divine Providence. Sous cette
grande ombre, Bernières pourchasse ses
imperfections dans les moindres recoins et s’en angoisse au point de craindre
d’être damné !
Aucune satisfaction ne
doit être donnée à la « nature » : il ne faut jamais la
satisfaire, si peu que ce soit. Mais la raison de cette rigueur est beaucoup
plus profonde que des outrances ou un masochisme qui ne sont plus de notre
époque : la grâce, qui est pour lui la présence de Jésus-Christ, doit gouverner
toutes les actions, jamais l’homme naturel :
… ce
qui est purement naturel ne plaît pas à Dieu ; [il] faut que la grâce s’y
trouve afin que l’action lui soit agréable et qu’elle nous dispose à l’union
avec lui.[450]
Il est tourmenté par ses manquements à
l’union permanente :
Je
vous confesse que quand je rentre dans moi-même et que la vie de Jésus-Christ
reçoit interruption ou division, il me semble que je tombe en enfer, sentant
une douleur si cuisante que je ne la puis exprimer.[451]
Durant que l’on goûte
quelque autre chose, quoique très innocemment, l’on cesse de goûter Dieu seul
et c’est cette cessation d’amour que l’âme ne peut souffrir.[452]
L’idéal
est de se laisser gouverner par la grâce :
C’est
un moyen très utile pour l’oraison de s’accoutumer à ne rien faire que par le mouvement
de Dieu. Le Saint-Esprit est dans nous, qui nous conduit : il faut être
poussé de lui avant que de rien faire […] L’âme connaît bien ces mouvements
divins par une paix, douceur et liberté d’esprit qui les accompagne, et quand
elle les a quittées pour suivre la nature, elle connaît bien, par une secrète
syndérèse [remords de conscience] qu’elle a commis une
infidélité.[453]
La charité en
particulier ne doit s’appuyer que sur cette vie intérieure profonde et, dans
ses dernières années, il se méfie de toute action qui ne serait pas dictée par
un mouvement de la grâce :
Ne
vous embarrassez point des choses extérieures sans l’ordre de Dieu bien
reconnu, si vous n’en voulez recevoir de l’affliction d’esprit et du déchet
dans votre perfection. […] Oh, que la pure vertu est rare ! Ce qui paraît le meilleur est mélangé
de nature et de grâce.[454]
C’est dans ses Lettres à l’ami intime, que Bernières se
dévoile le plus : bien que son ami soit plus jeune, il est visible qu’il
le considère comme son égal. Il peut lui parler à cœur ouvert des états les
plus profonds de ses dernières années :
Je
ne puis vous exprimer par pensées quel bonheur c’est de jouir de Dieu dans
le centre…
Plus
Dieu s’élève dans le centre de l’âme, plus on découvre de pays d’une étendue
immense, où il faut aller, et un anéantissement à faire, qui n’est que
commencé : cela est incroyable, sinon à ceux qui le voient en Dieu
même, qu’après tant d’années d’écoulement en Dieu, l’on ne fait que commencer à
trouver Dieu en vérité, et à s’anéantir soi-même …[455]
On est touché de voir que, bien que parvenu
à un haut degré d’union à la fin de sa vie comme le montrent l’évolution de ses
lettres et les admirables derniers chapitres du Chrétien Intérieur, Bernières s’angoissait tellement de ses failles
personnelles qu’il pensait mériter l’Enfer. Il avait donc demandé à Dieu de
mourir subitement, et il fut exaucé. Une tradition de
famille raconte :
« … il demandait toujours à Dieu de
mourir subitement […] rentré à l’Ermitage,
le soir venu, il se mit à dire ses prières. Son valet de chambre vint l’avertir
qu’il était temps pour lui de se mettre au lit. Jean lui demanda un peu de
répit, et continua de prier. Peu après le valet entendit un bruit sourd et
rentra : Bernières venait de tomber de son prie-Dieu, mort. »[456].
On était le 3 mai 1659.
Jean de Bernières, Œuvres Mystiques I, L’Intérieur chrétien
suivi du Chrétien intérieur augmenté des Pensées, Edition critique avec une
étude sur l’auteur et son école par D. Tronc, Ed. du Carmel, coll.
« Sources mystiques », 2011, 518 p.
Jean de Bernières
(1602-1659) a été récemment le sujet d’une journée d’étude à Caen à l’occasion
de son 350e anniversaire où il a été présenté comme le
« mystique de l’abandon et de la quiétude »[457].
Cette rencontre a mise en évidence sa profonde influence sur les premiers
chrétiens canadiens, dont se détachent les belles figures de Marie de
l’Incarnation (1599-1672) et de François de Montmorency-Laval (1623-1708),
premier évêque de Québec. En France son influence s’exerça sur Mectilde de
Bar (-1698), fondatrice d’une congrégation bénédictine consacrée à l’adoration
perpétuelle qui s’étendit jusqu’en Pologne, puis sur monsieur Bertot
(1620-1681), confesseur de la célèbre abbaye bénédictine de Montmartre et
animateur du cercle spirituel qui sera repris par madame Guyon (1648-1717) et
par Fénelon (1651-1715), enfin sur bien d’autres spirituels.
Les figures que nous
venons de citer ont souvent pâti d’un soupçon, - ou d’une accusation - de
« quiétisme » fondé sur leur appréciation indirecte parce que
l’accès à des écrits devenus rares est malaisé. C’est une des raisons pour
faciliter l’accès au fondateur Bernières par l’édition critique du corpus issu de ses écrits. Car c’est en
lisant les témoignages des spirituels que l’on peut se former une opinion
juste, tout en limitant le recours à la littérature foisonnante induite post-mortem sur des bases incertaines
(dont souvent des propositions condamnées que l’on ne retrouve pas dans les
sources).
Mais surtout se révèle
la grandeur du témoignage très personnel du mystique Bernières qui, n’étant pas
entré dans les ordres, n’étant responsable que de lui-même, livre l’intime de
son âme beaucoup plus directement que ne peuvent se le permettre des directeurs
attachés à leur « religion ». On rencontre ici un homme et non
seulement de bons conseils ou une saine doctrine. En cela il est toujours notre
contemporain.
Rétablir Bernières par
« son œuvre », en faisant appel aux meilleures sources de l’abondante
production éditoriale qui suivit sa mort, doit satisfaire à plusieurs
contraintes : proposer au spirituel une nourriture actuelle sous un accès
facile par révisions de l’orthographe et de
la ponctuation des sources ; satisfaire le chercheur par l’édition
intégrale des versions retenues des titres ; préparer le
« dossier » qui facilitera le travail d’un futur traducteur au fil
des annotations du texte courant.
Le volume présent Œuvres mystiques I rassemble l’œuvre
imprimée sous les noms successifs d’Intérieur
Chrétien puis de Chrétien Intérieur,
ce dernier titre incluant assez tardivement des Pensées. Ces titres sont précédés d’une étude qui s’attache aux
sources textuelles, puis aux influences reçues et transmises, apportant ainsi
le complément nécessaire aux évocations biographiques existantes.
Le volume Œuvres mystiques II livrera
prochainement la partie la moins remaniée du corpus en présentant une Correspondance
établie aussi complètement que possible à partir des Œuvres spirituelles (Maximes
et Lettres) et de manuscrits jamais
édités. Cet ensemble sera présenté en ordre chronologique et précédé d’une
étude par le P. Eric de Reviers portant sur l’évolution de la spiritualité de
Bernières.
Plutôt que de
présenter Jean de Bernières (1602-1659) comme une grande figure isolée, nous
préférons montrer sa fécondité en la situant au sein du grand courant mystique
de la quiétude. Il en fut l’animateur encore tout proche de son émergence.
Jean de Bernières n’a jamais songé à écrire une « œuvre » :
celle-ci fut construite post-mortem à
partir de ses lettres et de notes. Mais dans le domaine de l’édition à but
spirituel du XVIIe siècle, Le Chrétien
intérieur eut un succès très important, comparable au rayonnement des
écrits de François de Sales. Décrire finement l’histoire et les contenus des
titres imprimés sous la signature de Bernières permet d’évaluer le crédit
variable à accorder à l’un ou l’autre d’entre eux, car les
sources manuscrites ont été transformées puis perdues. Nos choix
éditoriaux reposent sur cette revue historique associée à l’analyse des
contenus.
Les écrits permettent de témoigner de l’existence de « divins
sentiers », de les baliser, de contrôler l’expérience personnelle. Mais,
par delà des traces écrites, rien ne remplace les rapports directs entre
mystiques vivants : Jean de Bernières est dirigé par un franciscain du
Tiers Ordre Régulier, avant d’être à son tour très actif au sein d’un réseau où
il exerce une influence sur ses amis, puis dirige des cadets. Les habitués de
l’Ermitage construit par ses soins
posent sans le savoir les fondations d’une tradition mystique que nous appelons
« l’école du Pur Amour ».
Leurs traces restent bien visibles sur la durée du siècle, tant que ces
spirituels peuvent agir au grand jour avant la condamnation finale du quiétisme
par le bref Cum alias (1699). Cette
décision d’origine essentiellement politique ne pouvait heureusement pas tarir
un courant mystique qui ne dépend pas des hommes : elle faisait simplement
partie d’une remise en ordre générale, en France, en Italie et en Espagne,
face aux protestants, aux jansénistes, aux mystiques. Ces derniers devinrent
par la suite très discrets, mais nous relèverons des résurgences qui signalent
l’existence de divers ruisseaux souterrains actifs et voyageurs durant les
trois derniers siècles.
A la suite de l’édition des textes, un tableau en deux parties placé en fin
de volume présente le « réseau » mystique où Bernières occupe une
place centrale, constituant un premier « nœud » qui rassemble des
membres de l’école. Enfin une autre annexe décrit dans le détail les éditions.
Jean de Bernières a
écrit des lettres et a rédigé des notes personnelles prises au cours de
retraites. Encore peut-on douter de la continuité vécue de ces
dernières car elles semblent avoir été assemblées à partir d’extraits de
sa correspondance, en conformité avec un genre littéraire aujourd’hui perdu,
celui des « schémas de retraites ».[458]
On a de même constitué
les ouvrages regroupant les mots Chrétien
et Intérieur en assemblant des
extraits de lettres avec toute la liberté permise à l’époque. Leurs éditions
furent un succès de librairie à l’origine d’un célèbre procès entre
éditeurs : l’Intérieur Chrétien
devint l’année suivante le Chrétien
Intérieur aux multiples impressions durant tout le XVIIe siècle et adapté
au cours du siècle suivant :
Le Chrétien
Intérieur … publié en 1661 … atteint dès 1674 sa quatorzième édition et la
même année le libraire Edme Martin estime qu’il en a vendu trente mille
exemplaires ». [459]
Le livre atteint de
fait un public très large. Il est facile à lire. Il présente peu d’idées neuves
mais est plein d’onction. Un choix orienté, de façon parfois doloriste, adapte
le grand mystique Jean à l’esprit de son temps, ce qui ne pouvait que favoriser
sa réception. Aussi le titre apparaît-il même dans des bibliothèques très
réduites. Ainsi :
[La]
veuve de Pierre Helyot [460]
… détient les Fleurs des saints en
deux volumes in-folio, le Chrétien
Intérieur de Bernières-Louvigny, une Explication
des cérémonies de la messe et une quinzaine d’autres petits livres de
dévotion dont … une préparation à la mort ». [461]
L'histoire à
rebondissements du succès du premier titre L’Intérieur
Chrétien (1659) trop rapidement devenu Le
Chrétien intérieur (ce dernier selon deux versions :
« primitive » de 1660 et « tardive » de 1676) a été
décortiquée avec soin et sagacité par Heurtevent et Luypaert[462].
L’apparition d’Œuvres spirituelles
(1670) distinctes et fiables, enfin l’ajout au Chrétien de Pensées
(1676) complètent les Chrétiens.
Présentons les acteurs, puis nous tenterons d’éclairer les
rebondissements de la pièce jouée :
Il faut citer en
premier lieu Jourdaine de Bernières
(1596-1645), qui entra au couvent des Ursulines, construit magnifiquement en
1624 avec l’argent de la famille. Dirigée par son cadet Jean, elle devient
supérieure du couvent dès 1630 et fait montre d’une belle autorité qui peut
s’accompagner de conseils pittoresques : ainsi à propos d’une novice à
éprouver, « Mettez-la à bouillir… », écrit-elle[463].
D’autres religieuses du même couvent auront également un rôle
déterminant : la Mère Michelle Mangon,
une grande spirituelle cachée, amie du Père Chrysostome de Saint-Lô, ainsi que
la Mère de Saint-Charles. Outre les ursulines qui tentent de contrôler la
situation, de 1659 à 1677 opèrent trois personnages masculins en relation
avec les éditeurs :
Nicolas Charpy de Sainte-Croix (1610-1671 ?)est une figure littéraire
assez connue à l’époque et choisie pour assurer le succès d’une première
édition ; courtisan auprès des Grands, de Mazarin en particulier, il
révélera un caractère aventurier après sa disgrâce ;
Louis-François d’Argentan (1615-1680), franciscain capucin, poursuit une
activité opiniâtre d’éditeur-rédacteur[464].
Il accèdera aux responsabilités au sein de son ordre :
Le 7 mai 1630, à l'âge de 15 ans, Jean Yver fut admis au
noviciat des capucins et c'est alors que, selon l'usage, il prit le nom de
Louis-François d'Argentan. Un an après, il fit profession et ses supérieurs
l'envoyèrent au couvent de Falaise. Il y demeura jusqu'en 1638 et, à cette
date, revient au couvent d'Argentan. [...] En 1641, le père Louis-François
était lecteur de philosophie au couvent de Caen, tout en prenant part aux
missions prêchées dans la contrée [...] De 1653 jusqu'à sa mort, nous le voyons
occuper les plus hautes charges : deux fois provincial, deux fois définiteur, commissaire
général, gardien de plusieurs couvents et, malgré tout, s'adonnant à une
prédication ininterrompue[465].
Dans son œuvre propre, il fut un abondant mais pâle imitateur de Bernières[466]. Glanons chez lui quelques reflets du maître[467] :
... ne
considérez pas l’humanité seule, ni aussi la divinité seule séparément, ou
l’une après l’autre ... Si donc elle contemple l’une et l’autre ensemble, il
faut qu’elle ait des images et qu’elle n’en ait point en même temps, et dans la
même simple vue ; ce qui semble impossible... Il participe à nos faiblesses et
nous participons à Sa force ... vous Le contemplez souffrant et mourant en
vous-même, bien mieux et plus distinctement que vous ne pourriez Le considérer
endurant en Jérusalem et sur le Calvaire. [I, 268-272]
Il est impossible que la vie naturelle [II,
445] et humaine se rencontre dans une âme avec la divine. La corruption de la
première est la génération de la seconde ; il faut que l’une cesse, si on veut
que l’autre commence : et partant sitôt que la grâce nous conduit à mourir à
nous-mêmes et à nos propres opérations, il faut tout quitter sans réserve, vie,
pensées, désirs, recherches, affections, et demeurer purement passifs à
l’opération divine, qui ne tend qu’à notre mort.
Robert de Saint-Gilles ( ?-1673), de l’ordre des minimes[468],
frère de la Mère Michelle Mangon, est chargé de l’édition des Œuvres spirituelles… qui paraissent en
1670. Il a succédé en 1665 à dom Quinet comme Visiteur du couvent[469].
Quel est le
déroulement des événements ? La première publication cherche à mettre en
valeur un choix bref d’écrits de Bernières sous l’autorité de Nicolas Charpy de
Sainte-Croix : L’Intérieur chrétien
… par un Solitaire, paraît à Paris chez Cramoisy en 1659. Charpy signe
l’ « Epître à Jésus-Christ » ouvrant le petit volume comportant
quatre livres aux courts chapitres. Très probablement d’Argentan a opéré sous
son autorité, en agissant en intermédiaire entre le couvent des ursulines où
devaient se trouver les sources, et l’homme de lettre auquel on fait appel pour
assurer le succès de l’édition.
Le succès dépasse les
espérances. D’Argentan assemble alors hâtivement des sources beaucoup plus
considérables que ce qui venait d’être
publié. Le Chrétien intérieur … par un
Solitaire [d’Argentan], paraît à Rouen en huit livres chez Grivet en
1660.
Survient un procès
prévisible entre éditeurs, dû au succès inattendu. Les deux titres étaient trop
proches même si les contenus différaient largement car 531 pages pleines
succédaient à 165 pages aérées. L’éditeur rouennais Grivet est condamné
(toutefois sans amende) et l’éditeur parisien Cramoisy devient propriétaire des
deux titres avec une exclusivité de neuf ans.
Ce dernier est le
grand gagnant car il va rééditer de nombreuses fois le Chrétien : non pas selon sa forme courte initiale, mais selon
la version ample en huit livres compilée par d’Argentan et publiée chez son
concurrent provincial perdant ! Le même titre sort donc successivement
chez deux éditeurs ennemis.
Il faut attendre 1670
pour que toute initiative possible de la part du parti perdant puisse prendre
place, à savoir les ursulines et le maladroit d’Argentan. Pressé de rétablir
avec toute l’ampleur due
« l’œuvre » de son maître Bernières, celui-ci avait en effet
publié hâtivement, et son assemblage manquait de plan et d’équilibre. Jourdaine
et ses ursulines, mécontentes du « gel » imposé pendant neuf ans,
cherchent ailleurs pour une édition future qui assurerait une meilleure mise en
valeur et un plus grand respect de Jean de Bernières. Elles ont recours au
frère de la Mère Michelle Mangon, Robert de Saint-Gilles.
Mais à la date
libératoire, un Official janséniste persécute les ursulines de Jourdaine
(l’interdit est jeté sur le couvent !), tandis que meurt la Mère Mangon.
Cela fait perdre un peu de temps, celui nécessaire à la communauté pour sortir
des épreuves. Robert - sous un titre passe-partout d’Œuvres spirituelles ne prêtant guère à contestation - publie enfin
des lettres soit voilées (premier tome de Maximes),
soit ouvertement (deuxième tome de Lettres).
Elles sont très précieuses car peu remaniées et datant souvent de la fin de vie
de Bernières. La mort de Jourdaine, qui les avait gardées sept ans, les a
rendues disponibles. On est en 1670.
Robert meurt en 1673.
Lors de la réédition en 1675 des Œuvres
spirituelles, la Mère de Saint-Charles annote en marge les Maximes pour indiquer les dates des
lettres dont elles sont extraites, mettant ainsi en évidence la pratique très
générale de fabrication de titres à partir d’extraits de lettres.
En 1676, peut-être par
« émulation », paraissent en adjonction au Chrétien, des Pensées…, assez proches de lettres (et
en présentant nommément certaines).
Enfin d’Argentan
publie en 1677, sous son nom et non plus sous celui d’un
« Solitaire », sa version « améliorée » et augmentée :
Le Chrétien intérieur … par le R.P.
Louis-François d’Argentan, en deux tomes et six traités.
Quatre recueils
manuscrits (deux utilisés pour les Chrétiens ?
deux ajoutés postérieurement et couvrant les années de la fin de vie de
Bernières ?) se seraient égarés au début du XVIIIe siècle : nous
espérons leur découverte[470].
Pierre-Daniel Huet, caennais né en 1630, le savant évêque d’Avranches qui avait
la réputation méritée d’être un observateur scrupuleux, atteste les avoir vus[471]. Il
se plaint à juste titre du travail de réécriture par Louis-François d’Argentan
:
J’ai lu exactement tous les livres de M. de Bernières …
Ses écrits furent abandonnés au Père Louis-François qui les tourna à sa mode,
et c’est de quoi je me suis plaint. Le Chrestien
Intérieur est de ce genre.[472]
Les éditions des Chrétiens furent très nombreuses car la
technique des presses manuelles de l’époque ne permettait de tirer,
généralement en un mois par titre, qu’entre cinq cents et douze cents
exemplaires, ce qui avait pour effet de multiplier les réimpressions. Les
caractères en plomb, principale richesse d’un éditeur (avec le stock imprimé
non relié), étaient constamment réemployés[473].
Ces recompositions d’une impression à la suivante d’un même texte, ainsi que le
métier indépendant des relieurs permettant facilement de modifier l’assemblage
d’imprimés et l’adjonction éventuelle de correctifs, explique la multiplicité
des éditions et les variations si souvent constatées entre elles. Ceci demande
de ne pas s’en tenir à une seule page de titre en tête d’ouvrage, mais de
décrire attentivement les contenus et des paginations souvent multiples car
reprises.
La multiplicité des
éditions des Chrétiens peut heureusement
se rattacher à trois « familles » : Intérieur Chrétien de 1659, Chrétien
Intérieur « primitif » de 1660 avec adjonction de Pensées en 1676, Chrétien Intérieur « tardif » de 1676. Au sein de chaque
famille, les variations entre rééditions sont mineures.
Par contre, les trois
familles de Chrétiens se distinguent
entre elles très largement. En témoignent en premier lieu de considérables
différences de taille : on passe de ~170 000 caractères (évaluation brute,
espaces compris) pour L’Intérieur Chrétien
de 1659 signé Charpy « assisté » très probablement par d’Argentan, à
~770 000 caractères pour Le Chrétien
Intérieur « primitif » en huit livres (1660) signé « Un
Solitaire » qui n’est autre que le même d’Argentan, enfin à ~1 200
000 caractères pour Le Chrétien Intérieur
« tardif » en deux tomes et dix livres, de 1676, signé nommément par
ce dernier !
Des Pensées viennent se greffer aux
éditions des Chrétiens (aussi bien
« primitif » que « tardif »), peut-être pour leur donner
« du poids » face à la réédition des Œuvres spirituelles. Ces Pensées
bénéficièrent en 1676 de deux éditions
chez le même éditeur, l’une sous forme d’un petit volume indépendant, l’autre
en ajout à l’édition de l’année du Chrétien
intérieur.
Aux ajouts - nouvelles
sources et amplifications -
correspond une baisse de la fidélité aux sources provenant des dictées de
Bernières, et donc de qualité, car d’Argentan était moins doué que son maître,
comme il a la grande honnêteté de
l’avouer en évoquant ses propres écrits dans l’édition même de ceux de son
maître :
… à mon grand regret, elles [ses propres Conférences Théologiques] n’allument
pas, ce me semble, un si grand feu dans la volonté, parce qu’elles n’ont pas
cette abondance de l’onction divine, qui se fait goûter par tout le Chrétien Intérieur … qu’il n’est pas en
notre pouvoir de donner à nos paroles, si le saint Esprit ne répand sa grâce
sur nos lèvres.[474]
Il nous renseigne
aussi avec candeur sur son traitement des écrits de Bernières, suggérant
un large travail de réécriture de sa part. Nous citons largement, compte tenu
de l’incidence sur le crédit à accorder à certaines parties faibles du Chrétien et aussi parce que d’Argentan
souligne involontairement fort bien la « fatigue » que ressentent des
spirituels non mystiques à la lecture de textes abordant des états élevés sans
images :
…il y a beaucoup de redites [chez Bernières] … étant
vrai que les lumières et les affections que la grâce répand dans une âme, sont
bien souvent les mêmes, sinon qu’elles se perfectionnent toujours dans la
suite, et qu’elles la font passer dans des états bien plus purs et plus élevés.
Mais on n’y voit pas cette variété de pensées, de matières, ni de sujets qui
divertit dans les autres livres, et qui empêche que la lecture n’en soit
ennuyeuse. Il a fallu débrouiller tout cela avec assez de fatigue et mettre
quelque ordre où il n’y en avait aucun. Et après tout, il s’y trouvera encore
peut-être, un peu trop de répétitions…
N'attendez pas dans ce petit livre [du Chrétien] une disposition si régulière,
ni une liaison si juste des matières qu'il traite. Il [Bernières] ne parle pas
pour instruire personne, il va où Dieu le conduit, et bien heureux qui le
pourra suivre. Et ne m'accusez pas si je n'ai pas été si exact à écrire tout ce
qu'il a dit sur un sentiment que j'ai quelquefois trouvé plus étendu qu'il ne
fallait ; ou si j'ai d'autres fois ajouté quelques lignes du mien quand
Dieu m'en a donné la lumière et que j'ai cru qu'il était nécessaire pour un
plus grand éclaircissement.[475]
Indépendamment des Chrétiens et de l’adjonction de Pensées s’ajoutent enfin des Œuvres spirituelles… Maximes et Lettres. On a précédemment
relevé la preuve de la composition des Maximes
à partir de lettres par un ajout marginal de dates lors de leur réédition de
1675.
Jean a écrit à ses
dirigé(e)s : Catherine de Bar, M. Bertot, des amis partis au Canada, des
proches normands… Ces lettres ont été rassemblées dans le second volume des Œuvres spirituelles publié après le
succès du Chrétien intérieur. On a
malheureusement perdu la correspondance avec la vénérable Mère Marie de
l’Incarnation. Par contre on peut tirer parti de textes de Jean-Chrysostome de
Saint-Lô édités par Bernières et comportant de façon voilée la direction de ce
dernier par ce confesseur. Il existe également des copies de lettres non
publiées jusqu’à maintenant, en particulier la correspondance avec Catherine de
Bar préservée au sein des monastères des bénédictines du Saint-Sacrement[476].
Notre ANNEXE :
DESCRIPTION DES EDITIONS ANCIENNES livre la composition précise de prototypes
choisis parmi les éditions auxquelles nous avons eu accès[477],
pour représenter les « branches » ou sources distinctes. Celles-ci sont
finalement au nombre de quatre : « trois Chrétiens et leur cousin ». C’est la base solide nécessaire
pour s’y retrouver dans la jungle des multiples éditions qui ont établi le
rayonnement du mystique.
L’Intérieur Chrétien de 1659 et Le
Chrétien Intérieur en huit livres de 1660 sont relativement fiables car un
an après le décès de Bernières, d’Argentan n’a pas eu le temps de réécrire
son maître. L’adjonction de Pensées
aux Chrétiens Intérieurs est fiable.
Ces trois textes sont repris sous le présent titre : Œuvres mystiques I L’Intérieur
Chrétien suivi du Chrétien Intérieur augmenté des Pensées.
Ce qui fut tardivement
édité sous le nom d’Œuvres spirituelles … Maximes
… Lettres
est beaucoup moins connu mais est plus sûr[478].
On note que les mêmes lettres ne sont pas utilisées dans les Chrétiens et dans les Œuvres spirituelles[479].
La reprise des contenus rassemblés sous ce dernier titre, augmentée de lettres
complémentaires jamais publiées paraîtra sous le titre : Œuvres mystiques II Correspondances.
Enfin en dernier lieu
vient Le Chrétien Intérieur de 1677
largement tributaire d’un d’Argentan peu inspiré mystiquement. Nous ne le
retenons pas.
Les grandes figures
mystiques du XVIIe siècle n’ont pas été des génies solitaires, mais ont vécu au
sein d’un réseau d’amitiés qui les reliait à des personnes qui avaient la même
expérience de Dieu : indifféremment clercs ou laïcs, les aînés incarnent
cette expérience et forment les plus jeunes à l’oraison, chacun étant à son
tour « maître des novices ».
C’est ainsi qu’une
chaîne relie Chrysostome de Saint-Lô à Jean de Bernières, puis Bernières à
Jacques Bertot, enfin Bertot à Jeanne-Marie Guyon. Bien des études restent à
entreprendre pour étudier le réseau étoilé qui s’est formé autour de Bernières,
tâche entreprise par le P. Charles du Chesnay[480].
Le second réseau étoilé autour de Mme Guyon[481]
et de Fénelon reste de même à explorer.
Un autre cheminement
passant par la fondatrice Catherine de Bar et l’ordre des bénédictines du Saint
Sacrement a fait de son côté l’objet d’études assez nombreuses mais pas
toujours largement diffusées[482].
Une expérience vivante
passe ainsi des aînés aux cadets. Dans ce courant, des figures à fort relief
comme Bernières apparaissent comme des noeuds qui rassemblent de multiples
liens. Ainsi Jean bénéficie d’une très ancienne tradition franciscaine incarnée
par « notre bon Père Chrysostome », avant d’être influent sur
Catherine de Bar, sur Jacques Bertot, sur de nombreuses figures dont les
Canadiens. On n’oubliera pas les « frères » plutôt que disciples que
sont Gaston de Renty, Jean Eudes…
Jean est disciple de
Chrysostome de Saint-Lô du Tiers Ordre Régulier [TOR] franciscain et fait
partie du Tiers Ordre laïc étroitement connecté aux réguliers, comme nous le
rapporte l’historien de l’ordre Jean-Marie de Vernon :
Le sieur de Bernières de Louvigny de Caen éclate assez
par son propre lustre, sans que ma plume travaille pour honorer sa mémoire. Son
livre posthume publié sous l'inscription du Chrétien
intérieur avec tant de succès, est une étincelle du feu divin qui
l'embrasait. Les lumières suréminentes dont son esprit était rempli, n'ont pas
pu être toutes exposées sur le papier ni dans leur entière force : comme il était enfant de notre Ordre dont il
a pris l'habit [nos italiques], aussi en a-t-il tendrement aimé tous les
sectateurs[483].
Quand il s’agira
d’éditer une « œuvre » à partir de ses lettres, on fera appel au
franciscain capucin Louis-François d’Argentan, puis à Robert de Saint-Gilles,
de l’ordre des minimes proche des franciscains. Plus tard la liste des amis de
l’école du Pur Amour témoigne d’une très forte imprégnation franciscaine[484] :
la moitié d’entre eux sont membres
des Tiers Ordres régulier ou séculier franciscains.
Nous ne pouvons
alourdir cette introduction en présentant le P. Chrysostome (1594-1646) qui
mérite une étude séparée. Il était ancré dans un franciscanisme vécu
intensément. Malgré des pratiques ascétiques qui remontent au Moyen Age, nous
intéresse toujours chez lui une valeur qui reste intemporelle : son
détachement absolu, vers lequel il entraîne son entourage.
Bernières est donc
dirigé avec un amour sans concession. Il est membre de la confrérie
confidentielle de la « sainte Abjection » fondée sous l’impulsion de
« notre bon Père » Chrysostome. Elle unit ces amis tous pénétrés de révérence
envers la grandeur divine. Pour bien saisir l’esprit intime qui les anime,
voici un échange de lettres entre Jean et son directeur[485] :
Mon révérend père[486],
Je me suis trouvé depuis quelques semaines dans une grande obscurité
intérieure, dans la tristesse, divagation d'esprit, etc. Ce qui me restait en
cet état était la suprême indifférence en la pointe de mon esprit, qui
consentait avec paix intellectuelle à être le plus misérable de tous les hommes
et à demeurer dans cet état de misère où j'étais tant qu'il plaira à notre
Seigneur.
Réponse :
J'ai considéré votre
disposition. Sur quoi, mon avis est que cet état de peine vous a été donné pour
vous disposer à une plus grande pureté et sainteté intellectuelle par une
profonde mort des sens et une véritable séparation des créatures. Je vous
conseille durant cet [94] état de peines :
1. De vous appliquer davantage
aux bonnes oeuvres extérieures qu'à l'oraison,
2. Ayez soin du manger et dormir
de votre corps,
3. Faites quelques pèlerinages
particulièrement aux églises de la sainte Vierge,
4. Ne violentez pas votre âme
pour l'oraison : contentez-vous d'être devant Dieu sans rien faire.
5. Dites souvent de bouche : je
veux à jamais être indifférent à tout état, ô bon Jésus, ô mon Dieu,
accomplissez votre sainte volonté en moi, et semblables. Il est bon aussi de
prononcer des vérités de la Divinité, comme serait : Dieu est éternel, Dieu est
Tout-puissant ; et de la sainte Humanité, comme serait : Jésus a été
flagellé, Jésus a été crucifié pour moi et par amour. Ce que vous ferez encore
que vous n'ayez aucun goût en la prononçant, etc. […]
Le P. Chrysostome
n’hésite pas à éclairer Jean inquiet sur une oraison devenue
« abstraite » après les ferveurs anciennes[487]
:
J'ai lu et considéré le rapport de votre oraison. […103]
1. Souvenez-vous que d'autant plus que la lumière monte
haut dans la partie intellectuelle et qu'elle est dégagée de l'imaginaire et du
sensible, d'autant plus est-elle pure, forte et efficace, tant en ce qui est du
recueillement des puissances qu'en ce qui est de la production de la pureté.
2. Quand vous sentirez disposition à telle lumière,
rendez-vous entièrement passif.
3. Souvenez-vous qu'aucune fois cette vue est si forte
qu'au sortir de l'oraison le spirituel croit n'avoir point affectionné son
objet, ce qui n'est pas pourtant, car la volonté ne laisse pas d'avoir la
tendance d'amour mais elle est comme imperceptible, à cause que l'entendement
est trop pénétré de la lumière. [104]
4. Enfin, souvenez-vous que dans cet état, il suffit que
la lumière soit bonne et opérante, et il n'importe que l'entendement et la
volonté opèrent également ou qu'une puissance absorbe l'autre. Il faut servir
Dieu à sa mode dans telle lumière qui ne dépende point de nous. […]
Mais aussi bien
Chrysostome répond à des questions touchant la vie pratique, par exemple en
réponse au désir de solitude éprouvé par Jean[488]
:
Divisez votre temps et tendez de ne vous donner aux
affaires que par nécessité, prenant tout le temps qu'il vous sera possible pour
la solitude de l'oratoire. O cher frère, peu de spirituels se défendent du
superflu des affaires. O que le diable en trompe sous des prétextes spécieux et
même de vertu. […]
Puis Jean devenu
à son tour directeur d’âmes demande l’avis de son maître :
Comment dois-je conseiller les âmes sur la passivité de
l'oraison ? Les y faut-il porter et quand faut-il qu'elles y entrent et
quels en sont les dangers ?
- Ordinairement
le spirituel ne doit pas prévenir la passivité. Je dis ordinairement, d'autant
que s'il travaille fortement il pourrait demeurer quelque peu de temps sans
agir, s'exposant à la grâce et à la lumière, et éprouver, de temps à autre, si
telle pauvreté lui réussit. Benoît de Canfeld en son Traité de la volonté divine, est de cet avis. Je crois néanmoins
que celui qui s'en servira doit être discret et fidèle. […]
On a beaucoup insisté
sur le caractère sévère de Chrysostome de Saint-Lô. Bernières semble – du moins
au début de son évolution intérieure – être affligé d’un tempérament
scrupuleux. Peut-être faut-il surtout mettre en cause la forme religieuse que
prend à l’époque l’angoisse humaine[489].
Bernières prendra
« à la lettre » les injonctions de son confesseur :
…le Père Jean Chrysostome lui avait écrit que l’actuelle
pauvreté était le centre de sa grâce ... Ce sentiment d’un directeur ...
adressé à un disciple ... en augmentait les ardeurs d’une manière incroyable.
Ainsi il commença tout de bon à chercher les moyens d’être pauvre. Mais comme
son bon directeur n’était plus ici-bas ... il ne trouvait presque personne qui ne
s’y opposât[490].
Mais le même
Chrysostome, comme nous le verrons, sait être libre comme le montre l’aventure
canadienne d’un mariage blanc simulé.
Bernières témoignera
de sa vénération :
…ce me serait
grande consolation que ... nous puissions parler de ce que nous avons ouï dire
à notre bon Père ... puisque Dieu nous a si étroitement unis que de nous faire
enfants d’un même Père... Savez- vous bien que son seul souvenir remet mon âme
dans la présence de Dieu[491] ?
Bernières bénéficie
aussi des conseils de plusieurs amies avancées dans la voie mystique :
La simple mais sainte
« sœur » de Coutances reçoit la visite chaque année de membres de l’Ermitage et ses « dits » sont
consignés par saint Jean Eudes (1601-1680) dans son « manuscrit de
Québec » et par Gaston de Renty (1611-1649) :
Ces conseils ont été donnés apparemment à Mr. de
Bernières, (Voyez dans ses Oeuvres
spirituelles, II. Partie, Lettres XXX, Pour la vie Unitive) ou à Mr.
Bertot, (Voyez ci-dessus lettre XL, §2[492], et
lettre LXIV, §6[493])
ou à quelqu’un de leurs amis, qui avaient tous une grande estime pour cette
fille, et l’allaient voir ordinairement une fois par an.
Sur le don d’anéantissement ou de la foi nue, l’emploi
pour le prochain, la présence réelle de Jésus-Christ, la conversation en esprit
et en silence, la communication essentielle de Dieu :
1. Cette Servante de Dieu étant consultée par un
Serviteur de Dieu[494],
elle lui dit [f°408] d’avoir courage, qu’il n’est point arrivé, mais qu’il est
en chemin ; qu’il faut laisser aller les personnes qui ont des lumières et des
beaux sentiments, que ce n’est point là sa voie. […]
2. Elle a dit qu’elle ne peut rien faire ni penser,
sinon demeurer dans sa maison qui est le néant […]
3. Elle m’a dit quantité de fois : vous voilà en
beau chemin, Dieu vous y conduise. [495] […]
Et Jean Eudes
raconte :
Dans un voyage que M. de Bernières fit à Coutances,
pendant qu’il y fut il alla souvent prendre son repas chez M. Potier où était
la sœur Marie. Or l’un et l’autre firent dessein d’envoyer quérir du sucre et
quelque autre petite délicatesse, afin de le mieux traiter, mais lorsqu’il
était présent, ils ne s’en souvenaient point du tout ; et quand il était
parti, ils étaient fâchés d’y avoir manqué, mais pourtant ils oublièrent encore
par après, excepté un soir qu’ils l’attendaient et qu’ils se souvinrent bien,
mais cette fois il ne vint pas. Ensuite de cela, comme la sœur Marie se
plaignait de leur peu de mémoire, Notre Seigneur lui dit : « C’est ma
divine volonté qui en a ainsi disposé. Elle veut que vous lui aidiez à marcher
dans le chemin de la perfection. Toutes ces choses ne sont que des
retardements, excepté quand on en use par infirmité ou par quelque autre bonne
raison. » [320][496].
Bernières, après
l’avoir connue brièvement et conduite à Dieppe pour son départ au Canada,
restera son correspondant préféré (avec son fils dom Claude Martin), mais les
longues lettres « de quinze ou seize pages » sont malheureusement
perdues :
Ses lettres ne traitaient pour la plupart que de
l’oraison … Il [Bernières] en faisait une estime singulière. Il me dit qu’il
avait connu bien des personnes appliquées à l’oraison … qu’il n’en avait jamais
vu qui en eût mieux l’esprit, ni qui en eût parlé plus divinement.[497].
… notre Mère est une seconde sainte Thérèse … C’est
aussi le sentiment de Monsieur de Bernières … quoiqu’il y eût peu de personnes
éminentes en oraison qui n’eussent communiqué avec lui … je lui ai néanmoins
entendu dire qu’il n’avait jamais vu de personnes élevées au point où était la
mère de l’Incarnation.[498].
On ne peut donc que supposer un échange
fructueux avec la mystique ursuline, en notant que si Marie Guyart reçoit des
« communications de pur amour » avant la fin 1626, devenue Marie de
l’Incarnation, elle est déjà fort avancée mystiquement lors de sa rencontre
avec Jean de Bernières au printemps 1639[499]. On
est en droit de penser qu’elle fut une « aînée » conseillère de
l’approfondissement ultérieur de Jean qui se produit entre 1645 et 1657 par
passage de l’abjection à l’abandon.
La
« sublime » mystique[500],
cachée au sein du couvent des bénédictines de Montmartre, soutint Bernières (et
bien d’autres, dont Catherine de Bar) :
Persuadé que Dieu l’éclairait sur la conduite d’autrui,
on la consultait de tous côtés et même des personnes qui d’ailleurs étaient
fort éclairées : comme Monsieur de Bernières…
Elle lui dit entr’autres choses : … il m’a semblé
que votre âme se rabaissait par trop en réfléchissant sur elle-même, et sur les
opérations divines dans son intérieur. Elle doit être à mon avis plus simple et
s’attacher uniquement à l’Auteur de cet ouvrage et non pas à ses effets. Il vous
doit suffire de lui laisser une pleine liberté d’agir à sa mode et selon son
bon plaisir […]
Monsieur de Bernières étant pressé d’abandonner toutes
choses et d’entreprendre une vie pauvre et réduite à la mendicité … [reçut
cette réponse :]
Votre esprit naturel est agissant et actif … vous devez
demeurer indifférent à tout … seulement vous humilier. C’est en ce point que
consiste la pauvreté d’esprit dans ce vide et dans ce dénuement de toute propre
élection…[501].
Nous allons être brefs
sur la biographie de Bernières : pour de plus amples détails, on se
rapportera au récit vivant et de lecture aisée rédigé par Souriau dès 1913[502]. En
fait, on sait peu de chose se rapportant à l’intime, hors ce qu’il en témoigne
lui-même lors de rares confidences écrites.
Né en 1602, troisième
fils d’un trésorier général de France, il utilisera par la suite une partie de
sa fortune pour de nombreuses fondations caennaises, de concert avec son ami le
baron de Renty. Après la mort de son ami Renty en 1649, il prend la direction
de la Compagnie du Saint-Sacrement de Caen, poursuivant une orientation toute
dirigée vers les pauvres. Il paye de sa personne lorsque maladie et misère sont
en cause.
En 1639, il prend part
de façon originale au départ de Mme de la Peltrie et de Marie de l’Incarnation
pour le Canada. Tout à fait capable de conseiller Mme de la Peltrie en procès
avec sa famille, il gère des ressources pour la fondation des missions du
Canada pendant les vingt années qui suivent le célèbre voyage.
Sur le plan prosaïque
de l’activité professionnelle, Bernières, qui reprit la charge de son père
comme Trésorier à Caen de 1631 à 1653, semble avoir bien rempli son rôle, à en
juger par cette lettre adressée par des Trésoriers de France à Caen le 29
octobre 1648 :
Messieurs, Tous les Bureaux de France vous sont
grandement redevables d'avoir travaillé si utilement et heureusement à nos
affaires communes. Comme ils sont obligés à vous en faire leurs très humbles
remerciements, nous serions bien fâchés qu'aucun nous devançasse à vous en
témoigner sa gratitude. Nous nous acquittons donc de ce devoir et louons Dieu
que le succès a répondu par vos soins à nos espérances [...][503].
Ce rôle ne fut pas de
tout repos car une révolte paysanne lié à l’imposition de l’impôt sur le sel
fut à la même époque durement matée par le terrible chancelier Séguier (dont le
journal intime note le nombre de pendus aux arbres : ils sont censés y
demeurer jusqu’à leur chute naturelle !). Bernières fait alors partie de
la vingtaine de notables agenouillés prêtant serment de fidélité au Roi[504].
De 1646 à 1649, donc à
un âge déjà avancé pour l’époque, il fait bâtir l’Ermitage, maison de retraite spirituelle où il dirige
religieux comme laïcs, dans une grande liberté. « Le directeur des
directeurs de conscience[505] » parle
avec humour d’un « hôpital » un peu particulier qui accueille des
hôtes de passage, maison qu’il a fait construire « au pied » du
couvent de sa sœur Jourdaine[506] :
Il m’a pris un désir de nommer l’Ermitage l’hôpital des Incurables, et de n’y loger avec moi que des
pauvres spirituels [...] Il y a à Paris un hôpital des Incurables pour le
corps, et le nôtre sera pour les âmes[507].
Je vous conjure, quand vous irez en Bretagne, de venir
me voir ; j’ai une petite chambre que je vous garde : vous y vivrez si
solitaire que vous voudrez ; nous chercherons tous deux ensemble le trésor
caché dans le champ, c’est-à-dire l’oraison[508].
Désirant en bon membre
du Tiers Ordre séculier franciscain pratiquer la pauvreté, il veut faire
donation de ses biens, mais…
…Ma belle-sœur
fait de son mieux pour empêcher que je ne sois pauvre ; elle me fait parler
pour ce sujet par de bons religieux ...
il n’y a plus moyen d’être pauvre[509].
Pour ses dernières
années, il a trouvé la solution : il ne possède plus que de ce que lui
donne sa famille et vit avec le strict nécessaire :
J’embrasse la pauvreté quoiqu’elle m’abrège la vie
naturelle[510].
Enfin Jean est
insensible aux différences sociales. Comme le rapporte cette conversation, son
serviteur est pour lui un fils spirituel :
- Vous êtes mon maître, je vous dois tout dire comme à
mon père spirituel - Vous le pouvez, lui dis-je, car je vous aime en
Jésus-Christ, et je vous ai tenu auprès de moi, afin que vous fussiez tout à
lui[511].
Bernières rayonne sur
les amis qui séjournent avec lui à l’Ermitage :
il donne l’exemple d’une pauvreté et d’une charité fondées sur l’oraison et
l’abandon à la grâce divine. Il n’y a aucune opposition entre actifs et
contemplatifs puisque la charité est suscitée par les mouvements intérieurs de
l’Esprit Saint dans l’âme. Jean Eudes (1601-1680), fondateur des eudistes,
incarne aussi cet esprit actif : ils sont du même âge et leur amitié
durera longtemps. De même, avec Gaston de Renty (1611-1649), autre mystique
laïc, et grand seigneur qui passe des armes et des sciences à l’exercice de la
charité, Bernières contribue à la fondation d’hôpitaux, de couvents, de
missions et de séminaires.
Il paye de sa personne, car il va chercher lui-même les
malades dans leurs pauvres maisons, pour les conduire à l’hôpital ... porte sur
son dos les indigents qui ne peuvent pas marcher jusqu’à l’hospice ... il lui
faut traverser les principales rues de la ville : les gens du siècle en rient
autour de lui. [512].
L’influence du cercle
va s’étendre au Canada dans des circonstances pour le moins inhabituelles. Nous
citons cette histoire pittoresque pour illustrer un esprit de liberté et
d’indépendance que l’on ne trouve pas toujours explicite dans des écrits
retravaillés. Mme de la Peltrie, veuve aussi généreuse qu’originale, veut
fonder une maison religieuse au Canada. Sa famille s’y oppose, elle consulte un
religieux qui suggère l’expédient d’un mariage simulé. La proposition est
présentée à M. de Bernières, ce « fort honnête homme qui vivait dans une
odeur de sainteté ». Ce dernier
consulte son directeur :
Celui qui le décida fut le Père Jean-Chrysostome de
Saint-Lô ... Finalement Bernières se décida, sinon à contracter mariage ... du
moins à se prêter au jeu ... en faisant demander sa main. ... La négociation
réussit trop bien à son gré. Au lieu de lui laisser le temps de réfléchir, M.
de Chauvigny [le père], tout heureux de l’affaire « ...faisait tapisser et
parer la maison pour recevoir et inspirait à sa fille les paroles qu’elle lui
devait dire pour les avantages du mariage »[513].
Notons l’intervention
positive du Père Chrysostome, qui peut être sévère mais sans étroitesse
d’esprit, et la « sainte » liberté de tous dans cette affaire qui va
prendre une pente assez comique. Le grand voyage pour le Canada débute par une
tournée de « ramassage » passant par Tours de deux sœurs ursulines
suivi d’une présentation à la Cour et d’un séjour à Paris :
Le groupe comprenait sept personnes, Mme de la Peltrie
et Charlotte Barré, M. de Bernières avec son homme de chambre et son laquais,
et les deux Ursulines dont Marie de l’Incarnation, qui écrit : « M. de
Bernières réglait notre temps et nos observances dans le carrosse, et nous les
gardions aussi exactement que dans le monastère ... A tous les gîtes, c’était
lui qui allait pourvoir à tous nos besoins avec une charité singulière ...
Durant la dernière journée de route, M. de Bernières s’était senti mal : il
arriva à Paris pour se coucher. » Mme de la Peltrie joua jusqu’au bout la
comédie du mariage : « elle demeurait tout le jour en sa chambre, et les
médecins lui faisaient le rapport de l’état de sa maladie et lui donnaient les
ordonnances pour les remèdes ». Mme de la Peltrie et la sœur de
Savonnières s’amusaient beaucoup de cette comédie. M. de Bernières un peu
moins.[514].
Finalement le grand départ de Dieppe de la
flotte de printemps en 1639 emporte Mme de la Peltrie (-1671), fondatrice
temporelle de la communauté ursuline du Québec, et Marie de l’Incarnation
(1599-1672) qui animera cette communauté :
Marie de l’Incarnation est encore sous le coup du
ravissement qu’elle vient d’avoir en la chapelle de l’Hôtel Dieu. M. de
Bernières monta dans la chaloupe avec les partantes ... mais on lui conseilla
de demeurer en France afin de recueillir les revenus de Mme de la Peltrie, pour
satisfaire aux frais de la fondation[515].
Malgré son envie de
partir, le pauvre Bernières restera donc en France pour gérer les ressources
nécessaires aux fondations canadiennes.
Bernières est le
directeur de nombreuses personnes, aussi bien des laïcs que des clercs. Il
dirige sa sœur aînée Jourdaine :
très attachée à son frère, elle sauvera ses écrits et sa mémoire, non sans
rencontrer des contrariétés. On sait aussi qu’il allait souvent parler aux
ursulines pour les former à l’oraison. Ne pouvant traiter même brièvement de
Jourdaine et d’une relation que l’on suppose presque quotidienne, nous
renvoyons à Souriau et aux Annales du
monastère[516].
Catherine de Bar, qui deviendra la sainte « Mère du
Saint-Sacrement » (1614-1698), passe environ un an au monastère de
Montmartre et au moins trois années à Caen où le Père Jean-Chrysostome est
son confesseur. Elle demeurera en correspondance avec Bernières[517], de
même que son nouveau confesseur Epiphane Louys,
mystique attachant et lorrain comme elle, qui se liera également avec Bernières[518].
Jean peut être rude dans ses lettres : « Vous n'êtes pas pourtant
dans cet état [de pur amour], car l'on vous chérit trop »…
Dans ses lettres à
Bernières, on la voit traverser dans sa jeunesse les vides de la purification
mystique :
3 juillet 1643. Monsieur, Notre bon Monsieur Bertot nous
a quittées avec joie pour satisfaire à vos ordres. Il vous dira de nos
nouvelles et de mes continuelles infidélités et combien j'ai de peine à mourir.
Je ne sais ce que je suis, mais je me vois souvent toute naturelle, sans
dispositions de grâces. Je deviens si vide et si pauvre, même de Dieu, que cela
ne se peut exprimer. Cependant il faut selon la leçon que vous me donnez l'un
et l'autre que je demeure ainsi abandonnée, laissant tout désir...
13 novembre 1643. …Il n'y a rien dans mon coeur. Je suis
pauvre véritablement, mais si pauvre que je ne puis exprimer... [519].
Grâce à une vie longue
et féconde, Catherine de Bar transmettra l’esprit de l’Ermitage. Nous ne pouvons consacrer ici une juste place à la
fondatrice d’un ordre toujours vivant et actif à restituer sa mémoire.
Jacques Bertot (1620-1681) ou « Monsieur Bertot »
(il est prêtre), est une figure charnière aussi fondamentale que demeurée
discrète[520] :
il relie Caen et Paris, car il apporte la mystique de l’Ermitage à l’abbaye de
Montmartre, d’où elle rayonnera. Un bref résumé de sa vie ainsi qu’un
témoignage sur la fidélité de disciples est inclus dans l’Avertissement placé en tête des œuvres rassemblées sous le titre Le directeur Mistique [sic] [...] ami intime de feu Mr de Bernières…, publié quarante-cinq ans après
sa mort, par reconnaissance de Mme Guyon envers son directeur :
« Monsieur Bertot ... natif de Coutances [en fait
Caen]... grand ami de ... Jean de Bernières ... s’appliqua à diriger les âmes
dans plusieurs communautés de Religieuses ... [et] plusieurs personnes ...
engagées dans des charges importantes tant à la Cour qu’à la guerre ... Il
continua cet exercice jusqu’au temps que la providence l’attacha à la direction
des Religieuses Bénédictines de l’abbaye de Montmartre proche [de] Paris, où il
est resté dans cet emploi environ douze ans jusqu’à sa mort ... [au]
commencement de mars 1681 après une longue maladie de langueur. ... [Il fut]
enterré dans l’Eglise de Montmartre au côté droit en entrant. Les personnes ...
ont toujours conservé un si grand respect [qu’elles] allaient souvent à son
tombeau pour y offrir leurs prières.
Après des études au
collège de Caen, il devient prêtre et s’attache à Jean de Bernières. C’est probablement à lui qu’est destinée la
majorité des lettres intitulées « à l’ami intime » qui tranchent par
leur ton et leur profondeur particulière sur l’ensemble de la correspondance[521]. On
y sent l’autorité de l’expérience, mais aussi une complicité spirituelle et la
certitude d’être parfaitement compris d’un compagnon qui prend le
chemin commun :
… Dieu seul,
et rien plus. Je n’ai manqué en commencement de cette année de vous offrir à
Notre Seigneur, afin qu’Il perfectionne, et qu’Il achève Son œuvre en vous. Je
conçois bien l’état où vous êtes : recevez dans le fond de votre âme cette
possession de Dieu, qui vous est donnée en toute passiveté, sans ajouter votre
industrie et votre activité, pour la conserver et augmenter. C’est à Celui qui
la donne à le faire, et à vous, mon cher Frère, à demeurer dans le plus parfait
anéantissement que vous pourrez. Voilà tout ce que je vous puis dire, et c’est
tout ce qu’il y a à faire. Plus une âme s’avance dans les voyes de Dieu, moins
il y a de choses à lui dire…[522].
Ce grand mystique aura
une profonde influence, en particulier sur Mme Guyon.
L’action de Bernières
s’étend aussi sur le Canada puisqu’il forme à l’oraison François de Montmorency-Laval (1623-1708) pendant plusieurs
années : celui-ci part au Canada où il deviendra le très saint premier
évêque de Québec[523] (il
emporte avec lui le manuscrit des « dits » de Marie des Vallées). De
nombreux familiers de l’Ermitage partiront au Canada : Ango de Maizerets, dont
la vie se confondra avec celle du séminaire fondé là-bas à l’imitation de
l’Ermitage, et qui se dévouera à l’éducation des enfants ; M. de
Bernières, neveu de Jean, qui meurt à Québec en 1700 ; M. de Mésy,
duelliste raffiné converti, premier gouverneur de Québec ; Roberge, le
fidèle valet de chambre et disciple, y partira après la mort de son
maître… [524].
Henri-Martin Boudon (1624-1702),
l’archidiacre « persécuté » d’Evreux, responsable d’une très
abondante production littéraire, dont la seule biographie existante du P.
Chrysostome, conservera la confiance et l’appui de Bernières. Ce dernier est
ferme dans ses convictions :
Lorsqu’on attaque ses amis, il les défend avec énergie.
Quand le grand archidiacre d’Evreux, Boudon, victime d’une sorte de
conjuration, est menacé d’interdiction, Jean déclare à la cohorte ennemie que
Boudon aura toujours un refuge en sa maison, et que lui, Jean, se trouverait heureux d’être calomnié et
persécuté pour lui [525].
On peut citer bien
d’autres figures : sur place, M. de
Gavrus, neveu de Jean, fonde l’hôpital général de Caen ; Jean Aumont (1608-1689)
« le vigneron de Montmorency », du Tiers Ordre franciscain, est
l’auteur notable et attachant de L’Ouverture
intérieure du royaume de l’Agneau occis dans nos cœurs… ; Lambert de la Motte, devenu Mgr de
Béryte, est l’un des premiers évêques de la Chine.
Usé par une vie très
active, la fin de Bernières sera brusque, exauçant un intime désir né du
souvenir de l’agonie douloureuse de son confesseur le Père Chrysostome :
Il avait pourtant peur de la mort ... Une tradition de
famille rapportait qu’il demandait toujours à Dieu de mourir subitement ... Le
3 mai 1659 ... rentré à l’Ermitage, le soir venu, il se mit à dire ses prières.
Son valet de chambre vint l’avertir qu’il était temps pour lui de se mettre au
lit. Jean lui demanda un peu de répit, et continua de prier…[526].
Son valet de
chambre [Denis Roberge, qui finira ses jours au Canada] ne s’en aperçut [de sa
mort] qu’en l’entendant tomber sur son prie-Dieu. Il avait passé le jour aux
Croisiers, où l’on solemnisait la fête de l’Invention de la Sainte-Croix, jour
précieux pour lui…[527].
Sa mort et sa maladie n’ont duré qu’un quart d’heure.
Sans être aucunement malade, sur les 9 heures du soir, samedi, 3e de
mai … il se souviendra de nous. Il nous aimait.[528].
Lorsque sa vue baissa,
Bernières dictait, sur ordre de son confesseur, ses lettres et ses notes
d’oraison à M. Roquelay, un prêtre qui vivait chez lui. Elles furent assemblées
pour l’Intérieur Chrétien, paru l’année de sa mort, puis pour le Chrétien intérieur paru l’année
suivante.
Nous ne ferons ici que
suggérer quelques aspects essentiels de sa vie intérieure. Quelques passages
suggèrent les diverses facettes d’un diamant d’où sort une même lumière
intérieure. Sur un mode mineur :
Je m’exprime
comme je puis, car il faut chercher des termes pour dire quelque chose de la
réalité de cet état qui est au-dessus de toutes pensées et conceptions. Et pour
dire en un mot, je vis sans vie, je suis sans être, Dieu est et vit, et cela me
suffit […] Voilà bien des paroles pour ne rien exprimer de ce que je veux dire.[529].
L’oraison est le
fondement de sa vie :
L’oraison est
la source de toute vertu en l’âme ; quiconque s’en éloigne tombe en
tiédeur et en imperfection. L’oraison est un feu qui réchauffe ceux qui s’en
approchent, et qui s’en éloigne se refroidit infailliblement.[530].
Il en décrit plusieurs
sortes, mais propose surtout l’oraison passive dans laquelle il a vécu toutes
ses dernières années. Celle-ci met l’âme dans « une nudité totale pour la
rendre capable de l’union immédiate et consommée », écrit-il à sa sœur
Jourdaine. Elle « ne peut souffrir aucune activité, ayant pour tout appui
l’attrait passif de Dieu […] En cet état, il faut laisser opérer Dieu et
recevoir tous les effets de sa sainte opération par un tacite consentement dans
le fond de l’âme. » [531].
Cette oraison ne peut
donc s’appuyer que sur un absolu renoncement à tout ce qui n’est pas
Dieu :
Un homme
d’oraison doit être un homme mort … C’est se moquer de vouloir faire oraison et
vouloir encore prendre goût aux créatures.[532].
Dans une lettre du 29
mars 1654, il affirme le but de l’Ermitage :
C’est l’esprit
de notre Ermitage que d’arriver un
jour au parfait néant, pour y mener une vie divine et inconnue au monde, et
toute cachée avec Jésus-Christ en Dieu.
Aucune satisfaction ne
doit être donnée à la « nature », si peu que ce soit. Mais la raison
de cette rigueur est beaucoup plus profonde que des outrances qui ne sont plus
de notre époque. C’est en effet la grâce, pour lui la présence de Jésus-Christ,
qui doit gouverner toutes les actions, jamais l’homme naturel :
… ce qui est purement naturel ne plaît pas à Dieu ;
[il] faut que la grâce s’y trouve afin que l’action lui soit agréable et
qu’elle nous dispose à l’union avec lui.[533].
L’idéal est de se
laisser gouverner par la grâce :
C’est un moyen très utile pour l’oraison de s’accoutumer
à ne rien faire que par le mouvement de Dieu. Le Saint-Esprit est dans nous,
qui nous conduit : il faut être poussé de lui avant que de rien faire […]
L’âme connaît bien ces mouvements divins par une paix, douceur et liberté
d’esprit qui les accompagne, et quand elle les a quittées pour suivre la
nature, elle connaît bien, par une secrète syndérèse [remords de conscience]
qu’elle a commis une infidélité.[534].
La charité en
particulier ne doit s’appuyer que sur cette vie intérieure profonde et, dans
ses dernières années, il se méfie de toute action qui ne serait pas dictée par
un mouvement de la grâce :
Ne vous embarrassez point des choses extérieures sans
l’ordre de Dieu bien reconnu, si vous n’en voulez recevoir de l’affliction
d’esprit et du déchet dans votre perfection. […] Oh, que la pure vertu est rare ! Ce qui paraît le meilleur est mélangé
de nature et de grâce.[535].
C’est dans ses Lettres à l’ami intime[536], que
Bernières se dévoile le plus : bien que son ami soit plus jeune, il est
visible qu’il le considère comme son égal. Il peut lui parler à cœur ouvert des
états les plus profonds de ses dernières années :
Je ne puis vous exprimer par pensées quel bonheur c’est
de jouir de Dieu dans le centre…
Plus Dieu s’élève dans le centre de l’âme, plus on
découvre de pays d’une étendue immense, où il faut aller, et un
anéantissement à faire, qui n’est que commencé : cela est incroyable,
sinon à ceux qui le voient en Dieu même, qu’après tant d’années d’écoulement en
Dieu, l’on ne fait que commencer à trouver Dieu en vérité, et à s’anéantir
soi-même …[537].
Jean dans sa jeunesse
croyait l’abjection, la volonté
d’anéantissement devant Dieu, supérieure à tout. Il s’aperçoit que l’abandon est le sommet et la base de
tout, ce qui lui fait composer cet hymne sur lequel nous achevons l’aperçu de
sa voie :
Ô cher abandon, vous êtes à présent l'objet de mon amour, qui dans vous se purifie, s'augmente et s'enflamme. Quiconque vous possède, ressent et goûte les aimables transports d'une grande liberté d'esprit. Une âme se perd heureusement en vous, après avoir perdu toutes les créatures pour l'amour de l'abjection, et ne se retrouve jamais qu'en Dieu, puisqu'elle est séparée de tout ce qui n'est point lui.
Ô cher abandon, vous êtes la disposition des dispositions, et toutes les autres se rapportent à vous. Bienheureux qui vous connaît car vous valez mieux que toutes les grâces et toute la gloire de la terre et du ciel. Une âme abandonnée à un pur regard vers Dieu n'a du ressentiment que pour ses intérêts, n'a point de désir, même des croix et de l'abjection : elle abandonne tout pour devenir abandonnée. Peu de paroles ne peuvent expliquer les grands effets que vous produisez dans un intérieur, qui n'est jamais parfaitement établi en Dieu s'il ne l'est en vous. Vous le rendez insensible à toutes sortes d'accidents, rien que votre perte ne le peut affliger.
Vous êtes admirable, mon Dieu, vous êtes admirable dans vos saintes opérations, et dans les ascensions que vous faites faire aux âmes que vous conduisez de lumière en lumière avec une sainte et divine providence qui ne se voit que dans l'expérience. Il me semblait autrefois que la Grâce de l'amour de l'abjection était comme la dernière ; mais vous m'en découvrez d'autres qui me font monter l'âme plus haut.
Ô cher abandon, vous serez sans doute la dernière disposition ; je ne désire que vous et la mort, comme la porte pour entrer dans un abandonnement éternel. Chère mort, que vous me semblez belle et douce ! Que d'attraits vous avez pour moi ! Délivrez-moi de ma captivité, afin que je puisse jouir de mon Bien-Aimé. Néanmoins si votre venue interrompt mon abandon, ne venez pas car vous n'êtes rien en comparaison, et toutes vos délices me sembleraient amères.
Ô cher abandon, vous êtes le bon ami de mon cœur, qui pour vous seul soupire. Mais quand pourrai-je connaître que je vous posséderai parfaitement ? Ce sera lorsque la divine Volonté régnera parfaitement en moi. Car mon âme sera établie dans une entière indifférence au regard des événements et des moyens de la perfection, quand elle n'aura point d'autre joie que celle de Dieu, point d'autre tristesse, d'autre bonheur, d'autre félicité. […][538].
Ce qui a été semé va
germer.
Les amis de l’Ermitage forment une association peu
courante de laïcs et de religieux, sans règle propre aux
« religions » constituées. Ce réseau vivant se rassemble autour de
personnalités qui se succèdent génération après génération : le laïc sieur
de la Forest forme à l’oraison le Père Chrysostome, qui instruit le laïc
Bernières, qui forme ensuite le prêtre Bertot, à qui succèdera une laïque, Mme
Guyon… Quel nom donner à cette succession dans le temps de grandes figures
réunies par le même idéal mystique qu’ils donnent à leur entourage ? Les
expressions “Oratoire du coeur” et “Ecole de l’oraison cordiale” apparaissent
chez Bremond dans le chapitre qu’il consacre quelque peu abusivement à Querdu
Le Gall (une des nombreuses figures secondaires du réseau) et à Jean
Aumont précédemment cité : le prêtre breton et le “vigneron de
Montmorency” sont deux personnages excentrés et excentriques aux images naïves
qui plaisent au conteur de beaux récits illustrés[539].
A la contraction en “Ecole du coeur”,
nous préférons le terme “Ecole du Pur
Amour”, afin d’éviter tout compromission de nature affective compte tenu du
sens dévalué attribué au « cœur » depuis Rousseau et le Romantisme.
Voici par ordre
chronologique les noms et dates de ses principaux animateurs à la suite de ceux
que nous venons de citer en évoquant les
multiples activités de Bernières. Chaque nom de la liste est suivi de son
appartenance religieuse s’il y a lieu, et de quelques mots permettant son
identification[540]. Les
italiques indiquent l’appartenance franciscaine[541] :
Marie des Vallées
(1590-1656) : la « sainte de Coutances » est largement
consultée ; elle est visitée, chaque année au moins, par Jean Eudes qui
note ses admirables dits[542],
Jean de Bernières, Gaston de Renty, Henry Boudon…
Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646) l’organisateur en
Normandie-Bretagne de la seconde province française du Tiers Ordre Régulier
franciscain, « Notre bon Père », qui donne l’impulsion de
départ ;
Jean Eudes
(1601-1680), oratorien missionnaire, fondateur de la congrégation des Eudistes[543].
Jean de Bernières (1602-1659) du Tiers Ordre franciscain, le
saint mystique laïc de Caen.
Jean Aumont (1608-1689) du Tiers Ordre franciscain : « le vigneron de
Montmorency » est un auteur attachant qui mériterait d’être mieux
étudié ;
Gaston de Renty
(1611-1649), seigneur ami de Bernières[544] ;
Catherine de Bar, « la Mère du Saint-Sacrement »
(1614-1698), Annonciade puis fondatrice ;
Jacques Bertot
(1620-1681), prêtre, le « passeur mystique » entre Caen et
Montmartre ;
Henri Boudon (1624-1702) du Tiers Ordre (?), auteur abondant[545]
défendu par Bernières ;
Paulin d’Aumale ( ? – apr. 1694) du Tiers Ordre Régulier,
mêlé à la querelle du quiétisme ;
Archange Enguerrand (1631-1699) Récollet, « le bon
franciscain » connu de Mme Guyon ;
Jeanne-Marie Guyon (1648-1717)
et François de Fénelon (1651-1715), archevêque de Cambrai.
En résumé, ce réseau
d’amis[546],
associant aînés et cadets, s’est constitué autour de Jean-Chrysostome de
Saint-Lô et de son très actif et rayonnant disciple Jean de Bernières basé à
Caen. Le « cercle mystique normand » s’étend ensuite à Paris car M.
Bertot est nommé aumônier du célèbre couvent de bénédictines de
Montmartre : il y anime un cercle où l’on vient de tout Paris. Après sa
mort en 1681, sa dirigée Jeanne-Marie Guyon prend ses dirigés en charge[547].
C’est elle qui éveille à la vie mystique François de Fénelon (1651-1715). Ils
seront nommés « notre mère » et « notre père » par les
disciples qui viendront pratiquer l’oraison à Blois et à Cambrai à la fin d’une
vie redevenue paisible après de multiples persécutions.
Madame Guyon dépend
donc du courant de l’Ermitage[548].
Elle ne cite Bernières qu’indirectement, dans une lettre à un étranger :
« Je vous envoie une lettre d’un grand serviteur de Dieu [Bertot], qui est mort il y a plusieurs
années : il était ami de monsieur de Bernières, et il a été mon directeur dans ma
jeunesse. »[549]. Les
précautions sont en effet nécessaires compte tenu de la condamnation post-mortem de ce dernier en 1689,
associée à celle de Molinos, qui s’avère gênante puisqu’elle se produit pendant
les années actives publiques parisiennes de la « Dame directrice »,
nom malicieux accolé par Monsieur Tronson à l’active animatrice du cercle
mystique « quiétiste ». Madame Guyon manifestera toute son estime
pour Catherine de Bar, la « sainte » Mère du Saint-Sacrement, qu’elle
connaîssait personnellement, ainsi que pour Marie des Vallées :
... pour Sœur Marie des Vallées, les miracles qu’elle a
faits depuis sa mort et qu’elle fait encore en faveur des personnes qui l’ont
persécutée, la justifient assez. C’est une grande sainte et qui s’était livrée
en sacrifice pour le salut de bien des gens. Elle était très innocente, l’on ne
l’a jamais crue dans le désordre mais bien obsédée et même possédée, mais cela
ne fait rien à la chose.[550].
Ce deuxième foyer
parisien animé par madame Guyon est très actif à la fin du XVIIe siècle et
« relance » le courant issu du premier foyer normand animé par
monsieur de Bernières. Il est aujourd’hui possible de l’apprécier dans sa
grandeur parfois abrupte car les écrits originaux sont devenus accessibles[551].
Au sein d’une
expérience mystique bien vivante, on voit de plus apparaître le courant bénédictin entrelacé avec le courant
issu du Tiers Ordre Régulier franciscain
: le célèbre couvent des bénédictines de
Montmartre prend M. Bertot pour confesseur, et Catherine de Bar fonde les
Bénédictines du Saint-Sacrement[552].
Sur la liste des
membres principaux de « l’école du cœur », six (ou peut-être sept)
d’entre eux sont directement rattachés aux courants franciscains, dont quatre (ou cinq) aux deux Tiers Ordres :
deux sont membres du TOR et deux (ou trois) sont membres du TO laïc, auxquels
s’ajoutent un Récollet et l’Annonciade Catherine de Bar devenue fondatrice de
son propre ordre, toujours actif de nos jours. Tous les membres, sauf les
« héritiers » Guyon et Fénelon, sont nés du vivant de l’initiateur,
le Père Jean-Chrysostome.
Ce réseau informel
liant des franciscains à des prêtres séculiers et à des laïcs fut bien vivant
par sa descendance à travers Jacques Bertot, ainsi que par l’intermédiaire des
deux ordres toujours actifs fondés par saint Jean Eudes et par la Mère du
Saint-Sacrement ; il se propagea à travers toute l’Europe (les
bénédictines du Saint-Sacrement sont présentes en Pologne) et au Canada (par la
grande Marie de l’Incarnation correspondante de Bernières).
Nous allons voir que
des cercles spirituels quiétistes inspirés par Mme Guyon s’établirent hors du
Royaume entre 1710 et 1830 : en Hollande autour de Poiret, des Forbes en
Ecosse, de Fleischbein et Dutoit en Suisse et en Allemagne ; par peur des
persécutions anti-mystiques, on sort de France et du monde catholique.
Les mystiques normands animés par Bernières
et leur descendance « étoilée » dans et hors du cadre français
catholique sont la principale contribution du franciscanisme aux temps
modernes. Leurs descendants sont attestés formellement tout au long du Siècle
des Lumières tandis que les influences perdurent ensuite autour du thème de l’abandon.
L’importance de cette
voie mystique a été occultée dès la fin du XVIIe siècle pour deux
raisons : la première raison, évidente, est l’« erreur du
quiétisme » qui lui fut attribuée ; mais l’étiquette s’avère d’un
usage large et flou tandis que les propositions relevées ne se retrouvent pas
dans les textes incriminés[553].
Cette appartenance à une voie ou école ou parti provoquera la condamnation de
Bernières post-mortem en 1689 (à la
suite de celle de Molinos), puis d’un ensemble élargi aux « nouveaux
mystiques » Guyon et Fénelon (bref Cum
alias, 1699). La reconnaissance du rôle de transmission entre Caen et Paris
assuré par M. Bertot est bien établie chez les adversaires, en particulier par
une enquête qui souligne son rôle à la tête du « parti » :
Il y a plus de vingt ans que l’on voit à la tête de ce
parti M. Bertau [Bertot], directeur de feu madame de Montmartre [la supérieure
du couvent des bénédictines]… Madame G[uyon] était, disait-il, sa fille
aînée… » [554].
La seconde raison,
moins évidente, découle d’une situation de fait à cheval entre corps religieux
et société laïque, qui ne permet pas de cerner facilement un corps ou
« religion », première étape pour définir un champ d’études. Cette
école alterne en effet religieux et laïcs comme le montre la séquence
principale de filiation : M. de la Forest - Père Chrysostome – M. de
Bernières – le prêtre Jacques Bertot – Mme Guyon et Fénelon archevêque de
Cambrai. Cette alternance toute moderne s’accorde pourtant avec l’antique
tradition franciscaine des Tiers Ordres Régulier (réservé aux clercs) et
séculier (proposé aux laïcs).
Chez les laïcs, des
vœux particuliers prennent la place des règles religieuses, ce qui rapproche
les uns des autres : Bernières, incité par son directeur
Chrysostome, a mis en œuvre des vœux propres au Tiers Ordre séculier,
réalisant son souci de pratique de la pauvreté.
De même Mme Guyon - qui partage avec Bernières la particularité
d’appartenir à une fort riche famille - témoigne de vœux de chasteté, de
pauvreté, d’obéissance, pris lors de son veuvage :
J’avais fait cinq vœux en ce pays-là [Thonon en
Savoie, à l’époque de la rédaction de son Moyen
court] : le premier de chasteté, que j’avais déjà fait sitôt que je fus
veuve ; celui de pauvreté ; c’est pourquoi je me suis dépouillée de
tous mes biens. Je n’ai jamais confié
ceci à qui que ce soit. Le troisième, d’une obéissance aveugle, à l’extérieur,
à toutes les providences ou à ce qui me serait marqué par mes supérieurs ou
directeurs, et au-dedans, d’une totale dépendance de la grâce. Le quatrième,
d’un attachement inviolable à la sainte Église, ma mère, non seulement dans ses
décisions générales, où tout catholique est obligé de se soumettre, mais dans
ses inclinations, et de procurer le salut de mes frères dans ce même esprit. Le
cinquième était un culte particulier à l’enfance de Jésus-Christ, plus
intérieur qu’extérieur. Et quoique mon âme ne fût plus en état d’avoir besoin
de ces vœux, Notre Seigneur me les fit faire extérieurement et me donna, en
même temps, au-dedans, l’effet réel de ces mêmes vœux. Depuis ce temps, il
n’est pas en mon pouvoir de garder de l’argent : je vis avec une entière
pauvreté.[555]
Ainsi leurs membres
sont solidement ancrés dans la pratique des vertus sans en être esclave :
le franciscain capucin Martial d’Etampes disait : « Servez-vous des
vertus et jamais ne servez les vertus ». Ceci permet à l’école du Pur Amour de poursuivre son
chemin malgré les traverses.
Le premier cercle
constitué autour de M. Bertot fut repris et élargi. Des cercles mystiques se
forment à Blois autour de Mme Guyon et à Cambrai autour de Fénelon : ils
restent très discrets. Une vingtaine de noms sont bien identifiés, desquels se
détachent les ducs et duchesses de Chevreuse et Beauvillier, la duchesse de
Mortemart, Dupuy…, puis à la génération suivante le neveu marquis de Fénelon.
Les autres amis de Fénelon, vivant à ou près de Cambrai, sont par contre mal
identifiés[556].
Ensuite, des courants
souterrains prennent le relais. Les influences furent larges dans le monde
catholique français chez des figures mystiques que l’on trouve rassemblées
autour du thème de l’abandon. Ds
foyers de grande valeur existent : par l’intermédiaire de la Mère de
Siry, François-Claude Milley (1668-1720) est en rapport avec Jean-Pierre
de Caussade (1675-1751) : ces deux jésuites sont « deux maîtres de
l’abandon qui ont puisé à la même source »[557].
Milley écrit à la Mère de Siry :
J’ai vu les lettres spirituelles de M. de Bernières ;
cet ouvrage surpasse tous les autres … j’y ai trouvé mes sentiments pour la
conduite de l’abandon si bien marqués, et exprimés en termes si ressemblants,
que je croyais presque l’avoir copié avant que de le connaître. Les personnes …
disent que c’était moi qui avais fait ces lettres. [558]
On a longtemps attribué au P. de Caussade un
ouvrage majeur : L’Abandon à la
Providence divine, dont on ne connaît pas l’auteur mais qui est
d’« inspiration guyonnienne »[559] :
[Il] fait figure
de superbe rejeton de la tradition guyonnienne … qui inspirera notamment le P.
Grou puis, au XIXe siècle, la spiritualité dite de l’abandon ou de l’enfance,
illustrée par Mgr Gay et Thérèse de Lisieux.
On sait combien ce
beau livre sur l’abandon traverse les siècles et est lu aujourd’hui aux
Etats-Unis comme en France.
L’influence se
prolonge au cours des XIXe et XXe siècles chez le Père Henri Ramières
(1821-1884), jésuite spirituel, premier éditeur de L’Abandon à la Providence divine ; et chez Dom Vital Lehodey
(1857-1948), qui écrivit Le saint Abandon,
1919.
Mais en France
malheureusement, la crainte s’est attachée à toute forme que l’on pouvait
soupçonner d’être « quiétiste », et les noms de l’école du Pur Amour
ont été effacés de la mémoire jusqu’aux réhabilitations modernes par Delacroix,
Brémond, Baruzi, puis par Bergson, Henderson, Cognet, Gondal...
Chez les catholiques,
la vie intérieure est censurée en Italie et en Espagne comme en France, ce qui
limite les traces imprimées. En Europe centrale et du nord, les confessions
calvinistes ou même luthériennes demeurent fortement opposées à toute mystique car
elle est associée primitivement aux moines et moniales combattus par les
réformateurs ; mais des protestants piétistes
sont influencés par le courant guyonnien. Des relais à l’étranger se
constituent au début du XVIIIe siècle :
- en Suisse, à Morges
près de Lausanne, où le notable écrivain vaudois Jean-Philippe Dutoit-Mambrini
(1721-1793) est pasteur dans la seconde moitié du siècle et second éditeur de
l’œuvre guyonnienne dont l’édition primitive était épuisée[560].
Il avait nettement conscience d’une continuité « d’école » comme en
témoigne la saisie effectuée chez ce pasteur piétiste par la sévère police
bernoise à la fin du XVIIIe siècle. Le procès-verbal de saisie de ses livres se
limite à quatre auteurs : Bernières, Bertot, Mme Guyon, Poiret (outre la
Bible et l’Imitation)[561]. Le
groupe guyonnien rencontre par la suite un écho lors du « réveil »
suisse animé par Vinet au début du XIXe siècle, puis semble disparaître.
- En Allemagne le
comte Friedrich von Fleichbein (1700-1774)[562],
dont la jeune femme Pétronille d’Eisweiler connut brièvement le cercle de Blois
et Mme Guyon, associe quiétisme et piétisme rigoriste. Cette association a fait
l’objet d’une description critique par Karl Philipp Moritz (1756-1793) dans son
roman autobiographique Anton Reiser : en contraste avec l’atmosphère mortifère du
cercle piétiste rigoriste, les lectures de Fénelon et de Mme Guyon apportent
ouverture et paix à l’adolescent. Le comte fut en relation avec Dutoit-Mambrini
qui le révérait.
- En Hollande, à
Rijnsburg, le cercle formé autour de Pierre Poiret (1646-1719)[563]
influencera le grand mystique et théologien Tersteegen (1697-1759) qui
« découvrira les écrits de nombreux mystiques, notamment ceux de madame
Guyon … dont il traduira une partie. » [564].
Poiret apprécie les écrits de Bernières. Sa notice sur lui prend place entre
celle de François d’Assise et celle de Henri Suso ! [565].
- En Ecosse à Aberdeen[566], le cercle relié à Mme Guyon par
l’intermédiaire de Pierre Poiret fusionnera avec la belle tradition spirituelle
épiscopalienne, illustré par Henry Scougal [567]
et James Garden[568].
- En Angleterre, à
Londres, le Dr Keith est en relation avec de nombreux intellectuels, tandis
qu’il distribue largement les ouvrages mystiques édités en Hollande par Poiret.
William Law, Wesley le fondateur du
Méthodisme, des quakers sont en relation avec le mouvement du christianisme
intérieur relayé par les écrits guyonniens[569].
La « lumière intérieure » chère au grand mystique quaker Robert
Barclay, dont An Apology for the
True Christian Divinity fut publié en 1678, est à rapprocher au
« christianisme intérieur » vécu dans l’école. Enfin on ne saurait
oublier l’influence sur la franc-maçonnerie (de rite écossais) initiée par le
Chevalier Ramsay[570].
L’étude du devenir de
ces petites rivières après le début du XIXe siècle et hors de France est à
faire. On sait que le cercle de Morges près de Lausanne se sclérose autour de
1832, mais qu’en est-il en Ecosse, Norvège et Suède (les grandes familles
écossaises ayant pied des deux côtés de la Mer du Nord), voire en Russie[571] où
Mme Guyon fut partiellement traduite ?
Enfin, au-delà de ces
influences directes de personne à personne il faudrait étudier les influences
indirectes qui s’opèrent par des écrits. Pour le seul XIXe siècle :
influences « littéraires » relevées chez Benjamin Constant dans son
roman Cécile : « La lecture
de plusieurs ouvrages de Mme Guyon produisit en moi une sorte de calme inusité
qui me fit du bien. J’essayai la
prière… » ; sa sœur Lisette de Constant était d’ailleurs adepte du cercle
des « Ames Intérieures »
issu de Dutoit ; influence dans les Journaux
d’Amiel et de Maine de Biran[572] ;
admiration de Schopenhauer pour madame Guyon et son école[573].
Ce premier tome
présente trois sources. L’Intérieur
Chrétien (1659) est court et clair. Le
Chrétien Intérieur (1660) en huit livres, au texte plus long, forme le
corps de l’ouvrage. Les Pensées
proches de lettres originales lui furent adjointes en 1676.
Nous avons choisi
l’édition du Chrétien Intérieur
« divisé en huit livres … PAR UN SOLITAIRE » , reliée en un
puis en deux volumes après adjonction de Pensées
, de préférence à l’édition sous le même titre assemblée postérieurement en
deux tomes, comportant trois traités chacun, « Par le R. P.
d’ARGENTAN », qui n’est autre que le « solitaire » dévoilé. Il
n’était évidemment pas possible d’éditer cette dernière amplification
textuelle, ni une reprise par ailleurs intéressante par un plan modifié, éditée
tardivement en 1781. Les descriptions détaillées d’éditions caractéristiques de
ces avatars de « l’œuvre » de Bernières constitue une annexe placée
en fin de volume. Une base photographique couvrant l’ensemble de ces sources
est disponible sur demande.
Le dossier des deux Chrétiens sous leurs premières formes[575] et
incluant les Pensées est ainsi rendu
accessible. Il permet une réévaluation sereine sans l’ombre portée par un
« quiétisme » que l’on ne retrouve pas dans les textes.
Le lecteur en quête de
vie intérieure trouvera ici l’expression d’un vécu authentique. Il fera
aisément la distinction entre l’élan et la simplicité profonde propres à
Bernières et les développements oratoires associés par un d’Argentan qui
se pose souvent en « co-auteur ».
Nous indiquons
quelques doublons. Des textes du Chrétien Intérieur reproduits en notes
au début de l’Intérieur Chrétien –
nous n’avons cependant pas poursuivi un exercice assez encombrant - montrent
par les variantes les libertés prises lors du travail de réécriture.
Nous relevons en notes
des origines épistolaires. Ne figurent ici que quelques rares mises en
parallèle de lettres compte tenu de l’édition prochaine d’un second tome
consacré à la Correspondance. Outre
des sources directes, nous avons reproduit des extraits apparentés au texte
courant.
La ponctuation a été
modernisée.
Cette annexe porte sur
les écrits imprimés[576].
Nous décrivons précisément des prototypes par « branches » choisis parmi
leurs très nombreuses éditions[577].
Pour attirer l’attention sur les différences les plus significatives entre ces
éditions, nous soulignons les passages indiquant ces différences. La
description minutieuse est nécessaire pour s’y retrouver dans la jungle des
éditions qui assurèrent l’influence d’un Bernières reconstruit. On ne liste pas
les multiples rééditions très semblables d’une même branche[578].
Se succèdent :
1.
(1) Un Intérieur Chrétien suivi
de deux Chrétiens Intérieurs
[1659]. L’Intérieur Chrétien ou la conformité intérieure, Que doivent
avoir les Chrétiens avec Jésus-Christ, à Rouen, 1659 ; [éd.
rare d’un « petit in-12 de 165 pages » (Heurtevent) ; nous avons
disposé d’une réédition in-12 à Lyon, chez Rolin Glaize, 1677,
comportant : Epître « A Jésus-Christ » (2 p.) signée de N.
Charpy de Ste Croix, Table (5 p.), « Extrait des registres du Conseil
d’Etat » (16 p. !), « Permission » (1 p.),
« L’Intérieur chrétien » divisé en quatre livres, pp. 1-191, soit 25
lignes de ~35 car. / l. , ~170 000 caractères espaces compris].
[1660]. Le Chrétien
Intérieur ou la conformité intérieure que doivent avoir les chrétiens avec
Jésus-Christ, divisé en huit livres, qui contiennent des sentimens tous
divins, tirés des Ecrits d’un grand Serviteur de Dieu de notre Siècle, par
un Solitaire [Jean-François d’Argentan], Claude Grivet, Rouen,
1660 [nous avons disposé de deux petits in-12 : la première édition
sans page de titre et la seconde édition avec p. de titre ; cette dernière
s’avère identique à la précédente mais recomposée (même nombre exact de
pages mais léger décalage du texte) ; elle comporte : Epître « A
Jésus-Christ (10 p. de contenu nouveau) non signée, « Approbation des
docteurs » C. Mallet et F. Jean Soret (2 p.), et Privilège du Roi (3 p.)
suivi de « Ledit Grivet a associé audit Privilège, Jean Viret
Imprimeur… » (7 lignes absentes de la première édition par ailleurs
identique), « Le Chrestien Intérieur » divisé en huit livres, pp.
1-531, Table (des livres premier à huitième, 7 p.), soit 33 lignes de ~44 car.
/ l., ~770 000 caractères espaces compris ou une amplification par un
facteur 4,5 en comparaison de l’Intérieur Chrétien !]
Suivirent de très
nombreuses éditions chez « le libraire d’en face » grand gagnant du
procès, Claude Cramoisy ; puis chez la veuve Edme Martin, Paris …1680,
1684… [ces éditions quasiment identiques corrigent quelques petites erreurs ou
obscurités de la première édition hâtive de Rouen].
Depuis 1676 elles
ont pour titre : Le Chrétien Intérieur ou la conformité intérieure […] par un
Solitaire. Augmenté des Pensées de M. de Bernières Louvigny. ; l’édition
de 1684 comporte deux tomes (reliés ensemble). Tome I : gravure de
Messire Jean de Bernières.., page de titre, « A Jésus-Christ » (12
p.), Table (4 p.) de quatre [premiers] livres, Approbations de Docteurs [les
mêmes], « Le chrestien intérieur. Première partie » suivie des livres
I à IV, pp. 1-414. Tome II : « Le Chrestien intérieur, ou la
conformité […]. Seconde partie. », Table (4 p.) des livres cinquième à
huitième, Table (4 p.) pour le temps de l’Avent, « Le Chrestien Intérieur.
Seconde partie. » suivie des livres V à VIII, pp. 3 -276, suivie des
« Pensées de M. de Bernières Louvigny, ou Sentimens du Chrestien
Intérieur sur les principaux Mystères de la Foi. Pour les plus grandes fêtes de
l’année. », pp. 277-366, suivi de l’ « Extrait du Privilège du
Roi », des « Approbations des Docteurs » [les mêmes], de
l’ « Extrait des Registres du Conseil d’Etat » (8 p.) [au total
Chrétien 688 + Pensées 90 = 778 pages, 29 lignes de 36 car par page,
812 000 caractères avec espaces.]
De nombreuses éditions
suivirent dont : Charles Robustel, Paris, 1690 [textes identiques selon
les mêmes paginations], etc.
[1687]. Le Chrétien
Intérieur ou la conformité intérieure que doivent avoir les chrétiens avec
Jésus-Christ. Tome second. Tiré comme le premier des manuscrits de feu de
sainte mémoire Monsieur de Bernières-Louvigny, autrefois Trésorier de France au
Bureau de Caen. Par le R.P. Louis-François d’Argentan, capucin. Dernière
édition. A Paris, 1687. Contient : « Avertissement nécessaire »
(24 p. de d’Argentan), Table des Traités (premier à troisième du premier livre,
premier à troisième du second livre [579]),
Permission & approbations (6 p. de nombreux frères et de Pirot), extrait du
Privilège du Roi, « Achevé d’imprimer pour la première fois le dernier
jours de décembre 1676 » (2 lignes), [liste incluant les écrits nombreux
(et insipides) de d’Argentan :] « Livres de piété… » (1 p.). « Le
Chestien Intérieur. Livre premier. Où il est traité comment il faut mourir
à la vie pécheresse… » pp. 1 -610 [le texte de cette édition « en deux
tomes » diffère beaucoup de la précédente « en huit livres »].
[1781]. Le Chrétien
Intérieur ou la conformité intérieure que doivent avoir tous les chrétiens avec
Jésus-Christ. Tiré des manuscrits de feu M. de Bernières-Louvigny, Trésorier de
France, décédé à Caen le 3 mais 1659, âgé de 57 ans. Tome premier. Dernière édition. Pamiers &
Bordeaux, 1781. Contient : « Epître à Jésus-Christ » (i à xii),
« Avertissement nécessaire du Père d’Argentan, premier éditeur du Chrétien
Intérieur » (xiii à xix), Approbation
(xix, du seul C. Mallet), « Avis du nouvel éditeur » (xx à xxiv),
« Le Chrétien Intérieur. Livre Premier. Où il est traité comment il faut
mourir à la vie pécheresse… » (pp. 1 -538), Table (des livres premier à troisième[580],
pp. 539 -547), « Permission simple » (1 p.) ; Tome second.
« Le Chrétien Intérieur. Livre Premier. De la vie surhumaine… » (pp.
1 -466), Table (des livres premier à septième[581],
pp. 467-472). - Le texte de cette édition tardive très soignée reprend la
précédente signée d’Argentan mais en inversant les volumes (le tome premier de
1781 correspond au tome second de 1687) et avec quelques modifications
affectant l’ordre, qui sont justifiées p. xxi à xxiii ; 1004 pages de 30 lignes
de ~41 car., ~1 235 000 caractères espaces compris]
2.
(2) Des Œuvres
spirituelles (Maximes et Lettres)
[1670]. Les Oeuvres Spirituelles
de Monsieur de Bernières Louvigni ou conduite assurée pour ceux qui tendent à
la perfection. Divisée en deux parties. La première contient des Maximes pour
l’établissement des trois états de la vie chrétienne. La seconde contient les
Lettres qui font voir la pratique des Maximes. A Paris chez Claude Cramoisy,
1670 ; la veuve d’Edme Martin, 1678 ; Bonaventure le Brun, Rouen,
1678 [Description du Tome I : Le titre
précédent est suivi de : « Le libraire au lecteur » (3
p.), « Discours sur les Œuvres spirituelles… » (21 p.), Approbations
(4 p.), « Maximes et avis spirituels… » 1-287, réparties selon les
vies purgative, illuminative, unitive. Les Maximes sont en fait des lettres,
comme le montrent les dates en marges heureusement placées en marges par la
Mère de Saint-Charles à partir de la nouvelle édition de 1675 ;
description du tome II : Les Oeuvres Spirituelles de Monsieur de Bernières
Louvigni ou conduite assurée pour ceux qui tendent à la perfection. Seconde
partie contenant les lettres qui font voir la pratique des Maximes est suivi
de : « Table … pour la vie purgative, unitive & parfaite,
illuminative » (14 p.), « Lettres ou les maximes et avis spirituels
pour la vie purgative sont mis en pratique » 60 lettres, pp. 1-164,
« Lettres …pour la vie illuminative » 54 lettres, pp. 165 -342,
« Lettres …pour la vie unitive » 61 lettres, pp. 343-523,
Approbations (4 p.) ; 629 pages de 29 lignes de ~41 car., ~750 000
caractères espaces compris.
Ces Œuvres
spirituelles, augmentées de correspondances tirées de la direction de Bernières
par Chrysostome de Saint-Lô ainsi que des échanges entre Bernières et Catherine
de Bar feront l’objet du second tome de la présente édition des Œuvres.
[1676]. Pensées de De
Bernières Louvigny, ou Sentimens du Chestien Intérieur sur les principaux
mystères de la Foi. Pour les plus grandes Festes de l’année. A Paris, Chez la
Veuve d’Edme Martin, au Soleil d’or, et au sacrifice d’Abel. Et Sébastien
Cramoisy, à la Renommée. MDCLXXVI. Avec Privilège du Roi. – Cette édition
comporte : Page de titre, « Le mérite de feu M. de Bernières Louvigny
est si connu… » (3 p.), Table (7 p.), Extrait du Privilège du Roi (2 p.),
« Pensées… [les titres complets des parties suivent les Temps de l’année]
» 1-125). [Il s’agit d’une édition en petit format des 90 pages reproduites à
la suite du Chrétien Intérieur la même année chez la même Edme Martin, édition
décrite précédemment. - La comparaison entre ces Pensées et le Chrétien montre
de grandes différences à l’avantage des Pensées ; de style proche
des lettres et comportant d’ailleurs certaines annoncées comme telles, elles
paraissent relever de sources plus directes que le Chrétien qui d’ailleurs en
reprend fort librement certains passages ; il y a donc des doublons].
Jean de Bernières, Œuvres mystiques II
Correspondance, Lettres et Maximes introduites et annotées par dom Éric de
Reviers, o.s.b., en préparation, 707 p.
Les Lettres et les Maximes sont ici assemblées et ordonnées chronologiquement,
contrairement aux éditions du XVIIe siècle qui adoptent le schéma
des trois voies mystiques, et qui séparent éditions de lettres et extraits
constitutifs de Maximes.
L’ordre chronologique
rétabli permet de mieux apprécier l’admirable évolution intérieure de Jean de
Bernières. Son ascension mystique part de « l’abjection » ou
contemplation de la grandeur divine pour parvenir à l’abandon total à Sa grâce.
On complétera par
quelques lettres déjà publiées dans Œuvres
mystiques I, « Pensées », pages 470, 491, 495-496.
Eclairer Bernières par
lui-même est la meilleure façon de le comprendre. Une partie essentielle de
notre travail a consisté à relever de nombreuses citations du Chrétien Intérieur en consonance avec
les lettres. Le fruit de cette comparaison annotée est frappante : Le Chrétien Intérieur et les Oeuvres spirituelles ont pour sources
deux corpus de lettres distincts. Sauf pour les toutes premières années où l’on
relève des doubles avec les Maximes,
les sources diffèrent dès 1645 environ.
[Source de
Lettres :] Les Œuvres spirituelles de Monsieur de Bernières Louvigni, ou
conduite assurée pour ceux qui tendent à la perfection. Seconde partie,
contenant les Lettres qui font voir la pratique des Maximes. À Rouen, De
l’imprimerie de Bonaventure Le Brun, Imprimeur-Libraire, dans la cour du
Palais, M.DC.LXXVIII., avec Approbations.
[Source de
Maximes :] Les Œuvres spirituelles de Monsieur de Bernières Louvigni, ou
conduite assurée pour ceux qui tendent à la perfection. Divisée en deux
parties. La Première contient des Maximes pour l’établissement des trois états
de la vie chrétienne. La seconde contient les Lettres qui font voir la pratique
des Maximes. Sur l’imprimé, à Paris, Chez la Veuve d’Edme Martin, rue S.Jacques
au Soleil d’or, & au sacrifice d’Abel. M.DC.LXXVIII., avec Approbations.
[La source de Lettres
complémentaires conservées au sein de l’Ordre des bénédictines du
Saint-Sacrement fondé par Mère Mectilde est précisée pour chacune d’entre
elle].
Les exemplaires de
l’édition de Lettres et de Maximes sont fort rares, contrairement à ceux de
multiples éditions du Chrétien Intérieur. Nous avons utilisé deux tomes qui
faisaient partie des archives du Premier Carmel de Paris (et tenons à
disposition des chercheurs leurs saisies photographiques). Suite à la fermeture
du carmel de Clamart, successeur dépositaire du Premier Carmel, ces tomes sont
préservés chez les Carmes d’Avon.
Par ailleurs le
monastère des Bénédictines du Saint-Sacrement de Rouen nous a très
généreusement ouvert ses portes, ce qui a permis d’ajouter aux sources
imprimées des copies de lettres préservées au sein de l’ordre fondé par
Mectilde, l’amie et dirigée de Bernières. Nous remercions dom Joël Letellier
pour le partage de transcriptions mectildiennes. Enfin de nombreux
« parallèles » figurent au sein du Chrétien intérieur, ouvrage bâti à
partir d’une partie disparue de la correspondance : certains sont ici
livrés en notes sous forme d’extraits.
On aura par ailleurs
recours aux travaux de Souriau, Heurtevent, Luypaert, du Chesnay. Ils sont
cités avec de nombreuses autres sources dans Œuvres mystiques I
L’intérieur Chrétien […], coll. « Sources Mystiques », Éditions du
Carmel, 2011, et dans Rencontres autour de Jean de Bernières 1602-1659,
Mectildiana, Parole et Silence, 2013.
1602 naissance de Jean
de Bernières
1631 début de la
construction du couvent des ursulines. Jourdaine de Bernières (1596-1670) en
sera la supérieure
Épidémie à Caen, Jean
Eudes (1601-1680) dans son tonneau.
Jean de B. reprend la
charge de son père de Trésorier de Caen qu’il assurera jusqu’en 1653
1634 Jean de B. et
Jean Eudes fondent une maison pour les filles repenties
1638 début de
correspondance (perdue) avec l’ursuline Marie de l’Incarnation (1599-1672 à
Tours
1639 B. accompagnent
Mme de la Peltrie et de Marie de l’Incarnation. Après un passage à Paris, elles
s’embarquent le 4 mai de Dieppe vers la Nouvelle-France
1644 à 1646 Jean Eudes
persécuté est aidé par le « chrétien parfait » Gaston de Renty (1611-1649)
1646 † de « notre
bon père Chrysostome » (Jean-Chrysostome de Saint-Lô, du Tiers Ordre Régulier franciscain)
Début de la
construction de l’Ermitage, maison
d’accueil achevée trois ans plus tard. B. y habitera.
1647 B. en voyage à
Rouen où se trouve Mectilde (1614-1698). Il voyage parfois ailleurs durant la
années suivantes
1649 † de Renty le 24
avril
B. prend la direction
de la Compagnie du Saint-Sacrement de Caen
1652 guerre civile à
Paris
1655 établissement de
la « maison de charité » de la Compagnie de Caen
Jean Eudes note les
« dits » de « sœur Marie » [M. des Vallées] lors de séjours
à Coutances. Il est en compagnie de B. et d’autres.
Le futur évêque de
Québec Laval à l’Ermitage (François de Montmorency – Laval, 1623-1708)
1656 † de Marie des Vallées
Conflit avec des
jansénistes ; conflit entre les ermites et l’Oratoire jansénisant
1658 Du Four à la
porte du couvent des ursulines
1659 † de Bernières le
3 mai
1660 pamphlet de Du
Four ; interdiction jetée sur le couvent des ursulines
1689 Le Chrétien intérieur traduit en italien
est condamné.
1692 Les Œuvres spirituelles traduites en
italien sont condamnées
Rencontres autour de Monsieur de Bernières
(1603-1659) Mystique de l’abandon et de la quiétude, coll. « Mectildiana », Editions Parole et Silence, 2013, 594 p. [ce
collectif assemblé par J-M. Gourvil & D. Tronc, regroupe les contributions
de dom T. Barbeau, J. Dickinson, J.-M. Gourvil, I. Landy, dom J. Letellier, B.
Pitaud, J. Racapé, dom E.de Reviers, D. Tronc, A. Valli.]
Parmi les mystiques du XVIIe siècle, Jean de Bernières (1602-1659) est une grande figure laïque. Son importance et la profondeur de sa vie intérieure égalent celles de figures religieuses qui le précèdent de peu : l’évêque pasteur des âmes François de Sales (1567-1622), le franciscain capucin Benoît de Canfield (1562-1610), le grand carme Jean de Saint-Samson (1571-1636), l’ursuline amie Marie de l’Incarnation fondatrice au Canada (1599-1672).
L’influence spirituelle et mystique de « Monsieur de Bernières » s’étendit non seulement auprès de ses dirigé(e)s, mais par ses écrits qui, arrangés et publiés peu après sa mort, rencontrèrent un succès inattendu. L’Intérieur chrétien devenu Le Chrétien intérieur bénéficia d’innombrables éditions. Cette influence très large a pu être comparée à celle exercée par L’introduction à la vie dévote de l’évêque de Genève. Bernières figure ainsi parmi les auteurs de spiritualité les plus lus au XVIIe siècle. L’un des éditeurs du Chrétien intérieur dit en avoir imprimé trente mille exemplaires.
Déjà de son vivant il fut une personnalité forte et appréciée. Trésorier de France il collabore à la fondation de nombreuses œuvres à Caen avec saint Jean Eudes et le baron Gaston du Renty. Il est membre influent de la Compagnie du Saint Sacrement. Dans une ville où les protestants et les jansénistes occupent une place importante, et qui connut de nombreux troubles politiques liés à la misère — en 1639 les « nu-pieds » se révoltent — Jean est reconnu comme un catholique artisan de paix. Mais alors que l’autre Jean (Eudes) fut canonisé, le fondateur de l’Ermitage devint suspect, car son oeuvre fut rattachée post-mortem en 1689 au corpus quiétiste (mais lui-même ne fut pas mis en cause) condamné au moment même d’une tentative de béatification à Rome ; ceci en bonne compagnie dont Benoît de Canfeld, confesseur de Monsieur Vincent, et Jean-Joseph Surin.
En effet, entre la disparition en 1659 de monsieur de Bernières et la fin du siècle, la méfiance vis-à-vis des expressions mystiques s’accroît. Le Crépuscule des mystiques, titre évocateur donné par Louis Cognet à sa célèbre étude de la crise quiétiste, marque un tournant dans l’histoire de la spiritualité et dans l’histoire des mentalités : un « univers dionysien » laisse place à l’exercice d’une rationalité moderne peu adaptée aux expressions d’un christianisme intérieur.
La redécouverte de la grande richesse spirituelle du début de l’époque moderne se fera au début du XXe siècle sous l’impulsion d’Henri Bremond. La volonté de sortir Jean de Bernières d’un relatif oubli participe de cette redécouverte des trésors de notre histoire. Car notre époque en recherche est sensible aux témoignages de vécus existentiels. C’est tout justement là où réside l’intérêt de la redécouverte de Bernières : n’ayant pas à tenir compte d’une appartenance à un ordre religieux, cet homme actif autant que contemplatif, se livre intimement et très simplement, toujours avec grande humilité, mais non sans manifester une ferme autorité.
Notre époque a ressuscité de grandes figures mystiques du XVIIe siècle : celles de Canfeld par les travaux d’Orcibal, de Surin par les travaux de Certeau, de Marie de l’Incarnation et de son fils Dom Claude par les travaux de Dom Oury. Si les travaux de Souriau (1913) et de Heurtevent (1938) sortirent Bernières de l’obscurité, il manquait une approche plus récente d’une spiritualité commune aux membres du cercle de l’Ermitage.
Une journée d’étude organisée autour du « Caennais Jean de Bernières mystique de l’abandon et de la quiétude » eut lieu le 13 juin 2009 au cœur de sa ville natale, dans l’église St Jean qu’il a si souvent fréquentée et dans laquelle il avait été inhumé au moment de la disparition du monastère des Ursulines à la fin du XVIIIe siècle. Trois cent cinquante années et un mois après la disparition du mystique le 3 mai 1659, cette première manifestation collective fut organisée à l’initiative de Jean-Marie Gourvil avec l’appui du Centre d’Études Théologiques de Caen et de la paroisse[582]. L’assistance à cette journée fut plus nombreuse que ses organisateurs n’étaient en droit d’espérer. Ce fut un signe de l’intérêt attaché aujourd’hui aux conditions permettant à tous d’exercer une vie mystique complète, active et contemplative tout à la fois, à la suite de la figure exemplaire de Jean.
Le présent ouvrage a été donc construit en complétant largement des matériaux recueillis lors de cette journée d’étude. Tandis que les auteurs de contributions orales ont depuis remanié leur texte, des études complémentaires ont été sollicitées auprès d’autres connaisseurs de Bernières et grands amateurs de ses écrits mystiques. Nous n’avons pas voulu restreindre leurs approches alors même qu’elles privilégient tel disciple plutôt que le maître, car elles illustrent ainsi son rayonnement.
Les amis de Jean de Bernières se retrouvent ainsi
rassemblés. Ils honorent celui dont Bremond déclarait qu’il « ne pense pas autrement que l’unanimité des
grands mystiques, depuis le pseudo Denys jusqu’à saint Jean de la Croix »[583].
Un premier ensemble de deux contributions expose des fondamentaux nécessaires pour SITUER « MONSIEUR DE BERNIERES » : John A. Dickinson présente le cadre normand caractérisé par une dureté des temps et des politiques. Dom Joël Letellier développe en une large fresque l’entourage humain sur lequel Bernières exerça sa profonde influence puis évoque les principaux thèmes de ce « chrétien intérieur. » Le lecteur prendra ici déjà connaissance de nombreux textes issus de ce dernier[584].
Un second ensemble comporte quatre contributions qui présentent les rapports entre JEAN ET SES AMIS SPIRITUELS. Quatre regards convergent ainsi à partir de ces figures vers l’animateur du cercle de l’Ermitage. Il s’agit de l’ursuline Marie de l’Incarnation (du Québec), de l’évêque François de Laval, de la bénédictine fondatrice Mectilde de Bar et du prêtre Jacques Bertot. Plus précisément Isabelle Landy-Houillon s’attache à la présence de Jean dans les écrits de Marie de l’Incarnation et de son fils Dom Martin. Dom Thierry Barbeau nous introduit au bienheureux François de Laval, premier évêque de Québec ainsi qu’à la réplique de l’Ermitage fondée en Nouvelle-France. Le père Bernard Pitaud présente des extraits de la correspondance de la direction spirituelle de Mectilde puis s’attache à l’évolution de cette grande figure fondatrice. Enfin, nous sommes heureux de franchir le cercle francophone grâce à la contribution d’Annamaria Valli, sœur de l’ordre fondé par Mectilde.
Le troisième ensemble présente JEAN DANS SON SIÈCLE. Il comprend deux contributions qui s’attachent aux influences reçues et exercées par delà les figures amies précédentes. Jean-Marie Gourvil présente un Bernières actif soutien des pauvres et rattache notre Trésorier de France dans la grande tradition mystique commune aux Églises chrétiennes qui s’efface avec la condamnation des mystiques et l’enfermement des pauvres à la fin du XVIIe siècle. Dominique Tronc rappelle les influences reçues d’un directeur franciscain puis celles exercées sur divers membres du cercle de l’Ermitage et de leurs descendants à travers des filiations spirituelles.
L’ouvrage ne pouvait se refermer sans LIRE JEAN DE BERNIERES. Dom Éric de Reviers nous propose une lectio autour de trois thèmes : « Dame Pauvreté », le Saint Abandon, l’Oraison mystique. Cette présence de monsieur de Bernières par des extraits de lettres de direction — après les larges citations offertes par Dom Joël Letellier et par le père Bernard Pitaud — est complétée hors correspondance par les lectures qui furent faites en l’église Saint-Jean de Caen à la fin de la journée d’étude.
Enfin des « Sources bibliographiques » soulignent l’importance des travaux de Charles Berthelot du Chesnay et de Paul Milcent, deux disciples récents de saint Jean Eudes qui fut un ami de Jean de Bernières, puis décrit des éditions anciennes, propose les rééditions disponibles et un choix d’études.
Le présent recueil constitue ainsi tout à la fois une étude et un florilège de notre spirituel, en une tresse associant citations, gloses, approches historiques. Des regards indépendants convergent vers l’auteur à partir d’amis qu’il sût rassembler en son Ermitage. Le corpus de son œuvre sera rendu entièrement disponible lorsque le volume de la Correspondance complètera celui des Chrétiens récemment paru.
Il reste pour nos successeurs à approfondir de nombreux thèmes : « Bernières et l’Ecole Rhéno-flamande. » ; « L’Ermitage fut-il un béguinage ? » ; « La grande diversité spirituelle d’amis collaborant à une même œuvre » ; « Bernières et Marie des Vallées » (leurs deux noms sont gravés sur la grande cloche du séminaire de Coutances fondé par saint Jean Eudes…) ; un « Bernières et Thérèse de Lisieux » et, pourquoi pas, un « Bernières et l’hésychasme oriental ».
Mieux comprendre Bernières c’est revenir au témoignage d’une vie mystique vécue par un laïc intégré dans la Cité. La rupture culturelle de la fin du XVIIe siècle marque encore notre mentalité et rend difficile l’accès à une vie ouverte sur le christianisme intérieur et sur sa grande tradition mystique. En approchant « monsieur de Bernières » nous nous intégrons dans la Paradosis trop oubliée.
La contribution à
la journée d’étude organisée en 2009 autour du « Caennais Jean de
Bernières mystique de l’abandon et de la quiétude » constitua l’amorce de l’étude sur l’auteur
et son école qui figure au début du premier volume des oeuvres de Jean publié
deux années plus tard aux Éditions du Carmel[585].
La communication sous sa forme écrite que l’on va lire reprend donc une bonne
partie de cette étude,[586] mais expose en
plus les influences qui s’exercèrent au-delà du Royaume de France et des milieux
catholiques et n’avaient pu trouver place dans cette étude. Elles s’exercèrent
tout au long du XVIIIe siècle et au début du siècle suivant.
Les sources puis
les influences sur l'histoire de la spiritualité sont exposées ici en
trois parties :
I. Influence par des écrits : le succès de librairie d’une œuvre construite post-mortem à partir de lettres assura le rayonnement du mystique en son siècle.
II. Sources et influence directe d’ « Amis spirituels » au XVIIe siècle : les écrits n’ont qu’une influence indirecte, donc modeste, lorsqu’il s’agit de la vie la plus intime. S’attacher aux rapports directs entre mystiques vivants situe Jean au sein d’un réseau issu du franciscanisme puis montre son influence sur ses amis puis ses cadets. Les habitués de l’Ermitage fondèrent « l’école du Pur Amour ». Les traces restent visibles sur la durée du siècle, puisque ses acteurs pouvaient agir au grand jour avant la condamnation du quiétisme par le bref Cum alias en 1699. Ceci justifie le titre attaché au dernier volet :
III. « Rivières cachées » aux siècles suivants. Une condamnation d’origine politique ne peut tarir un courant spirituel qui dépend peu des hommes. Le rejet fit partie d’une remise en ordre générale du Royaume par un Louis XIV confronté aux protestants, opposé aux jansénistes, certes indifférent à toute « mystiquerie », mais laissant pleine liberté à Mme de Maintenon. Les mystiques se cachèrent donc, mais nous relèverons quelques résurgences qui indiquent le parcours de divers ruisseaux souterrains actifs durant les trois derniers siècles.
Jean de Bernières n'a écrit ou dicté que des lettres outre quelques notes personnelles prises au cours de retraites. On a fabriqué le Chrétien Intérieur en les assemblant avec toute la liberté permise à l’époque.
Les éditions furent un succès de librairie à l’origine d’un célèbre procès entre éditeurs : ainsi l’Intérieur Chrétien devint l’année suivante le Chrétien Intérieur aux multiples impressions durant le XVIIe siècle : « Le Chrétien Intérieur … publié en 1661 … atteint dès 1674 sa quatorzième édition et la même année le libraire Edme Martin estime qu’il en a vendu trente mille exemplaires ».[587] Les impressions se poursuivirent aux deux siècles suivants avant de cesser depuis le milieu du XIXe siècle.[588]
Les deux Chrétiens atteignent un public large car ils sont faciles à lire. Ils présentent peu d’idées neuves, mais sont pleins d’onction. Car un choix, orienté par un « co-rédacteur » parfois doloriste, adapte le grand mystique à l’esprit de son temps. Aussi le titre apparaît-il dans des bibliothèques très réduites. Ainsi la « veuve de Pierre Helyot[589] … détient les Fleurs des saints en deux volumes in-folio, le Chrétien Intérieur de Bernières-Louvigny, une Explication des cérémonies de la messe et une quinzaine d’autres petits livres de dévotion dont … une préparation à la mort »[590].
L'histoire à rebondissements provoqués par le succès du premier titre — Intérieur Chrétien (1659), rapidement devenu Chrétien intérieur (ce dernier selon deux versions : « primitive » de 1660 et « tardive » de 1676) — a été décortiquée avec soin et sagacité par Heurtevent et Luypaert[591]. Les deux Chrétiens sont suivis d’Œuvres spirituelles (1670) distinctes et fiables, enfin de Pensées (1676). La brève synthèse suivante porte sur les acteurs, la pièce jouée, la revue des principales éditions selon « une étoile à quatre branches ».
Il faut citer en premier lieu Jourdaine de Bernières (1596-1645), qui entra au couvent des Ursulines, construit magnifiquement en 1624 avec l’argent de la famille. Dirigée par son cadet, elle devient supérieure du couvent dès 1630 et fit montre d’une belle autorité qui put s’accompagner de conseils pittoresques : ainsi à propos d’une novice à éprouver, écrit-elle : « Mettez-la à bouillir… » [592].
D’autres religieuses du même couvent auront également un rôle déterminant : la Mère Michelle Mangon, une grande spirituelle cachée, amie du père Chrysostome de Saint-Lô, ainsi que la Mère de Saint-Charles. Outre ces ursulines qui tentent de contrôler la situation, de 1659 à 1677 opèrent trois personnages masculins en relation avec les éditeurs :
Nicolas
Charpy de Sainte-Croix, figure littéraire assez connue à l’époque,
fut choisi pour assurer le succès d’une première édition. Courtisan auprès des
Grands, de Mazarin en particulier, Charpy révélera un caractère aventurier
après sa disgrâce.
Le père Louis-François d’Argentan (1615-1680), franciscain capucin attirera toujours l’attention des admirateurs de Bernières à la suite de son activité opiniâtre d’éditeur-rédacteur. Jean Yver fût admis au noviciat des capucins sous le nom de Louis François d'Argentan. Un an après, il fit profession et ses supérieurs l'envoyèrent au couvent de Falaise. Il y demeura jusqu'en 1638 et, à cette date, revient au couvent d'Argentan. En 1641, le père Louis-François était lecteur de philosophie au couvent de Caen, tout en prenant part aux missions prêchées dans la contrée. De 1653 jusqu'à sa mort, il est deux fois provincial, deux fois définiteur, commissaire général, gardien de plusieurs couvents et, malgré tout, il s'adonne à une prédication ininterrompue[593]. Il rédige lui-même de nombreux écrits. Ceci explique son rôle encombrant qu’il assuma en réécrivant Bernières. Dans son œuvre propre il en fut un abondant, mais pâle imitateur[594]. Glanons cependant chez lui un reflet du maître[595] :
Ne considérez pas l’humanité seule,
ni aussi la divinité seule séparément, ou l’une après l’autre ... Si donc elle
contemple l’une et l’autre ensemble, il faut qu’elle ait des images et qu’elle
n’en ait point en même temps, et dans la même simple vue ; ce qui semble
impossible... Il participe à nos faiblesses et nous participons à Sa force
...vous Le contemplez souffrant et mourant en vous-même, bien mieux et plus
distinctement que vous ne pourriez Le considérer endurant en Jérusalem et sur
le Calvaire. [I, 268-272].
Le père Robert de Saint-Gilles ( ?-1673), de l’ordre des minimes[596], chargé de l’édition des Œuvres spirituelles… qui paraissent en 1670, succéda en 1667 à Dom Quinet comme Visiteur du couvent. Il était le frère de la Mère Michelle Mangon.
Contons-là au présent pour en rendre toute la vivacité : La première publication cherche à mettre en valeur quelques écrits de Bernières sous l’autorité de Nicolas Charpy de Sainte-Croix : L’Intérieur chrétien … par un Solitaire, paraît à Paris chez Cramoisy en 1659. Charpy signe l’ « Épitre à Jésus-Christ » ouvrant le petit volume comportant quatre livres aux courts chapitres. Très probablement d’Argentan opère sous son autorité, agissant en intermédiaire entre le couvent des ursulines où devaient se trouver les sources, et l’homme de lettre auquel on a fait appel pour assurer le succès de l’édition.
Le succès dépasse les espérances. D’Argentan assemble alors hâtivement des sources qui s’avèrent beaucoup plus considérables que ce qui venait d’être publié. Le Chrétien intérieur … par un Solitaire [d’Argentan], paraît à Rouen en huit livres chez Grivet en 1660.
Survient un procès prévisible entre deux éditeurs. Les titres étaient trop proches même si les contenus différaient largement : 531 pages pleines succédaient à 165 pages aérées ! L’éditeur rouennais Grivet est condamné (toutefois sans amende) et l’éditeur parisien Cramoisy devient propriétaire des deux titres avec une exclusivité de neuf ans. Ce dernier est donc le grand gagnant car il va pouvoir rééditer de nombreuses fois le Chrétien : non pas selon sa propre forme initiale courte, mais selon la version ample en 8 livres compilée par d’Argentan et publiée chez son adversaire, le perdant ! Le même titre sort donc successivement chez deux éditeurs ennemis ce qui n’a pas peu contribué à obscurcir l’historique éditorial.
Il faut donc attendre 1670 pour toute initiative possible de la part des perdants, les ursulines et le maladroit d’Argentan. Il avait de plus publié hâtivement son deuxième Chrétien et son assemblage manquait de plan et d’équilibre. La sœur de Jean, Jourdaine de Bernières, est probablement fort mécontente du « gel » imposé pendant neuf ans à la suite d’une précipitation initiale. Les urulines cherchent ailleurs et ont recours au frère de la Mère Michelle Mangon, le minime Robert de Saint-Gilles.
Mais à la date libératoire, un Official janséniste persécute les Ursulines de Jourdaine (l’interdit est jeté sur le couvent !), tandis que meurt la Mère Mangon. Cela fait perdre un peu de temps, celui nécessaire à la communauté pour sortir des épreuves. Robert — sous un titre passe-partout d’Œuvres spirituelles ne prêtant guère à contestation — publie enfin des lettres soit cachées (premier tome de Maximes), soit ouvertement (deuxième tome de Lettres). Elles sont très précieuses car peu remaniées et datant souvent de la fin de vie de Bernières, rendues disponibles par la mort de Jourdaine qui les avait gardées sept ans. On est en 1670. Robert meurt en 1673.
Lors de la réédition en 1675 des Œuvres spirituelles, les Maximes sont annotées en marges pour indiquer les dates des lettres dont elles sont extraites — heureuse initiative de la nouvelle Mère de Saint-Charles. En 1676 paraissent en adjonction au Chrétien, les Pensées…, assez proches de lettres dont elles sont issues.
Enfin, dernier épisode, d’Argentan publie en 1677, sous son nom et non plus sous celui d’un « Solitaire », sa version « améliorée » : Le Chrétien intérieur … par le R.P. Louis-François d’Argentan, en deux tomes et dix livres.
Les éditions dont nous venons de décrire l’histoire tourmentée ont été établies fort librement à partir de manuscrits rassemblés à la mort de Bernières. Quatre tomes manuscrits (deux utilisés pour le Chrétien ? deux ajoutés postérieurement et couvrant les années de la fin de vie de Bernières ?) se seraient égarés au début du XVIIIe siècle[597]. Pierre-Daniel Huet, caennais né en 1630, le savant évêque d’Avranches qui avait la réputation méritée d’être un observateur scrupuleux, atteste les avoir vus[598]. Il se plaint à juste titre du travail de réécriture par Louis-François d’Argentan :
J’ai lu exactement tous les
livres de M. de Bernières … Ses écrits furent abandonnés au Père Louis-François
qui les tourna à sa mode, et c’est de quoi je me suis plaint. Le Chestien
Intérieur est de ce genre[599].
À notre époque on peut heureusement tirer parti de publications (textes de Chrysostome de Saint-Lô édité par Bernières) ou de lettres non publiées (copies en possession des Bénédictines du Saint-Sacrement). L’ensemble doit inclure la formation de Bernières, par son maître Chrysostome, puis les directions du même Bernières qui échange avec ses proches. Jean transmet ce qu’il a reçu à Mectilde du Saint Sacrement, à Bertot, à des figures devenues canadiennes, etc. On a malheureusement perdu la correspondance avec la vénérable Mère Marie de l’Incarnation.[600]
Les éditions furent très nombreuses car la technique des presses manuelles de l’époque ne permettait de tirer, généralement en un mois pour un titre, qu’entre cinq cents et douze cents exemplaires. Les caractères en plomb, principale richesse d’un éditeur (avec le stock imprimé non relié), étaient constamment réemployés [601]. Ceci (et le fait de l’activité indépendante de reliure permettant facilement de modifier l’assemblage d’imprimés non reliés, l’adjonction de correctifs, etc.) explique la multiplicité des éditions et les variations si souvent constatées entre éditions. Ce qui exige de ne pas s’en tenir aux seuls titres et justifie d’en décrire très attentivement les contenus. Nous renvoyons pour celles de Jean de Bernières à la « Description des éditions anciennes » donnée en annexe de ses Œuvres mystiques I [602].
La multiplicité des éditions du Chrétien se ramènent en fait à trois sources (« Trois frères chrétiens ») : Intérieur Chrétien de 1659, Chrétien Intérieur « primitif » de 1660, Chrétien Intérieur « tardif » remanié de 1676. Indépendamment s’ajoutent des Œuvres spirituelles… Maximes et Lettres. (« Un cousin »).
Les trois familles du Chrétien se distinguent par de considérables différences de taille[603]. Aux ajouts — nouvelles sources et amplifications — correspond une baisse de la fidélité aux sources provenant des dictées de Bernières, et donc de qualité, car d’Argentan était bien moins doué que son maître, comme il a l’honnêteté de l’avouer en évoquant ses propres écrits dans l’édition de ceux de son maître :
À mon grand regret, elles [ses
Conférences théologiques] n’allument pas, ce me semble, un si grand feu dans la
volonté, parce qu’elles n’ont pas cette abondance de l’onction divine, qui se
fait goûter par tout le Chrétien Intérieur … qu’il n’est pas en notre pouvoir
de donner à nos paroles, si le saint Esprit ne répand sa grâce sur nos lèvres[604].
Le « co-auteur » d’Argentan nous renseigne avec candeur sur son traitement des écrits de Bernières suggérant ainsi un large travail de réécriture :
Il y a beaucoup de redites [de Bernières] … étant vrai que les
lumières et les affections que la grâce répand dans une âme, sont bien souvent
les mêmes, sinon qu’elles se perfectionnent toujours dans la suite, et qu’elles
la font passer dans des états bien plus purs et plus élevés. Mais on n’y voit
pas cette variété de pensées, de matières, ni de sujets qui divertit dans les
autres livres, et qui empêche que la lecture n’en soit ennuyeuse. Il a fallu
débrouiller tout cela avec assez de fatigue et mettre quelque ordre où il n’y
en avait aucun. Et après tout, il s’y trouvera encore peut-être, un peu trop de
répétitions…
N'attendez pas dans ce petit livre [du Chrétien] une disposition si
régulière, ni une liaison si juste des matières qu'il traite. Il [Bernières] ne parle pas pour instruire
personne, il va où Dieu le conduit, et bien heureux qui le pourra suivre. Et ne
m'accusez pas si je n'ai pas été si exact à écrire tout ce qu'il a dit sur un
sentiment que j'ai quelquefois trouvé plus étendu qu'il ne fallait ; ou si
j'ai d'autres fois ajouté quelques lignes du mien quand Dieu m'en a donné la
lumière et que j'ai cru qu'il était nécessaire pour un plus grand
éclaircissement[605].
Face à l’édition des Œuvres spirituelles viennent se greffer aux Chrétiens l’ajout de Pensées à partir de 1676. De l’autre côté, la source de la composition de Maximes à partir de lettres est signalée par les ajouts marginaux de dates, mais seulement lors de leur réédition de 1675 en premier tome des Œuvres spirituelles (à l’origine il fallait se placer à la hauteur des Chrétiens en proposant une « œuvre » et pas seulement les lettres du second tome).
En résumé, ce qui fut tardivement édité sous le nom d’ Œuvres spirituelles … Maximes … Lettres (au nombre de 175) est souvent de première qualité. Cet ensemble est beaucoup moins connu que les Chrétiens mais plus fiable[606]. Les mêmes lettres ne sont pas utilisées dans les Chrétiens et dans les Œuvres[607]. On n’oubliera pas l’adjonction tardive de Pensées au Chrétien. Il faudrait enfin y ajouter « près d’une centaine de lettres » localisées par Heurtevent qui prévoyait dès 1938 leur édition[608]. De qualité moindre vient L’Intérieur Chrétien de 1659 et Le Chrétien Intérieur en huit livres de 1660 (le livre VII est toutefois remarquable). Car un an après le décès de Bernières, d’Argentan n’a pas eu le temps de réécrire son maître, ce qui console du plan défectueux ! Enfin en dernier vient Le Chrétien Intérieur de 1677 largement tributaire d’un d’Argentan peu inspiré mystiquement.
En fait il s’agit d'un réseau étoilé reliant en tous sens diverses figures amies. Nous privilégions la chaîne centrale liant Chrysostome de Saint-Lô à Jean de Bernières, ce dernier à « Monsieur Bertot » puis ce prêtre mystique à Jeanne-Marie Guyon… Nous ne faisons ici qu’effleurer le sujet (rien qu’en ce qui concerne la « branche guyonienne »[609], il existe une seconde chaîne passant par Jean Aumont « Le pauvre villageois » et par Archange Enguerrand « le bon franciscain »). Bien des études restent à entreprendre, poursuivant la tâche entreprise par le P. Charles du Chesnay [610].
Il s’agit en fait d’un courant qui passe des aînés aux cadets, où des figures à fort relief comme Bernières puis plus tard comme Guyon et Fénelon apparaissent aux nœuds de multiples liens. Aucun « n’invente » quoi que ce soit, mais il transmet ce qu’il a reçu. Jean de Bernières reçoit d’une très ancienne tradition franciscaine incarnée par « notre bon Père Chrysostome », avant d’être influent sur Mectilde de Bar, Jacques Bertot, de nombreuses figures dont les canadiennes. On n’oubliera pas les « frères » plutôt que disciples que sont Gaston de Renty, saint Jean Eudes…
Jean est disciple de Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646) du Tiers Ordre Régulier franciscain et fit partie du Tiers Ordre laïc étroitement connecté au réguliers, comme nous le rapporte l’historien de l’ordre Jean-Marie de Vernon :
Le sieur de Bernières de Louvigny de
Caen éclate assez par son propre lustre, sans que ma plume travaille pour
honorer sa mémoire. Son livre posthume publié sous l'inscription du Chrétien
intérieur avec tant de succès, est une étincelle du feu divin qui l'embrasait.
Les lumières suréminentes dont son esprit était rempli, n'ont pas pu être
toutes exposées sur le papier ni dans leur entière force : comme il était
enfant de notre Ordre dont il a pris l'habit [nos italiques] ; aussi en
a-t-il tendrement aimé tous les sectateurs [611].
Quand il s’agit d’éditer une « œuvre » à partir de ses lettres, on fait appel à d’Argentan capucin, puis à un minime, ordre assez proche des franciscains. Et plus tard la liste des membres majeurs de l’école du Pur Amour souligne une forte présence franciscaine[612].
Membre de la confrérie confidentielle de la « sainte Abjection » fondée sous l’impulsion du P. Chrysostome, unissant des amis tous pénétrés de révérence envers la grandeur divine, Jean fut dirigé fermement. Il est très important de saisir l’esprit intime qui les anime. Voici un échange de lettres[613] :
Mon révérend père[614],
Je me suis trouvé depuis quelques
semaines dans une grande obscurité intérieure, dans la tristesse, divagation
d'esprit, etc. Ce qui me restait en cet état était la suprême indifférence en
la pointe de mon esprit, qui consentait avec paix intellectuelle à être le plus
misérable de tous les hommes et à demeurer dans cet état de misère où j'étais
tant qu'il plaira à notre Seigneur.
Réponse :
J'ai considéré votre disposition.
Sur quoi, mon avis est que cet état de peine vous a été donné pour vous
disposer à une plus grande pureté et sainteté intellectuelle par une profonde
mort des sens est une véritable séparation des créatures. Je vous conseille
durant cet état de peines :
1. De vous appliquer davantage aux
bonnes oeuvres extérieures qu'à l'oraison,
2. Ayez soin du manger et dormir de
votre corps,
3. Faites quelques pèlerinages
particulièrement aux églises de la Sainte Vierge,
4. Ne violentez pas votre âme pour
l'oraison : contentez-vous d'être devant Dieu sans rien faire.
5. Dites souvent de bouche : je
veux à jamais être indifférent à tout état, ô bon Jésus, ô mon Dieu,
accomplissez votre sainte volonté en moi, et semblables. Il est bon aussi de
prononcer des vérités de la Divinité, comme serait : Dieu est éternel,
Dieu est tout puissant, et de la sainte Humanité, comme serait : Jésus a
été flagellé, Jésus a été crucifié pour moi et par amour. Ce que vous ferez en
corps que vous n'ayez aucun goût en la prononçant, etc.
Le P. Chrysostome n’hésite pas à
éclairer Jean inquiet sur une oraison devenue
« abstraite » après les ferveurs anciennes :
J'ai lu et considéré le rapport de
votre oraison. …
1. Souvenez-vous que d'autant plus
que la lumière monte haut dans la partie intellectuelle et qu'elle est dégagée
de l'imaginaire et du sensible, d'autant plus est-elle pure, forte et efficace,
tant en ce qui est du recueillement des puissances qu'en ce qui est de la
production de la pureté.
2. Quand vous sentirez disposition à
telles lumières, rendez-vous entièrement passif.
3. Souvenez-vous qu'aucune fois
cette vue est si forte qu'au sortir de l'oraison le spirituel croit n'avoir
point affectionné son objet, ce qui n'est pas pourtant. Car la volonté ne
laisse pas d'avoir la tendance d'amour, mais elle est comme imperceptible, à
cause que l'entendement est trop pénétré de la lumière.
4. Enfin, souvenez-vous que dans cet
état, il suffit que la lumière soit bonne et opérante, et il n'importe que
l'entendement et la volonté opèrent également ou qu'une puissance absorbe
l'autre. Il faut servir Dieu à sa mode dans telle lumière qui ne dépende point
de nous. […]
Mais aussi bien Chrysostome répond à des questions touchant la vie pratique, par exemple en réponse au désir de solitude éprouvé par Jean :
Divisez votre temps et tendez de ne
vous donner aux affaires que par nécessité, prenant tout le temps qu'il vous
sera possible pour la solitude de l'oratoire. O cher frère, peu de spirituels
se défendent du superflu des affaires. O que le diable en trompe sous des
prétextes spécieux et même de vertu. […]
Puis Jean devenu à son tour directeur d’âmes demande l’avis de son maître :
Comment dois-je conseiller les âmes
sur la passivité de l'oraison. Les y faut-il porter et quand faut-il qu'elles y
entrent et quels en sont les dangers ?
Réponse :
Ordinairement le spirituel ne doit
pas prévenir la passivité. Je dis ordinairement, d'autant que s'il travaille
fortement il pourrait demeurer quelque peu de temps sans agir, s'exposant à la
grâce et à la lumière, et éprouver, de temps à autre, si telle pauvreté lui
réussit. Benoît de Canfeld en son Traité de la volonté divine, est de cet avis.
Je crois néanmoins que celui qui s'en servira doit être discret et fidèle. […]
L’adhésion à une sévère rectitude permet une transmission mystique dont Bernières témoignera chaleureusement :
Ce me serait grande consolation que
... nous puissions parler de ce que nous avons ouï dire à notre bon Père ...
puisque Dieu nous a si étroitement unis que de nous faire enfants d’un même
Père... Savez-vous bien que son seul souvenir remet mon âme dans la présence de
Dieu ? [615].
On a beaucoup insisté sur le caractère sévère de Chrysostome de Saint-Lô et certes Bernières prendra « à la lettre » ses injonctions :
Le père Jean-Chrysostome lui avait
écrit que l’actuelle pauvreté était le centre de sa grâce ... Ce sentiment d’un
directeur ... adressé à un disciple ... en augmentait les ardeurs d’une manière
incroyable. Ainsi il commença tout de bon à chercher les moyens d’être pauvre. Mais
comme son bon directeur n’était plus ici-bas ... il ne trouvait presque
personne qui ne s’y opposât [616].
Bernières a peut-être eu à surmonter un tempérament scrupuleux, mais il bénéficia des conseils de plusieurs mystiques amies (citées ici suivant l’ordre chonologique) :
La simple, mais sainte « sœur » Marie des Vallées
(1590-1656) reçoit chaque année à
Coutances la visite de membres de l’Ermitage
et ses « dits » sont consignés :
Ces conseils ont été donnés apparemment
à Mr. de Bernières … ou à quelqu’un de leurs amis, qui avaient tous une grande
estime pour cette fille, et l’allaient voir ordinairement une fois par an. Sur le don d’anéantissement ou de la foi nue,
l’emploi pour le prochain, la présence réelle de Jésus-Christ, la conversation
en esprit et en silence, la communication essentielle de Dieu : 1. Cette
Servante de Dieu étant consultée par un Serviteur de Dieu[617], elle lui dit
d’avoir courage, qu’il n’est point arrivé, mais qu’il est en chemin ;
qu’il faut laisser aller les personnes qui ont des lumières et des beaux
sentiments, que ce n’est point là sa voie… 2. Elle a dit qu’elle ne peut rien
faire ni penser, sinon demeurer dans sa maison qui est le néant… 3. Elle m’a
dit quantité de fois, vous voilà en beau chemin, Dieu vous y conduise…[618].
Et nous dit Jean Eudes :
Dans un voyage que M. de Bernières
fit à Coutances, pendant qu’il y fut il alla souvent prendre son repas chez
M. Potier où était la sœur Marie. Or l’un et l’autre firent dessein
d’envoyer quérir du sucre et quelque autre petite délicatesse, afin de le mieux
traiter, mais lorsqu’il était présent, ils ne s’en souvenaient point du
tout ; et quand il était parti, ils étaient fâchés d’y avoir manqué, mais
pourtant ils oublièrent encore par après, excepté un soir qu’ils l’attendaient
et qu’ils se souvinrent bien, mais cette fois il ne vint pas. Ensuite de cela,
comme la sœur Marie se plaignait de leur peu de mémoire, Notre Seigneur lui
dit : « C’est ma divine volonté qui en a ainsi disposé. Elle veut que
vous lui aidiez à marcher dans le chemin de la perfection. Toutes ces choses ne
sont que des retardements, excepté quand on en use par infirmité ou par quelque
autre bonne raison. [320][619].
Bernières, après avoir conduite à Dieppe Marie de l’Incarnation [Guyart] pour son départ au Canada, restera un correspondant préféré mais les longues lettres « de quinze ou seize pages » sont perdues :
Ses lettres ne traitaient pour la
plupart que de l’oraison … Il [Bernières]
en faisait une estime singulière. Il me dit qu’il avait connu bien des
personnes appliquées à l’oraison … qu’il n’en avait jamais vu qui en eût mieux
l’esprit, ni qui en eût parlé plus divinement.[620].
Notre Mère est une seconde sainte
Thérèse … C’est aussi le sentiment de Monsieur de Bernières … quoiqu’il y eût
peu de personnes éminentes en oraison qui n’eussent communiqué avec lui … je
lui ai néanmoins entendu dire qu’il n’avait jamais vu de personnes élevées au
point où était la mère de l’Incarnation.[621].
On ne peut donc que supposer un échange fructueux avec la mystique ursuline en remarquant que Marie Guyart reçoit des « communications de pur amour » avant la fin 1626 et qu’elle est déjà fort avancée mystiquement lors de sa rencontre avec Jean au printemps 1639[622]. Nous pensons qu’elle fut une « aînée » conseillère, notant l’approfondissement ultérieur de Jean de l’abjection à l’abandon.
La bénédictine Charlotte le Sergent (1604-1677), figure cachée au sein du couvent de Montmartre, « sublime » mystique pour Bremond[623], soutint Bernières (et bien d’autres dont Mectilde de Bar) :
Persuadé que Dieu l’éclairait sur la
conduite d’autrui, on la consultait de tous côtés et même des personnes qui
d’ailleurs étaient fort éclairées : comme Monsieur de Bernières… Elle lui
dit entr’autres choses … « il m’a semblé que votre âme se rabaissait par
trop en réfléchissant sur elle-même, et sur les opérations divines dans son
intérieur. Elle doit être à mon avis plus simple et s’attacher uniquement à
l’Auteur de cet ouvrage et non pas à ses effets. Il vous doit suffire de lui
laisser une pleine liberté d’agir à sa mode et selon son bon plaisir… »
Monsieur de Bernières étant pressé
d’abandonner toutes choses et d’entreprendre une vie pauvre et réduite à la
mendicité … [reçut cette réponse :]
Votre esprit naturel est agissant et actif … vous devez demeurer indifférent à
tout … seulement vous humilier. C’est en ce point que consiste la pauvreté
d’esprit dans ce vide et dans ce dénuement de toute propre élection…[624].
Saint Jean Eudes (1601-1680) est du même âge et leur amitié durera longtemps. Le fondateur des Eudistes illustre l’esprit actif de tous les membres de l’Ermitage. Il faut mettre ici en doute l’opposition entre actifs et contemplatifs : le « préquiétiste » Bernières s’usera à la tâche. En fait la distinction s’avère secondaire dès lors que l’ascèse ne prend pas la place de la charité : il s’agit de différences subtiles comme celles qui font le charme des fleurs d’une même famille.
De concert avec Gaston de Renty (1611-1649), autre mystique laïc, grand seigneur qui passe des armes et des sciences à l’exercice de la charité, Bernières contribue à la fondation d’hôpitaux, de couvents, de missions et de séminaires :
Il paye de sa personne, car il va
chercher lui-même les malades dans leurs pauvres maisons, pour les conduire à
l’hôpital ... porte sur son dos les indigents qui ne peuvent pas marcher
jusqu’à l’hospice ... il lui faut traverser les principales rues de la
ville : les gens du siècle en rient autour de lui. [625].
Une histoire souvent reprise illustre un esprit de liberté et d’indépendance que l’on ne trouve pas toujours explicite dans les écrits retravaillés de Jean : Mme de la Peltrie ( -1671), veuve, aussi généreuse qu’originale, veut fonder une maison religieuse au Canada. Sa famille s’y oppose, elle consulte un religieux qui suggère l’expédient d’un mariage simulé. La proposition est présentée à M. de Bernières, ce « fort honnête homme qui vivait dans une odeur de sainteté ». Ce dernier consulte son directeur : « Celui qui le décida fut le Père Jean-Chrysostome de Saint-Lô ... Finalement Bernières se décida, sinon à contracter mariage ... du moins à se prêter au jeu ... en faisant demander sa main. ... La négociation réussit trop bien à son gré. Au lieu de lui laisser le temps de réfléchir, M. de Chauvigny [le père], tout heureux de l’affaire « ...faisait tapisser et parer la maison pour recevoir et inspirait à sa fille les paroles qu’elle lui devait dire pour les avantages du mariage »[626]. Notons l’intervention positive du père Chrysostome, qui peut être sévère, mais sans étroitesse d’esprit, et la liberté de tous dans cette affaire qui prend une pente assez comique quand Bernières est veillé à Paris par Mme de la Peltrie lors d’une maladie.
Car le grand voyage pour le Canada débute par un « ramassage » de deux sœurs à Tours suivi d’une présentation à la Cour et d’un séjour à Paris :
« Le groupe comprenait sept
personnes, Mme de la Peltrie et Charlotte Barré, M. de Bernières avec son
homme de chambre et son laquais, et les deux Ursulines dont Marie de
l’Incarnation, qui écrit : « M. de Bernières réglait notre temps et
nos observances dans le carrosse, et nous les gardions aussi exactement que
dans le monastère ... À tous les gîtes, c’était lui qui allait pourvoir à tous
nos besoins avec une charité singulière ... Durant la dernière journée de
route, M. de Bernières s’était senti mal : il arriva à Paris pour se
coucher. » Mme de la Peltrie joua jusqu’au bout la comédie du mariage :
« elle demeurait tout le jour en sa chambre, et les médecins lui faisaient
le rapport de l’état de sa maladie et lui donnaient les ordonnances pour les
remèdes ». Mme de la Peltrie et la sœur de Savonnières s’amusaient
beaucoup de cette comédie. M. de Bernières un peu moins. »[627].
Finalement le grand départ de Dieppe de la flotte de printemps en 1639 a lieu :
Marie de l’Incarnation est encore
sous le coup du ravissement qu’elle vient d’avoir en la chapelle de
l’Hôtel-Dieu. M. de Bernières monta dans la chaloupe avec les partantes ...
mais on lui conseilla de demeurer en France afin de recueillir les revenus de
Mme de la Peltrie, pour satisfaire aux frais de la fondation.[628].
Jourdaine est l’aînée très attachée à son frère. Elle sauvera, non sans rencontrer des contrariétés, sa mémoire. On sait que Bernières allait souvent parler aux ursulines. Nous renvoyons à Souriau et aux Annales du monastère[629]. « Le directeur des directeurs de conscience[630] » parle avec humour d’un « hôpital » un peu particulier qui accueille des hôtes de passage, maison qu’il a fait construire « au pied » du couvent de Jourdaine :
« Il m’a pris un désir de
nommer l’Ermitage l’hôpital des Incurables, et de n’y loger a avec moi que des
pauvres spirituels [...] Il y a à Paris un hôpital des Incurables pour le
corps, et le nôtre sera pour les âmes. »[631].
« Je vous conjure, quand vous
irez en Bretagne, de venir me voir ; j’ai une petite chambre que je vous
garde : vous y vivrez si solitaire que vous voudrez ; nous
chercherons tous deux ensemble le trésor caché dans le champ, c’est-à-dire
l’oraison. »[632].
Dans une lettre du 29 mars 1654, il affirme le but de l’Ermitage :
« C’est l’esprit de notre
Ermitage que d’arriver un jour au parfait néant, pour y mener une vie divine et
inconnue au monde, et toute cachée avec Jésus-Christ en Dieu. »
Sur le plan de l’activité professionnelle, Bernières, qui fut Trésorier de France à Caen de 1631 à 1653, semble avoir bien rempli son rôle à en juger par cette lettre adressée par des Trésoriers de France à Caen le 29.10.1648 :
« Messieurs, Tous les Bureaux
de France vous sont grandement redevables d'avoir travaillé si utilement et
heureusement à nos affaires communes. Comme ils sont obligés à vous en faire
leurs très humbles remerciements nous serions bien fâchés qu'aucuns nous
devançâssent à vous en témoigner sa gratitude. Nous nous acquittons donc de ce
devoir et louons Dieu que le succès a répondu par vos soins à nos
espérances. »[633].
Au-delà d’un « devoir d’état » pleinement assumé, Jean paye de sa personne lorsque maladie et misère sont en cause, désirant en bon membre du Tiers Ordre franciscain pratiquer la pauvreté. Il veut faire donation de ses biens, mais « Ma belle-sœur fait de son mieux pour empêcher que je ne sois pauvre ; elle me fait parler pour ce sujet par de bons religieux ... il n’y a plus moyen d’être pauvre » [634]. Pour ses dernières années il a trouvé la solution : il ne vit plus que de ce que lui donne sa famille — aussi déclarera-t-il : « J’embrasse la pauvreté quoiqu’elle m’abrège la vie naturelle » [635]. Mais il est tout à fait capable de conseiller Mme de la Peltrie en procès avec sa famille et il gère des ressources pour aiser à la fondation des missions du Canada.
Jean de Bernières fut sensible à l’amitié, mais insensible aux différences sociales :
« Ses serviteurs ... ne sont
pas pour lui de simple laquais, mais de
véritables frères en Jésus-Christ ... Jean rapporte cette conversation
... étonnante : « Vous êtes mon maître, je vous dois tout dire comme
à mon père spirituel – Vous le pouvez, lui dis-je, car je vous aime en
Jésus-Christ, et je vous ai tenu auprès de moi, afin que vous fussiez tout à
lui » [636].
Il est très humble :
« Je m’exprime comme je puis,
car il faut chercher des termes pour dire quelque chose de la réalité de cet
état qui est au-dessus de toutes pensées et conceptions. Et pour dire en un
mot, je vis sans vie, je suis sans être, Dieu est et vit, et cela me suffit …
Voilà bien des paroles pour ne rien exprimer de ce que je veux dire. »[637].
L’oraison est le fondement de sa vie : « L’oraison est la source de toute vertu en l’âme ; quiconque s’en éloigne tombe en tiédeur et en imperfection. L’oraison est un feu qui réchauffe ceux qui s’en approchent, et qui s’en éloigne se refroidit infailliblement. »[638]. Les Chrétiens proposent surtout l’oraison passive dans laquelle il a vécu toutes ses dernières années. Celle-ci met l’âme dans « une nudité totale pour la rendre capable de l’union immédiate et consommée », dit-il dans une lettre à sa sœur Jourdaine. Elle « ne peut souffrir aucune activité, ayant pour tout appui l’attrait passif de Dieu […] En cet état, il faut laisser opérer Dieu et recevoir tous les effets de sa sainte opération par un tacite consentement dans le fond de l’âme. » [639].
Aucune satisfaction ne doit être donnée à la « nature », si peu que ce soit. Mais la raison de cette rigueur est beaucoup plus profonde que des outrances qui ne sont plus de notre époque : la grâce, qui est pour lui la présence de Jésus-Christ, doit gouverner toutes les actions, jamais l’homme naturel : « Ce qui est purement naturel ne plaît pas à Dieu ; [il] faut que la grâce s’y trouve afin que l’action lui soit agréable et qu’elle nous dispose à l’union avec lui. »[640]. L’idéal est de se laisser gouverner par la grâce :
« C’est un moyen très utile
pour l’oraison de s’accoutumer à ne rien faire que par le mouvement de Dieu. Le
Saint-Esprit est dans nous, qui nous conduit : il faut être poussé de lui
avant que de rien faire […] L’âme connaît bien ces mouvements divins par une
paix, douceur et liberté d’esprit qui les accompagne, et quand elle les a
quittées pour suivre la nature, elle connaît bien, par une secrète syndérèse
[remords de conscience] qu’elle a commis une infidélité. »[641].
Dans ses dernières années, il se méfie de toute action qui ne serait pas dictée par un mouvement de la grâce :
« Ne vous embarrassez point des
choses extérieures sans l’ordre de Dieu bien reconnu, si vous n’en voulez
recevoir de l’affliction d’esprit et du déchet dans votre perfection. … Oh, que
la pure vertu est rare ! Ce qui
paraît le meilleur est mélangé de nature et de grâce. »[642].
C’est dans ses Lettres à l’ami intime[643], que Bernières se dévoile le plus : bien que son ami soit plus jeune, il est visible qu’il le considère comme son égal. Il peut lui parler à cœur ouvert des états les plus profonds de ses dernières années :
Je ne puis vous exprimer par pensées
quel bonheur c’est de jouir de Dieu dans le centre… Plus Dieu s’élève
dans le centre de l’âme, plus on découvre de pays d’une étendue
immense, où il faut aller, et un anéantissement à faire, qui n’est que
commencé : cela est incroyable, sinon à ceux qui le voient en Dieu
même, qu’après tant d’années d’écoulement en Dieu, l’on ne fait que commencer à
trouver Dieu en vérité, et à s’anéantir soi-même …[644].
Jean dans sa jeunesse croyait l’abjection supérieure à tout. Il s’aperçoit que l’abandon est le sommet et la base de tout, ce qui lui fait composer cet hymne :
Ô cher abandon, vous êtes à présent
l'objet de mon amour, qui dans vous se purifie, s'augmente et s'enflamme.
Quiconque vous possède, ressent et goûte les aimables transports d'une grande
liberté d'esprit. Une âme se perd heureusement en vous, après avoir perdu
toutes les créatures pour l'amour de l'abjection, et ne se retrouve jamais
qu'en Dieu, puisqu'elle est séparée de tout ce qui n'est point lui. […]
Vous êtes admirable, mon Dieu, vous
êtes admirable dans vos saintes opérations, et dans les ascensions que vous
faites faire aux âmes que vous conduisez de lumière en lumière avec une sainte
et divine providence qui ne se voit que dans l'expérience. Il me semblait
autrefois que la Grâce de l'amour de l'abjection était comme la dernière ;
mais vous m'en découvrez d'autres qui me font monter l'âme plus haut. […]
Ô cher abandon, vous êtes le bon ami
de mon cœur, qui pour vous seul soupire. Mais quand pourrai-je connaître que je
vous posséderai parfaitement ? Ce sera lorsque la divine Volonté régnera
parfaitement en moi. Car mon âme sera établie dans une entière indifférence au
regard des événements et des moyens de la perfection, quand elle n'aura point
d'autre joie que celle de Dieu, point d'autre tristesse, d'autre bonheur,
d'autre félicité. […][645].
Nous somme brefs sur ces amitiés qui sont couvertes dans les communications de cet ouvrage collectif :
Catherine de Bar qui deviendra la sainte « Mère du Saint-Sacrement » (1614-1698) transmet l’esprit de l’Ermitage grâce à une vie particulièrement féconde et longue. Elle passe environ un an au monastère de Montmartre et au moins trois années à Caen où le Père Jean-Chrysostome est son confesseur. Elle demeurera en correspondance avec Bernières[646], de même que son nouveau confesseur Épiphane Louys (1614-1682), mystique attachant et lorrain comme elle, qui se liera également avec Bernières. Jean peut être rude dans ses lettres : « Vous n'êtes pas pourtant dans cet état [de pur amour], car l'on vous chérit trop »… Elle traverse dans sa jeunesse les affres « nocturnes » de purification mystique :
3 juillet 1643. Monsieur, Notre bon
Monsieur Bertot nous a quittées avec joie pour satisfaire à vos ordres. Il vous
dira de nos nouvelles et de mes continuelles infidélités et combien j'ai de
peine à mourir. Je ne sais ce que je suis, mais je me vois souvent toute
naturelle, sans dispositions de grâces. je deviens si vide et si pauvre, même
de Dieu que cela ne se peut exprimer. Cependant il faut selon la leçon que vous
me donnez l'un et l'autre que je demeure ainsi abandonnée laissant tout
désir...
13 novembre 1643. …Il n'y a rien
dans mon cœur . Je suis pauvre véritablement, mais si pauvre que je ne puis
exprimer... [647].
« L’ami intime » Jacques Bertot (1620-1681) ou « Monsieur Bertot » (car il est prêtre), est une figure charnière reliant Caen et Paris, aussi fondamentale que demeurée discrète[648]. Un bref résumé de sa vie ainsi qu’un témoignage sur la fidélité de disciples est inclus dans l’Avertissement placé en tête des œuvres rassemblées sous le titre Le directeur Mistique [...] ami intime de feu Mr de Bernières… publié quarante-cinq ans après sa mort de Bertot en révérence de Mme Guyon à son directeur :
« Monsieur Bertot ... natif de
Coutances [en fait de Caen]... grand ami de ... Jean de Bernières ...
s’appliqua à diriger les âmes dans plusieurs communautés de Religieuses ... [à
diriger] plusieurs personnes ... engagées dans des charges importantes tant à
la Cour qu’à la guerre ... Il continua cet exercice jusqu’au temps que la
providence l’attacha à la direction des Religieuses Bénédictines de l’abbaye de
Montmartre proche [de] Paris, où il est resté dans cet emploi environ douze ans
jusqu’à sa mort ... [au] commencement de mars 1681 après une longue maladie de
langueur. ... [Il fut] enterré dans l’Église de Montmartre au côté droit en
entrant. Les personnes ... ont toujours conservé un si grand respect [qu’elles]
allaient souvent à son tombeau pour y offrir leurs prières.
Après des études au collège de Caen, il devint prêtre et s’attacha à Jean de Bernières. Ce dernier lui écrivit ces lettres « à l’ami intime » qui tranchent par leur ton et leur profondeur particulière sur l’ensemble de la correspondance[649]. On y sent l’autorité de l’expérience, mais aussi une complicité spirituelle et la certitude d’être parfaitement compris d’un jeune compagnon qui prend le chemin commun :
…Dieu
seul, et rien plus. Je n’ai manqué en commencement de cette année de vous offrir
à Notre Seigneur, afin qu’Il perfectionne, et qu’Il achève Son œuvre en vous.
Je conçois bien l’état où vous êtes : recevez dans le fond de votre âme
cette possession de Dieu, qui vous est donnée en toute passiveté, sans ajouter
votre industrie et votre activité, pour la conserver et augmenter. C’est à
Celui qui la donne à le faire, et à vous, mon cher Frère, à demeurer dans le
plus parfait anéantissement que vous pourrez. Voilà tout ce que je vous puis
dire, et c’est tout ce qu’il y a à faire. Plus une âme s’avance dans les voyes
de Dieu, moins il y a de choses à lui dire…[650].
Jean de Bernières forme à l’Ermitage pendant plusieurs années François de Montmorency-Laval (1623-1708), qui emportera avec lui le manuscrit des « dits » de Marie des Vallées avant de devenir évêque de Québec.[651].
De nombreux familiers de l’Ermitage suivront le même chemin : Ango de Maizerets, dont la vie se confondra avec celle du séminaire fondé là-bas à l’imitation de l’Ermitage, et qui se dévouera à l’éducation des enfants ; M. de Bernières, neveu de Jean, qui meurt à Québec en 1700 ; M. de Mésy, duelliste raffiné converti, premier gouverneur de Québec ; Roberge, le fidèle valet de chambre et disciple, après la mort de son maître…
Henri-Martin Boudon (1624-1702), l’archidiacre « persécuté » d’Évreux, l’auteur d’une abondante production littéraire, dont une biographie du P. Chrysosotome, conservera la confiance et l’appui de Bernières, car ce dernier est ferme dans ses convictions :
Lorsqu’on attaque ses amis, il les
défend avec énergie. Quand le grand archidiacre d’Évreux, Boudon, victime d’une
sorte de conjuration, est menacé d’interdiction, Jean déclare à la cohorte
ennemie que Boudon aura toujours un refuge en sa maison, et que lui, Jean, se
trouverait heureux d’être calomnié et persécuté pour lui [652].
Bien d’autres figures devraient être citées. Sur place, M. de Gavrus, neveu de Jean, fonde l’hôpital général de Caen. Jean Aumont (1608-1689) du Tiers Ordre franciscain, est un auteur notable et attachant[653]. Lambert de la Motte, devenu Mgr de Béryte, est l’un des premiers évêques de la Chine. Etc.
Usé par une vie suractive, la fin de Bernières sera brève, exauçant un intime désir né du souvenir de l’agonie douloureuse de son confesseur Jean-Chrysostome :
Il avait pourtant peur de la mort
... Une tradition de famille rapportait qu’il demandait toujours à Dieu de
mourir subitement ... Le 3 mai 1659 ... rentré à l’Ermitage, le soir venu, il
se mit à dire ses prières. Son valet de chambre vint l’avertir qu’il était
temps pour lui de se mettre au lit. Jean lui demanda un peu de répit, et continua
de prier…[654].
Son valet de chambre [Denis Roberge] ne s’en aperçut [de sa mort] qu’en l’entendant
tomber sur son prie-Dieu. Il avait passé le jour aux Croisiers, où l’on
solemnisait la fête de l’Invention de la Sainte-Croix, jour précieux pour lui…[655]
Sa mort et sa maladie n’ont duré
qu’un quart d’heure. Sans être aucunement malade, sur les 9 heurs du soir,
samedi, 3e de mai … il se souviendra de nous. Il nous aimait. [656].
Ce qui a été semé germe :
Il s’agit de l’association de laïcs et de religieux sans règle propre aux « religions » constituées : un réseau autour d’une filiation courant successivement du laïc sieur de la Forest au père Chrysostome, puis au laïc Bernières, au prêtre Bertot, à Mme Guyon…
Jean Aumont (1608-1689) du Tiers Ordre franciscain est « Le vigneron de Montmorency », auteur attachant qui mériterait d’être mieux étudié ; Paulin d’Aumale ( — apr. 1694) du Tiers Ordre Régulier sera mêlé à la querelle du quiétisme ; Archange Enguerrand (1631-1699) Récollet, sera « le bon franciscain » qui éveillera à la vie intérieure la jeune Jeanne-Marie Guyon (1648-1717).
Mme Guyon sera l’animatrice du cercle mystique important de la fin du siècle. Elle éveillera à la vie mystique François de Fénelon (1651-1715) et bien d’autres figures. Ils seront nommés « notre mère » et « notre père » par les disciples des cercles de Blois et de Cambrai. Nous avons relevé des indices précis sur ses liens avec le cercle normand comme avec la mouvance franciscaine, outre sa direction par monsieur Bertot disciple direct de Bernières[657]. Mais elle ne cite pas ce dernier[658], très certainement par précaution, compte tenu de la condamnation post-mortem associée à celle de Molinos qui s’avère gênante puisqu’elle se produit pendant les années actives publiques parisiennes.
Par contre Mme Guyon estime Mectilde de Bar, la « sainte » Mère du Saint-Sacrement, connue personnellement :
Un mot là-dessus : la mère du
Saint-Sacrement est celle dont je vous ai parlé, qui est
l’ins[ti]tutrice de cet ordre, fut de mes amies et [est] une s[ain]te. Le reste
de la communauté est fort opposé à l’intérieur et mad[emoise]lle de Chevreuse fera bien de n’en pas parler, afin de ne se
point attirer de croix mal à propos et de conserver son don. Elle pourra parler
à la mère du Saint-Sacrement tant qu’elle voudra.[659]
Ainsi que Marie des Vallées :
« Pour Sœur Marie des Vallées,
les miracles qu’elle a fait depuis sa mort et qu’elle fait encore en faveur des
personnes qui l’ont persécutée, la justifient assez. C’est une grande sainte et
qui s’était livrée en sacrifice pour le salut de bien des gens. Elle était très
innocente, l’on ne l’a jamais crue dans le désordre, mais bien obsédée et même
possédée, mais cela ne fait rien à la chose ».[660].
Ce deuxième foyer parisien très actif à la fin du XVIIe siècle « relance » le courant mystique issu du premier foyer normand. Les écrits originaux sont aujourd’hui accessibles[661]. Mme Guyon et Fénelon sont à l’origine de cercles spirituels établis hors du Royaume en Hollande, Suisse et Allemagne, Écosse, autour de Poiret, de Fleischbein et de Dutoit, des Forbes, sur lesquels nous allons revenir.
Pour résumer la période qui s’achève à la mort de Bernières, « L’Ecole », à prendre au sens d’un réseau d’amis associant aînés et cadets, s’est constituée autour de Jean-Chrysostome de Saint-Lô, l’organisateur en Normandie-Bretagne de la seconde province française du Tiers Ordre Régulier franciscain, et de son très actif et rayonnant disciple Jean de Bernières basé à Caen. Le « cercle mystique normand » s’étend ensuite à Paris grâce au « passeur » monsieur Bertot peu après la disparition de Jean. Il fleurira une deuxième fois, tard dans le siècle, autour du célèbre couvent de bénédictines de Montmartre.
On touche ici au rôle d’un courant bénédictin entrelacé au courant issu du Tiers Ordre Régulier franciscain : le célèbre couvent prend monsieur Bertot pour confesseur, « l’Ami intime » dans des lettres de Bernières tandis que Mectilde de Bar fonde les bénédictines du Saint-Sacrement[662]. Le cercle animé par monsieur Bertot s’est établi autour du couvent des bénédictines de Montmartre avant d’être repris par Mme Guyon et Fénelon[663].
Sur la liste des apôtres principaux de « l’école du cœur », six (ou sept) d’entre eux sont directement rattachés aux courants franciscains, dont quatre (ou cinq) aux deux tiers ordres. Il s’agit de deux membres du TOR et de deux (ou trois) membres du Tiers Ordre laïc, auxquels s’ajoutent un Récollet et l’Annonciade devenue fondatrice de son propre ordre de bénédictines. Tous les membres, sauf deux « héritiers », sont nés du vivant de « l’initiateur » Jean-Chrysostome.
Ce réseau informel liant franciscains à des prêtres séculiers et à des laïcs fut bien vivant par sa descendance à travers Jacques Bertot, ainsi que par l’intermédiaire de deux ordres toujours actifs fondés par saint Jean Eudes et par la Mère du Saint-Sacrement ; il se propagea à travers toute l’Europe (les cercles quiétistes qui sortent même du monde catholique, les bénédictines du Saint-Sacrement présentes en Pologne) et au Canada (par la grande mystique Marie de l’Incarnation, la correspondante de Bernières) :
Nous pensons que les membres de « l’école du cœur » appartenant aux deux Tiers Ordres ainsi que leur descendance « étoilée » dans et hors du cadre français catholique forment la principale contribution couvrant deux siècles provenant des franciscains. Les mystiques normands animés par Bernières seront actifs à Paris, au Canada, en Europe et en Écosse, enfin aux Etats-Unis.
L’importance de cette voie mystique a été occultée pour plusieurs raisons :
(1). Elle inclut certains quiétistes même s’il ne s’agit pas d’hétérodoxes ayant partagé l’ « erreur » d’un quiétisme perçu comme paresse spirituelle (l’étiquette est d’un usage si large que les propositions condamnées ne se retrouvent pas dans les textes[664]). Cette appartenance à une voie ou école ou « parti quiétiste » provoqua en 1687 la condamnation post-mortem d’œuvres de Bernières en même temps que celle de Molinos (la figure comme l’œuvre), puis en 1699 d’un ensemble élargi par le bref Cum alias à Mme Guyon, François de Fénelon et d’autres. Car la reconnaissance du rôle de transmission entre Caen et Paris assuré par monsieur Bertot était déjà reconnue à la fin du siècle par une enquête qui souligna son rôle à la tête du « parti » :
« Il y a plus de vingt ans que
l’on voit à la tête de ce parti M. Bertau [Bertot], directeur de feu madame de Montmartre [la supérieure du couvent des bénédictines]…
Madame G[uyon] était, disait-il, sa
fille aînée… » [665].
(2). Elle est vécue par des « amis » d’origines diverses, appartenant souvent à la société laïque, ce qui ne permet pas de cerner facilement un corps ou « religion », ce qui constitue une première étape indispensable pour définir un champ d’études. Aussi le champ, par ailleurs objet de suspicion, resta en friche. L’école alterne ses membres les plus influents entre religieux et laïcs selon la séquence principale suivante : à l’origine, le Tiers Ordre Régulier franciscain – un premier relai existe incarné par le sieur de la Forest à Rouen[666] — le Père Jean-Chrysostome de Saint-Lô – Monsieur de Bernières à Caen – le prêtre Jacques Bertot à Caen puis Paris – Mme Guyon et l’archevêque de Cambrai Fénelon - des disciples catholiques français « cis » et protestants étrangers « trans » sur lesquels nous allons revenir… : il s’agit d’un mélange entre religieux et laïcs tout moderne même s’il trouve sa source naturelle dans le milieu franciscain médiéval des deux Tiers Ordres !
(3). Le relai assuré par des protestants dont en premier lieu par le pasteur-éditeur Pierre Poiret près d’Amsterdam puis par le pasteur-éditeur Dutoit-Mambrini à Lausanne. En outre l’utilisation par des pamphlétaires protestants de la persécution « papiste » subie par Mme Guyon n’arrangea rien.
Catholiques, protestants… On retrouve leur unité pour certains d’entre eux au niveau du vécu d’un « christianisme intérieur » — certes suspect vu des autorités « extérieures », aussi bien protestantes vis-à-vis des piétistes (souvent en interaction avec des membres de cercles guyonniens), que catholiques vis-à-vis des quiétistes :
Chez les protestants ce vécu est orienté par la lecture de l’œuvre guyonnienne et d’autres mystiques : les publication de Poiret circulent largement. On a les traces d’envois de livres (par exemple cent volumes sont expédiés à Londres au docteur Cheynes, dont quarante-deux parviendront aux grandes familles écossaises vivant près d’Edimbourg ou d’Aberdeen) et de lettres (par exemple des lettres adressées à des correspondants du cercle de Morges près Lausanne dont certaines atteignent des vallées reculées d’une Suisse encore sauvage).
Chez des laïcs catholiques, des vœux particuliers prennent la place des règles vécues par leurs guides religieux, ce qui rapproche les uns des autres : Bernières, incité par son directeur Chrysostome, met en œuvre des vœux propres au tiers ordre séculier, réalisant son souci de pratique de la pauvreté. De même Mme Guyon — qui partage avec Bernières la particularité d’appartenir à une fort riche famille — témoigne de vœux de chasteté, de pauvreté, d’obéissance, pris lors de son veuvage :
J’avais fait cinq vœux en ce
pays-là [Thonon en Savoie, à
l’époque de la rédaction de son Moyen court] : le premier de chasteté,
que j’avais déjà fait sitôt que je fus veuve ; celui de pauvreté ;
c’est pourquoi je me suis dépouillée de tous mes biens. Je n’ai jamais confié ceci à qui que ce soit. Le
troisième, d’une obéissance aveugle, à l’extérieur, à toutes les providences ou
à ce qui me serait marqué par mes supérieurs ou directeurs, et au-dedans, d’une
totale dépendance de la grâce. Le quatrième, d’un attachement inviolable à la
sainte Église, ma mère, non seulement dans ses décisions générales, où tout
catholique est obligé de se soumettre, mais dans ses inclinations, et de
procurer le salut de mes frères dans ce même esprit. Le cinquième était un
culte particulier à l’enfance de Jésus-Christ, plus intérieur qu’extérieur. Et
quoique mon âme ne fût plus en état d’avoir besoin de ces vœux, Notre Seigneur
me les fit faire extérieurement et me donna, en même temps, au-dedans, l’effet
réel de ces mêmes vœux. Depuis ce temps, il n’est pas en mon pouvoir de garder
de l’argent : je vis avec une entière pauvreté.[667]
Ainsi leurs membres sont solidement ancrés dans la pratique des vertus sans en être esclave (le franciscain capucin Martial d’Etampes résume : « Servez-vous des vertus et jamais ne servez les vertus ») ce qui permet à l’école du Pur Amour de poursuivre son chemin malgré les traverses. Mais elle requiert une exploration des courants souterrains qui prirent le relai des cercles mystiques formés à Blois autour de Mme Guyon et à Cambrai autour de Fénelon :
Chez les catholiques la vie intérieure est censurée en Italie comme en Espagne ce qui limite la possibilité d’utiliser des imprimés. En Europe centrale et du nord, les protestants piétistes (mais non les confessions calvinistes ou même luthériennes opposées à une mystique associée aux moines et moniales combattus par les réformes) sont influencés au contraire par ce moyen. Des relais à l’étranger se constituèrent au début du XVIIIe siècle :
(1) en Suisse à Morges près de Lausanne où Jean-Philippe Dutoit-Mambrini (1721-1793), notable écrivain vaudois, fut pasteur dans la seconde moitié du siècle et éditeur de l’œuvre guyonnienne[668]. Jean-Philippe naquit d’un père vaudois qui, lui, renonça à devenir pasteur en jugeant sévèrement l’état du clergé protestant, et d’une mère d’origine italienne ; il fit des études de théologie. À trente et un ans il traversa une crise intérieure à l’occasion d’une longue et dangereuse maladie. L’année suivante il rencontre par les textes Mme Guyon :
S'il avait reçu « une clarté » de Voltaire, il
devait, l'année suivante, en recevoir une bien plus grande de celle dont il fut
le pieux disciple et le fervent éditeur. En feuilletant un jour les étalages
des bouquinistes de la foire, avec son ami le régent Ballif, les Discours de
Mme Guyon tombèrent entre ses mains et, sinon tout de suite, du moins bien
vite, la grande mystique devint sa directrice et son inspiratrice… »[669].
Il faut souligner l’importance d’une saisie par la sévère police bernoise à la fin du XVIIIe siècle chez ce pasteur piétiste. Nous citons ici un extrait du procès-verbal compte tenu de l’importance d’une telle pièce qui atteste la conscience d’une continuité « d’école » sur plus d’un siècle[670] :
« 6e Janvier 1769. Nous David
Jenner, ci-devant colonel en Hollande, actuellement baillif de Lausanne, au nom
et de la part de Leurs Excellences nos Souverains Seigneurs de la ville et
république de Berne, savoir faisons qu'en conséquence des ordres que nous
aurions reçus de L.L. E.E[xcellenc]es
du Sénat, en date du 5e du courant, pour enlever à Monsieur le Ministre Dutoit
de Moudon, tous ses papiers, écrits et livres, faire inventaire des dits et en
procurer ensuite l'expédition […avons]
rencontré le dit Mr Dutoit, actuellement dans un état de maladie, au dit
domicile, logé à un 3me étage, dans un petit cabinet dont le lit et une malle
occupent presque tout l'espace. […faisons
l’] inventaire suivant : La Bible de Mme Guyon et plusieurs de ses
ouvrages, mais non pas tous. Monsieur de Bernières soit le Chrétien intérieur. La Théologie
du Cœur [de Poiret]. Le Directeur mystique de Monsieur
Bertot. Œuvres de Ste Thérèse (N. B. Appartient à Mr Grenus.) La Bible de Martin [Luther]. L'Imitation d'A
Kempis. Déclarant de bonne foi qu'il ne se sait ici aucun autre livre mystique
ou ascétique… »
Le groupe guyonnien rencontre par la suite un écho lors du « réveil » suisse animé par Vinet au début du XIXe siècle, puis semble disparaître.
Benjamin Constant, influencé un temps par son cousin le Chevalier de Langalerie, nous apporte dans son roman semi-autobiographique Cécile son témoignage sur les derniers jours du groupe de Morges. Il vaut d’être cité compte tenu de la valeur de l’écrivain touché un moment par la grâce :
Il y a à Lausanne une secte
religieuse, composée d’un assez grand nombre de personnes de conditions
différentes et qui, connues sous le nom de Piétistes et fort calomniées,
professent les opinions de Fénelon et de Mme Guyon. Plusieurs de mes parents
appartenant à cette secte avaient, à diverses époques, esssayé de m’y faire
entrer. J’avais été très irreligieux dans ma jeunesse […] Cet homme, de l’esprit duquel je ne puis douter et dont la bonne
foi, encore aujourd’hui, ne m’est point suspecte […] avait écarté de ses discours tout ce qui n’aurait eu rapport
qu’à des dogmes qui eussent appelé un examen dangereux. Le mot même de Dieu
n’avait pas été prononcé. « Vous ne pouvez nier, m’avait-il dit, qu’il n’y
ait hors de vous une puissance plus forte que vous-même. […] Comment prier, m'objecterez-vous, quand on ne croit
pas ? Je ne puis vous faire qu'une réponse : essayez et vous verrez,
demandez et vous obtiendrez. Mais ce n'est pas en demandant des choses
déterminées que vous serez exaucé ; c'est en demandant de vouloir ce qui
est. Le changement ne se fera pas sur les circonstances extérieures, mais sur
la disposition de votre âme. […] Ces réflexions me frappèrent. La
lecture de plusieurs ouvrages de Mme Guyon produisit en moi une sorte de calme
inusité qui me fit du bien. J'essayai la prière, autant que cela se peut sans
conviction préalable. J'écartai toute recherche sur la nature de la puissance
inconnue que je sentais au-dessus de moi. Je ne m'adressai qu'à sa bonté. Je ne
lui demandai que de me donner la force de me résigner à ses décrets. J'éprouvai
un soulagement manifeste. Ce qui m'avait paru dur à supporter tant que je
m'étais arrogé le droit de la résistance et de la plainte, perdit la plus
grande partie de son amertume dès que je me fis un devoir de m'y soumettre. Ce
premier adoucissement de mes longues souffrances m'encouragea…
(2) en Allemagne le comte Friedrich von Fleichbein (1700-1774)[671], dont la jeune femme Pétronille d’Eisweiler connut brièvement le cercle de Blois et Mme Guyon, associe quiétisme et piétisme rigoriste[672]. Il est en relation avec le pasteur Dutoit-Mambrini qui le révère.
(3) en Hollande à Rijnsburg, le cercle formé autour de Pierre Poiret (1646-1719)[673] sera influent sur le grand mystique et théologien Tersteegen (1697-1759) qui « découvrira les écrits de nombreux mystiques, notamment ceux de Mme Guyon … dont il traduira une partie. »[674].
(4) en Écosse à Aberdeen, les disciples écossais de Mme Guyon constituaient un groupe d’amis[675] dont Henderson[676] restitue l’atmosphère attachante, la droiture et le courage de ses membres pris par les remous politiques. Car l’Écosse a une histoire faite de luttes inégales[677].
Le groupe qui deviendra guyonien était à l’origine marqués par l’esprit ouvert de la confession protestante épiscopalienne parce que se succédèrent des religieux remarquables qui enseignèrent in Divinity à l’université d’Aberdeen (l’une des trois meilleures universités britanniques, avec Oxford et Cambridge) : John Forbes, qui tint un journal intérieur de 1624 à 1647 ; puis Henry Scougall, auteur de la remarquable Life of God in the soul of man[678] (1677) ; enfin James Garden auteur de la non moins remarquable Comparative theology (1699). Ce dernier devint guyonien ainsi que son jeune frère George dont la vie profonde tranparaît dans des conseils adressés à un correspondant trop « enthousiaste »[679] :
[…] 6. Pour ceux
qui s’adonnent à la prière du silence, il est [pré]supposé que leurs sens, appétits et passions sont en grande part
mortifiés et soumis … sinon ils peuvent être conduits à une fausse quiétude qui
ne purifie pas le cœur, mais l’expose à l’illusion.
7. La prière de silence étant
détournement de l’âme de la compréhension de toutes les créatures et de toutes
leurs images, et se fixer par pure Foi sur Dieu, suprême Vérité et Bien, comme
il est en Lui-même infiniment au-delà des conceptions de toute créature, par un
amour ardent de la suprême et sans limite et incompréhensible beauté [lovelyness], la grande Fin de tout ceci
doit être enracinée dans l’espoir et l’amour divin […] Celui qui prie de cette façon n’attend aucun discours, ni
mouvements, ni lumières extraordinaires, ni autres miracles. Et ne désire
aucune autre chose sinon de toujours croire en Dieu profondément et fermement,
d’espérer en lui et de l’aimer dans le temps et durant l’éternité sans
changement.
8. Mais si de telles âmes ont à
quelque moment des lumières et conditions extraordinaires sur des choses
particulières, ils ne sont pas mariés avec elles, parce qu’ils savent que ce
qui est connu, possédé et senti ici bas
n’est pas Dieu […]
9. L’état ordinaire d’une âme qui
est sur le point d’acquérir la prière silencieuse, est un état de foi pure et
obscure. Il ne connaît pas Dieu, il ne le sent pas. Nuages et obscurité
l’entourent. Il est placé comme dans une terre sèche et assoiffée où il n’y a
pas d’eau : et cependant il est encore plus assoiffé et affamé de Dieu et
de la prière et ses dégoûts des choses temporelles s’accroissent, tandis qu’il
lui semble n’avoir ni vertu et ne pas aimer Dieu. Et ceci est sa vraie
purification, pas simplement des images et de l’amour des choses corporelles, mais
de soi, de l’amour-propre, de la complaisance en soi-même, de la recherche de
soi-même…
Jacobites de manière avouée ou cachée, ils voyageaient ou se réfugiaient sur le continent. Ils passaient par la Hollande, qui n’était qu’à trois (voire deux) jours de bateau des ports de la côte est situés entre Edimbourg et Aberdeen. De nombreuses communautés d’Ecossais s’établirent ainsi sur le continent, tout comme les Hollandais furent présents à Culross, le beau port et village visité de nos jours près d’Edimbourg.
Le dégoût des affrontements et des controverses au nom de l’Ecriture souvent interprétée trop littéralement, tourna leur attention vers « l’intérieur » mystique. Tout un réseau d’Ecossais reçut ainsi les ouvrages mystiques de Poiret par l’intermédiaire du Dr. Keith de Londres. Ce dernier importa par exemple cent exemplaires d’un de ses titres pour en redistribuer quarante-deux en Écosse[680].
(5) Une influence s’exercera aux Etats-Unis où la branche protestante méthodiste se développa par l’intermédiaire de John Wesley, le spirituel au centre de cette renaissance qui succède dans la seconde moitié du XVIIIe siècle à la période sèche « des lumières » en Angleterre[681] :
« Plus que tout autre, son
action a permis la survie dans le monde anglo-saxon du goût de la vie
intérieure et de la croyance à la possibilité de la sainteté. Elle n’aurait pas
été possible sans les efforts de Poiret qui lui ont fourni la charte du
Méthodisme…[682]. »
Il admet la possibilité de la délivrance « du pouvoir de pécher par la complète domination de Dieu dans le cœur qu’Il remplit entièrement de son amour » (Orcibal). Son « pure love » rejoint l’union avec Dieu défendue par Mme Guyon[683]. Il est en relation avec Dutoit par l’intermédiaire de J. de La Fléchère…
…pasteur suisse qu'il choisira comme successeur. Ami du
guyonien Dutoit-Membrini, celui-ci donna courageusement au mot
« mystique » un sens bien différent de celui que Wesley lui
attribuait encore d'une façon implicite. […]
Aux Lumières, succédait le Pré-romantisme et Richardson, le nouvel auteur à
la mode, faisait dans son sir Charles Grandison le portrait du pieux non-jureur
Robert Nelson. Un poème de John Byrom réussissait à donner au mot enthusiasm,
longtemps si décrié, un sens favorable. Sans doute ce mouvement s'accompagnait
vers 1773 d'une reconnaissance du guyonisme et du bourignonisme, mais le rôle
bienfaisant de J. Wesley sur la société anglaise était maintenant trop bien
reconnu pour qu'il risquât d'être confondu avec des illuminés extravagants.[684].
« Très tôt il
avait été question de la célèbre mystique en Grande-Bretagne. En décembre 1703
parut à Londres la traduction de son plus fameux opuscule sous le titre A
short and easie method of Prayer.[685] Nous sommes à tout le moins sûrs que
J. Wesley consacra à l'étude de A short
method les journées des 4 et 5 janvier 1735 [686]. Le 5 juin 1742, il relut l'opuscule
en y joignant le texte français des Torrents
spirituels. Sous l'influence de J. Fletcher, Wesley redevenait beaucoup
plus favorable à la mystique. À la suite de Hartley, il se posait donc, le 27
août 1770, en champion de Mme Guyon contre Littleton : malgré ses erreurs,
elle n'avait rien d'« une enthousiaste. Sans aucun doute, elle possédait une
intelligence tout à fait exceptionnelle et une excellente piété. Elle n'était
pas plus lunatique qu'hérétique «[687].
« Mais c'est l'année 1772 qui marque un tournant
décisif dans l'histoire du guyonisme anglo-saxon. […] Fait plus grave[688], il semble que bien des méthodistes,
et parmi les plus zélées, avaient aussitôt (surtout à Bristol) pris la mystique
pour modèle[689]. Il n'y a donc pas à s'étonner que,
les années suivantes, son nom se retrouve près de vingt fois sous la plume de
J. Wesley. On comprend pourtant que ses avertissements soient d'abord restés
vains : s’il dénonçait les « raffinements « mystiques de Mme Guyon et leur
« quiétisme anti-scriptural «, il ne manquait pas en effet d'ajouter qu'ils
étaient d’autant plus dangereux que beaucoup « de choses excellentes « s'y
trouvaient mêlées. […] « le monde n'a jamais vu une telle vie… un mélange aussi
prodigieux «. […] « dans cette gangue,
que d'or pur ! Quelle profondeur de religion, d'union spirituelle à
Jésus-Christ ! Quelles hauteurs de justice, et de paix, et de joie dans le
Saint-Esprit ! Que nous rencontrons peu d'exemples comparables d'amour
exalté de Dieu et du prochain ; de véritable humilité ; d'invincible
douceur et de résignation sans bornes ! Si bien que, somme toute, je ne
sais s'il ne faudrait pas parcourir plusieurs siècles pour retrouver en une
autre femme un tel modèle de véritable sainteté «. Par la suite,Wesley rappela
de temps en temps ses réserves, mais il ne rétracta jamais rien de ses
éloges : c'est toujours l'exilée de Blois qu'il prend pour terme de
comparaison en fait de profonde communion avec Dieu et, les livres de « sister
Pennington « ayant brûlé, il place Mme Guyon parmi les quelques volumes qui
doivent lui être envoyés d'urgence. En 1781, deux de ses publications
révélèrent ses nouveaux sentiments à un plus vaste public. Dans les extraits
qu'il donna de The fool of quality de
Henry Brooke (sous le titre de The
History of Henry, earl of Moreland), il reproduisait les termes
enthousiastes qu'inspirait à l'auteur la maîtresse spirituelle de sa Louisa. En
revanche, sa Concise ecclesiastical
history supprimait la plupart des attaques dont elle et Fénelon faisaient
l'objet dans Mosheim et Maclaine.[690].
« Mais les noms de Fénelon et de Renty n'évoquent pas
assez la violence de la crise mystique que Wesley traversa de 1731 à
1736 : lui-même en a reconnu la réalité et ses Diaries inédits en précisent la nature. Son ardeur était alors
entretenue par son professeur de sténographie J. Byrom qui essayait de faire
connaître en Angleterre les auteurs édités par P. Poiret. […] En janvier 1735,
Wesley étudiait également le Moyen court
de Mme Guyon et le docteur Cheyne réussit même à éveiller chez lui un vif
intérêt pour Marsay qu'il traitait encore en 1756 d'« éminent mystique «.
À ces auteurs, l'influence de William Law lui faisait enfin joindre la lecture
de Tauler, de la Théologie germanique
et de Molinos. On ne s'étonnera donc pas qu'il ait défendu l'idéal de l'Amour
pur, le désintéressement total qui va jusqu'à la résignation à l'Enfer, si
telle est la volonté de Dieu.[691].
Il faut également souligner l’influence chez les Quakers qui
firent beaucoup « pour la renommée de la victime de Bossuet » comme
l’indique précisément Orcibal :
Après avoir publié, en 1727, une courte Letter to J.O. being an account of Madam Guyon, Josiah Martin
traduisait plusieurs de ses poèmes dans The
Archbishop of Cambray's dissertation on pure love (Londres, 1735,
pp. 122-138) – et en note il souligne « nettement l'importance
que prit dès lors chez les Quakers son idée de la fécondité spirituelle [que nous trouvons un apport saisissant à la
lecture de son Cantique]. Et il insiste sur le rôle que jouèrent après
Martin, les ouvrages de Gough et surtout A
Guide to true Peace (Stockton, 1813) où W. Backhouse et J. Janson
groupèrent des extraits de Fénelon, de Mme Guyon et de Molinos. »[692].
…le « Friend » Josiah Martin, intéressant écrivain qui
devait répondre aux Lettres
philosophiques de Voltaire, fit plus encore pour la réputation de
l'archevêque de Cambrai, en qui il voyait « aussi un quaker » , puisqu'il
publia entre 1727 et 1738 divers recueils d'écrits du prélat auxquels il
joignit des cantiques de Mme Guyon et une apologie des idées de celle-ci.[693]
L’année 1772 « marque un tournant décisif dans l'histoire du guyonisme anglo-saxon. Le Quaker de Bristol James Gough donna, en deux volumes, une traduction de la Vie de Mme Guyon. Quelques mois plus tard, Cornelius Cayley accordait des éloges également vifs à la tolérance de l'héroïne et à l'esprit catholique de l'éditeur »[694]. Enfin l’idée de fécondité spirituelle propre à Mme Guyon, que nous trouvons particulièrement mise en valeur à l’occasion de son Commentaire au Cantique ainsi rendu très original, fut largement reprise[695].
Wiliam Law (1686-1761), ascète et mystique assez proche des
Quakers mais qui vécut et mourut Anglican, écrivait vers 1738 :
Je désirais presque, écrivait-il vers 1738, qu'il n'y eût
pas de livres de spiritualité en dehors de ceux qui ont été écrits par des
catholiques. Vous trouverez chez Bertot premier directeur de Mme Guyon, «
toutes les instructions qu’une (531) personne descendue du Ciel pourrait vous
donner ». Il s'intéressait pour les mêmes raisons au carme Laurent de la
Résurrection, humble cuisinier fort admiré de Fénelon, dont les paroles et les
exemples étaient bien connus en Angleterre grâce aux Devotional Tracts concerning
the Presence of God. [696].
La bibliothèque de Law possédait les Discours chrétiens et spirituels et le Moyen Court. Il les « a certainement étudiés de très près car ils sont couverts de traits et de signes divers. Les pages blanches du second volume contiennent en outre d'excellents résumés des idées essentielles de la mystique »[697].
§
Nous n’avons pas encore réussi à retracer en aval le devenir de ces petites rivières d’un « delta spirituel » après le début du XIXe siècle et hors de France. Le cercle de Morges se sclérose après 1832, mais qu’en est-il en Écosse, Norvège et Suède (les grandes familles écossaises ayant pied des deux côtés de la mer du nord), voire en Russie où un pope aurait traduit partiellement Mme Guyon !
Les influences dans le monde catholique français chez des figures mystiques que l’on trouve rassemblées autour du thème de l’abandon furent occultées à la suite des condamnations du « quiétisme ». Il s’agit en premier lieu du cercle constitué autour de Monsieur Bertot, repris et élargi par Mme Guyon. Une vingtaine de noms sont bien identifiés, desquels se détachent les ducs et duchesses de Chevreuse et Beauvillier, la duchesse de Mortemart, Dupuy…, puis à la génération suivante le neveu marquis de Fénelon et d’autres amis de Fénelon, vivant à ou près de Cambrai, malheureusement mal identifiés[698].
D’autres foyers existèrent :
(1) François-Claude Milley (1668-1720) fut en rapport avec Jean-Pierre de Caussade (1675-1751), tous deux jésuites, par l’intermédiaire de la Mère de Siry : il s’agit de « deux maîtres de l’abandon qui ont puisé à la même source »[699].
Milley écrit à la Mère de Siry :
J’ai vu les lettres spirituelles de
M. de Bernières ; cet ouvrage surpasse tous les autres … j’y ai trouvé mes
sentiments pour la conduite de l’abandon si bien marqués, et exprimés en termes
si ressemblants, que je croyais presque l’avoir copié avant que de le
connaître. Les personnes …disent que c’était moi qui avait fait ces
lettres [700].
(2) le P. de Caussade est influencé de façon directe. Car L’Abandon à la Providence divine n’est pas de lui. Il est aujourd’hui clair que « l’image d’un Caussade auteur spirituel majeur … n’a pas résisté à cette mise à plat », tandis que la liaison avec la Visitation de Meaux explique l’ » inspiration guyonnienne »[701]. On sait combien ce beau livret traverse les siècles et est lu largement aux Etats-Unis comme en France.
Nous relevons enfin une influence prolongée au cours des XIXe et XXe siècles :
(3) chez le Père Henri Ramières (1821-1884), jésuite, bon
spirituel, premier éditeur de L’Abandon à
la Providence divine attribué à Caussade.
(4) chez Dom Vital Lehodey (1857-1948), auteur de l’ouvrage : Le saint Abandon, 1919.
(5) d’autres bénéficièrent de l’influence de ce courant mystique, mais ces liens échappent à la preuve directe.
Est attestée en tous cas l’influence prolongée de L’abandon à la Providence divine réédité au XIXe siècle par le père jésuite H. Ramières[702] : ce texte « fait figure de superbe rejeton de la tradition guyonienne … qui inspirera notamment le P. Grou puis, au XIXe siècle, la spiritualité dite de l’abandon ou de l’enfance, illustrée par Mgr Gay et Thérèse de Lisieux. »[703].
Cette présentation à Caen nous a donnée l’idée et l’impulsion de poursuivre un travail qui ne manquera pas d’être sujet à discussions et donc à de fructueuses mises au point[704]. Il présentera le grand courant mystique de la quiétude qui naît de membres des deux Tiers Ordres franciscains, se développe au sein du groupe de mystiques normands familiers d’un Ermitage construit et animé par monsieur de Bernières, passe à Paris dans le cercle né autour du couvent de Montmartre, prit de l’importance autour de Mme Guyon et de Fénelon avant d’être contraint de se cacher, pour se répandre cependant en Europe, avant d’être étudié par Bremond, l’auteur du Sentiment religieux[705], et par Cognet, l’auteur du Crépuscule des mystiques[706], enfin édité[707].
Les écrits issus de Jean de Bernières seront eux bientôt et enfin entièrement disponibles en éditions critiques : Outre le « cahier spirituel » publié chez Arfuyen livrant le Livre VII du Chrétien en huit Livres et des Lettres à l’ami intime et l’ édition intégrale des deux Chrétiens précédemment cités, la Correspondance de Jean mise en ordre chronologique[708] et présentée par le P. Éric de Reviers mettra en valeur la trajectoire mystique accomplie entre 1644 (environ) et 1659, date de la disparition précoce du « pauvre devant Dieu » dont l’abjection devant la grandeur divine devint abandon à son amour.
Marie des Vallées, Le Jardin de l’Amour divin, Textes choisis et présentés par Dominique et Murielle Tronc, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2013, 207 p.
« Je vous crucifierais, dit-elle au
Seigneur, je frapperais à grands coups de marteau sur les clous, je vous
mettrais même en Enfer, si la Divine Volonté me l’ordonnait ». Voilà qui
est parler, et que nous sommes loin des timides façons du christianisme ordinaire !
… Que cette sainte me plaît. Elle parle à Dieu presque d’égal à égal, et elle a
l’air d’avoir perdu la tête au moment où son bon sens de paysanne est le plus
fort »[709].
Marie
des Vallées (1590-1656), exerça une profonde influence sur le cercle mystique
normand, auquel appartenaient Jean de Bernières (1602-1659) et son jeune
associé Jacques Bertot, la mère fondatrice Catherine de Bar, François de
Montmorency-Laval futur évêque de Québec, saint Jean Eudes, le baron de
Renty... Certains membres du cercle de l’Ermitage
de Caen allaient chaque année passer plusieurs jours auprès de « la sainte
de Coutances », lui faisant part de leurs difficultés les plus intimes.
Son souvenir resta présent chez leurs
successeurs et l’on se recueillit longtemps sur sa tombe. Ce réseau mystique
s’étendit jusqu’à Paris et pénétra la Cour peu après le milieu du XVIIe siècle
par l’intermédiaire de M. Bertot ; et Mme Guyon, qui s’y rattache, écrit à
la fin du siècle au fidèle duc de Chevreuse :
« …pour Sœur Marie des Vallées, les miracles
qu’elle a fait depuis sa mort et qu’elle fait encore en faveur des personnes
qui l’ont persécutée, la justifient assez. C’est une grande sainte et qui
s’était livrée en sacrifice pour le salut de bien des gens. Elle était très
innocente, l’on ne l’a jamais crue dans le désordre mais bien obsédée et même
possédée, mais cela ne fait rien à la chose »[710].
Cette confidence résume une vision juste d’une
mystique par une autre : l’« innocente » servante, obsédée par la
crainte, voire la conviction d’être possédée, à une période où l’on brûle les
sorcières par milliers, s’est jetée sans réserve à Dieu. Elle s’est aussi
dangereusement « livrée en sacrifice » pour le rachat de ses
persécuteurs. Ce don a renforcé des épreuves à l’issue incertaine. On apprécie
mieux aujourd’hui le risque d’une telle offrande à porter le mal d’autrui.
Le jeune jésuite Surin arrive à Loudun en 1634, l’année où Marie émerge du
« mal de douze ans » et va de même entreprendre un étrange voyage
intérieur[711].
« Cela ne
fait rien à la chose » ? En effet la sainte servante parvient à
un état spirituel permanent qui lui permet de venir en aide à ses visiteurs.
L’un d’entre eux, (le futur saint) Jean Eudes, note soigneusement ses
« dits ». Son texte est resté dans l’ombre, en vue de le
préserver pour permettre sa canonisation, car il fut pris à partie dans
une méchante querelle où l’on chercha à le discréditer en rapportant sa
dépendance envers la « sœur
Marie ».
Signe de
vénération, une copie du texte accompagna Monseigneur de Laval au Canada, sur
une coquille en bois, dans les conditions aventureuses d’une des traversées
maritimes si bien décrites par Marie de l’Incarnation. Redécouvert, le
manuscrit revient en France deux siècles plus tard, cette fois sur un bateau en
fer. Ayant ainsi traversé avec succès deux fois l’océan, il repose aujourd’hui
aux archives eudistes de Paris : cette Vie
admirable mérite enfin d’être
reconnue. Nous faisons suivre des extraits, qui forment la plus grande partie
de ce petit volume, par un bref aperçu des Conseils
d’une grande servante de Dieu, oublié, lui aussi, au sein d’un recueil
mystique publié tardivement[712]. Ce
bref résumé de la voie mystique vécue dans toute son exigence jette un
éclairage vivant sur les entretiens par lesquels la sœur Marie, âgée, rayonnait
sur ses visiteurs.
Marie fut ainsi « sauvée » et
authentifiée deux fois et dans deux directions différentes : par le
premier évêque de Québec, qui emporta de France le manuscrit de la Vie admirable rédigé par Jean Eudes ;
puis près d’Amsterdam, par l’éditeur protestant des œuvres de M. Bertot où
sont inclut les Conseils.
Certaines pages paraissent aujourd’hui étranges parce qu’elles mettent en évidence
l’esprit du temps vécu par une fille de la campagne normande qui a traversé des
épreuves intimes extrêmes et se croit possédée, suivant en cela l’opinion de
ses proches. Mais le témoignage pénètre plus profond, car sœur Marie
atteint le cœur de la vie mystique. Elle se révèle positive et moins portée à
la crédulité que certaines des figures religieuses de son époque. Elle présente
une « figure de résistante » qui surmonte toute épreuve. En ce qui
concerne la forme, la véracité d’une nuit mystique est restituée sur un mode
très coloré, souvent proche de celui des visionnaires du Moyen Age. S’en détachent
des « songes » de toute beauté.
Le témoignage est admirable par la
trajectoire héroïque dans et par une passiveté
qui sortira victorieuse du bourbier des sens. Ses « dits » sont à
comparer, par leur droiture devant la grandeur divine, à ceux de la grande
Catherine de Gênes. De multiples dialogues magnifiques dans leur profondeur
transcendent le ciment d’un rapporteur trop sensible aux rites de la piété
d’antan. Nous les avons dégagés de leur gangue pour les présenter ici.
Il s’agit bien d’une œuvre maîtresse dont le
mérite est de traduire l’élan « implacable » nécessaire à
l’achèvement du chemin mystique[713].
L’appel, qui reste à vivre aujourd’hui sous des formes qui ont évoluées,
témoigne d’un Invariant qui transcende époques et croyances. Achevons par un
bref aperçu biographique :
Marie des Vallées naît dans un village de Basse
Normandie de parents pauvres. Orpheline de père à douze ans, elle devient
servante. Demandée en mariage, elle refuse et se trouve victime, au plan du vécu
psychologique, d’un sort jeté sur elle. On la conduit à Rouen auprès de
l’archevêque pour des exorcismes solennels :
« On lui fit faire fort
souvent des choses fort pénibles, comme lorsqu’on lui ordonna d’apporter un
réchaud plein de feu dans lequel on lui faisait mettre quantité de soufre mêlé
avec de la rüe hachée menue, et qu’on lui commanda de tenir sa bouche
ouverte sur le réchaud pour recevoir la fumée qui en sortait et lors qu’on lui
faisait boire des douze verres d’eau bénite tout de suite ».
La rüe, plante médicinale d’un goût âcre et
amer, à l’odeur très persistante, était en effet utilisée contre les
ensorcellements.
« Ensuite
de quoi elle fut rasée partout. Ce qui se fit le matin, et l’après-midi, il
vint six ou sept des messieurs du Parlement avec des médecins et des
chirurgiens en la présence desquelles elle fut dépouillée pour la seconde
fois ; et ce fut alors qu’elle fut piquée par tout le corps avec des
aiguilles et des alènes »[714].
L’absence de douleur était un signe
suspect : telle était la pratique d’époque des procès en sorcellerie.
Rouen héritait d’une Inquisition rodée. Après six mois de prison vécus dans des
conditions atroces, elle est déclarée vertueuse et devient servante au service de l’évêché de Coutances.
Elle se croit toujours possédée, car « à son époque, dans le contexte de
la polémique avec les protestants, mettre en doute la réalité d’une possession
pouvait être interprété comme un manque de foi [715] ». On
devine l’effet pervers qui peut s’ensuivre.
A vingt-cinq ans, le 8 décembre 1615, elle
accepte héroïquement un « échange de volonté » (ce qui peut être
comparé à la prise en charge par Surin d’âmes en perte). Trop volontaire, elle
vit le désespoir des damnés qui sont les objets de « l’Ire de Dieu »
et connaît deux épisodes terribles qu’elle nomme « l’Enfer » (1617-1619) et «
le Mal de douze ans » (1622-1634) [716] :
« Elle dit qu’une des plus grandes
peines des damnés, c’est l’ennui qui est si grand que les heures leur
semblaient des siècles ». (V 2.4 [717])
Sortant lentement de cette nuit, elle vivra
encore vingt-deux années. Sur ordre de l’évêque, le père Eudes l’exorcise
« en grec » en 1641. Puis elle deviendra la conseillère d’un grand
nombre de visiteurs. Ainsi « l’an
1653, au mois de juin, quelques personnes de piété étant venues voir la sœur
Marie pour la consulter sur plusieurs difficultés qu’ils avaient touchant la
voie par laquelle Dieu les faisait marcher, qui était une voie de
contemplation, ils demeurèrent quinze jours à Coutances, la voyant tous les
jours et conférant avec elle sur ce sujet, deux, trois, quatre, et quelquefois
cinq heures par jour. »
D’une grande sagesse, elle évoque pour eux la
diversité des chemins spirituels :
« Ce n’est pas à nous de
choisir cette voie et nous ne devons pas y entrer de nous-mêmes et par notre
mouvement. C’est à Dieu de la choisir pour nous et nous y faire entrer. On n’en
doit parler à personne pour la leur enseigner car si on y fait entrer des
personnes qui n’y soient point attirées de Dieu, on les met en danger et grand
péril de s’égarer et de se perdre […] Il ne faut point s’imaginer qu’il n’y ait
que ce chemin qui conduise à l’anéantissement de nous-mêmes et à la perfection.
Les uns y vont par la contemplation, les autres par l’action, les autres par
les croix, les autres par d’autres chemins. Chaque âme a sa voie
particulière. »
« Comme ils voulaient continuer à lui
parler, elle leur dit : La
porte est fermée, je n’entends plus rien à ce que vous me dites. »[718],
faisant ainsi écho à un Ruusbroec (1293-1381) qui renvoyait parfois ses visiteurs lorsqu’il
sentait la grâce d’inspiration absente.
Les dits que
l’on va aborder utilisent des images vives, voire luxuriantes. Ils traduisent
une culture visuelle typique de qui n’est pas intellectuel, en utilisant la
représentation médiévale du monde qui perdure dans les campagnes. Ces images
demeurent ici très bien organisées et veulent assurer la fonction enseignante
de paraboles mystiques.
Hors image, le dit demeure sobre, une « flèche de feu » comme chez
Catherine de Gênes - sûr indice de la véritable vie mystique opposée à la seule
imagination visionnaire : si la « sœur Marie » rapporte un songe
c’est pour l’interpréter allégoriquement en vue d’un enseignement spirituel. Et
ses réactions vis-à-vis de clercs, ses
interactions sociales, etc., révèlent un solide bon sens et même un sens
souvent critique : ne travaille-t-elle pas pour venir en aide aux
ensorcelés de toutes origines ?
NOTE SUR LE
PRÉSENT TEXTE
Jean Eudes rencontre Marie des Vallées en 1641. Elle a entamé la paisible
et dernière partie de sa vie. Le visiteur relate en détails les révélations de
la « voyante de Coutances » dans sa Vie admirable en
Nous adjoignons en fin du présent volume de brefs extraits des
« Conseils d’une grande servante de Dieu ». Ils figurent en annexe du
vol. II du Directeur mystique
préparés par madame Guyon et édités en 1726.
La Vie Admirable de
Marie des Vallées et son Abrégé rédigés par saint Jean Eudes suivis des
Conseils d’une grande servante de Dieu, Ed. du Centre
Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2013, 693 p.
Textes présentés et édités par Dominique
Tronc & Joseph Racapé, cjm Avec la
collaboration de la Congrégation des Eudistes.
La
Vie de Marie des Vallées est vraiment un livre extraordinaire […]: « Je vous crucifierais, dit-elle au Seigneur, je
frapperais à grands coups de marteau sur les clous, je vous mettrais même en
Enfer, si la Divine Volonté me l’ordonnait ». Voilà qui est parler, et que
nous sommes loin des timides façons du christianisme ordinaire ! […] Que cette sainte me plaît.
Elle parle à Dieu presque d’égal à égal, et elle a l’air d’avoir perdu la tête
au moment où son bon sens de paysanne est le plus fort. (Julien Green[719])
Marie des Vallées
exerça une profonde influence sur le cercle mystique normand, auquel
appartenaient saint Jean Eudes, le baron de Renty, Jean de Bernières et son
jeune associé Jacques Bertot, Mechtilde-Catherine de Bar (la Mère fondatrice du
Saint-Sacrement), François de Montmorency-Laval (le futur évêque de Québec),
ainsi que sur des figures venant d’autres horizons[720]. Certains membres du cercle allaient chaque
année passer plusieurs jours auprès de « sœur Marie » lui faisant
part de leurs difficultés les plus intimes pour être conseillés.
Puis son souvenir
resta très présent chez leurs successeurs, et l’on se recueillait sur sa tombe,
dans la cathédrale de Coutances. Ainsi Madame Guyon, qui se rattache à ce
réseau mystique – il s’étendit jusqu’à Paris et pénétra la Cour peu après le
milieu du siècle par l’intermédiaire de Monsieur Bertot – écrit à la fin du
siècle au duc de Chevreuse :
...
pour Sœur Marie des Vallées, les miracles qu’elle a faits depuis sa mort et
qu’elle fait encore en faveur des personnes qui l’ont persécutée, la justifient
assez. C’est une grande sainte et qui s’était livrée en sacrifice pour le salut
de bien des gens. Elle était très innocente, l’on ne l’a jamais crue dans le
désordre, mais bien obsédée et même possédée, mais cela ne fait rien à la chose[721].
Cette confidence résume
une vision juste d’une mystique par une autre : l’« innocente »
servante, obsédée par la crainte voire la conviction d’être possédée, à une
période où l’on brûle les sorcières par milliers, s’est jetée sans réserve à
Dieu. Elle s’est aussi dangereusement « livrée en sacrifice » pour le
rachat de ses persécuteurs (dont un vrai sorcier ?). Ce don a renforcé des
épreuves « nocturnes » à l’issue incertaine. On apprécie mieux
aujourd’hui le risque d’une telle offrande à porter le mal d’autrui. Le célèbre
jésuite Jean-Joseph Surin arrive à Loudun en 1634, l’année où Marie émerge du
« mal de douze ans » et va lui aussi entreprendre un étrange voyage
intérieur[722].
« Cela ne fait
rien à la chose », nous dit la mystique de la fin du grand
siècle ? En effet la sainte servante parvint à un état apostolique stable
qui lui permit de venir en aide à ses visiteurs. L’un d’entre eux, saint Jean
Eudes, nota soigneusement les « dits de la sœur Marie ». Son
texte est resté dans l’ombre, en vue de préserver le saint, car il fut pris à
partie dans une méchante querelle où l’on chercha à le discréditer par une
supposée dépendance[723].
Signe de vénération,
une copie du texte accompagna Monseigneur de Laval au Canada, sur une coquille
en bois, dans les conditions aventureuses d’une des traversées maritimes si
bien décrites par Marie de l’Incarnation. Redécouverte, elle revint en France
deux siècles plus tard, cette fois sur un bateau en fer. Ayant ainsi traversé
avec succès deux fois l’océan, le « manuscrit de Québec » repose
depuis lors aux archives eudistes de Paris : il mérite bien d’être enfin
transcrit, toute controverse atténuée : sa Vie admirable constitue le corps de notre volume.
Nous avons fait suivre ce recueil par l’Abrégé de la vie, œuvre de saint Jean Eudes rédigée à l’occasion de l’enquête
diocésaine portant sur sa dirigée : il justifie avec vigueur et profondeur
la sainte servante auprès des autorités religieuses de son temps.
Enfin le volume
s’achève par des Conseils d’une grande
servante de Dieu, qui figurent au sein d’un recueil mystique publié
tardivement[724]. Cet admirable résumé de la voie mystique vécue
dans toute son exigence jette un éclairage vivant sur les entretiens par
lesquels « sœur Marie », âgée, rayonnait sur ses visiteurs. Il offre au lecteur en recherche spirituelle de lire avec
attention, avec bienveillance et ouverture, un
complément précieux au long et parfois étrange périple raconté dans la Vie admirable.
Marie fut ainsi
« sauvée » et authentifiée deux fois, dans deux directions bien
différentes : par le premier évêque de Québec, qui emporta de France un manuscrit de la Vie
admirable rédigée par saint Jean
Eudes ; par l’éditeur Pierre Poiret des œuvres de Monsieur Bertot incluant
des Conseils dont nous ne connaissons
pas l’auteur.
D’autres textes manuscrits
restent à étudier dont certains attribués à Gaston de Renty, mais aucun
n’approche la richesse de cette Vie
admirable. On sait que d’autres membres du cercle mystique réunis autour de
Monsieur de Bernières visitèrent la sœur Marie, tel Boudon[725].
Certaines pages
paraîtront étranges parce qu’elles mettent en évidence l’esprit du temps vécu
par une fille de la campagne normande ayant traversé des épreuves intimes extrêmes et se croyant
possédée. Elles témoignent de la peur des diables, comparable, s’il faut citer
un exemple actuel, à celle de fidèles du vaudou.
Parfois le « dieu-monstre » paraît se repaître de la douleur des
hommes en expiation de leurs péchés. Nuit et dépression associée sont
renforcées par la crédulité de proches, voire par l’effet dévastateur d’une
crucifixion mal interprétée. On ne peut que compatir à la souffrance inutile
qui s’ajoute alors à celle de toute purification intérieure.
Mais le témoignage,
attentivement lu, pénètre beaucoup plus profond, car sœur Marie atteint directement
le cœur du message chrétien. Elle se révèle plus positive et moins portée à la
crédulité que certaines des figures religieuses de l’époque. Elle présente une
« figure de résistante » qui surmonte toute épreuve. En ce qui
concerne la forme, la véracité descriptive d’une nuit mystique est restituée
sur un mode très coloré, souvent proche de celui de visionnaires du moyen âge,
dont se détachent des rêves de toute beauté.
Le témoignage demeure
admirable par la trajectoire héroïque dans et par sa passiveté[726] qui sortira victorieuse d’un bourbier des
sens, et par des « dits » que l’on ne peut comparer, dans leur
droiture parfaite devant la grandeur divine, qu’à ceux de la grande Catherine
de Gênes. Si le début de la biographie est par trop peuplé de diables, la
seconde partie (d’une nouvelle main qui commence au livre 4), offre de
multiples dialogues magnifiques dans leur profondeur ; diamants dans une
gangue, ils transcendent le ciment du rapporteur parfois sensible aux rites
d’une piété d’antan.
Il s’agit d’une œuvre
maîtresse dont le premier mérite est de traduire l’élan
« implacable » nécessaire à l’achèvement du chemin mystique[727]. L’appel reste à vivre aujourd’hui sous des
formes qui ont évolué. Il témoigne d’un Invariant qui transcende époques et
croyances.
Marie des Vallées
(1590-1656) est née de parents pauvres dans un village de basse Normandie.
Orpheline de père à douze ans, elle devint servante. Demandée en mariage, elle
refusa et fut la victime d’un sort jeté sur elle par une sorcière. Son
entourage et l’évêque lui-même finirent par se convaincre qu’elle était
possédée du démon. On la conduisit à Rouen auprès de l’archevêque pour des
exorcismes solennels :
… on
lui fit faire fort souvent des choses fort pénibles, comme lorsqu’on lui
ordonna d’apporter un réchaud plein de feu dans lequel on lui faisait mettre
quantité de soufre mêlé avec de la rüe hachée menue, et qu’on lui commanda
de tenir sa bouche ouverte sur le réchaud pour recevoir la fumée qui en sortait
et lors qu’on lui faisait boire des douze verres d’eau bénite tout de suite.
[…]
La rüe, plante
médicinale d’un goût âcre et amer, à l’odeur très persistante, était utilisée
contre les ensorcellements.
Ensuite
de quoi elle fut rasée partout. Ce qui se fit le matin, et l’après-midi, il
vint six ou sept des messieurs du Parlement avec des médecins et des
chirurgiens en la présence desquels elle fut dépouillée pour la seconde
fois ; et ce fut alors qu’elle fut piquée par tout le corps avec des
aiguilles et des alènes[728].
L’absence de douleur est un signe suspect. Telle est la pratique des procès en sorcellerie. Rouen héritait d’une inquisition rodée, et cela avant même le célèbre procès de Jeanne en 1431.
Après six mois de prison vécus dans des conditions atroces, Marie est déclarée vertueuse (mais toujours sous l’emprise des diables[729]). Elle habite à l’évêché de Coutances, puis devient servante du curé Le Rouge et de l’abbé Potier ; elle est alors dirigée par M. Le Pileur, vicaire général.
Elle se croit toujours possédée, car « à son époque, dans le contexte de la polémique avec les protestants, mettre en doute la réalité d’une possession pouvait être interprété comme un manque de foi[730] ». On devine l’effet pervers qui peut s’ensuivre.
À vingt-cinq ans, le 8 décembre 1615, elle accepte un « échange de volonté » suivant en cela la seule porte de sortie possible :
… si
ma propre volonté est anéantie et que celle de Dieu me soit donnée en la place,
je ne l’offenserai plus, car il n’y a que ma propre volonté qui puisse faire le
péché. C’est pourquoi je renonce de tout mon cœur à ma propre volonté et me
donne à la très adorable volonté de mon Dieu, afin qu’elle me possède si
parfaitement que je ne l’offense jamais. (Vie
1.9)
Probablement trop
volontaire, elle vit le désespoir des damnés, objets de « l’Ire de
Dieu », et connut deux épisodes terribles qu’elle nomma
« l’Enfer » (1615-1618) et « le Mal de douze ans »
(1621-1633)[731] :
Elle
dit qu’une des plus grandes peine des damnés, c’est l’ennui qui est si grand
que les heures leur semblaient des siècles. (Vie 2.4)
Alors,
elle se résolut de se tuer. Pour cet effet elle prend un couteau […] Dieu lui
ouvrant l’esprit : […] Où suis-je ? […] Je suis encore au monde,
voici une table, un coffre, un lit. Je suis en une chambre, je suis encore en
la terre et par conséquent je puis me sauver. (Vie 2.5)
Elle sort lentement de
cette nuit et vivra encore vingt-deux années. Sur ordre de l’évêque, le père
Jean Eudes l’exorcise « en grec » en 1641. Elle deviendra progressivement
la conseillère d’un grand nombre de visiteurs :
L’an 1653,
au mois de juin, quelques personnes de piété étant venues voir la sœur Marie
pour la consulter sur plusieurs difficultés qu’ils avaient touchant la voie par
laquelle Dieu les faisait marcher, qui était une voie de contemplation, ils
demeurèrent quinze jours à Coutances, la voyant tous les jours et conférant
avec elle sur ce sujet, deux, trois, quatre, et quelquefois cinq heures par
jour. Il est à remarquer qu’elle n’est pas maintenant dans cette voie, étant
dans une autre incomparablement au-dessus de celle-là par laquelle elle a passé
autrefois, mais il y a si longtemps qu’elle ne s’en souvient plus. (Vie 9.6.2)
D’une grande sagesse,
elle évoque alors la diversité des chemins spirituels :
Ce
n’est pas à nous de choisir cette voie et nous ne devons pas y entrer de
nous-mêmes et par notre mouvement. C’est à Dieu de la choisir pour nous et nous
y faire entrer. On n’en doit parler à personne pour la leur enseigner, car si
on y fait entrer des personnes qui n’y soient point attirées de Dieu, on les
met en danger et grand péril de s’égarer et de se perdre […] Il ne faut point
s’imaginer qu’il n’y a que ce chemin qui conduise à l’anéantissement de
nous-mêmes et à la perfection. Les uns y vont par la contemplation, les autres
par l’action, les autres par les croix, les autres par d’autres chemins. Chaque
âme a sa voie particulière. Il ne faut point penser que la voie de la
contemplation soit la plus excellente…
Comme
ils voulaient continuer à lui parler, elle leur dit : « La porte est
fermée, je n’entends plus rien à ce que vous me dites. » (Vie 9.6.2)
Faisant ainsi écho à
Ruusbroec qui renvoyait parfois ses visiteurs lorsqu’il sentait la grâce
d’inspiration absente.
Sa biographie comporte
trois périodes de durées comparables : jeunesse et possession avec des
épreuves extérieures associées (maltraitances de jeunesse, prison et procès à
Rouen) jusqu’à vingt-cinq ans, période d’épreuves intérieures jusqu’à
quarante-quatre ans (enfer, mal de douze ans, 1615-1634), normalisation
progressive et apostolat jusqu’à la mort arrivée à l’âge assez avancé de
soixante-six ans (1634-1656).
Le côté excessif des
possessions et du désespoir a-t-il été exagéré dans les comptes rendus de
témoins en contact avec une malade sans médecins ? C’est une hypothèse
basée sur un grand écart que nous ressentons entre la qualité des « dits » attribuables à sœur Marie
avec certitude et certains des développements qui leur sont associés.
Les dits utilisent des images vives, voire
luxuriantes, et traduisent une culture visuelle typique de qui n’est pas un
intellectuel, utilisant la représentation médiévale du monde. Ces images
demeurent bien organisées et sont associées pour assurer avec succès la
fonction enseignante de véritables paraboles mystiques. Hors image, le dit demeure sobre, « flèche de
feu » comme chez Catherine de Gênes, sûr indice de la vraie mystique
opposée à la visionnaire (qu’elle ne veut pas être : si elle rapporte un
rêve c’est pour l’interpréter allégoriquement de suite à fin d’enseignement
spirituel). D’autre part ses interactions sociales, ses réactions vis-à-vis de
clercs, etc., révèlent un solide bon sens et même un sens critique : ne
travaille-t-elle pas pour deux types de sorciers, ceux d’Église comme les
autres ? Les apports du biographe soulignent souvent l’extrême : car
il s’agit de vanter l’héroïcité face aux défis infernaux.
Les rêves ou
« songes » de Marie des Vallées sont d’une étonnante intensité. Au
commencement ils expriment son angoisse liée aux suspicions de sorcellerie, en
évoquant un monde infernal. Par la suite, ils traduiront l’ouverture vers le
monde divin. Commençons par son antipode :
Elle
se trouva en esprit enfermée un espace de temps dans une salle où il n’y avait
aucune ouverture, par conséquent ni portes ni fenêtres, et au milieu était
l’embouchure de l’enfer, c’est-à-dire un gouffre et un abîme au fond duquel
elle voyait le feu de l’enfer… Chaque jour le lieu où elle était fondait peu à
peu sous ses pieds, et le puits de l’abîme s’augmentait jusqu’à tant qu’il
n’était qu’un petit rebord qui était à la muraille et une petite pièce de bois
percée à jour et détachée de la paroi, à laquelle elle passait son bras pour
s’empêcher de tomber dans l’abîme. Elle criait à Notre Dame : Est-ce là le chef d’œuvre de votre
puissance ? Quelle cruauté ! Ah ! Je ne puis plus demeurer en
cet état. Enfin quand tout fut fondu sous ses pieds, elle se trouva
délivrée. (Vie 1.8)
De même :
Imaginez-vous,
dit-elle, un puits extrêmement large et profond, dans lequel il y a de l’eau et
du feu. L’eau est au milieu en figure ronde, et qui s’élève en haut […] sans
être appuyée ni soutenue tout autour d’aucune chose, demeurant ferme et solide
comme une colonne sans qu’il en tombe une seule goutte, et cette eau est
horriblement vilaine, puante et froide extrêmement et plus que toutes les
glaces imaginables. Le feu est tout autour de l’eau comme si c’était une
muraille qui l’environnât. Si bien que représentez-vous une muraille de feu
tout autour de cette eau, dans laquelle il y a depuis le bas jusques au haut,
quantité de sièges ou de places disposées comme sont les trous d’un colombier.
C’est dans ces sièges de feu qu’elle appelle des chaises que sont les damnés,
et les mêmes sièges sont plus ou moins ardents pour chacun d’eux, qu’ils ont
plus ou moins commis de péchés. Et après qu’ils ont été quelque temps dans le
feu, les démons les prennent et les jettent dans l’eau, et peu après ils les
rejettent de l’eau dans le feu, les faisant ainsi passer d’une extrême chaleur
à une extrême froideur… (Vie 2.6)
Au-delà de cette veine
imaginative, ses dits sont sobres et
montrent un esprit très clair : « au premier degré, la volonté
cherche à devenir conforme à celle de Dieu (Vie 4.2) » ; puis la volonté « ne fait plus
d’élection ; elle ne produit plus aucun acte, comme étant déjà fort malade
d’amour, mais elle laisse agir Dieu pour elle ainsi qu’il lui plaît (Vie 4.2) » ; au troisième
degré, la volonté est morte, anéantie : elle n’a plus de vie ni de
sentiment ; c’est Dieu qui agit ; ailleurs elle parle à ce sujet de
« vivre hors de son être, d’une vie inconnue à celui qui la possède (Vie 9.4) ».
Elle évoque brièvement
la sécheresse mystique…
Notre
Seigneur lui dit qu’elle était comme un vaisseau de terre qui est plein d’une
précieuse liqueur, mais il ne la sent ni ne la goûte point. (Vie 3.8)
… distincte de la
dépression selon ce qu’elle en laisse paraître :
Et
il ne faut point penser que cela vienne de quelque humeur mélancolique fâcheuse
dont elle soit pétrie, car au contraire elle est sanguine de son tempérament et
par conséquent elle est joviale, douce, facile, condescendante et obligeante
tout ce qui se peut. (Vie 3.9)
Elle souligne
l’utilité de l’épreuve par une formule paradoxale et abrupte :
Le
plus grand don que Notre Seigneur lui a fait est de lui avoir donné le
désespoir qui lui a ôté la foi et l’espérance. (Vie 3.8).
Car elle n’est rien en
elle-même – mais habitée par Dieu :
Qu’êtes-vous
donc ? Dit-Il.
Alors
venant à se regarder, elle ne trouve rien.
Notre
Seigneur lui dit : […] C’est moi qui
suis vivant en vous… (Vie 4.8.1)
Le péché disparaît
avec toute propriété, ce qu’elle exprime par un dialogue :
Elle
dit souvent à Notre Seigneur : En
vous cherchant je me suis perdue, et Notre Seigneur lui répond
quelquefois : Eh bien avez-vous
perdu au change ? Je me suis mis en votre place. Et quand elle
s’examine pour trouver en elle quelque péché, Il lui dit : Me croyez-vous capable de pécher ? S’il
y a du péché en vous, c’est moi qui l’ai commis. (Vie 6.13.1)
Elle insiste sur la
seule possibilité qui lui reste de laisser Dieu opérer, bien au-delà des moyens
humains disponibles dans une abbaye d’ici-bas, utilisant un jeu de paradoxes
qui souligne notre incapacité naturelle :
Notre
Seigneur lui proposa une forme d’abbaye dont l’abbesse était la divine Volonté.
La maîtresse des novices était Notre Dame. Les âmes qui y sont venues sont
exercées durant leur noviciat à la connaissance d’elles-mêmes […] ne font
profession que quand elles sont entièrement dépouillées d’elles-mêmes.
Lorsqu’elles font profession, elles sont au pied de la montagne de perfection
sur laquelle s’acheminant, elles commencent de se déifier peu à peu, et en cet
état elles ont à pratiquer les excès de l’Amour divin qui contient sept
articles : Le premier est d’allumer le feu dans l’eau. Le second de
marcher sur les eaux à pied sec. Le troisième d’habiter parmi les couleuvres,
serpents et autres bêtes venimeux sans en être endommagé. Le quatrième de vivre
dans la mort. Le cinquième de faire la guerre à Dieu et Le vaincre. Le sixième
d’être chargé de chaînes et de liens pour aller plus vite. Le septième de
s’abstenir de toute nourriture pour être plus fort et plus gras.
Voici
l’explication que Notre Seigneur lui a donnée de ces choses : Allumer
le feu dans les eaux, c’est conserver l’amour divin dans les souffrances…
Marcher sur les eaux à pied sec, c’est mépriser et fouler aux pieds les
plaisirs licites et illicites sans y toucher […] Faire la guerre à Dieu et Le
vaincre c’est s’opposer à Dieu fortement quand Il veut châtier les pécheurs et
Le fléchir à miséricorde. Être enchaîné pour mieux courir, c’est porter la
peine du péché d’autrui pour aller promptement à Dieu. […] Toutes ces choses
surpassent la nature, dit la sœur Marie. Il n’y a que Dieu seul qui les puisse
opérer dans l’âme […] il n’y a qu’une chose à faire c’est d’avoir toujours les
yeux fixés sur la divine volonté et ne regarder ni le ciel ni la terre. (Vie 4.10-11)
Il faut passer par la
nuit de la purification pour atteindre un Dieu pourtant proche, comme le décrit
ce dialogue construit autour d’une image forte et qui reprend probablement
le déroulement d’un rêve mystique :
Notre
Seigneur lui dit : Que
cherchez-vous ?
–
C’est vous que je cherche, il y a si longtemps et je ne vous trouve point […]
–
Venez, venez ici, Je vous veux donner quelque chose.
Alors
elle vit dans le Saint Sacrement une main extrêmement noire et épouvantable qui
lui donna une grande frayeur. Cette main était serrée et elle tenait en soi
quelque chose qui était dans une enveloppe beaucoup plus noire et épouvantable
que la main. Notre Seigneur ayant levé un coin de cette enveloppe, elle aperçut
une pierre précieuse cachée là-dedans, grosse comme un petit œuf qui jetait des
rayons de lumière extrêmement brillants. Cette pierre précieuse était entourée
de bandelettes qui pourtant ne la couvraient pas toute, et elle vit que cette
pierre précieuse voulait sortir et comme s’échapper pour aller ailleurs. Mais
cette main la retenait dedans soi.
–
Qu’est-ce que tout cela, dit la sœur Marie. Qui est cette main qui est si
noire ? […]
– C’est mon divin amour, répondit Notre
Seigneur […]
– Quel est ce gant ?
–
C’est l’Ire de Dieu […] cette pierre précieuse c’est Moi-même, car Je suis en
vous, Je vous soutiens. (Vie 4.9.19)
Un autre beau dialogue
joue sur le paradoxe de la lumière et de l’aveuglement :
Un
jour Notre Seigneur dit à la sœur Marie : Les aveugles se sont assemblés
pour faire le procès au soleil. Ils disent pour leur raison qu’il a perdu sa
lumière et qu’il faut le chasser du ciel parce qu’il occupe inutilement la
place qu’il y a.
– Je
vous prie, ayez pitié d’eux, car ils ne savent ce qu’ils disent, et leur donnez
un arrêt favorable.
–
Oui, dit Notre Seigneur. Je m’en vais terminer ce procès et lui donnerait arrêt
dans l’excès de mon amour. Et en même temps Il prononça l’arrêt en cette
sorte : Je condamne le soleil de donner des yeux aux aveugles pour le
connaître et pour voir sa lumière. Au même temps que Notre Seigneur parla
du procès des aveugles, la grâce divine descendit… (Vie 5.2.4)
Elle exprime ainsi la
maternité spirituelle :
Vous
êtes suspendue entre le ciel et la terre, car vous n’avez consolation ni du
ciel ni de la terre et vous êtes en travail d’enfant […] vous enfanterez la
joie. (Vie 5.6.6)
La divine volonté
revient très souvent :
Elle
dit qu’elle regarde la divine volonté comme sa reine et qu’elle se comporte
avec elle avec grande soumission et respect et qu’elle ne prend aucune
familiarité avec elle, et que son occupation ordinaire et continuelle est de
chercher les moyens de faire en toutes choses ce qu’elle veut avec promptitude
et fidélité. (Vie 6.2.5)
La grandeur divine se
manifeste par un amour rigoureux :
Mais
l’amour divin est sévère, rigoureux et terrible. Il rit toujours, mais il
frappe bien rudement. Je tremble quand je le vois. Quand on se plaint à lui, il
ne fait qu’en rire ; on ne sait où il va ni où il mène ; il se fait
suivre à l’aveugle. (Vie 6.4)
Les étapes de la voie
sont détaillées dans un songe mystique qui a pour cadre une forêt. Il
décrit de façon imagée le travail de purification, le cheminement sur la voie
mystique de la foi nue sous la forme d’une montée suivie d’un envol spirituel,
enfin la nuit inattendue :
« Frappe sur ces branches ! »
Elle frappe, il en sort du sang. […] Elle coupa ses branches tout autour,
c’est-à-dire celles du bas. […] Et elles arrivèrent à un bel arbre tout émondé
auquel il ne restait qu’une petite branche en haut pour soutenir une colombe.
Elle y monta jusqu’au haut par le moyen des estocs qui y étaient restés après
avoir été émondés, et ne trouvant rien pour s’appuyer, elle fut saisie de
frayeur, mais elle fut changée en colombe et devint aveugle et bien effrayée,
ayant peine à s’appuyer et ne sachant où voler ailleurs, à cause qu’elle était
aveugle (Vie 7.1.4),
car on rencontre Dieu
en faisant l’expérience du néant :
C’est
une chose très certaine que mon esprit s’en est allé au néant et qu’il a épousé
la divine volonté. Ce n’est point une rêverie ni une imagination. C’est une
vérité véritable, de laquelle il m’est impossible de douter. […]
Aujourd’hui,
Il me disait : Si votre esprit revenait, [ne] le voudriez-vous
point ?
--
Non […] j’aimerais mieux aller au néant que de lui donner la moindre étincelle
de l’amour que je dois à Dieu seul. […] C’est un amour déiforme qui
n’appartient qu’à Dieu seul. Il n’y a que Dieu seul qui le puisse donner et par
une très pure bonté : car cet amour ne se peut mériter par aucune bonne
œuvre ni souffrance quelle qu’elle soit[732].
Dans les Conseils, elle souligne que demeurer
dans la « maison du néant » assure la passiveté qui permet à Dieu de
« faire son ouvrage » :
Ce
ne sont pas les goûts, mais l’opération de Dieu que l’on cherche. (§11)
Dieu
dès le premier degré prend l’âme par la main et la conduit ; elle n’a qu’à
demeurer passive et Dieu fait son ouvrage. (§12)
La
sœur Marie [...] très souvent n’aperçoit point même Dieu dans son fond, il se
cache, et elle le laisse cacher, sans vouloir qu’il se manifeste plus
clairement ; car elle ne peut choisir : toute sa capacité est de
laisser faire Dieu. (§20)
Il
est aisé de remarquer quand une âme y est arrivée : elle est contente de
son néant, il lui est toutes choses. (§22)
La
vraie demeure de l’âme, c’est la maison du néant, où il n’y a rien. (§4)
Ce néant, c’est
elle-même qui doit s’effacer devant Dieu, partout présent, si proche qu’Il ne
peut être vu :
« Depuis
qu’Il lui fit voir qu’elle n’était rien et qu’Il était tout en elle, Il est
toujours demeuré dans son cœur. C’est là qu’elle Le trouve et qu’elle Le voit
d’une manière qui est sans nulle forme ni figure. » (Vie 9.6.2)
Quand elle donne
conseil à ses amis, elle souligne combien il est illusoire d’attribuer quelque
importance à ce que l’on réalise par volonté propre, par une comparaison entre
nos enfantillages et la puissance divine (c’est ici
Dieu qui parle) :
Voulez-vous
que je vous fasse voir de quelle façon vous augmentez Ma gloire ?
Dites-moi une chose : voilà un petit enfant qui prend de l’eau dans le creux
de sa main ou au bout de son doigt et qui la jette dans la mer, accroît-il de
beaucoup l’eau de la mer ? […] Il y en a d’autres qui retiennent toute
l’eau dans leur main au lieu de la jeter dans la mer et ce sont ceux qui font
quelques bonnes actions, mais qui Me les dérobent par vanité.
« En
une autre occasion, Il lui dit encore : Voulez-vous savoir ce que vous
faites et de quoi vous servez à Mon œuvre ? Vous y servez autant qu’un
petit enfant de deux ou trois ans qui voyant charger un tonneau dans une
charrette, va pousser au bout avec une petite bûchette, puis il dit qu’il a mis
le tonneau dans la charrette et cependant il a bien plus apporté d’obstacle
qu’il n’a servi, incommodant et retardant ceux qui chargeaient le tonneau,
parce qu’ils avaient crainte de le blesser. (Vie 10.4)
Un dense résumé d’une
vie mystique :
J’ai
donné cette médecine à mes apôtres et à mes meilleurs amis. Elle est composée
de trois ingrédients, donner, recevoir et demander. Donner à Dieu sa vie
humaine et recevoir Sa vie divine laquelle on reçoit à mesure qu’on lui donne
la sienne […] Et quand il est tout à fait mort à soi-même et à la vie humaine,
il ne vit plus que de Dieu et il n’y a plus rien en lui que de divin, il se
présente à Dieu ayant en soi Ma vie et tous Mes mérites, et lui demande
hardiment le salut du prochain et tout ce qui est nécessaire pour le procurer.
Voilà le plus court chemin de la perfection. (Vie, 10.3.1)
… est suivi d’un encouragement sous la forme d’une certitude d’un achèvement sans distinction de qualités propres :
Il y
a cette différence entre ceux qui tendent à la perfection et les gentilshommes
qu’entre ceux-ci il y a des comtes et des barons, des marquis, des ducs et très
peu de rois, car il est impossible que tous soient rois. Mais tous ceux qui
tendent à la perfection peuvent devenir rois, car à mesure qu’ils perdent leur
vie, ils vivent de la vie de Dieu, et quand ils sont tout à fait morts à
eux-mêmes, ils ne vivent plus que de la vie de Dieu et pour lors ils sont rois.
(Vie 10.9.1)
En résumé, son
orientation spirituelle consiste en une soumission totale, aimante, absolument
désintéressée, à la volonté de Dieu, sans avoir aucun égard ni au mérite ni à
la récompense, ce qui n’exclut pas un dialogue d’égal à égal avec les
médiateurs Jésus-Christ et sa Mère. Elle porte les peines d’autrui dans un
désir profond de leur salut, « pour enfanter la joie ».
Elle apprend à lire et
goûte Benoît de Canfield, apprécie Thomas Deschamps[733] (comme l’apprécia également Jean de
Saint-Samson), mais fait une réserve pour Thérèse (comme le fit madame Acarie à
son premier contact par lecture seule), qui lui paraît placer trop haut un
sensible qui précède la nuit. Cette discrimination qui témoigne de son
expérience mystique est attestée ainsi :
Auparavant
qu’elle vint à Coutances, elle ne savait pas lire, mais lorsqu’elle y fut, on
lui apprit à lire. En ce temps-là, Notre Seigneur lui fit avoir un livre qui
s’appelle : la Règle de la
Perfection qui est divisé en trois parties. La troisième partie traite de
la plus haute contemplation et les deux premiers enseignent les moyens dont on
peut se servir pour y arriver.
Lorsqu’elle
eut ce livre, elle ne savait que lire très imparfaitement, en épelant et en
hésitant. Néanmoins lorsqu’elle vint à l’ouvrir, elle lisait tout courant et
sans broncher dans la troisième partie, et qui plus est, elle l’entendait fort
bien. Mais elle ne pouvait lire dans les deux autres, d’autant qu’elle n’en
avait que faire, Dieu ne l’ayant point fait passer par ce chemin là pour la
conduire à la perfection où elle était arrivée et qui était décrite dans cette
troisième partie.
Notre
Seigneur lui donna encore un autre livre composé par un prêtre nommé Thomas
Deschamps, intitulé les Fleurs de l’Amour
Divin ou le Jardin des Contemplatifs,
là où l’on voyait plusieurs choses de très haute perfection […] quand elle
lisait ce que sainte Thérèse a écrit dans ses livres touchant la plus sublime
contemplation, elle s’étonnait de ce que cette sainte en faisait tant d’états,
parce qu’elle croyait que cela était commun à tout le monde. (Vie 9.6)
Elle se sent très
proche de Catherine de Gênes :
La
sœur Marie assure qu’elle a expérimenté en soi beaucoup de conformité avec ce
qui est écrit de sainte Catherine de Gênes en sa Vie, excepté qu’il y avait en cette sainte beaucoup d’amour
sensible… Sainte Thérèse va doucement et
s’avance peu à peu, mais je suis trop précipitée, dit la sœur Marie, je marche à la désespérade, (c’est son
mot) : témoins ces grands désirs que
j’ai eus de l’enfer […] sainte
Catherine de Gênes ne veut rien que ce que Dieu veut […] C’est pourquoi
elle dit que sainte Catherine de Gênes est sa bonne sœur. (Vie 7.5)
Elle exerce une
profonde influence sur saint Jean Eudes, qui défend son souvenir avec constance,
comme un bien majeur qu’il ne peut trahir. Il notera : « J’eus le
bonheur de commencer à connaître la sœur Marie des Vallées, par laquelle sa
divine Majesté m’a fait un très grand nombre de grâces très signalées[734]. » Car seule une intime certitude de la
circulation de grâce, associée aux rapports visibles, permet d’être fidèle à
des personnes dont on ne partage pas forcément les caractères
particuliers ; il en sera de même entre Madame Guyon et Fénelon.
Une autre influence
dont on possède la trace écrite concerne le baron de Renty Renty qui vient
la voir en 1642:
Nous
vous avons bien recommandée à cette bonne âme [sœur Marie], quoi qu’elle ne
vous ait pas oubliée depuis la première fois, elle vous est fort liée.
Elle lui donne
« la clef qui ouvre le chemin que j’ai marché en cette
vie » :
Dans
ce chemin l’amour divin consomme l’âme en lui-même, et la transforme en
Dieu ; il l’anéantit et la déifie, et n’y demeure que Dieu seul vivant et
régnant. Voilà la dignité…[735]
Contribution à
« Marie des Vallées, la « sainte de Coutances », Actes du Colloque du 1er juin
2013 réunis pa le P. Daniel Doré, cjm, Vie
Eudiste, hors série, 39-48.
L’influence de
Marie des Vallées (1590-1656) [M des V] s’exerça directement par les conseils
qu’elle donna à ses visiteurs dont saint Jean Eudes, Jean de Bernières et
d’autres spirituels de l’Ermitage de
Caen fondé par ce dernier.
La postérité
d’une telle influence fut assurée à la génération suivante puis plus récemment
grâce aux « dits » rapportés. Ils sont livrés dans La Vie admirable rédigée par saint Jean
Eudes et dans les Conseils édités en
collaboration avec Joseph Racapé[736].
§
Regrettons que l’état
de santé du Père Racapé ne lui ait pas
permis d’assurer un aller-retour entre Paris et Coutances. M’intéressant à
madame Guyon et à sa lignée spirituelle dont monsieur de Bernières[737], je
suis venu aux Archives eudistes consulter les dossiers assemblés par le P. Du
Chesnay en vue d’une grande thèse inachevée sur le fondateur de l’Ermitage. Leur conservateur m’a fait
découvrir le manuscrit dit de Québec et devint un ami. Il a repris avec grand
soin ma transcription et éclaire la lecture d’un texte imprégné par la pratique
religieuse traditionnelle. Il a ajouté l’Abrégé.
Le volume s’achève par un texte méconnu, les Conseils d’une grande servante de Dieu attachés au Directeur mystique publié en milieu
protestant à Amsterdam en 1726. Nous touchons ici à des influences qui
s’exercèrent au sein de milieux les plus divers.
§
Les membres de
l’Ermitage de Caen faisaient annuellement un séjour auprès de « sœur
Marie ». Nous en trouvons des traces écrites dans La Vie ou les Conseils (leurs références figurent en notes dans notre
contribution rédigée). Voici un passage assez long mais révélateur :
L’an 1653,
au mois de juin, quelques personnes de piété étant venues voir la sœur Marie
pour la consulter sur plusieurs difficultés qu’elles
avaient touchant la voie par laquelle Dieu les faisait marcher, qui était une
voie de contemplation, elles demeurèrent quinze
jours à Coutances, la voyant tous les jours et conférant avec elle sur ce
sujet, deux, trois, quatre, et quelquefois cinq heures par jour.
Il est à
remarquer qu’elle n’est pas maintenant dans cette voie, étant dans une autre
incomparablement au-dessus de celle-là par laquelle elle a passé autrefois,
mais il y a si longtemps qu’elle ne s’en souvient plus. C’est pourquoi, lorsqu’elles lui parlaient de cela, au commencement elle leur
disait que ce n’était pas là sa voie et qu’elle n’y entendait rien. Mais peu
après Dieu lui donna une grande lumière pour répondre à toutes leurs questions,
pour éclaircir leurs doutes, pour lever leurs difficultés, pour parler
pertinemment sur l’oraison passive, pour en découvrir l’origine, les qualités
et les effets, pour faire voir les périls qui s’y rencontrent, pour donner les
moyens de les éviter et pour discerner la vraie dévotion d’avec la fausse.
« Cette
voie est fort bonne en soi, leur dit-elle, et c’est la voie que Dieu vous a
donnée pour aller à lui, mais elle est rare : il y a peu de personnes qui
y passent, c’est pourquoi il est facile de s’y égarer.
« Ce
n’est pas à nous de choisir cette voie et nous ne devons pas y entrer de
nous-mêmes et par notre mouvement. C’est à Dieu de la choisir pour nous et nous
y faire entrer. On n’en doit parler à personne pour la leur enseigner, car si
on y fait rentrer des personnes qui n’y soient pas attirées de Dieu, on les met
en danger et grand péril de s’égarer et de se perdre. Si quelques-uns en
parlent, il faut les écouter. Si on reconnaît à leur langage qu’ils marchent en
ce chemin, alors on peut s’en entretenir avec eux. Cette voie est pleine de
périls, il y faut craindre la vanité, l’amour-propre, la propre excellence,
l’oisiveté et perte de temps.
« Il ne
faut pas s’imaginer qu’il n’y ait que ce chemin qui conduise à l’anéantissement
de nous-mêmes et à la perfection. Tous chemins vont en ville. Il y a une
infinité de voies qui vont à la perfection : les uns y vont par la
contemplation, les autres par l’action, les autres par les croix, les autres
par d’autres chemins. Chaque âme a sa voie particulière. Il ne faut pas penser
que la voie de la contemplation soit la plus excellente… [738]
Les conférences
mystiques n’excluaient pas de bons moments. Mais ils restent contrôlés :
Dans un voyage
que M. de Bernières fit à Coutances, pendant qu’il y fut il alla souvent
prendre son repas chez M. Potier où était la sœur Marie. Or l’un et
l’autre firent dessein d’envoyer quérir du sucre et quelque autre petite
délicatesse, afin de le mieux traiter, mais lorsqu’il était présent, ils ne
s’en souvenaient point du tout ; et quand il était parti, ils étaient
fâchés d’y avoir manqué, mais pourtant ils oublièrent encore par après, excepté
un soir qu’ils l’attendaient et qu’ils se souvinrent bien, mais cette fois il
ne vint point. Ensuite de cela, comme la sœur Marie se plaignait de leur peu de
mémoire, Notre Seigneur lui dit : « C’est ma divine volonté qui en a
ainsi disposé. Elle veut que vous lui aidiez à marcher dans le chemin de la
perfection. Toutes ces choses ne sont que des retardements, excepté quand on en
use par infirmité ou par quelque autre bonne raison. »][739]
Le grand respect de
tous les pèlerins mystiques envers celle qu’ils nommaient notre « sœur
Marie » demeura gravé dans le bronze ce dont témoigne la cloche du
séminaire de Coutances : « +1655 iai este nommee Marie par Marie des Vallers et par Mre
Jean de Berniere ». Et sœur Marie fut inhumée dans la chapelle du
séminaire de Coutances, le 4 novembre 1656[740].
Elle était donc bien
« considérée comme une sainte femme, et une conseillère
spirituelle avisée, par beaucoup de personnes notables. On peut citer entre
autres : Gaston de Renty (1611-1649) ; Jean de Bernières
(1602-1659) ; la mère Mechtilde du Saint-Sacrement (Catherine de Bar)
(1614-1698), fondatrice des Bénédictines du Saint-Sacrement ; Catherine de
Saint-Augustin ; Simone de Longprey (1632-1668 à Québec), moniale
hospitalière de la Miséricorde, béatifiée le 23 avril 1989 ; Mgr François
de Montmorency-Laval (1623-1708), premier évêque de Québec, béatifié le 22 juin
1980 ; Mgr Pierre Lambert de la Motte (1624-1679), vicaire apostolique de
Cochinchine, etc. » [741].
Jean Eudes prit courageusement sa défense dans
son Abrégé que nous publions à la
suite de la Vie : il ne pouvait
abandonner sa dirigée et en même temps inspiratrice ; il précède ainsi
l’archevêque de Cambrai Fénelon prenant la défense de madame Guyon.
Comprenons bien la source
toute intérieure, clef du respect de tous ces proches, livrée dans les Conseils. Que se passait-il autour
d’elle ? On perçoit trois niveaux :
1.Elle répond aux
questions et ses réponses seront notées probablement le jour même par ses
interlocuteurs dont saint Jean Eudes,
2.Elle raconte ce qui
lui arrivait dont ses « songes » ou rêves, pour instruire,
3.Une communication de
cœur à cœur en silence se produit dans une prière commune mystique.En témoigne
probablement Bernières dans les Conseils d’une
grande servante de Dieu rapportés dans le Directeur mystique :
27. Je dis à la sœur Marie que je conversais avec elle en Dieu, sans que je pense y converser de paroles. Elle m’a dit qu’il y a un langage intérieur, et que cela était vrai. Je suis venu peu à peu à ne plus parler avec elle, mais à demeurer auprès d’elle en Dieu […] J’ai bien connu que c’était imperfection à moi de lui parler, n’étant pas la manière que Dieu voulait sur moi. Il me semblait que mon âme était introduite dans un cabinet seule avec elle, où les autres ne pouvaient empêcher la conversation, non pas elle-même : c’est un pur don que Dieu seul peut faire[742].
33. En l’année 1655, notre voyage pour voir la sœur Marie ne fut pas à dessein d’avoir quelque réponse ou quelque don particulier, mais afin d’obtenir par ses prières, l’établissement de la réelle présence de Dieu dans le fond de notre âme. Nous avions eu quelques mois auparavant plusieurs lumières qu’il y a dans l’essence de l’âme une capacité comme infinie de recevoir cette réelle présence ou plutôt d’être abîmée en Dieu même ; nous étions dégoûtés de nous servir d’aucuns moyens, cette communication essentielle de Dieu ne se pouvant faire qu’en Dieu et par Dieu même, ce que notre âme expérimente par un instinct secret.
34. Elle ne laissa pas de nous dire des histoires, ou des visions ou lumières qu’elle avait eues de l’état de déification, qui faisaient connaître le bonheur d’une âme qui entre en cet heureux état. Nous lui témoignâmes de le désirer, et que nous ne pouvions plus goûter aucun don, mais Dieu seul, et qu’elle priât pour nous obtenir cette grande miséricorde : nous trouvions notre intérieur changé, comme étant établi dans une région plus indépendante de moyens, et où il y a plus de liberté, de pureté et de simplicité, où l’anéantissement et la mort de soi-même sont expérimentés d’une manière tout autre que par le passé.[743]
Puis l’influence
devenue moins directe se poursuit cependant sur la génération suivante
par la diffusion de ses paroles :
-Soit perçue
négativement par des jansénistes (nous ne traitons pas les épisodes compliqués
de la collision entre mystiques et anti-mystiques),
-Soit perçue
positivement - cela nous intéresse - par d’autres spirituels. D’abord par
l’intermédiaire de Mgr de Laval qui emporta en Nouvelle-France notre
manuscrit. C’est un indice de vénération profonde car on ne transportait pas de
bibliothèques dans les traversées aventureuses de l’époque ! Le manuscrit
« de Québec » traversa d’ailleurs deux fois l’océan…
L’influence atteindra
à la fin du siècle madame Guyon – elle se rattache au même réseau mystique par
monsieur Bertot passeur de Caen à Montmartre–
réseau qui s’étendit ainsi à Paris et pénétra la Cour peu après le
milieu du siècle. Madame Guyon écrit en 1693 au duc de Chevreuse :
... pour Sœur
Marie des Vallées, les miracles qu’elle a faits depuis sa mort et qu’elle fait
encore en faveur des personnes qui l’ont persécutée, la justifient assez. C’est
une grande sainte et qui s’était livrée en sacrifice pour le salut de bien des
gens. Elle était très innocente, l’on ne l’a jamais crue dans le désordre, mais
bien obsédée et même possédée, mais cela ne fait rien à la chose[744].
L’influence se
prolonge encore au XVIIIe siècle par les Conseils édités près d’Amsterdam en 1726 par le groupe du pasteur
Poiret, influent éditeur de trésors mystiques[745].
Puis la personnalité
de M des V parvint à émouvoir des chercheurs spirituels au XXe
siècle :
Emile Dermenghem,
reconnu par la suite pour ses belles études sur le soufisme, la fait
heureusement revivre même s’il insiste sur les possessions et autres étrangetés
[746].
Julien Green
témoignera dans son Journal :
La Vie de
Marie des Vallées est vraiment un livre extraordinaire […] : « Je vous crucifierais, dit-elle
au Seigneur, je frapperais à grands coups de marteau sur les clous, je vous
mettrais même en Enfer, si la Divine Volonté me l’ordonnait ». Voilà qui
est parler, et que nous sommes loin des timides façons du christianisme ordinaire !
[…] Que cette sainte me plaît. Elle parle à Dieu presque d’égal à égal,
et elle a l’air d’avoir perdu la tête au moment où son bon sens de paysanne est
le plus fort. [747] .[748].
§
Quel intérêt nous pousse à lire M des V aujourd’hui ?
Selon deux champs distincts :
Le témoiognage éclaire
les conditions difficiles auxquelles eurent à faire face des mystiques au début
du XVIIe siècle. Leurs vies présentent des phases semblables :
épreuves, déréliction, parfois troubles proches de la folie, résurrection
intérieure. Même Benoît de Canfield ou François de Sales en sa jeunesse se
croient un moment au moins perdus !
La comparaison de deux
grandes figures qui sortirent de leur enfer héroïquement par le haut reste à
faire : je pense au proche cadet Jean-Joseph Surin (1600-1665) [Marie des
Vallées : 1590-1656].
Comme lui,
l’« innocente » servante, obsédée par la crainte voire la conviction
d’être possédée, à une période où l’on brûle les sorcières par milliers, s’est
jetée sans réserve à Dieu. Elle s’est aussi dangereusement « livrée en
sacrifice » pour le rachat de ses persécuteurs. Ce don a renforcé des
épreuves. On apprécie mieux aujourd’hui le risque d’une telle offrande à porter
le mal d’autrui. Jean-Joseph Surin arrive à Loudun en 1634, l’année où Marie
émerge du « mal de douze ans » et il va entreprendre à son tour un
étrange voyage intérieur.
Dans ses précieuses
notices à l’édition de la correspondance de Surin[749],
Michel de Certeau décrit comment le jésuite tente une approche humaine au
milieu du théâtre fou de Loudun – et ce qui s’ensuivit[750].
Il s’agit de quitter
ce qui attire notre curiosité et de tenter une approche plus intérieure.
M des V montre comment
l’on peut surmonter ses handicaps naturels par le haut, comme le fera Surin (et
d’autres). Ces handicaps furent probablement renforcés par ce que nous pensons
avoir été des épreuves troubles vécues dans sa jeunesse -peut-être même peut-on
supposer quelque viol dont on imagine les effets sur bien des années.
De tels témoignages
mis à jour et situés dans leur contexte soulignent comment peut s’opérer une
progressive emprise de Dieu. Cette emprise permet de passer au-delà du plan
psychologique et d’atteindre le plan spirituel, ce dont témoigne une grande
paix et sagesse durant les dix dernières années. Selon une voie certes étrange
et dépendante de l’époque. En témoignent des rêves et des « dits » de
toute beauté.
Il faut ici souligner
ce qui constitue à nos yeux le bon « mode d’emploi » de La Vie : commencer la lecture au Livre
quatrième sinon même par les Conseils
à la fin du volume! Ce que j’ai vérifié la semaine dernière lors d’une relecture de l’ensemble du volume : à une
rupture de la copie par introduction de feuillets vierges et par un changement
de main du copiste (indiqué note 121, page 151) correspond un changement très
profond d’atmosphère où les beaux et profonds passages prennent place en
remplaçant bien des diableries. S’agirait-il de deux rédactions
distinctes d’époques différentes?
§
Je vous convie à
achever cette matinée sur quelques extraits d’un volume de 693 pages :
Le deuxième
jour de décembre [1644], Notre Seigneur lui proposa une forme d’abbaye dont
l’abbesse était la divine Volonté. […]
Les âmes qui
sont en ce noviciat ne font profession que quand elles sont entièrement
dépouillées d’elles-mêmes. Lorsqu’elles font profession, elles sont au pied de
la montagne de perfection sur laquelle s’acheminant, elles commencent de se
déifier peu à peu, et en cet état elles ont à pratiquer les excès de l’amour
divin qui contient sept articles :
Le premier est
d’allumer le feu dans l’eau.
Le second de
marcher sur les eaux à pied sec. […]
Le cinquième
de faire la guerre à Dieu et Le vaincre. […]
Voici
l’explication que Notre Seigneur lui a donnée de ces choses : allumer le
feu dans les eaux, c’est conserver l’amour divin dans les souffrances. Plus les
souffrances s’augmentent, plus l’amour divin s’augmente et s’embrase.
Marcher sur
les eaux à pied sec, c’est mépriser et fouler aux pieds les plaisirs licites et
illicites sans y toucher. Les plaisirs sont signifiés par les eaux parce qu’ils
s’écoulent comme l’eau et n’ont point d’arrêt.
[…]
Faire la
guerre à Dieu et le vaincre, c’est s’opposer à Dieu fortement quand Il veut
châtier les pécheurs et le fléchir à miséricorde[…]
Toutes ces
choses surpassent la nature, dit la sœur Marie. Il n’y a que Dieu seul qui les
puisse opérer dans l’âme. [751]
§
Un
jour Notre Seigneur dit à la sœur Marie : « Les aveugles se sont
assemblés pour faire le procès au soleil. Ils disent pour leur raison qu’il a
perdu sa lumière et qu’il faut le chasser du ciel parce qu’il occupe
inutilement la place qu’il y a.
– Je
vous prie, ayez pitié d’eux, car ils ne savent ce qu’ils disent, et leur donnez
un arrêt favorable.
–
Oui, dit Notre Seigneur. Je m’en vais terminer ce procès et lui donnerais arrêt
en l’excès de mon amour. »
Et
en même temps Il prononça l’arrêt en cette sorte : « Je condamne le
soleil de donner des yeux aux aveugles pour le connaître et pour voir sa
lumière. »[752]
[…]
–
Qu’est-ce que ces yeux et qu’est-ce que cette lumière du soleil ?
–
Ces yeux, répliqua Notre Seigneur, c’est Ma divine grâce que Je donnerai à
tous, et la lumière du soleil, c’est la foi.[753]
§
Elle aime Dieu
purement :
L’an 1653,
le 29 juillet, la sœur Marie, étant animée extraordinairement, parla en cette
sorte : « C’est une chose très certaine que mon esprit s’en est allé
au néant et qu’il a épousé la divine Volonté. Ce n’est point une rêverie ni une
imagination.[754]
§
Dans la même
inspiration :
Il lui
dit : « Vous êtes comme un luth qui ne dit mot si on ne le touche, et
qui ne dit que ce qu’on lui fait dire ; c’est la divine volonté qui vous
anime, qui vous fait parler et qui vous fait dire ces choses[755]. »
§
Ses visions sont d’une
grande beauté mais parfois obscures elles demandent attention et interprétation.
Ce sont des analogies mystiques :
Un jour la
Sainte Vierge dit à la sœur Marie : « Allons, ma grande basse
[servante], travailler au bois. » La Sainte Vierge avait une faucille, une
hache et une échelle dont les échelons étaient de corde, et une petite bêche.
Elle la mena à l’entrée du bois où ce n’était qu’épines et broussailles. Elle
lui bailla la faucille et lui commanda d’essarter [débroussailler] toutes ces
épines. Elle le fait et voyant ses mains ensanglantées, elle dit à la Sainte
Vierge : « Ma mère, j’ai mes mains tout ensanglantées. » La
Sainte Vierge répartit : « Mon Fils ne m’a jamais demandé de mitaines. » Elle continue, fait la même plainte plusieurs
fois et entend la même réponse. En essartant, elle arrive à un bel arbre touffu
qui jetait de belles branches de tous côtés. La Sainte Vierge lui dit :
« Frappe, ma grande basse, frappe sur ces branches ». Elle frappe, il
en sort du sang.
Elle en a
frayeur et se veut retirer. La Sainte Vierge lui dit plusieurs fois avec
colère : « Frappe, il occupe la
terre. » Elle coupa ses branches tout autour, c’est-à-dire celles du bas.
Elle lui commanda d’essarter comme devant avec
les mêmes plaintes et les mêmes réponses, et elle disait ce verset :
Sequar quocumque ierit. Et elles arrivèrent à un bel arbre tout émondé auquel
il ne restait qu’une petite branche en haut pour soutenir une colombe. Elle y
monta jusqu’en haut par le moyen des estocs qui y étaient restés après avoir
été émondés, et ne trouvant rien pour s’appuyer, elle fut saisie de frayeur, mais
elle fut changée en colombe et devint aveugle et bien effrayée, ayant peine à
s’appuyer et ne sachant [273v] où voler ailleurs, à cause qu’elle était
aveugle.[756]
§
Son exigence :
Eh bien !
Que demandez-vous ? Voulez-vous que je vous donne la méditation ?
– Nenni,
dit-elle, ce n’est pas cela que je veux.
– Voulez-vous
la contemplation ?
– Non.
– Quoi
donc ?
– Je demande
la connaissance de la vérité ! [757]
§
Son plus profond désir
est de sauver les âmes :
« Mais quand je serais arrivée à la porte
du paradis, après que toutes les âmes y seraient entrées jusqu’à la dernière,
si on me fermait la porte, que dirais-je ? Je dirais à Dieu sans regret,
puisque toutes les âmes sont sauvées : « Je suis en repos, je suis
contente qu’on m’envoie au néant »[758]
§
Sa grande prudence
dans la conduite d’autrui due à une longue expérience :
Ce n’est pas à
nous de choisir cette voie et nous ne devons pas y entrer de nous-mêmes et par
notre mouvement. C’est à Dieu de la choisir pour nous et nous y faire entrer.
On n’en doit parler à personne pour la leur enseigner, car si on y fait rentrer
des personnes qui n’y soient pas attirées de Dieu, on les met en danger et
grand péril de s’égarer et de se perdre. Si quelques-uns en parlent, il faut
les écouter. Si on reconnaît à leur langage qu’ils marchent en ce chemin, alors
on peut s’en entretenir avec eux. Cette voie est pleine de périls, il y faut
craindre la vanité, l’amour-propre, la propre excellence, l’oisiveté et perte
de temps.
Il ne faut pas
s’imaginer qu’il n’y ait que ce chemin qui conduise à l’anéantissement de
nous-mêmes et à la perfection. Tous chemins vont en ville. Il y a une infinité
de voies qui vont à la perfection : les uns y vont par la contemplation,
les autres par l’action, les autres par les croix, les autres par d’autres
chemins. Chaque âme a sa voie particulière. Il ne faut pas penser que la voie
de la contemplation soit la plus excellente.[759]
§
Sa manière ordinaire de connaître la vérité des
choses qui lui sont proposées par diverses personnes n’est pas par intelligence
ni par lumière, mais par un goût expérimental qui lui ouvre le fond du cœur
dans lequel elle entre…[760]
§
Sa modestie empreinte
de réalisme :
En une autre
occasion, Il lui dit encore : « Voulez-vous savoir ce que vous faites
et de quoi vous servez à Mon œuvre ? Vous y servez autant qu’un petit
enfant de deux ou trois ans qui voyant charger un tonneau dans une charrette,
va pousser au bout avec une petite buchette, puis il dit qu’il a mis le tonneau
dans la charrette et cependant il a bien plus apporté d’obstacle qu’il n’a
servi, incommodant et retardant ceux qui chargeaient le tonneau, parce qu’ils
avaient crainte de le blesser. [761]
§
Terminons par ce beau
passage qui fait songer à Ruusbroec :
L’an 1647,
la sœur Marie entendit une voix qui criait en elle : « Audience,
audience, ô grande mer d’amour. C’est une petite goutte de rosée qui demande
d’être absorbée dans vos ondes, afin de s’y perdre et de ne se retrouver
jamais. » Cette voix cria ainsi presque trois jours durant continuellement.
La sœur Marie
demanda : « Qu’elle est cette voix ?
– C’est la
voix, dit Notre Seigneur, d’une âme qui est arrivée à la perfection, laquelle
est dépouillée d’elle-même et de tout ce qui n’est point Dieu, et qui est
revêtue et embrasée d’amour et de charité, et qui crie par les grands désirs
qu’elle a d’être tout à fait transformée et déifiée [762].
Mais je la laisse dans ce divin feu afin de la purifier encore davantage.
Les Amitiés mystiques
de Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, Un florilège établi par D. Tronc
avec l’aide de moniales de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, Hors
Commerce (développement en cours), 457p.
« Le
langage des mystiques est fort malaisé à entendre pour ceux qui ne le sont pas.
« C’est une théologie qui consiste toute en
expérience, puisque ce sont des opérations de Dieu dans les âmes par des
impressions de grâces et par des infusions de lumières ; par conséquent
l’esprit humain n’y saurait voir goutte pour les comprendre par lui-même.
« Ce « Rien » dont notre Mère
[Mectilde] parle avec tant d’admiration se trouve de cette nature. C’est, sans
doute, un dépouillement de l’âme effectué par la grâce, qui la met en nudité et
en vide, pour être revêtue de Jésus-Christ, et pour faire place à son Esprit
qui veut venir y habiter.
« Mais nous pouvons dire encore que la
nature par elle-même ne peut arriver à cet état. Il n’appartient qu’à Celui qui
a su, du rien faire quelque chose, la réduire de quelque chose comme à Rien,
non pas par son anéantissement naturel, mais par un très grand épurement de
tout le terrestre, où il la peut mettre. » [763].
Il n’est nul besoin de revenir sur la vie extérieure de Mère Mectilde
(voyages, épreuves, fondation de l’Institut, etc.) puisqu’elle a été fort bien
décrite dans tous ses détails. Notre point de vue sera tout autre, car nous
allons nous centrer sur le vécu intérieur de Mectilde. Sa vie se nourrit en
effet d’une expérience spirituelle profonde et les fondations ne sont que le
jaillissement créateur qui en est issu : sans la grâce, l’action dans le
monde n’aurait ni sens ni fondement. C’est cette intériorité qui attire encore
à l’heure actuelle les femmes qui aspirent à rentrer dans la communauté :
l’appel mystique vécu par la mère fondatrice s’est transmis de génération en
génération, toujours vivant.
Autour de cet axe central, il
nous a paru utile de rassembler des textes qui sont toujours d’actualité pour
le chercheur spirituel, car ils émanent d’une personne qui a demandé la grâce
et qui l’a reçue. Ce choix comprend essentiellement des lettres de Mère
Mectilde : elle fut en effet en relation avec de nombreux correspondants
qui partageaient la même recherche mystique. De nombreuses lettres possèdent
une force intérieure toujours actuelle qui peut aider des chercheurs de vérité.
C’est tout un milieu que nous allons découvrir : c’est pourquoi
nous avons donné à ce volume le titre d’Amitiés mystiques [764]. Dès sa jeunesse et pendant
une vie exceptionnellement longue pour l’époque puisqu’elle couvre
quatre-vingt-trois années, Mectilde a connu un milieu très favorable à
l’expérience intérieure. Nous verrons ainsi se succéder des
correspondant(e)s que nous avons classé(e)s en trois groupes selon un
ordre chronologique : des « aînés » dans la voie spirituelle
l’ont aidée dans sa recherche intérieure ; puis elle a noué des amitiés
avec des compagnes de la même génération ; enfin en tant que Mère
Mectilde du Saint-Sacrement, elle a transmis son expérience à ses dirigées ou aux
visiteurs.
Chaque figure aura son entrée et un choix de textes. L’ordre
chronologique sera respecté : il s’ouvre sur les initiateurs et s’achève
sur des figures sous influence tandis que la première ANNEXE donne une liste de
figures omises au fil du texte principal.
Nous verrons ainsi le franciscain du Tiers Ordre régulier Chrysostome de
Saint-Lô, puis Jean de Bernières s’imposer comme ses directeurs principaux,
tandis que Marie des Vallées et Charlotte Le Sergent ont exercé des influences
profondes, mais plus discrètes (QUATRE « AÎNÉS DIRECTEURS »).
Mectilde ayant alors atteint la maturité peut fonder et animer
mystiquement son Institut des bénédictines du Saint-Sacrement. Elle nous fait partager un “véritable esprit” qui l’anime par des
extraits de Conférences et d’Entretiens.
Revenant au fil des amitiés mystiques nous nous attacherons à des
COMPAGNES ET COMPAGNONS : l’amie Marie de Châteauvieux, la Mère
Benoîte de la Passion (Élisabeth de Brême), Dorothée (Heurelle) deviennent des
bénédictines rattachées à l’Institut. Le lorrain Épiphane Louys, confesseur
mystique et abbé d’Estival, est en relation étroite avec la Mère Benoîte et
aidera Mectilde. Monsieur Bertot, ami de Jean de Bernières et confesseur des
ursulines de Caen puis des bénédictines de Montmartre, assurera des contacts.
Puis nous nous intéresserons à la génération suivante une AMIE & DES
MONIALES. Elles se livraient en toute vérité et Mère Mectilde répondait
sans complaisance avec toute la rigueur nécessaire au grand but poursuivi, mais
guidée par l’amour immense dans lequel elle baignait.
Enfin, n’oublions pas des RELATIONS & INFLUENCES plus larges et
parfois tardives. La Tradition bénédictine fut forte, les relations avec le
jésuite Guilloré ou avec l’archiprêtre Boudon furent cordiales. À la fin de sa
vie, la Mère du Saint-Sacrement rencontra madame Guyon et Fénelon, figures éminentes du courant de
la quiétude issu d’une même source, l’Ermitage fondé par monsieur de Bernières.
§
Ce parcours chronologique ne livre qu’une petite partie de ce qui nous
est parvenu, car les moniales nous ont préservé près de trois mille lettres et
pièces diverses en les recopiant durant trois siècles [765]. Ces lettres et
d’autres pièces manuscrites [766] sont répertoriées dans
un Fichier
central [767] établi au siècle dernier.
Nous disposons de près de mille d’entre elles, éditées à fin de lecture
spirituelle [768]
et connaissons souvent l’histoire des transmissions [769].
L’intérêt des correspondances l’emporte à l’époque classique sur celui
des textes publiés, car elles traduisent des amitiés initiatrices qui
respectent « l’autre » dans ce qu’il a de personnel et d’unique [770].
Leur usage privé ou limité à des lectures dans un cercle discret permettait
d’échapper aux censures de l’État et de l’Église. Enfin les lettres résistaient
assez bien aux travaux éditoriaux de réécriture [771] courants à l’époque.
Ce Florilège a été établi par « distillations successives »
opérées par lecture de l’ensemble des imprimés disponibles. Les extraits
proposés ont été vérifiés et corrigés par sœur Marie-Hélène Rozec [s. M.-H.] en
recourant à des manuscrits considérés comme fiables par les auteures du Fichier Central. Nous y avons adjoint des extraits de manuscrits, tels que ceux concernant Madame de Béthune,
ainsi que des extraits d’écrits hors correspondances (Conférences et Entretiens). Dans tous les cas l’orthographe a été revue ainsi que la
ponctuation.
Rares sont les ensembles de correspondances qui conservent une pleine
utilité pour le lecteur d’aujourd’hui : pour le Grand Siècle, on peut
citer celles de François de Sales, Jean-Joseph Surin, Marie de l’Incarnation
(du Canada), Jeanne-Marie Guyon, François de Fénelon. Les lettres de Mère
Mectilde sont de la même profondeur.
Afin de situer Mectilde au centre de relations multiples, nous
commencerons par un bref rappel des durées qu’elle vécut en des lieux très
divers : il témoigne d’une longue vie semée d’épreuves. On complétera
cette présentation par les études disponibles citées en notes et annexes.
Le premier chapitre s’achève sur une « Chronologie et durée des
états de vie ». Chaque personnalité incarnant la grâce de façon
différente, des extraits tenteront de cerner l’esprit mystique qu’elle
transmettait à des compagnes lorsque la formation spirituelle explicitée au
second chapitre fut achevée. Le chapitre suivant situé presque au centre de
gravité de l’ouvrage opère un choix dans des pièces sans destinataires (datées
on non). Les trois derniers chapitres distribuent par
correspondant(e)s celles dont les destinataires sont connues; ils couvrent
la plus grande partie du volume.
§
Pour aller au-delà de notre choix orienté mystiquement, on dispose d’un
large éventail. Il fut édité par les sœurs de l’Institut à la suite de
l’achèvement d’un Fichier Central listant les
sources des pièces d’origine mectildienne distribuées dans l’Institut. Pour
faciliter l’usage de cette vaste entreprise éditoriale, nous reconstituons sa
trame en fin de l’annexe « Histoire de transmissions ».
Nous nous effaçons devant les témoignages mystiques livrés ici en
caractères romains. Résultat d’une lente distillation opérée sur l’ensemble
publié ainsi que sur certains manuscrits, puis vérifiés, ils prédominent
largement au fil du texte principal. À lire sans ordre imposé !
La biographie de Mectilde [772] a été souvent et bien
présentée [773].
Précisons seulement ici les durées vécues dont rend compte la « Chronologie et durée des états de
vie » (fin de ce chapitre). En effet seules des durées associées à des lieux de
rencontres possibles entre personnes physiques permettent des influences
profondes des aînés aux cadets sur la voie mystique.
La vie de Mectilde comporte deux périodes de durées comparables :
jeunesse et années de formation intérieure, puis accomplissement d’« une
mystique de présence continuelle à Dieu grâce à la pauvreté de cœur [774] ».
En première moitié de vie, dix-sept années précèdent l’entrée dans un
ordre religieux suivies de dix-neuf années qui connaissent voyages d’est en
ouest et inversement. Ces déplacements forcés s’accompagnent de nombreuses
épreuves. Elles sont intérieures et extérieures. Un incendie et deux
guerres sont vécus sur les marches du Royaume sans parler de la Fronde et de sa
misère parisienne. Mectilde vit des changements d’état consacrés, d’annonciade
en bénédictine « simple » puis prieure et fondatrice.
Cette période est souvent
dramatique, extérieurement très active, parfois presque chaotique, partageant
le lourd souci de la responsabilité de communautés : elle voudra s’y
soustraire [775].
Les événements ne renverseront pas l’équilibre de notre solide Lorraine, mais
ne lui épargneront ni doutes, ni angoisses, ni maladies.
En durées, cette première moitié
de la vie couvre près de huit années comme annonciade [776], puis quatre années
comme bénédictine, ces dernières réparties presque également entre
Rambervillers, Saint-Mihiel, Montmartre [777], la région caennaise.
Et ce n’est pas fini : succèdent quatre années à Saint-Maur près de Paris,
trois années au Bon Secours de Caen, enfin un semestre à Rambervillers [778].
Une moitié lorraine vécue à l’est, hors ou aux marches du royaume, est
ainsi « équilibrée » si l’on peut dire par une autre moitié vécue à
l’ouest ou au centre du royaume entre région parisienne et région de Caen. Les
multiplicités de lieux et de déplacements sont souvent accompagnées de
pauvreté, voire de misère. Au total deux « séjours » à Rambervillers,
deux « séjours » caennais, six déplacements avec changements de
vie [779].
Les quarante-sept années parisiennes de la deuxième période de maturité
et de vieillesse comportent encore des déplacements liés aux fondations :
ainsi quatre visites sont attestées pour celle de Rouen [780].
Ce presque demi-siècle couvre trois années d’implantation parisienne, puis cinq
années vécues au monastère de la rue Férou, enfin trente-neuf années plus
paisibles (après une crise intérieure culminant en 1659, l’année de la mort de
son guide Jean de Bernières). Elles sont vécues au monastère de la rue
Cassette [781].
Après cet aperçu biographique, illustrons l’esprit communiqué autour
d’elle. Mectilde laissera comme testament les deux seuls mots « adhérer-adorer » ; « adorer Dieu dans le temple de notre âme,
dans notre prochain, dans tout événement, et adhérer à cette “volonté de Dieu
qui est Dieu même” ». Elle se situe mystiquement dans la ligne du
franciscain capucin Benoît de Canfield ce qui s’explique assez naturellement
par sa première appartenance franciscaine comme Annonciade, un ordre proche des
capucins, et parce qu’elle a passé un an à Montmartre auprès de la supérieure Marie de Beauvilliers
aidée au début du siècle par Benoît lors de la célèbre et difficile réforme du
monastère.
D’autres influences indirectes s’exercent, dont témoignera un beau texte
glosant Jean de la Croix si important pour elle [782], cité infra dans la section consacrée à
Marie de Châteauvieux. Il livre en même temps un aperçu sur la direction
exercée par la fondatrice, bien adaptée à des intellectuels, direction ferme
mais aussi toute chargée d’une dynamique positive. Au-delà de Jean de la Croix,
qui à l’époque n’est pas encore pleinement reconnu par tous, Mectilde a lu
d’autres auteurs mystiques contemporains [783].
Mais nous donnons la priorité aux rapports directs entre personnes bien
vivantes. De nombreux textes donnent le parfum des « conférences »
adressées par la « sainte mère » à ses religieuses :
Pour moi, je ne veux que la sainteté, je veux tout donner pour
l’acquérir. Vous me direz peut-être qu’elle est trop rigoureuse et trop
difficile à contenter. Hélas, qu’est-ce donc que ces sacrifices qu’elle exige
de nous ? Que nous lui donnions de l’humain pour le divin, y a-t-il à
balancer ? […]
Laissez à cette divine sainteté la liberté d’opérer en vous, et elle
vous divinisera, et je vous puis dire comme saint Paul que vous verrez et
éprouverez ce que la langue ne peut expliquer, ce que l’esprit ne peut
concevoir, ce que la volonté et le cœur ne peuvent espérer ni oser désirer.
Mais personne ne veut des opérations de cette adorable sainteté. Presque toutes
les âmes s’y opposent. Dès qu’elles se trouvent dans quelque état de sécheresse
ou de ténèbres, elles crient, elles se plaignent, elles s’imaginent que Dieu
les oublie ou les abandonne.
Ah ! Quelque désir que vous ayez de votre perfection, Dieu en a un
désir infiniment plus grand, plus vif et plus ardent. Sa divine volonté ne peut
souffrir vos imperfections. Sacrifiez-les donc toutes à toute heure et à tout
moment, et vous deviendrez toute lumineuse. Mais l’on veut se donner la liberté
d’aller partout ; [91] de tout dire, tout voir, tout entendre, tout
censurer, juger celle-ci, contrarier celle-là : ainsi l’on s’attire bien
des sujets de distraction et de dissipation dont on ne se défait point si
facilement. On sort de son intérieur, on ne veut point de captivité, point de
recueillement. […] Transportez-vous dans le Paradis, mes sœurs, je vous le
permets…
Il n’y a pas de plus ou de moins en Dieu, cela n’est que selon notre
manière de voir les choses, mais pour parler notre langage, on peut dire que
la sainteté de Dieu est la plus abstraite de ses adorables perfections. Elle
est toute retirée en elle-même. Si nous n’avons pas de grandes lumières, des
pénétrations extraordinaires et que nous ne soyons même pas capables de ces
grâces éminentes, aimons notre petitesse et demeurons au moins dans
l’anéantissement, sans retour sur nous-mêmes pour le temps et pour l’éternité.
Ce n’est pas moi qui vous parle, je ne le fais pas en mon nom, je ne suis rien,
et je suis moins que personne, mais je le fais de la part de mon Maître qui m’a
mise dans la place où je suis. Finissons ; je ne sais pas ce que je vous
dis. Priez Notre-Seigneur pour moi [784].
Une conférence, datée de l’année 1694, livre l’intimité mystique vécue à la fin d’une longue vie éprouvée :
Il n’est pas nécessaire pour adorer toujours de dire : « Mon
Dieu, je vous adore », il suffit que nous ayons une certaine tendance
intérieure à Dieu présent, un respect profond par hommage à sa grandeur, le
croyant en nous comme il y est en vérité […]
C’est donc dans l’intime de votre [98] âme, où ce Dieu de Majesté
réside, que vous devez l’adorer continuellement. Mettez de fois à autre la main
sur votre cœur, vous disant à vous-même : « Dieu est en moi. Il y est
non seulement pour soutenir mon être, comme dans les créatures inanimées,
mais il y est agissant, opérant, et pour m’élever à la plus haute perfection,
si je ne mets point d’obstacle à sa grâce.
Imaginez-vous qu’il vous dit intérieurement : « Je suis
toujours en toi, demeure toujours en moi, pense pour moi et je penserai pour
toi et aurai soin de tout le reste. Sois toute à mon usage comme je suis au
tien, ne vis que pour moi », ainsi qu’il dit dans l’Écriture :
« Celui qui me mange vivra pour moi, il demeurera en moi et moi en
lui » (Jn 6, 57).
Oh ! Heureuses celles qui
entendent ces paroles et qui adorent en esprit et en vérité le Père, le Fils et
le Saint-Esprit et Jésus Enfant dans sa sainte naissance avec les saints Mages,
si vous voulez que nous retournions au Mystère de l’Épiphanie [785].
Cette chronologie [786],
donnée aux deux pages suivantes pour un aperçu d’ensemble face à face, souligne
les avatars et les DIFFICULTÉS surmontées au cours d’une longue vie.
Mectilde vécut de nombreux aller et retour de l’est à l’ouest sous
plusieurs états (d'annonciade, de bénédictine, de fondatrice).
Les durées sont soulignées.
1614 31/12 : Naissance de Mectilde = 17
années avant l’entrée dans un ordre religieux.
1631 /11. Annonciades rouges de Bruyères
(Vosges).
1633. « Soeur Catherine de Saint Jean
l’évangéliste ».
1635. « Mère Ancelle ».
1635 29/05 : INCENDIE du couvent de
Bruyères, exode Saint-Dié-Badonviller-Epinal.
1636 à 1638. Séjour à Commercy où elle tient une
école.
1638 à 1639. Second séjour à Saint-Dié.
= 1631 /11 à 1639 /07 : = 7 ans 8 mois
annonciade (dont 4 ans 1 mois hors couvent de Bruyères).
1639 2/07 : Bénédictines de Rambervillers
(Vosges).
1640 11/07 : « Soeur Mectilde ».
= 1639 /07 à 1640 /09 : = 1 an 2 mois bénédictine à Rambervillers,
Vosges.
1640 /09. GUERRE DE TRENTE ANS, départ vers
Saint-Mihiel.
1640 /09 à 1641 21/08 : Saint-Mihiel.
= 1640 /09 à 1641 21/08 : = 1 an
bénédictine à Saint-Mihiel.
1641
01/08 : Pèlerinage au sanctuaire marial de Benoîte-Vaux.
1641 21/08 : Départ pour Paris.
1641 24/08 : Refuge à Paris (Mlle Le
Gras) = une nuit !
1641 25/08 à 1642 10/08 : chez les
Bénédictines de Montmartre.
= une année au monastère des Bénédictines de
Montmartre, Paris.
1642 /08. En Normandie à Caen, Almenèches,
Vignats, Barbery.
1643 /06. Fin de séjour normand = 10 mois en
Normandie.
1643 23/08 : Saint-Maur [des-Fossés], près
Paris.
= 1643 /06 à 1647 /06 : = 4 ans à
Saint-Maur près Paris.
1644 25/03 : Décès du P. Jean-Chrysostome
1647 21/06 : Priorat des Bénédictines N.-D.
du Bon-Secours de Caen.
= 1647 /06 à 1650 /08 : = 3 ans 2
mois au monastère des Bénédictines N.-D. du Bon-Secours de Caen.
1650 28/08 : prieure à Rambervillers = 7
mois à Rambervillers, Vosges.
1651 24/03 : GUERRE FRANCE-EMPIRE, arrivée
à Paris, rue Saint Dominique, « Le Bon ami ».
1652 14/08 : Premier contrat de fondation.
1653 25/03 : Première exposition du Saint Sacrement
lors de la fête de l’Annonciation, rue du Bac/05 obtention des Lettres
Patentes.
1654 12/03 : Pose de la croix rue Férou
avec la Reine,
1654 22/08 : La Vierge est élue Abbesse perpétuelle.
= 1651 24/03 à 1659 21/03 : = 8 ans à
Paris (dont 5 ans env. rue Férou en location de 1654 à 1659.
1659 21/03 : rue Cassette (installation).
1664 8/12 : Toul (fondation de).
1666 28/04 : Rambervillers (agrégation du
monastère).
1669 8/04 : Nancy, Lorraine.
1684 Paris (Second monastère) (fondation du).
1685 Caen (agrégation du monastère des
bénédictines).
1688 Varsovie & Châtillon-sur-Loing
(fondations de).
1696 Dreux (fondation de).
1698 6/04 : Mère Mectilde décède à l’âge de
83 ans 4 mois six
jours à la veille de l’Annonciation, le dimanche de Quasimodo.
= 39 ans rue Cassette, (1659-1698).
Nous privilégions les influences reçues de figures qui, ayant précédé
Mectilde sur le chemin mystique, lui apportèrent de précieuses directions et
des conseils : ils sont nés entre 1590 et 1604 soit au moins dix ans avant
elle et c’est leur expérience qu’elle va revivre. Cette partie les
regroupe ; elle se situe en « amont » dans l’histoire intime des
amitiés d’une Mectilde encore « progressante ».
Mectilde eut en effet la chance d’être dirigée par quatre mystiques
accomplis, cas qui demeure unique à nos yeux -- et elle sut avec ténacité en
tirer parti. En effet se succèdent : le Père Chrysostome de juin 1643 à
son agonie en mars 1646, la « sœur Marie » des Vallées qui disparaît
en 1656 [787],
la Mère de Saint Jean l’évangéliste
(Charlotte Le Sergent), bénédictine qui demeurera cachée à Montmartre,
enfin Monsieur de Bernières, actif à l’Ermitage de Caen jusqu’à sa mort soudaine en 1659. Seul ce dernier a fait
récemment l’objet d’approches variées et d’éditions de textes.
Des relations intimes illustrent comment fonctionne un réseau d’amis qui
s’entraident sur le chemin mystique. Elles nous sont parvenues grâce à
l’Institut fondé par Mectilde. Ses soeurs bénédictines ont su les préserver
dans leurs monastères, mais le corpus des textes accumulés reste à défricher.
Une telle diversité de relations croisées associée à leur préservation
demeure à nos yeux uniques [788].
Elles n’ont pas fait l’objet d’études aussi nombreuses que celles sur tel
mystique largement reconnu qui demeure isolé, voire placé sur un piédestal.
Cette relative absence, mais plutôt l’utilité toujours actuelle de méditer sur
des relations exemplaires entre pèlerins mystiques justifie notre travail [789].
Nous commençons par l’« aîné » Père Chrysostome de Saint-Lô.
Son disciple Jean de Bernières, qui le suivra dans le tour des amis que nous
menons chronologiquement -- à défaut d’établir une synthèse qui demanderait un
rappel des liens croisés entre les membres de ce réseau spirituel [790] -, écrivait à Mectilde peu après
la disparition de leur « bon père » Chrysostome :
… ce me serait
grande consolation que [...] nous puissions parler de ce que nous avons ouï dire
à notre bon Père [...] puisque Dieu nous a si étroitement unis que de nous
faire enfants d’un même Père [...] Savez-vous bien que son seul souvenir remet
mon âme dans la présence de Dieu ? [791].
Cette section consacrée au « Père des mystiques normands »
sera ample dans sa présentation incluant celle de son cadre. Par contre nous ne
situerons que brièvement les autres figures principales, pouvant renvoyer à
leurs sources et à des études.
On connaît mal le passeur mystique Jean-Chrysostome [792],
tandis que Bernières, Marie des Vallées, l’abbé d’Estival Épiphane Louys, et
même certaines des compagnes et des dirigées de Mectilde sont aujourd’hui assez
bien étudiés. Le Père Chrysostome est à la source d’un vaste réseau spirituel.
Le cercle mystique normand donnera naissance à trois branches : (1)
celle ouverte par Mectilde, fondatrice des Bénédictines du
Saint-Sacrement ; (2) celle prenant pied en Nouvelle-France, ensemencée
par Marie de l’Incarnation et par François de Laval ; (3) une « école
de la quiétude » dont le passeur est Monsieur Bertot puis l’animatrice
Madame Guyon auprès de Fénelon et de membres de cercles cis
(français) et trans (européens). Nous
approchons dans le présent volume la branche d’un « delta spirituel »
qui a été moins explorée par suite de la vie en clôture. Outre son intérêt
propre, elle a assuré la conservation de très nombreux témoignages ainsi bien
protégés jusqu’à notre époque et qu’il importe de sauver [793].
Il s’agit d’abord de présenter l’esprit franciscain qui anime aussi bien
la jeune annonciade Mectilde que les membres de l’Ermitage fondé par Bernières
sur la suggestion de Jean-Chrysostome, nombreux amis qu’elle rencontrera dans
un malheur transformé pour elle en source d’approfondissement mystique.
L’esprit est transmis par un Provincial du Tiers Ordre Régulier
franciscain dont la spiritualité encore proche du Moyen Age ensemence le cercle
mystique dont fera partie Mectilde. Un bref rappel historique précède ici les
rapports entre le directeur et sa dirigée pour mieux situer une histoire
-- qui reste ici française et donc somme toute locale -- dans le fil séculaire
de la vénérable tradition mystique franciscaine. La tradition bénédictine est
également importante pour Mectilde, mais nous l’abordons peu, seulement en fin
de volume, car son caractère mystique est moins exprimé.
L’historien Pierre Moracchini explique :
Très tôt, sans doute dès le XIIIe siècle, des membres du
Tiers-Ordre franciscain (hommes et femmes) ont vécu en communauté et se sont
orientés vers la vie religieuse, la vie « régulière ». Ce mouvement a
donné naissance à une infinie variété de sœurs franciscaines, mais également –
et c’est plus étonnant compte tenu de l’existence du premier ordre des frères
mineurs – à un Tiers-Ordre régulier masculin. Celui-ci a connu une histoire
complexe, marquée par diverses réformes dont celle du père Vincent Mussart au
début du XVIIe siècle[794].
La
première communauté du Tiers-Ordre Régulier franciscain aurait été reconnue par
le Pape en 1401 et se propage jusqu’à Gênes où ils ont en charge
l’hôpital [795] ;
Catherine de Gênes (1447-1510) fut tertiaire franciscaine. De l’Italie arrivent
deux membres du Tiers Ordre Régulier, Vincent de Paris et son compagnon
Antoine. Ils recherchent une solitude peu compatible avec les événements
politiques de la fin des guerres de religion, comme en témoigne le récit
des tribulations de nos ermites aux mains des gens de guerre, alors qu’ils
voulaient vivre cachés dans la forêt. Jean Marie de Vernon explique
Ils tombèrent entre les mains des Suisses hérétiques, qui espérant une
bonne rançon de quelques Parisiens qu’ils avaient pris parce que le siège [de
Paris, en 1590] devait être bientôt levé, étaient résolus de les laisser aller,
et de prendre les deux hermites. Frère Antoine en eut avis secrètement par une
Demoiselle prisonnière, le malade [Vincent] qui tremblait la fièvre quarte
entendit ce triste discours, et se jetant hors de sa couche descendit
l’escalier si promptement qu’il roula du haut en bas, sans néanmoins aucune
blessure. L’intempérance des soldats, et l’excès du vin les avaient mis en tel
état, que Vincent et Antoine s’échappèrent aisément… [796].
Pierre Moracchini résume ensuite l’histoire de la fondation qui prend
forme :
Une fois guéri, Vincent reprend sa vie d’ermite, et il est rejoint par
plusieurs compagnons, dont son propre frère, François Mussart. […] Vincent Mussart et ses compagnons cherchent encore leur voie
sur le plan spirituel. C’est alors que survient l’épisode décisif que nous
relate Jean-Marie de Vernon : « Le Père Vincent taschant plus que jamais de découvrir la
volonté de Dieu, connut par le rapport de Frère Antoine, que la manière de
vivre de la Demoiselle Flamande, qui le faisoit autrefois subsister par ses
aumosnes, consistoit dans la troisième Règle de saint François d’Assize. […]
Ayant visité plusieurs Bibliothèques de Paris, il rencontra dans celle de
M[onsieur] Acarie -- mary de sœur Marie de l’Incarnation, avant qu’elle
entrast dans l’Ordre des Carmélites -- les Commentaires du docteur extatique
Denis Rikel chartreux [797],
sur la troisième Règle de saint François ».
Soulignons le lien de Vincent avec le couple Acarie : il se
poursuivit probablement au sein du cercle qui incluait le chartreux Beaucousin,
vit passer François de Sales. Vincent établit le monastère de Picpus entre le
Faubourg Saint Antoine et le château du bois de Vincennes ; la
congrégation se développa et une bulle de 1603 ordonna qu’un Chapitre
provincial fût tenu tous les deux ou trois ans. Le premier Chapitre eut lieu en
1604. Vincent de Paris étendit peu à peu sa juridiction sur d’anciens couvents
tertiaires en y implantant sa réforme.
Apparaît le père Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646), figure centrale à
laquelle se réfèrent les membres du cercle mystique normand qui n’entreprennent
rien sans son avis. Seule l’humble « sœur Marie » des Vallées
(1590-1656), sa contemporaine qui va faire l’objet de la présentation suivante,
jouira d’un prestige comparable et attirera chaque année ses membres à
séjourner auprès d’elle.
Jean-Chrysostome naquit vers 1594 dans le diocèse de Bayeux en basse
Normandie, et étudia au collège des jésuites de Rouen. Âgé de dix-huit ans, il
prit l’habit, contre le gré paternel, le 3 juin 1612 au couvent de Picpus à
Paris. Lecteur en philosophie et théologie à vingt-cinq ans, il fut définiteur
de la province de France en 1622, définiteur général de son ordre et gardien de
Picpus en 1625, puis de nouveau en 1631, provincial de la province de France en
1634, puis premier provincial de la nouvelle province de Saint-Yves (après que
la province de France eut été séparée en deux) en 1640.
Le temps de son second Provincialat étant expiré, on le mit confesseur
des religieuses de Ste Élisabeth de Paris qui fut son dernier emploi à la fin
de sa troisième année [de Provincialat] […] Au confessionnal dès cinq heures du
matin, il rendait service aux religieuses avec une assiduité incroyable. À
peine quelquefois se donnait-il lieu de manger, ne prenant pour son dîner qu’un
peu de pain et de potage, pour [y] retourner aussitôt[798].
Il alla en Espagne sur l’ordre exprès de la Reine, pour aller visiter de
sa part une visionnaire, la Mère Louise de l’Ascension, du monastère de Burgos.
Voyage rude et contraint, car il préférait la solitude :
Libéral pour les pauvres […] il ne voulait pas autre monture qu’un âne
[…] Dans les dernières années de sa vie il ne pouvait plus supporter l’abord
des gens du monde et surtout de ceux qui y ont le plus d’éclat[799].
Aussi, quand il fut enfin libéré de son provincialat, il éprouva une
sainte joie et ne tarda pas à se retirer :
Il ne fit qu’aller dans sa cellule pour y prendre ses écrits et les mettre
dans une besace dont il se chargea les épaules à son ordinaire […] passant à
travers Paris […] sans voir ni parler à une seule personne de toutes celles qui
prenaient ses avis…[800].
Il enseignait : Qu’il fallait
laisser les âmes dans une grande liberté, pour suivre les attraits de l’esprit
de Dieu […] commencer par la vue des perfections divines […] ne regarder
le prochain qu’en charité et vérité dans l’union intime avec Dieu[801].
Le cercle spirituel qui se rassembla autour de lui à Caen, comprenait Jean de Bernières et sa sœur Jourdaine, Mectilde du Saint-Sacrement, Jean Aumont (sans doute tertiaire régulier), auxquels les historiens ajoutent Vincent de Paul et J.-J. Olier. Ils ont vécu ensemble « une doctrine d’abnégation, de désoccupation, de passivité divine…[802]» Jean-Chrysostome est la figure discrète, mais centrale à laquelle se référaient ces éminentes figures qui n’auraient rien entrepris sans l’avis de leur père spirituel :
L’on a vu plusieurs personnes de celles qui suivaient ses avis, marcher
à grands pas, ou, pour mieux dire, courir avec ferveur dans les voies les plus
simples de la haute perfection. […] La première est feu Mr de Bernières, de
Caen. […] Le P. Jean-Chrysostome lui avait écrit que l’actuelle pauvreté était
le centre de sa grâce, et qu’il n’aurait jamais de parfait repos qu’il n’y fût
comme dans son centre [803].
Ce que nous connaissons provient de sa biographie écrite par Boudon. Les
connaisseurs modernes de l’école des mystiques normands, Souriau[804]
et Heurtevent[805],
n’ajoutent guère à ses éléments : le premier éclaire le contexte
historique ; le second ajoute qu’un de ses frères fut capucin, une de ses
sœurs clarisse à Rouen : tout le milieu était donc d’inspiration
franciscaine ! Boudon ne nous cache pas que son agonie fut
difficile et qu’il traversa un dernier dépouillement intérieur. Il exerça
peut-être un dernier soutien en liaison à des proches :
Ayant été soulagé de la fièvre quarte il s’en alla à Saint Maur […] pour
y voir la R. Mère du Saint-Sacrement [Mectilde], maintenant supérieure des
Religieuses bénédictines du Saint Sacrement […] Elle était l’une des filles
spirituelles du bon père, et en cette qualité il voulut qu’elle fût témoin de
son agonie : il passa environ neuf ou dix jours à Saint Maur, proche de la
bonne Mère […] Au retour de Saint Maur […] il entra dans des ténèbres
épouvantables […] il écrivit aux Religieuses :
« Mes Chères Sœurs […] il est bien tard d’attendre à
bien faire la mort et bien douloureux de n’avoir rien fait qui vaille en sa
vie. Soyez plus sages que moi […] C’est une chose bien fâcheuse et bien
terrible à une personne qui professait la sainte perfection de mourir avec de
la paille […] »
L’on remarqua que la plupart des religieux du couvent de Nazareth où il
mourut [le 26 mars 1646, âgé de 52 ans], fondaient en larmes et même les deux
ou trois jours qui précédèrent sa mort, et cela sans qu’ils pussent s’en
empêcher[806].
Les trois seuls exemplaires connus des ouvrages de Jean-Chrysostome
relèvent de deux sources[807]
: la première est constituée des Divers
traités spirituels et méditatifs. Le Traité premier, Le
Temps, la mort et l’éternité, comporte des « Pensées d’Éternité
d’un certain solitaire et d’un autre serviteur de Dieu » qui nous touchent
par leur rectitude et leur grandeur. Si ce texte évoque les grandes peurs de la
damnation, il possède par contre un côté biographique tout nouveau.
Jean-Chrysostome y résume sobrement les biographies de deux amis [808]
foudroyés par l’amour divin : après le coup de poing initial asséné par la
grâce, la vie mystique est résumée en quelques périodes ponctuées de moments
charnières, dans une dynamique qui couvre toute la durée de la vie. Une
existence est dite en quelques paragraphes, ce qui nous livre une impression
saisissante de force associée à la brièveté de notre condition :
I. Le premier, étant un jeune homme d’un naturel fort doux et d’un
esprit fort pénétrant […] se retira en solitude, après une forte pensée qu’il
eut de l’Éternité, en cette manière. C’est que huit jours durant, à même qu’il
commençait la nuit à dormir dans son lit, (82) il entendit une voix très
éclatante qui prononçait ce mot d’Éternité, et pénétrait non seulement le sens
externe, mais encore le fonds de l’âme, y faisant une admirable impression.
II. Là-dessus, s’étant retiré en solitude, il lui était souvent dit à
l’oraison, Je suis ton Dieu, je te veux aimer éternellement : ce qui lui
faisait une grande impression de cet amour éternel.
III. Ensuite il lui semblait que toutes les créatures lui disaient sans
cesse d’une commune voix « éternité d’amour », et son âme en
demeurait fort élevée.
IV. Il passa à un état de peine, et demeura quelques années dans une vue
du centre de l’enfer […] (84)
VI. Dieu tout bon lui fit voir un jour ce qui se passait dans le
jugement particulier d’une âme qui l’avait bien servi : je voyais,
disait-il, une miséricorde infinie qui comblait cette âme d’un amour éternel.
VII. Une autre fois faisant oraison, il entendit une voix qui dit :
Je t’ai aimé de toute Éternité : ce qui lui imprima une certaine idée de
cet (85) amour divin, qui le séparait du souvenir des créatures. Et au même
temps il fut tellement frappé d’amour, qu’il en demeura comme hors de soi toute
sa vie[809],
laquelle il finit heureusement en des actes d’amour, pour les aller continuer à
toute Éternité. […]
On passe maintenant à l’autre ami de Dieu :
I. Un autre serviteur de Dieu a été conduit à une très haute perfection
[86] par les vues pensées de l’Éternité. Il était de maison et façonné aux
armes. Voici que environ à l’âge de vingt-trois ans, comme il banquetait avec
ses camarades mondains, il entrouvrit un livre, où lisant le seul mot
d’Éternité, il fut si fort pénétré d’une forte pensée de la chose, qu’il tomba
par terre comme évanoui, et y demeura six heures en cet état couché sur un lit,
sans dire son secret.
II. Le lendemain, ayant l’usage fort libre de ses puissances, environné
néanmoins de la vue d’Éternité, il s’alla confesser à un saint Religieux avec
beaucoup de larmes et lui ayant révélé son secret, il en reçut beaucoup de
consolation, car il était serviteur de Dieu et homme de grande oraison, qui
avait eu révélation de ce qui s’était passé, et qui en se séparant lui
dit : Mon frère aime Dieu un moment, et tu l’aimeras éternellement. Ces
mots portés et partis d’un esprit embrasé, lui furent comme une flèche de feu,
qui navra son pauvre cœur d’un certain amour divin, dont l’impression lui en
demeura toute sa vie.
III. Ensuite il fut tourmenté de la vue de l’éternité de l’Enfer, environ
huit ans, dans plusieurs visions […]
IV. Après cet état il demeura trois autres années dans une croyance
comme certaine de sa damnation : tentation qui était aucune fois si
extrême, qu’il s’en évanouissait.
V. Ensuite de cet état, il [89] demeura un an durant fort libre de
toutes peines […]
VI. Après cette année, il en demeura deux dans la seule vue de la
brièveté de la vie […] Ce qui lui donna un si extrême mépris des choses du
monde […] [qu’il] ne pouvait comprendre comme les hommes créés pour l’éternité
s’y pouvaient arrêter. [90]
VII. Ensuite […] il fut huit ans dans la continuelle vue que Dieu
l’aimait de toute Éternité ; ce qui l’affligeait, avec des larmes de
tendresse et d’amour, d’autant qu’il l’aimait si peu et avait commencé si tard.
Il eut conjointement des vues fort particulières de la Sainte Passion.
VIII. Dans la dernière maladie il fut tourmenté d’un ardent amour envers
Dieu, et d’une grande impatience d’aller à son Éternité.
Dans son Traité second : La Sainte
Désoccupation de toutes les créatures, pour s’occuper en Dieu seul, Jean-Chrysostome balaye le chemin sans compromis : il faut
laisser de la place et toute la place au divin qui peut alors animer la
créature : la passiveté
mystique est le terme d’un long cheminement. Jean-Chrysostome donne des
indications concrètes et fournit des exemples plutôt qu’il n’expose une
théorie :
Dieu tout bon a imprimé votre âme de Sa belle image, pour vous divertir de la laideur des créatures et vous attacher à Sa pure beauté. […] Le Bienheureux frère Gilles, Religieux mineur, enseignait que pour aller droit à la sainte perfection, il fallait que le spirituel fut un à un, c’est-à-dire seul avec Dieu seul, occupé de Dieu seul, et désoccupé de tout ce qui n’était point Dieu[810].
À chaque chose principale qu’il commençait dans la journée, il entrait
dans un recueillement intérieur et il faisait résolution de la commencer,
continuer et finir en la vue de Dieu seul […] désoccupation très pure, par
laquelle l’âme parvient à une continuelle vue et présence de Dieu : de
sorte que toutes les créatures semblent lui disparaître, et ne regarde en elle
que Dieu seul, intimement présent et opérant […] L’âme parvient à ce degré […]
par la fervente pratique de l’oraison et des actes du pur amour[811].
Lors […] elle est comme déiformée et comme passive en ses
opérations ; car encore que la volonté concoure à aimer Dieu, néanmoins
Dieu opère tellement en cette âme, qu’il semble que ce soit plutôt Lui qui
produise cet amour […] l’âme demeure souvent comme liée et garrottée, sans rien
penser ni agir comme d’elle-même, mais mue seulement par le Saint-Esprit tant
Dieu est jaloux que tout ce qu’elle fait, elle le fasse pour Lui[812].
Le Traité
troisième : les dix journées de la sainte occupation,
ou divers motifs d’aimer Dieu et s’occuper en son amour appartient aux schémas de retraites qui forment une littérature propre
au XVIIe siècle. Leur forme répondait au besoin des directeurs dans
les maisons religieuses (une retraite de dix jours est toujours pratiquée
annuellement par les carmélites). Le thème de l’amour pur et la joie donnée par
la grâce tranchent avec bonheur sur le pessimisme et la culpabilité qui se
répandront dans les retraites de la seconde moitié du siècle. De la seconde
source, Divers exercices…, nous retiendrons
l’extrait d’une lettre peut-être écrite à une dirigée :
Ne vous donnez point la peine de
m’écrire votre état passé : je crois vous connaître beaucoup mieux que
vous ne vous connaissez vous-même : allez droit à Dieu […] ne vous
précipitez pas ; soumettez toujours votre perfection et votre ferveur à la
volonté divine, ne voulant que l’état qu’elle agréera en vous […] Votre paix
[…] consiste en un certain état de l’âme dans lequel elle est tranquille en son
fonds avec son maître, quelque tempête qu’il y ait au dehors ou en la partie
inférieure qui sert de croix à la supérieure où Dieu réside dans la pureté de
son esprit et dans la paix suprême. […]
Tout n’est rien. Tout n’est ni pur ni parfait sinon Dieu seul […] par la
grâce d’oraison, et je tiens que c’est Dieu qui se rend maître de l’âme, qui la
lui donne [la grâce d’oraison], avec goût qu’elle seule savoure et peut dire[813].
L’Exercice
de la Sainte vertu d’Abjection, a été écrit pour répondre aux besoins du groupe de l’Ermitage fondé à Caen par son
disciple Jean de Bernières. Le terme abjection
ne doit pas être pris au sens péjoratif d’avilissement : il désigne
l’humiliation et la prosternation intérieure devant la grandeur divine (second
sens selon Littré), la prise de conscience due à la grâce que l’on n’est rien
devant Dieu. Quelques extraits font comprendre l’extrême austérité du vécu de
ces spirituels :
Premier exercice traitant de la sainte vertu d’abjection/ Premier
traité : de la sainte abjection. / La Société spirituelle de la sainte
abjection ; / Pratiquée en ce temps avec grand fruit de perfection, par
quelques dévots de Jésus humilié et méprisé. / Avis. [814]
Chapitre I. Vues ou lumières surnaturelles de la superbe [orgueil]
d’Adam.
Le spirituel en cet état est pénétré de certaines vues ou lumières
surnaturelles, par lesquelles il entre en la connaissance [14] intime de son
âme et de ses parties intellectuelles, et voit clairement que tout cet être est
rempli de la superbe, de l’ambition, de l’orgueil, et de la vanité d’Adam […]
Chapitre II. Abjection dans le rien de l’être.
Le spirituel en cet état voit par lumière surnaturelle, comme le néant
ou le rien est son principe originel. Sur quoi vous remarquerez : 1. Que
cette vue provient d’une grande faveur de Dieu. 2. Que par icelle l’âme se voit
dans un éloignement infini de son créateur. 3. Qu’elle le voit dans une
sublimité infinie. 4. Qu’elle se réjouit selon la disposition de sa pureté [16]
intérieure de voir que son Dieu soit en l’infinité de l’être et de toute perfection,
et elle comme en une certaine infinité du non-être, c’est-à-dire du néant et du
rien.
La pratique. L’exercitant ainsi disposé : 1. Se réjouira de
l’infinité Divine. 2. Il prendra plaisir de se voir dans l’infinité du rien
respectivement à son Dieu. 3. Il considérera que Dieu l’a tiré de ce rien par
sa toute-puissance, pour l’élever et le faire entrer en la communion
incompréhensible de son être divin et de sa vie divine, par les actes
intellectuels et spirituels de l’entendement et de la volonté, par lesquels il
est si hautement élevé que comme Dieu se connaît et s’aime, ainsi par alliance
ineffable, il le connaît et l’aime […]
Chapitre IV. Abjection d’inutilité.
Cet état appartient particulièrement aux personnes qui sont [19] liées
et attachées par obligation aux communautés, dont nous en voyons plusieurs
extrêmement tourmentées de la vue de leur inutilité, desquelles aucunes le sont
par une certaine bonté naturelle de voir leurs prochains surchargés à leur
occasion, et les autres par un certain orgueil qui les pique et les
aigrit ; le diable se mêle en ces deux dispositions et le spirituel doit
prendre garde de s’en défendre. Pour donc en faire bon usage, 1. Il considérera
que celui qui agrée son abjection dans son inutilité, rend souvent plus de gloire
à Dieu qu’une infinité de certains utiles, suffisants, indévots et superbes […]
4. Il supportera patiemment les inutilités des autres prochains. 5. Il pensera
que la créature [20] n’est autant agréable à Dieu qu’elle est passive à la
conduite divine […]
Chapitre XIX. Tourment d’amour en l’abjection.
La superbe vide l’âme de toute disposition d’amour envers son divin
créateur où au contraire la sainte abjection la purifie et la dispose à la
pureté de cette charité divine dans les manières ineffables […] J’appelle cet
état tourment d’amour, d’autant qu’en icelui les âmes sanctifiées par les
humiliations sont extrêmement [53] tourmentées des saintes ardeurs, vives
flammes et divin amour […]
Méditation XXIII. De la sainte abjection de Jésus dans le reniement
de St Pierre.
[108]
Considérez et pesez ensuite les circonstances de l’abjection que Jésus a
souffertes au reniement de Pierre. 1. C’était le plus considérable des Apôtres.
2. C’était celui qui lui avait plus témoigné de bonne volonté. 3. C’était dans
une grande persécution, et lorsqu’il était délaissé de tous les siens. 4.
C’était enfin en un temps auquel étant accusé d’avoir semé et prêché des
fausses doctrines, il paraissait plus suspect et coupable par un tel reniement
[…]
Méditation XXX. De l’abjection de Jésus dans son crucifiement.
[130] Quand vous verrez certaines
personnes dévotes mourir dans la folie et même avec des circonstances étranges,
extravagantes et superbes, ainsi qu’est mort le saint nommé Tauler [815]
[…] souvenez-vous qu’il peut arriver que Dieu accorde la mort d’abjection à
certains de ses fidèles amants, pour les récompenser de leurs travaux généreux
dans les voies de cette sainte vertu et pour les rendre conformes à Jésus […]
IV. Traité. Méditations d’abjection en la vue de la divinité.
Méditation I. D’abjection en la vue de l’existence divine.
Considérez que comme Dieu est le premier être de soi, qui n’a jamais été
et ne peut jamais être dans le rien, de même l’amour divin n’a jamais été et ne
peut jamais être dans le rien ; pensez que comme [145] Dieu a toujours été
et sera toujours nécessairement, étant l’être de soi nécessaire ; ainsi il
s’est toujours aimé et s’aimera toujours nécessairement. Ajoutez qu’encore que
vous soyez très vil et très abject, il vous a néanmoins toujours aimé et vous
aimera toujours à toute éternité, d’un amour autant adorable qu’inconcevable,
pesez bien surtout combien c’est une chose étrange et incompréhensible qu’un
Dieu s’applique à aimer une créature si abjecte et si petite, qu’elle n’est de
soi qu’un pur rien […] chose inconcevable, qu’un Dieu daigne vous donner de
l’amour pour l’aimer […]
Méditation XI. D’abjection en la vue de l’incompréhensibilité
divine.
Considérez que Dieu […] reste toujours à connaître à l’infini dans son
infinité.
Il semble que nous nous soyons éloignés loin de notre sujet ? Mais
l’écart apparent nous permet d’être bien au fait du caractère rigoureux, mais
attentif à l’autre, d’une initiation qui va façonner Mectilde :
Mectilde, âgée de vingt-huit ans et demi est depuis dix mois réfugiée en
Normandie. Elle a rencontré en juin 1643 Chrysostome par l’intermédiaire
de Jean de Bernières, l’un de ses dirigés qui a déjà pris soin d’elle sur le
plan matériel et que nous rencontrerons plus tard comme directeur mystique [816] :
Monsieur, mon très cher Frère,
Béni soit Celui qui par un effet de son amoureuse Providence m’a donné
votre connaissance pour, par votre moyen avoir le cher bonheur de conférer de
mon chétif état au saint personnage que vous m’avez fait connaître.
J’ai eu l’honneur de le voir et de lui parler environ une heure. En ce
peu de temps, je lui ai donné connaissance de ma vie passée, de ma vocation et
de quelqu’affliction que Notre-Seigneur m’envoya quelque temps après ma
profession. Il m’a donné autant de consolation, autant de courage en ma voie et
autant de satisfaction en l’état où Dieu me tient que j’en peux désirer en
terre. O que cet homme est angélique et divinisé par les singuliers effets
d’une grâce très intime que Dieu verse en lui ! Je voudrais être auprès de
vous pour en parler à mon aise et admirer avec vous les opérations de Dieu sur
les âmes choisies. O que Dieu est admirable en toutes choses ! Mais je
l’admire surtout en ces âmes-là.
Il m’a promis de prendre grand intérêt à ma conduite. Je lui ai fait
voir quelques lettres que l’on m’a écrites sur ma disposition. Il m’a dit
qu’elles n’ont nul rapport à l’état où je suis et que peu de personnes avaient
la grâce de conduite, ce que je remarque par expérience.
Entre autres choses qu’il m’a dites, et qu’il m’a assurée, c’est que
j’étais fort bien dans ma captivité, que je n’eusse point de crainte que Dieu
voulait que je sois à lui d’une manière très singulière et que bientôt je serai
sur la croix de maladies et d’autres peines. Il faut une grande fidélité pour
Dieu.
Je vous dis ces choses dans la confiance que vous m’avez donnée pour
vous exciter de bien prier Dieu pour moi. Recommandez-moi, je vous supplie, à
notre bonne Mère Supérieure [Jourdaine, sœur de Jean de Bernières] et à tous
les fidèles serviteurs et servantes de Dieu que vous connaissez. Si vous savez
quelques nouvelles de la sainte créature que vous savez [Marie des Vallées], je
vous supplie de m’en dire quelque chose. [...]
On sent que la jeune femme est nature dans sa relation, alternant compte-rendus,
exclamations, incertitude présente quant à sa « carrière ». Cela
changera en passant de la dirigée à la directrice ! Pour l’instant la
jeune Mectilde a besoin d’être assurée en ce début de la voie mystique.
Le Père Chrysostome apportera donc point par point ses réponses aux
questions que se pose la jeune dirigée. Elle lui demande conseil sur son
expérience profonde et ardente. Chrysostome lui répond de façon très détachée
et froide de façon à ne susciter chez cette femme passionnée ni attachement ni
émotion sensible ; afin que son destin extraordinaire soit mené jusqu’au
bout, il ne manifeste pratiquement pas d’approbation, car il veut la pousser
vers la rigueur et l’humilité la plus profonde. La relation faite à son
confesseur est rédigée à la troisième personne ! - du moins dans ce qui
nous est parvenu[817].
Premier texte : Relation au Père Chrysostome avec réponses, juillet
1643.
1re Proposition : Cette personne [Mectilde] eut dès sa
plus tendre jeunesse le plus vif désir d’être religieuse ; plus elle
croissait en âge, plus ce désir prenait de l’accroissement. Bientôt il devint
si violent qu’elle en tomba dangereusement malade. Elle souffrait son mal sans
oser en découvrir la cause ; ce désir l’occupait tellement qu’elle
épuisait en quelque sorte toute son attention et tous ses sentiments. Il ne lui
était pas possible de s’en distraire ni de prendre part à aucune sorte
d’amusement. Elle était quelquefois obligée de se trouver dans différentes
assemblées de personnes de son âge, mais elle y était de corps sans pouvoir y
fixer son esprit. Si elle voulait se faire violence pour faire à peu près comme
les autres, le désir qui dominait son cœur l’emportait bientôt et prenait un
tel ascendant sur ses sens mêmes qu’elle restait insensible et comme immobile
en sorte qu’elle était contrainte de se retirer pour se livrer en liberté au
mouvement qui la maîtrisait. Ce qui la désolait surtout, c’était la résistance
de son père que rien ne pouvait engager à entendre parler seulement de son
dessein. Il faut avouer cependant que cette âme encore vide de vertus
n’aspirait et ne tendait à Dieu que par la violence du désir qu’elle avait
d’être religieuse sans concevoir encore l’excellence de cet état.
Réponse : En premier lieu, il me semble que la disposition
naturelle de cette âme peut être regardée comme bonne.
2. Je dirai que dans cette vocation, je vois beaucoup de Dieu, mais
aussi beaucoup de la nature : cette lumière qui pénétrait son entendement
venait de Dieu ; tout le reste, ce trouble, cette inquiétude, cette
agitation qui suivaient étaient l’œuvre de la nature. Mais, quoi qu’il en soit,
mon avis est, pour le présent, que le souvenir de cette vocation oblige cette
âme à aimer et à servir Dieu avec une pureté toute singulière, car dans tout
cela il paraît sensiblement un amour particulier de Dieu pour elle.
2e Proposition : cette âme, dans l’ardeur de la soif qui
la dévorait ne se donnait pas le temps de la réflexion ; elle ne s’arrêta
point à considérer de quelle eau elle voulait boire. Elle voulait être
religieuse, rien de plus ; aussi tout Ordre lui était indifférent, n’ayant
d’autre crainte que de manquer ce qu’elle désirait : la solitude et le repos
étant tout ce qu’elle souhaitait.
Réponse : 1. Ces opérations proviennent de l’amour qui naissait
dans cette âme, lesquelles étaient imparfaites, à raison que l’âme était
beaucoup enveloppée de l’esprit de nature. 2. Nous voyons de certaines
personnes qui ont la nature disposée de telle manière qu’il semble qu’au
premier rayon de la grâce, elles courent après l’objet surnaturel :
celle-ci me semble de ce nombre. Combien que par sa faute il se soit fait
interruption en ce qu’elle s’éloignait[818] de Dieu.
Le dialogue se poursuit et se terminera sur une 19e
proposition : le père Chrysostome est patient !
[...]
17e Proposition[819] : Elle entrait
dans son obscurité ordinaire et captivité sans pouvoir le plus souvent adorer
son Dieu, ni parler à Sa Majesté. Il lui semblait qu’Il se retirait au fond de
son cœur ou pour le moins en un lieu caché en son entendement et à son
imagination, la laissant comme une pauvre languissante qui a perdu son
tout ; elle cherche et ne trouve pas ; la foi lui dit qu’il est entré
dans le centre de son âme, elle s’efforce de lui aller adorer, mais toutes ses
inventions sont vaines, car les portes sont tellement fermées et toutes les
avenues, que ce lieu est inaccessible, du moins il lui semblait ; et
lorsqu’elle était en liberté elle adorait sa divine retraite, et souffrait ses
sensibles privations, néanmoins son cœur s’attristait quelquefois de se voir
toujours privé de sa divine présence, pensant que c’était un effet de sa
réprobation.
D’autre fois elle souffrait avec patience, dans la vue de ce qu’elle a
mérité par ses péchés, prenant plaisir que la volonté de son Dieu s’accomplisse
en elle selon qu’il plaira à Sa Majesté.
Réponse : Il n’y a rien que de bon en toutes ses peines, il les
faut supporter patiemment et s’abandonner à la conduite de Dieu. Ajoutez que
ces peines et les autres lui sont données pour la conduire à la pureté de
perfection à laquelle elle est appelée et de laquelle elle est encore bien
éloignée. Elle y arrivera par le travail de mortification et de vertu.
18e Proposition : Son oraison n’était guère qu’une
soumission et abandon, et son désir était d’être toute à Dieu, que Dieu fût
tout pour elle, et en un mot qu’elle fût toute perdue en Lui ; tout ceci
sans sentiment. J’ai déjà dit qu’en considérant elle demeure muette, comme si
on lui garrottait les puissances de l’âme ou qu’on l’abîmât dans un cachot
ténébreux. Elle souffrait des gênes et des peines d’esprit très grandes, ne
pouvant les exprimer ni dire de quel genre elles sont. Elle les souffrait par
abandon à Dieu et par soumission à sa divine justice.
Réponse : J’ai considéré dans cet écrit les peines intérieures. Je
prévois qu’elles continueront pour la purgation et sanctification de cette âme,
étant vrai que pour l’ordinaire, le spirituel ne fait progrès en son oraison
que par rapport à sa pureté intérieure, sur quoi elle remarquera qu’elle ne
doit pas souhaiter d’en être délivrée, mais plutôt qu’elle doit remercier Dieu
qui la purifie. Cette âme a été, et pourra être tourmentée de tentations de la
foi, d’aversion de Dieu, de blasphèmes et d’une agitation furieuse de toutes
sortes de passions, de captivité, d’amour. Sur le premier genre de peine, elle
saura qu’il n’y a rien à craindre, que telles peines est un beau signe, savoir
de purgation intérieure, que c’est le diable, qui avec la permission de Dieu,
la tourmente comme Job. Je dis plus qu’elle doit s’assurer que tant s’en faut
que dans telles tempêtes l’âme soit altérée en sa pureté, qu’au contraire, elle
y avance extrêmement, pourvu qu’avec résignation, patience, humilité et
confiance elle se soumette entièrement et sans réserve à cette conduite de
Dieu.
Sur ce qui est de la captivité dont elle parle en son écrit, je prévois
qu’elle pourra être sujette à trois sortes de captivités : à savoir, à
celle de l’imagination et l’intellect et à la composée de l’une et de l’autre.
Sur quoi je remarque qu’encore que la nature contribue beaucoup à celle de
l’imagination et à la composée par rapport aux fantômes ou espèces en la partie
intellectuelle, néanmoins ordinairement le diable y est mêlé avec la permission
de Dieu, pour tourmenter l’âme, comme dans le premier genre de peines ; en
quoi elle n’a rien à faire qu’à souffrir patiemment par une pure soumission à
la conduite divine ; ce que faisant elle fera un très grand progrès de
pureté intérieure.
Quant à l’intellectuelle, elle saura que Dieu seul lie la partie
intellectuelle, ce qui se fait ordinairement par une suspension d’opérations,
exemple : l’entendement, entendre, la volonté, aimer, si ce n’est que Dieu
concoure à ses opérations ; d’où arrive que suspendant ce concours, les
facultés intellectuelles demeurent liées et captives, c’est-à-dire, elles ne
peuvent opérer ; en quoi il faut que l’âme se soumette comme dessus[820]
à la conduite de Dieu sans se tourmenter. Sur quoi elle saura que toutes les
peines de captivité sont ordinairement données à l’âme pour purger la propriété
de ses opérations, et la disposer à la passivité de la contemplation. Sur le
troisième genre de peines d’amour divin, il y en a de plusieurs sortes, selon
que Dieu opère en l’âme, et selon que l’âme est active ou passive à l’amour,
sur quoi je crois qu’il suffira présentement que cette bonne âme
sache :
1. Que l’amour intellectuel refluant en l’appétit sensitif cause telles
peines qui diminuent ordinairement à proportion que la faculté intellectuelle,
par union avec Dieu, est plus séparée en son opération de la partie inférieure.
2. Quand l’amour réside en la partie intellectuelle, ainsi que je viens
de dire, il est rare qu’il tourmente ; cela se peut néanmoins faire, mais
je tiens qu’il y a apparence que, pour l’ordinaire, tout ce tourment vient du
reflux de l’opération de l’amour de la volonté supérieure à l’inférieure, ou
appétit sensitif.
3. Quelquefois par principe d’amour l’âme est tourmentée de souhaits de
mort, de solitude, de voir Dieu et de langueur ; sur quoi cette âme saura
que la nature se mêlant de toutes ces opérations, le spirituel doit être bien
réglé pour ne point commettre d’imperfections ; d’où je conseille à cette
âme :
1. d’être soumise ainsi que dessus à la conduite de Dieu ;
2. de renoncer de fois à autre à tout ce qui est imparfait en elle au
fait d’aimer Dieu ;
3. elle doit demander à Dieu que son amour devienne pur et
intellectuel ;
4. si l’opération d’amour divin diminue beaucoup les forces corporelles,
elle doit se divertir et appliquer aux œuvres extérieures ; que si ne
coopérer en se divertissant, l’amour la suit [la poursuit], il en faut souffrir
patiemment l’opération et s’abandonner à Dieu, d’autant que la résistance en ce
cas est plus préjudiciable et fait plus souffrir le corps que l’opération même.
Je prévois que ce corps souffrira des maladies, d’autant que l’âme étant
affective, l’opération d’amour divin refluera en l’appétit sensitif, elle
aggravera le cœur et consommera beaucoup d’esprit, dont il faudra avertir les
médecins. J’espère néanmoins qu’enfin l’âme se purifiant, cet amour résidera
davantage en la partie intellectuelle, dont le corps sera soulagé. Quant à la
nourriture et à son dormir, c’est à elle d’être fort discrète, comme aussi en
toutes les austérités, car si elle est travaillée de peines intérieures ou
d’opérations d’amour divin, elle aura besoin de soulager d’ailleurs son corps,
se soumettant en cela en toute simplicité à la direction. Sur le sujet de la
contemplation, je prévois qu’il sera nécessaire qu’elle soit tantôt passive
simple, même laissant opérer Dieu, et quelquefois active et passive ;
c’est-à-dire, quand à son oraison la passivité cessera, il faut qu’elle supplée
par l’action de son entendement.
Ayant considéré l’écrit, je conseille à cette âme :
1. De ne mettre pas tout le fond de sa perfection sur la seule oraison,
mais plutôt sur la tendance à la pure mortification.
2. De n’aller pas à l’oraison sans objet. À cet effet je suis d’avis
qu’elle prépare des vérités universelles de la divinité de Jésus-Christ, comme
serait : Dieu est tout-puissant et peut créer à l’infini des millions de
mondes, et même à l’infini plus parfaits ; Jésus a été flagellé de cinq
mille et tant de coups de fouet ignominieusement, ce qu’Il a supporté par amour
pour faire justice de mes péchés.
3. Que si portant son objet et à l’oraison elle est surprise d’une autre
opération divine passive, alors elle se laissera aller. Voilà mon avis sur son
oraison : qu’elle souffre patiemment ses peines qui proviennent
principalement de quelque captivité de faculté. Qu’elle ne se décourage point
pour ses ténèbres ; quand elle les souffrira patiemment, elles lui
serviront plus que les lumières.
19e Proposition : Il semble qu’elle aurait une joie
sensible si on lui disait qu’elle mourrait bientôt ; la vie présente lui
est insupportable, voyant qu’elle l’emploie mal au service de Dieu et combien
elle est loin de sa sacrée union. Il y avait lors trois choses qui régnaient en
elle assez ordinairement, à savoir : langueur, ténèbres et captivité.
Réponse : Voilà des marques de l’amour habituel qui est en cette âme.
Voilà mes pensées sur cet état, dont il me demeure un très bon sentiment en ma
pauvre âme, et d’autant que je sens et prévois qu’elle sera du nombre des
fidèles servantes de Dieu, mon Créateur, et que par les croix, elle entrera en
participation de l’esprit de la pureté de notre bon Seigneur Jésus-Christ. Je
la supplie de se souvenir de ma conversion en ses bonnes prières, et je lui
ferai part des miennes [T4, p. 641] quoique pauvretés. J’espère qu’après
cette vie Dieu tout bon nous unira en sa charité éternelle, par Jésus-Christ
Notre Seigneur auquel je vous donne pour jamais.
Dans le
deuxième texte infra on
note la précision et le soin pris de même pour encadrer la jeune
femme (elle n’aura que trente ans à la mort de son directeur). Une
liste (cette fois elle atteint trente points !) livre le parfum
commun à l’école. Bertot proposera plus tard de façon très semblable un
« décalogue » de règles à observer par la jeune madame Guyon (dans
une filiation, on n’invente pas).
Nous livrons
tout le texte malgré sa longueur, car il est unique par sa précision et sa
netteté dans une direction mystique assurée avec fermeté par « le bon
Père Chrysostome » : on est infiniment loin de tout bavardage
spirituel.
Deuxième texte : Autre réponse du même père à la même âme [821].
Cette vocation paraît : 1. Par les instincts que Dieu vous donne en
ce genre de vie, vous faisant voir par la lumière de sa grâce la beauté d’une
âme qui, étant séparée de toutes les créatures, inconnue, négligée de tout le
monde, vit solitaire à son unique Créateur dans le secret dû.
2. Par les attraits à la sainte oraison avec une facilité assez grande
de vous entretenir avec Dieu des vérités divines de son amour.
3. Dieu a permis que ceux de qui vous dépendez aient favorisé cette
petite retraite qui n’est pas une petite grâce, car plusieurs souhaitent la
solitude et y feraient des merveilles, lesquels néanmoins en sont privés.
4. Je dirai que Dieu par une providence vous a obligée à honorer le
saint Sacrement d’une particulière dévotion, et c’est dans ce Sacrement que
notre bon Seigneur Jésus-Christ, Dieu et homme, mènera une vie toute cachée
jusqu’à la consommation des siècles, que les secrets de sa belle âme vous
seront révélés.
5. Bienheureuse est l’âme qui est destinée pour honorer les états de la
vie cachée de Jésus, non seulement par acte d’adoration ou de respect, mais
encore entrant dans les mêmes états. D’Aucuns honorent par leur état sa vie
prêchante et conversante, d’autres sa vie crucifiée ; quelques-uns sa vie
pauvre, beaucoup sa vie abjecte ; il me semble qu’Il vous appelle à
honorer sa vie cachée. Vous le devez faire et vous donner à Lui, pour, avec
Lui, entrer dans le secret, aimant l’oubli actif et passif de toute créature,
vous cachant et abîmant avec Lui en Dieu, selon le conseil de saint Paul, pour
n’être révélée qu’au jour de ses lumières.
6. Jamais l’âme dans sa retraite ne communiquera à l’Esprit de Jésus et
n’entrera avec lui dans les opérations de sa vie divine, si elle n’entre dans
ses états d’anéantissement et d’abjection, par lesquels l’esprit de superbe est
détruit.
7. L’âme qui se voit appelée à l’amour actif et passif de son Dieu
renonce facilement à l’amour vain et futile des créatures, et contemplant la
beauté et excellence de son divin Époux qui mérite des amours infinis, elle
croirait commettre un petit sacrilège de lui dérober la moindre petite
affection des autres et partant, elle désire d’être oubliée de tout le monde
[T4, p. 653] afin que tout le monde ne s’occupe que de Dieu seul.
8. N’affectez point de paraître beaucoup spirituelle : tant plus
votre grâce sera cachée, tant plus sera-t-elle assurée ; aimez plutôt
d’entendre parler de Dieu que d’en parler vous-même, car l’âme dans les grands
discours se vide assez souvent de l’Esprit de Dieu et accueille une infinité
d’impuretés qui la ternissent et l’embrouillent.
9. Le spirituel ne doit voir en son prochain que Dieu et Jésus ;
s’il est obligé de voir les défauts que commettent des autres, ce n’est que
pour leur compatir et leur souhaiter l’occupation entière du pur amour.
Hélas ! Faut-il que les âmes en soient privées ! Saint François
voyant l’excellence de sa grâce et la vocation que Dieu lui donnait à la pureté
suprême, prenait les infidélités à cette grâce pour des crimes, d’où vient
qu’il s’estimait le plus grand pécheur de la terre et le plus opposé à Dieu,
puisqu’une grâce qui eût sanctifié les pécheurs, ne pouvait vaincre sa malice.
10. L’oraison n’est rien autre chose qu’une union actuelle de l’âme avec
Dieu, soit dans les lumières de l’entendement ou dans les ténèbres. Et l’âme
dans son oraison s’unit à Dieu, tantôt par amour, tantôt par reconnaissance,
tantôt par adoration, tantôt par aversion du péché en elle et en autrui, tantôt
par une tendance violente et des élancements impétueux vers ce divin[822]
objet qui lui paraît éloigné, et à l’amour et jouissance auquel elle aspire
ardemment, car tendre et aspirer à Dieu, c’est être uni à Lui, tantôt par un
pur abandon d’elle-même au mouvement sacré de ce divin Époux qui l’occupe de
son amour dans les manières [T4, p. 655] qu’il lui plaît. Ah !
Bienheureuse est l’âme qui tend en toute fidélité à cette sainte union dans
tous les mouvements de sa pauvre vie ! Et à vrai dire, n’est-ce pas
uniquement pour cela que Dieu tout bon la souffre sur la terre et la destine au
ciel, c’est-à-dire pour aimer à jamais ? Tendez donc autant que vous
pourrez à la sainte oraison, faites-en quasi comme le principal de votre
perfection. Aimez toutes les choses qui favorisent en vous l’oraison,
comme : la retraite, le silence, l’abjection, la paix intérieure, la
mortification des sens, et souvenez-vous qu’autant que vous serez fidèle à vous
séparer des créatures et des plaisirs des sens, autant Jésus se
communiquera-t-Il à vous en la pureté de ses lumières et en la jouissance de
son divin amour dans la sainte oraison ; car Jésus n’a aucune part avec
les âmes corporelles qui sont gisantes dans l’infection des sens.
11. L’âme qui se répand dans les conversations inutiles, ou s’ingère
sous des prétextes de piété, se rend souvent indigne des communications du
divin Époux qui aime la retraite, le secret et le silence. Tenez votre grâce
cachée : si vous êtes obligée de converser quelquefois, tendez avec
discrétion à ne parler qu’assez peu et autant que la charité le pourra
requérir ; l’expérience nous apprendra l’importance d’être fidèle à cet
avis.
12. Tous les états de la vie de Jésus méritent nos respects et surtout
ses états d’anéantissement. Il est bon que vous ayez dévotion à sa vie
servile ; car il a pris la forme de serviteur, et a servi en effet son
père et sa mère en toute fidélité et humilité vingt-cinq ou trente ans en des
exercices très abjects et en un métier bien pénible ; et pour honorer
cette vie servile et abjecte de notre bon Sauveur Jésus-Christ, prenez plaisir
à servir plutôt qu’à être servie, et vous rendez facile aux petits services que
l’on pourra souhaiter de vous, et notamment quand ils seront abjects et
répugnants à la nature et aux sens.
13. Jésus dans tous les moments de sa vie voyagère a été saint, et c’est
en iceux la sanctification des nôtres ; car il a sanctifié les temps,
desquels il nous a mérité l’usage, et généralement toutes sortes d’états et de
créatures, lesquelles participaient à la malédiction du péché. Consacrez votre
vie jusqu’à l’âge de trente-trois ans à la vie voyagère du Fils de Dieu par
correspondance de vos moments aux siens, et le reste de votre vie, si Dieu vous
en donne, consacrez-le à son état consommé et éternel, dans lequel Il est entré
par sa résurrection et par son ascension. Ayez dès à présent souvent dévotion à
cet état de gloire de notre bon Seigneur Jésus-Christ, car c’est un état de
grandeur qui était dû à son mérite, et dans lequel vous-même, vous entrerez un
jour avec lui, les autres états [d’anéantissement] de sa vie voyagère n’étant
que des effets de nos péchés.
14. L’âme qui possède son Dieu ne peut goûter les vaines créatures, et à
dire vrai, celui-là est bien avare à qui Dieu ne suffit[823]. À mesure que votre
âme se videra de l’affection aux créatures, Dieu tout bon se communiquera à
vous en la douceur de ses amours et en la suavité de ses attraits, et dans la
pauvreté suprême de toutes créatures, vous vous trouverez riche [T4,
p. 659] par la pure jouissance du Dieu de votre amour, ce qui vous causera
un repos et une joie intérieure inconcevables.
15. Vous serez tourmentée de la part des créatures qui crieront à
l’indiscrétion et à la sauvagerie : laissez dire les langues mondaines,
faites les œuvres de Dieu en toute fidélité, car toutes ces personnes-là ne
répondront pas pour vous au jour de votre mort ; et faut-il qu’on trouve
tant à redire de vous voir aimer Dieu ?
16. Tendez à vous rendre passive à la Providence divine, vous laissant
conduire et mener par la main, entrant à l’aveugle et en toute soumission dans
tous les états où elle voudra vous mettre, soit qu’ils soient de lumière ou de
ténèbres, de sécheresse ou de jouissance, de pauvreté, d’abjection, d’abandon,
etc. Fermez les yeux à tous vos intérêts et laissez faire Dieu, par cette
indifférence à tout état, et cette passivité à sa conduite, vous acquerriez une
paix suprême qui [vous établira dans la pure oraison[824]] et vous disposera à
la conversion très simple de votre âme vers Dieu le Créateur.
17. Notre bon Seigneur Jésus-Christ s’applique aux membres de son Église
diversement pour les convertir à l’amour de son Père éternel, nous recherchant
avec des fidélités, des artifices et des amours inénarrables. Oh ! Que
l’âme pure qui ressent les divines motions de Jésus et de son divin Esprit, est
touchée d’admiration, de respect et d’amour à l’endroit de ce Dieu
fidèle !
18. Renoncez à toute consolation et tendresse des créatures, cherchez
uniquement vos consolations en Jésus, en son amour, en sa croix et son
abjection. Un petit mot que Jésus vous fera entendre dans le fond de votre âme
la fera fondre et se liquéfier en douceur. Heureuse est l’âme qui ne veut
goûter aucune consolation sur la terre de la part des créatures !
19. Par la vie d’Adam, nous sommes entièrement convertis à nous-mêmes et
à la créature, et ne vivons que pour nous-mêmes, et pour nos intérêts de chair
et de sang ; cette vie nous est si intime qu’elle s’est glissée dans tout
notre être naturel, n’y ayant puissance dans notre âme, ni membre en notre
corps qui n’en soit infecté ; ce qui cause en nous une révolte générale de
tout nous-mêmes à l’encontre de Dieu, cette vie impure formant opposition aux
opérations de sa grâce, ce qui nous rend en sa présence comme des morts ;
car nous ne vivons point à Lui, mais à nous-mêmes, à nos intérêts, à la chair
et au sang. Jésus au contraire a mené et une vie très convertie à son Père
éternel par une séparation entière, et une mort très profonde à tout plaisir
sensuel et tout intérêt propriétaire de nature, et Il va appelant ses élus à la
pureté de cette vie, les revêtant de Lui-même, après les avoir dépouillés de la
vie d’Adam, leur inspirant sa pure vie. Oh ! Bienheureuse est l’âme qui
par la lumière de la grâce connaît en soi la malignité de la vie d’Adam, et qui
travaille en toute fidélité à s’en dépouiller par la mortification, car elle se
rendra digne de communiquer à la vie de Jésus !
20. Tandis que nous sommes sur la terre, nous ne pouvons entièrement
éviter le péché. Adam dans l’impureté de sa vie nous salira toujours un
peu ; nous n’en serons exempts qu’au jour de notre mort que Jésus nous
consommera dans sa vie divine pour jamais, nous convertissant si parfaitement
[à son Père éternel] par la lumière de sa gloire que jamais plus nous ne
sentions l’infection de la vie d’Adam ni d’opposition à la pureté de l’amour.
21. La sentence que Notre Seigneur Jésus-Christ prononcera sur notre vie
au jour de notre mort est adorable et aimable, quand bien par icelle il nous
condamnerait, car elle est juste et divine, et partant mérite adoration et
amour : adorez-le donc quelquefois, car peut-être alors vous ne serez pas
en état de le pouvoir faire ; donnez-vous à Jésus pour être jugée par lui,
et le choisissez pour juge, quand bien même il serait en votre puissance d’en
prendre un autre. Hugo, saint personnage, priait Notre Seigneur Jésus-Christ de
tenir plutôt le parti de son Père éternel que non pas le sien : ce
sentiment marquait une haute pureté de l’âme, et une grande séparation de tout
ce qui n’était point purement Dieu et ses intérêts.
22. Notre bon Seigneur Jésus-Christ dit en son Évangile :
bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.
Oh ! En effet, bienheureuse est l’âme qui n’a point ici d’autre désir que
d’aimer et de vivre de la vie du pur amour, car Dieu lui-même sera sa
nourriture, et en la plénitude de son divin amour assouvira sa faim. Prenez
courage, la faim que vous sentez est une grâce de ferveur qui n’est donnée qu’à
peu. Travaillez à évacuer les mauvaises humeurs de la nature corrompue, et
cette faim ira toujours croissant, et vous fera savourer avec un plaisir
ineffable les douceurs des vertus divines.
23. Tendez à acquérir la paix de l’âme autant que vous pourrez par la
mortification de toutes les passions, par le renoncement à toutes vos volontés,
par la désoccupation de toutes les créatures, par le mépris de tout ce que
pourront dire les esprits vains et mondains, par l’amour à la sainte abjection,
par un désir d’entrer courageusement dans les états d’anéantissement de
Jésus-Christ quand la Providence le voudra, par ne vouloir uniquement que Dieu
et sa très sainte volonté, par une indifférence suprême à tous
événements ; et votre âme ainsi dégagée de tout ce qui la peut troubler,
se reposera agréablement dans le sein de Dieu, qui vous possédant uniquement,
établira en vous le règne de son très pur amour.
24. Il fait bon parler à Dieu dans la sainte oraison, mais aussi souvent
il fait bon l’écouter, et quand les attraits et lumières de la grâce nous
préviennent, il les faut suivre par une sainte adhérence qui s’appelle
passivité.
25. Le spirituel dans les voies de sa perfection est sujet à une
infinité de peines et de combats : tantôt il se voit dans les abandons,
éloignements, sécheresses, captivités, suspensions ; tantôt dans des vues
vives de réprobation et de désespoir ; tantôt dans les aversions
effroyables des choses de Dieu ; tantôt dans un soulèvement général de
toutes ses passions, tantôt dans d’autres tentations très horribles et
violentes, Dieu permettant toutes ces choses pour évacuer de l’âme l’impureté
de la vie d’Adam, et sa propre excellence. Disposez-vous à toutes ces
souffrances et combats, et souvenez-vous que la possession du pur amour vaut
bien que nous endurions quelque chose, et partant soyez à Jésus pour tout ce
qu’il lui plaira vous faire souffrir.
26. Derechef, je vous répète que vous soyez bien dévote à la sainte
Vierge : honorez-la dans tous les rapports qu’elle a au Père éternel, au
Fils et au Saint-Esprit, à la sainte humanité de Jésus. Honorez-la en la part
qu’elle a à l’œuvre de notre rédemption, en tous les états et mystères de sa
vie, notamment en son état éternel, glorieux et consommé dans lequel elle est
entrée par son Assomption ; honorez-la en tout ce qu’elle est en tous les
saints, et en tout ce que les saints sont par elle : suivez en ceci les
diverses motions de la grâce, et vous appliquez à ces petites vues et pratiques
selon les différents attraits. Étudiez les différents états de sa vie, et vous
y rendez savante pour vous y appliquer de fois à autre ; car il y a
bénédiction très grande d’honorer la sainte Vierge. Je dis le même de saint
Joseph : c’est le protecteur de ceux qui mènent une vie cachée, comme il
l’a été de celle de Jésus-Christ.
27. La perfection ne consiste pas dans les lumières, mais néanmoins les
lumières servent beaucoup pour nous y acheminer, et partant rendez-vous passive
à celles que Dieu tout bon vous donnera, et en outre tachez autant que vous pourrez
à vous instruire des choses de la sainte perfection par lectures, conférences,
sermons, etc., et souvenez-vous que si vous ne nourrissez votre grâce, elle
demeurera fort faible et peut-être même pourrait-elle bien se ralentir.
28. L’âme de Jésus-Christ est le paradis des amants en ce monde et en
l’autre ; si vous pouvez entrer en ce ciel intérieur, vous y verrez des
merveilles d’amour, tant à l’endroit de son Père que des prédestinés. Prenez
souvent les occupations et la vie de ce tout bon Seigneur pour vos objets
d’oraison.
29. Tendez à l’oraison autant que vous pourrez : c’est, ce me
semble, uniquement pour cela que nous sommes créés : je dis pour
contempler et [pour] aimer ; c’est faire sur la terre ce que font les
bienheureux au ciel. Aimez tout ce qui favorisera en vous l’oraison, et
craignez tout ce qui lui sera opposé. Tendez à l’oraison pas vive, en laquelle
l’âme sans violence entre doucement dans les lumières qui lui sont présentées,
et se donne en proie à l’amour, pour être dévorée par ses très pures flammes
suivant les attraits et divines motions de la grâce. Ne vous tourmentez point
beaucoup dans l’oraison, souvent contentez-vous d’être en la présence de Dieu,
sans autre opération que cette simple tendance et désir que vous sentez de L’aimer
et de Lui être agréable ; car vouloir aimer est aimer, et aimer est faire
oraison.
30. Prenez ordinairement des sujets pour vous occuper durant votre
oraison ; mais néanmoins ne vous y attachez pas, car si la grâce vous
appelle à d’autres matières, allez-y ; je dis ordinairement, car il
arrivera que Dieu vous remplissant de sa présence, vous n’aurez que faire
d’aller chercher dedans les livres ce que vous aurez dans vous-même ;
outre qu’il y a de certaines vérités divines dans lesquelles vous êtes assez imprimée,
que vous devez souvent prendre pour objets d’oraison. En tout ceci, suivez les
instincts et attraits de la grâce. Travaillez à vous désoccuper et
désaffectionner de toutes les créatures, et peu à peu votre oraison se formera,
et il y a apparence, si vous êtes fidèle, que vous êtes pour goûter les fruits
d’une très belle perfection, et que vous entrerez dans les états d’une très
pure et agréable oraison : c’est pourquoi prenez bon courage ; Dieu
tout bon vous aidera à surmonter les difficultés que vous rencontrerez dans la
vie de son saint Amour. Soyez fidèle, soyez à Dieu sans réserve ; aimez
l’oraison, l’abjection, la croix, l’anéantissement, le silence, la retraite,
l’obéissance, la vie servile, la vie cachée, la mortification. Soyez douce,
mais retenue ; soyez jalouse de votre paix intérieure. Enfin, tendez
doucement à convertir votre chère âme à Dieu, son Créateur, par la pratique des
bonnes et solides vertus. Que Lui seul et son unique amour vous soient
uniquement toutes choses. Priez pour ma misère et demandez quelquefois pour moi
ce que vous souhaitez pour vous [825].
Cette influence est moins directe - les deux femmes, la simple servante
dans le Cotentin et la supérieure à Caen ou à Rouen ne se sont très
probablement jamais rencontrées. Les demandes de Mectilde se font donc par
intermédiaires masculins, principalement par Bernières. Nous disposons de
relations dont se détache celle rédigée par saint Jean Eudes et renvoyons
aux récentes éditions des « dits » admirables de la simple
servante [826].
On notera le souvenir très vivant de Marie des Vallées invoquée par la Mère du
Saint Sacrement dans les dernières citations de cette section [827].
Les membres de l’Ermitage de Caen faisaient annuellement un séjour
auprès de celle qu’ils appelaient « sœur Marie » même si elle ne
demeura que simple servante. Nous en trouvons des traces écrites dans La
Vie ou dans les Conseils. Voici un passage révélateur d’un séjour qui fut
sûrement rapporté à Mectilde :
L’an 1653, au mois de juin, quelques personnes de piété étant
venues voir la sœur Marie pour la consulter sur plusieurs difficultés qu’elles
avaient touchant la voie par laquelle Dieu les faisait marcher, qui était une
voie de contemplation, elles demeurèrent quinze jours à Coutances, la voyant
tous les jours et conférant avec elle sur ce sujet, deux, trois, quatre, et
quelquefois cinq heures par jour.
Il est à remarquer qu’elle n’est pas maintenant dans cette voie, étant
dans une autre incomparablement au-dessus de celle-là par laquelle elle a passé
autrefois, mais il y a si longtemps qu’elle ne s’en souvient plus. C’est
pourquoi, lorsqu’elles lui parlaient de cela, au commencement elle leur disait
que ce n’était pas là sa voie et qu’elle n’y entendait rien. Mais peu après
Dieu lui donna une grande lumière pour répondre à toutes leurs questions, pour
éclaircir leurs doutes, pour lever leurs difficultés, pour parler pertinemment
sur l’oraison passive, pour en découvrir l’origine, les qualités et les effets,
pour faire voir les périls qui s’y rencontrent, pour donner les moyens de les
éviter et pour discerner la vraie dévotion d’avec la fausse.
« Cette voie est fort bonne en soi, leur dit-elle, et c’est la voie
que Dieu vous a donnée pour aller à lui, mais elle est rare : il y a peu
de personnes qui y passent, c’est pourquoi il est facile de s’y égarer.
« Ce n’est pas à nous de choisir cette voie et nous ne devons pas y
entrer de nous-mêmes et par notre mouvement. C’est à Dieu de la choisir pour
nous et nous y faire entrer. On n’en doit parler à personne pour la leur
enseigner, car si on y fait rentrer des personnes qui n’y soient pas attirées
de Dieu, on les met en danger et grand péril de s’égarer et de se perdre. Si
quelques-uns en parlent, il faut les écouter. Si on reconnaît à leur langage
qu’ils marchent en ce chemin, alors on peut s’en entretenir avec eux. Cette
voie est pleine de périls, il y faut craindre la vanité, l’amour-propre, la
propre excellence, l’oisiveté et perte de temps.
« Il ne faut pas s’imaginer qu’il n’y a que ce chemin qui conduise
à l’anéantissement de nous-mêmes et à la perfection. Tous chemins vont en
ville. Il y a une infinité de voies qui vont à la perfection : les uns y
vont par la contemplation, les autres par l’action, les autres par les croix,
les autres par d’autres chemins. Chaque âme a sa voie particulière. Il ne faut
pas penser que la voie de la contemplation soit la plus excellente.
Sa manière ordinaire de connaître la vérité des choses qui lui sont
proposées par diverses personnes n’est pas par intelligence ni par lumière,
mais par un goût expérimental qui lui ouvre le fond du cœur dans lequel elle
entre.[828].
Que se passait-il autour d’elle lors d’une telle visite ? Une
communication de cœur à cœur en silence se produit dans une prière commune
mystique. Ce dont témoigne ses Conseils donnés probablement à
Bernières :
27. Je dis à la sœur Marie que je conversais avec elle en Dieu, sans que
je pense y converser de paroles. Elle m’a dit qu’il y a un langage intérieur,
et que cela était vrai. Je suis venu peu à peu à ne plus parler avec elle, mais
à demeurer auprès d’elle en Dieu […] J’ai bien connu que c’était
imperfection à moi de lui parler, n’étant pas la manière que Dieu voulait sur
moi. Il me semblait que mon âme était introduite dans un cabinet seule avec
elle, où les autres ne pouvaient empêcher la conversation, non pas
elle-même : c’est un pur don que Dieu seul peut faire [829].
33. En l’année 1655, notre voyage pour voir la sœur Marie ne fut
pas à dessein d’avoir quelque réponse ou quelque don particulier, mais afin
d’obtenir par ses prières, l’établissement de la réelle présence de Dieu dans
le fond de notre âme. Nous avions eu quelques mois auparavant plusieurs
lumières qu’il y a dans l’essence de l’âme une capacité comme infinie de
recevoir cette réelle présence ou plutôt d’être abîmée en Dieu même ; nous
étions dégoûtés de nous servir d’aucuns moyens, cette communication essentielle
de Dieu ne se pouvant faire qu’en Dieu et par Dieu même, ce que notre âme
expérimente par un instinct secret.
34. Elle ne laissa pas de nous dire des histoires, ou des visions ou
lumières qu’elle avait eues de l’état de déification, qui faisaient connaître
le bonheur d’une âme qui entre en cet heureux état. Nous lui témoignâmes de le
désirer, et que nous ne pouvions plus goûter aucun don, mais Dieu seul, et
qu’elle priât pour nous obtenir cette grande miséricorde : nous trouvions
notre intérieur changé, comme étant établi dans une région plus indépendante de
moyens, et où il y a plus de liberté, de pureté et de simplicité, où
l’anéantissement et la mort de soi-même sont expérimentés d’une manière tout
autre que par le passé [830].
Voici
maintenant un exemple des dits rapportés dans la Vie admirable en grand nombre… mais à partir du
chapitre IV [831] :
Le deuxième jour de décembre [1644], Notre Seigneur lui proposa une
forme d’abbaye dont l’abbesse était la divine Volonté. […]
Les âmes qui sont en ce noviciat ne font profession que quand elles sont
entièrement dépouillées d’elles-mêmes. Lorsqu’elles font profession, elles sont
au pied de la montagne de perfection sur laquelle s’acheminant, elles
commencent de se déifier peu à peu, et en cet état elles ont à pratiquer les
excès de l’amour divin qui contient sept articles :
Le premier est d’allumer le feu dans l’eau.
Le second de marcher sur les eaux à pied sec. […]
Le cinquième de faire la guerre à Dieu et Le vaincre. […]
Voici l’explication que Notre Seigneur lui a donnée de ces choses :
allumer le feu dans les eaux, c’est conserver l’amour divin dans les souffrances.
Plus les souffrances s’augmentent, plus l’amour divin s’augmente et s’embrase.
Marcher sur les eaux à pied sec, c’est mépriser et fouler aux pieds les
plaisirs licites et illicites sans y toucher. Les plaisirs sont signifiés par
les eaux parce qu’ils s’écoulent comme l’eau et n’ont point d’arrêt. […]
Faire la guerre à Dieu et le vaincre, c’est s’opposer à Dieu fortement
quand Il veut châtier les pécheurs et le fléchir à miséricorde […]
Toutes ces choses surpassent la nature, dit la sœur Marie. Il n’y a que
Dieu seul qui les puisse opérer dans l’âme. [832].
Un jour Notre Seigneur dit à la sœur Marie : « Les aveugles se
sont assemblés pour faire le procès au soleil. Ils disent pour leur raison
qu’il a perdu sa lumière et qu’il faut le chasser du ciel parce qu’il occupe
inutilement la place qu’il y a.
– Je vous prie, ayez pitié d’eux, car ils ne savent ce qu’ils disent, et
leur donnez un arrêt favorable.
– Oui, dit Notre Seigneur. Je m’en vais terminer ce procès et lui
donnerais arrêt en l’excès de mon amour. »
Et en même temps Il prononça l’arrêt en cette sorte : « Je
condamne le soleil de donner des yeux aux aveugles pour le connaître et pour
voir sa lumière. »[833].
Ses visions sont d’une grande beauté, mais parfois obscures, elles
demandent attention et interprétation. Ce sont des analogies ou paraboles
mystiques :
Un jour la Sainte Vierge dit à la sœur Marie : « Allons, ma
grande basse [servante], travailler au bois. » La Sainte Vierge avait une
faucille, une hache et une échelle dont les échelons étaient de corde, et une
petite bêche. Elle la mena à l’entrée du bois où ce n’était qu’épines et
broussailles. Elle lui bailla [donna] la faucille et lui commanda d’essarter
[débroussailler] toutes ces épines. Elle le fait et voyant ses mains ensanglantées,
elle dit à la Sainte Vierge : « Ma mère, j’ai mes mains tout
ensanglantées. » La Sainte Vierge répartit : « Mon Fils ne m’a
jamais demandé de mitaines. »
Elle [la sœur Marie] continue, fait la même plainte plusieurs fois et
entend la même réponse. En essartant, elle arrive à un bel arbre touffu qui
jetait de belles branches de tous côtés. La Sainte Vierge lui dit :
« Frappe, ma grande basse, frappe sur ces branches ». Elle frappe, il
en sort du sang.
Elle en a frayeur et se veut retirer. La Sainte Vierge lui dit plusieurs
fois avec colère : « Frappe, il occupe la terre. » Elle coupa
ses branches tout autour, c’est-à-dire celles du bas. Elle [la S. Vierge] lui
commanda d’essarter comme devant avec les mêmes plaintes et les mêmes réponses,
et elle disait ce verset : Sequor
quocumque ierit [834].
Et elles arrivèrent à un bel arbre tout émondé auquel il ne restait
qu’une petite branche en haut pour soutenir une colombe. Elle y monta jusqu’en
haut par le moyen des estocs qui y étaient restés après avoir été émondés, et
ne trouvant rien pour s’appuyer, elle fut saisie de frayeur, mais elle fut
changée en colombe et devint aveugle et bien effrayée, ayant peine à s’appuyer
et ne sachant où voler ailleurs, à cause qu’elle était aveugle [835].
Son exigence [de soeur Marie] est forte :
Eh bien ! Que demandez-vous ? Voulez-vous que je vous donne la
méditation ?
– Nenni, dit-elle, ce n’est pas cela que je veux.
– Voulez-vous la contemplation ?
– Non.
– Quoi donc ?
– Je demande la connaissance de la vérité !
Marie des Vallées était considérée comme une sainte femme
conseillère spirituelle avisée par beaucoup de personnes notables : Gaston
de Renty ; Jean de Bernières ; Catherine de Saint-Augustin ;
Simone de Longprey (1632-1668 à Québec), moniale hospitalière de la
Miséricorde ; Mgr François de Montmorency-Laval (1623-1708), premier
évêque de Québec ; Mgr Pierre Lambert de la Motte (1624-1679), vicaire
apostolique de Cochinchine, etc. Nous relevons des demandes transmises
par Mectilde en 1652 et en 1654, sa confiance exprimée en 1677 puis 1683 en une
« bonne âme », la « sœur Marie » qui l’accompagne
intérieurement :
Mectilde écrit à Boudon :
[…] Travaillez pour la
consolation de l’Église. Je suis outrée au dernier point lorsque je vois
qu’elle souffre. Je me souviens d’une chose que vous avez vue dans les écrits
de la bonne âme. Notre Seigneur a dit qu’il lui donnera une purgation, etc.,
car Notre Seigneur dit qu’il lui donnera aussi une saignée ; cela comprend
beaucoup. Bienheureux ceux qui sont vrais enfants de l’Église, et bien unis à
Jésus Christ [836].
Je vous supplie, mon très cher frère, de nous écrire autant souvent que
vous le pouvez sans vous incommoder. Vous savez ce que vous m’êtes en Jésus
Christ et comme il veut que vous soyez ma force et sa vertu. Recommandez-moi
bien à M. Burel et lui racontez un peu, si Notre Seigneur vous en donne la
pensée, l’occasion qui se présente de faire un établissement pour adorer
perpétuellement le Saint Sacrement. Dites-lui aussi que M. Tardif vint avant-hier
me livrer une nouvelle persécution sur ce sujet, parce qu’étant à Saint-Denis,
il vit un mémoire que j’avais écrit pour obtenir de Rome un bref pour me mettre
en état de contracter avec les Dames qui fournissent pour établir cette piété.
Elles se sont toutes recueillies et fournissent une somme assez suffisante dans
le commencement, mais la tempête s’est levée si haut que je ne sais si elle ne
renversera point l’œuvre. Car on me blâme d’une étrange manière, disant que mes
prétentions sont d’être supérieure et que je me procure cette qualité jusque
dans Rome. Il m’en dit beaucoup et de qui j’avais pris conseil sur une affaire
de telle importance ; après tout cela, les messieurs du Port-Royal se
joignent et redoublent d’importance, et je savais que cela fera de grand éclat
et que je passe pour la plus ambitieuse de charges qui ne fut jamais, et pour
bien d’autres choses qui exerceraient une personne moins stupide que moi ;
mais je suis si bête que je ne me trouble point, laissant le tout à la
disposition divine.
Je voudrais bien, mon très cher frère, que vous puissiez aller jusqu’à
Caen voir M. de Bernières et prendre ses conseils et ses sentiments sur tout
cela. M. Tardif veut que j’en confère avec la bonne âme de Coutances
[Marie des Vallées qui y résidait]. Il faudrait que vous et M. de Bernières
vissiez cela avec le bon Frère Luc [de Bray], pénitent, qui demeure à
Saint-Lô [837].
J’aimerais mieux mourir que d’entreprendre cet ouvrage ni aucun autre s’il
n’est tout à la gloire de Dieu.
Vous savez mes intentions et mes dispositions ; je vous en ai parlé
avec sincérité et franchise. Vous pouvez parler à ces bonnes personnes
librement. M. de Bernières a une charité si grande pour mon âme qu’il sera bien
aise de me donner ses avis pour la gloire de Notre Seigneur. Nous ne cherchons
tous que cela.
De vous dire que j’ai ardeur pour cette œuvre, je vous confesse
ingénument que je ne l’ai point du tout et qu’il me faut pousser pour m’y faire
travailler : les serviteurs de Dieu m’en font scrupule. J’ai donc consenti
que l’on agisse, mais il y a si peu de choses fait, qu’on le peut facilement
renverser si l’on connaît que ce n’est point de Dieu. Mais ce bon
M. Tardif ne peut en aucune manière l’approuver, disant que j’ai une
ambition effroyable de vouloir être supérieure, que c’est contre mon trait
intérieur et contre les desseins de Dieu sur moi, qu’il a souvent manifestés,
même par la bonne âme, et que, si elle consent à cela, qu’il soumettra son
esprit et n’y répugnera plus.
Je suis en perplexité savoir si je dois continuer, et je voudrais bien
qu’il eût plu à Notre Seigneur donner mouvement à la bonne Sœur Marie de
l’approuver. Néanmoins, je m’en remets à la conduite de la Providence, vous
assurant que j’y ai moins d’attache que jamais. L’accomplissement ou la rupture
de cette affaire m’est, à mon égard, une même chose, et, si j’osais, je dirais
que le dernier me serait plus agréable, tant j’ai de crainte de m’embarquer
dans une affaire qui ne soit point dans l’absolu vouloir de Dieu. Je vous
supplie et conjure de beaucoup prier et d’en aller au plus tôt conférer avec
notre bon M. de Bernières avant que l’affaire soit poussée plus avant, et que
je la puisse rompre en cas qu’il ne l’approuve pas. […] [838].
Mectilde sollicite la protection de « notre très chère sœur »
par l’intermédiaire de Bernières :
À monsieur de Bernières, 1654. Je vous supplie me faire la faveur de
faire savoir à notre très chère Sœur que nous prendrons la croix[839]
le 10e de février, jour que nous faisons la fête de notre grande
sainte Scholastique. Je la supplie, autant instamment que je puis, de vouloir
derechef présenter cette œuvre à Notre Seigneur, et le prier très humblement y
vouloir donner sa sainte bénédiction et que le tout soit uniquement pour sa
gloire.
Je remets tous mes intérêts, si j’en ai en cette œuvre, pour être
sacrifiée, par elle, à Jésus dans la sainte hostie. Je renonce de tout mon cœur
à ce qu’il peut y avoir d’humain et proteste que je n’y veux que Dieu seul et
l’honneur de sa sainte Mère, laquelle nous avons constituée notre très digne et
très adorable supérieure. C’est elle, mon bon frère (362) qui est la vraie Mère
et la très digne Mère du Saint Sacrement[840]. C’est elle qui est
notre Prieure. C’est pour elle cette œuvre et non pour moi. Je la remets en ses
saintes mains et n’en retiens pour moi que la peine et l’abjection. Je n’y veux
rien, je n’y désire rien, je n’y prétends rien pour moi, au moins est-ce mon
désir, et je supplie notre chère Sœur de prier Notre Seigneur et sa très sainte
Mère d’y être parfaitement tout ce qu’ils y doivent être, et que nous ayons la
grâce, par leur très grande miséricorde, d’être les vraies victimes du très
Saint Sacrement.
Cette Maison s’établit à sa seule gloire pour, comme je vous ai déjà
dit, réparer autant que l’on peut sa gloire, profanée dans ce très Saint
Sacrement par les sacrilèges et (par les) impies ; et surtout par tous les
sorciers et magiciens qui en abusent si malheureusement et horriblement.
Priez notre bonne Sœur [Marie des Vallées] qu’elle présente nos
intentions à Notre Seigneur et lui demande, pour nous toutes et pour toutes
celles que sa Providence conduira en cette Maison, la grâce de vivre de la vie
cachée de Jésus dans ce divin Sacrement, savoir : d’une vie cachée et
toute anéantie, que nous ne soyons plus rien dans les créatures et que nous
commencions à vivre à Jésus, de Jésus et pour Jésus dans l’hostie.
Je voudrais bien qu’il plût à Notre Seigneur opérer ce jour ma vraie
conversion, qu’il me fasse sortir entièrement de ma vanité et des créatures.
Tâchez de voir cette chère Sœur ; je vous en supplie, faites y
votre possible, et lui remettez de ma part ce saint œuvre entre ses mains pour
être présenté à Notre Seigneur. J’ai une grande passion qu’elle soit toute à
Dieu et pour Dieu. Je lui demande un quart d’heure de son temps, si Dieu lui
permet, pour s’appliquer à lui pour nous, et qu’elle continue à lui demander
pour moi une très profonde humilité et la grâce de ne rien prendre en cette
œuvre. J’ai un grand désir d’y vivre toute anéantie, mais je suis si impure que
ma vie me fait horreur. Priez Notre Seigneur qu’il me change par sa
toute-puissance, et que je sois, avant que de mourir, parfaitement à lui et
pour lui, et, en son esprit, votre très fidèle et affectionnée...
Possible aurons-nous la croix dimanche prochain. Néanmoins toutes choses
n’y sont pas encore disposées. Ce qui me satisfait le plus, c’est que j’ai mis
cette œuvre entre les mains de mes supérieurs, pour en être fait comme Dieu les
inspirera. C’est eux, contre leur ordinaire, qui me pressent d’achever et
de prendre vitement la croix[841].
Deux ans plus tard une autre référence à « sœur Marie »
permet en outre d’introduire d’autres spirituels que nous n’aborderons pas ou
peu : saint Jean Eudes et Mgr de Laval, le discret monsieur
Bertot et d’autres familiers, tous de « bons ermites ». Le réseau
formé autour de Bernières sous la houlette du P. Chrysostome est ainsi en
relation avec Mectilde lorsqu’elle prend solidement pied à Paris (1654 est
l’année de la pose de croix pour le nouveau couvent rue Férou) :
À monsieur de Bernières. Ce 21 Août 1654. Je ne vous fais que ce mot
étant encore bien faible d’une petite fièvre que j’ai eue et de laquelle le
Révérend Père Eudes vous dira des nouvelles. Nous avons eu l’honneur de le voir
et recevoir beaucoup de sa charité dont toute notre petite communauté en reste
touchée. Je crois que sa conférence opérera de grands effets, je vous supplie
de l’en remercier[842].
Il vous dira de nos nouvelles et comme il m’a mandé de manger de la viande, ce
que j’ai fait sans difficulté puisqu’il l’a voulu et que je sais qu’il est
désintéressé. J’espérais qu’il ferait la bénédiction de l’image de Notre Dame,
mais la sainte Providence nous en a voulu mortifier, c’est seulement demain que
la cérémonie s’en fera, jour de l’octave de l’Assomption. Il m’a promis qu’il
sera notre avocat vers la bonne sœur Marie [des Vallées]. J’ai admiré la
conduite de Notre Seigneur : quand je l’ai désiré, il ne me l’a pas donné
et quand tous désirs et volontés ont été anéantis en moi, il l’a voulu et lui a
donné charité pour moi. Je ne doute point que ce ne soit un coup de la sainte
et aimable Providence qui se plaît à faire des coups pareils. Je l’adore en
tout et prends plaisir de la laisser régner partout sans me mettre en peine
d’aucune chose. Ô mon très cher Frère, qu’il fait bon se perdre.
J’ai reçu trois ou quatre de vos chères lettres, mais si petites qu’il
n’y avait quasi que deux mots. Nous avons vu Monsieur de [Bernay] et demain il
nous fera conférence et je lui rendrai tous les petits services que je pourrai.
Monsieur Bertaut [Bertot][843]
dit hier la sainte Messe céans [ici], mais comme nous chantâmes aussitôt après
la grand’Messe, je ne pus le voir, il me fit dire qu’il reviendrait.
Cette bonne dame que vous m’aviez mandé de bien recevoir et qui est
intime de Timothée [Marie des Vallées] n’est point venue, je la régalerai le
mieux que je pourrai.
Le Révérend Père Lejeune [844] nous vient voir
souvent et a grand soin de ma santé, je vous prie l’en remercier quand vous lui
écrirez, il a grande bonté pour nous.
Je vous reproche votre infidélité de n’être point venu à Paris avec
Monsieur Bertaut. Notre Seigneur vous donnait cette pensée pour le bien et la
perfection de ce nouveau monastère où toutes les âmes qui y sont ont une grande
tendance à la solitude et à l’anéantissement. Un peu de vos conférences les
ferait avancer, l’excuse que vous prenez pour couvrir votre prétexte de ne nous
point écrire, de la sainte oraison, n’est point recevable; si c’était un autre
que vous, je dirais qu’il fait des compliments spirituels. Je vous supplie de
croire que je n’ai d’autre expérience que mon néant que je chéris et que
j’aime, mais pour le reste, je suis tout à fait ignorante, donc, très cher
Frère, par charité et pour l’amour de Dieu, écrivez-moi quand vous en aurez la
pensée.
J’ai bien cru que M. de Montigny [François de Laval-Montigny [845]]
vous consolerait et édifierait par sa ferveur, je suis très aise de le savoir
là : qu’il y puise bien le pur esprit de Jésus et qu’il s’y laisse bien
anéantir afin qu’il soit rendu digne des desseins que Dieu a sur lui. Je salue
humblement tous les bons ermites et les supplie de prier pour cette petite
Maison qui tend bien à la vie solitaire. J’espère que Notre Seigneur nous
donnera la joie et la chère consolation de vous y voir un jour, il me semble
que ce sera sa pure gloire. Quoique j’y rencontrerai ma satisfaction, nous ne
laisserons pas d’être tous anéantis en Jésus. Je suis en lui toute vôtre[846].
Beaucoup plus tard, Mectilde se souvient par deux fois au moins de celle
qu’elle n’a jamais rencontrée autrement qu’en prières qui furent jugées
efficaces. Lors du premier chapitre tenu à Rouen le 12 novembre 1677, elle
renouvelle le lendemain sa demande de protection [847] :
[…] Le jour des saints de l’Ordre, treizième de novembre, elle nous dit,
au sortir de son action de grâce de la sainte communion, qu’elle avait eu toute
la matinée, devant Notre Seigneur, une distraction sur le sujet de la
« bonne âme », qui était qu’elle l’avait regardée comme la Sunamite
[I Rg. 1,1-4], qui réchauffait en quelque manière Notre Seigneur des froideurs
que les pécheurs lui donnaient sujet d’avoir contre eux, en s’étant offerte
pour satisfaire pour eux et ayant porté les peines que leurs péchés méritaient.
Cette bonne âme est une grande servante de Dieu de la ville de Coutances, dont
la plupart du monde ignore la sainteté, la tenant pour une magicienne [848],
parce que Dieu la conduit par une voie fort extraordinaire que les personnes
les plus spirituelles ont censurée et n’approuvent pas.
Mais comme notre digne Mère connaît sa vertu et son mérite, tant par la
communication qu’elle a eue avec elle par lettres, plus que par le rapport que
les serviteurs de Dieu qui la fréquentaient lui en ont fait et plus aussi par
les lumières que Notre Seigneur lui en a données et par les assistances qu’elle
en a reçues depuis sa mort, si bien qu’elle a recours à elle et la prie souvent
dans ses besoins et reçoit par son moyen des grâces très grandes, témoin celles
qu’elle lui a faites ici, mais qu’elle n’a pas voulu déclarer. Elle eut donc le
mouvement en commençant cette Maison de la mettre sous sa protection et de la
prier qu’elle en prît soin, ce qu’elle lui promit. Nous avons cru que ç’avait
été elle qui nous avait procuré toutes les traverses que nous avons eues, car
l’on dit que toutes les âmes qui l’invoquent, elle ne leur obtient de Dieu que
des croix et des humiliations, en connaissant le prix et l’excellence, et que
ce sont les plus grandes faveurs qu’il puisse faire aux âmes en ce monde,
elle-même en ayant été bien comblée, ayant souffert ce qui ne se peut
concevoir. Notre digne Mère nous dit qu’elle obtiendrait aux religieuses de
cette Maison la grâce du néant, de connaître Dieu en foi et d’être très pauvre
intérieurement. Elle ajouta : « Cela
n’est guère agréable pour l’amour-propre, qui veut toujours voir et sentir et
ne peut souffrir sa destruction ».
Mectilde témoigne encore de sa confiance en écrivant en 1683 à une
religieuse de Toul [849] :
Je suis toujours en transe [en appréhension] de faire aussi continuer
les prières. Voilà un grand mal pour une personne aussi usée que votre bonne et
digne prieure. Je l’ai, ma très chère fille, toujours à l’esprit et, comme la
bienheureuse Marie des Vallées fait quantité de miracles, je la prie, et vous
aussi d’y avoir recours. Ne cessez point que vous n’obteniez sa santé.
Cependant, embrassez cette chère Mère pour moi, et lui dite de la part de Dieu
que je lui défends de mourir.
Enfin dans une Conférence tardive :
Vous craignez, dites-vous, la vanité lors même que vous reportez à Dieu
les grâces que vous en recevez, et que vous en avez même de n’en avoir point
pris[850] !
Ce sont des pensées qu’il faut mépriser et les laisser tomber sans y réfléchir.
Tout le bien donc que vous voyez en vous reportez-le à Dieu, de peur qu’en vous
y arrêtant trop vous ne profaniez en vous les dons de Dieu.
La bonne Marie des Vallées ayant
une fois demandé à Dieu, pour faire partage avec lui, qu’il lui fasse connaître
ce qui appartenait à Dieu en elle-même, afin que dans la suite elle puisse lui
rendre ce qui lui appartenait, et qu’elle eût aussi sa part, qu’il était de
justice de rendre à chacun ce qui lui convenait, il lui fut répondu fort
distinctement : « Ce qui t’appartient est le néant d’être et le double
néant de péché, l’ire de Dieu et sa justice ; l’enfer est ton partage,
voilà tout ce qui t’appartient, tout le reste est à moi. » [851].
Mectilde s’inscrit dans un cercle vénérant la « sœur
Marie » : Mgr de Laval emporta en Nouvelle-France une
copie de la Vie
admirable, alors que l’on ne transportait
pas de bibliothèques lors des traversées maritimes aventureuses de l’époque.
L’influence de sœur Marie atteindra à la fin du siècle madame Guyon qui se
rattache au même réseau mystique de l’Ermitage par monsieur Bertot
« passeur mystique » de Caen à Montmartre. Madame Guyon écrit en
1693 :
... pour Sœur Marie des Vallées, les miracles qu’elle a faits depuis sa
mort et qu’elle fait encore en faveur des personnes qui l’ont persécutée, la
justifient assez. C’est une grande sainte et qui s’était livrée en sacrifice
pour le salut de bien des gens. Elle était très innocente, l’on ne l’a jamais
crue dans le désordre, mais bien obsédée et même possédée, mais cela ne fait
rien à la chose [852].
L’influence se prolonge au XVIIIe siècle par les Conseils édités près d’Amsterdam en 1726 par le groupe du pasteur Poiret,
l’éditeur de trésors spirituels [853]. Le grand respect de
tous les pèlerins mystiques que nous venons de citer envers celle qu’ils
nommaient « sœur Marie » demeure gravé dans le bronze de la cloche du
séminaire de Coutances : « † 1655 iai este nommee Marie par Marie des
Vallers et par Mre Jean de Berniere [854] ». Sœur Marie fut
inhumée le 4 novembre 1656 dans la chapelle du séminaire de Coutances [855]
Présentons cette
figure cachée, puis sa direction de Bernières qui deviendra lui-même directeur
de Mectilde. Nous abordons ensuite la relation de Charlotte avec
Mectilde : « Vous n’avez rien à craindre… ».
§
Charlotte Le Sergent,
bénédictine, maîtresse des novices et prieure connue sous le nom de Mère de
Saint Jean l’évangéliste à l’abbaye de Montmartre, exerça un grand rayonnement
sur le cercle normand :
On la consultait de tous côtés […] Monsieur de Bernières […] la sœur
Antoinette de Jésus […] la Révérende Mère du Saint-Sacrement [Mectilde] et
plusieurs autres [856].
Elle fut attirée par le
Carmel et après « quinze ou seize ans » d’instruction « d’une
infinité de merveilles [857]
», connut une nuit dont elle
fut délivrée ainsi :
Voulant obéir, elle essayait de multiplier les actes et Dieu de son côté
lui faisait voir la beauté d’une âme qui ne veut être autre chose qu’une pure
capacité de sa divine opération [...] Après six mois d’exercices interrompus
par la vivacité de son esprit naturel accoutumé à vouloir connaître toutes
choses, elle résolut enfin d’anéantir tout ce qu’il y avait de contraire à
l’attrait de Sa grâce. Quand j’en devrais mourir, dit-elle, je le ferai pour
Dieu. Cette résolution prise, il lui sembla ressentir au plus intime de son âme
une approche de Dieu très secrète et très certaine et elle entendit cette
parole intérieure [...] « J’agirai à ma mode : vous irez par un
chemin que vous ne connaissez pas » [...] Cette âme demeura lors dans un
profond respect devant une si grande Majesté et toute confuse du passé elle
répandit quantité de larmes. Cette occupation intérieure dura cinq heures ou
environ, pendant laquelle il lui parut que Dieu fit un vide dans son âme, comme
quand on prend un balai, et que l’on pousse les ordures hors d’une
chambre : en effet, elle se trouva si déchargée, qu’elle respirait à son
aise et sans nulle peine : elle allait à l’oraison comme au festin de
noces, et l’espace d’un an elle ne manqua guère d’y employer quatre ou cinq
heures chaque jour, ne portant avec elle que la nudité d’esprit et la cessation
de tout acte. Elle voyait Dieu présent par une foi simple [858].
Dix-huit ans avant sa mort, elle cessa d’écrire ses dispositions,
« parce que Dieu produisait en son âme des abîmes si impénétrables qu’elle les adorait sans les pouvoir ni vouloir comprendre ». Madame de Beauvilliers lui donna « un pouvoir absolu pour la direction de la Communauté ; elle a été trente-deux ans prieure en différentes nominations [859] »
Quand on lui demande
son avis sur une religieuse « extraordinaire », elle répond avec
humour en évoquant son vécu « ordinaire » de « bête en la
Maison du Seigneur » :
Que
pouvez-vous espérer d’une créature qui est dans un abîme de ténèbres et qui
marche à l’aveugle dans sa petite voie ? […] L’entende qui pourra, c’est
une vérité que l’âme est comme perdue sans savoir où elle est, ni ce qui se
passe en elle. Elle n’ose pas même remuer, il faut qu’elle demeure ainsi
anéantie sans nulle réflexion.
Mais pour
vous dire ma pensée sur la personne dont vous me parlez […] elle réfléchit un
peu trop sur ce qui se passe en elle […] Mais enfin Dieu ne conduit pas toutes
les âmes par un même sentier : elles ne sont pas toutes appelées pour être
des bêtes en la Maison du Seigneur. Il y a des personnes auxquelles on ne peut
donner de lois ; il les faut abandonner aux règles de l’amour, et le
laisser prendre tel empire qu’il lui plaît sur elles. Il faut seulement les
tenir fort petites et humiliées et ne jamais leur faire valoir leurs
opérations…[860].
Elle dirigea
Bernières dont elle discerna l’excès d’activité et une compréhension
imparfaite de « notre tout aimable abjection » [861].
Il m’a semblé que votre âme se rabaissait par trop en réfléchissant sur
elle-même et sur les opérations divines en son intérieur : elle doit, à
mon avis être plus simple, et s’attacher uniquement à l’Auteur de cet ouvrage
et non pas à ses effets […] Vous me parlez, mon cher Frère, d’un état de
déréliction et d’abandon aux égarements d’esprit. Je crois vous avoir déjà dit
qu’il faut s’élever en Dieu par la partie suprême de l’âme, et s’y tenir fixe,
négligeant beaucoup ce qui se passe dans la partie inférieure […] C’est
alors qu’il faut faire usage d’une foi nue et élevée au-dessus des sens, cette
vertu ayant le pouvoir d’arrêter l’âme en Dieu, pendant le tintamarre qui se
fait en bas, et que la Sagesse divine permet afin que chacun connaisse quelle
serait sa faiblesse s’il était abandonné à lui-même […]
On croit quelquefois que tout est perdu, parce que l’on ne sait pas quel
est le prix de la nudité d’esprit […] si l’âme veut agir par elle-même, elle
oppose son opération basse et ravalée, à celle de Dieu. Cette inclination
d’agir est un reste des activités passées qu’il faut anéantir et écouler en
Dieu, pour lui laisser l’âme abandonnée…[862].
Elle lui adressa une
longue lettre le dissuadant de pratiquer la pauvreté matérielle
extérieure : Bernières était en effet écartelé entre son désir d’être
délivré du souci des biens et le recours que l’on faisait à ses capacités de
gestionnaire. Il ne fut donc pas question pour lui d’accompagner Marie de
l’Incarnation au Canada ! Charlotte l’incita à pratiquer une pauvreté tout
intérieure :
Votre esprit naturel est agissant et actif, Dieu le veut faire mourir
[…] Ne faites aucune élection pour l’intérieur ni pour l’extérieur : tout
exercice vous doit sembler bon : consolation, désolation, tentation […]
C’est en ce point que consiste la pauvreté d’esprit dans ce vide et dans ce
dénuement de toute propre élection, dans le détachement des goûts, des consolations
et du repos intérieur [...] Pour l’extérieur, tout emploi vous doit être aussi
très indifférent, et votre nouvel état d’oraison, de repos et de silence le
demande, puis que son fondement est plus dans la mort de l’esprit et de ses
propres opérations, que dans une retraite extérieure. Je sais que celle-ci est
bonne quand elle vient de Dieu ; mais il la faut posséder sans attache.
L’âme ne doit être liée qu’au seul bon plaisir de l’amour ; qu’il nous
mette en l’état qu’il lui plaira, il n’importe. Celui du sacré silence convient
fort à l’oraison, il est vrai, mais la soumission aux attraits de l’amour vaut
beaucoup mieux [...] tout est aimable quand il vient de ce noble principe [863].
Déjà, avant de rencontrer « notre bon P. Chrysostome », Mectilde s’inspirait d’une belle
devise de Charlotte Le Sergent :
J’aime beaucoup cette béatitude :
« Bienheureux qui se voit réduit
à porter dans son impuissance
la Puissance qui le détruit. »
Désirez qu’elle s’accomplisse en moi [864].
La direction du P. Chrysostome ayant été déterminante, mais brève,
Charlotte, dont nous venons d’apprécier la vie mystique, prit le relais à
partir de juin 1643. Véronique Andral cite une source manuscrite [865]:
« Ne
pouvant pas ensuite, tout éclairée qu’elle était, se conduire autrement que par
l’obéissance, elle [Mectilde] se mit sous la direction de la Mère de Saint Jean
l’évangéliste, religieuse de Montmartre d’un très grand mérite, qui était
Supérieure d’une petite Communauté au Faubourg de la Ville-l’Evêque. Cette
nouvelle directrice lui interdit absolument toutes les pénitences que le Père
Chrysostome lui avait ordonnées. » Elle quitte sa ceinture de fer (L’abbé
Berrant, p. 56, situe le fait en juin 1646) [866].
« Que si elle n’était si crucifiée de corps sous la Mère de Saint Jean,
elle le fut beaucoup plus du côté de l’esprit, car ce fut alors qu’elle entra
par ses avis dans le creuset purifiant où il faut se tenir pour arriver à
l’indépendance de toutes les créatures et au Pur Amour de l’Être incréé, et
pour mettre sa félicité dans un parfait dénuement de tout soi-même. Sur quoi
elle disait souvent qu’elle sentait à toute heure la main du divin Amour qui se
faisait justice en elle et qui y détruisait, par la voie d’un crucifiement
douloureux, jusqu’au moindre reste de son amour-propre. »
La Mère de Saint Jean l’évangéliste [ci-dessus] désigne Charlotte Le
Sergent. Bremond en fait ainsi l’éloge :
De toutes les élèves de Charlotte Le Sergent,
c’est Catherine de Bar qui lui fut la plus chère et qu’elle a le mieux façonnée
à sa propre image. Elle avait connu d’avance la vocation particulière de cette
future « victime » dont nous admirerons plus tard le génie et
l’apostolat.
Étant en oraison ce matin, lui écrivait-elle, je
vous ai vue entre les bras de Jésus-Christ, comme une hostie qu’il offrait à
son Père pour lui-même et d’une manière où votre âme n’agissait point, mais
elle souffrait en simplicité ce que l’on opérait en elle... » [867].
Charlotte encourage Mectilde :
Vous n’avez rien à craindre, le je ne sais quoi qui vous va séparant de
toute douceur est ce que j’estime le plus simple et le plus sûr en votre voie.
Vous n’avez qu’à vous abandonner totalement, élevez-vous à la suprême vérité
qui est Dieu, laissez tout le reste pour ce qu’il est […] Je vous dis ce que
l’on me met en l’esprit sans le comprendre, étant dans un état où je n’ai rien,
rien, rien, sinon une certaine volonté qui veut ce que Dieu veut et qui est
disposée à tout.
J’ai vu tout votre être absorbé
dans une lumière, devant laquelle la vôtre est disparue, et je voyais en cette
région lumineuse, un jour sans ténèbres où la créature n’était plus rien, Dieu
étant tout. L’âme demeure entre les bras de son Seigneur sans le connaître et
sans même s’en apercevoir [868].
Le 7 septembre 1648, Mectilde écrit à Bernières :
Je vous demande part à la belle conférence du Rien que vous avez eue
avec la chère Mère de Saint Jean.
Ce « rien » est bien sûr celui de Jean de la Croix que
Bernières connut et apprécia tôt [869] ; en effet la
Mère de Saint Jean lui écrivait :
Je me doutais bien, lorsque vous me dites que vous tiriez des lumières
du Père Jean de la Croix, que vous seriez bientôt conduit dans le sentier
secret des peines et des doutes où j’aime mieux votre âme que dans les clartés
où elle semblait être auparavant.[870].
Monsieur de Bernières va à son tour prendre la relève.
Jean de Bernières a édifié la maison de l’Ermitage, lieu de retraite à
l’origine de l’école du Cœur où alterneront consacrés et laïcs au sein d’une
filiation de directeurs spirituels. Son courant mystique né dans le milieu
franciscain médiéval atteindra les rives du XIXe siècle selon les
trois branches d’un « delta spirituel ».
Étrangement, il est difficile de cerner l’homme dans son intimité, car
il s’efface dans une humilité gênante pour notre propos. Les amples études qui
incluent son nom présentent le milieu, la doctrine et le rayonnement, mais
n’abordent guère sa vie personnelle [871]. Frère Jean ne put
cependant disparaître entièrement, car son abondante correspondance fut à
l’origine de compositions de « livres » : celui intitulé Le Chrétien Intérieur le rendit célèbre dès sa disparition.
Après une éclipse liée à la condamnation de quiétistes dont lui-même, il a été
redécouvert au XXe siècle et ses écrits sont depuis peu rendus
accessibles [872].
Jean de Bernières
naquit dans une famille de la haute bourgeoisie normande : en bon
franciscain de cœur, il aurait voulu se débarrasser de sa fortune, mais sa
famille s’y refusant, il en fit un large usage. Au-delà de ses dons, il
impliquait sa personne : son amour des pauvres était tel qu’il les portait
sur son dos jusqu’à l’hôpital de la bonne ville de Caen, suscitant l’hilarité.
Il hérita d’une charge
de receveur général des impôts et s’en acquitta de 1631 à 1653 à la satisfaction générale. En 1639-1640,
en tant que notable impliqué par sa charge, il dut faire face aux événements de
la révolte des nu-pieds qui, menacés de la gabelle, attaquèrent les maisons des
receveurs. Cette révolte fut horriblement réprimée par le chancelier Séguier
dont on sait qu’il notait sur son carnet jour après jour le nombre de pendus
pour l’exemple… On raconte que Bernières allait à cheval prévenir les paysans
de la répression imminente.
Quelques
histoires personnelles sont édifiantes ou comiques, par exemple celle où
Bernières contracte un mariage blanc dans un but très saint. Madame
de La Peltrie (1603-1671), veuve aussi généreuse qu’originale, voulait donner
son argent à une fondation en Nouvelle-France
incluant un projet d’expédition imaginée pour aller convertir les Indiens
d’Amérique, mais sa famille s’y opposait. Un religieux suggéra un
expédient : un mariage simulé libérerait la dame. La proposition fut
présentée à M. de Bernières et ce « fort honnête homme qui vivait dans une
odeur de sainteté » demanda conseil à son directeur :
Celui qui le décida fut le Père Jean-Chrysostome de Saint-Lô […]
Finalement Bernières se décida, sinon à contracter mariage […] du moins à se
prêter au jeu […] en faisant demander sa main. […] La négociation réussit trop
bien à son gré. Au lieu de lui laisser le temps de réfléchir, M. de
Chauvigny [le père], tout heureux de l’affaire « faisait tapisser et parer
la maison pour recevoir et inspirait à sa fille les paroles qu’elle lui devait
dire pour les avantages du mariage[873].
On voit là combien le
Père Chrysostome pouvait, malgré son austérité, être large d’esprit, et la
liberté de tous dans cette affaire qui va prendre une
pente assez comique. En vue du grand voyage au Canada, ils partent chercher
deux sœurs à Tours, dont la grande Marie de l’Incarnation (1599-1672), puis
supportent une présentation à la Cour et un séjour à Paris :
Le groupe comprenait sept personnes, madame de La Peltrie et Charlotte
Barré, M. de Bernières avec son homme de chambre et son laquais, et les deux
Ursulines dont Marie de l’Incarnation, qui écrit :
« M. de Bernières réglait notre temps et nos observances dans le
carrosse, et nous les gardions aussi exactement que dans le monastère. […] À
tous les gîtes, c’était lui qui allait pourvoir à tous nos besoins avec une
charité singulière […] Durant la dernière journée de route, M. de Bernières
s’était senti mal : il arriva à Paris pour se coucher. » Madame de La
Peltrie joua jusqu’au bout la comédie du mariage : « elle demeurait
tout le jour en sa chambre, et les médecins lui faisaient le rapport de l’état
de sa maladie et lui donnaient les ordonnances pour les remèdes ». Madame
de la Peltrie et la sœur de Savonnières s’amusaient beaucoup de cette comédie.
M. de Bernières un peu moins[874].
Finalement partant de
Dieppe, la flotte du printemps 1639 emporta Mme de La Peltrie, fondatrice
temporelle de la communauté ursuline du Québec, et Marie de l’Incarnation qui
allait animer cette communauté :
Marie de l’Incarnation est encore sous le coup du ravissement qu’elle
vient d’avoir en la chapelle de l’Hôtel-Dieu. M. de Bernières monta dans la
chaloupe avec les partantes […], mais on lui conseilla de demeurer en France
afin de recueillir les revenus de Madame de la Peltrie, pour satisfaire aux
frais de la fondation[875].
Bernières, resté en
France malgré son ardent désir de partir en mission, gérera les ressources pour
les missions de Nouvelle-France pendant les vingt années qui suivront le voyage
de fondation. Il aura une longue correspondance (malheureusement perdue) avec
Marie de l’Incarnation, aînée mystique qui lui permit de progresser et de
sortir de ses limitations.
Bernières eut maille à
partir avec sa famille pour des questions financières : faisant
partie du Tiers-Ordre franciscain, il voulait faire donation de ses biens. Sa
famille résistait. Il se plaignait :
« Ma belle-sœur fait de son mieux pour
empêcher que je ne sois pauvre ; elle me fait parler pour ce sujet par de
bons religieux […] il n’y a plus moyen d’être pauvre »[876].
Pour ses dernières années, il trouva un accord : il ne vécut plus que de
ce que lui donnait sa famille, c’est-à-dire très pauvrement et sans confort. Il
déclarait, enfin satisfait : « J’embrasse la pauvreté quoiqu’elle
m’abrège la vie naturelle »[877].
Il était insensible aux différences
sociales. Ses serviteurs n’étaient pas pour lui de simples laquais, mais de
véritables frères en Jésus-Christ. Son valet le considérait comme son père
spirituel :
Vous êtes mon maître, je vous dois
tout dire comme à mon père spirituel – Vous le pouvez, lui dis-je, car je vous
aime en Jésus-Christ, et je vous ai tenu auprès de moi, afin que vous fussiez
tout à lui [878].
Comme il avait en esprit
le souvenir de l’agonie longue et douloureuse de son directeur
Jean-Chrysostome, il était très angoissé par la mort. En fait, usé par une vie
suractive, il fut exaucé :
Il avait pourtant peur de la mort […] Une tradition de famille
rapportait qu’il demandait toujours à Dieu de mourir subitement […] Le 3 mai
1659 […] rentré à l’Ermitage, le soir venu, il se mit à dire ses prières. Son
valet de chambre [Denis Roberge] vint l’avertir qu’il était temps pour lui de
se mettre au lit. Jean lui demanda un peu de répit, et continua de prier[879].
Son valet de chambre ne s’en
aperçut [de sa mort] qu’en l’entendant tomber sur son prie-Dieu[880].
Mectilde écrit :
Sa mort et
sa maladie n’ont duré qu’un quart d’heure. Sans être aucunement malade, sur les
9 heures du soir, samedi, 3e de mai […] Il se souviendra de nous. Il
nous aimait [881].
Nous sont parvenues près
de deux cents lettres éditées et datées à partir de 1641, qui tracent son
parcours spirituel. Les dix-huit années couvertes par cette correspondance
témoignent entre autres de la rencontre avec Mectilde dès 1643 (on a
malheureusement perdu la correspondance avec Marie de l’Incarnation), puis de
la mort du P. Chrysostome en 1646, année où débute la construction du bâtiment
de l’Ermitage achevé deux années plus tard.
Presque aveugle à la
fin de sa vie, Bernières dictait sa correspondance à un prêtre qui vivait chez
lui, monsieur de Rocquelay. Le Chrétien intérieur a été composé hâtivement à
partir de ces lettres.
Les années de jeunesse
sont pleines de culpabilité et de tension : Bernières appartenait à la
confrérie de la « sainte Abjection » fondée par Jean-Chrysostome, et
même si ce dernier terme traduit à l’époque reconnaissance et soumission devant
la grandeur divine, nous préférons ce qui nous est parvenu des années de
maturité où, peut-être grâce à Marie de l’Incarnation, Bernières a évolué de
l’abjection vers l’abandon.
Dans les dernières
années, il atteint la grande simplicité :
Je
m’exprime comme je puis, car il faut chercher des termes pour dire quelque
chose de la réalité de cet état qui est au-dessus de toutes pensées et
conceptions. Et pour dire en un mot, je vis sans vie, je suis sans être, Dieu
est et vit, et cela me suffit […] Voilà bien des paroles pour ne rien exprimer
de ce que je veux dire.[882]
L’oraison est le
fondement de sa vie :
L’oraison
est la source de toute vertu en l’âme ; quiconque s’en éloigne tombe en
tiédeur et en imperfection. L’oraison est un feu qui réchauffe ceux qui s’en
approchent, et qui s’en éloigne se refroidit infailliblement.
Il en décrit plusieurs
sortes, et propose surtout l’oraison passive dans laquelle il a vécu toutes ses
dernières années. Celle-ci met l’âme dans « une nudité totale pour la
rendre capable de l’union immédiate et consommée », écrit-il à sa sœur
Jourdaine :
[L’âme] ne
peut souffrir aucune activité, ayant pour tout appui l’attrait passif de Dieu
[…] En cet état, il faut laisser opérer Dieu et recevoir tous les effets de sa
sainte opération par un tacite consentement dans le fond de l’âme.[883]
Cette oraison ne peut donc
s’appuyer que sur un absolu renoncement à tout ce qui n’est pas Dieu :
aucune satisfaction ne doit être donnée à la « nature », si peu que
ce soit. Ce principe a couramment donné lieu à des outrances ascétiques qui ne
sont plus de notre époque : l’amour de la souffrance et l’intense
culpabilité vis-à-vis de la « nature » nous choquent. Mais ici la
raison de cette rigueur est beaucoup plus profonde : il s’agit de laisser
la grâce, la présence de Jésus-Christ, gouverner toutes les actions humaines :
Ce qui est
purement naturel ne plaît pas à Dieu ; [il] faut que la grâce s’y trouve
afin que l’action lui soit agréable et qu’elle nous dispose à l’union avec lui.[884]
C’est un
moyen très utile pour l’oraison de s’accoutumer à ne rien faire que par le
mouvement de Dieu. Le Saint-Esprit est dans nous, qui nous conduit : il
faut être poussé de lui avant que de rien faire […] L’âme connaît bien ces
mouvements divins par une paix, douceur et liberté d’esprit qui les accompagne,
et quand elle les a quittées pour suivre la nature, elle connaît bien, par une
secrète syndérèse [remords de conscience] qu’elle a commis une infidélité.[885]
La charité en particulier
ne doit s’appuyer que sur cette vie intérieure profonde. Contrairement au
volontarisme de sa jeunesse, Bernières se méfie de toute action qui ne serait
pas dictée par un mouvement de la grâce :
Ne vous embarrassez point des choses extérieures sans l’ordre de Dieu
bien reconnu, si vous n’en voulez recevoir de l’affliction d’esprit et du
déchet dans votre perfection. […] Oh, que la pure vertu est rare ! Ce qui
paraît le meilleur est mélangé de nature et de grâce [886].
Les « Lettres à l’Ami intime » [887]
sont des plus belles et Bernières s’y dévoile : bien que son ami (très
probablement Jacques Bertot) soit plus jeune, Bernières a trouvé un être à qui
il peut confier librement ses états les plus profonds :
Je ne puis
vous exprimer par pensées quel bonheur c’est de jouir de Dieu dans
le centre […]
Plus Dieu
s’élève dans le centre de l’âme, plus on découvre de pays
d’une étendue immense, où il faut aller, et un anéantissement à faire, qui
n’est que commencé : cela est incroyable, sinon à ceux qui le voient
en Dieu même, qu’après tant d’années d’écoulement en Dieu, l’on ne fait que
commencer à trouver Dieu en vérité, et à s’anéantir soi-même…[888]
Après avoir cru
l’abjection supérieure à tout, et pratiqué l’humiliation de soi devant Dieu
avec une austérité extrême, dans ses dernières années, il prend conscience que
l’abandon est la clé de tout et, dans sa joie, lui compose un hymne :
Ô cher
abandon, vous êtes à présent l’objet de mon amour ; qui dans vous se
purifie, s’augmente et s’enflamme. Quiconque vous possède, ressent et goûte les
aimables transports d’une grande liberté d’esprit. […]
Ô cher
abandon, vous êtes la disposition des dispositions, et toutes les autres se
rapportent à vous. Bienheureux qui vous connaît, car vous valez mieux que
toutes les grâces et toute la gloire de la terre et du ciel. Une âme abandonnée
à un pur regard vers Dieu n’a du ressentiment que pour ses intérêts, n’a point
de désir, même des croix et de l’abjection : elle abandonne tout pour
devenir abandonnée. Peu de paroles ne peuvent expliquer les grands effets que
vous produisez dans un intérieur, qui n’est jamais parfaitement établi en Dieu
s’il ne l’est en vous. Vous le rendez insensible à toutes sortes d’accidents,
rien que votre perte ne le peut affliger.
Vous êtes
admirable, mon Dieu, vous êtes admirable dans vos saintes opérations, et dans
les ascensions que vous faites faire aux âmes que vous conduisez de lumière en
lumière avec une sainte et divine providence qui ne se voit que dans
l’expérience. Il me semblait autrefois que la Grâce de l’amour de l’abjection
était comme la dernière ; mais vous m’en découvrez d’autres qui me font
monter l’âme plus haut. […]
Ô, cher
abandon, vous êtes le bon ami de mon cœur, qui pour vous seul soupire. Mais
quand pourrai-je connaître que je vous posséderai parfaitement ? Ce sera
lorsque la divine Volonté régnera parfaitement en moi. Car mon âme sera établie
dans une entière indifférence au regard des événements et des moyens de la
perfection, quand elle n’aura point d’autre joie que celle de Dieu, point
d’autre tristesse, d’autre bonheur, d’autre félicité. […] [889].
Comme cela était
possible à cette époque, ce laïc très respecté dirigea des clercs comme des
laïcs : on le considéra comme « directeur des directeurs de
conscience[890] ».
Il créa un « hôpital » un peu particulier pour accueillir ses amis
d’oraison, maison qu’il fit construire « au pied » du couvent de
Jourdaine. Il en parlait avec humour :
Il m’a
pris un désir de nommer l’Ermitage l’hôpital des Incurables, et de n’y loger
avec moi que des pauvres spirituels […] Il y a à Paris un hôpital des
Incurables pour le corps, et le nôtre sera pour les âmes [891].
Je vous
conjure, quand vous irez en Bretagne, de venir me voir ; j’ai une petite
chambre que je vous garde : vous y vivrez si solitaire que vous
voudrez ; nous chercherons tous deux ensemble le trésor caché dans le
champ, c’est-à-dire l’oraison [892].
Dans une lettre du 29 mars 1654, il précise le but de ces réunions d’amis :
C’est l’esprit de notre Ermitage
que d’arriver un jour au parfait néant, pour y mener une vie divine et inconnue
au monde, et toute cachée avec Jésus-Christ en Dieu.
Le P. Jean-Chrysostome meurt lorsque Mectilde a trente-deux ans. Un long
chemin reste à parcourir. Pendant seize ans elle va bénéficier de la maturité
intérieure de Bernières. Une séquence d’extraits de lettres nous est parvenue
depuis 1643, lettre remerciant Bernières de l’avoir présentée au P.
Chrysostome, citée précédemment en ouverture de la direction par ce dernier,
jusqu’à la mort de Bernières survenue en 1659 à Caen.
Mais toute correspondance devient inutile lorsqu’ils peuvent se voir ou
entrer facilement en relation par émissaires. On note donc une concentration
des extraits que nous avons retenus sur quelques années où Mectilde réside à
Saint-Maur près Paris de fin août 1643 à juin 1647, puis plus tard, lorsque
Mectilde a quitté Caen (où elle résida de 1647 à 1650), reprise de
correspondance couvrant de 1651 à 1654.
Notre choix s’arrête lorsque « tout est mis en place » sur le
plan intérieur chez Mectilde. On se reportera à l’analyse détaillée de leur
correspondance par Bernard Pitaud qui vient d’être éditée [893] .
Elle peut être complémentée par Annamaria Valli [894].
Lorsqu’elle s’adresse au fidèle secrétaire de Bernières la jeune femme
est fort entortillée, comme à l’occasion d’une lettre qui remerciait cinq mois
plus tôt Bernières pour la rencontre de son premier directeur Chrysostome –
mais cela changera complètement lorsque la jeune dirigée deviendra
mystique accomplie directrice d’expérience ; c’est l’intérêt de suivre une
correspondance au long cours parce qu’elle illustre une progression sur le
chemin mystique. Commençons par citer intégralement une lettre qui témoigne de
débuts laborieux :
[...]
« On la retrouve à Rambervillers où elle vient d’être élue Prieure. Le
7 de l’an 1651 : « C’est ici une étrange solitude... » Elle
est dans le « tintamarre » et en éprouve une révolte à en tomber
malade. Elle est perplexe et a la tentation de se retirer dans un monastère où
elle aurait la paix. Elle projette de demander un Bref au Pape pour se tirer de
là. Mais « je ne veux rien faire de ma volonté ». Elle ne désire
qu’oraison et solitude. Une abbaye en Alsace, comme sa sœur le lui avait
proposé ? Non, elle préfère porter la besace que la crosse ! Ce qu’il
lui faut, c’est un petit coin en Provence ou devers Lyon, (pour n’être plus connue
de personne). Elle craint que sa « petite oraison » ne s’évapore dans
ce tracas [895].
Bernières lui répond par une belle et longue lettre :
De l’hermitage [sic] de saint Jean Chrysostome ce 14 février 1651.
Dieu seul et il suffit.
Je répondrai brièvement à vos
lettres, qui sont les premières et les dernières que j’ai reçues de votre part,
lesquelles m’ont beaucoup consolé d’apprendre de vos nouvelles, et de votre
état extérieur et intérieur. Je ne vous ai jamais oubliée devant Notre
Seigneur, quoi que je ne vous aie pas écrit, notre union est telle que rien ne
la peut rompre. Ces souffrances, nécessités et extrémités, où vous êtes, me
donneraient de la peine si je ne connaissais le dessein de Dieu sur vous, qui
est de vous anéantir toute, afin que vous viviez toute à lui, qu’il coupe,
qu’il taille, qu’il brûle, qu’il tue, qu’il vous fasse mourir de faim, pourvu
que vous mouriez toute sienne, à la bonne heure. Cependant, ma très chère Sœur,
il se faut servir des moyens dont la Providence vous fera ouverture pour vous
tirer du lieu où vous êtes, supposé l’extrémité où vous réduit la guerre[896].
J’ai bien considéré tous les expédients contenus dans vos lettres ; je ne
suis pas capable d’en juger, je vous supplie aussi, de ne vous pas arrêter à
mes sentiments. Mais je n’abandonnerai pas la pauvre Communauté de
Rambervillers, quoique vous fussiez contrainte de quitter Rambervillers ;
c’est-à-dire qu’il vaut mieux que vous vous retiriez à Paris pour y subsister,
et faire subsister votre refuge qui secourera vos Sœurs de Lorraine ; que
d’aller au Pape pour avoir un couvent, ou viviez solitaire, ou que de prendre
une abbaye : La divine Providence vous ayant attachée où vous êtes, il
faut mourir, et de la mort de l’obéissance et de la croix. Madame de Mongomery
vous y servira et Dieu pourvoira à vos besoins, si vous n’abandonnez pas les
nécessités spirituelles de vos Sœurs. Voilà mes pensées pour votre
établissement, que vous devez suivre en toute liberté !
Pour votre intérieur, ne vous étonnez pas des peines d’esprit et des
souffrances que vous portez parmi les embarras et les affaires que votre charge
vous donne, puisque ce sont vos embarras et affaires de l’obéissance. Les
portant avec un peu de fidélité, elles produiront en votre âme « une
grande oraison », que Dieu vous donnera quand il lui plaira. Soyez la
victime de son bon plaisir, et le laissez faire. Quand il veut édifier dans une
âme une grande perfection, il la renverse toute ; l’état où vous êtes est
bien pénible, je le confesse, mais il est bien pur. Ne vous tourmentez point
pour votre oraison, faites-là comme vous pouvez, et comme Dieu vous le
permettra, et il suffit. Ces unions mouvementées, ces repos mystiques que vous
envisagez ne valent pas la pure souffrance que vous possédez, puisque vous
n’avez ce me semble ni consolation divine, ni humaine. Je ne puis goûter que
vous sortiez de votre croix, par ce que je vous désire la pure fidélité à la
grâce, et que je ne désire pas condescendre à celle de la nature. Faites ce que
vous pourrez en vos affaires pour votre Communauté ; si vos soins ont
succès à la bonne heure ; s’ils ne l’ont pas ayez patience, au moins vous
aurez cet admirable succès de mourir à toutes choses. Si vous étiez comme la
Mère Benoîte religieuse particulière, vous pourriez peut-être vous retirer en
quelque coin ; mais il faut qu’un capitaine meure à la tête de sa
compagnie, autrement c’est un poltron. Il est bien plus aisé de conseiller aux
autres que de pratiquer. Dieu ne vous déniera pas ses grâces... Courage, ma
chère Sœur, le pire qui vous puisse arriver c’est de mourir sous les lois de
l’obéissance et de l’ordre de Dieu. À Dieu, en Dieu, je suis de tout mon cœur,
ma très chère Sœur, votre très humble, obéissant, frère Jean hermite, dit
« Jésus pauvre », c’est le nom qu’il avait pris en renonçant à ses
biens [897].
Le deuxième priorat est bref : sept mois, interrompu par la guerre.
Elle est rendue à Paris en 1651. Elle va fonder les bénédictines du
Saint-Sacrement ce qui l’occupera fort à partir de 1652 et ouvre ainsi une
seconde moitié de vie plus sédentaire. À partir de maintenant, nous avons moins
de lettres intérieures à citer en relation avec Bernières et les amis de
Caen [898].
D’abord une grande crise doit être surmontée : c’est ce que
Véronique Andral que nous citons titre « Le centre du Néant » :
Le 7 septembre 1652, Mère Mectilde écrit à Bernières : « Je ne
sais et ne connais plus rien que le tout de Dieu et le néant de toutes choses.
J’ai bien passé par le tamis, depuis que je vous ai écrit... Je vous dirai un
jour les miséricordes que Notre Seigneur m’a faites depuis un an et demi, et
qu’il les a bien augmentées depuis quelques mois ». « J’observe tant
le silence pour les choses intérieures que j’ai perdu l’usage d’en parler... Je
n’ai pas la liberté intérieure de communiquer ». Elle s’enfonce dans le
silence et écrit le même jour à Mère Benoîte : « Je suis devenue
muette et je n’ai plus rien à dire, car je ne sais et ne connais plus rien dans
la vie intérieure. Je n’y vois plus goutte... » [899].
Mère Mectilde a trouvé le « fond » de
son néant, mais il y a plusieurs fonds, et elle va aller de fond en fond au
moins jusqu’en 1662 […] sa voie s’approfondit et se simplifie. Elle va en
reparler à Bernières en lui envoyant le livre de « La Sainte
Abjection », œuvre du Père Chrysostome, le 23 novembre 1652 [900] .
Notre Seigneur me fit la miséricorde de me faire rentrer d’une manière
toute particulière dans le centre de mon néant où je possédais une tranquillité
extrême, et toutes ces petites bourrasques [elle vient de subir de très grandes
humiliations] ne pouvaient venir jusqu’à moi parce que Dieu, si j’ose parler de
la sorte, m’avait comme cachée en Lui... Cela a bien détruit mon appui et ma
superbe qui m’élevait de pair avec les saints, et à qui ma vanité semblait se
rendre égale ! Oh ! Je suis bien désabusée de moi-même. Je vois bien
d’un autre œil mon néant et l’abîme de mes misères ! J’étais propriétaire
de l’affection et de l’estime des bonnes âmes. Notre Seigneur a rompu mes liens
de ce côté-là... Il m’a semblé que Notre Seigneur faisait un renouvellement en
moi d’une manière bien différente des autres dispositions que j’ai portées en
ma vie : il me dépouillait même de lui-même et m’a fait trouver repos et
subsistance hors de toutes choses, n’étant soutenue que d’une vertu secrète qui
me tenait unie et séparée. C’est que Notre Seigneur me fait trop de
miséricordes [901].
Le 9 août de l’année suivante 1653 elle a l’occasion de joindre
Bernières par l’intermédiaire du fidèle Boudon :
Je vous fais ce petit mot pour vous assurer que j’ai mis en mains de
Monsieur Boudon le livre que vous avez désiré que je vous envoie. Je crois
qu’il le portera demain au messager. Ce bon Monsieur est à Paris depuis environ
trois semaines ; nous l’avons vu avec Monsieur de Montigny [902],
lequel est aussi un très grand serviteur de Dieu. Je l’ai mené ces jours passés
à Montmartre où nous trouvâmes le Père Paulin [903]. Je crois que vous
savez qu’il demeure à Paris et qu’il fait merveille dans la sainte voie
d’anéantissement. Pour moi, j’apprends à me taire, je m’en trouve bien. Je sais
quelque petite chose de mon néant et je tâche d’y demeurer et de n’être plus
rien dans les créatures et qu’elles ne soient plus rien en moi. J’ai, ce me
semble, quelque amour et tendance de vivre d’une vie inconnue aux créatures et
à moi-même. Je me laisse à Notre Seigneur Jésus Christ pour y entrer par son
esprit. Il y a plus de trois semaines que je n’ai vu le Révérend Père Le
Jeune [904]
; je ne sais s’il est ou non satisfait de moi, je lui ai parlé selon ma petite
capacité et l’avais prié de prendre la peine de m’interroger sur tout ce qu’il
lui plairait, avec résolution de lui répondre en toute simplicité : je ne
sais ce qu’il fera. Je suis toute prête de lui obéir et avec joie, si cela vous
plaît, sur tout ce qu’il désire que je fasse.
Vos chères lettres me font plus de bien que toutes les directions des
autres personnes. Je crois que c’est à cause de l’union en laquelle notre bon
Père nous a unis avant sa mort, nous exhortant à la continuer et à nous
entre-consoler les uns les autres. Je ne vous en demande pourtant que dans
l’ordre qui vous en sera donné intérieurement, car je veux apprendre à tout
perdre pour n’avoir plus que Dieu seul, en la manière qu’il lui plaira. Je vous
supplie de prier Dieu pour moi afin que je sois fidèle à sa conduite. Je la vois
bien détruisant mon fond d’orgueil et tout ce qui me reste des créatures. J’ai
pourtant une petite peine qui me reste au regard de la fondation où la
Providence nous a engagées et j’aurais beaucoup de pente à m’en retirer. Je
vous manderai le sujet. Présentement, il faut finir : il est trop tard. Je
viens de voir le Révérend Père Le Jeune. J’ai bien à vous écrire, mon très bon
frère, mais, en attendant, priez Dieu pour moi [905].
Nous avons cité supra la demande de protection de Mère Mectilde par
« notre très chère sœur » Marie des Vallées dans une lettre adressée
à Bernières en 1654 ainsi que celle du 25 août de la même année citée infra qui
présente les « bons ermites » groupés autour de Jean de Bernières.
Achevant ici presque notre choix, on consultera ses éditeurs
récents : V. Andral et d’autres religieuses de l’Institut, B. Pitaud, E.
de Reviers [906].
Citons V. Andral :
Le 26 janvier 1655 elle a encore un désir : elle écrit à
Bernières : « Il me semble que la plus grande et la dernière de mes
joies serait de vous voir et entretenir encore une fois avant de mourir, et
autant qu’il m’est permis de le désirer, je le désire, mais toujours dans la
soumission, car la Providence ne veut plus que je désire rien avec ardeur. Il
faut tout perdre pour tout retrouver en Dieu ».[907].
Quand on sait la véhémence des désirs de Mère Mectilde dans sa jeunesse,
on voit le chemin parcouru.
Elle parle ensuite de son monastère « ce petit trou
solitaire » et ajoute :
« S’il m’était permis de me regarder en cette
maison, je serais affligée de son établissement, me sentant incapable d’y
réussir. Mais il faut tout laisser à la disposition divine ».[908]
Elle le consulte sur son désir de ne s’appuyer que sur Dieu seul :
« Il me semble aussi que je n’ai point l’ambition de faire un monastère
de parade. Au contraire, je voudrais un lieu très petit et où on ne soit ni vu
ni connu de qui que ce soit. Il y a assez de maisons éclatantes dans Paris et
qui honorent Dieu dans la magnificence. Je désirerais que celle-ci l’honorât
dans le silence et dans le néant ». Elle termine : « un mot, je
vous supplie » [909].
D’après Collet, Bernières lui répond :
« Ne doutez pas que je fasse mon possible pour aller vous voir cet
été prochain afin de nous entretenir encore une bonne fois en notre vie, y ayant
l’apparence que ce sera la dernière, soit que la mort nous surprenne, soit que
l’incommodité de mes yeux ne me permette pas de faire ce voyage plus
souvent... » [910].
En conclusion, voici un extrait d’une lettre non datée de Bernières,
peut-être de 1652 :
Cette vie nouvelle que vous voulez n’est autre que la vie de Jésus
Christ, qui nous fait vivre de la vie surhumaine, vie d’abaissement, vie de
pauvreté, vie de souffrance, vie de mort et d’anéantissement, voilà la pure vie
dans laquelle se forme Jésus Christ, et qui consomme l’âme en son pur et divin
amour.
Soyez seulement patiente et tâchez d’aimer votre abjection. Vous dites
que vous êtes à charge et que vous êtes inutile ; cette pensée donnerait
bien du plaisir à une âme qui tendrait au néant. O ! qu’il est rare de
mourir comme il faut ! Nous voulons toujours être quelque chose et notre
amour-propre trouve de la nourriture partout. Rien n’est si insupportable à
l’esprit humain que de voir que l’on ne l’estime point, qu’on n’en fait point
de cas, qu’il n’est point recherché ni considéré.
Vous ne croiriez jamais si vous ne l’expérimentiez, le grand avantage
qu’il y a d’être en abjection dans les créatures. Cela fait des merveilles pour
approfondir l’âme dans sa petitesse et dans son néant, quand elle sent et voit
qu’elle n’est plus rien qu’un objet de rebut. Cela vaut mieux qu’un mont d’or.
Vous n’êtes pas pourtant dans cet état, car l’on vous aime et chérit
trop. C’est une pensée qui vous veut jeter dans quelque petit chagrin et
abattement. Présentez-là à Notre Seigneur et sucez la grâce de la sainte
abjection dans les opprobres et confusions d’un Jésus Christ [911].
Il s’agit ici d’une mort mystique. Bernières meurt physiquement en 1659,
mais Mectilde, après « sept ans d’épreuves » qui s’achèvent par sa
retraite de 1661-1662, va être pleinement utile pendant près de quarante ans,
épaulée par des ami(e) s et elle formera à son tour.
Avant de quitter les directeurs, nous présentons un dirigé et jeune ami
de monsieur de Bernières qui eut quelques relations avec Mectilde. De même que
le « bon frère Jean [Aumont] », il demeure dans l’ombre de Bernières.
Les Amis des Ermitages
de Caen & de Québec, dossier assemblé par D. Tronc, coll.
« Chemins mystiques », lulu.com, 564 p. [Filiations et amis,
directions mystiques, membres du cercle normand, Marie de l’Incarnation, liens
et documents]
Dossier assemblé par Dominique Tronc
« Nous présentons en première partie sous le titre I. FILIATION ET AMIS le cercle large de l’Ermitage normand. C’est la vision « horizontale » où nous accordons la plus grande importance aux mystiques fondateurs.
Comment s’opère la succession d’aîné à cadet ? C’est la vision « verticale » Nous reprenons les liens entre quelques fondateurs en seconde partie où nous centrons l’aperçu intérieur sur des II. DIRECTIONS MYSTIQUES dont celles de Bernières et de Mectilde par « notre bon père Chrysostome ».
« Suivent des matériaux :
« III. MEMBRES DU CERCLE NORMAND regroupe des extraits mystiques pour ses principales figures.
« IV. MARIE DE L’INCARNATION extraits de correspondance.
« V. LIENS entre les deux principales figures de
Marie de l’Incarnation et de Jean de Bernières.]
Proviennent-ils de Paris ? ou de Rouen, seconde ville du royaume ? De cités plus modestes : Caen et Tours ! Car tout repose sur quelques mystiques qui apparaissent ici ou là et pas forcément dans de grands centres culturels, politiques ou sociaux.
Tout commence à la fin
du XVIe siècle lorsque le royaume de France sort avec Henri IV du
choc entre protestants et catholiques [912].
En 1600 Paris compte environ deux cent cinquante mille habitants, Rouen est la
seconde ville du royaume avec environ soixante-dix mille habitants, Caen a
trente mille habitants (Paris doublera sa population à la fin du siècle, Rouen
et Caen stagneront). C’est de Caen, dixième ville du royaume, que surgira un
renouveau spirituel à partir d’une
maison sans prétention, construite et animée
par Jean de Bernières « dans la cour » d’un couvent
d’ursulines dirigé par sa sœur aînée Jourdaine. Jean et Jourdaine sont dirigés
par le Père Chrysostome de Saint-Lô, un franciscain.
Notre histoire va être
celle du cercle né autour de ces figures. Nous les appelons Amis des Ermitages : Amis, car les contacts directs d’aide entre spirituels sont essentiels:
on ne fait pas de feu avec une seule bûche. Ermitages,
parce qu’il faut un foyer spirituel, un lieu concret facilitant les rencontres.
Il y en eut deux, le premier foyer à Caen suivi d’une migration en Nouvelle
France à Québec.
Ils prennent place au
sein d’une tradition qui remonte au Moyen Age, tandis que l’on pourra suivre
leurs successeurs en France jusqu’au XIXe siècle. Nous nous limitons
à la première moitié du XVIIe siècle : des débuts normands aux
émigrations vers le Canada. Ensuite les lignées divergent.
§
Nous présentons en première partie sous le
titre I. FILIATION ET AMIS le cercle large de l’Ermitage normand. C’est la
vision « horizontale » où nous accordons la plus grande importance
aux mystiques fondateurs.
Comment s’opère la succession d’aîné à
cadet ? C’est la vision « verticale » Nous reprenons les liens
entre quelques fondateurs où nous centrons l’aperçu intérieur sur des II.
DIRECTIONS MYSTIQUES dont celles de Bernières et de Mectilde par « notre
bon père Chrysostome ».
Suivent des matériaux :
III. MEMBRES DU CERCLE NORMAND regroupe des
extraits mystiques pour ses principales figures.
IV. MARIE DE L’INCARNATION regroupe des
extraits de sa correspondance.
V. LIENS relevés entre Marie de l’Incarnation
et Jean de Bernières.
VI. DOCUMENTS (Québec) extraits.
Mais
tout d’abord présentons un tableau du réseau d’amis. Limité à quelques
fondateurs, il est complété infra.
Trois branches d’un « delta spirituel » se
forment à partir de l’Ermitage animé
par Jean de Bernières sous la direction de « notre bon père
Chrysostome ». En Nouvelle France, animé par Mgr de Laval, dans
le Cercle de la Quiétude créé par Monsieur Bertot pour être repris par Madame
Guyon et par Fénelon, chez les Bénédictines du Saint-Sacrement, ordre
contemplatif fondé par Mère Mectilde.
Ce diagramme résume notre synthèse d’une longue histoire de liberté qui relie religieux et laïcs dans une tradition propre aux Tiers ordres franciscains. Elle se prolongera jusqu’à nos jours en terres catholiques et protestantes.
Quatre
parties dans cette première présentation des FILIATION et des AMIS :
LES
DEBUTS : Origine franciscaine,
LES
AMIS DE BERNIERES : « L’école du Cœur »,
DISCIPLES
et FILIATIONS en France,
MIGRATIONS
CANADIENNES.
Notre histoire commence dès la naissance de l’ordre franciscain. Il recouvre rapidement l’Europe et sont déjà plusieurs dizaines de milliers à la mort de François en 1226. En particulier son tiers ordre est très vivant. Pour contrôler des dérives possibles – il y avait eu du temps de François bien de mouvements de réforme, dont les pauvres de Lyon, les vaudois, etc., qui n’eurent pas eu la chance de François d’être accepté par un évêque ami devenu pape - on créa en 1400 un Tiers Ordre Régulier.
Les deux tiers ordres - le laïc et le régulier - seront en interaction. C’est le secret d’une fécondité rare constatée au XVIIe siècle où deux mille membres du TOR occupent une place importante alors qu’ils sont très minoritaires au sein de cent mille franciscains français qui vécurent le siècle [913].
Le balancement de génération à génération entre clercs et laïcs est également remarquable. S’ajoute la variété des appartenances : franciscains, ursulines, jésuites, prêtres et laïcs se retrouveront en amitié à l’Hermitage de Caen construit par Bernières.
Nous commençons à l’arrivée en France de tertiaires réguliers et poursuivrons par une revue de ses amis.
Le père Vincent Mussart (1570-1637) en est l’artisan lorsqu’il découvre dans la bibliothèque du couple Acarie (Mme Acarie deviendra la première Marie de l’Incarnation cofondatrice des carmélites françaises) les commentaires du mystique Denys le chartreux (1402/3-1471) sur la troisième règle de saint François. Ceci se passe vers 1592/3. Il rencontre un ermite réputé, Antoine Poupon. La vie érémitique n’est pas facile à l’époque des guerres de religion:
Ils tombèrent entre les mains des
Suisses hérétiques, qui espérant une bonne rançon de quelques Parisiens qu’ils
avaient pris parce que le siège [de Paris, 1594] devait être bientôt levé,
étaient résolus de les laisser aller, et de prendre les deux hermites. Frère
Antoine en eut avis secrètement par une Demoiselle prisonnière, le malade
[Vincent Mussart] qui tremblait la fièvre quarte entendit ce triste discours,
et se jetant hors de sa couche descendit l’escalier si promptement qu’il roula
du haut en bas, sans néanmoins aucune blessure. L’intempérance des soldats, et
l’excès du vin les avaient mis en tel état, que Vincent et Antoine
s’échappèrent aisément...
Puis des compagnons se présentent : sept tertiaires vont suivre une année de noviciat et en 1595 le Tier-Ordre régulier renaît en France [914].
Le rôle éminent d’Antoine le Clerc « sieur de La Forest » est souligné par l’historien du Tiers Ordre franciscain Jean-Marie de Vernon qui nous livre en 1667 un aperçu complet de sa vie [915]. Il couvre cinq chapitres ce qui est tout à fait exceptionnel puisqu’il ne se distingue ni par son rang au sein de la noblesse ni par quelque rôle éminent au sein de l’Église ou de l’Ordre.
Né de bonne famille à Auxerre, il mène une jeunesse aventureuse et doublement compromettante pour des yeux catholiques. L’historien nous avertit :
À
vingt ans il prit les armes, où il vécut à la mode des autres guerriers, dans
un grand libertinage. La guerre étant finie, il entra dans les études,
s'adonnant principalement au droit […] Il tomba dans le malheur de l'hérésie
[protestante][528] d'où il ne sortit qu'après l'espace de deux ans.
Le récit de sa conversion est le « coup
de foudre » rapporté par le Père Jean-Chrysostome qui fait le compte-rendu
de la conversion de son conseiller de jeunesse, ami « de maison et façonné aux armes » [916].
Le
texte évoque les grandes peurs de la damnation que l’on rattache en général au
Moyen Âge. Après le coup de poing initial donné par la grâce, la vie mystique
est découpée en quelques grandes périodes ponctuées de moments charnières, dans
une dynamique qui couvre la durée d’une vie. Une existence résumée en quelques
paragraphes rend l’impression saisissante de force associée à la brièveté de
toute condition.
Nous
allons lire largement - nous ferons souvent de même favorisant le florilège
mystique plutôt que l’étude historique – sans toutefois signaler oralement
les coupures opérées dans le texte :
I. Un autre serviteur de Dieu a été conduit à une très haute perfection [86] par les vues pensées de l’Éternité. Il était de maison et façonné aux armes. Voici que, environ à l’âge de vingt-trois ans, comme il banquetait avec ses camarades mondains, il entrouvrit un livre, où lisant le seul mot d’Éternité, il fut si fort pénétré d’une forte pensée de la chose, qu’il tomba par terre comme évanoui, et y demeura six heures en cet état couché sur un lit, sans dire son secret.
II. Le lendemain, ayant l’usage fort libre de ses puissances, environné néanmoins de la vue d’Éternité, il s’alla confesser à un saint Religieux avec beaucoup de larmes et lui ayant révélé son secret, il en reçut beaucoup de consolation, car il était serviteur de Dieu et homme de grande oraison, qui avait eu révélation de ce qui s’était passé, et qui en se séparant lui dit : « mon frère aime Dieu un moment, et tu l’aimeras éternellement. » Ces mots portés et partis d’un esprit embrasé, lui furent comme une flèche de feu, qui navra son pauvre cœur d’un certain amour divin, dont l’impression lui en demeura toute sa vie.
III. Ensuite il fut tourmenté de la vue de l’éternité de l’Enfer, environ huit ans, dans plusieurs visions […]
IV. Après cet état il demeura trois autres années dans une croyance comme certaine de sa damnation : tentation qui était aucune fois si extrême, qu’il s’en évanouissait.
V. Ensuite de cet état, il [89] demeura un an durant fort libre de toutes peines […]
VI. Après cette année, il en demeura deux dans la seule vue de la brièveté de la vie […] Ce qui lui donna un si extrême mépris des choses du monde […] [qu’il] ne pouvait comprendre comme les hommes créés pour l’éternité s’y pouvaient arrêter. [90]
VII. Ensuite […] il fut huit ans dans la continuelle vue que Dieu l’aimait de toute Éternité ; ce qui l’affligeait, avec des larmes de tendresse et d’amour, d’autant qu’il l’aimait si peu et avait commencé si tard. Il eut conjointement des vues fort particulières de la Sainte Passion.
VIII. Dans la dernière maladie, il fut tourmenté d’un ardent amour envers Dieu, et d’une grande impatience d’aller à son Éternité.
Revenlons sur la biographie du « sieur de la Forest ».
Il possédait un talent utile dans le monde :
Son bel esprit et sa rare éloquence paraissaient dans les harangues publiques dès l'âge de vingt ans. Sa parfaite intelligence dans la langue grecque éclata lorsque le cardinal du Perron le choisit pour interprète dans la fameuse conférence de Fontainebleau contre du Plessis Mornay...
Mais mieux, charité, travail, vie intérieure approfondie, dons mystiques, se combinent, mais sans facilité :
[532] Un lépreux voulant une fois l'entretenir, il l'écouta avec grande joie, et l'embrassa si serrement, qu'on eut de la peine à les séparer. […] Une autre peine lui arriva, savoir qu'étant entièrement plongé dans les pensées continuelles de Dieu qui le possédait, il ne pouvait plus vaquer aux affaires des parties dont il était avocat. [535] Ses biens de fortune étant médiocres, la subsistance de sa famille dépendait presque de son travail…
Indice révélateur d’une vie mystique, le « soulagement » ou paix du cœur ressenti en sa présence :
Dieu lui révélait beaucoup d'événements futurs, et les secrets des consciences : par ce don céleste il avertissait les pécheurs […] marquait à quelques-uns les points de la foi dont ils doutaient ; à d'autres il indiquait en particulier ce qu'ils étaient obligés de restituer […] Les âmes scrupuleuses recevaient un grand soulagement par ses conseils et ses prières…
Une vie bien remplie s’achève en combattant courageusement la crainte du diable, mal dont tous étaient atteints au début du XVIIe siècle (Benoît de Canfield, François de Sales…).
Voici par notre historien du TOR un récit typique des récits d’agonie qui termine la Vie et précèdent la revue des Vertus dans les écrits hagiographiques d’époque :
Quatre mois devant sa mort étant sur son lit dans ses infirmités ordinaires, il s'entretenait sur [542] les merveilles de l'éternité : on tira les rideaux, et sa couche lui sembla parée de noir ; un spectre sans tête parut à ses pieds tenant un fouet embrasé : cette horrible figure ne l'effrayant point […] il parla ainsi au démon : « […] garde-toi bien de toucher au fond de mon âme, qui est le trône du Saint-Esprit. » L'esprit malin disparaissant, le pieux Antoine demeura calme, et prit cette apparition pour un présage de sa prochaine mort ; ses forces diminuèrent toujours depuis […] il vit son âme environnée d'un soleil, et entendit cette charmante [au sens fort de charme] promesse de notre Seigneur : « Je suis avec toi, ne crains point. » Les flammes de sa dilection s'allumèrent davantage, et il ne s'occupait plus qu'aux actes de l'amour divin, voire au milieu du sommeil.
Plus
sobrement le Père Jean-Chrysostome concluait ainsi :
VIII. Dans la dernière maladie, il fut tourmenté d’un ardent amour envers Dieu, et d’une grande impatience d’aller à son Éternité. [91 des Traités de 1651]
Les proches bénéficièrent de l’agonie priante du mourant - il en sera de même à la mort de Jean-Chrysostome :
[543] M. Bernard [un ami] présent sentit des atteintes si vives de l'amour de Dieu, qu'il devint immobile et fut ravi. […] Le lendemain samedi vingt-trois de janvier […] il [le sieur de la Forest] rendit l'esprit à six heures du soir dans la pratique expresse des actes de l'amour divin…
Puis :
on permit [544] durant tout le dimanche l'entrée libre dans sa chambre aux personnes de toutes conditions, qui le venaient visiter en foule. Les religieux du tiers ordre de Saint-François gardaient son corps, qui fut transporté à Picpus.
Voici page précédente un portrait conventionnel, mais prêtant une figure très attachante « à notre bon Père Chrysostome »,
La
gravure figure en frontispice à la page de titre de l’ouvrage édité par
Bernières à Caen d’écrits recueillis - difficilement - par la Mère Mectilde à
Paris en son couvent de franciscains du TOR : tous n’étaient pas des amis
du mystique…
>> La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siecle. Tome I. Introductions, Florilège issu de Traditions franciscaines (Observants, Tiers Ordres, Récollets), D. Tronc, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 367 pages.
Étant encore écolier, [Jean-Chrysostome] écrivit de Rouen à M. de la Forest pour le consulter sur sa vocation. Étant venu à Paris, il prit l'habit à Picpus…[917].
Ce rapport entre le sieur de la Forest et le jeune homme est un exemple des nombreuses relations qui se poursuivront entre le TO des laïcs et le TO des Réguliers : il n’y a pas de hiatus entre la vie intérieure et le monde. Alternent, par quelque bénéfique hasard, après le Père Vincent Mussart, Antoine le Clerc, sieur de la Forest ; puis le Père Jean-Chrysostome, Monsieur de Bernières, le prêtre Jacques Bertot, madame Guyon, l’archevêque Fénelon... (succession propre à l’une des filiations nées à l’Ermitage). Des relations directes les relient, mais n’ont souvent pas laissé de traces écrites [918].
Jean-Chrysostome de Saint-Lô est la figure centrale à laquelle se réfèrent les membres du cercle mystique normand, qui n’entreprennent rien sans l’avis de « notre bon Père Chrysostome ». Seule l’humble « sœur Marie » des Vallées jouira d’un prestige comparable et attirera chaque année ses membres à séjourner auprès d’elle.
Ce que nous connaissons de la biographie de Chrysostome provient essentiellement de Boudon [919]. Les connaisseurs de l’école normande n’y ajoutent guère d’éléments[920]. Tout ce que nous savons sur Chrysostome se réduit à quelques dates, car si Boudon est prolixe quant aux vertus, il reste discret quant aux faits ! Sa pieuse biographie couvre des centaines de pages qui nous conduisent « de la vie aux vertus », mais le contenu spécifique au héros se réduit à quelques paragraphes.
Jean-Chrysostome naquit vers 1594 et étudia au collège
des jésuites de Rouen. À dix-huit ans, il prit donc l’habit suivant l’avis du
sieur de la Forest et entra le 3 juin 1612 contre le gré paternel au couvent de
Picpus à Paris fondé par Mussart :
Le
P. Chrisostome dit de St Lo [sic] naquit à St Fremond Basse-Normandie diocèse
de Bayeux et fut nommé Joachim au baptême. Un de ses frères fut capucin et une
sœur a été clarisse à Rouen de l'étroite observance. Joachim étudia à Rouen et
y eut pour maître le P. Caussin, jésuite[921]. Étant encore écolier, il écrivit
de Rouen à M. de la Forest pour le consulter sur sa vocation. Étant venu à
Paris, il prit l'habit à Picpus. Son père fit ce qu'il put pour le faire sortir
du cloître et y employa à cet effet un magistrat considérable du parlement de
Normandie. Le jeune homme tint ferme...[922].
Après une vie de directeur[923], il traverse à son agonie un
dernier dépouillement intérieur dont l’effet se communique, tout comme ce fut
le cas d’Antoine le Clerc :
...
L’on remarqua que la plupart de religieux du couvent de Nazareth où il mourut
[le 26 mars 1646], fondaient en larmes et même les deux ou trois jours qui précédèrent
sa mort, et cela sans qu’ils pussent s’en empêcher[924].
Les incompréhensibles « larmes » sont à rapprocher des « atteintes vives de l’amour de Dieu » ressenties auprès d’Antoine, comme des phénomènes proprement mystiques.
Jean-Chrysostome assura ainsi un rôle de passeur. En témoignent des lettres remarquables de direction adressées à Catherine de Bar et à Jean de Bernières sur lesquelles nous revenons en fin de journée. Elles éclairent une très vigoureuse conduite d’abnégation et de « désoccupation ». Son influence couvre la première génération du cercle spirituel : Jean de Bernières et sa sœur Jourdaine, Mectilde du Saint-Sacrement et Jean Aumont; les historiens ajoutent des figures extérieures à notre école :Vincent de Paul, J.-J. Olier…
Voici page précédente un portrait conventionnel, prêtant une figure de dévôt des plus sérieux à Monsieur de Bernières.
Réseau
d’amis associant aînés et cadets, le « cercle mystique normand » basé
à Caen se constitue donc autour de Chrysostome et de ses dirigé(e)s Jourdaine
et Jean de Bernières. Nous reviendrons dans notre seconde partie des DIRECTIONS
MYSTIQUES non seulement sur Jean-Chrysostome,
mais sur Marie des Vallées et Marie de l’Incarnation provisoirement
« oubliés ».
La moitié des membres de « l’école du cœur » nés du vivant de l’initiateur Jean-Chrysostome sont directement rattachés aux courants franciscains. Le rayonnement de Jean de Bernières sur des amis qui séjournent dans son Ermitage est renforcé par son exemplaire pauvreté et sa charité, fondée sur l’oraison dans l’abandon à la grâce divine. Le réseau informel fut vivant par sa descendance dans deux ordres toujours actifs, l’un fondés par Catherine de Bar appelée aussi « Mère du Saint-Sacrement », l’autre par saint Jean Eudes.
Catherine fonde en Pologne ; Mgr de Laval crée l’Ermitage du Nouveau Monde au séminaire de Québec ; M. Bertot confesseur aux ursulines de Caen puis aux bénédictines de Montmartre est à l’origine du cercle mystique [925] dont des membres quiétistes pénétreront plus tard des terres protestantes.
Quel nom donner à une telle association sans unité de conditions ni de liens canoniques (mais monsieur de Bernières « prit l’habit de notre ordre [franciscain] » dit l’historien du TOR Jean-Marie de Vernon et il se plaignit de ne pouvoir vivre la pauvreté ; Mme Guyon prendra également vœu portant sur la pauvreté. Tous deux étaient issus de riches familles).
Les expressions d’Oratoire du cœur et d’Ecole de l’oraison cordiale apparaissent chez Bremond dans le chapitre qu’il consacre à Querdu Le Gall et à Jean Aumont (deux figures secondaires du réseau) [926]. Filiation mystique du pur Amour, insistant sur le lien de nature mystique qui exista entre aînés et cadets, et évitant la note intellectuelle attachée à École est malheureusement bien long. En ayant soin d’enlever la note affective attribuée à cœur depuis Rousseau et le Romantisme, nous adoptons la contraction en Ecole du cœur. Elle ouvre sur une pratique mystique de l’oraison.
Le tableau
des deux pages suivantes dispose les noms des figures que nous allons
rapidement présenter.
Verticalement
chronologique (1ere colonne) il témoigne des influences d’aînés vers des
cadets.
Horizontalement
il indique des compagnonnages.
Au
centre une filiation Chrysostome - Bernières – Bertot – Guyon.
S’appuyant
solidement à droite sur une colonne en grande partie féminine de Marie des
Vallées, Jourdaine, Mectilde.
La
dernière colonne concerne de près la Nouvelle-France, elle est largement à
compléter et nous sommes avec vous pour apprendre !
À
gauche des amis un peu plus autonomes, dont Eudes et Renty.
À
souligner :
-Près de trente figures choisies dans une foule
dévote.
-La
diversité des appartances (en italiques). De g. à dte et de ht en bas :
jésuite, bénédictin, laïc, franciscain, laïque, ursuline, pour la seule
première ligne. On y ajoutera la diversité franciscaine : TOR, capucin,
récollet ; un prémontré, de simples prêtres…
Cette
diversité explique une difficulté rencontrée jusqu’à aujourd’hui pour rendre
compte de leur importance : pas de définition claire, pas d’Ordre
fédérateur permettant une identification claire d’un objet d’études – s’ajoute
l’ombre portée par la condamnation du quiétisme en 1699.
Explorons
les figures dans l’ordre chronologique de leurs naissances. On ne pourrait
que perdre le parfum intérieur c’est-à-dire l’essentiel en les rassemblant sous
des habits communs d’appartenances religieuses ou de corps de pensée ou sous
des thèmes fédérateurs issus par exemple de l’école historique des Annales.
Nous
laissons pour l’instant de côté les deux grandes figures apparemment excentrées
(au moins pour les Français du centre du Royaume !) de « sœur »
Marie des Vallées et de Marie de l’Incarnation (« du Canada »).
Attachée à son frère cadet, Jourdaine sauvera sa mémoire, non sans rencontrer des contrariétés éditoriales. Son frère allait souvent parler à la communauté des ursulines et le bâtiment de l’Ermitage était situé « aux pieds » du couvent c’est-à-dire à son service (en fait dans sa cour, au même niveau).
Sur Jourdaine et la vie de « son » couvent, nous disposons de précieuses Annales du monastère de Ste Ursule de Caen établi en 1624… Ce long manuscrit sauvé par miracle [927] expose tardivement, mais avec intelligence sur la durée d’un siècle les vicissitudes vécues dans ce couvent ; en particulier les religieuses seront en butte à des jansénistes zélés, mais nous négligerons ce sujet. Nous citons plutôt que de gloser :
Dès
qu'elles [les religieuses destinées à la fondation] furent arrivées à Caen qui
fut le sixième septembre 1624, on les conduisit à la maison que Mme de
Bernières mère de la fondatrice avait mis par ses soins en état de recevoir les
religieuses. Elles la trouvèrent garnie des meubles et autres provisions
nécessaires, et quand il leur manquait quelque chose on n'allait pas plus loin
que chez M. et Mme de Bernières qui fournissaient abondamment à tout, jusqu'à
dégarnir un lit de taffetas cramoisi pour tendre le sanctuaire et faire un
pavillon au Saint-Sacrement.
L'on
sait quel fut leur fond de religion [à la famille Bernières], et avec quelle
exactitude ils observèrent la loi du Seigneur. Il [le père de Jean] leur donna
trois fils, le premier fut d'épée, et fit voir que la piété n'est pas
incompatible avec les armes. M. D’acqueville (21) pris la robe et fut
conseiller au grand Conseil. Il était d'une prudence et d'une probité
extraordinaire, c'était le père des pauvres, et on peut dire que la charité lui
procurera une mort prématurée, car étant maire de ville à Paris il voulut se
procurer à la descente des bateaux remplis de soldats qui avaient des maladies contagieuses
et pour […] les pressants entre ses bras pour les conduire à l'hôpital. Au
retour il fut ?atteint de la même maladie dont il mourut. Pour Monsieur de
Bernières de sainte mémoire qui était le troisième [fils], ses écrits le font
assez connaître.
Cette
maison que nos Mères occupèrent émit située en la rue Guilbert, elles y furent
12 ans tandis que sans interruption on travaillait à bâtir celle où nous sommes
présentement.
[Notre très honorée fondatrice Jourdaine de B.]
Dans son couvent des Ursulines, construit magnifiquement en 1624 avec l’argent de la famille,
Ce
jour [d’engagement] qu'elle disait le plus heureux de sa vie fut le 30e de
novembre 1626. (27) Elle ne voulut pas l'avancer d'un moment quoiqu'on lui
offrit de faire venir une dispense de Rome aisée à obtenir eu égard à son âge,
à ses talents […] La providence qui l'avait choisie pour gouverner cette maison
en fit un exemple de régularité, d'obéissance, d'humilité. […] (28)
Après
sa profession, on la vit courir sans relâche dans les voies de la perfection,
et elle y fit de si grands progrès que peu de temps après, on l'établit
maîtresse des novices […] Elle était si remplie de Dieu et avait tant de grâce
pour en remplir les autres, que dans les instructions particulières et les
exhortations générales, ces novices étaient pénétrés de la force et de
l'onction de l'esprit qui parlait par sa bouche…
La
peste qui désolait les environs de la ville de Caen entra dans notre maison, et
y attaqua une sœur converse qui venait de faire profession. Aussitôt que cette
pauvre fille sentit son mal, elle fit prier la mère de Sainte Ursule
[Jourdaine] d'aller la trouver dans un lieu écarté. S'y rendant promptement et
la malade lui ayant expliqué l'état où elle se trouvait la supplia de ne point
approcher d'elle, disant qu'elle croyait que c'était la peste. Mais la
charitable maîtresse sans s'effrayer du péril voulut voir l'endroit où elle
paraissait […] et malgré les vomissements et les autres accidents qui
tourmentaient cette fille, elle resta auprès d'elle tout le temps nécessaire
pour la consoler et l'encourager à bien soutenir cette épreuve du Seigneur.
Elle s'offrit même de l'assister jusqu'à la mort si on le lui voulait
permettre. 16-(34) [928] la mère supérieure avertie de cet
accident fit visiter la malade ; et dès qu'on eut aperçu que c'était la peste,
elle fut séparée de la communauté avec deux religieuses une de chœur et une
converse qui s'offrirent volontairement pour la garder.
Cependant
les supérieurs jugèrent qu'il fallait transporter la malade hors la ville avec
ses gardes, il s'agissait de trouver un lieu, chose qui n'était pas facile. Ce
fut singulièrement en cette occasion que Monsieur de Bernières fit paraître la
tendresse qu'il avait pour sa fille et pour sa chère communauté.
Il
prêta donc une maison de campagne à demi-lieue de la ville pour y retirer la
malade et celles qui l'assistaient, ou il eut soin de les faire visiter et
consoler, en ne les laissant manquer d'aucune chose surtout des secours
spirituels. M. le prieur de ?Venoix administra les sacrements à la malade, et
communia plusieurs fois les deux religieuses qui étaient auprès d'elle. 17-(35)
La malade mourut bien secourue en toutes manières. Celles qui l'assistaient n'eurent
aucun mal, et revirent enrichies des mérites que leur charité leur avait
acquis, faisant voir qu'on a rien à craindre où Dieu nous veut. Toutes les
autres furent aussi préservées, mais ce ne fut pas sans de grandes attentions,
et bien des mouvements.
On
jugea nécessaire de faire sortir un grand nombre de novices, et toutes les
pensionnaires, avec plusieurs religieuses pour les conduire. Monsieur de
Bernières continuant ses bontés prêta une autre maison de campagne bien meublée
et propre à les recevoir, mais par malheur il n'y avait point de chapelle ni de
lieu propre à en servir. Elles furent obligées de faire leur oratoire sous une
charterie qu'on orna le mieux qu'il fut possible. Là, comme dans le plus
magnifique temple, on disait tous les jours la sainte messe. 18-(36) Elles y
communiaient régulièrement deux fois la semaine, un père de la compagnie de
Jésus, à qui en avait eu recours dès l'établissement allait entendre leur
confession sous les ?vendredi. L'office divin y était récité aux heures marquées
avec autant de piété que dans nos églises. Je ne peux cependant passer sous
silence une particularité réjouissante […] leur sérieux y fut mis plus d'une
fois à l'épreuve, par l'ignorance d'un homme qui leur servait de sacristain,
lequel ne savait des réponses de la messe que le seul mot d'amen qu'il plaçait
partout, de sorte qu'une religieuse était obligée de la répondre…
Apparaît ici la très discrète et austère Mère Michelle Mangon, grande spirituelle amie du Père Chrysostome:
19-(37)
La Mère supérieure avec celles qui étaient restées au couvent firent tout ce
qui était nécessaire pour en ôter le mauvais air, et rappelèrent les fugitives
qui avaient un empressement extrême de se réunir à elles. Le désir qu'eut la
mère de Sainte Ursule de rester dans sa chère clôture fut si grand, et son
détachement du monde si parfait, que passant auprès du logis de M. son père et
de Madame sa mère, elle ne voulut point descendre du carrosse pour y entrer,
quelque instance qu'on lui en fit, et quelque bonne que parussent les raisons
qu'on lui disait. Elle crut qu'il n'en était point qui ne dussent céder à
l'intention qu'elle avait de donner un exemple à la postérité. En effet le sien
eut tant de pouvoir sur toute sa compagnie 21-(38) qu'aucune novice ne se
voulut séparer des autres quoiqu'elles en fussent fortement sollicitées par
leurs parents, mais rentrèrent toutes ensemble dans leur maison avec beaucoup
de joie de voir réunies pour louer et remercier Dieu qui les avait préservés…
Jourdaine devint supérieure du couvent dès 1630. Elle fit montre d’une belle autorité qui pouvait s’accompagner de conseils pittoresques : ainsi à propos d’une novice à éprouver, écrit-elle : « Mettez-la à bouillir… »[929].
Voici
quelqu'une de ces maximes qu'on a eu soin de recueillir comme très propre à
maintenir le bon ordre […] Qu'avons-nous à faire, disait-elle, de nous
embarrasser du monde, il nous quitte plus volontiers que nous ne pensons. Ne
nous faisons de sorte que le moins que nous pourrons. L'enceinte de nos murs
peut suffire à notre béatitude. (51)-33 […] soyons religieusement observatrice
du silence, et si attentives sur nos paroles que nous puissions compter les
inutiles pour en rendre compte, puisque Dieu nous le demandera un jour. Le
silence d'action n'est pas moins nécessaire pour se maintenir dans le
recueillement. Cinquièmement ne manquons jamais à faire la retraite annuelle,
les affaires temporelles n'en souffriront rien. Et soyons fille d'oraison, nous
en serons plus utiles au prochain.
161
Cependant quelque soin qu'elle ait pris de se dérober à nous cacher les
ferveurs et les grâces singulières qu'elle a reçues dans ses communications
avec Dieu nous en pouvons apprendre quelque chose par son commerce de lettres
avec le révérend père Chrysostome pénitent directeur de Monsieur de Bernières
qui était à son égard, ce qu'était à Sainte Thérèse ce bon gentilhomme dont
elle parle si souvent. Comme elle n'avait rien de secret pour lui, et que
réciproquement il lui faisait part des lumières qu'il recevait si abondamment
dans son oraison, ils se trouvèrent des rapports de grâce et de lumière qui les
réunit tous la même conduite. La mère de la Conception [Jourdaine] lui donnait
par écrit sa manière d'oraison, ses vues de perfection, ses sentiments
intérieurs, les dons et les grâces dont Dieu l'honorait, particulièrement dans
ses retraites, ses peines ses doutes, etc. et en un mot tout ce qui se passait
de bon et de mauvais dans elle, comme le font toutes les âmes fidèles à se
faire conduire sûrement dans les voies de Dieu ; monsieur de Bernières en
consultait le père Chrysostome et ce sont ces réponses à une ursuline qu'on 162
trouve dans son livre des maximes et lettres spirituelles qui nous font
connaître quelques traits de sa vie intérieure dont elle n'a laissé que peu
d'écrits…
Ce
fut elle qui obtint de leur saint directeur la communication des écrits de
Monsieur de Bernières. M. Roquelay son fidèle secrétaire eu ordre de les lui
?remettre entre les mains, et comme elle était alors supérieure, elle les fit
transcrire par les mains de sœur Charles et de Jésus. Nous en conservons deux
tomes in-folio [malheureusement perdus], d'où l'on a extrait les deux parties
du Chrétien intérieur qui ont été imprimées.
…
il s'agissait des intérêts de Dieu et de la religion, […] C'est ce qui lui fit
refuser avec une fermeté inflexible deux religieuses du Port Royal, qui lui
furent envoyées avec une lettre de cachet en l'année 1663. Elle les retint hors
la clôture, tandis qu'elle envoya un exprès à Bayeux porter une lettre à
monseigneur l'évêque rempli de si bonnes raisons pour se défaire des deux
religieuses 149 qu'enfin elle gagna sa cause, elles furent envoyées ailleurs.
[…]
Elle
a passé les jours et une partie des nuits à écrire des lettres pour envoyer au
bout du monde à de saints missionnaires, avec lesquels elle avait des
correspondances pour moyenner avec eux la conversion des peuples sauvages du
Canada et de L'hybernie. […150] Il n'y avait rien de plus aimable que son
commerce de lettres avec les personnes qui passaient dans la Nouvelle-France
pour y cultiver ces jeunes plantes de l'Évangile qu'on y élevait, lesquelles se
sentant redevables à ses bienfaits, lui faisaient des remerciements suivant
leur génie capable de toucher et mettre en mouvement un aussi bon cœur que le
sien.
>> Jean
de Bernières, Le Chrétien intérieur, textes choisis suivis des Lettres à l’Ami
intime, Texte établi et présenté par Murielle et Dominique Tronc, Paris,
Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2009, 200 pages. [septième
livre du Chrétien intérieur et
« Lettres à l’Ami intime ».]
>> Jean
de Bernières, Œuvres Mystiques I, L’Intérieur chrétien suivi du Chrétien
intérieur augmenté des Pensées, Edition critique avec une étude sur
l’auteur et son école par Dominique Tronc, Ed. du Carmel, coll. « Sources
mystiques », 2011, 518 pages.
>> Jean
de Bernières, son influence sur l’histoire de la spiritualité », 381-421,
& « Des éditions anciennes aux éditions contemporaines »,
583-588, in : Rencontres autour de
Monsieur de Bernières (1603-1659) Mystique de l’abandon et de la quiétude,
coll. « Mectildiana »,
Editions Parole et Silence, 2013, 594 pages. [ce collectif assemblé par
J-M. Gourvil & D. Tronc regroupe les contributions de dom T. Barbeau, J.
Dickinson, J.-M. Gourvil, I. Landy, dom J. Letellier, B. Pitaud, J. Racapé, dom
E.de Reviers, D. Tronc, A. Valli.]
>> Jean
de Bernières, Œuvres Mystiques II, Correspondance, Edition critique présentée par le P. Eric de Reviers, Ed. du
Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques ». [à
paraître prochainement]
§
Il utilisa sa fortune à la fondation d’hôpitaux, de missions et de séminaires. Insensible aux différences sociales (il traite son serviteur en frère spirituel), il n’obéissait pas aux règles de l’époque concernant son rang :
Il
paye de sa personne, car il va chercher lui-même les malades dans leurs pauvres
maisons, pour les conduire à l’hôpital [...] porte sur son dos les indigents
qui ne peuvent pas marcher jusqu’à l’hospice. [...] Il lui faut traverser les
principales rues de la ville : les gens du siècle en rient autour de lui[930].
Dans ses Lettres à l’ami intime[931], Bernières se dévoile, car bien que son ami prêtre Jacques Bertot soit plus jeune il lui parle à cœur ouvert des états les plus profonds vécus dans ses dernières années :
Je
ne puis vous exprimer par pensées quel bonheur c’est de jouir de Dieu dans
le centre […] Plus Dieu s’élève dans le centre de l’âme, plus on
découvre de pays d’une étendue immense, où il faut aller, et un
anéantissement à faire, qui n’est que commencé : cela est incroyable,
sinon à ceux qui le voient en Dieu même, qu’après tant d’années d’écoulement en
Dieu, l’on ne fasse que commencer à trouver Dieu en vérité, et
à s’anéantir soi-même…[932].
Jean pratique un abandon intérieur qui ne l’empêche pas d’être très actif et en premier lieu de diriger ceux qu’il attire. Ce « directeur des directeurs de conscience[933] » parle avec humour d’un « hôpital » un peu particulier qui accueille des hôtes de passage, maison qu’il a fait construire « au pied[934] » du couvent de Jourdaine :
Il
m’a pris un désir de nommer l’Ermitage l’hôpital des Incurables, et de n’y
loger a avec moi que des pauvres spirituels […] Il y a à Paris un hôpital des
Incurables pour le corps, et le nôtre sera pour les âmes [935].
Je
vous conjure, quand vous irez en Bretagne, de venir me voir ; j’ai une petite
chambre que je vous garde : vous y vivrez si solitaire que vous voudrez ; nous
chercherons tous deux ensemble le trésor caché dans le champ, c’est-à-dire
l’oraison [936].
Dans une lettre du 29 mars 1654, il précise ainsi le but d’une association pour laquelle il a construit un foyer d’accueil :
C’est
l’esprit de notre Ermitage que d’arriver un jour au parfait néant, pour y mener
une vie divine et inconnue au monde, et toute cachée avec Jésus-Christ en Dieu.
Nous achevons sur l’histoire d’
Jean de Bernières n'a écrit que des lettres et quelques notes
personnelles prises au cours de retraites. On a fabriqué en les assemblant avec
toute la liberté permise à l’époque L’Intérieur
Chrétien, puis dès l’année suivante Le
Chrétien Intérieur. Ce dernier titre
entreprend une glorieuse carrière : « Le
Chrétien Intérieur […] publié en 1661 […] atteint dès 1674 sa quatorzième
édition et la même année le libraire Edme Martin estime qu’il en a vendu trente
mille exemplaires[937] ».
Le texte atteint un public très large, car il est facile à lire. Il est
plein d’onction. Un choix orienté par l’éditeur-corédacteur d’Argentan adapte
le mystique à l’esprit de son temps. Aussi le titre se retrouve dans des
bibliothèques même réduites. Ainsi
« la veuve de Pierre Helyot[938] […]
détient les Fleurs des saints en deux
volumes in-folio, le Chrétien Intérieur
de Bernières-Louvigny, une Explication
des cérémonies de la messe et une quinzaine d’autres petits livres de
dévotion dont […]
une préparation à la mort »[939].
L’Intérieur Chrétien (1659) est devenu Le Chrétien intérieur, ce dernier
lui-même faisant l’objet de deux versions : « primitive » de
1660 et « tardive » de 1676 [940]. Succèdent des Œuvres spirituelles (1670) distinctes et fiables, enfin on ajoute
aux Chrétiens des Pensées (1676). Des rééditions modernes
sont disponibles ou en cours [941].
La grandeur mystique du trajet de l’abjection à l’abandon est évidente
par la mise en ordre chronologique de la correspondance. Jean a réussi à rester
très caché dans sa vie personnelle, mais de récentes contributions soulignent
les multiples influences qu’il a exercées [942].
Reprenons ici la suite de citations des Annales du couvent en commençant par ce qui concerne la pierre angulaire de l’Ermitage – réduit après un nettoyage post-quiétiste illustré par la reproduction figurant au verso de ce feuillet et qui s’ouvre par :
Il ne faut pas oublier la maison reconnue l'Ermitage que Monsieur de Bernières frère de notre révérende mère fondatrice fit bâtir dans l'avenue qui conduit de notre cours du dehors. [Barré : la communauté avait acheté le fond ?450 ? livres] ce bâtiment fut commencé en 1646 et achevé en 49. La communauté avait acheté le fond ?[illis.]? livres. Et il donna ?2000 ? [illis.] [barré : à la communauté] en demandant de [illis.]pendant sa vie dont il fit part à plusieurs ecclésiastiques qui demeuraient avec lui. Monseigneur de la Boissière qui a été évêque dans les pays étrangers M. Bertot qui a été notre supérieur en fût le second…
Large omission dans la copie du XIXe siècle de tout ce qui suit [943]. À partir d'ici le bas de page est barré ainsi que la page suivante, deux fois en croix !
110
…M. Roquelé [add.: secrétaire de Monsieur de Bernières] que nous pouvons mettre
au nombre de nos bienfaiteurs y demeura longtemps. Il nous laissa en mourant
non seulement une grande idée de ses vertus, mais encore de grands témoignages
de son attachement pour la communauté, à laquelle il donna 1000 écus pour
fonder une messe à perpétuité, dont celle du lundi, se dit pour la dernière
décédée sur l'autel privilégié. De plus il nous envoya tous ses livres qui ont
bien augmenté notre bibliothèque. Il nous donna aussi de
111 que [sic]…
Changement de main et discontinuité du sens : feuillet[s] enlevé[s] ? La numérotation est continue : 110-111, et donc postérieure au ms. lui-même plus ancien que sa copie du XIXe siècle citée en note. Le texte suit ainsi :
…que
M. de Gavrus prenait la place de son ?saint oncle se retirât dans cette maison
avec plusieurs gentilshommes pieux et détachés du monde comme lui, pour y faire
revivre l'esprit de son saint fondateur. Le premier n'en sortait que pour
visiter les ouvriers qu'il faisait travailler à l'église de l'hôpital général
dans le qu'il avait la conduite, dès qu'elle fut ?rehaussée de bâtir, Dieu
l'attira à lui, il en fit le lieu de sa sépulture et demanda d'être mis à
l'entrée de la poste.
Messieurs
de ?Moneanisi de Dampierre et Dargences leur succédèrent, ajoutant à la vie
solitaire et intérieure des premiers hermites au milieu d'une ville, ce que la
charité peut faire de plus utile pour le prochain ; qui est le service des
pauvres. Ils pansent leurs plaies, les soignent et leur donnent toute sorte de
médicaments ne trouvant point de plus grandes douceurs dans leurs travaux que
le soulagement qu'ils donnent au plus dégoûtant.
Commençons
une revue de figures remarquables associées à l’Ermitage en suivant l’ordre chronologique. Certaines sont à
l’origine du grand mouvement mystique qui couvre plus de deux siècles en
plusieurs branches d’un « delta spirituel » : branche canadienne par
Marie de l’Incarnation et Mgr de Laval, branche religieuse de
l’ordre des Bénédictines du Saint Sacrement fondé par Mectilde-Catherine de
Bar, branche « quiétiste » animée par monsieur Bertot puis par madame
Guyon et Fénelon… Sans oublier la congrégation des Eudistes dont la dépendance
vis-à-vis de l’Ermitage est moindre.
Outre
le passage que nous venons de citer, les mêmes Annales rédigées jusqu’en 1738 peuvent mettre plus aisément le
secrétaire de Bernières en valeur que ce dernier qui a fait l’objet d’une
condamnation post-mortem :
159.....
Je trouve en 1665 une donation de cent livres de rente, fait à cette communauté
par M. François Roquelay prêtre secrétaire et intime ami lequel voulant montrer
de plus en plus sa singulière affection qu'il avait pour nous, il donna encore
l'année suivante la somme de 2200 livres, le tout avec des conditions très
avantageuses qui sont écrites dans les registres. Le chapitre s'engagea par
reconnaissance à le faire participant de toutes nos prières et bonnes œuvres,
et après sa mort, les mêmes messes communions et offices comme pour nos sœurs
décédées.
Jean Eudes est du même âge que Jean de Bernières et leur amitié durera longtemps. Il illustre l’esprit actif de tous les membres de l’Ermitage et le « préquiétiste » Bernières s’usera plus vite encore à la tâche...
Originaire d’une famille paysanne, Jean Eudes entre à l’Oratoire et se distinguera par son assistance héroïque aux pestiférés qui sont isolés par peur de la contagion. Son biographe moderne nous explique : « Jean Eudes voulait assister les malades : il ne pouvait donc rester dans les quartiers encore sains. Il décida de vivre comme ceux qu’il aidait. On les isolait dans les prés, abrités dans de grands tonneaux […] dans la vallée de l’Orne, les prairies Saint-Gilles appartenant à l’abbaye aux Dames […] c’est là qu’il priait, dormait, mangeait ; et l’abbesse, nous dit-on, venait elle-même lui servir ses repas [944]. »
Jean Eudes consacre ensuite son activité aux missions, évangélisant des diocèses normands [945]. Il quitte l’Oratoire pour pouvoir fonder une congrégation en vue de former des prêtres et prend en charge plusieurs séminaires, malgré l’opposition de ses anciens confrères appuyés par des jansénistes. Il trouve « lumière et encouragement » chez Marie des Vallées - on lui doit notre principale source sur elle, le fameux manuscrit de Québec - ainsi qu’auprès de Bernières et de Renty.
Pour lui « l’amour, vie de Dieu, est l’alpha et l’oméga de toute réalité […] chacun est aimé sans mesure, d’un amour unique ». Notre cœur - symbole d’amour et d’intériorité mystérieuse qui fait « un seul être de tous les membres du corps mystique » - est fait pour « une très simple vue de Dieu, sans discours ni raisonnement ». Le sens profond que prend pour lui le mot « cœur » est remarquable, avant que ce terme d’origine physiologique, caractéristique du temps où l’on plaçait notre centre dans cet organe ne soit dévalué par des sensibilités imaginatives. C’est un symbole d’intériorité et d’amour.
Regardez
votre prochain […] comme une chose qui est sortis du cœur et de la bonté de
Dieu , qui est une participation de
Dieu, qui est créée pour retourner en Dieu [946].
Autre disciple de Jean-Chrysostome de
Saint-Lô, laïc membre du Tiers Ordre, Jean Aumont vécut dans le monde : il
possédait peut-être un petit vignoble à Montmorency [947]. Il fut en relation assez étroite avec Catherine de Bar : le
« bon frère Jean » aurait
été envoyé en exil en 1646 par suite de son ardeur à propager les maximes de
Jean-Chrysostome mort la même année (ceci laisse entrevoir des tensions fortes
entre ces mystiques et leur entourage). Il est « tellement rempli de la divine grâce à présent, qu’il a perdu tout
autre désir. Il se laisse consommer » dit-elle. Il rencontrera de nouveau
Catherine à Caen en 1648 et à Paris en 1654.
Il nous a laissé un livre
atypique [948], beau, original et savoureux, dont les illustrations (de même que les
images publiées par Querdu Le Gall [949]) ont fait la joie de Bremond lorsque celui-ci présenta « le
vigneron de Montmorency et l’école de l’oraison cordiale ». Dans L’Agneau occis dans nos cœurs (1660)
l’auteur est parfois trop abondant et imaginatif et son style est
rocailleux [950]. Mais il recèle de grandes beautés et témoigne d’une
« intelligence extrêmement vive, pénétrante et limpide au didactisme le
plus subtil [951]. »
Cet homme apparemment si simple avait atteint les
profondeurs de la vie en Dieu : il nous transmet son élan qui fait fi de
tous les obstacles. L’ouvrage rare n’ayant jamais été réédité et reflétant avec
originalité de suggestives représentations propres à l’ancienne astrologie
médiévale, nous en livrons ici d’assez longs extraits. Tout d’abord une vive
analogie imagée :
Mais dites-moi de grâce si quelqu'un enfermé
en votre cave, et frappant à la porte pour se faire ouvrir, vous alliez
cependant au plus haut et dernier étage la maison demander qui est là :
vous n'auriez sans doute aucune bonne réponse, car la grande distance du
grenier à la cave ne permettrait pas que votre
‘Qui va là ?’ fût entendu. Mais peut-être que cette personne-là
n'ayant pas encore bien appris tous les lieux et endroits de la maison pourrait
bien être excusée d'aller répondre au grenier quand on frappe à la porte de la
cave, et ignorant principalement ces bas étages et lieux souterrains : c'est
pourtant d'ordinaire où l'on a de coutume de loger le meilleur et le plus
excellent vin ; mais assez souvent l'on se contente d'y envoyer la
servante sans se donner la peine d'y descendre soi-même pour en puiser à son
aise et se rassasier. Je veux dire que Dieu étant l'intime de notre
intime [952],
il frappe à la porte de ce fond et plus profond étage de nos âmes, et que
partant il y faut descendre en esprit et par foi pour y écouter en toute
humilité ce qu'il plaira à Sa divine Majesté de nous y ordonner pour son
contentement, et ne nous pas contenter d'y envoyer la servante de quelque
chétive considération, laquelle ne peut descendre jusqu'au caveau de l'Époux,
mais seulement sans s'abaisser elle demande du faîte de la maison qui est là.
[…]
Voici donc, âmes chrétiennes, que
tout le secret et l'importance de l'affaire de notre salut est qu'il faut bien
apprendre et bien savoir une bonne fois pour toutes notre vie, que toute la
beauté, le trésor et les richesses de l'âme chrétienne sont par dedans
elle-même, et que c'est par ce dedans que Dieu nous frappe, et nous appelle
d'une voix de père et de cordial ami [953].
Il faut enfin entrer, et se retirer
en esprit, en foi et en amour dans notre église intérieure, d’étage en étage,
de degré en degré, et de dedans en dedans jusques dans le sanctuaire divin. Et
là l’âme toute ramassée et réunie en elle-même, et toute réduite à son point
central, et toute passive et abandonnée aux impérieux débords du divin [31]
amour, qui la pénètrent au-dedans et qui la revêtent et investissent de
divinité, et ainsi, l’âme croissant en amour croît aussi en lumière…
[33] Enfin il faut avouer que Dieu
aime infiniment le cœur humain, au fond duquel est la capacité amatique
[d’aimer] propre à recevoir ce Dieu d'amour dans le fourneau de sa volonté :
car comme Il est infiniment aimant, Il cherche des cœurs qui se veulent donner
tout entier en proie à son divin amour afin que, les en ayant tous remplis
jusques à en regorger, ils le puissent aimer en sa manière infinie avec son
même amour.
Il faut passer
au-delà du fonctionnement « dans la tête » :
[57] C'est la maladie naturelle de
l'homme de vouloir être homme raisonnant et à soi sans démission ; et
roulant dans sa tête le chariot naturel de ses pensées, il se figure une foi
plus imaginaire qu'infuse, et partant plus acquise que donnée, et ainsi avec
certaine pratique spirituelle et non intérieure, puisqu'il ne tend pas en
dedans au fond du cœur, mais demeurant seulement dans la nature du propre
esprit bien policé et prudemment exercé par les temps, les lieux, les motifs,
les actes, les sujets et les raisonnements sur tout cela ; et cependant on
ne s'avise pas que l’on tient continuellement le dos tourné à Dieu et à ce
divin soleil intérieur qui luit au fond de nos âmes, et dont ils ne sont point
éclairés, parce qu’ils se tiennent la face de l’âme tournée en dehors sur leurs
actes, sur les points et motifs des sujets et objets de leur méditation avec la
roue du raisonnement, tout ainsi qu’un écureuil enfermé dans une cage en forme
de roue qui court sans cesse à l’entour de soi-même, et n'entre jamais dedans,
et ne cessant de tournoyer sans rien avancer, ni bouger d'un pas, ni sortir de
sa place, ni même changer de posture ; ainsi fait l'homme qui cherche Dieu à la
naturelle ne cessant de rôder, et tournoyer à l'entour de la roue de ses
propres raisonnements...
Voici un développement à partir de belles
images qui relie les forces intérieures à des figures astrologiques communes à
une culture évangélique populaire :
De la souveraineté de la
Foi sur toutes les lumières infuses les plus sublimes...[954].
…Dieu n'a rien fait que de parfait.
Et comme il est en soi et de soi lumière éternelle, il va éclairant et
illuminant toutes ténèbres, soit par lui-même, ou par causes secondes. D'où
vient qu'il a posé au ciel de notre âme ses deux grands corps lumineux, la Foi
et la Charité, pour y verser leurs influences et ordonner toutes les saisons.
Et partant, la Foi nous y est comme une belle Lune, qui va nous éclairant parmi
cette vastitude immense et ténébreuse qu'il y a à passer entre Dieu et nous ;
et elle nous a été donnée de Dieu tout ainsi que l'Étoile d'Orient fut donnée
aux Mages pour les conduire sûrement, et les éclairer pour chercher et trouver
ce tendre Agneau de Dieu dans son palais de Bethléem, où elle disparut et
s'éclipsa à l'abord de ce beau Soleil lumineux de l'Orient (403) éternel, tout
nouvellement levé sur notre horizon pour y éclairer les épaisses ténèbres de la
gentilité. Ainsi la Foi comme une belle lune attachée au ciel de notre esprit
va éclairant et vivant parmi tous les étages de ce monde spirituel de degré en
degré.
Mais tout ainsi que l'Étoile
d'Orient disparut aux Mages lors de leur entrée en Jérusalem, de même [il] en
arrive à l'âme recueillie et ramassée au fond de sa Jérusalem intérieure, de là
où se lève ce grand corps lumineux de la Charité ; lequel comme un beau Soleil
éclatant, ardent et tout lumineux et embrasant, fait éclipser la Foi pour ce
moment par son abord enflammé, opérant et impérieux, et qui réduit et réunit
toute lumière en son principe. En sorte que pendant ses grandes irradiations
embrasées de la Charité dont l'âme est tout investie, pénétrée et abîmée en cet
océan divin, la foi n'y paraît point pendant l'opération, quoiqu'elle y soit
beaucoup plus noblement, et plus lumineuse, et comme vivifiée et éclairée de la
Charité, qui fait la vie de sa lumière. Et tout ainsi qu'au lever du soleil
toute la lumière des Astres s'éclipse, de même à l'abord du Soleil de la
Charité, toutes les vertus comme lumières participées de ce grand corps
éclatant et flamboyant de ses divines ardeurs, s'éclipsent pendant le temps et
le moment de cette irradiation. Quoique la Foi s'éclipse et disparaît durant
ces lumineuses irradiations de la Charité, elle ne laisse pas d'être toujours
dans l'âme, même tenant le dessus sur toutes les lumières de la Charité, parce
que nous croyons infiniment plus de Dieu par la Foi qu'il ne nous en est
manifesté par ces excessives lumières d'amour.
L’ambition spirituelle est une qualité
lorsqu’elle est bien comprise, affirmation qui est bien loin du dolorisme et
que l’on entend rarement à l’époque :
[454…] Âme chrétienne, voulez-vous
contenter votre démangeaison d'être ? Eh bien, soyez à la bonheur, mais en
Jésus-Christ ; et ne soyez point jamais ailleurs ; car ce que vous ne pouvez
être vous-même par nature, vous le pourrez être en Jésus-Christ par la foi, par
sa grâce, et par son amour, et en vous rendant intérieurement à lui au fond de
votre cœur : tout ce que vous ne pourrez apprendre ni atteindre par votre
propre esprit, vous le pourrez savoir et appréhender par l'Esprit de
Jésus-Christ. Car le Saint-Esprit donné à l'âme va anéantissant la créature
pour la rendre en lui, et la faire grande et solidement savante. Non toutefois
en comprenant ou atteignant par nous-mêmes les divins Mystères, mais en nous
laissant comprendre à eux, ils nous conduisent et nous font entrer en Dieu,
d'où ils sont sortis, et nous y font être créature nouvelle…
La souveraine liberté réside dans l’adhérence
au divin attrait :
Et comme cet écoulement de l'âme en
la Divinité est prévenu d'un puissant attrait intérieur, cela fait que l'on dit
ne pas agir, quoique pourtant l'âme agisse toujours, mais d'une manière si
simple et si libre qu’il ne paraît point à l'âme qu'elle agisse. Et à la vérité
elle n'agit que d'un acte très simple, qui consiste en attention ou en
adhérence au divin attrait ;
[…] il faut donc approcher de Dieu
en esprit et par foi. Mais où, chères âmes ? C’est au fond de votre cœur, là où vous vous
devez retirer en silence et humilité, pour y recevoir l’illustration du pur
Amour dans le miroir intérieur de votre âme, duquel rayon lumineux et
clarifiant, est réimprimée en votre âme la divine ressemblance, laquelle vous
ouvrira le droit héréditaire à l’héritage du Père ; et partant entrons
dans le cabinet de notre cœur et y établissons notre demeure au plus profond de
ce mystérieux désert [...] solitude qu’elle porte partout avec elle, où
elle se peut retirer comme dans un monastère naturel, vivant et portatif...
[603] Se tourner à l’opposite sur l’exercice
naturel des puissances et s’en façonner des notions, raisonnements et
affections, c’est de propos délibéré se façonner des idoles spirituelles,
auxquelles on défère plus qu’à Dieu...
Gaston de Renty [955] reçut l’éducation d’un grand seigneur, se distingua en mathématiques et sciences naturelles, entra à dix-sept ans à l’académie militaire, fut marié à vingt-deux ans : le couple aura deux fils et deux filles. Il publie à vingt-huit ans un traité de la sphère céleste, une géographie, un manuel de fortification. « Tous les éléments d’une réussite mondaine sont réunis » - mais il veut se faire chartreux !
Découvert et ramené à Paris, il s’occupe de reconstruire des églises ! Sa mère, dont les projets sont ainsi ruinés, le poursuivra de procédures pour lui disputer l’héritage paternel. Il trouve le cadre de son action dans la Compagnie du Saint-Sacrement dont il est un supérieur exemplaire de 1639 à sa mort, multipliant les fondations charitables. Se levant à cinq heures, il peut également diriger des carmélites, une ursuline, une fille de Saint-Thomas, la présidente de Castille ; il fonde avec Henry Buch les Frères cordonniers en 1645, puis les Frères tailleurs. « Dans Paris inondé, glacé et assiégé, il porte lui-même du pain à des pauvres honteux dans des quatrièmes étages[956]. »
Son influence sera considérable au XVIIIe siècle, en
particulier sur le fondateur du méthodisme John Wesley qui l’étudie lors de son
séjour dans la Géorgie lointaine et qui tire un Abrégé très élaboré de sa Vie
[957], ainsi que sur le quaker W. Penn,
sur le groupe mystique guyonien d’Aberdeen, etc.
Ses lettres témoignent d’un profond équilibre spirituel et d’une grande
paix, ce que ne laissait pas deviner sa biographie [958].
…tant
s'en faut qu’elle [la grâce] nous restreigne à deux conditions qu'au contraire
elle les sanctifie toutes. … Et je crois que ce serait une très grande erreur
de vouloir faire changer une personne de son état et de sa condition pour lui
faire trouver la perfection … Car il faut savoir que la grâce ne détruit pas la
nature, mais la perfectionne [959].
…vrai
renoncement de soi, qui consiste à ne se servir plus de sa propre prudence,
prévoyance, ni de la capacité de notre esprit, mais met l’âme nue et dépouillée
de tout dans l’abandon et la tutelle de l’esprit de son Dieu qui lui suggère en
chaque temps et action ce qui est à faire et est son mouvement et sa vie; mais
cet état doit être accompagné de paix, et d’une grande adhérence à Dieu dans
son recueillement [960].
La paix mystique l’habite, il ne sait que suivre le mouvement de la grâce quand il s’agit de s’occuper d’autrui :
Pour
ce qui me regarde, je n’ai pas grand-chose à dire. Je porte par la miséricorde
de Dieu un fond de paix devant lui en l’esprit de Jésus-Christ, dans une
expérience si intime de la vie éternelle, que je ne la puis déclarer: et voilà
où je suis le plus tiré, mais je suis si nu et si stérile, que j’admire la
manière où je suis, et en laquelle je parle. Je m’étonnais, comme parlant à la
personne susdite, je commençais un discours sans savoir comme je le devais
poursuivre, et disant la seconde parole, je n’avais point de vue de la
troisième et ainsi des suivantes. Ce n’est pas que je n’aie la connaissance
entière des choses en la manière que j’en suis capable, mais pour produire quelque
chose au dehors, cela m’est donné et comme on me le donne, je le donne à un
autre, et après il ne me reste rien que le fond susdit [961].
L’unité ou communion des saints est une réalité perçue ici-bas :
Il
y a environ dix ou douze jours que m’étant mis à mon ordinaire le matin à prier
Dieu, je sentais en moi-même n’y avoir aucune entrée: je me tiens là humilié...
Lorsqu’il me fut donné à connaître qu’en effet j’avais l’indignité que je
sentais, mais que je devais chercher en la communion des Saints mon entrée à
Dieu... J’eus connaissance pour lors que Dieu et Notre Seigneur ne nous
formaient pas pour être tous seuls et séparés, mais pour être unis à d’autres,
et composer avec eux par notre union un Tout divin. Comme une belle pierre,
telle que serait le chapiteau d’une colonne, est inutile, si elle n’est au lieu
où elle est destinée pour tout l’ouvrage, et jusqu’à ce qu’elle soit posée et
cimentée avec tout le corps du bâtiment, elle n’a ni sa conservation, ni sa
décoration, ni en un mot, sa fin. Cela m’a laissé dans l’amour et dans la
liaison véritable et expérimentale de la Communion et de la communication des
Saints... [962].
>> Catherine de Bar 1614-1698 Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Les amitiés mystiques de Mère Mectilde, un florilège, Dominique Tronc [en préparation)
Catherine de Bar fit profession chez les
franciscaines Annonciades en
1633 [963].
Nommée supérieure, elle fuit avec ses religieuses la guerre et l’entrée des
Français en Lorraine et trouve refuge au monastère des bénédictines de
Rambervilliers, puis à l’abbaye de Montmartre où elle passe l’année 1641.
Établie à Caen, elle rencontre Jean de Bernières et tout le groupe qui
l’entoure, dont Jean Eudes et Marie des Vallées. À cette époque Bernières lui
écrit avec rudesse : vous n'êtes pas
pourtant dans cet état [de pur amour],
car l'on vous chérit trop…
Elle reconstitue sa communauté à Saint-Maur-des-Fossés
près de Paris en 1643. Elle se confie alors au père-Chrysostome de Saint-Lô,
qui « trouvait plus de spiritualité dans
le petit hospice de Saint-Maur que dans tout Paris. » Elle demeurera
en correspondance avec Bernières[964], de
même que son nouveau confesseur Epiphane Louys (1614-1682), qui se liera
également avec Bernières.
Elle traverse dans sa jeunesse les douleurs du vide :
3 juillet 1643. Monsieur, Notre bon
Monsieur Bertot nous a quittées avec joie pour satisfaire à vos ordres. Il vous
dira de nos nouvelles et de mes continuelles infidélités et combien j'ai de
peine à mourir. Je ne sais ce que je suis, mais je me vois souvent toute
naturelle, sans dispositions de grâces. Je deviens si vide et si pauvre, même
de Dieu que cela ne se peut exprimer. Cependant il faut selon la leçon que vous
me donnez l'un et l'autre que je demeure ainsi abandonnée laissant tout
désir...
13 novembre 1643. …Il n'y a rien
dans mon cœur. Je suis pauvre véritablement, mais si pauvre que je ne puis
exprimer... [965].
C’est la préparation à une vie
active accompagnant une longue montée spirituelle[966].
Bernières meurt en 1659 tandis que Mectilde va vivre encore pendant 39 ans. L’ascension mystique se poursuit au milieu d’une perpétuelle activité de la fondatrice et de dures épreuves intérieures. Maladie et délaissement marquent les dernières années qui nous laissent les plus beaux témoignages mystiques :
Oui, mes enfants, dans l'abandon il
y a une grâce ineffable qui conduit l'âme jusque dans le sein de Dieu [...] Je
trouve néanmoins qu'il y a encore quelque chose de plus dans le délaissement
que l'âme fait d'elle-même. Car dans l'abandon nous nous avons encore en vue,
mais dans le délaissement nous nous perdons [...] Il y en a très peu qui se
délaissent, parce que les retours que nous faisons sur nos intérêts nous font
reprendre ce que nous avions abandonné. Et voilà comme j'ai appris le
délaissement : mon imagination, après deux ou trois jours de ma maladie, me
présenta à mon jugement, et Dieu me fit la miséricorde de me mettre dans un
état d'abandon et de délaissement. En ce même temps, mon âme me fut représentée
comme une chiffe, et je voyais cette chiffe toute marquée de Dieu. Cela me fit
comprendre que Dieu voulait que je me délaissasse ainsi que l'on fait d'une
chiffe, qu'à peine relève-t-on de terre, ou du moins si on la relève, ce n'est
que pour la mettre en quelque coin, et non pour la serrer dans un coffre. En
vérité, mes enfants, il fait bon être chiffe ! [...] Dieu m'a renvoyée afin que
je commence à vivre en simplicité comme un enfant, tout abandonnée à lui sans
retour sur moi.[967].
Je me suis coulée comme un petit
moucheron en Dieu […] Il y a plus de trente ans que je l'ai prié de me tenir
sous ses pieds. J'ai été effrayée de voir l'amour infini de ce Cœur adorable
envers les créatures. Il ne s'irrite point contre elles, pour tous les outrages
qu'il en reçoit à tout moment. Au lieu de nous foudroyer comme nous le
mériterions, il n'en a pas même de ressentiment. Il n'est pas vindicatif :
toujours prêt à nous recevoir, il n'attend pas même que nous allions à lui. Il
nous prévient par ses grandes miséricordes.[968].
Une vie bien remplie. Influences.
Mectilde-Catherine de Bar fut active par de nombreuses fondations. Résumons-les : Institut de l’Adoration perpétuelle rue Cassette à Paris[969] où les religieuses s’établirent en 1659, fondations de Toul (1664), agrégation de son monastère de profession de Rambervilliers (1666), agrégation à Nancy (1669), fondations de Rouen (1676-1678), d’un second monastère à Paris (1684), agrégation du Bon Secours de Caen (1685), fondations de Varsovie (1687-1688), de Châtillon (1688) et Dreux (1696)… La fondatrice est accablée et supplie ainsi en 1685 un Prieur en vue d’éviter sa réélection :
La crainte de retomber aux
élections de la Prieure dans cette place que j’ai remplie si indignement,
m’oblige de vous représenter Mon très Révérend Père que je ne trouve en moi
aucune capacité de bien faire […] J’ai deux incommodité[s] qui s’y
oppose[nt] ; la première est que n’ayant plus de dents je ne puis plus parler
qu’avec une très grande peine et sans me pouvoir bien faire entendre, n’ayant
pas la poitrine bonne je ne peux parler si haut, la seconde c’est que je suis
assez sourd[e] […] Les infirmités de l’esprit sont beaucoup plus grandes…[970]
Usée à la fin d’une vie si bien remplie elle se confessa au P. Paulin, le supérieur du couvent du TOR de Picpus et le dépositaire des papiers de Bertot. Le jour de sa mort, vers six heures du matin, ce dernier lui demanda : "Ma Mère, que faites-vous ? À quoi pensez- vous ?" Elle lui répondit par ces deux mots qui ouvrirent jadis sa mission de fondatrice et qu'elle redit si souvent depuis : "J'adore et me soumets".[971]
La mort de la fondatrice à plus de 83 ans précède de peu la création d’un monastère à Rome en (1703)[972]. De nos jours les bénédictines du Saint-Sacrement sont actives en France, Italie, Allemagne, Pologne, et veillent sur la mémoire de leur fondatrice[973]. Il s’agit d’une des trois rivières dont la source commune se situe à l’Ermitage de Caen : cet ordre de bénédictines, la communauté canadienne, la filiation mystique transmise par monsieur Bertot.
Résidant à la fin de sa vie au premier monastère de la rue Cassette dont elle était la supérieure, Mectilde-Catherine était connue et appréciée de Madame Guyon qui déclare à son confident[974] :
« La Mère du Saint-Sacrement
est celle dont je vous ai parlé, qui est l’Ins[ti]tutrice de cet ordre [des
bénédictines du Saint-Sacrement], fut de mes amies et [est] une
s[ain]te. »
Fénelon de son côté écrira à une religieuse à l’occasion de sa mort [975]:
« Elle me disait, elle
m’écrivait, qu’elle ne sentait pas la moindre révolte […] ‘Je sens’
(m’écrivait-elle l’année passée) ‘en moi une disposition si prompte à entrer
dans tous les desseins de Dieu et agréer les états les plus anéantissants
qu'aussitôt qu'il m'y met, je baise, je caresse ce précieux présent’ […]
Conservez la simplicité […]que notre chère Mère [du Saint-Sacrement] vous a
enseignée. »
Le franciscain capucin Louis-François d’Argentan (1615-1680), accéda à de larges responsabilités au sein de son ordre [976]. Il retient l’attention des admirateurs de Bernières à la suite de son activité opiniâtre d’éditeur-corédacteur. Ses réécritures bien adaptées à l’esprit du temps contribuèrent à faire connaître son maître [977]. Son œuvre propre le montre abondant, mais pâle imitateur de Bernières[978]. Glanons toutefois chez lui un beau reflet du maître[979]:
« Ne considérez pas l’humanité
seule, ni aussi la divinité seule séparément, ou l’une après l’autre [...]Si
donc elle contemple l’une et l’autre ensemble, il faut qu’elle ait des images
et qu’elle n’en ait point en même temps, et dans la même simple vue; ce qui
semble impossible... Il participe à nos faiblesses et nous participons à Sa
force [...] vous Le contemplez souffrant et mourant en vous-même, bien mieux et
plus distinctement que vous ne pourriez Le considérer endurant en Jérusalem et
sur le Calvaire. » [I, 268-272].
Zélé éditeur de Bernières, à ses ajouts au sein d’éditions successives correspondent une baisse de la fidélité aux sources provenant de dictées, et par là de qualité, car d’Argentan était moins doué. Il a la grande honnêteté de nous le déclarer en évoquant ses propres écrits :
À mon grand regret, elles [ses
propres Conférences Théologiques] n’allument pas, ce me semble, un si grand feu
dans la volonté, parce qu’elles n’ont pas cette abondance de l’onction divine,
qui se fait goûter par tout le Chrétien Intérieur … qu’il n’est pas en notre
pouvoir de donner à nos paroles, si le saint Esprit ne répand sa grâce sur nos
lèvres [980].
Il nous renseigne aussi avec candeur à nos yeux sur son travail de réécriture. Notre capucin souligne si bien la « fatigue » que ressentent d’honnêtes spirituels non mystiques à la lecture de textes abordant des états intérieurs sans figures !
« N'attendez pas dans ce petit livre [du
Chrétien] une disposition si régulière, ni une liaison si juste des matières
qu'il traite. Il [Bernières] ne parle pas pour instruire personne, il va où
Dieu le conduit, et bien heureux qui le pourra suivre. Et ne m'accusez pas si
je n'ai pas été si exact à écrire tout ce qu'il a dit sur un sentiment que j'ai
quelquefois trouvé plus étendu qu'il ne fallait ; ou si j'ai d'autres fois
ajouté quelques lignes du mien quand Dieu m'en a donné la lumière et que j'ai
cru qu'il était nécessaire pour un plus grand éclaircissement [981]. »
>>Jacques
Bertot Directeur mystique, Textes présentés par Dominique Tronc, coll.
« Sources mystiques », Editions du Carmel, Toulouse, 573 p., 2005.
[Première étude présentant le résultat de recherches sur la ‘vie cachée’ de
monsieur Bertot et la reconstitution du corpus
de ses écrits précède le choix d’un septième de leur volume].
La vie mystique fleurira une deuxième fois autour du célèbre couvent de bénédictines de Montmartre dans le cercle spirituel animé par Bertot et repris par madame Guyon. Notons ici le rôle d’un courant bénédictin entrelacé au courant issu du Tiers Ordre Régulier franciscain. Nous relevons d’autres liens avec le cercle normand, car, outre sa direction par monsieur Bertot, madame Guyon est ouverte à la vie intérieure par “le bon franciscain” Enguerrand, lui-même en relation avec Jean Aumont : c’est une « chaîne parallèle » reliant en deux générations à Bernières. Un remarquable mémoire sur Marie des Vallées est présenté dans le Directeur Mystique accompagnant les écrits de Bertot assemblés par elle puis édités par le groupe de Poiret[982] : son influence est ainsi confirmée tardivement en 1726. Enfin madame Guyon connaît et apprécie la “sainte” Mère du Saint-Sacrement.
Ainsi les liens avec la mouvance franciscaine se sont maintenus : outre l’ouverture à la vie intérieure par “le bon franciscain” Enguerrand, le seul vivant contemporain cité est “l’auteur du Jour mystique” Pierre de Poitiers, franciscain capucin ; enfin les papiers de Bertot furent déposés au couvent franciscain de Nazareth alors dirigé par Paulin d’Aumale avant de parvenir à madame Guyon puis d’être édité par le groupe du pasteur Poiret.
Madame Guyon sera associée mystiquement à Fénelon (1651-1715) et leurs cercles s’établiront en Hollande, Suisse et Allemagne, Écosse. Certes madame Guyon ne put citer Bernières compte tenu de la condamnation post-mortem [983], mais les cercles spirituels s’en souviendront : informés de l’existence à Lausanne d’un groupe suspect de piétisme, les autorités bernoises firent le 6 janvier 1769 une saisie des rares livres et écrits en possession du pasteur Dutoit, second éditeur de madame Guyon, dont la liste prouve la conscience qui demeura de la filiation passant par Bernières puis Bertot [984].
Reprenant de son ami François de Laval la charge de l’archidiaconé d’Évreux, Boudon reçoit le sacerdoce le 1er janvier 1655. Il se met à l’œuvre « jetant l’effroi dans tous les ouvriers d’iniquité et plein de bonté pour les âmes faibles », [985] mais rentre en conflit avec des jansénistes. On échafauda une histoire scandaleuse mettant en cause une veuve mère de famille. Elle entreprit de se justifier par ses écrits et « ce fut un beau tapage ». Il fut ensuite accusé d’avoir eu pour servante une sainte fille déguisée en homme, aussi « on le chansonna sur le Pont-Neuf ». Mais il conservera la confiance et l’appui de Bernières :
Jean déclare à la cohorte ennemie
que Boudon aura toujours un refuge en sa maison, et que lui, Jean, se trouverait
heureux d’être calomnié et persécuté pour lui [986].
L’Archidiacre est cependant déposé
et interdit. Il demeura « dans une humilité admirable jusqu’en 1675, où
son principal accusateur, touché de repentir, se rétracta. » Il reviendra
à la table de son évêque et ce dernier assistera de nouveau à ses prédications…
Boudon est l’auteur d’une très abondante production littéraire[987]. Ses livres eurent un succès extraordinaire et furent traduits en
nombreuses langues. La doctrine - bien exercée par la vie - tient au recours en
« Dieu seul » [988] et en la pratique d’une sainte abjection, au sens de révérence devant la
grandeur divine, où « l’on
reconnaît les doctrines de l’Ermitage. »
Dans
sa jeunesse Claude La Colombière jésuite (1641-1682) connaît l’Ermitage qui est pour lui « un paradis terrestre [989]. » Juste après sa profession jésuite
le 2 février 1675 il est nommé supérieur de Paray-le-Monial où vit la
visitandine Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690). Il en devient « le
directeur par une volonté expresse de Dieu ». Mais il y demeure seulement
dix-huit mois, arrivant à Londres le 13 octobre
1676. Après cinq semaines passées dans le cachot de King’s Bench à la
fin de l’année 1678, expulsé, il rentre à Lyon, épuisé. Revenu à Paray-le-Monial
en septembre 1681, il meurt six mois plus tard, le 15 février 1682 [990].
[Mme de la Peltrie et Mr de Bernières, une entreprise secrète]
Nous utilisons toujours les Annales :
« Les refus de la mère
fondatrice plusieurs fois réitérées pour de nouvelles fondations n'empêchèrent
pas Mme de la Peltrie de lui demander ses conseils et quelqu'une de ces
religieuses pour contribuer au dessein que Dieu lui avait inspiré de fonder une
maison d'ursulines dans la Nouvelle-France à la ville de Québec. Cette
vertueuse veuve en avait consulté plusieurs fois Monsieur de Bernières qui
approuvant fort cette sainte entreprise n'oublia rien de ce qu'il put faire
pour sa réussite et [... qu'ils eussent add.] de fréquents entretiens sur ce
projet se firent toujours si secrètement que personne n'en eut la connaissance.
Ils savaient ce que dit le sage, qu'une affaire déclarée est ordinairement une
affaire échouée. Ce fut avec cette prudente conduite 38 que se conclut en fort
peu de temps la plus grande entreprise que les femmes pussent faire pour la
gloire de Dieu [add. et le salut des âmes]. On peut voir cette histoire fort
particularisée dans la vie de la religieuse Mère de l'Incarnation qui alla
établir ce monastère à l'autre bout du monde avec Mme de la Peltrie. Voici
l'extrait d'une lettre qu'elle écrivit à notre mère fondatrice étant sur le
point de son embarquement qui exprime lieu les sentiments tout divins de son
cœur vers Dieu, que tout ce qu'on en pouvait dire. Comme cette lettre est écrit
de sa main nous la conservons aussi précieusement qu'une relique, la voici mot
à mot.
Suit le texte de la lettre de Mme de la Peltrie [991] :
Ma très chère et honorée sœur, 39 Je serais la plus ingrate du monde si
avant que de m'embarquer je ne vous rendais, mais très humbles devoirs, pour
vous remercier des obligations infinies que je vous ai, et pour vous dire le
dernier adieu […] J’ai prié mon ange gardien visible, Monsieur de Bernières,
votre frère, de vous dire toutes choses. […] Ce 20e septembre 1633
[en fait 1639 !]
« Il faudrait encore citer parmi les
anciens disciples de Bernières à l’Ermitage de Caen Augustin de Saffray de
Mézy, ancien duelliste converti, qui fut le premier gouverneur de la Nouvelle-France
sous l’autorité directe du roi (1663-1665). »[992]
« C'est une figure très originale [993]; après avoir été « plongé dans le siècle » , après avoir passé pour un duelliste raffiné, il finit par édifier même Mme de Longueville. C'est M. de Bernières, son ami intime, qui l'a conquis à la vie de la grâce. Il prend à l'Ermitage de telles leçons d'humilité que, aux processions, il aime à porter la croix des Capucins ; il devient l'ami de cœur du pauvre Boudon, du futur évêque de la Nouvelle-France. La Compagnie du Canada ayant donné son territoire au Roi, Louis XIV laisse l'évêque de Québec choisir lui-même le premier gouverneur : Mgr de Laval se rappelle son ancien confrère de l'Ermitage, et en 1663 l'emmène avec lui au Canada. Comme signe de particulière confiance, l'évêque donne au gouverneur une clef de son séminaire pour qu’il y puisse venir à toute heure […] les deux amis cessèrent vite de s’entendre, le Roi ayant commis l’imprudence de donner la présidence du Conseil au gouverneur et à l’évêque […] Un jour, dans une discussion plus violente que d'habitude, M. de Mézy accable Mgr de Laval des plus grossières injures, et lui jette à la tète la propre clef du Séminaire. M. de Mésy, on le voit, n'avait pas encore tout à fait « dépouillé le vieil homme » ; il était fort vif. Pourtant il n'avait pas oublié complètement les beaux jours de l'Ermitage. Lorsque, en février 1665, il se sentit près de mourir, il se fit transporter à l'Hôtel-Dieu fondé par l'évêque, dans la salle des pauvres. Il fit venir Mgr de Laval pour une réconciliation sincère. Il se confessa à lui, il eut le temps de rétracter publiquement tout ce qu'il avait dit ou écrit contre le clergé et son chef; il mourut enfin, le 5 mai, dans les bras de l'évêque, et fut enterré, suivant sa volonté, dans le cimetière des pauvres. »
Louis Ango des
Maizerets qui avait accompagné Mgr de Laval en 1663, au retour de son voyage en
France, et qui fut désigné comme premier assistant du supérieur [994]
« Celui-ci descend des grands marchands de Dieppe [995], de ces Ango qui traitent d'égal à égal avec les rois. Sa famille possède un château à Argentan [996]. Il fait ses études à La Flèche, où il entre dans la congrégation du Père Bagot. Il se retrouve à Paris avec ses amis de collège, et fonde avec eux une espèce de petite communauté au faubourg Saint-Marceau. En 1652 la guerre civile les force à quitter Paris ; ils vont se réfugier au château de M. de Maizerets. Au bout de quelques mois, les amis se séparent : quelques-uns retournent à Paris, tandis que Louis Ango, avec d'autres, entre à l'Ermitage. Tout en restant un homme du monde aux manières prévenantes, alliant la politesse la plus parfaite à la simplicité, il se pénètre de l'esprit de la maison ; il y prend le goût de la vie pénitente et mortifiée. Puis, à la dispersion de l'Ermitage, après la mort de M. de Bernières, il va faire son séminaire à Paris, aux Bons-Enfants : ordonné prêtre, il se sent peu à peu envahi par le désir d'aller retrouver au Canada ses anciens confrères de Caen, le neveu de M. de Bernières, et Morel, et Dudouyt, et l'évêque de Pétrée ; Mgr de Laval, pendant un de ses séjours en France, le décide ; Ango quitte tout, famille, patrie. Sur le vaisseau qui l'emmène au Canada, le scorbut éclate : M. de Maizerets tombe si gravement malade que ses amis font pour lui un vœu à saint Ignace et à saint François-Xavier : il est sauvé. À partir de ce moment, sa vie se confond avec celle de l'Église du Canada, avec celle du « séminaire » que Mgr Laval a fondé là-bas, à l'imitation de l'Ermitage ; à ce séminaire il donne tout, et d'abord sa fortune : « Nos biens étaient communs avec ceux de l'évêque, écrit-il. Je n'ai jamais vu faire parmi nous aucune distinction du pauvre et du riche ni examiner la naissance et la condition de personne, nous regardant tous comme frères`. » Il donne aussi son travail, sa santé, sa vie. Il finit par être frappé d'une hémiplégie qui lui ôte l'usage de la parole : « En quoi, dit une chronique manuscrite du séminaire, Dieu l'a voulu purifier », car on l'accuse d'être un peu indiscret 3. C'est sa concession à la faiblesse humaine. Par ailleurs c'est un homme fort, qui, pendant près de cinquante ans, se dévoue à l'éducation des enfants. Il les aime d'une tendresse presque féminine, qui éclate surtout au moment de sa fin : il pleure en les voyant autour de son lit de mort, et il leur donne sa bénédiction sans pouvoir parler. »
l’Ermitage de Caen, en plus de François de
Laval : Henri de Bernières qui en fut le premier supérieur et occupa cette
charge à quatre reprises, en tout pendant 25 années ;[997]
« . Il part pour le Canada en même temps que l'évêque de Pétrée : « C'est un jeune gentilhomme qui ravit tout le monde par sa modestie », écrit la Mère Marie de l'Incarnation. Il se dévoue à l'Église de la Nouvelle-France, « faisant voir par ses vertus, dit une Ursuline de Québec, le fruit qu'avait produit en lui l'éducation qu'il avait reçue de son saint oncle, M. de Bernières ». II meurt à Québec le 3 décembre 17002. »[998].
Les Annales en parlent ainsi :
42-(60) […] Monsieur de Bernières
ne pouvant aller conduire à Québec Mme de la Peltrie, lui donna un autre
lui-même pour lui servir d'ange visible, ce fut son neveu fils de M.
Dacqueville, seul dans la famille qui se soit engagé dans les ordres sacrés ;
déjà il était diacre quand son saint oncle conduisit la fondatrice des
ursulines en la Nouvelle-France, et pour lui donner un aumônier de vaisseau
dont il fut sûr, il inspira au jeune diacre de se faire prêtre pour se
sacrifier à cette nouvelle mission. La chose ne fut pas difficile à lui
persuader étant naturellement fort porté au bien, il reçut la proposition, et
aussitôt la mit en effet. Une seule difficulté (61)-43 s'opposaient à son pieux
dessein, Madame sa mère qui l'aimait extrêmement et qui était charmé d'avoir un
fils consacré aux autels, se faisait une forte anticipée quand elle pensait à
lui voir dire sa première messe, et à participer tous les jours à son
sacrifice. C'était un grand embarras que de lui déclarer cette nouvelle
vocation pour tirer son consentement. L'on crut qu'étant aussi vertueuse
qu'elle l'était elle ne s'y opposerait pas absolument. Mais pour éviter les
obstacles qui auraient pu apporter quelque retardement Monsieur de Bernières
animé de l'esprit de Dieu se faisant fort du consentement le fit embarquer, et
revint en apporter lui-même la nouvelle à Madame sa mère, guérissant à même
temps par des saintes industries la plaie qu'il avait faite. C'est ce que j'ai
cru rapporter plus d'une fois à Madame Dacqueville sa mère, qui eut la
consolation après vingt ans d'absence de le revoir en ce pays, à la vérité pour
peu de temps et seulement pour chercher les moyens de donner une partie 44-(62)
de son bien au séminaire des missions de Québec, où il retourna incessamment
pour y tenir jusqu'à sa mort la place de grand vicaire et de supérieur des
ursulines et hospitalières de cette ville, où il finit sa sainte vie dans les
travaux, et la rigueur d'un hiver qui fit mourir beaucoup de personnes en ce
pays. Ce fut en 1701.
Jean Dudouyt, débarque à Québec au cours de
l’été ou à l’automne de 1662 et nommé procureur du Séminaire en 1664.[999]
« Nous sommes certains de l'affiliation de l'abbé Jean Dudouyt [1000], un des plus grands missionnaires du Canada. De taille moyenne, il a l'œil vif, la figure ascétique, le maintien grave et digne. Il aurait pu avoir des ambitions mondaines : il a tout quitté pour entrer à l'Ermitage [1001]. La vie austère qu'on y mène l'attire, comme aussi l'intransigeance dans l'orthodoxie. Dangereusement malade, il voit s'approcher de son lit, pour lui donner le viatique, le curé d'une paroisse de Caen, véhémentement soupçonné de jansénisme. Dudouyt refuse absolument de communier de sa main : on est obligé d'aller chercher un autre prêtre. Tant de vigueur agrée au futur évêque de Québec ; Dudouyt finit par aller rejoindre Mgr de Laval dans son vicariat apostolique D'esprit pratique, ayant le sens administratif, Dudouyt devient le bras droit de son évêque. Il se distingue surtout dans une mission de confiance que lui a donnée Mgr de Laval : Dudouyt revient à Paris, chargé de traiter avec Colbert la grave question de l'eau-de-vie au Canada. L'évêque de Québec, qui ne voit que l'intérêt religieux, condamne la traite ; Colbert, qui ne cherche que l'intérêt fiscal, approuve les traitants.
Les lettres de Dudouyt à son évêque reflètent la pure doctrine de l'Ermitage. Il y a là beaucoup plus que la moyenne de l'esprit catholique [1002]. Avec une entière liberté, Dudouyt ose, par exemple, lamer les procédés qu'emploie un frère de l'évêque, Henri de Laval, prieur de la Croix, notamment à propos d'un procès que ce frère soutient pour le prieuré de Tournay : « Cette affaire est assez douteuse... Je ne sais quelle en sera l'issue. Il serait à souhaiter qu'il ne s'y fût pas engagé. Il vaudrait beaucoup mieux se disposer à bien mourir... Cela n'édifie pas. » Même liberté dans les conseils un peu autoritaires que cet homme apostolique envoie à Mgr de Laval : « Je bénis Dieu, avec tous vos amis, de vous avoir conservé pour le bien de son Église, et le prie de vous donner des grâces et des années pour affermir ce que vous avez si heureusement établi. Votre âge et vos indispositions ne vous permettent pas de supporter de si grands travaux. Il faut les modérer, et prendre les soulagements nécessaires pour travailler plus longtemps au salut des âmes que Notre-Seigneur vous a confiées [1003]. » Peu de prêtres écriraient sur ce ton à leur évêque, quand même ce ne serait pas un Montmorency-Laval. Il y a là comme un souvenir de la primitive Église ; ou peut-être encore est-ce un reste de l'amitié spirituelle qui les unissait à l'Ermitage ; d'avoir été tous deux les élèves de M. de Bernières entretenait entre eux une de ces amitiés de séminaire qui résistent aux différences de la hiérarchie. Puis Dudouyt a sa grandeur propre : c'est, dit-on au Canada, « l'un des plus grands ecclésiastiques que Mgr de Laval ait employés [1004]. » Revenu à Paris, il s'y considère comme en exil, séparé qu'il est de son évêque, et de ce Séminaire de Québec qui est la reconstitution lointaine de l'Ermitage. En 1677 il supplie Mgr de Laval de le rappeler : « L'on pourra vous écrire qu'il serait à propos que je reste encore quelque temps en France; mais il n'y faut pas acquiescer... Il ne serait pas d'édification que je restasse plus longtemps en France [1005]. » Il y mourut pourtant; mais Mgr de Laval rapporta au Canada le cœur de son fidèle compagnon, de celui qui l'avait aidé à fonder l'Église de Québec ; pour ne pas être tout à fait séparé de son ami, l'évêque inhuma ce cœur dans sa cathédrale [1006]. »
Mgr de Laval sera présenté vendredi
par dom Thierry Barbeau.
M. de Laval demeura quatre ans chez
M. de Bernières , & y mena la vie la plus recueillie & la plus austère.
L'oraison, l'étude, les conférences spirituelles n'y étaient interrompues que
par les visites qu'il rendait assidûment aux malades de l'Hôtel-Dieu.
Troisième bras du « delta spirituel »
L’évêque fondera un Ermitage à Québec à l’image de celui qui
l’a formé à Caen [1007].
Il donnera une dernière marque de
l’estime et de la confiance qu’il portait envers François de Laval en lui
demandant d’emmener avec lui l’un de ses neveux, Henri, le fils de son frère
cadet, Pierre, le sieur d’Acqueville que nous venons de présenter.
On lira l’appréciation donnée de
Laval par Marie de l’Incarnation, en 1659 :
C’est une consolation d’avoir un
homme dont les qualités personnelles sont rares et extraordinaires. … Il ne
sait ce que c’est que respect humain. Il est pour dire la vérité à tout le
monde, et il la dit librement dans les rencontres. Il fallait ici un homme de
cette force pour extirper la médisance…
Citons seulement un exemple de belle
conformité à la grâce divine : Mgr de Saint-Vallier avait sur le Séminaire des
vues différentes de son prédécesseur François et en entreprit la refonte. À
l’automne 1689, le vieil évêque se confiait ainsi à l’abbé Milon, prêtre
du Séminaire des Missions étrangères de Paris :
Vous jugerez bien, mon cher
Monsieur, que s’il y a eu jamais une croix amère pour moi, c’est celle-ci,
puisque c’est l’endroit où j’ai toujours dû être le plus sensible, je veux dire
le renversement du Séminaire, que j’ai toujours considéré, comme en effet qu’il
l’est, comme l’unique soutien de cette Église et tout le bien qui s’y fait. […]
Mais au milieu de toutes ces agitations, nous ne devons pas nous abattre si les
hommes ont du pouvoir pour détruire, la main de Notre-Seigneur est infiniment
plus puissante pour édifier. Nous n’avons qu’à lui être fidèles et le laisser
faire[1008].
Après avoir situé tour à tour les figures associées à l’Ermitage normand, nous voulons maintenant préciser ce qui les unit. La vie mystique ne se prêtant pas à une approche thématique voire une théorie des idées, nous préférons insister sur les liens établis entre deux mystiques. Plus précisément entre aînés et cadets comme enseignement qui se doit d’être adapté à chacun même s’il s’avère utile à d’autres.
Nous choisissons les quelques directions dont nous avons des traces écrites:
Bernières dirigé par Chrysostome et conseillé par trois figures féminines : Marie des Vallées, Marie de l’Incarnation, Charlotte le Sergent.
Mectilde dirigée par le même Chrysostome et conseillée par la même Charlotte.
François de Laval et Mectilde dirigés par Bernières devenu à son tour un « aîné ».
Nous avons déjà vu un canadien conseillé par Bertot.
Nous n’avons pas le temps de nous pencher sur Mectilde dirigeant de nombreuses bénédictines ou Bertot dirigeant Mme Guyon…
Le tableau des figures que nous avons présenté tout à tour en première intervention adoptait la forme d’un damier : cette présentation matricielle assurait verticalement un déroulement et regroupait horizontalement par affinités.
Il ne laissait pas voir les recouvrements qui permettent des influences entre figures par contacts répétés durant de nombreuses années. Aussi une présentation synchronique s’impose tout en rendant moins claires les filiations :
<<
Benoît de Canfield (1562-1610) capucin
<<
Antoine le Clerc (1563-1628) laïc
1590
Marie des Vallées, « sœur Marie »….……1656
1594
JEAN-CHRYSOSTOME fr.TOR 1646
1596 Jourdaine de Bernières = M. Ste Ursule
ursuline…1670
1599
MARIE DE L’INCARNATION [du Canada] ursuline 1672
1601 Jean Eudes, Congrégation des Eudistes…… 1670
1602 JEAN DE BERNIÈRES, laïc…………1659
1604 Charlotte le Sergent,
bénédictine………………….. 1677
Archange Enguerrand (1631-1699), Directeur franciscain récollet et « Bon religieux » auprès de Madame Guyon, Dossier assemblé par Dominique Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », 2017, 196 p.
Étude et Lettres par A. Derville, S.J.
Archange Enguerrand,
né en 1631, entre chez les Récollets à seize ans et accomplit probablement son
noviciat au couvent de Paris. Une lettre écrite à l’âge de vingt-cinq ans
évoque sa première messe. Neuf ans plus tard, il part en Italie, passe à Rome,
à Sienne, séjourne jusqu’en 1668 au mont Alverne, célèbre « désert »
franciscain. Revenant en France, âgé de trente-sept ans, il rencontre à
Montargis madame Guyon, âgée de vingt ans, mais qui avait déjà accompli une
première recherche spirituelle ; il l’introduit à la vie intérieure :
De loin qu'il me vit, il demeura tout interdit, car il était fort exact à ne point voir de femmes, et une solitude de cinq années dont il sortait ne les lui avait pas rendues peu étrangères. Il fut donc fort surpris que je fusse la première qui se fut adressée à lui, ce que je lui dis augmenta sa surprise, ainsi qu'il me l'avoua depuis, m'assurant que mon extérieur et la manière de dire les choses l'avaient interdit, de sorte qu'il ne savait s'il rêvait. […] Il fut un grand temps sans me pouvoir parler. Je ne savais à quoi attribuer son silence. Je ne laissai pas de lui parler et de lui dire en peu de mots mes difficultés sur l’oraison. Il me répliqua aussitôt : « C'est, Madame, que vous cherchez au-dehors ce que vous avez au-dedans. Accoutumez-vous à chercher Dieu dans votre coeur et vous l'y trouverez.[1009] » En achevant ces paroles, il me quitta disant qu’il allait chercher des écrits afin de me les donner. Il m’a dit depuis que c’était bien plutôt la surprise afin que je ne m’aperçusse pas de son interdiction[1010] / Le lendemain matin, il fut bien autrement étonné lorsque je fus le voir et que je lui dis l'effet que ses paroles avaient fait dans mon âme ; car il est vrai qu'elles furent pour moi un coup de flèche qui percèrent mon cœur de part en part. Je sentis dans ce moment une plaie très profonde, autant délicieuse qu'amoureuse…[1011].
Le « bon
religieux fort intérieur de l'ordre de Saint François », qui restera
probablement quelques mois au couvent de Récollets de cette ville, lui fera
rencontrer la Mère Granger, supérieure du couvent des Ursulines qui la
prendra en charge, puis lui fera connaître quelques années plus tard monsieur
Bertot. Par la suite madame Guyon reverra Archange à Corbeil, en 1681 : il
la préviendra - judicieusement au vu des événements qui suivront près de Genève
- contre les Nouvelles Catholiques au moment où elle se rend à Gex.
Enfin elle le demandera comme confesseur lors de son emprisonnement, en
1696 :
En cette extrémité, je demandai un confesseur pour mourir en chrétienne. L’on me demanda qui je souhaitais ; je nommai le P. Archange Enguerrant [sic], récollet d'un grand mérite, ou bien un jésuite. Non seulement on ne voulut m'en faire venir aucun, mais on me fit un crime de cette demande.[1012].
Gardien du couvent de
Saint-Denis (1670-1672), prédicateur assez réputé en 1677, provincial en 1683
de la province de Saint-Antoine (Artois, Hainaut et Flandre française), il est
ensuite exilé dix ans à l’autre extrémité du royaume à Saint-Jean-de-Luz, à la
suite d’une affaire ayant provoquée une intervention de la Cour. En 1694 il est
chargé de la communauté des sœurs visitandines « de Saint
Antoine » : « C’est à quoi je ne suis plus guère propre après
dix ans d’exil ». Il meurt à Paris le 23 avril 1699.[1013]
Archange Enguerrand se rattache par
l’intermédiaire de son maître Jean Aumont au réseau de « l’école du cœur[1014] »,
issu de l’Ermitage fondé à Caen par monsieur de Bernières. Jean Aumont
fut un temps tiercelin, et toujours disciple de Jean-Chrysostome de Saint-Lô,
père spirituel de cette société d’amis. Il fut en relation avec Le Gall du
Querdu et Mectilde, la « mère du Saint-Sacrement » estimée de madame
Guyon, réformatrice bénédictine qui promeut l’adoration perpétuelle, sujet du
premier ouvrage imprimé d’Archange [1015].
Ce réseau informel est une école cordiale en ce sens qu’elle veut aller
directement au cœur, sans aucune spéculation, mais par tous les moyens, dont
ceux d’une symbolique affective : les gravures de l’Agneau occis du
« simple vigneron » en sont l’illustration. « Le cœur purifié et vidé de l’amour
propre est dans son fond le lieu de l’union à Dieu [1016]. »
Selon les bons connaisseurs du XVIIe
siècle E. Longpré et A. Rayez [1017],
Enguerrand est l’une des deux personnalités marquantes des Récollets [1018] et
« ses inédits le classent parmi les grands spirituels du siècle ». Je
renvoie pour les sources textuelles[1019]
à leur description par André Derville qui édite aussi, outre un échange avec
Jean Aumont[1020], à
l’époque le « pauvre villageois de Montmorency », des lettres à des
religieuses datant de la jeunesse d’Archange. L’ensemble donne un aperçu précis
sur la vie d’un Récollet à la fin du siècle en France et en Italie, et témoigne
également d’expériences d’amour du début de la vie mystique [1021].
Cette étude intitulée « un Récollet français méconnu » suit ma brève
introduction.
Je m’attache à une
série suivie de lettres de direction datant de la maturité avancée. La seconde
série de direction de la sœur Marguerite-Angélique, qui vivait très
probablement au couvent de Saint-Denis, comporte soixante-dix lettres datées[1022].
On est devant ce qui
se fait de mieux dans l’esprit austère de la spiritualité du martyre intérieur,
lieu commun de la fin du grand siècle français[1023]. On
perd de vue la joie franciscaine parce qu’il s’adresse à une dirigée religieuse
avancée dans la voie mystique – ou du moins le suppose-t-il.
Toutefois sa direction
s’avère moins « janséniste [1024] »
que d’autres de la même époque, sans parler du dessèchement spirituel propre au
siècle suivant. La ressemblance avec les lettres de Nicolas Barré de la même
époque est frappante – avec toutefois, à l’avantage d’Enguerrand, une moins
grande crispation : parce que ce dernier fait appel chez sa dirigée à l’abandon
« quiétiste » ? En tout cas commun à tous les membres de
« l’école du cœur ». Cette dernière est d’ailleurs scrupuleuse ce qui
explique en partie l’attitude du directeur.
Je ne dispose pas du
temps nécessaire à consacrer à l’Archange de l’« école du cœur » pour
compléter le présent dossier. Il est déjà fort solide grâce à A. Derville. Il faudra un jour tenir compte de manuscrits
importants répertoriés dans son étude[1025]. Cette unique approche profonde d’Enguerrand
est difficilement accessible, elle est donc reprise intégralement à la suite de
ma brève introduction.
Ce dossier Archange Enguerrand s’inscrit dans un
ensemble de sources qui éclairent les compagnes et les compagnons importants de
Madame Guyon. Ses volumes sont pour l’instant édités à l’unité à faible coût en
ligne (parfois hors commerce, tant que la prise en compte de droits d’éditions
récentes ne sont pas résolue ; ce qui est le cas pour les correspondances
du Fénelon mystique).
Cette série de sources
par figures couvre, outre Fénelon, la « petite duchesse » de
Mortemart, des Écossais (réédition du travail érudit d’Henderson), le
confesseur Lacombe (intégrale de ses oeuvres), Saint-Simon (extraits des Mémoires relatifs aux membres
quiétistes), des disciples « cis » et « trans » au siècle
des Lumières, etc. Je construis ainsi le « premier cercle » des
proches qui témoignent du rôle mystique assuré par madame Guyon. Ce travail
servira aux études à venir par d’autres.
Maintenant, place au
travail demeuré caché d’André Derville. Il fait revivre le compagnon éveilleur
de Madame Guyon à un moment crucial de sa vie mystique.
Je reprend mon édition de la Vie par elle-même[1026], première partie, chapitre huitième :
[…]
1.8 RENCONTRE ET EVEIL INTERIEUR[1027]
[…]
[5.] Je parlais
souvent à mon confesseur de la peine que j'avais de ne pouvoir méditer ni me
rien imaginer. Les sujets d’oraison trop étendus m'étaient inutiles et je n'y
comprenais rien : ceux qui étaient fort courts et pleins d'onction
m'accommodaient mieux. Ce bon père ne me comprenait pas et je croyais que
c’était que je ne pouvais me faire entendre. Enfin Dieu permit qu'un bon
religieux fort
intérieur de l'ordre de Saint François[1028]
passa où nous étions. Il voulait aller par un autre endroit, tant pour abréger
le chemin qu'afin de se servir de la commodité de l'eau qui lui aurait exempté
la peine d’aller à pied, mais une force secrète lui fît changer de dessein, et
l'obligea de passer par le lieu de ma demeure. Il vit bien d'abord qu'il y
avait là quelque chose à faire pour lui. Il se figura que vous l’appeliez là, ô
mon Dieu, pour la conversion d'un homme de considération à laquelle il avait
déjà travaillé autrefois dans le séjour qu’il avait fait dans cet endroit; il
se résolut de l’attaquer sans relâche mais ses efforts furent aussi inutiles
que la première fois : c'était la conquête de mon âme que vous vouliez faire
par lui. O mon Dieu, il semble que vous oubliiez tout le reste pour ne penser
qu'à ce coeur ingrat et infidèle. Sitôt que ce bon religieux fut arrivé au
pays, il alla voir mon père qui en
eut un contentement extrême, car mon père étant autant à vous qu’il était, se
faisait un très grand plaisir de voir des personnes qui vous aimaient purement,
ô mon Dieu ! Mon père m’aimait d’une extrême tendresse et la mort de ma mère avait
même augmenté son affection pour moi parce que je fus engagée par là à lui
rendre certains devoirs que je ne lui eusse pas rendu si ma mère eût été
vivante.
[…]
Mon père, ainsi que je l’ai dit, m’aimait fort
et m’aimait uniquement. Il crut ne m'en pouvoir donner une marque plus solide
qu'en me procurant la connaissance de ce bon religieux. Il me dit ce qu'il
connaissait de ce saint homme et
qu'il voulait que je le visse. J'en fis d'abord bien de la difficulté parce que
je n'allais jamais voir de religieux. Je croyais devoir en user de la sorte
afin d'observer les règles de la plus rigoureuse sagesse. Cependant les
instances de mon père me tinrent lieu d'un commandement absolu. Je crus que je
ne pouvais me mal trouver d'une chose que je ne faisais que pour lui obéir.
[6.] Je pris avec
moi une de mes parentes, et j'y allai. De loin qu'il me vit, il demeura tout
interdit car il était fort exact à ne point voir de femmes, et une solitude de
cinq années dont il sortait[1029] ne les lui avait pas
rendues peu étrangères. Il fut donc fort surpris que je fusse la première qui
se fut adressée à lui, ce que je lui dis augmenta sa surprise, ainsi qu'il me
l'avoua depuis, m'assurant que mon extérieur et la manière de dire les choses
l'avaient interdit, de sorte qu'il ne savait s'il rêvait. Il n'avança qu'à
peine, et je crois que s’il n’eût appréhendé d’offenser la maison de qui ces
religieux tiraient presque toute leur subsistance, outre que leur maison avait
été établie par la famille, sans cette appréhension dis-je, il ne serait point
venu. Il fut un grand temps sans me pouvoir parler. Je ne savais à quoi
attribuer son silence. Je ne laissai pas de lui parler et de lui dire en peu de
mots mes difficultés sur l’oraison. Il me répliqua aussitôt : C'est, Madame, que vous cherchez au-dehors
ce que vous avez au-dedans. Accoutumez-vous à chercher Dieu dans votre coeur et
vous l'y trouverez. En achevant ces paroles, il me quitta disant qu’il
allait chercher des écrits afin de me les donner. Il m’a dit depuis que c’était
bien plutôt la surprise afin que je ne m’aperçusse pas de son interdiction[1030].
[7.] Le lendemain
matin, il fut bien autrement étonné lorsque je fus le voir et que je lui dis
l'effet que ses paroles avaient fait dans mon âme ; car il est vrai qu'elles
furent pour moi un coup de flèche qui percèrent mon cœur de part en part. Je sentis dans ce moment une
plaie très profonde, autant délicieuse qu'amoureuse; plaie si douce, que je
désirais n'en guérir jamais. Ces paroles mirent dans mon cœur ce que je cherchais depuis tant d'années ou
plutôt elles me firent découvrir ce qui y était et dont je ne jouissais pas
faute de le connaître. O mon Seigneur, vous étiez dans mon cœur et vous ne
demandiez de moi qu'un simple retour au-dedans pour me faire sentir votre
présence. O bonté infinie, vous étiez si proche, et j'allais courant çà et là
pour vous chercher, et je ne vous trouvais pas. Ma vie était misérable et mon
bonheur était au-dedans de moi, j'étais dans la pauvreté au milieu des
richesses et je mourais de faim près d'une table préparée et d'un festin
continuel. O beauté ancienne et nouvelle, pourquoi vous ai-je connue si tard.
Hélas ! je vous cherchais où vous n'étiez pas et je ne vous cherchais pas où
vous étiez. C'était faute d'entendre ces paroles de votre Evangile, lorsque
parlant de votre royaume sur la terre vous dites : Le Royaume de Dieu n'est point ici ou là, mais le Royaume de Dieu est
au-dedans de vous[1031]. Je l'éprouvai bien
d'abord car dès lors vous fûtes mon roi, et mon coeur devint votre royaume, où
vous commandiez en souverain et où vous faisiez toutes vos volontés. Car ce que
vous faites dans une âme lorsque vous y venez comme roi, est le même que vous
fîtes venant au monde pour être roi des Juifs. Il est écrit de moi, dit ce divin roi, à la tête du livre, que je ferai votre volonté[1032]. C'est ce qu'il écrit
d'abord à l'entrée du coeur où il vient régner.
[8.] Je dis à ce bon
père, que je ne savais pas ce qu'il m'avait fait, que mon coeur était tout
changé, que Dieu y était, et que je n'avais plus de peine à le trouver; car dès
ce moment il me fut donné une expérience de sa présence dans mon fond, non par
pensée ou par application d'esprit, mais comme une chose que l'on possède
réellement d'une manière très suave. J'éprouvais ces paroles de l'Epouse des
Cantiques : Votre nom est comme une huile
répandue; c'est pourquoi les jeunes filles vous ont aimé[1033]: car je sentais
dans mon âme une onction qui, comme un baume salutaire, guérit en un moment
toutes mes plaies, et qui se répandait même si fort sur mes sens, que je ne
pouvais presque ouvrir la bouche ni les yeux. Je ne dormis point de toute cette
nuit parce que votre amour, ô mon Dieu, était non seulement pour moi comme une
huile délicieuse, mais encore comme un feu dévorant qui allumait dans mon âme
un tel incendie qu'il semblait devoir tout dévorer en un instant. Je fus tout à
coup si changée que je n'étais plus reconnaissable ni à moi-même ni aux autres,
je ne trouvais plus ni ces défauts ni ces répugnances : tout me paraissait
consumé comme une paille dans un grand feu.
[9.] Ce bon père ne
pouvait cependant se résoudre de se charger de ma conduite quoiqu'il eût vu un
changement si surprenant de la droite de Dieu. Plusieurs raisons le portaient à
s'en défendre. La première était mon extérieur, qui lui donnait beaucoup
d'appréhension. La seconde était ma grande jeunesse, car je n'avais que
dix-neuf ans, et la troisième une promesse qu'il avait faite à Dieu par défiance
de lui-même, de ne se charger jamais de la conduite d'aucune personne du sexe à
moins que Notre-Seigneur ne l'en chargeât par une providence particulière. Il
me dit donc, sur les instances que je lui fis afin qu'il me prît sous sa
conduite, de prier Dieu pour cela, qu'il le ferait de son côté. Comme il était
en oraison, il lui fut dit : Ne crains
point de te charger d'elle, c'est mon Epouse. O mon Dieu, permettez-moi de
vous dire que vous n'y pensiez pas. Quoi ! votre épouse, ce monstre
effroyable d'ordure et d'iniquité qui n'avait fait que vous offenser, abuser de
vos grâces et payer vos bontés d'ingratitude ? Ce bon père me dit après
cela, qu'il voulait bien me conduire.
[10.] Rien ne
m'était plus facile alors que de faire oraison : les heures ne me duraient que
des moments et je ne pouvais ne la point faire : l'amour ne me laissait pas un
moment de repos. Je lui disais : “O mon Amour, c'est assez, laissez moi!” Mon
oraison fut dès le moment dont j'ai parlé vide de toutes formes, espèces et
images; rien ne se passait de mon oraison dans la tête, mais c'était une
oraison de jouissance et de possession dans la volonté, où le goût de Dieu
était si grand, si pur et si simple, qu'il attirait et absorbait les deux
autres puissances de l'âme dans un profond recueillement, sans acte ni
discours. J'avais cependant quelquefois la liberté de dire quelques mots
d'amour à mon Bien-Aimé; mais ensuite tout me fut ôté. C'était une oraison de
foi savoureuse qui excluait toute distinction, car je n'avais aucune vue ni de
Jésus-Christ, ni des attributs divins : tout était absorbé dans une foi
savoureuse, où toutes distinctions se perdaient pour donner lieu à l'amour
d'aimer avec plus d'étendue, sans motifs, ni raisons d'aimer. Cette souveraine
des puissances, la volonté, engloutissait les deux autres puissances, et leur
ôtait tout objet distinct pour les mieux unir en elle, afin que le distinct, en
ne les arrêtant pas, ne leur ôtât pas la force unitive, et ne les empêchât pas
de se perdre dans l'amour. Ce n'est pas qu'elles ne subsistassent dans leurs
opérations inconnues et passives, mais c'est que la lumière générale pareille à
celle du Soleil, absorbe toutes lumières
distinctes, et les met en obscurité à notre égard, parce que l'excès de sa
lumière les surpasse toutes.
ANDRÉ
DERVILLE, S.J., UN RÉCOLLET FRANÇAIS MÉCONNU: ARCHANGE ENGUERRAND
Extractum ex
Periodico Archivum Franciscanum Historicum An. 90 (1997)
Grottaferrata
(Roma), 1997
UN RÉCOLLET FRANÇAIS
MÉCONNU : ARCHANGE ENGUERRAND
Cet article
voudrait attirer l'attention sur la vie et l'oeuvre d'Archange Enguerrand,
récollet de la province de Saint-Denis (Paris) dans la seconde moitié du 17e
siècle. Jusqu'à présent il n'a été aperçu qu'à travers le «bon religieux» dont
Madame Guyon parle, sans le nommer, avec éloge et reconnaissance dans son
Autobiographie /1 [1034]: c'est lui qui l'introduisit à la vie
spirituelle intérieure. De leur côté, les bibliographes connaissent de lui deux
petits ouvrages devenus rares. Surtout, le premier, le P. Éphrem Longpré a
révélé l'existence de quatre manuscrits de notre récollet (Dictionnaire de
spiritualité, t. 5, col. 1640); ils sont conservés à la Bibliothèque Mazarine
de Paris et à celle des Jésuites, aux Fontaines (Chantilly). Nous en avons
repéré deux autres, d'intérêt mineur.
Commençons par
présenter l'oeuvre écrite aujourd'hui connue, car c'est essentiellement d'elle
que nous pouvons préciser les événements et les étapes de la vie d'Enguerrand.
En effet, l'historiographie imprimée des Récollets français au 17e siècle est
peu prolixe à son sujet. L'ouvrage principal ici est celui d'Hyacinthe Le
Febvre /2: il le nomme dans diverses listes, mais, publié en 1677, il ne dit
rien des quelque vingt dernières années d'Enguerrand mort en 1699. La
présentation de l'oeuvre donnera en même temps une idée des genres abordés par
la plume d'Enguerrand.
Ensuite nous
rassemblerons les éléments biographiques en une esquisse de la vie et nous
donnerons quelque idée de la doctrine spirituelle.
/1
L'identification de ce «bon religieux» comme étant Enguerrand est faite par
FRANÇOIS HÉBERT (1651-1728), Mémoires d'un curé de Versailles, publiés par G.
Girard, Paris 1927, 213.
/2 H. LE
FEBVRE, Histoire chronologique de la province des Récollets de Paris..., Paris,
D. Thierry, 1677.
178 [1035]
Enfin nous
présenterons et éditerons quelques textes spirituels, non pas très développés,
ce qui demanderait plus d'espace que n'en peut offrir un article de revue, mais
des textes révélateurs de sa manière, de son style et de son aventure
spirituelle /3.
Enguerrand a
publié deux ouvrages que nous présentons rapidement /4. Le premier est de type
spirituel: Instruction pour les personnes qui se sont unies à l'esprit et au
dessein de dévotion de l'adoration perpétuelle du Saint Sacrement établie dans
la Congrégation des religieuses bénédictines (Paris, J. Henault, 1673, in-4°,
pièces préliminaires, 181 p.). Les éditions suivantes (Paris, J. Villery, 1677,
à laquelle nous nous référons; Paris, J. Guilletot, 1700 et 1702) portent un
titre différent: L'adoration perpétuelle du T Saint-Sacrement, qui est de faire
réparation d'honneur et Amende honorable à Jésus-Christ sur les autels... La 4e
édition est «augmentée d'une pratique de piété pour honorer et adorer le S.
Sacrement de l'autel, avec des élévations vers Jésus Christ caché dans
l'Eucharistie».
L'adoration
perpétuelle du Saint-Sacrement fut établie dans les années 1650 par Mechtilde
du Saint-Sacrement, fondatrice de la congrégation bénédictine du même nom (voir
Dictionnaire de spiritualité, t. 10, col. 885-888). Dans sa vie et ses oeuvres
nous n'avons pas trouvé mention d'Enguerrand. L'aspect réparateur de la
dévotion est présent dès la fondation /5. L'ouvrage est destiné aux «personnes
associées à l'Institut ... des Bénédictines» (Approbation de l'évêque de
Pétrée, François de Montmorency-Laval, premier évêque du Canada), et non aux
religieuses elles-mêmes.
Après de
nombreuses pièces préliminaires, le eoips de l'ouvrage s'organise autour de
trois thèmes: les raisons de la dévotion, ses devoirs et son «esprit» (ch.
10-13); Enguerrand développe ici une mystique
/3 On trouve
plusieurs graphies du nom: Enguerrand, que nous adoptons, Enguerrant,
Anguerrand, etc.- Ne pas le confondre avec le tertiaire régulier de saint
François Archange de Saint-Gabriel ou de Rouen, 1637-1700, qui a publié
plusieurs ouvrages souvent attribués à notre récollet. Voir Dictionnaire de
biographie française, t.3, Paris 1939, col. 375s.
/4 Ces
ouvrages et leurs rééditions sont conservés à la Bibliothèque Nationale de
Paris, Catalogue général des livres imprimés…, t. 47, col. 580s.
/5
Dictionnaire de spiritualité, t. 13, col. 388s.
eucharistique
à peine voilée, parlant de «vie eucharistique» beaucoup plus que de réparation
proprement dite.
Le second
ouvrage du récollet est une oraison funèbre de la reine de France,
Marie-Thérèse d'Autriche, «prononcée dans l'Église cathédrale d'Arras, le 17...
août 1683, par le R.P. Archange Enguerrant, provincial des Récollets de la Province
de S. Antoine» (Arras, J. Lohen, 1683, in-4°, 42 p. Rééd. Paris, S. Couterot et
L. Guérin, 1684). Nous apprenons ici qu'Enguerrand était provincial de la
nouvelle province des Récollets, formée des couvents situés sur les provinces
d'Artois, du Hainaut et de Flandre réunies à la France depuis le début du
siècle.
1. Bibliothèque Mazarine (Paris), ms. 1213
(2262). - 321 p., 18/13 cm, 17e s. Provenance incertaine. Titre général:
Lettres de la S.A.C.D.H.R.D.L.V.
Il s'agit de
la soeur Anne-Cécile Duhamel[1036],
originaire de Rouen, née vers 1644, entrée à la Visitation de Saint-Denis vers
1660, décédée en ce couvent le 6 septembre 1677. Sa notice nécrologique est
conservée aux Archives de la Visitation, à Annecy. Enguerrand a dû la connaître
et commencer à la diriger lorsqu'il était prieur des Récollets du couvent de
Saint-Denis (1670-1672). Les lettres publiées dans le ms commencent en 1673,
quand Enguerrand quitte Saint-Denis; elle s'achève «à la fin de l'année 1674».
Le titre secondaire
du ms. s'énonce ainsi: «Recueil des lettres spirituelles et des écrits
mystiques de la soeur Cécile de la Visitation et par elle adressées au père
Archange Enguerrand, récollet, auxquelles ce père a ajouté quelques
éclaircissements après la mort de la dite soeur» (1677). Le ms. se présente
comme un ouvrage composé prêt à la publication.
Contenu: 1)
Avant-propos sur la vie d'Anne-Cécile et sur ses écrits; elle est retirée de la
direction d'Enguerrand (en 1674 ou 1675); ce que confirme la notice nécrologique.
2) «Lettres de
la S.A.C... écrites depuis... 1673, au commencement de la 3e année de ses
peines, jusqu'à la fin de... 1674»: 12 lettres (p. 31-78).
3)
«Avertissement sur les écrits suivants» (p. 79-83) et ces écrits (p. 83-179).
4) «Écrits de
la S.A.C. depuis le changement de son état» (p. 180-190).
180
5)
«Eclarcissement sur les écrits précédents», par Enguerrand: il s'agit d'un
traité de théologie mystique où l'auteur fonde et défend sa spiritualité du
«martyre intérieur» (p. 191-321).
Les numéros 1,
3 et 5 sont de la main d'Enguerrand.
2. Mazarine, ms. 1224 (2298). - 18 + 459
p., 19/13 cm, 17e s. Provenance incertaine. Titre général: Lettres spirituelles du père Archange Enguerand, récollet.
Contient: 1)
70 lettres d'Enguerrand, depuis 1665 jusqu'à 1692, sans ordre et adressées à
différents destinataires. Beaucoup semblent des extraits délaissant tout ce qui
n'est pas spirituel, en particulier les commencements et les fins. Certaines se
retrouvent dans le ms. Les Fontaines S.J., 8° 214. On y trouve beaucoup de
renseignements sur la vie d'Enguerrand.
2) 87 lettres
d'un ecclésiastique anonyme, p. 225-401.
3) 29 lettres
d'Enguerrand à une dame inconnue, p. 401-459.
3. Les Fontaines S.J., ms. 80 214. - 548
p., 18/12 cm, fin 17e s. Provenance inconnue. Pas de titre général. Une main a
écrit sur le revers de la couverture: «Manuscrits du R.P. Arcange Enguerrant».
Contenu: 1)
«Dix méditations sur Jésus Christ pour les Exercices», 1681, p. 1-88. - 2)
«Exercice intérieur conduisant l'Âme à Dieu dans son coeur par Jésus
Christ...», p. 91-136; ce texte est postérieur au livre sur l'adoration
perpétuelle auquel il fait allusion, p. 103. - 3) «Traité de la Tyrannie de
l'amour propre...», 1681, p. 137-205.
4) «Traicté
des scrupules», 1681, p. 207-229. - 5) 5 lettres spirituelles, dont celle
écrite au Mont Alverne, 26 juillet 1665, est importante, p. 231-279. - 6)
«Discours» commentant un texte de saint Bernard, p. 279-314. - 7) «Résolution
sur quelques doutes touchant les pratiques intérieures», 1656, p. 315-360.
8) Lettres à
différents destinataires, p. 360-403. - 9) Lettre à une «Altesse» alors à
Trie-Château (peut-être la duchesse de Longueville), p. 403-420. - 10) «Lettre
d'un jeune religieux à un pauvre villageois de Montmorency» avec sa réponse, p.
420-456; le jeune religieux est Enguerrand; le villageois, Jean Aumont.
11 ) P.
457-463: blanches. - 12) Douze lettres spirituelles à une religieuse, p.
464-493; celle des p. 484-488 est écrite de Rome, Enguerrand étant en route
pour le Mont Alverne, en 1665. - 13) P. 494-511: blanches. - 14) «Exortation
faite à la vesture d'une novice», p. 512-548.
Les lettres
commençant aux p. 231 et 233 sont identiques à celles des p. 476 et 478. Les
deux séries de lettres, p. 231-279 et 464-493, sont probablement adressées à la
même religieuse, car il y a grande unité de ton et des directives spirituelles.
Les numéros 2,
3 et 4 sont aussi contenus dans le ms. Les
Fontaines S.J., ms. 8° 618, intitulé Trois
Traictéz, 90 f., 17e s.
4. Les Fontaines S.J., ms. 4° 259 - Ce ms.
comprend trois parties à pagination discontinue. Les deux premières concernent
le mystique carme Jean de Saint-Samson. Puis viennent les «Lettres spirituelles
du R.P. Archange, récollet, à la soeur Marguerite-Angélique, R.se de la
Visitation», transcrites par deux écritures différentes. Ces lettres couvrent
167 p., 23/16 cm. La 5e lettre est datée de 1679; la 70e et dernière
est du 27 novembre 1695.
Aucune réponse
de Marguerite-Angélique n'y figure. L'archiviste de la Visitation (Annecy) ne
connaît pas de religieuse portant ce prénom. Nous pensons qu'elle appartenait
au couvent de Saint-Denis, comme Anne-Cécile Duhamel (cf. supra, n° 3), car Enguerrand évoque son expérience spirituelle
(lettre du 27 septembre 1679, p. 14a), ce qui prouve que Marguerite-Angélique la
connaissait directement.
Cette
correspondance qui s'étale sur seize années répète inlassablement les conseils
d'une spiritualité toute intérieure et qui n'est pas loin de celle du «martyre
intérieur» que dispensait Enguerrand à Anne-Cécile. Il ne semble pas que
Marguerite-Angélique y ait trouvé beaucoup de lumières et de consolations.
5. Vitry-le-François, Bibliothèque municipale,
ms. 104, 14 fol.: Conférence spirituelle sur l'évangile de la Samaritaine par
le P Arch. Enguerrand. À comparer avec Paris, Bibl. de l'Arsenal, ms. 2120,
dont la 4e texte anonyme est une «Conférence spirituelle faite sur l'Évangile
de la Samaritaine». Ce ms. pourrait conserver d'autres textes d'Enguerrand.
Le seul
ouvrage, à notre connaissance, qui parle d'Enguerrand est celui d'H. Le Febvre.
Les bibliographes L.E. Dupin et Joannes a S. Antonio le mentionnent en lui
attribuant des livres qui appartiennent en réalité à Archange de Rouen. La
rapide évocation d'Éphrem Longpré dans le Dictionnaire
de spiritualité est reprise dans le
182
Dictionnaire de biographie française /6. Les précisions que nous apportons
proviennent de la lecture des manuscrits, que nous citerons: Mazarine 1 et 2,
Les Fontaines 1 et 2, selon l'ordre dans lequel nous venons de les présenter.
Le nécrologe
de la province de Saint-Denis (Paris, B.N., ms. fr. 13875. f. 5a) écrit: «P.
Archange Anguerrand, mort à Paris le 23 avril 1699, âgé de 68 ans et en
religion 52». Notre récollet est donc né en 1631; ce qui est confirmé par ce
qu'il écrit en 1692, se disant «plus que sexagénaire» (Mazarine 1, lettre 67).
Nous ne savons rien de sa famille, de son lieu de naissance, de ses premières
études.
Il entre chez
les Récollets de la province de Saint-Denis en 1647, à seize ans, et fait
probablement son noviciat au couvent de Paris. On ne sait où il fit ses études
cléricales, les Récollets ayant alors plusieurs maisons où s'enseignaient la
philosophie et la théologie. Son ordination sacerdotale doit dater de 1656 ou
1657: une lettre de 1656 évoque sa première messe (Les Fontaines 1, p. 359).
En 1665,
Enguerrand part pour l'Italie, passe à Rome, à Sienne et gagne le Mont Alverne
où il séjourne «en solitude» jusqu'en 1668. Cette même année, revenant en
France, il passe par Montargis, où existait un couvent de Récollets, et y
rencontre plusieurs fois Madame Guyon; elle a alors vingt ans. Il lui ouvre les
voies intérieures de la vie spirituelle. Combien de temps resta-t-il à
Montargis? Probablement plusieurs mois /7. Madame Guyon reverra notre récollet
à Corbeil en 1681 et le demandera en vain comme confesseur quand elle sera
emprisonnée à Vincennes (1695 ou 1696) /8.
1670-1672:
Enguerrand est gardien du couvent de Saint-Denis /9.
En 1677 il a
déjà une certaine réputation de prédicateur à Paris, puisque Le Febvre lui
attribue un Avent, six carêmes et trois octaves prêchés dans diverses paroisses
parisiennes /10.
À partir de
1672 jusqu'au début des années 80, on ignore où réside
/6 LE FEBVRE,
Histoire, 72, 109, 113.- L.E. Dupin, Table
universelle des auteurs ecclésiastiques..., Table alphabétique, t.3, Paris,
A. Pralard, 1704, col. 281.- JOHANNES A S.ANTONiO, Bibliotheca Universa Franciscana, 1, Matriti 1732, 137.- Dictionnaire de spiritualité, t. 5, col.
1639; t. 6, col. 1308; t. 13, col. 388s.- Dictionnaire
de biographie française, t. 12, 1970, col. 1304.
/7 La Vie de Madame J.M.E. de la Mothe-Guyon...,
nouvelle édition, t.1, Paris 1790, première partie, ch. 8-13.- M.L. GONDAL, L'acte mystique. Témoignage spirituel de Mme
Guyon, thèse, Faculté de théologie de Lyon, 1985, 50-2, 61, 69, 205.
/8 La Vie de Mme... Guyon, t. 2, ch.1, n.
6.- Relation de Mme Guyon, Les
Fontaines S.J., ms., AR 2/48, p. 16.
/9 LE FEBVRE, Histoire, 72.
/10 Ibid., 109.
Enguerrand.
Ses correspondances spirituelles avec les visitandines de Saint-Denis
Anne-Cécile et Marguerite-Angélique laissent penser qu'il n'est plus à
Saint-Denis, mais probablement à Paris ou dans un couvent proche de la
capitale. En 1681 il revoit Mme Guyon à Corbeil.
En 1683, il
apparaît dans l'édition de son oraison funèbre de Marie-Thérèse, reine de
France, comme étant provincial de la province de Saint-Antoine (Artois, Hainaut
et Flandre française). Le ms. Les Fontaines 2, p. 90, comporte une lettre datée
d'Arras, août 1683.
Puis viennent
dix années d'exil dans le couvent de Saint-Jean-de-Luz. La «Lettre du R.P. A.
Angerand à celui qui lui avait procuré son exil», datée de ce même couvent le
15 avril 1692, est fort utile. Elle évoque une grave affaire ayant troublé la
province de Saint Antoine et une intervention de la Cour, mais ne précise pas
de quoi il s'agit précisément. Enguerrand est démis de sa charge et exilé à
l'autre bout de la France. Quand il écrit cette lettre, il se dit exilé depuis
huit ans, donc depuis 1684. Une autre lettre, écrite à Toulouse le 28 juillet
1684, dit qu'il «part en exil au désert», «à deux cents lieues de vous ».
La première lettre est dans le ms. Mazarine 2, p. 212-222; la seconde dans le
ms. Les Fontaines 2, p. 94 -97.
Les dernières
années: en 1694, Enguerrand écrit: “Vous savez peut-être aussi que l'on m'a
chargé du fardeau de cette nombreuse communauté (celle des «Soeurs de
Saint-Antoine.). C'est à quoi je ne suis plus guère propre après dix ans
d'exil. Enfin, il y a trois jours que nos grandes affaires de dix ans ont été
jugées en dernier ressort. Cela est fini pour toujours». Les Soeurs de
Saint-Antoine sont des visitandines. La lettre ne porte pas de date, mais, si
l'exil il duré dix ans et qu'il a commencé en 1684, elle est datable de 1694.
En 1695
s'arrêtent les lettres d'Enguerrand à soeur Marguerite Angélique.
Selon le
nécrologe, Enguerrand meurt à Paris le 23 avril 1699.
On peut, sans
crainte de se tromper, inscrire les débuts de la vie spirituelle d'Enguerrand
dans le cadre de ce qu'Henri Bremond a appelé «l'école du coeur» /11. Jean
Aumont, le villageois de Montmorency dont nous avons dit qu'Archange le
recontra et dont nous publions
/11 Histoire littéraire du sentiment religieux...,
tome 7, Paris 1928, 2e partie, ch. 5, p. 321-373.
184
ci-dessous
l'échange de lettres, en est un bon représentant. Il fut en relation directe
avec d'autres formant le groupe de l'Ermitage de Caen: Jean-Chrysostome de
Saint-Lô + 1646, Jean de Bernières + 1659, Maurice Le Gall de Querdu, prêtre
breton + 1694 et Mechtilde du Saint-Sacrement, réformatrice bénédictine qui
promeut l'adoration perpétuelle, sujet du premier ouvrage imprimé d'Enguerrand
/12.
Qu'est-ce que
cette «école du coeur» /13? Le 17e siècle spirituel français a beaucoup utilisé
ce mot, cette image, ce symbole, avec une grande variété de significations.
Cependant on peut dire que l'école du coeur met l'accent sur trois points
qu'elle tient pour principaux. D'abord, elle veut s'adresser à tout bon
chrétien, fût-il sans lettres; point de spéculation éthérée, point
d'intelligences mystiques, mais par des gravures, des comparaisons, une
symbolique affective, atteindre directement le coeur, la capacité d'aimer.
Ensuite, pour elle le coeur est un «lieu», le siège des passions bonnes et
mauvaises; c'est de lui que sortent nos pensées et nos actes; c'est lui qu'il
faut convertir et ouvrir à Dieu, à sa volonté, à ses lumières, à ses
consolations. C'est dire que le coeur est à la fois le siège de cet amour
propre qu'il faut déraciner et de l'amour de Dieu qu'il faut accueillir et
faire grandir. Le coeur purifié et vidé de l'amour propre est dans son fond le
lieu de l'union à Dieu.
On retrouve
ces traits chez Enguerrand comme fondement de son enseignement spirituel et
surtout dans ses traités. Sur ce fondement, il va progressivement, et surtout
dans sa correspondance de direction spirituelle, mettre en lumière que l'union
à Dieu et à sa volonté ne peut être qu'une union au Christ, et inévitablement à
mesure qu'on progresse une union au Christ souffrant, dans la foi de plus en
plus purifiée et nue. C'est pourquoi il parle de sa spiritualité du «martyre
intérieur». Il le fait en des termes qui souvent exigent non seulement
l'anéantissement de l'estime de soi et de la capacité d'agir par soi-même, mais
aussi l'anéantissement de la créature que nous sommes. Y a-t-il là de
l'inflation verbale? Peut-être, mais la lecture de ses lettres montre que dans
son esprit les âmes appelées à une haute vie spirituelle doivent cheminer dans
la nudité de la foi, dans le dépouillement radical, affrontées aux tentations
de retour en arrière et de désespérance, parfois éclairées par une grâce dont
le but est de les assurer qu'elles sont sur le bon chemin, celui de l'amour du
Christ mourant à lui-même.
/12 Sur ces
personnages, voir, selon l'ordre où ils sont cités, Dictionnaire de
spiritualité, t. 2, col. 881-85; t. 1, col. 1522-27; t. 9, col. 528s; t. 10,
col. 881-85. Sur les relations entre Aumont et Mechtilde, t. 2, col. 884s.
/13 Ibid.,
art. Cor et cordis affectus, t. 2,
surtout col. 2306.
Mais
Enguerrand montre peu comment, ce faisant, elles vivent à Dieu et de Dieu. Sa
spiritualité est orientée vers l'union mystique avec des sévérités qui ont
l'accent du jansénisme. Cette mystique explique, croyons-nous, qu'un texte
visiblement prêt pour l'impression comme l'est le manuscrit 1213 de la Mazarine
n'ait pas été édité à l'époque du quiétisme français. Même si cette
spiritualité du «martyre intérieur» avec la déréliction qu'elle comporte est
défendable en théorie /14, il est évident qu'elle ne peut être pratiquée sans
danger que si l'équilibre psychologique se maintient grâce à la paix intérieure
dans le fond de l'âme. On peut se demander si elle convenait bien aux deux
dirigées d'Enguerrand.
Terminons
cette esquisse en signalant que notre récollet n'apparaît nulle part comme un
fils de saint François. Il est un représentant de ce 17e siècle spirituel
français si riche et si divers. C'est surtout à ce titre qu'il ne nous a pas
paru inutile de signaler son existence et ses écrits.
Nous publions
d'abord un échange de lettres entre Archange Enguerrand et un «pauvre
villageois de Montmorency». Ces deux documents, contenus dans le ms. Les
Fontaines S.J., 8° 214, p. 420-456, ne sont pas datés. Archange s'y dit «jeune
religieux» (p. 421) et son correspondant le nomme son «très cher frère», ce qui
laisse penser qu'il n'est pas encore prêtre. Enguerrand étant entré chez les
Récollets en 1647 et ayant été ordonné prêtre en 1656 ou 1657, l'échange
épistolaire se situe entre ces dates.
9 [2005] Jacques
Bertot Directeur mystique, Textes présentés par D. Tronc, coll.
« Sources mystiques », Editions du Carmel, Toulouse, 573 p., 2005.
[La première étude présentant le résultat de recherches sur la ‘vie cachée’ de
monsieur Bertot et la reconstitution du corpus de ses écrits précède le choix
d’un septième de leur volume]
Monsieur Bertot
(1620-1681) fait partie des spirituels actifs mais discrets qui souhaitent
demeurer cachés. Ce vœu serait accompli si sa dirigée la plus illustre, Madame
Guyon (1648-1717), n’avait rassemblé des opuscules et des correspondances de sa
main. Ceux-ci furent publiés tardivement en 1726, après leur mort, sous le
titre : Le directeur Mistique [1037]. Ce titre peut paraître étrange à
première vue. Il correspond en fait très exactement au contenu des quatre
volumes de cette édition : Monsieur Bertot, profond spirituel, prêtre et
confesseur, guida de nombreuses religieuses et des laïcs sur la voie mystique.
Son rôle au sein d’une
école spirituelle dite « normande », reconnue mais pas assez étudiée,
est central. Une filiation spirituelle
commence avec le franciscain Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646),
confesseur vénéré d’un groupe nombreux dont Catherine de Bar (mère Mectilde du
Saint-Sacrement, 1614-1698), et Jean de Bernières (1602-1659), un laïc. Ce
dernier eut l’idée de créer le cercle de l’Ermitage,
où il offrait à ses amis mystiques prière, solitude et conseil sur le chemin
spirituel : parmi eux, Jacques
Bertot. A son tour, Madame Guyon reprendra ce rôle de guidance au milieu d’un
cercle d’amis spirituels.
Après avoir été le
confesseur du couvent des bénédictines de Caen, dont la prieure était Jourdaine
de Bernières, sœur de Jean, Bertot devint celui du couvent de Montmartre à
Paris, rendu célèbre par sa réforme entreprise sous Benoît de Canfield. C’est à
la fin de sa vie qu’il rencontra la jeune Madame Guyon.
Si Jacques Bertot nous
échappe en grande partie au niveau de sa vie qui demeure très discrète, il se
révèle intérieurement par son œuvre écrite assez abondante. Le corpus des écrits, reconstitué ici pour
la première fois, et dont nous ne présentons ici qu’environ un septième en
volume, traduit son expérience la plus profonde lorsqu’il répond aux demandes
provoquées par son apostolat. Cette expérience nous a paru admirable et sans
équivalent sur de nombreux points : s’en détachent particulièrement les
témoignages affirmant l’efficience de la prière pour appeler la grâce divine
sur ses dirigés. Ces écrits traduisent l’exigence d’une voie directe, voire
abrupte, bien éloignée de toute complaisance ou d’une paresse qui justifierait
le sobriquet de « quiétiste ».
Il est étrange que ces
écrits remarquables par leur force et leur netteté en ce qui concerne
l’expression du cheminement mystique soient demeurés quasi-inconnus jusqu’à
maintenant. Des publications réalisés à faible tirage et à des dates très
différentes (Les retraites en 1662,
leur Conclusion… en 1684, Le directeur Mistique… en 1726),
l’anonymat, la rareté, la pauvreté ou l’étrangeté des titres ont contribué à
cet oubli. Les volumes ont circulé dans des bibliothèques privées. Ceux qui ont
traversé trois siècles sont donc très peu nombreux - réduits pour l’instant à
un seul exemplaire répertorié pour l’écrit que l’on trouvera reproduit ici
intégralement en conclusion de notre anthologie ! De plus ces textes
s’adressent à des dirigés déjà profondément engagés dans la voie mystique, donc
peu nombreux.
Jacques Bertot présente un enseignement
similaire à celui de son prédécesseur Jean de Bernières, mais l’œuvre de ce
dernier nous est malheureusement parvenue profondément retouchée et amputée.
Contrairement au lyrisme parfois reproché à Jeanne-Marie Guyon dans ses œuvres
les plus connues (qui datent de sa jeunesse et doivent être mesurées à l’aune
de textes moins célèbres datant de sa grande maturité), la marque
personnelle de « Monsieur Bertot » consiste en une extrême
densité et en une grande rigueur. A l’imaginaire ou à l’émotion, il préfère la
sobriété, le dépouillement, la simplicité. Mais il émeut quand son amour
appelle à tout laisser pour vivre dans le Divin.
Le lecteur intéressé
en premier lieu par le contenu spirituel abordera directement ses écrits. Notre
anthologie reproduit en premier lieu un choix de lettres qui rendent avec
vigueur les thèmes récurrents d’une direction assurée. Puis un choix
d’opuscules les illustre tout à tour, qui font souvent appel à des comparaisons
simples et intuitives. Ces opuscules atteignent d’ailleurs souvent la dimension
de petits traités ; ils ont été
vraisemblablement bâtis à l’aide de lettres, voire de schémas de retraites
(genre en honneur au XVIIe siècle que nous n’avons pas jugé utile
d’être ici représenté). Enfin un traité remarquable, dont nous avons évoqué
l’unique exemplaire répertorié à ce jour, récapitule l’essentiel de sa
direction.
L’étude qui précède
les textes situe Monsieur Bertot dans le milieu large où il fut formé puis où s’exerça par la suite son influence. Elle rassemble
ensuite les rares éléments biographiques que nous avons pu réunir autour du
très discret confesseur. Elle suggère enfin quelques thèmes caractéristiques de
sa
direction en l’illustrant par celle de Madame Guyon. Nous ne reproduisons pas
ici grand nombre de lettres qui furent adressées à celle-ci puisqu’elles
viennent d’être publiées récemment comme abondantes pièces passives du début de
la correspondance de sa jeune dirigée [1038].
Comme il s’agit de la
première synthèse à ce jour sur Monsieur Bertot (si l’on excepte quelques
courts articles de dictionnaires), nous avons dû présenter toutes nos sources
par des notes nécessairement étendues lorsqu’elles discutent de dates ou
lorsqu’elles détaillent les contenus des ouvrages principaux du corpus. Nous avons renvoyé les plus
longues en fin de volume, sous forme d’annexes. Nous avons opéré de même pour
deux tableaux pourtant très évocateurs des milieux spirituels en amont et en
aval de l’époque médiane vécue par Bertot où il tient le rôle essentiel de
passeur.
Nous sommes très redevable aux travaux de J. Bruno, de J. Orcibal, de C.
Berthelot du Chesnay, c. j. m. ; aux aides précieuses apportées par Monsieur I
. Noye, P. S. S. , par le R. P. A. Derville, S.J. , par le P. Racapé, c. j. m.
La collaboration de mon épouse Murielle a amélioré considérablement ce travail
qui aborde un champ peu exploré.
Nous espérons que la lecture de ces quelques textes contribuera à faire
revivre un directeur spirituel trop méconnu, que sa profondeur mystique égale
aux plus grands.
1. Une « école » des mystiques.
Avant d’aborder la biographie de Jacques Bertot,
évoquons le milieu spirituel dans lequel il occupe une place centrale, autant
d’un point de vue chronologique (le pic de son activité se situe peu après le
milieu du siècle) que par son rôle de passeur entre deux localisations
géographiques (la Normandie et Paris).
Ce milieu a laissé relativement peu de traces en
dehors des écrits restés confidentiels de ses membres et de condamnations
affectant certains d’entre eux [1039]. « Ecole
de spiritualité » selon une appellation érudite souvent utilisée ? Il
s’agit plutôt d’un réseau d’amitiés : les mystiques se reconnaissent entre
eux, s’aident mutuellement ; les ainés guident les plus jeunes. Ce réseau
est remarquable par le rôle décisif joué par des laïcs : Jean de Bernières
gagne sa vie grâce à la recette des impôts, le baron de Renty est actif dans
les œuvres. Une formation mystique
commune assure la continuité de « l’enseignement », dont les écrits
ne sont qu’un reflet. Une forte exigence
intérieure les relie, et un vocabulaire commun. Ne s’identifiant à aucun ordre
religieux tels que capucins, sulpiciens, jésuites, etc., encore que l’on puisse
reconnaître une forte empreinte franciscaine, ce réseau n’a pas été étudié dans son ensemble parce qu’il ne forme
pas une « famille » aux contours extérieurs visibles, même si des monographies mettent en
valeur quelques-unes de ses belles figures.
La part qui est consacrée à « Monsieur
Bertot » dans les histoires de la spiritualité demeure donc pour l’instant
modeste en comparaison des écoles françaises liées à des ordres vivants
aujourd’hui et qui s’intéressent à leurs origines. Quelques auteurs ont
cependant relevé la filiation reliant Bernières à Bertot, puis Bertot à Madame
Guyon : P. Pourrat, I. Noye dans une étude approfondie sur le thème de
l’Enfance si chère à Madame Guyon, J. Le Brun en présentant les écoles de
spiritualité françaises du grand siècle [1040]. Nous avons
récemment présenté la filiation qui relie Jean-Chrysostome de Saint-Lô à
Bernières, ce dernier à Bertot… [1041].
Le père Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646) fut
en effet l’initiateur de ce courant : franciscain du tiers-ordre régulier,
il demeura dans l’ombre, tout comme Monsieur Bertot, mais on ne saurait en
sous-estimer l’importance : il est celui vers lequel tous ceux de
la « première génération » se tournent avant de prendre une
décision importante. Nous ne pouvons ici que passer sur cette figure
essentielle et auteur non négligeable. Jean de Bernières témoigne ainsi de la
direction de celui qu’il considère comme son père spirituel :
[…] ce me serait grande consolation que [...]
nous puissions parler de ce que nous avons ouï dire à notre bon Père [...]
puisque Dieu nous a si étroitement unis que de nous faire enfants d’un même
Père [...] Savez-vous bien que son seul souvenir remet mon âme dans la présence
de Dieu [1042] ?
Jean
de Bernières, né en 1602 d’un trésorier général de France, mena une vie laïque,
sensible à l’amitié, insensible aux différences sociales, payant de sa personne
lorsque maladie et misère sont en cause, désirant la pauvreté, demeurant humain
dans la peur de la mort. Il fut ferme dans ses convictions et lorsqu’on
attaque ses amis, il les défend avec énergie : quand le grand archidiacre
d’Evreux, Boudon, victime d’une conjuration, est menacé d’interdiction, Jean
déclare à la cohorte ennemie que Boudon aura toujours un refuge en sa maison,
et que lui, Jean, « se trouverait heureux d’être calomnié et persécuté
pour lui » [1043].
De
concert avec Gaston de Renty (1611-1649), autre mystique laïc, grand seigneur
qui passa des armes et des sciences à l’exercice de la charité [1044], Bernières contribua à la fondation
d’hôpitaux, de couvents, de missions et de séminaires. Boudon, devenu son
biographe indique qu’il « paye de sa personne, car il va chercher lui-même
les malades dans leurs pauvres maisons, pour les conduire à l’hôpital. »
Il « porte sur son dos les indigents qui ne peuvent pas marcher jusqu’à
l’hospice [...] il lui faut traverser les principales rues de la ville : les
gens du siècle en rient autour de lui » [1045].
« Directeur des directeurs de
conscience » selon Souriau, il parle avec humour d’un « hôpital »
un peu particulier qu’il crée sur ordre de Chrysostome pour accueillir des hôtes de passage :
Il
m’a pris un désir de nommer l’Ermitage
l’hôpital des Incurables, et de n’y loger avec moi que des pauvres spirituels
[...] Il y a à Paris un hôpital des Incurables pour le corps, et le nôtre sera
pour les âmes [1046].
Je
vous conjure, quand vous irez en Bretagne, de venir me voir ; j’ai une
petite chambre que je vous garde : vous y vivrez si solitaire que vous voudrez
; nous chercherons tous deux ensemble le trésor caché dans le champ,
c’est-à-dire l’oraison [1047].
Nous
vivons ici en grand repos, liberté, gaieté et obscurité, étant inconnus du
monde, et ne nous connaissant pas nous-mêmes. Nous allons vers Dieu sans
réflexion [...] Je connais clairement que l’établissement de l’Ermitage est par
ordre de Dieu, et notre bon Père [Chrysostome] ne l’a pas fait bâtir par hasard
; la grâce d’oraison s’y communique facilement à ceux qui y demeurent, et on ne
peut dire comment cela se fait, sinon que Dieu le fait [1048].
Ces
derniers fragments évoquent l’atmosphère recueillie, ouverte et libre en même temps, certainement
appréciée par le jeune Bertot.
Bernières
animait un large cercle sous la direction attentive du père Chrysostome :
parmi eux, M. de Gavrus fonda l’hôpital général de Caen ; Boudon deviendra
l’archidiacre « persécuté » d’Evreux, écrivain abondant auquel nous
devons de précieuses informations ; Lambert de la Motte (Mgr de Béryte)
fut l’un des premiers évêques de la Chine.
L’influence
de ce cercle s’étendit au Canada, dans la mesure où Bernières facilita le
départ de Marie de l’Incarnation (1599-1672), de Dieppe à Québec, par la flotte
de printemps, en 1639 ; la grande mystique animera la communauté ursuline
du Québec tandis que Bernières restera son correspondant préféré (avec le fils
de cette dernière, dom Claude Martin), mais les longues lettres « de
quinze ou seize pages » qu’il lui écrivit sont perdues.
En
France, Catherine de Bar devenue Mère Mectilde du Saint-Sacrement, appréciée de
Madame Guyon [1049], fonda les bénédictines de l’Adoration
perpétuelle du très Saint Sacrement à Paris ; elles essaimeront en
Lorraine, le pays d’origine de leur fondatrice, puis jusqu’en Pologne [1050]. Elle se lia à Bernières et ils demeureront en
correspondance. Elle passa environ un an au monastère de Montmartre et au moins
trois années à Caen [1051].
Jean
de Bernières sera influent à Paris par l’intermédiaire du jeune confesseur
Jacques Bertot. Ce dernier aura une influence déterminante sur Madame Guyon.
Nous
présentons à la fin de ce volume, en deux annexes et trois tableaux, un grand
nombre de figures appartenant à cette « école » des mystiques. L’Annexe I présente une table synchronique. Elle fait apparaître
les recouvrements chronologiques entre des spirituels d’orientation mystique,
condition d’une influence d’ainé à cadet. L’Annexe
II présente l’école
« quiétiste » par ses principales figures, incluant celles de
l’annexe précédente. Elles influèrent ou furent tributaires de l’influence
directe et indirecte de Bertot. Plus de deux siècles s’écoulent entre les
initiateurs, nés à la fin du XVIe siècle, figurant dans les trois
premières rangées, et les figures appartenant au XIXe siècle, de la
dernière rangée.
2. La vie cachée de Monsieur Bertot.
Nous disposons de très peu de renseignements
sur Jacques Bertot : il semble avoir réussi à effacer toutes traces
personnelles, au point qu’il a été parfois confondu avec des homonymes car
ce nom est commun en pays normand (sous des orthographes diverses). Même
l’année de sa mort fit l’objet de relations contradictoires comme nous le
verrons [1052].
Un bref résumé de sa vie ainsi qu’un témoignage
sur la fidélité de disciples est inclus dans l’Avertissement placé en tête des œuvres rassemblées sous le titre
du « Directeur mistique »
par Madame Guyon et publié quarante-cinq ans après la mort de Bertot [1053] :
« Monsieur Bertot ...
natif de Coutances [1054]
... grand ami de ... Jean [5] de Bernières ... s’appliqua à diriger les âmes
dans plusieurs communautés de Religieuses ... [à diriger] plusieurs personnes
... engagées dans des charges importantes tant à la Cour qu’à la guerre ... Il
continua cet exercice jusqu’au temps que la providence l’attacha à la direction
des Religieuses Bénédictines de l’abbaye de Montmartre proche [de] Paris, où il
est resté dans cet emploi environ douze ans [6] jusqu’à sa mort ... [au]
commencement de mars 1681 après une longue maladie de langueur. ... [7] [Il
fut] enterré dans l’Eglise de Montmartre au côté droit en entrant. Les
personnes ... ont toujours conservé un si grand respect [qu’elles] allaient
souvent à son tombeau pour y offrir leurs prières.
Par ailleurs les autres sources nous
renseignant sur divers événements auxquels il prit part le font apparaître
successivement : comme le jeune compagnon voyageant aux côtés de son aîné
Jean de Bernières, et qui s’épuise à la tâche, selon des extraits de
correspondances entre religieuses ; comme un confesseur inflexible dans
une chronique tardive racontant l’histoire de son premier monastère ; comme la
cheville ouvrière responsable de la naissance du groupe quiétiste parisien. Si
nous rassemblons la mosaïque issue de toutes ces sources [1055], se
dessine alors la trajectoire sans éclat apparent d’un confesseur de religieuses
et de laïcs. Elle le mènera de Normandie à Paris.
Il naît à Caen le 29 juillet 1622, car
probablement baptisé dès le lendemain selon la coutume en cette époque de forte
mortalité infantile [1056]. En
ce qui concerne les origines familiales et pour la période de jeunesse, on
dispose à ce jour d’une lettre assez
détaillée, mais d’elle seule. Nous la citons entièrement, dans le texte
principal ou en note, répartie en plusieurs fragments :
... il s’appelait Jacques
Bertot natif de St Sauveur de Caen, fils de Louis Bertot et de Judith Le Mière
sa mère qui était sœur de Mr Le Mière père de celui qui est présentement
Lieutenant particulier de Mr le vicomte de Caen. Le d[it] Sr Louis Bertot était
m[archan]d drappier de profession à Caen. Il quitta le négoce environ l’année
1640 vivant de son bien qui est scis [sic]
en la paroisse de Tracy proche [de] Villers. Mr l’abbé Bertot était fils unique
qui étant dans les ordres sacrées [sic]
se mist à l’hermitage avec feu Mr de Bernières et plusieurs autres personnes
pour y vivre saintement tous ensemble...[1057]
Il est donc issu d’une famille bourgeoise
aisée. Nous avons d’ailleurs retrouvé, dans les archives notariales relatives
au couvent des ursulines de Caen fondé par Jourdaine de Bernières, une « liasse à 24
pièces » relative aux ventes de
parcelles de terres de la paroisse de Tracy à Louis et Philippe Berthot, des
années 1495 à 1601, puis le témoignage silencieux d’un don fait par Bertot au
couvent [1058].
Bertot vécut d’abord à Caen, puis à
Paris ; mais on se gardera toutefois d’attribuer une trop grande
importance à ces localisations compte tenu de voyages fréquents dont témoigne
Catherine de Bar (dont quelques extraits relatifs à Bertot sont donnés
ci-dessous) : le suivi de religieuses dans divers couvents a pu le rendre
itinérant comme ce fut le cas du P. Chrysostome de Saint-Lô, le directeur de
Bernières, et d’autres familiers de Bertot.
Caen.
Après des études au collège de Caen, il devint
prêtre et s’attacha à Jean de Bernières et à son groupe de l’Ermitage, comme le souligne le titre Le directeur Mistique [...] ami intime de
feu Mr de Bernières… Ce dernier lui écrivit des lettres qui tranchent par
leur ton et leur profondeur spirituelle particulière sur l’ensemble de sa
correspondance [1059].
Elles sont adressées à « l’ami intime » : on y sent l’autorité
de l’expérience, mais aussi une complicité spirituelle et la certitude d’être
parfaitement compris d’un compagnon qui suit le même chemin [1060] :
…Dieu seul, et rien plus. Je n’ai manqué en commencement
de cette année de vous offrir à Notre Seigneur, afin qu’Il perfectionne, et
qu’Il achève Son œuvre en vous. Je conçois bien l’état où vous êtes :
recevez dans le fond de votre âme cette possession de Dieu, qui vous est donnée
en toute passiveté, sans ajouter votre industrie et votre activité, pour la
conserver et augmenter. C’est à Celui qui la donne à le faire, et à vous, mon
cher Frère, à demeurer dans le plus parfait anéantissement que vous pourrez.
Voilà tout ce que je vous puis dire, et c’est tout ce qu’il y a à faire. Plus
une âme s’avance dans les voyes de Dieu, moins il y a de choses à lui dire…
[1061].
Mon cher Frère, demeurez bien
fidèle à cette grande grâce, et continuez à nous faire part des effets qui vous
seront découverts : vous savez bien qu’il n’y a rien de caché entre nous,
et que Dieu nous ayant mis dans l’union il y a si longtemps, Il nous continuera
les miséricordes pour nous établir dans Sa parfaite unité, hors de laquelle il
ne faut plus aimer, voir, ni connaître rien
[1062].
Bertot devient rapidement le prêtre séculier
confesseur du monastère des ursulines de Caen, de 1655 à 1675. C’est dans ce
monastère tout proche de l’Ermitage
construit par Jean de Bernières, que vivait la sœur de ce dernier, Jourdaine de
Bernières, ainsi que Michelle Mangon, une figure discrète mais importante aux
yeux de Jean. Bertot exerça les fonctions de supérieur à la mort de M. Rocher
de Bernesq, vicaire générale de Bayeux, survenue en 1655.
Ce fut sa principale activité en Normandie. Une
ursuline témoignera plus tard, dans quelques passages de précieuses Annales [1063], du
rôle parfois délicat qu’assuma Bertot. Nous relevons ces passages dans leur
presque totalité, compte tenu de la rareté des sources. Sur la
nomination de Bertot :
[La même année 1655 biffé] Au même temps (add.
marg.) […] nous perdîmes Monsieur Du Rocher de Bernay [suit son éloge] […] On procéda incessamment à l’élection d’un autre
supérieur. Messieurs François de Laval, et Jacques Bertot furent présentés à
l’évêque Monseigneur de Servien qui confirma supérieur Monsieur Bertot [1064].
Les Annales racontent comment Jourdaine
tenta d’échapper à sa troisième nomination :
Elle fut élue unanimement
pour la dernière fois. Sa surprise la fit sortir du choeur et courir s’enfermer
dans sa chambre pour empêcher sa confirmation et en appeler à l’évêque ; mais
Monsieur Bertot, Supérieur qui présidait à l’élection et Mr. Postel son
assistant, allèrent la trouver et lui faire un commandement exprès de consentir
à ce que le chapitre venait de faire. A ces mots, vaincue par son respect pour
l’obéissance, elle ouvre la porte et se laisse
conduire à l’église pour y renouveler son sacrifice…[1065].
Bertot devint donc en 1655 le supérieur de Jourdaine, ce qui donna lieu à
un incident qui bouleversa les cœurs. Il eut lieu avec Jourdaine de Bernières
qui, remplaçant Michèle Mangon dans les fonctions de supérieure, jouissait en
même temps du prestige d’avoir été la fondatrice du couvent, d’être la sœur du
vénéré Jean de Bernières et d’assurer une édition relativement fiable de
l’œuvre de ce dernier. Tout ne se passa pas sans quelques difficultés dues au
caractère apparemment abrupt de Bertot - ce dont se plaindra aussi la jeune
Madame Guyon. Bertot affronta donc
Jourdaine ; le compte-rendu des Annales,
dont la rédaction est assez tardive, fait penser, par sa dignité vertueuse
quelque peu démonstrative, à ceux qui illustrent l’histoire du premier
Port-Royal [1066], mais le sens profond en est autre. Dans
ce milieu, la direction mystique est assurée avec une rigueur absolue parce que
rien ne doit rester qui soit obstacle à la grâce. Même s’il y avait erreur de
la part de Bertot, Jourdaine l’interprète comme signe de Dieu, comme nous le
verrons chez Madame Guyon dans des circonstances analogues :
1670 [le ms. est daté en tête de page]. La
mère de Sainte Ursule étant en charge, le supérieur reçut quelques avis sur
quelques points qui lui semblèrent importants où il crut que la Supérieure ne
s’était pas acquittée de son devoir. Poussé d’un zèle peu réfléchi de donner
des ordres qu’il croyait nécessaires, et en même temps de faire voir que là où
il y allait des devoirs de sa charge, et de l’intérêt prétendu de la communauté,
il n’avait égard à personne, il fit assembler les religieuses au chœur, et en
leur présence, blâma la conduite de leur Supérieure à qui il fit une ferme
réprimande avec des termes si humiliants que plusieurs des religieuses qui
connaissaient son innocence en furent sensiblement touchées (et même
scandalisées biffé) mais l’humble
Supérieure, sans rien perdre de sa tranquillité ordinaire, se mit à genoux et
écouta avec une paix et une douceur inaltérable tout ce qu’on voulut lui dire,
sans répliquer une parole, ni pour se plaindre, ni pour se justifier des choses
[210] qui lui étaient imputées, ce qui lui aurait été facile. On la vit sortir
de cette assemblée plus contente que si on lui eut donné des louanges, de sorte
que cette humiliation publique qui fit verser des larmes à plusieurs, n’eut
point d’autre effet que de faire éclater son humilité et sa patience en nous
laissant un rare exemple de sa vertu.
Après
cette correction elle fut au réfectoire et à la récréation qu’elle aussitôt
soutint avec son agrément ordinaire, tandis que plusieurs de celles qui avaient
été témoins de ce qui s’était passé n’eurent pas la force de s’y trouver. Elle
seule parut insensible à ses intérêts. Une officière feignant une affaire la
pria d’aller à sa chambre où elle la suivit, croyant lui donner lieu de se
décharger le coeur, mais la généreuse Supérieure donna ordre à toutes les
affaires qui se présentèrent [211], sans parler de la sienne, répondant à
celles qui blâmaient la trop grande facilité du Supérieur à croire les rapports
qui lui avaient été faits, qu’on avait eu raison de la bien humilier, qu’elle
le méritait pour tant de fautes connues de Dieu seul, qui n’avait jamais permis
cette occasion que pour la faire mieux connaître.
Une
particulière qui avait intérêt dans l’affaire, la vint trouver, fort pénétrée
de douleur, pour se plaindre de la manière dont on l’avait traitée. Ma soeur,
lui dit-elle, il nous faut regarder Dieu en tous événements, ne conserver non
plus de ressentiment de ce qui vous touche que j’en ai de ce qui a été dit et
fait à mon égard. Ce qu’elle lui dit avec une douceur admirable, quoique elle
eût bien plus de sujet de se plaindre, ayant été taxée [212] sur trois ou
quatre chefs plus considérables ...[mots illis.] que les autres dont la plupart
n’étaient pas même venu à sa connaissance.
Elle
poussa encore plus loin les preuves de sa vertu, car le jour même elle fut
trouver le Supérieur au parloir, non pas pour (se plaindre ou biffé) se justifier, mais pour lui
parler des affaires de la maison comme à son ordinaire, dont il fut également
surpris et édifié. Toutes choses bien éclaircies, il conçut une plus haute
estime de la mère de saint Ursule qu’il n’avait eu ...20 et se
reprocha fort de s’être laissé prévenir par les rapports (qu’on lui avait fais biffé). Il dit en plusieurs occasions
que cette sage Supérieure s’était beaucoup mieux justifiée par son silence et
sa modération, qu’elle n’aurait fait par toutes les bonnes raisons [1067].
Finalement, on annonça le départ de Bertot qui
devient confesseur à Montmartre [1068] :
Mr Bertot, après avoir été
notre Supérieur, voulut se démettre de cette charge, ayant trouvé à Paris des
occupations qui l’obligeaient à la résidence ; on fit élection de Monsieur de Launé Hué, [docteur
de Sorbonne : ajout marginal], pour
remplir sa place [ajout interligne :
le 15 avril 1675.] [1069].
Bertot ne se limitait pas à la conduite spirituelle au
sein du couvent fondé par Jourdaine de Bernières. Il fut en relation avec de
nombreuses figures spirituelles : Marie des Vallées [1070] qui fut influente sur saint Jean Eudes et sur
d’autres membres du groupe de Caen, l’appréciait ; Bertot témoigna de leur
relation :
Et remarquez bien une belle
parole que m’a dite autrefois une âme très unie à sa Divine Majesté, savoir,
que les montagnes recevaient bien les pluies, mais que les seules vallées les
gardent, fructifient et en deviennent fertiles [1071].
Elle me disait que la
Miséricorde [en note : c’est-à-dire l’amour-propre chargé des richesses
spirituelles de la Miséricorde] allait fort lentement à Dieu, parce qu’elle
était chargée de dons et de présents, de faveurs et de grâces de Dieu, qu’ainsi
son marcher était grave et lent; mais que l’amour divin qui était conduit par
la divine Justice, allant sans être chargée de tout cela, marche d’un pas si
vite que c’est plutôt voler [1072].
Son rayonnement s’étendait au-delà du monastère
de Caen. En témoigne une lettre écrite en 1667 par Mgr Pallu : ce
missionnaire qui avait dressé un « projet de notre Congrégation
apostolique », envoyait sa rédaction aux Directeurs du Séminaire des
Missions étrangères en demandant l’avis de quatre personnes dont Bertot :
Sur la Méditerranée, en vue
de Candie, 3 mars 1667, […] conférez-en avec Messieurs Bertot, du Plessis
et quelques autres personnes de leur esprit et de leur grâce […] [Ces messieurs devront répondre en donnant
leurs avis après 15 jours de réflexion :] Priez aussi Messieurs Bertot et
du Plessis et les autres auxquels vous vous en ouvrirez de m’écrire ce qu’ils
en pensent… [1073].
Le même Pallu enverra de Surate, en 1672, une
demande d’avis sur un auteur spirituel portugais qu’il avait traduit et
qu’il proposait de faire voir à quelques personnes dont J. Bertot [1074].
Comme tous ses amis normands, Bertot se passionna
pour l’apostolat au Canada, aventure rendue célèbre par la mystique Marie de
l’Incarnation (1599-1672). En témoignent deux belles lettres écrites en
1673-1674 à un dirigé canadien [1075].
Enfin Bertot fut lié assez étroitement à
Catherine de Bar. Devenue la « Mère du Saint-Sacrement » au monastère
de la rue Cassette, cette fondatrice des bénédictines du Saint-Sacrement vécut
assez longtemps pour être appréciée par Madame Guyon. Leur lien est attesté par
plusieurs de ses lettres adressées à des tiers :
(a) une lettre à
Jean de Bernières [1076], extraite d’une correspondance suivie entre Catherine
et Jean, raconte des activités fructueuses du jeune Bertot et demande à le
sauvegarder contre ce qui pourrait être un excès de zèle de sa part. Elle
montre combien Monsieur Bertot, qui n’avait alors que vingt-cinq ans, était
perçu comme un père spirituel qui répandait la grâce autour de lui. Nous
percevons ici l’autre visage de Monsieur Bertot dont le travail n’avait ici pas
besoin d’être empreint de rigueur. Sa présence pleine d’amour est
regrettée :
De l’Hermitage du Saint Sacrement, le 30 juillet 1645.
Monsieur,
Notre
bon Monsieur Bertot nous a quittés avec joie pour satisfaire à vos ordres et
nous l’avons laissé aller avec douleur. Son absence [52] nous a touchées, et je
crois que notre Seigneur veut bien que nous en ayons du sentiment, puisqu’Il
nous a donné à toutes tant de grâces par son moyen, et que nous pouvons dire
dans la vérité qu’il a renouvelé tout ce pauvre petit monastère et fait
renaître la grâce de ferveur dans les esprits et le désir de la sainte
perfection. Je ne vous puis dire le bien qu’il a fait et la nécessité où nous
étions toutes de son secours […] mais je dois vous donner avis qu’il s’est fort fatigué
et qu’il a besoin de repos et de rafraîchissement. Il a été fort travaillé
céans, parlant [sans] cesse, fait plusieurs courses à Paris en carrosse dans
les ardeurs d’un chaud très grand. Il ne songe point à se conserver. Mais
maintenant, il ne [53] vit plus pour lui. Dieu le fait vivre pour nous et pour
beaucoup d’autres. Il nous est donc permis de nous intéresser de sa santé et de
vous supplier de le bien faire reposer. […]
Il vous dira de nos nouvelles
et de mes continuelles infidélités et combien j’ai de peine à mourir. Je ne
sais ce que je suis, mais je me vois souvent toute naturelle, sans dispositions
de grâce. Je deviens si vide, et si pauvre de Dieu même que cela ne se peut
exprimer. Cependant il faut selon la leçon que vous me donnez l’un et l’autre
que je demeure ainsi abandonnée, laissant tout périr. […].
(b) Dans une
autre lettre, Catherine de Bar transmet le récit de Bertot sur la mort assez
brusque de son directeur Jean de Bernières, (nous n’avons pas retrouvé le récit
de Bertot qui accompagnait la lettre) ; apparaît ici la figure du père
Paulin qui témoignera par la suite sur Madame Guyon :
Mon très cher et bon frère,
[...] si déjà vous ne le savez par la voye du R.P. Paulin, [...] Dieu nous a
ravi notre cher Monsieur de Bernières, autrement dit Jésus Pauvre, le 3 du mois de mai dernier. Voici ce que M. Bertost
[Bertot] nous en a écrit, vous y verrez comme il est mort anéanti, sans aucune
apparence de maladie [1077].
(c) Peu de temps après, le nom de Bertot apparaît dans
des lettres adressées à d’autres religieuses bénédictines :
- à la mère Benoite de la Passion, prieure de
Rambervillers, le 31 août 1659 :
Monsieur [Bertot] a dessein
de vous aller voir l’année prochaine, il m’a promis que si Dieu lui donne vie
il ira. Il voudrait qu’en ce temps-là, la divine providence m’y fit faire un
voyage afin d’y venir avec vous [...] C’est un enfer au dire du bon Monsieur de
Bernières, d’être un moment privé de la vie de Jésus-Christ [...] il faut
mourir. Monsieur Bertot sait mon mal [...] s’il vous donne quelques pensées, écrivez-le
moi confidemment [1078].
- à la mère Dorothée (Heurelle), sous-prieure, le 3
septembre 1659:
[Monsieur Bertot] voulait
avoir la bonté de nous venir voir à Pâques. Vous feriez une singulière charité
à mon âme de m’obtenir ce bien-là, car il me semble que j’ai grande nécessité
de personnes pour mon âme [1079].
- à la même, le 8 août 1660 :
A Rambervilliers ce 8 août
1660 / M. Bertot est ici, qui vous salue de grande affection ... je ressens
d’une singulière manière la présence efficace de Jésus-Christ Notre Seigneur[1080].
(d) Plus tard, dans une lettre adressée à une
religieuse de Montmartre en juin 1664, elle écrira à propos de Bertot arrivé à
Montmartre :
Je serai mille fois plus
peinée si je ne savais que notre bon M. Bertot lui tiendra lieu de père et de frère
et l’aidera à porter la croix que le Saint-Esprit a mise dans son cœur[1081].
Nous avons également retrouvé, relevés par le P. du
Chesnay, d’autres passages de moindre portée où apparaît le nom de
Bertot et les reproduisons en note [1082].
Dans la dernière partie de sa vie, en 1675, J. Bertot
fut nommé comme confesseur à la célèbre abbaye de Montmartre, proche du
pèlerinage à St Denis [1083]. Le lieu était à cette époque isolé de
l’agglomération parisienne :
Montmartre : 223 feux, y compris ceux de
Clignancourt. Ce village est sur une hauteur, au nord, près d’un faubourg de la
ville Paris [sic] auquel il donne son
nom [...] La chapelle des martyrs [...][possède] une statue de St Denis en
marbre blanc. C’est l’endroit où l’on croit qu’il fut enterré avec ses
compagnons. On a beaucoup de vénération pour ce lieu, et l’on y voit presque
toujours un grand concours de peuple ; Le monastère est également vaste et
beau, bien situé et accompagné de jardins d’une grande étendue. L’abbesse est à la nomination du roi. Dans le
village est une église paroissiale[1084]
dédiée à St Pierre [1085].
Bertot - comme Madame Guyon après lui - a dû souvent
monter et descendre la butte en contemplant la vue qui s’offrait à ses yeux :
En parcourant le tour de la
montagne [sic], on jouit d’une vue
très belle et très agréable ; on découvre en plein la ville de Paris,
l’abbaye de St Denis et quantité de villages. Les environs sont remplis de
moulins à vent. Il y a beaucoup de carrières, dont on tire continuellement le
plâtre pour la consommation de Paris [...] on trouve assez fréquemment au
milieu de cette masse de gypse, des ossements et vertèbres de quadrupèdes qui
ne sont point pétrifiés, mais qui sont déjà un peu détruits, et sont très
étroitement enveloppés dans la pierre... [1086].
Le rôle de la vénérable abbaye bénédictine, fondée en
1133 était central depuis sa réforme mouvementée qui avait eu lieu au début du
siècle avec l’aide de Benoit de Canfield. Bertot a dû souvent entendre évoquer
des souvenirs proches de cette période refondatrice :
[16] Les religieuses de plus en plus
mécontentes des efforts de leur abbesse [...] deux fois essayèrent vainement de
l’empoisonner ; une autre fois, elles décidèrent quelques-unes de « leurs
amis » à l’assassiner, mais l’un d’eux recula devant ce crime et prévint
Madame de Beauvilliers qui dès lors logea dans une chambre séparée, à porte
double et ne mangea plus d’aucun plat qui ne fut préparé par une des deux sœurs
converses sur lesquelles on pouvait compter [elle les avait amenées avec elle]
[...] l’évêque de Paris [...] rassembla les religieuses [...] ordonna tout
d’abord le rétablissement de la clôture ; toutes se levèrent et s’emportèrent,
à ce qu’il paraît, de la façon la plus scandaleuse. Le prélat se retira en
promettant à Mme de Beauvilliers de la défendre et en réalité il ne fit rien. /
Mme de Beauvilliers, soutenue par son seul directeur, le P. Caufeld [Canfield], prit résolument son parti...[1087].
Ceci se passait juste avant 1600 soit plus d’un demi
siècle avant l’activité de Bertot. Mais il a pu connaître la réformatrice, Mme
de Beauvilliers, morte en 1657 dans ce couvent [1088], et il a certainement lu attentivement l’opuscule
qu’elle composa pour ses religieuses, en suivant de très près Benoît de
Canfield, et dont voici un passage relatif à la conformité spirituelle :
...s’il est si plaisant et
agréable d’entrer dans le secret de notre intime ami, qu’est-ce d’entrer dans
le secret et le plus caché du cœur de Dieu ? Et c’est ce que fait, et à quoi arrive l’âme
par l’exercice continuel de la conformité de sa volonté à celle de Dieu, car en
faisant la volonté de Dieu, l’âme la connaît... [1089].
Bertot fut
surtout lié à Françoise-Renée de Lorraine, Madame de Guise [1090], abbesse de 1644 à 1669, en des temps moins troublés,
et qui mourut dans ce même couvent en 1682 :
M[ada]me de Guise dirigea
l’abbaye pendant vingt-cinq ans. Douée d’une haute intelligence, elle était en
relation avec les beaux esprits et les femmes élégantes du temps : le docteur
Valant, le médecin de M[ada]me de Sablé et de toute la société précieuse en
même temps que de l’abbaye, nous a conservé plusieurs billets d’elle fort
galamment tournés [...] Son administration avait été très favorable au
monastère [1091].
L’origine de cette amitié est décrite ainsi par la
lettre citée au début de cette biographie :
...Quand il fut prêtre, il
devint directeur des dames Ursulines et la communauté le députa pour aller à
Paris à cause des affaires qu’elle avait avec feu Mr Du Four abbé d’Aunay. Ce
voyage lui procura l’honneur de la connaissance de Madame l’Abesse [sic] de Montmartre et de son altesse
royale [1092]
Mademoiselle de Guise [1093].
Bertot ne se cantonnait cependant pas au rôle de
confesseur des bénédictines de Montmartre. Il avait conservé des activités en
Normandie : ainsi, on note qu’il fut chargé de régler, probablement en
1673 ou 1674, une affaire compliquée où Jean Eudes, ami de Jean de Bernières,
fut attaqué par ses anciens confrères oratoriens. Ces derniers tentèrent de le
discréditer, entre autres en ridiculisant son attachement à Marie des Vallées :
...les Oratoriens [de
Caen]...n’eurent pas de peine à faire entrer en lice, une fois encore, le
belliqueux Charles du Four, qui était chanoine de Rouen et abbé d’Aunay.
Celui-ci fut pourvu de divers manuscrits relatifs à Marie des Vallées ; il
en tira un pamphlet anonyme [...] Le P. Eudes était accusé d’avoir commis douze
hérésies...[1094].
Cela montre que J. Bertot, vers la
cinquantaine, avait acquis des qualités de diplomate que nous ne devinions pas
lorsqu’il abordait avec très grande netteté et sans concession les problèmes
intérieurs de ses dirigés. On entrevoit tout un réseau de relations établi
entre divers membres du groupe de l’Ermitage et débordant ce groupe vers
d’autres spirituels dont Marie des Vallées. Le passage suivant d’une lettre de
Bertot serait adressé à Jean
Eudes : celui-ci avait été aidé par l’abbesse de Montmartre qui appréciait
et éditera une œuvre de Bertot :
J’ai beaucoup de joie de tout
ce que vous me mandez de votre cher séminaire [...] Je remercie Dieu de ce que
Monseigneur est avec vous pour vous aider [...] Je prie Dieu que la providence
divine se mêle de votre bâtiment. Tout ce que l’on voit en ce pays s’y oppose
bien par sa pauvreté. Je suis tout à vous [1095].
En milieu parisien, l’amitié de l’abbesse de
Montmartre et de Madame de Guise aide à la constitution d’un cercle dévôt
autour de Bertot, comme le sous-entend la suite de la même lettre citée :
...Monseigneur le duc de
Guise le considérait beaucoup aussi bien que Mr de Noaille, Mr le duc de St
Aignan et Mr le duc de Beauvilliers [1096].
L’activité
d’un tel cercle [1097] est
attestée par la publication des deux volumes de retraites sous l’impulsion de l’abbesse. Ces schémas de retraites, comme plus tard les
petits traités du premier volume du Directeur
Mystique, ont pu être rapportés ou réécrits en partie par d’autres [1098]. Ces
témoignages de son activité sont suivis, mais bien plus tard, de la très
intéressante mise au point par la plume de Bertot lui-même sous le titre Conclusion aux retraites, publiée en
1684 et également destinée à Madame de Guise.
Ce texte fondamental est probablement le texte évoqué par Fénelon : Jean
Orcibal qui ne connaissait que les deux premiers volumes de retraites, dont il fixe la date à 1662,
après avoir rappelé que divers ouvrages portaient le mot Retraite dans leurs titres, cite l’appréciation donnée par Fénelon
en la supposant attribuée à ces deux volumes [1099].
Le rayonnement de Bertot, qualifié de « directeur
de conscience apprécié [1100] » ou de « conférencier très apprécié de
l’aristocratie et, en particulier, de divers membres de la famille
Colbert [1101] », déborde donc sur un cercle laïc dont on
retrouvera les membres groupés autour de Madame Guyon.
Les méchantes langues de la Cour ne comprenaient pas
ce qui unissait ce groupe d’amis que Saint-Simon appellait le « petit
troupeau » avec son ironie coutumière. Il dit de Madame Guyon, le 16
janvier 1694 :
Elle ne fit que suivre les
errements d’un prêtre nommé Bertaut [sic],
qui bien des années avant elle, faisait des discours à l’abbaye de Montmartre,
où se rassemblaient des disciples, parmi lesquels on admirait l’assiduité avec
laquelle M. de Noailles, depuis Maréchal de France, et la duchesse de Charost,
mère du gouverneur de Louis XIV, s’y rendaient, et presque toujours ensemble
tête à tête, sans que toutefois on en ait mal parlé. MM. de Chevreuse et de
Beauvilliers fréquentaient aussi cette école [1102].
Saint-Simon indique également le rôle antérieur
important joué par la duchesse de Béthune, autre dirigée de Bertot :
Dans ce petit troupeau était
une disciple des premiers temps [la duchesse de Béthune], formée par M. Bertau
qui tenait des assemblées à l’abbaye de Montmartre, où elle avait été instruite
[1103].
Bertot est reconnu comme le chef du « petit
troupeau » quiétiste par le même Saint-Simon, toujours précisément informé
par ses amis les ducs de Chevreuse et Beauvilliers :
[on pouvait] entendre un M.
Bertau à Montmartre, qui était le chef du petit troupeau qui s’y assemblait et
qu’il dirigeait [1104].
Le
témoignage capital donné par un informateur au service de Madame de Maintenon
confirme le rôle central de Bertot dans les cercles laïcs constitués autour de
Montmartre. Il met aussi en lumière son activité auprès des Nouvelles
Catholiques, auxquelles Madame Guyon et Fénelon furent attachés. Bertot avait
auparavant fait une donation aux Nouvelles Catholiques - en les associant
à une œuvre de charité [1105]. Le lecteur appréciera le parfum d’enquête
policière qui se dégage d’un document par ailleurs fort bien informé [1106] :
[f° 2v°] Si cette doctrine
[le quiétisme] a eu cours ou non, si elle fut étouffée alors, ou si elle s’est
perpétuée par le dérèglement de quelques misérables prêtres ou religieux, c’est
ce que je ne puis dire. Il y a plus de vingt ans que l’on voit à la tête de ce parti
Mr Bertau [Bertot], directeur de feu Madame de Montmartre, qui mourut en 1679
ou [16]80. Cet homme était très ignorant et très grossier, sa conduite n’était
pas trop édifiante ; j’ai parcouru quelques-uns de ses ouvrages, entre autres
quelques lettres manuscrites qui me viennent d’un endroit sûr, ce sont les
mêmes principes, le même jargon, et le même galimatias que nous trouvons dans
Molinos et dans les autres quiétistes que nous connaissons. Cet homme était
fort consulté ; les dévots et les dévotes de la Cour avaient beaucoup de
confiance en lui ; ils allaient le voir à Montmartre, et sans même garder
toutes les mesures que la bienséance demandait, de jeunes dames de vingt ans
partaient pour y aller à six heures du matin tête-à-tête avec de jeunes gens à
peu près du même âge. On rendait compte publiquement de son intérieur,
quelquefois l’intérieur par écrit courait la campagne. Mr B[ertot] faisait
aussi des conférences de spiritualité à Paris dans la maison des Nouvelles
Catholiques, et auxquelles plusieurs dames de qualité assistaient et admiraient
ce qu’elles n’entendaient pas. Les soeurs n’y assistaient pas [y
assistaient ?], les supérieurs de cette maison ne voyant rien
d’ouvertement mauvais ne les empêchèrent
pas. Les ouvrages de cet homme tant imprimés que manuscrits sont en grand
nombre, je ne sais pas précisément quels ils sont. Madame G[uyon] était,
disait-il, sa fille aînée, et la plus avancée, et Madame de Charost était la
seconde, aussi soutient-elle à présent ceux qui doutent. Elle paraît à la tête
du parti, pendant que Madame Guyon est absente ou cachée. Quoique j’ai bien du respect pour Madame de
Charost, je crois vous devoir avertir qu’il faut y prendre garde. […]
[f° 39v°] On pourra tirer des
lumières de la sœur Garnier et de la sœur Ansquelin des Nouvelles Catholiques,
si on les ménage adroitement, et qu’on ne les commette point. Elles peuvent
parler sur Madame Guyon, sur la soeur Malin et sur Monsieur Bertot. Il se
faisait chez elles des conférences de spiritualité auxquelles présidait Monsieur
Bertot. Les Nouvelles Catholiques n’y assistaient pas, elles pourront néanmoins
en dire quelque chose. Madame la duchesse d’Aumont et Madame la marquise de
Villars pourront dire des nouvelles de la spiritualité du sieur Bertaut avec
qui Madame Guyon avait une liaison si étroite qu’il disait que c’était sa fille
aînée. […]
Malgré la vindicte de Madame de Maintenon, ce petit
groupe était fort apprécié de Louis XIV pour sa haute moralité et son
honnêteté : Chevreuse fut conseiller particulier du roi, Beauvilliers
conservera la responsabilité des finances royales, Fénelon fut nommé précepteur
du Dauphin. Malgré le manque de liberté de conscience sous ce règne, le cercle
solidement constitué par Bertot, puis regroupé autour de Madame Guyon,
résistera à toutes les intimidations et survivra longtemps après la mort de
celui-ci.
J. Bertot mourut prématurément à 59 ans à Paris le 28
avril 1681 [1107] :
11e
septembre 1684, Transaction devant les
notaires de Caen au sujet du testament du sieur abbé Bertot : […] on
célébrera tous les ans à perpétuité un service solennel le jour de son décès
arrivé le 28 avril 1681 pour repos de son âme avec une basse messe de Requiem
tous les premiers mardy de chaque mois où les pauvres dud[it] hopital
assisteront… » [1108].
Madame Guyon a ainsi raison lorsqu’elle situe la mort
de son directeur avant le début de
ses voyages :
Je ne pouvais plus consulter
M. B[ertot], car il
était mort quatre mois avant mon départ...[1109].
Le savant prélat érudit Huet donne une date fausse
dans la lettre citée au début de cette biographie de Bertot, dont nous
terminons ici la reproduction :
...Mr le duc de Beauvilliers
qui eût bien la bonté d’accepter la charge d’être exécuteur de son testament.
Il [Bertot] mourut le vingt-trois d’avril 1683 à Montmartre, âgé de 59
cinquante neuf [sic]. Il est inhumé
au dessous du bénitier dans l’église de la d[ite] abbaye[1110].
Les écrits reproduits dans le Directeur
Mystique ont probablement cheminé par le duc de Beauvilliers, exécuteur
testamentaire, ensuite par une religieuse de Montmartre, puis par le père
Paulin d’Aumale qui les remit à la duchesse
de Charost [1111]. Ce père eut en dépôt les écrits de Bertot car tous deux appartenaient
probablement au même couvent de Nazareth à Paris.
7
juillet 1694. Il y a environ dix ans que Dieu m’ayant donné la connaissance de
Mme la duchesse de Charost, par une visite qu’elle me fit l’honneur de me
rendre dans notre église, à l’occasion de quelques manuscrits de feu M. l’abbé
Bertot, qu’une religieuse de Montmartre, nommée Mme de Saint-André, m’avait
chargé à sa mort de lui remettre entre les mains […] je l’allais voir chez
elle…[1112].
Ces manuscrits parvinrent finalement à Madame Guyon.
On peut supposer qu’elle disposait également de lettres confiées à ses proches
; tous ces écrits furent préparés pour l’édition par Madame Guyon après sa
sortie de la Bastille et enfin édités, sous le nom du Directeur mistique [sic], par les amis
de Poiret, en 1726.
Bien que sans événement majeur, la vie de Bertot fut
donc extrêmement remplie. Pourtant, grâce aux très rares confidences échappées
au fil des lettres du Directeur Mystique [1113], on sait que ce rôle ne fut pas dicté par sa volonté
personnelle :
Les affaires sont un poison
pour moi et une mort continuelle qui ne fait nul bien à mon âme, sinon que la
mort, de quelque part qu’elle vienne, y donne toujours un repos. Mais je
n’expérimente pas que cela soit ma vocation ; et ainsi ce repos n’est pas de
toute mon âme, mais seulement de la pointe de la volonté [1114].
Son rôle fut capital : ce prêtre entièrement
dévoué à la tâche de direction spirituelle, assura la transmission de la
spiritualité vécue par le groupe normand constitué autour de l’Ermitage de Jean de Bernières et du
monastère de Jourdaine de Bernières, vers le groupe de Paris, constitué autour
du monastère de Montmartre et du cercle qui deviendra celui de Madame Guyon
quand elle succèdera à son directeur spirituel.
Des copies de lettres de Bertot circulaient chez les
fidèles de Madame Guyon et celle-ci jugeait ses écrits si importants qu’elle
s’est donné la peine de les rassembler elle-même dans le Directeur Mystique. L’Avertissement
du premier volume, rédigé probablement par elle, atteste sa reconnaissance
envers lui.
L’influence de Monsieur Bertot se poursuivra jursqu’au
siècle suivant : il a été lu dans les cercles guyonniens en Europe au
XVIIIe siècle. Les noms de Bertot et Bernières furent engloutis dans
la catastrophe de la condamnation du quiétisme et disparurent du monde catholique.
Leur importance mystique ne fut plus reconnue que par des protestants éloignés
dans le temps, ce qui en quelque sorte « ferme la boucle » sur deux
siècles d’histoire. Un choix d’extraits du Directeur
mystique a été réédité en milieu piétiste [1115]. On trouve le Directeur
Mystique ainsi que le Chrétien
intérieur de Bernières dans les rares livres possédés par le pasteur
Dutoit [1116] et saisis par la police bernoise, lorsque l’activité
jugée suspecte de ce dernier provoque une descente chez lui :
Inventaire et verbal de la
saisie des livres et écrits de Monsieur Dutoit, 1769 : ... l’inventaire
suivant: la Bible de Madame Guyon et plusieurs de ses ouvrages, Monsieur de
Bernières, soit le Chrétien intérieur,
la Théologie du Coeur, Le Directeur mystique de Monsieur Bertot, Oeuvres de Ste Thérèse [en note :
appartient à Mr Grenus], La Bible de Martin, l’Imitation d’A. Kempis.
Déclarant de bonne foi...[1117].
Les noms de Madame Guyon et de Bertot sont associés
dans une lettre de Fleischbein, dont l’épouse, Pétronille d’Eschweiller, fut
présente à Blois, auprès de Madame Guyon. Il déclare à son jeune disciple
suédois, le comte de Klinckowström :
Dévorez,
consumez
écrivent Mme Guyon et M. Bertot... [et plus loin:] ... C’est ce que conseillent
et attestent Mme Guyon, M. Bertot, tous les mystiques... [1118].
L’importance de Bertot et Bernières est donc
reconnue par les disciples de Madame Guyon, majoritairement des étrangers
protestants. On sait le rayonnement de Fénelon et l’influence souterraine
exercée par nos mystiques sur les jésuites Milley et Caussade, les protestants
Tersteegen et Wesley, au XVIIIe siècle. Leur redécouverte, amorcée
par Ramière, autre jésuite redécouvrant Caussade au XIXe siècle, est
récente. Le nom même de Bertot réapparaîtra sous le nom de Berthod dans la
monumentale Histoire du sentiment
religieux de Bremond [1119] où il
redécouvre de grands spirituels en retournant aux textes eux-mêmes. Bertot a
droit, cette fois sous son vrai nom, à un article de Pourrat dans le Dictionnaire de Spiritualité puis, cette
fois sous son vrai nom, à un exposé sérieux : « J’ai peur de trop bien
comprendre. Les actions de l’âme ne sont plus les siennes mais celles de
Dieu ». L’époque où oeuvrait Pourrat explique sa sévérité vis-à-vis des
« préquiétistes » auxquels appartiendraient Bernières, le frère
Laurent de la Résurrection (!), le grand carme Maur de l’Enfant-Jésus disciple
de Jean de Saint-Samson, etc. [1120].
Le mot « quiétisme » est apparu aux
historiens modernes comme une étiquette qui ne correspond à aucun contenu
cohérent : on ne retrouve pas les propositions condamnées dans les auteurs
dits « quiétistes » [1121].
Notre époque, enfin, semble capable de redécouvrir sans peur l’expression profonde de ces grands
mystiques sans leur accoler d’étiquette
toute faite ou des idées préconçues.
Le corpus de
l’œuvre, tel que nous avons pu le reconstituer pour la première fois, comporte
sept volumes publiés en trois fois sur une très longue durée de soixante-quatre
ans. Un huitième volume qui s’intitulerait De
la Contemplation resterait peut-être à découvrir [1122].
En 1662 parurent Diverses retraites où une âme
après avoir connu son désordre par la lumière du Saint-Esprit, se résoud à le
quitter, et embrasser le chemin de la sainte perfection ainsi que la
Continuation des retraites dans lesquelles l’âme puisera des lumières pour travailler solidement à sa
perfection [1123]
: elles donnent en deux volumes, comportant toutefois une pagination unique
sinon cohérente, des schémas de retraites probablement rassemblés par les soins
d’auditeurs.
Le caractère schématique et de seconde main, ou
du moins attestant des retouches, nuit au contenu, même si l’on admet que
les protestations ultérieures de J. Bertot, qui seraient à l’origine du
complément de sa main intitulé Conclusion aux retraites..., ne sont pas à
prendre au pied de la lettre. Le genre littéraire propre aux schémas de
retraites est bien connu ; de nos jours il apparaît caduc car il est
plutôt adapté à des prédicateurs préparant des retraites de dix jours qu’aux
besoins actuels. On se reportera plutôt aux retraites de Jean Chrysostome de
Saint-Lô qui ont été en honneur dans le groupe de l’Ermitage et méritent la
plus grande attention [1124] ;
c’est pourquoi nous ne retiendrons aucun texte de ces deux volumes, bien qu’ils
reflètent l’activité pastorale de Bertot.
La Conclusion des Retraites […] de l’oraison…
Vingt-deux ans plus tard, en 1684, paraît La
conclusion des retraites où il est traité des degrés et des états différens de
l’oraison, et des moyens de s’y perfectionner. Ce troisième et dernier
volume édité, après la mort de Bertot [1125], par
les soins de la supérieure du couvent de Montmartre, a été retrouvé à Chantilly
grâce à A. Derville. Il s’agit d’un traité bref, mais bien charpenté et très
précis, couvrant avec grande autorité toute la voie mystique : nous n’en
connaissons pas d’équivalent contemporain. Le seul texte qui puisse l’égaler
est celui des Torrents de Madame Guyon qui reprend le fond de cet exposé sous
une forme parfois lyrique. Les deux textes sont d’une grande finesse
psychologique. Nous rééditons ce traité dense dans sa totalité, en conclusion
du volume. Il résume les principaux thèmes de la correspondance et des
opuscules.
Bertot y prend le risque d’affirmer sa grande
autorité, poussé à rédiger un tel traité, contrairement à son habitude, pour
corriger la perspective des deux volumes de Retraites précédemment
publiés : « Tous les degrés d’oraison sont expliqués, les marques
pour connaître quand on y est, y sont données, et les effets de chaque degré
sont aussi marqués. »
Il est réputé écrire peu et présente en
premier lieu les raisons qui justifient cette entreprise pour lui inhabituelle
: précaution contre tout risque de fuite devant la réalité, reconnaissance des
dons de la grâce prête à répondre à toute ouverture, reconnaissance de la
fonction propre à chaque degré qui devra être parcouru au rythme propre à
chacun. La grâce divine apporte le bonheur dès cette vie.
Ensuite commence l’exposition des degrés et des
états, partie constituant le traité proprement dit. Elle nous intéresse par la
précision de la définition des états et des critères de passages entre eux, qui
révèle une expérience de première main couvrant l’ensemble du parcours
mystique.
Elle est écrite avec concision sinon légèreté,
ce qui est possible car les éléments de persuasion, caractéristiques de
l’activité d’un confesseur conférencier, ont été laissés aux deux premiers
volumes de Retraites, dont ce traité constitue l’adjonction correctrice. Le
lecteur doit surmonter un style recherchant la précision plutôt que l’élégance
mais sera largement récompensé de ses efforts. Une certaine pesanteur traduit
la volonté du directeur d’éliminer tout ce qui pourrait être source de méprises
sur la situation réelle des dirigés.
De nombreux manuscrits de Jacques Bertot furent
transmis après sa disparition à Madame Guyon. Ils furent mis en ordre par
celle-ci, à Blois, probablement après 1710, à une époque où elle était en
relation avec l’éditeur P. Poiret, devenu son disciple. Elle avait connu
l’errance, la reconnaissance publique suivie des prisons, une série
d’événements qui normalement auraient dû la distancier d’un ancien directeur
mort trop tôt, en 1681. Mais dans sa vieillesse, elle veut rendre hommage à
celui qui l’a formée et qui lui a transmis la possibilité d’aider les autres.
La mise en ordre des écrits de Monsieur Bertot
nous apparaît ainsi comme un témoignage de respect rendu vers la fin de sa vie,
un « tombeau » élevé à sa mémoire [1126]. Ces
textes sont édités en 1726 sous le titre : Le directeur Mistique ou les Oeuvres
spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu M. de Bernières et directeur de
Mad. Guion [1127], par le cercle de P. Poiret peu après la mort
de ce dernier ; il s’est alors écoulé quarante cinq ans depuis la mort de
Bertot...
Le titre révélateur de « Directeur
Mystique » peut paraître étrange mais l’association des deux termes résume
bien le contenu des quatre volumes. En conclusion sont données vingt-et-une
lettres - vingt-deux si l’on compte l’ajout d’une lettre-conclusion - de Jeanne
Guyon qui ne sont pas adressées à son directeur et qui apparaissent comme
postérieures à la mort de ce dernier. Ces lettres montrent la maturité et
l’autorité de celle qui s’adresse à son tour à des dirigés, reprenant ainsi la
tâche de direction spirituelle là où Monsieur Bertot l’a interrompue [1128]. Cela
traduit la volonté des disciples de Madame Guyon en relation avec le cercle de
P. Poiret, (lui-même devenu l’un d’entre eux), d’indiquer J.-M. Guyon comme le
successeur.
L’avertissement indique que Bertot est un
disciple de Bernières et souligne la continuité doctrinale entre eux, qui
sera de même assurée par Madame Guyon par rapport à Bertot :
…les Ecrits et les Lettres de
Monsieur Bertot, son Ami intime et son Fils Spirituel … enseignent la même
doctrine…[1129].
Il est très difficile de distinguer leurs
écrits. C’est la même eau qui court, dans un style plus abrupt et dense chez
Monsieur Bertot, plus clair et lyrique chez sa dirigée. Une réécriture de certains textes a pu avoir
lieu pour quelques opuscules ou petits traités du tome I [1130].
C’était l’époque où l’on se permettait facilement d’intervenir dans le texte
d’autrui. De toute façon, ce groupe ne se préoccupait pas de la vanité d’être
un auteur. Ils se souciaient uniquement de transmettre une expérience commune
grâce à un vocabulaire identique, de génération en génération, de façon à ce
que les mystiques futurs puissent s’appuyer sur des textes solides.
Douze traités (vol. I) sont suivis de 221
lettres montrant les qualités de précision et l’autorité du directeur (vol. II
à IV). Elles sont adressées à des correspondants non cités par discrétion ou
prudence.
A l’œuvre de Bertot, Madame Guyon (ou peut-être
les proches de Poiret, mais nous doutons qu’ils aient pris une telle liberté
par rapport à « notre mère ») a ajouté une relation concernant Marie
des Vallées (vol. II), et des lettres qui lui furent adressées par Maur de
l’Enfant-Jésus (vol. IV) : ils sont nommément cités. L’ensemble se
termine sur des lettres de Madame Guyon adressées à des disciples, indiquant
une continuité dans l’apostolat [1131].
Il est difficile d’établir des attributions
certaines pour les lettres de Bertot qui constituent la plus grande partie du DM : les références personnelles
sont rares, car elles ont été volontairement omises lorsqu’elles n’étaient pas
intimement intégrées au sein du texte. Les dates aussi ont été enlevées. Le
classement de l’édition, initié par Madame Guyon, poursuivi par Poiret, mélange
les correspondants et n’est pas chronologique, parce qu’il a été établi selon
un critère d’intériorité croissante.
De nombreuses lettres sont adressées à Madame
Guyon, souvent en réponse aux questions que celle-ci posait sous forme de
« lettres à l’auteur » : l’ensemble constitue ainsi une correspondance
fascinante qui complète heureusement ce qu’elle rapporte dans la Vie.
Cette correspondance corrige l’aspect quelque peu négatif de leurs
relations telles qu’elles sont rapportées au début de la Vie dont la rédaction se situe encore tôt dans la vie de Madame
Guyon. Elle apprécia mieux par la suite Monsieur Bertot en préparant ce Directeur mystique.
On retrouve quelques lettres de Bertot reprises
dans la correspondance publiée de Madame Guyon [1132],
ainsi qu’une belle lettre [1133]
restée manuscrite, datée du 22 mars 1677, recopiée de la main de Dupuy, copiste
de lettres de Madame Guyon au duc de Chevreuse.
4. Aperçu de la voie.
Monsieur Bertot
se situe dans une tradition chrétienne reconnue, comme le montrent les
quelques recommandations de lecture qu’il donnait :
Tant de livres ont été faits
par de saintes personnes pour aider les âmes en la première conduite, comme
Grenade, Rodriguez et une infinité d’autres ... Pour la voie de la foi, il y en
a aussi plusieurs, comme le bienheureux Jean de la Croix, Taulère, le Chrétien Intérieur [de Bernières] et une
infinité d’autres...[1134].
Le livre de la Volonté de
Dieu [ou Règle de Perfection] de
Benoît de Canfeld peut beaucoup servir [1135].
Mais il ne s’agit jamais d’une
« théorie » relevant du champ théologique. Le progrès dans la voie ne
dépend jamais d’états spirituels ou d’extases, ces moments privilégiés qui
fascinent beaucoup d’entre ceux qui approchent la littérature spirituelle.
Bertot reste des plus discrets à leur sujet : ce directeur expérimenté
considère les « lumières » comme des appels à se mettre en chemin et
une aide à en accepter les fatigues, mais dont les spirituels confirmés
auxquels il s’adresse doivent se détacher. Il affirme sans détour la réalité
d’un état permanent en Dieu vers lequel il appelle sans relâche à se diriger
sans s’arrêter en route.
Dans le premier volume du Directeur mistique, Monsieur Bertot distingue deux degrés qui
correspondent à la découverte de l’intériorité puis à l’établissement dans
l’unité, un troisième qui correspond à
la désappropriation, un dernier à la renaissance à une nouvelle vie : la foi
commence à simplifier l’âme, et le feu de ses opérations diminue sans savoir
comment ; s’ensuit le repos qui consiste à trouver Dieu en son fond de même que
l’on clarifie de l’eau en la laissant reposer ; l’âme se laisse alors couler et
perdre dans l’abîme, non par son action mais par une inclination centrale ;
enfin l’âme ayant perdu son soi-même en Dieu devenu son principe divin, elle
fait ce que Dieu veut faire d’elle et par elle. On retrouve là l’écho de son
maître Jean de Bernières :
La pure oraison cause la
perte de l’âme en Dieu où elle s’abîme comme dans un océan de grandeur, avec
une foi nue et dégagée des sens et des créatures. Jusqu’à ce que l’âme en [237]
soit arrivée là, elle n’est point en Dieu parfaitement, mais en quelque chose
créée qui la peut conduire à ce bienheureux centre; c’est pourquoi il faut
qu’elle se laisse conduire peu à peu aux attraits de la grâce pour ainsi
s’élever à une nudité totale par sa fidélité. [...] Cette perte en Dieu ne se
peut exprimer que grossièrement, comme par la comparaison d’une goutte d’eau
qui tombe dans la mer: par cette chute elle s’y abîme et s’y perd et devient en
quelque manière la mer même par la pleine participation de toutes ses qualités.
Ainsi une âme élevée en Dieu par la foi nue s’y unit, s’y abîme et s’y perd,
participant aux perfections de Dieu qui la déifient en quelque [238]
manière....[1136].
Une longue description dans le troisième volume du
même Directeur mystique précise le
chemin :
Il y a quatre degrés en la
vie spirituelle, et par lesquels l’âme est conduite en cette vie. Le premier est celui des bonnes lumières et
des bons désirs ... Le second ... est
l’oraison passive en lumière, qui n’est autre chose qu’une quantité de lumières
divines données de Dieu dans les puissances ; et leur effet particulier est de
les purifier, en leur faisant voir la beauté ... Ce troisième degré est commencer à entrer dans l’intérieur du temple,
je veux dire de Dieu même; et pour cet effet Dieu lui soustrait ses lumières,
ses goûts et les désirs de Lui. ... Elle se débat et fait des efforts pour
donner ordre à ce malheur ... c’est une divine lumière obscure et inconnue qui
est donnée à l’âme dans le fond et non dans les puissances, qui fait évanouir
votre première lumière qui était dans les puissances et fait voir ainsi leur
vie et malignité. ... Comme la première lumière des puissances faisait voir les
ordures du dehors ... celle-ci fait voir la vie et la saleté de la créature.
... comme les effets de la première lumière étaient de remplir et de nettoyer,
les effets de celle-ci sont de vider et de faire mourir... Après un long temps
de mort et que l’âme y a été bien fidèle et y a bien souffert ce qui ne se peut
dire, par la purification de son intérieur selon toutes ses parties, mais comme
en bloc et en confusion, car la lumière y est générale, Dieu lui ôte encore
toute la dévotion qu’elle avait … Elle se résout donc de plus en plus à mourir
et de se laisser ainsi tuer toute vive et malgré elle. ... C’est pour lors que
l’on découvre cette beauté admirable de notre âme dans sa ressemblance avec
Dieu: Vous avez gravé en nous et sur nous
la beauté de votre visage. Et un pauvre paysan ... vous dira des merveilles
de l’unité de Dieu ... Il voit dans son âme comme dans une glace cette unité
divine et dans l’opération de ses puissances revivifiées...
Monsieur Bertot fut le directeur de très
nombreuses personnes, aussi bien de religieuses que de laïcs,
d’aristocrates et de gens très simples.
Mais les rares traces qui nous en restent n’existent que par le témoignage
de madame Guyon. C’est pourquoi nous allons parler plus particulièrement
des relations de Monsieur Bertot avec Madame Guyon, sa dirigée la plus connue,
car elle est la seule à en avoir relaté les détails dans son autobiographie.
Nous donnons des extraits assez larges parce
qu’ils éclairent ce que peut être une direction qui vise à faire franchir le
plus rapidement possible les grands obstacles rencontrés sur le chemin
mystique. La mémoire de la dirigée est encore vive puisque le début de sa Vie par elle-même a été rédigé dès 1682.
Madame
Guyon rencontra Monsieur Bertot grâce à des intermédiaires que celui-ci connaissait
depuis longtemps : il est intéressant de voir comment s’enchaîna une
succession de rencontres providentielles qui répondaient à son désir d’un
approfondissement intérieur. Ce fut la Mère Geneviève Granger, supérieure des
bénédictines du couvent de Montargis, qui prit en charge Madame Guyon, et qui
la présenta à Monsieur Bertot, la jugeant probablement arrivée à une certaine
maturité spirituelle.
Nous ne possédons malheureusement que peu
d’informations sur cette belle figure de religieuse dont l’influence, majeure
sur la jeune femme, fut parallèle à celle de Bertot [1137] :
« … après sa mort [il
s’agit de la mère Granger] ses amis ayant demandé quelque chose à garder pour
l’amour d’elle, on fut contraint de les refuser, son trésor ne renfermait que
deux choses, un pauvre crucifix et un chapelet. … aux pauvres gens qui venaient
au tour du monastère, elle avait des respects ... prenait plus de plaisir à
converser avec eux qu’avec les grands du monde, elle ne pouvait souffrir qu’une
religieuse parlât de sa naissance ... elle se regardait comme une cloche qui
avertit les autres d’aller à Dieu ... avait en horreur sa propre excellence,
disant qu’il n’y avait rien qui éloignât davantage les âmes de la perfection
que l’estime secrète ... voulait que l’on fît des actions ordinaires d’une
façon surnaturelle … Elle avait reçu de Dieu une lumière surnaturelle pour
connaître l’intérieur de ses filles ... [qui] n’avaient point la peine de lui
déclarer leur état ... Approchant d’elle leurs nuages étaient dissipés ...[La
Mère] demandait à Dieu de faire son ouvrage lui-même dans les âmes afin ...
qu’elle n’y eut point de part. »
Madame Guyon
fait ainsi le récit de sa première rencontre avec Bertot :
...Je
dirai que la petite vérole m’avait si fort gâté un oeil que je craignais de le
perdre tout à fait, je demandai d’aller à Paris pour m’en faire traiter, bien
moins cependant pour cela que pour voir M. B[ertot] que la M[ère] G[ranger]
m’avait depuis peu donné pour directeur et qui était un homme d’une profonde
lumière. Il faut que je rapporte par quelle providence je le connus la première
fois. Il était venu pour la M[ère] G[ranger]. Elle souhaitait fort que je le
visse; sitôt qu’il fut arrivé, elle me le fit savoir, mais comme j’étais à la
campagne, je ne trouvais nul moyen d’y aller. Tout à coup mon mari me dit
d’aller coucher à la ville pour quérir quelque chose et donner quelque ordre.
Il devait m’envoyer quérir le lendemain, mais ces effroyables vents de la St
Matthieu vinrent cette nuit-là de sorte que le dommage qu’ils causèrent
m’empêcha de retourner de trois jours. Comme j’entendis la nuit l’impétuosité
de ce vent, je jugeai qu’il me serait impossible d’aller aux Bénédictines ce
jour-là et que je ne verrais point M. Bertot. Lorsqu’il fut temps d’aller, le
vent s’apaisa tout à coup, et il m’arriva encore une providence qui me le fit
voir une seconde fois [1138].
C’est ainsi que
Madame Guyon trouva son directeur [1139] :
elle se référera à son autorité jusqu’à la fin de sa vie, ce dont témoigne une
lettre au comte de Metternich :
« Je
vous envoie une lettre d’un grand serviteur de Dieu qui est mort il y a
plusieurs années. Il était ami de Monsieur de Bernières, et il a été mon
Directeur dans ma jeunesse [1140]. »
Tout en demeurant à
Montargis, sa ville natale, mais « montant » parfois à Paris, Madame
Guyon faisait donc maintenant partie d’un cercle spirituel qui
comprenait entre autres la mère Granger, la duchesse de Charost et le duc de Noailles, les ducs de Chevreuse
et de Beauvilliers [1141].
Tous avaient une grande vénération pour Monsieur Bertot.
Etrangement, Madame
Guyon ne relate dans sa Vie que ses difficultés de relation avec lui. Mais
elle en dit la raison : son impossibilité à parler de son état spirituel
sauf en mal, alors qu’elle est déjà dans un état d’oraison sans considérations.
Elle raconte :
Paris n'était plus pour moi un lieu à redouter, le
monde ne servait qu'à me recueillir et le bruit des rues augmentait mon
oraison. Je vis M. Bertot, qui ne me servit pas autant
qu'il aurait fait si j'avais eu alors le don de m'expliquer, mais Dieu tenait
une telle conduite sur moi que, quelque envie que j'eusse de ne rien cacher, je
ne pouvais rien dire. Sitôt que je lui parlais, tout m'était ôté de
l'esprit [1142],
en sorte que je ne pouvais me souvenir de rien que de quelques défauts que je
lui disais. Ma disposition du dedans était trop simple pour en pouvoir dire
quelque chose, et comme je le voyais très rarement, que rien n'arrêtait dans
mon esprit, et que je ne lisais rien qui fut conforme à ce que j'éprouvais, je
ne savais comment m'en expliquer. D'ailleurs je ne désirais faire connaître que
le mal qui était en moi : c'est ce qui a fait que M. Bertot ne m'a connue
qu'après sa mort. Cela m'a été d'une très grande utilité pour m'ôter tout
appui, et me faire bien mourir à moi-même[1143].
Chez Bertot qui
avait à s’occuper de beaucoup de gens, ce mutisme a entraîné un apparent
désintérêt :
Je
fus faire une retraite avec M. Bertot et Madame de C[harost], au P.[lieu inconnu].
Dieu permit que M. Bertot ne me parlât point qu'un demi-quart d'heure au plus.
Comme il vit que je ne lui disais rien, que je ne savais que dire, et que
d'ailleurs je ne lui avais jamais parlé des grâces que Notre-Seigneur m'avaient
faites, non par envie de les cacher, mais parce que vous ne le permîtes pas, ô
mon Dieu, qui n'aviez sur moi que des desseins de mort, M. Bertot parlait aux
âmes qu'il croyait d'une plus grande grâce, et me laissait comme celle où il
n'y avait presque rien à faire.[1144]
La Vie témoigne aussi de malentendus qui
firent beaucoup souffrir Madame Guyon :
M.
B[ertot],
sur des rapports qu’on lui fit que je faisais de grandes austérités, car des
gens se l’imaginaient à cause de l’extrême peine où j’étais, qui me rendait
méconnaissable, et qui me les avait défendues, crut que je me conduisais à ma
tête et comme dans cet état déplorable je ne lui pouvais rien mander de moi,
Dieu ne le permettant pas, - car quoique j’eusse des peines si vives du péché,
lorsque je voulais écrire ou en parler, je ne trouvais rien et j’étais toute
stupide ; même lorsque je me voulais confesser, je ne pouvais rien dire
sinon que j’avais du sensible pour la créature ; ce sensible était tel
que, dans tout le temps qu’il dura, il ne me causa jamais aucune émotion ni
tentation dans la chair - M. Bertot m’abandonna, il me fit mander que je prisse
un autre Directeur. Je ne doutais plus que Dieu ne lui eût fait connaître mon
méchant état, et que cet abandon ne fût la plus sûre marque de ma réprobation
[condamnation]. / Je restais si affligée que je crus que je mourrais de
douleur.[1145]
Au moment où
elle luttait contre un penchant amoureux, Monsieur Bertot se montra
inexorable :
Je
croyais être perdue : car tout ce que j’avais pour l’extérieur et l’intérieur
me fut ôté. M. Bertot ne me donna plus de secours; et Dieu permit qu’il comprît
mal une de mes lettres, et qu’il m’abandonnât même pour longtemps dans mon plus
grand besoin, ainsi que je le dirai dans son lieu [1146].
Même lorsqu’elle
pensait que son état spirituel s’améliorait, Monsieur Bertot ne la laissait pas
être contente d’elle-même :
J’eus
l’occasion de voir M. Bertot pour quelque moment. Je lui dis que je croyais mon
état bien changé, sans lui en dire le détail, ni ce que j’éprouvais, ni ce qui
l’avait précédé. J’eus très peu de temps à lui parler, et encore était-il
appliqué à autre chose. Vous permîtes, ô mon Dieu, qu’il me dit que non,
peut-être sans y penser. Je le crus, car la grâce me faisait croire ce que l’on
me disait malgré mes lumières...[1147].
Ce n’est qu’en
rédigeant son autobiographie qu’elle comprit la signification de ce que la
Providence lui avait infligé :
Il
semblait que Dieu ne m’avait donné M. Bertot que pour m’ôter les appuis, et non
pour m’en servir…[1148].
A la fin de son existence, elle reconnaîtra
définitivement le sens de ce qu’elle a vécu avec Monsieur Bertot dans l’hommage
solennel rendu dans l’Avertissement
qui précède le DM :
...Ceux
qui auront vu l’histoire de la Vie de
Madame Guyon écrite par elle-même, y auront remarqué sans doute que notre
Auteur a été son Directeur presque durant tout le temps que le divin Amour la
conduisit par les voies les plus dures et les plus rigoureuses pour lui faire
trouver la vie ressuscitée en Dieu ... Il est vrai qu’elle reconnaît que, par
une [3] providence toute particulière, et pour lui ôter tous les appuis qui
auraient pu empêcher en elle la perte de toute vie propre, il ne l’aidait guère
pour son intérieur. Cependant Mr. Bertot étant mort dans les commencements de
la vie nouvelle, ... elle nous marque que non seulement elle eut quelque signe
de sa mort, et même qu’elle fut la seule à qui il s’adressa, mais aussi qu’il
lui a semblé qu’il lui fit part de son esprit pour aider ses enfants
spirituels [1149].
En réalité, même si
Madame Guyon donne beaucoup d’emphase à sa souffrance, Monsieur Bertot apparaît
aussi comme un soutien qui agit quand cela est nécessaire. Il connaît ses
besoins malgré la distance physique qui les sépare :
Le
jour de l’Assomption de la Vierge de la même année 1672, que j’étais dans une
désolation étrange, soit à cause du redoublement des croix extérieures, ou de
l’accablement des intérieures, j’étais allée me cacher dans mon cabinet pour
donner quelque essor à ma douleur, je vous dis : « O mon Dieu et mon Epoux,
vous seul connaissez la grandeur de ma peine. » Il me vint un certain souhait :
« O si M. B[ertot] savait ce que je souffre ! » M. B[ertot], qui n’écrivait que
rarement, et même avec assez de peine, m’écrivit une lettre datée de ce même
jour de l’Assomption sur la croix, la plus belle et la plus consolante qu’il
ait guères écrite sur cette matière. Il faut remarquer qu’il était à plus de
cent lieues d’où j’étais [1150].
De même qu’il avait su à distance la mort de la Mère
Granger :
M.
B[ertot], quoiqu’à cent lieues du lieu où la mère Granger mourut, eut
connaissance de sa mort et de sa béatitude et aussi un autre religieux [1151].
Quand Madame
Guyon a besoin d’un précepteur pour son fils, Monsieur Bertot vient à son
secours :
J’allai
à Paris exprès pour voir M. Bertot. Je pris prétexte d’une affaire, comme j’en
avais un extrême désir. Les instantes prières que je lui avais fait faire de me
conduire, jointes à la mort de mon mari dont il crut que je serais fort
affligée, l’obligèrent à me conduire de nouveau, ce qui ne me fut que très peu
utile, car outre que je ne pouvais lui rien dire de moi, ni me faire connaître
à lui, parce que toute idée m’était ôtée, même celle de mes misères, lorsque je
lui parlais, votre Providence, ô mon Dieu, permettait que, lorsque j’étais
empressée de le voir dans le besoin extrême que je croyais avoir de lui,
c’était alors que je ne le pouvais voir. Je fus bien douze ou quinze jours à
Mon[tmartre] sans lui pouvoir parler et en près de deux mois je ne lui parlai
que deux fois, et encore pour peu de temps, et de ce qui me paraissait le plus
essentiel. Je lui dis le besoin que j’avais d’un ecclésiastique pour élever mon
fils et lui ôter les mauvaises habitudes et les impressions désavantageuses
qu’on lui inspirait contre moi, ce qui était d’autant plus de conséquence qu’il
devenait plus grand, car ma belle-mère lui inspirait sans cesse que je n’étais
qu’une gueuse, que tout le bien venait de son côté, ce qui n’était pas tout à
fait vrai. Cela vint à tel point que, quand il parlait de moi, il ne m’appelait
jamais sa mère, mais « elle a dit, elle a fait ». M. Bertot me trouva
un prêtre dont on lui avait rendu de très bons témoignages, il me l’envoya[1152].
Quelle que soit la
difficulté de sa relation avec Monsieur Bertot, Madame Guyon lui témoignait une
confiance absolue, voyant en lui l’ordre de Dieu :
Je crus cependant que, quoiqu’il ne m’aidât
plus, je devais m’adresser à lui pour une affaire de cette importance, et
préférer ses lumières à toutes autres, persuadée que j’étais qu’il me dirait
infailliblement la volonté de Dieu. J’y allai donc et il me dit que mon dessein
était de Dieu et qu’il y avait déjà quelque temps que Dieu lui avait fait
connaître qu’il voulait quelque chose de moi. Je le crus sans hésiter; et je
revins pour mettre ordre à tout[1153].
Madame Guyon est la
destinataire très probable, mais non citée par discrétion, de nombreuses
lettres citées dans le DM. Dans
celle-ci, le détail de la maladie de la goutte du mari rend cette attribution
certaine. Cette lettre rend compte de l’atmosphère habituelle qui régnait entre
Bertot et Madame Guyon pendant les dix ans que dura leur relation :
Lettre à l’auteur : Depuis dix ou douze jours
Mr. N [Guyon] a eu la goutte. J’ai cru qu’il était de l’ordre de Dieu de ne le
pas quitter et de lui rendre tous les petits services que je pourrais. J’y suis demeurée, mais avec une telle paix
et satisfaction que je n’en ai expérimenté de même. ... La bonne Mère [Granger]
m’aide infiniment. Je suis bien heureuse qu’elle souffre que je lui conte mes
misères: tout ce qu’elle me dit va bien avant dans mon coeur et j’ai fort envie
d’en profiter. ... / Lettre 29
[réponse de Bertot] : Vous avez très bien fait de m’écrire et
vous pouvez être sûre M[adame] que j’ai une joie extrême de vous pouvoir être
utile en quelque chose. J’en ai reçu une que je ne vous puis exprimer,
remarquant en votre lettre non seulement l’accroissement de la lumière divine
en votre âme, mais encore ses grandes démarches. Car vous ne pouvez être plus
certaine par aucune chose de la vérité de cette divine lumière en votre âme que
par cette paix et joie à vous contenter de l’ordre de Dieu dans le service que
vous rendez à M[onsieu]r. Remarquez donc
que non seulement tout ce service est ordre de Dieu sur vous, mais encore tout
ce que ce divin ordre opère en votre âme. Autrefois vous auriez désiré un
million de choses et auriez été chagriné en ce bas emploi : mais l’esprit de
Dieu vous employant par sa divine lumière en cela, vous y fait trouver Dieu qui
vous met dans le repos, et qui vous y fera trouver une plénitude où vous
trouverez toutes choses ... Vous faites
bien d’être fidèle aux quatre heures d’oraison que vous faites: mais quand la
providence vous en dérobera, pour lors laissez-vous heureusement surprendre ...Vous
ne m’avez jamais mieux exprimé votre intérieur, ni mieux dit ce qui s’y passe;
soyez en certaine : c’est pourquoi je renvoie votre lettre avec celle-ci, afin
que gardant l’une et l’autre, elles vous servent, d’autant que cela vous sera
utile pour toute votre vie[1154].
Cette alliance d’amour
et de rigueur, caractéristique de Monsieur Bertot, se voit dans les lettres de
provenances diverses rassemblées dans le DM.
Dans ce décalogue, il montre un esprit concret, raisonnable mais exigeant
envers son interlocutrice (nous allégeons beaucoup le contenu des
paragraphes, ce qui lui donne toute sa force) :
Vous
avez vécu jusqu’ici en enfant avec bien des ferveurs et lumières. / Lisez et
relisez souvent ceci; car c’est le fondement de ce que Dieu demande de
vous. ...
1.
... Si le bon Dieu vous donne des lumières... vous pouvez vous y appliquer par
simple vue et recevoir de sa bonté ce qu’il lui plaira de vous donner; et si
votre âme n’a aucun désir de cette application, il ne faut que continuer votre
simple occupation.
2.
Continuez votre oraison quoique obscure et insipide. Dieu n’est pas selon nos
lumières et ne peut tomber sous nos sens.
3.
Conservez doucement ce je ne sais quoi
qui est imperceptible et que l’on ne sait comment nommer, que vous expérimentez
dans le fond de votre âme; c’est assez qu’elle soit abandonnée et paisible sans
savoir ce que c’est.
4.
Quand vous êtes tombée dans quelque infidélité, ne vous arrêtez pas à la
discerner et à y réfléchir par scrupule; mais souffrez la peine qu’elle vous
cause, que vous dites fort bien être un feu dévorant, qui ne doit cesser que le
défaut ne soit purifié et remédié.
5.
Pour la douceur et la patience, elles doivent être sans bornes ni mesures. …
6.
Pour les pénitences, la meilleure que vous puissiez faire est de les quitter…
7.
Soyez fort silencieuse, mais néanmoins selon votre état ... en observant ce que
vous devez à un mari, à vos enfants...
8.
Ce que vous me dites est très vrai que vous êtes bien éloignée du but … Pourvu
que vous soyez fidèle, je ne vous manquerai pas au besoin, pour vous aider à
vous approcher de Dieu promptement.
9.
Vous expérimenterez très assurément que plus vous travaillerez de cette
manière, plus vous vous simplifierez et demeurerez doucement et facilement
auprès de Dieu durant le jour, quoique dans l’obscurité : au lieu de vous
nuire, cela vous y servira.
10.
Quand vous avez fait des fautes et que vous y avez remédié ... oubliez-les par
retour simple à Dieu sans faire multiplicité d’actes. ...[1155]
Son amour appelle à
rejeter tout attachement et à dépasser toute limitation pour aller vers la vie
en Dieu qu’il connaît
d’expérience :
Vous
avez cru autrefois avoir des merveilles et vous n’aviez rien: et à présent que
vous croyez n’avoir rien et être toute corruption et pauvreté, vous pouvez être
tout si vous en faites usage, concourant avec Dieu, qui y agit en Dieu, vous
laissant doucement pourrir et mourir et vous dénuer, et par là tomber dans le
calme et l’abandon[1156].
Il ne faut pas
s’arrêter en chemin :
Je
vous dis que c’est la voie, et non pas votre centre : car vous ne devez pas
vous y reposer ni y jouir, mais passer doucement plus loin en Dieu et dans le
néant ; c’est-à-dire qu’il ne faut plus vous arrêter à rien quoiqu’il faille
que vous soyez en repos partout. Sachez que Dieu est le repos essentiel et
l’acte très pur en même temps et en toutes choses...[1157].
Monsieur Bertot
peinait à sortir de ses états mystiques et n’écrivait que si la grâce
l’incitait à le faire :
En
vérité Il me détourne tellement des créatures que j’oublie tout, volontiers et
de bon cœur. Ce m’est une corvée étrange que de me mettre la main à la plume,
tout zèle et toute affection pour aider aux autres m’est ôtée, il ne me reste
que le mouvement extérieur : mon âme est comme un instrument dont on joue ou,
si vous voulez, comme un luth qui ne dit ni ne peut dire mot que par le
mouvement de Celui qui l’anime. Cette disposition d’oubli me possède tellement,
peut-être par paresse, qu’il est vrai que je pense à peu de chose [1158].
Aux paroles et aux
lettres, ce profond spirituel préférait la communication directe avec les âmes
dans le silence :
Puisque
vous voulez bien que je vous nomme ma Fille, que vous l’êtes en effet devant
Dieu qui l’a ainsi disposé, vous souffrirez que je vous traite en cette
qualité, vous donnant ce que j’estime le plus, qui est un profond silence.
Ainsi lorsque vous avez peut-être pensé que je vous oublierais, c’étais pour
lorsque je pensais le plus à votre perfection.
Mais je vous parlerai toujours très peu : je crois que le temps de
vous parler est passé, et que celui de vous entretenir en paix et en silence
est arrivé. Demeurez donc paisible, contente devant Dieu ou plutôt en Dieu dans
un profond silence. Et pour lors vous entendrez ce Dieu parlant profondément et
intimement au fond de votre âme.[1159].
Je
vous en dis infiniment davantage intérieurement et en présence de Dieu ; si
vous y êtes attentive, vous l’entendrez.[1160].
Madame Guyon ne
l’avait pas compris, bien qu’elle ait constaté sans se l’expliquer qu’elle
était forcée au silence devant Monsieur Bertot. C’est seulement plus tard dans
son propre cercle spirituel qu’elle
expérimentera la communication en silence.
Dans plusieurs lettres
à des intimes, Monsieur Bertot affirme sans ambages la véritable nature de sa
direction spirituelle. Elle se situe non dans le langage, mais dans l’union
directe avec les âmes parce qu’il les retrouve dans la profondeur divine.
Je
vous assure, Madame, que mon âme vous trouve beaucoup en Dieu et qu’encore que
vous soyez fort éloignée, nous sommes cependant fort proches, n’ayant fait
nulle différence de votre présence et de votre absence, départ et éloignement.
Les âmes unies de cette manière peuvent être et sont toujours ensemble autant
qu’elles demeurent et qu’elles vivent dans l’unique nécessaire: là elles se
servent et se consolent aussi efficacement pour le moins que si elles étaient
présentes, et la présence corporelle ne fait que suppléer au défaut de notre
demeure et perte en Dieu. ... C’est donc là que l’on trouve ses amis et qu’on
leur est plus utile qu’en toute autre manière, car en les trouvant on ne laisse
pas d’avoir Dieu et de jouir de Lui. Et au contraire quand on a ses amis et
qu’on en est occupé par les sens, pour l’ordinaire on est peu en Dieu et on
leur est peu utile[1161].
Comme dans la
tradition des Pères du désert ou des staretz de l’Orthodoxie, il porte ses
enfants spirituels dans sa plongée en Dieu et affirme avec hardiesse qu’à
travers ce « néant » qu’il est devenu, la grâce divine peut
agir :
Je
veux bien satisfaire à toutes vos obligations et payer ce que vous devez à Dieu
: j’ai de quoi fournir abondamment pour vous et pour beaucoup d’autres; j’ai en
moi un trésor caché, c’est un fond inépuisable qui n’est autre que mon néant:
c’est là que tout est, c’est là que je trouve de quoi satisfaire à vos
obligations. Ce trésor est caché car on croit que je suis quelque chose :
c’est qu’on ne me connaît pas. Ce fonds est un trésor, car c’est toute ma
richesse, c’est mon bien et mon héritage, c’est mon tout. … Il est inépuisable car Dieu en peut tirer
tout ce qu’Il veut ... Je donne tout d’un seul coup et je suis ravi de n’être
et de n’avoir plus rien. Je vous soutiendrai que Dieu ne peut épuiser notre néant, comme Il ne peut épuiser son tout. [1162]
Dans une admirable
lettre, cet homme qui s’épanchait si peu livre avec émotion son souhait le plus
profond :
Si
j’entre dans cette unité divine, je vous attirerai, vous et bien d’autres qui
ne font qu’attendre; et tous ensemble n’étant qu’un en sentiment, en pensée, en
amour, en conduite et en disposition, nous tomberons heureusement en Dieu
seul...[1163].
Monsieur Bertot mourut
le 28 avril 1681 et Madame Guyon le sentit à distance. Quelques années plus
tard, elle reprit la direction spirituelle des laïcs qui s’étaient regroupés
autour d’elle, disant que Monsieur Bertot lui avait transmis son « esprit
pour aider ses enfants spritituels » : le travail de Monsieur Bertot
put ainsi continuer.
Lettres de direction
Le Royaume intérieur de Jésus-Christ dans les âmes
Deux Traités de la vie intérieure et mystique
Maur de l’Enfant-Jésus, Ecrits de la maturité 1664-1689, coll. « Sources mystiques », Toulouse, Editions du Carmel, 2007, 344 p. [le principal auteur mystique Grand Carme depuis le réformateur Jean de Saint-Samson fut en relation avec madame Guyon.]
Maur de l’Enfant-Jésus
(1617-1690) fut le disciple le plus attachant du grand mystique aveugle Jean de
Saint-Samson (1571-1636), inspirateur chez les Grands Carmes de la réforme dite
de Touraine qui fut menée parallèlement à celle venant d’Espagne. Maur
poursuivit discrètement l’œuvre tout intérieure de son père spirituel. Son
influence s’étendit au-delà du cercle de ses frères en religion vers des
confidents, dont Jean-Joseph Surin, et vers des dirigées religieuses ou
laïques, dont Jeanne-Marie Guyon.
Mais son excentrement
par rapport à la capitale du Royaume et une vie passée en grande partie dans un
ermitage l’ont fait ignorer par les historiens religieux, à l’exception de
Michel de Certeau, le biographe de son ami Surin. Cet oubli ne pouvait que se
trouver renforcé lorsque les Grands Carmes disparurent de France à la fin du
dix-huitième siècle.
Son œuvre est
substantielle tout en demeurant de dimension raisonnable. Il vécut assez pour
parcourir un long chemin mystique, dont témoignent des textes bien structurés,
souvent inspirés, qui font écho à la profondeur des dictées de Jean de
Saint-Samson.
Dans la collection
« Sources mystiques » consacrée à l’héritage spirituel français, nous
pensons pouvoir éditer ses œuvres complètes : le volume présent regroupe
les Œuvres de la maturité,
remarquables du point de vue de l’accomplissement mystique ; par la suite,
des Écrits de jeunesse éclaireront la
formation des disciples de Jean et l’élan intérieur qui les animait, grâce
à des extraits de leur Directoire
auquel le jeune Maur collabora et à de nombreux traités de ce dernier.
Nous faisons précéder
les Écrits de la maturité d’une étude
intitulée « Maur de l’Enfant-Jésus, Grand Carme » : elle évoque
le large cadre de la réforme française entreprise à l’intérieur du vénérable
ordre des Carmes ; quelques fragments des dictées de Jean de Saint-Samson
qui animèrent intérieurement cette réforme, témoignent de son orientation
associant amour et rigueur ; nous donnons ensuite les éléments connus de
la vie de Maur : formation en Bretagne, activité apostolique à Bordeaux,
rencontre avec Surin et premiers assauts anti-mystiques du milieu du siècle,
fin de vie dans la simplicité de l’ermitage voisin de Lormont ; enfin une
bibliographie chronologique de l’œuvre et le rappel des règles suivies dans
notre édition achèvent cette présentation.
Les mystiques écrivent
souvent pour répondre à un besoin particulier : c’est le cas des deux Correspondances qui nous sont parvenues,
et des deux Traités de la vie
intérieure et mystique adressés très probablement à un disciple, l’abbé de
Brion. Le conséquent Royaume intérieur
de Jésus-Christ correspond par contre
aux besoins d’une communauté incluant des novices, ce qui explique l’insistance
ascétique de ses premières parties.
Les deux Correspondances furent éditées à
l’époque moderne en tant que lettres à une religieuse en addition à une étude
érudite, puis en tant que correspondance passive reçue par Jeanne-Marie Guyon,
ce qui rend leur accès peu évident ; les deux Traités restèrent oubliés sous forme manuscrite, tandis que le Royaume intérieur ne fut jamais réédité
depuis 1664. Un tel oubli de l’œuvre de Maur s’explique non seulement par
le mode de vie érémitique et par l’excentrement de l’ermitage bordelais,
handicaps déjà évoqués, mais aussi par des suspicions qui naquirent lorsque l’in-action mystique fut perçue à la fin
du dix-septième siècle comme une oisiveté condamnable. Nous n’aborderons pas
ici le vaste sujet de la controverse entre mystiques (Maur et Surin) et anti-mystiques
(Chéron), car elle ne favorise guère la lectio divina.
Une notable partie des
textes sont tributaires de l’esprit du temps, marqué par l’ascèse et le
dolorisme. Maur de l’Enfant-Jésus a sûrement connu des troubles et des
difficultés qui nous le rendent proche et paradoxalement attachant lorsqu’il
les évoque de manière passionnée. Le
lecteur saura dégager les diamants de cette gangue en favorisant les deux
séries de Lettres de directions, la
troisième partie du Royaume intérieur de
Jésus-Christ, le deuxième Traité de
la vie intérieure et mystique, belle conclusion à ce volume. Fondé sur un vécu mystique rapporté avec
précision et profondeur, le trésor caché du champ dont parle l’Évangile se
découvre alors sous la forme d’un guide qui s’adresse au « chrétien
intérieur ».
Je suis très redevable
au travail de Michel de Certeau appuyé sur celui de F. Lemoing et à la thèse de
D. Di Domizio, ainsi qu’aux aides précieuses apportées par frère Romero de la
communauté des Grands Carmes de Nantes, par sœur Madeleine de la communauté
carmélite de Clamart, enfin par madame Évelyne Rebuffat. Ce travail a été
profondément amélioré par la collaboration de mon épouse Murielle, tout
particulièrement pour introduire aux Traités.
L’ordre du Carmel a
connu de nombreuses réformes tout au long de son histoire[1164]. En
France, à la sortie des guerres de religion, deux réformes prennent place
simultanément, l’une détachée de l’ancien courant carme, tandis que l’autre
tente de prendre place en son sein.
La première, celle que
nous connaissons le mieux, est féminine. Elle est issue de la réforme espagnole
par l’intermédiaire d’Anne de Saint-Barthélémy, la sœur converse qui
accompagnait Thérèse dans ses voyages, et par l’intermédiaire d’Anne de Jésus,
la dédicataire du Cantique spirituel de
Jean de la Croix. Elle est mise en place en France sous l’impulsion de madame
Acarie (1566-1618) et d’autres spirituels. Le bref séjour des mères espagnoles
sera fructueux à la génération suivante, en particulier grâce à Madeleine de
Saint-Joseph (1578-1637), maîtresse des novices profondément intérieure. Ces
novices de la « troisième génération » assurèrent par la suite de
nombreuses fondations.
La seconde réforme,
masculine, est simultanée. Elle naît en Bretagne, où Philippe Thibault
(1572-1638) réforme le couvent de Rennes, rattaché à la province de Touraine.
Le renouveau s’étend, mais ne se séparera pas de l’ancien carmel, malgré des
tensions à Angers, Ploermel… Cette réforme s’exerce indépendamment, même si une
influence des Déchaux est prouvée en ce qui concerne les pratiques[1165].
Puis Philippe Thibault fait venir la future « âme de la réforme de
Touraine », Jean de Saint-Samson (1571-1636), qui formera des novices qui
continueront son œuvre tout intérieure dans certains couvents. Il est
contemporain de Madeleine de Saint-Joseph et son rôle caché est comparable.
Puis on l’oublie : dès
les années 1640, naît en effet au sein des pouvoirs politique et religieux une
méfiance envers les mystiques, qui provoquera un apparent « crépuscule » à la fin du
dix-septième siècle ; son disciple Maur de l’Enfant-Jésus fut aussi
l’objet de la suspicion générale de la seconde moitié du siècle. Un
affadissement de l’élan intérieur accompagne la fusion de la réforme dans le
corps des Grands Carmes. Enfin ce dernier disparaît de France à la fin du
dix-huitième siècle.
La renaissance de
l’intérêt pour la mystique d’expression française depuis Bremond s’est
accompagnée de la redécouverte de Jean de Saint-Samson[1166],
puis d’un début de l’édition de l’important corpus
des « dictées » du convers aveugle à ses frères[1167]. Il
est nécessaire d’évoquer Jean puisque c’est lui qui, à la fin de sa vie,
éveilla Maur à la vie intérieure et que ce dernier reprend sa mystique[1168].
Bien que simple
convers à cause de sa cécité, il exerça en effet à partir de 1612 une profonde
influence au sein du couvent de Rennes.
Dirigeait-il les novices sans en avoir le titre officiel ? Mais à
cause de ses états mystiques « Jean ne pouvait littéralement plus suivre
les prescriptions de la méditation méthodique ». Cependant,
Philippe [Thibault] l’invita à exposer par
écrit son exercice d’entière élévation d’esprit. […]Étant donné que le contenu
de ces quelques pages, de l’avis de tous, était bon et admirable, les chefs de
file de la réforme n’hésitèrent plus à destiner le simple frère au rôle
important de maître spirituel de plusieurs générations de jeunes carmes […]
Mathieu Pinault, le maître des novices […] prit l’initiative quelque peu
curieuse d’envoyer chez lui les jeunes gens les plus doués pour une courte
visite[1169].
Les témoignages de
l’époque nous évoquent ainsi un « enseignement » de la prière comme
il en avait été pour les proches d’un Philippe Néri (1515-1595), le fondateur
de l’Oratoire romain. Par le charisme de sa présence et par ses explications
orales sur l’oraison, le convers aveugle fut dès lors le maître spirituel caché
de la réforme des Grands Carmes. On exposait déjà auparavant l’oraison
aspirative, inspirée d’Harphius[1170],
selon :
…quatre
manières d’exercices, qui sont comme quatre marteaux, avec lesquels on heurte
fortement à la porte de Dieu, afin de pouvoir entrer en Lui selon son total… La
première [manière] est d’offrir à Dieu soi-même et tout le créé… La seconde de
demander ses dons en Lui et pour Lui-même. La troisième est de se conformer à
Lui par une pleine et entière conformité de tout soi, très haute, très parfaite
et très amoureuse… La quatrième est s’unir…
Donatien, un disciple, nous rapporte des
dits « complémentaires » de Jean de Saint-Samson : au-delà
de toute méthode, il suffit d’« aimer sans amour, aimer au-dessus de
l’amour[1171] ».
Le mystique plonge de plus en plus en son fond, « sans grand effort
du sens », seulement du plus profond du cœur et du plus intime de l’esprit[1172].
Plus le sujet « s’abîme et se perd au total de son infinie vastité, tant
moins il s’aperçoit de cette opération simple et cachée[1173]. »
L’âme doit :
…s’armer
de force de patience et de constance pour ne varier jamais ni à droite ni à
gauche, se sentir toute vide et destituée de Lui et totalement insipide en ses
sentiments. C’est en ceci que consiste la fidélité [...] et non dans les
grandes connaissances [...] visions et ravissements de l’entendement humain.
[...] Cela n’arrive qu’afin que les âmes ne se satisfassent point elles-mêmes
d’un désir glouton et affamé de posséder Dieu plus pour elles que pour Lui-même[1174].
Voilà comment on monte
l’escalier d’amour divin, car « celui qui a tout reçu doit toujours tout,
à chaque moment[1175]. »
On vit cela dans la solitude, totalement impuissant à son salut, mais en
prenant soin de satisfaire pleinement à Dieu avec joie, et en abhorrant la
tristesse.
Tout
cela est aisé à dire, malaisé à faire, difficile à endurer, très difficile à
surmonter. Car il faut demeurer stable, ferme et immobile au-dedans de
l’esprit, en simple repos, par-dessus l’action et l’intention [...] C’est ici
que l’industrie humaine est épuisée[1176].
Au
reste, dans cet abîme on ne voit ni fond ni déité : tout y est englouti
sans ressource et il ravit incessamment tout l’homme sans distinction ni
différence. C’est ici qu’il n’y a ni amour, ni vertu, ni charité. Et toutefois
c’est d’ici que la charité, l’amour et les vertus sortent à leurs effets quand
et autant qu’il le faut, sans perception ni distinction. Ce qui n’est point ne
peut avoir de nom, non par privation d’être, mais parce qu’on est englouti dans
l’unique et suréminent être qui va remplissant tout être du sien[1177].
Le feu de l’amour
divin dévore l’être et l’engloutit pour le transformer en soi :
Là
où il y a de la raison pour aimer, l’amour n’est point : d’autant que l’amour
est suffisant de soi-même pour tirer et ravir en unité d’esprit tout le sujet
qu’il anime [1178].
Il faut tenir le cœur
ardemment et continuellement brûlant au feu du même amour, afin que tous les
manquements et défauts, qui sont de pure infirmité, soient en un moment
consommés et réduits à rien. Ainsi le seul amour demeurera maître de la place[1179].
Cet
état consiste en une élévation d’esprit par-dessus tout objet sensible et créé,
par laquelle on est fixement arrêté au-dedans de soi, regardant stablement Dieu,
qui tire l’âme en simple unité et nudité d’esprit [...] La constitution de
celui qui est en cet état, est simple, nue, obscure et sans science de Dieu
même [...] Car là, tout ce qui est sensible, spécifique et créé est fondu en
unité d’esprit, ou plutôt en simplicité [...] Et plus cela est ignoré du
patient, tant mieux pour la profondeur et l’excellence de cet état [...] Car la
nature veut toujours secrètement avoir quelque objet à quoi elle s’attache […]
qu’elle réponde uniquement et toujours […] par la simple et totale attention,
en l’essence abyssale de Dieu[1180].
Ces personnes sont
comme des fleuves regorgeant d’amour, de lumière, de saveur et de délices
ineffables[1181]. Les formes et le vocable même d’amour
s’anéantissent, l’âme se trouve heureusement transformée au feu de Dieu[1182] :
Alors
l’amour n’a plus d’être, de vie, ni d’opération comme pour elle, mais désormais
son infini objet qui est Dieu, vit, agit et pâtit en elle en tout sens et
manière, et en tous événements. L’âme […] a atteint son image et son exemplaire
en son propre fond originaire […] Pour donc faire vivre Dieu en nous, il faut
que nous mourions totalement ; et comme cela ne doit et ne peut être
naturellement devant le temps de notre dissolution, il faut que nous mourions
en la foi et la créance du rien de toutes choses et de nous-mêmes au respect de
Dieu[1183].
Voici enfin un extrait
assez ample qui suggère l’atmosphère où baigna brièvement le jeune Maur et ses
compagnons de la « seconde génération » des Grands Carmes. Il reflète
le flux habituel des paroles de Jean recueillies par ce cercle de jeunes
mystiques ardents, auquel se joignit Maur pendant les trois dernières années :
… la
créature se sent outrée et ponctuée des vifs attraits de Dieu, à la suite
desquels elle sort, par divers degrés et par diverse succession d’ordre et de
temps, d’elle-même et des choses créées, et entre par amour et dépouillement de
soi plus ou moins avant en Dieu. […] Il est tout au contraire de ceux qui
tirent Dieu à eux à la manière des écoliers, lesquels par efforts de
spéculation naturelle L’accommodent à leurs sens et leurs goûts, duquel se
sentant sensiblement et naturellement délectés, il leur semble par cela
s’approcher grandement de Lui, et avoir sous grande connaissance et grand goût
de Lui, ce qui n’est qu’affection et sentiment purement naturels. Lesquels se
trouvant doctes par la science acquise, ils étendent le discours et leurs voies
en cela le plus largement et le plus loin qu’ils peuvent, de sorte que leur
ponctuation n’est que pure théologie d’école, étudiée, [f°2v°] plus ou moins
facilement digérée par spéculation purement humaine. Et comme ils ont lu
quelques mystiques, ils en mêlent quelquefois des mots en leur digestion, si
[bien] qu’à cette occasion on peut dire que leur discours en délivre plus ou
moins appuyé, mélangé et orné de quelques petits filets d’or, ou si on veut,
frotté d’un peu de miel.
[...]
Au contraire, la sapience est infuse de Dieu dans les cœurs simples qui
s’occupent simplement en des sujets affectueux, laquelle les unit et les
recueille en vérité par-dessus toutes multiplicités de recherches d’école, les
pénétrant d’une saveur divine qui ne convient qu’à Dieu, qui la verse
expressément pour rendre semblables [les] âmes amoureuses de Lui par l’infusion
de ses lumières et de ses goûts. A quoi l’âme étant fidèle, elle continue de
poursuivre Dieu par son attrayant rayon délicieux par-dessus tout ce qui se
peut penser, quoique cela se fasse par diversités de voies en toutes lesquelles
Dieu tient nécessairement cet ordre. [f. 3] Ce que se continuant ainsi,
les âmes font progrès en la connaissance de Dieu : d’elles-mêmes, […]
elles en deviennent doctes en l’art de la science d’aimer Dieu, auquel le très
Saint Esprit les instruit d’une ineffable manière pour étendre, pour pénétrer
et pour surpasser toutes choses créées en elles-mêmes. Tels sont les vrais et
solides effets de la divine sapience abondamment infuse aux âmes assez saintes.
C’est pourquoi toutes leurs études et leurs soins n’est que de se rendre de
plus en plus simples et uniques en leur occupation continuelle autour de Dieu[1184].
Là
le vide est tout plein[1185].
La mort de Jean arriva à un âge assez
avancé, à près de soixante-cinq ans. L’atmosphère paisible de ces toutes
dernières années nous est ainsi restituée :
Pendant
ces longues années, il n’aimait guère franchir le seuil du couvent, à moins que
ce ne fût pour rendre visite à une personne malade ou agonisante. […] A la fin de sa vie, il demanda même son
transfert […] pour y être en solitude totale. Il tenait pourtant sa fenêtre
grande ouverte pour les oiseaux qui passaient la nuit dans sa chambre. [...] Il
ne voulut jamais admettre que sa paillasse soit remplacée par un matelas […] Il
mourut le dimanche 14 septembre [1636], en la fête de l’Exaltation de la Croix.
Ce jour était l’anniversaire de la mort de Catherine de Gênes, la mystique
italienne fort estimée de Jean de Saint‑Samson à cause de la ressemblance
de leur expérience mystique[1186].
Jean laissa donc après
lui une génération de disciples ardents : Bernard de Sainte-Magdeleine
(1589 - 1669), Dominique de Saint-Albert (1596 - 1634), Marc de la
Nativité (1617 - 1696), Maur de l’Enfant-Jésus (1617 ou 1618 - 1690). En dehors
de Maur, le carme le plus proche de Jean était Dominique : ce dernier définissait
les mystiques comme ceux « qui sentent en eux un incendie d’amour éternel
qui ne s’éteint ni jour ni nuit », et fut chargé, dès l’âge de vingt-et-un
ans, de rédiger un ouvrage pour la formation des jeunes carmes[1187].
Malheureusement il disparut précocement à l’âge de trente-sept ans.
Le Directoire de l’Ordre sera constitué par
les cinq volumes de la Conduite
spirituelle des novices, parus en 1650-1651. Il combine les apports
successifs de plusieurs frères : Dominique, puis Bernard, qui notait ses
enseignements aux novices dans l’intention, non réalisée, de les publier ;
Marc, maître des novices renommé pour les thèses de théologie mystique qu’il
venait de soutenir au chapitre de Poitiers, fut chargé de leur rédaction par
le chapitre de 1647 : il y consacra deux ans dans la solitude du couvent
d’Aulnay ; enfin, Maur, qui sortit de l’obscurité à cette
occasion, puisque le chapitre l’adjoignit à Marc pour mettre au point les
règles que le père Bernard préparait depuis treize ans[1188].
On est dans une époque
de consolidation : le mystique Jean n’est plus là et les novices sont
nombreux. La méditation méthodique refait son apparition, mais le Directoire
reste encore tout imprégné de l’esprit mystique de Jean. En particulier dans le
quatrième volume, intitulé « Méthode claire et facile pour bien faire
oraison mentale… », les derniers chapitres de la première partie vibrent
de son esprit fervent : ils décrivent et donnent des moyens pour
pratiquer, dans la liberté, l’oraison aspirative[1189],
« élévation de l’esprit en Dieu […] comme une étincelle qui sort du
brasier ardent de l’amour de Dieu », où « le but de ces aspirations
est d’avancer, et non seulement de nous maintenir dans le chemin de la
perfection. » Cette œuvre majeure, qui jaillit de la vie mystique de
ses rédacteurs, anime et oriente un texte par ailleurs solidement charpenté[1190]. Un
traité très structuré est consacré en fin d’ouvrage à la prière
aspirative vers laquelle convergent les autres formes ; il met
l’accent sur la présence divine :
La
présence de Dieu est imaginaire [représentée
sous forme d’image]… lorsque nous Le concevons comme environnant, pénétrant et
inondant tout l’univers, ainsi qu’une vaste mer dans laquelle nous sommes, nous
vivons et nous nous mouvons, comme les poissons dans la mer matérielle … [Elle
est] intellectuelle …[par une] vive
foi … rien ne lui arrive [au dirigé] en son particulier sans que Sa divine
Providence ne le lui envoie … [Elle est] affective
…lorsque l’âme demeure dans une certaine inclination actuelle vers Dieu, qu’on
peut appeler état d’adhésion … lorsque l’amour de Dieu est si ardent en notre
âme que, comme d’un brasier vivement allumé, il en sort continuellement des
étincelles, c’est-à-dire des aspirations embrasées. Si bien que nous savons
très parfaitement combien Dieu est aimable, non pour l’avoir lu ou entendu,
mais pour l’avoir expérimenté[1191].
C’est donc à ce cercle
mystique brûlant de ferveur que se joignit Maur dès son jeune âge.
Maur Le Man naquit probablement
au Mans[1192] en
1617 ou en 1618. On conjecture qu’il
fréquenta le collège jésuite de la Flèche, comme ce fut le cas pour d’autres
carmes de Touraine, tel Dominique de Saint-Albert (1595-1634)[1193]. Il
entra chez les carmes de l’Observance à Rennes le 21 février 1633, où il eut
probablement pour maître des novices Bernard de Sainte Magdeleine (1589-1669),
tout en bénéficiant de la présence de Jean de Saint-Samson, âgé et déjà délivré
d’une telle charge (mais on suppose qu’il laissait sa porte ouverte aux novices
tout comme sa « fenêtre grande ouverte pour les oiseaux »).
Il fit profession le
22 février 1634, prenant le nom de Maur de l’Enfant-Jésus. Le choix de ce nom
pourrait traduire l’influence de Bernard de Sainte Magdeleine : lorsque
celui-ci était sous-prieur en 1615 à Angers, on rapporte que le
définiteur, opposé à la réforme alors naissante, voulait imposer un prieur de
son choix ; la communauté mit une statue de l’Enfant-Jésus à la place que
celui-ci devait occuper au chœur, avec l’inscription : Prior noster[1194]. On
retrouve dans cette anecdote l’influence du réformateur des grands carmes,
Philippe Thibault (1572-1638), qui insistait sur la pauvreté de Jésus et
désirait voir réaliser chaque année une crèche de Noël par ses carmes ; le
premier ouvrage de Maur de l’Enfant-Jésus aura d’ailleurs pour titre : La
crèche de l’Enfant-Jésus. Maur retiendra de toute cette dévotion le
thème, si important, de la pauvreté spirituelle, qui sera repris par la suite
chez ses dirigé[e]s, telle la jeune madame Guyon (1648-1717)[1195].
Selon Marc de la
Nativité (1617-1696)[1196],
Maur, imprégné par la prière mystique de Jean de Saint-Samson, fut aimé de ce
dernier pour sa « piété singulière »[1197].
Tandis que Donatien de Saint Nicolas, novice en même temps que Maur, sera le
futur biographe et éditeur de Jean.
Le jeune homme dut
parallèlement poursuivre un cursus de formation propre aux Grands Carmes, qui
consistait en deux années de séminaire suivies de quatre années de théologie.
Peut-être accompagna-t-il Marc de la Nativité[1198],
présent en 1636 au studium generale de la place Maubert à Paris, puis de
passage à Angers. Ce dernier retournera en 1638 à Rennes pour les années de
théologie.
En 1647, la figure de
Maur sort de l’obscurité : âgé au plus de trente ans, il est adjoint à
Marc de la Nativité, maître des novices, pour mettre au point les règles déjà
préparées par le père Bernard de Sainte Magdeleine, comme nous l’avons indiqué
plus haut en évoquant la génération des disciples ardents de Jean.
Mais avant même
l’achèvement de ce travail « théorique », approuvé puis publié en
1650-1651, Maur est envoyé en 1648 dans la province de Gascogne pour y
introduire la réforme[1199]. Il
est socius du commissaire général Avertain de Saint-Jean, au chapitre
de la province de Gascogne, à Castillon (8 mai 1650). Nommé maître des novices
au couvent de Bordeaux en 1650, élu prieur en 1651, il sera réélu plusieurs
fois et demeurera désormais dans cette province jusqu’à sa mort, à l’exception
de brefs déplacements vers le nord, à Rennes, où se situe le centre du
rayonnement réformateur, et plus rarement à Paris.
Exception faite de la
réforme espagnole des Déchaussés pour laquelle les circonstances imposèrent une
séparation, toute réforme qui tente de se faire au sein d’un ordre ancien
rencontre des difficultés : c’est le cas de cette réforme française dite
de Touraine. Du temps du fondateur Thibault, la réforme d’Angers et de Dol
avait déjà été difficile et des tensions étaient apparues avec les non-réformés
de Ploermel[1200].
Ici la forte
personnalité du père Jean Chéron (1596-1673) va donner bien du souci aux
réformateurs, à Maur comme à son ami, le jésuite Jean-Joseph Surin, alors
malade à la suite de ses épreuves de Loudun. Michel de Certeau donne un résumé
clair et savoureux de l’affaire, et qu’il serait mal venu de paraphraser[1201] :
Le
chapitre provincial de 1650 avait eu pour premier objectif l’élection d’un
provincial à la place du Père Jean Chéron, tombé entre les mains des Turcs lors
de son retour de Rome, dans l’automne 1648, et provisoirement remplacé par le
Père Jossé. Ce dernier fut nommé provincial. Mais, racheté grâce à l’argent
récolté par son Ordre et revenu à Rome, le Père Chéron ne l’entendit pas de
cette oreille. Il remua ciel et terre pour récupérer sa charge, pourtant
normalement échue à un autre. Soutenu par l’archevêque de Bordeaux dont il
avait défendu le prédécesseur dans sa querelle avec le duc d’Epernon, il
s’adressa tour à tour au Général, à la Congrégation des évêques et des réguliers, au Roi et au Parlement de
Bordeaux. Après trois ans de procédures menées par ce canoniste distingué,
ferrailleur redoutable, on réunit un nouveau chapitre provincial que le Père
Maur, par lettres patentes du Général, fut chargé de présider [29 juin 1653] :
on espérait sans doute que le Manceau apaiserait ces Bordelais échauffés par la
bataille. Le Père Joseph de l’Ascension fut élu provincial ; le Père Chéron,
nommé prieur de Lectoure, c’est-à-dire loin de Bordeaux ; et le Père Maur,
prieur du couvent de Bordeaux. Rien n’y fit. L’année suivante [1654],
poursuivant le combat et soutenu par une partie de ses confrères, Chéron était
à Rome comme vicaire provincial au chapitre général, et devait y répondre à
l’accusation de vie « irrégulière » que portaient contre lui les Pères
Jossé et Maur de l’Enfant-Jésus. Les griefs parurent insuffisants ; les appuis
de Chéron étaient puissants. Aussi, entre le Père André de Saint-Pierre,
provincial, et l’accusé qui se disait lésé, la petite guerre continua : procès,
appels au Parlement de Bordeaux par le premier et au Conseil privé du Roi par
le second, factums anonymes divulgués par les parties adverses. Finalement, le
Père Matthias de Saint-Jean, délégué par le Général des Carmes Marius Venturini,
obtint que les deux opposants se désistent de leurs prétentions et nomma comme
provincial le Père Maur de l’Enfant-Jésus [20 août 1655]. L’affaire avait duré
cinq ans [18] et ne facilitait pas la tâche du nouveau venu. Il rétablit
pourtant le calme et l’unité dans sa province. Cet homme paisible et tout
habité de Dieu s’imposait à tous.
La décade de 1655 à
1665 fut en effet assez calme, même si Chéron continuait la polémique, cette
fois en se plaçant sur le terrain théologique : il publie en 1657 son Examen de la Théologie mystique, qui fait
voir la différence des lumières divines de celles qui ne le sont pas, et du
vrai, assuré et catholique chemin de la perfection de celui qui est parsemé de
dangers et infecté d’illusions ; et qui montre qu’il n’est pas convenable de
donner aux affections, passions, délectations et goûts spirituels la conduite
de l’âme, l’ôtant à la raison et à la doctrine : tout son programme
est ainsi esquissé ! Surin (1600-1665) contribuera à la cause défendue par
Maur et par les spirituels carmes, dans sa Guide spirituelle[1202] :
ils sont en effet devenus amis. L’analyse du débat qui met en cause Maur - non
nommé, pas plus que son maître Jean de Saint-Samson, - ainsi que le carme
Nicolas de Jésus-Marie, - ce dernier directement nommé[1203] -
ne présente guère d’intérêt, compte tenu du caractère excessif de l’attaque des
mystiques par Chéron. Michel de Certeau poursuit :
Maur
eut la sagesse de ne pas répondre. Il ne se préoccupait que d’instruire ceux et
celles qui, en nombre croissant, sollicitaient sa direction spirituelle. Il
continuait d’écrire, mais pour eux, pour répondre à leurs besoins, pour apaiser
leurs craintes et leur ouvrir la voie de la pauvreté spirituelle et de l’union
à Dieu. […] Cette période est aussi marquée par ses relations avec le Père
Surin qui, rentré à Bordeaux en 1632, retrouvait lentement, autour des années
1656-1658, la santé qu’il avait perdue pendant les exorcismes de Loudun. Le
jésuite se remettait à circuler dans la ville et à prêcher dans les couvents,
tout particulièrement dans celui des Carmélites de la rue Permentade où
étaient entrées sa sœur et sa mère, et où le Père Maur se rendait lui-même
fréquemment. Il se lia d’amitié avec le Carme […] ses voyages [vers la
Bretagne, centre de la réforme], attestés par la correspondance de Surin,
permettaient à celui-ci de communiquer plus facilement avec ses filles
spirituelles et de les confier à un ami sûr[1204].
A l’occasion de la restauration
commencée en 1671 de l’ermitage de Lormont, près de Bordeaux, Maur, qui
recherchait la paix, demanda à vivre « au désert » : on sait le
rôle important de ces lieux de retraite dans la vie carmélitaine. Le père André
de Saint-Pierre, bénéficiaire de la donation qui permettait les travaux fut
nommé supérieur. On lui adjoignit le père Maur de l’Enfant-Jésus et le frère
Roch de l’Assomption, « pour y demeurer fixes et vivre solitaires le reste de
leurs jours ».
Un dessin de Hermann
Van der Hem daté de 1646 situe exactement l’ermitage de Sainte-Catherine de Lormont
sur la falaise rocheuse qui surplombe la rive droite de la Garonne. Son
apparence champêtre a totalement disparu puisque le quartier de Lormont est
aujourd’hui situé à l’intérieur de la voie rapide circulaire qui fait le tour
de l’agglomération bordelaise.
La
maison des ermites était jointe à la chapelle et ne faisait avec elle qu’un
seul bâtiment … Elle se composait de cinq pièces : deux chambres pour les
hôtes, trois cellules pour les ermites. L’ameublement en était simple mais
suffisant. Tables et lits en bois de noyer, coffres en vieux chêne … Près de la
chapelle, une sacristie largement pourvue en ornements et linges d’autel.
Complétant le tout, un réfectoire et une cuisine aux innombrables ustensiles en
cuivre rouge.
La bibliothèque se trouve dans la chambre du
P. André de Saint-Pierre, supérieur de l’ermitage; elle se compose d’une cinquantaine
de livres de Spiritualité, reliés presque tous en veau marbré ou en parchemin ;
par ailleurs. le P. Maur de l’Enfant-Jésus a sa bibliothèque particulière … Il
ne faut pas oublier de signaler « la petite cellule bastie sur le haut du
rocher » qui fut peut-être l’ermitage primitif.
Enfin, aux environs immédiats du grand
bâtiment, une source sortait du rocher. Elle coule maintenant encore et a
conservé le nom de Source de l’Ermitage[1205].
Mais on ne trouve
jamais une pleine tranquillité sur cette terre, et une nouvelle affaire
compliqua leur installation[1206].
Finalement la paix revint. Durant vingt ans, tout en voyageant beaucoup en
Gascogne, le père Maur put donc séjourner souvent à Lormont.
L’inventaire nous
donne l’idée de sa cellule : « Une petite couchette à tresteaux, deux
chaises à bras, une méchante table de sapin couverte d’un treillis bled. »
S’y ajoute une liste
des huit livres de sa « bibliothèque » privée, ouvrages chers à
son cœur : s’en détachent les œuvres de son maître Jean de Saint- Samson
(dans la grande édition in-folio de Rennes, de 1658-1659), des œuvres de pères
latins (Léon le Grand, etc.), de Jean de la Croix, de Ruusbroec, les Institutions
de Tauler et la Summa de Thomas d’Aquin[1207].
Maur de l’Enfant-Jésus
anima un réseau spirituel, qui s’étendait jusqu’à Rennes, Loudun et Paris.
Attiré par sa renommée, Messire Charles de Brion ( ? -1728) se joignit aux
deux ermites en 1679 ou en 1680, après avoir vécu à la Cour de Louis XIV.
Maur fit construire pour lui une petite annexe un peu plus haut que son
ermitage et l’instruisit. Michel de Certeau nous raconte la fin de la vie
du grand carme devenu partiellement ermite :
Il continuait à rendre visite aux couvents de
Bordeaux, aux Visitandines, aux Feuillants, aux Carmélites. Il écrivait à ses
dirigées. […] Surtout, il priait. Et c’est là, dans le « saint
désert » bien conforme à l’ancienne tradition carmélitaine, qu’il mourut,
en 1690[1208].
Charles de Brion
devint abbé à la prière de l’archevêque et prit la direction des Carmélites[1209].
Malheureusement, il ne semble pas avoir su poursuivre l’apostolat spirituel de
Maur dans sa profondeur, même si ses écrits sont abondants[1210] :
ils montrent en particulier une bonne connaissance des écrits de madame Guyon,
qu’il critique, peut-être pour se couvrir[1211].
Nous n’avons pas retrouvé le souffle intérieur qui se dégage des œuvres de
Maur.
Elle s’échelonne dans le temps sur toute la durée de la vie de Maur, depuis 1650, date de publication du Directoire ou Traité de la conduite spirituelle des novices…, rapidement suivie par la compilation de 1652 de L’Entrée à la divine sagesse…, jusqu’aux dernières lettres à une religieuse de 1689. Sur une telle durée couvrant quatre décades, la structure s’affermit et la doctrine s’approfondit.
On retiendra trois dates :
- En 1652, des opuscules sont rassemblés sous le titre de L’entrée à la divine sagesse… Cet ensemble a bénéficié de plusieurs éditions, dont certaines comportent quelques modifications et ajouts. Il est assez bien connu compte tenu du nombre d’éditions anciennes (1652, 1655, 1669, 1678, 1692) et d’une réédition moderne (1921-1933).
- En 1664, apparaît l’ouvrage de la maturité, le Royaume intérieur de Jésus-Christ dans les âmes…, dont le titre prend la suite naturelle du titre précédent. A notre connaissance, cet ouvrage bien construit ne bénéficia pas de réédition, suite à la date tardive de son apparition, déjà peu favorable aux publications d’ouvrages mystiques. Il apparaît d’importance capitale à nos yeux comme à ceux de Blommestijn.
- En 1673, est achevé le plus important de deux brefs Traités de la vie intérieure. Ils sont resté sous forme manuscrite jusqu’à maintenant. D’une égale paix et simplicité témoignent les Lettres de direction adressées à madame Guyon entre 1670 et 1675 environ, que nous avons récemment publiées en ouverture à la Correspondance de celle-ci. Enfin, au terme d’une longue vie, les Lettres adressées à une religieuse, entre 1680 et 1689 environ, furent publiées par M. de Certeau à la suite de l’étude de leur auteur.
Le détail des éditions et de leurs contenus est repris dans la liste suivante :
[1] [Contribution au] Traité de la Conduite spirituelle des novices, pour les Couvens Réformés de l’Ordre de Nostre Dame du Mont-Carmel, Cottereau, Paris, 1650-1651. Cette contribution est souvent jugée comme secondaire, compte tenu du départ en Gascogne dès 1648. Toutefois la genèse du texte a été largement antérieure à 1647, date du chapitre désignant Maur comme assistant de Marc. Le quatrième et dernier volume de ce Directoire des novices a été réédité[1212].
[2] Théologie chrestienne et mystique, ou conduite spirituelle pour arriver bientost au souverain degré de la perfection, Bordeaux, 1651. Texte repris en [3] Entrée à la divine Sagesse […]
[3] Entrée à la divine SAGESSE, comprise en plusieurs Traittez Spirituels, qui contiennent les secrets de la Théologie Mystique, 1652, 1655, 1669, 1678, 1692 ; traduction néerlandaise, Gand, 1679, 1698, et Anvers, 1706 ; cet ouvrage a été réédité par le carmel de Soignies, 1921-1933[1213].
Les textes des deux premières éditions diffèrent légèrement, la troisième ne diffère pas de la précédente ; toutes comprennent : « Les trois portes du Palais de la divine Sapience » [p. 1- 93], « Montée spirituelle, comportant huit degrés qui conduisent jusques au Trône de la Divine Sapience » [p. 94-144], « Exposition des communications Divines, dans tous les États et Degrés de la vie Mistique et Spirituelle » [p. 145-204], « Sanctuaire de la divine sapience » [p. 205-271], « Théologie chrestienne et mistique, ou conduite spirituelle… » [4 folios, pagination reprise 1-131, table couvrant 2 folios, dans l’éd. de 1652 ; pagination continue, 205 sq. dans l’éd. de 1655] ; l’éd. de 1655 diffère légèrement pour le texte de celle de 1652 et ajoute les « Réflexions sur la vie de Notre Seigneur » [p. 413-478, table couvrant 2 folios] ; l’éd. de 1669 ajoute un très court « Traité de la fidélité de l’âme à son Dieu » [pagination reprise, 1-11].
[4] Le Royaume intérieur de Jésus-Christ dans les âmes. Divisé en trois parties, composé par le R. P. Maur de l’Enfant-Jésus, religieux Carme réformé, Ex-provincial de la Province de Gascogne, ‘Vobis datum est nosse Mysterium Regni Dei.’ Luc 8. Seconde édition, chez la veuve Denys Thierry, Paris, 1664.
[5] Le Sacré Berceau de l’Enfant Jésus, ou les entretiens spirituels sur tous les mystères de l’Enfance de N. Seigneur Jésus-Christ, Paris, 1682 ; permissions en 1663-1664.
[6] Vingt-et-une lettres adressées à Mme Guyon, éditées dans Le directeur MISTIQUE [sic], ou les œuvres spirituelles de monsr. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Made. Guion, avec un recueil de Lettres Spirituelles tant de plusieurs Auteurs anonimes, que du R.P. Maur de l’Enfant Jésus, Religieux Carme, & de Madame Guion, qui n’avaient point encore vu le jour. Divisé en quatre volumes, à Cologne, chez Jean de la Pierre, 1726. Annonce dans la « Préface » du vol. I : « …le Quatrième [volume], un Recueil de lettres Spirituelles tant de plusieurs auteurs anonymes, que du R. P. Maur de l’Enfant-Jesus, Religieux carme, assez connu par son excellent traité, L’entrée à la divine Sagesse [a], et de Madame Guion... » [note [a] : « On en a une édition nouvelle ... L’entrée à la Divine Sagesse ... Paris, 1692 »]. Ces lettres ont été rééditées en correspondance passive adressée à madame Guyon[1214].
[7] Deux traités manuscrits datés du 5 mai 1673, apparaissant sous deux titres identiques : « Traité de la vie intérieure et mystique », B.N.F., ms. fonds français 19 345. Première édition dans le présent volume.
[8] Vingt-deux lettres adressées à une religieuse de la Visitation, ms. 332, Bibliothèque de Bordeaux, Service des fonds patrimoniaux, recueil relié de 90 pages (qui comprend aussi six lettres qui ne sont pas de Maur, mais sont adressées à la même religieuse). Première édition par M. de Certeau[1215].
Théologie chrétienne et mystique
sanctuaire de la divine sapience
montee spirituelle
exposition des communications divines
traité de la fidélité
Les trois portes du palais de la divine
sapience
Dans un précédent ouvrage, nous avons donné[1216] les œuvres de « maturité » de Maur de l’Enfant-Jésus (1617 ou 1618 -1690). Nous publions aujourd’hui ses écrits dits « de jeunesse » bien que l’auteur ait déjà trente-trois ans à l’époque des premières éditions reprises ici. En réalité, ils ne le cèdent en rien aux écrits postérieurs : ils exposent peut-être même plus précisément le chemin vers la Source de grâce commune à tous les mystiques accomplis.
Maur prend par là le relais du Traité de la Conduite spirituelle des novices auquel il avait participé en fin de rédaction[1217] au couvent de Rennes. D’autre part, il était le seul à pouvoir assurer la succession de son père spirituel Jean de Saint-Samson (1571-1636), qui avait été à la source d’un grand renouveau mystique chez les Grands Carmes : l’autre grand disciple de Jean, Dominique de Saint-Albert (1596-1634), était mort prématurément. Envoyé en Gascogne en 1648 pour répandre le renouveau spirituel de la réforme de Touraine, Maur était maître des novices à Bordeaux en 1650, puis élu prieur en 1651 quand il publia l’Entrée. Il jugea sans doute urgent de compléter sans tarder le Traité de la Conduite, qui n’était qu’un « manuel de base » destiné aux novices. C’est ce que suggère la date de publication de son Entrée à la divine Sagesse, qui succède de très près à celle du manuel : la première édition de l’Entrée est de 1652 immédiatement après les quatre volumes du Traité parus en 1650 et 1651.
On trouvera ainsi des textes essentiels sur la voie spirituelle proposés aux Grands Carmes au moment du bel essor de la réforme : plein d’élan et porté par l’influence du milieu mystique de Rennes où avait vécu Jean de Saint-Samson, Maur expose une voie complète dont le terme est la déification chère à Jean et à tous ses disciples. Il s’exprime sans précautions particulières, alors que celles-ci deviendront de plus en plus nécessaires après la première et célèbre cabale « anti-mystique » du siècle menée par Chéron contre lui et contre son ami Surin.
Des pages admirables parsèment ces traités qui témoignent d’une très profonde expérience personnelle. Elles n’ont rien à envier aux œuvres plus tardives où l’on sent l’orage de censure qui approche et qui tombera bientôt sur les mystiques, ce qui imposait des précautions. De plus, une solitude prématurée, de grandes responsabilités et la fréquentation de novices peu mystiques expliqueraient la tension et le pessimisme sur l’homme des œuvres ultérieures (« Maur de l’Enfant-Jésus a sûrement connu des difficultés qui nous le rendent proche », disions-nous dans notre précédent volume).
L’Entrée à la divine Sagesse comporte cinq traités courts à vocations variées. Ce regroupement ne constitue pas un ensemble construit comme le Royaume intérieur, composé longtemps après et dont l’architecture puissante est plus impressionnante. Mais on y lira de nombreuses pages plus profondes, plus détaillées et plus subtiles que dans le Royaume ; l’ascétisme et les combats intérieurs sont moins présents, bien que l’exigence soit aussi forte. Maur se fait pressant pour nous entraîner vers l’aventure intérieure qui le comble : l’élan mystique est plus confiant, parfois même presque joyeux.
Les huit anciennes éditions parues en un demi-siècle, dont cinq en français et trois en flamand, démontrent que le besoin ressenti à l’époque par de nombreux spirituels sensibles à l’esprit carmélitain fut ainsi satisfait. Mais par la suite, l’absence de toute réédition accompagna l’affadissement de la réforme chez les Grands Carmes, et celui, plus général, d’un crépuscule de la mystique[1218]. En effet l’esprit de la fin du siècle de Louis XIV devint fort contraire à la vie intérieure et se traduisit par des emprisonnements pour certains, tels ceux subis par madame Guyon, tandis que les précautions prises par tous asséchèrent l’édition de textes. Une réédition moderne eut enfin lieu au début du siècle dernier, ce qui correspondait à une renaissance spirituelle chez des Carmes déchaux, mais ces quatre petits volumes sont devenus rares[1219].
Les traités de la Montée spirituelle et de la Théologie chrétienne et mystique sont particulièrement complets sur le plan mystique. On notera l’ordre inverse adopté dans l’exposé du Sanctuaire de la divine Sapience : dans ce dernier cas, l’achèvement de la voie mystique est présenté en premier lieu. On souhaiterait qu’une telle inversion soit moins exceptionnelle car combien de richesses dans d’admirables traités sont demeurées cachées par l’abondance de premières parties ascétiques censées préparer à la vie libre mystique !
Comme un or découvert au fond d’une rivière, voici quelques grains purs[1220] ordonnés de manière à suggérer un chemin mystique.
Tout commence par un don de la grâce divine :
« Quand Dieu par sa miséricorde s'est résolu d'attirer quelque âme à une perfection plus que commune, il lui touche le cœur par un trait singulier de son amour. » (SS, Etat d’activité amoureuse).
En réponse à un tel don,
“...nous aimons Dieu à cause qu'il nous aime, et nous tâchons de nous rendre conformes à lui selon notre petite capacité.” (Ibid.)
Le chemin commence, c’est celui du progrès dans l’amour pur, heureusement prévenu par la grâce divine :
“L'esprit commence à s'élever au-dessus des vues de ses intérêts, et regarde Dieu comme infiniment aimable en soi, et à cause de soi purement et sans mélange d’aucune autre considération. [... L’âme] ne peut et ne doit faire autre chose que de se laisser ravir [...] afin que son Dieu fasse d'elle et en elle tout ce qu'il lui plaira ; elle doit se contenter de cette simple vue, ou simple souvenir, croyant que cela surpasse tous les efforts sensibles et formés qu'elle pourrait produire.” (MS, Quatrième degré).
L’heureuse initiative divine a ainsi mis en route le pèlerin dans son chemin mystique. Il importe maintenant de constater le terrible état de l’être humain en s’aidant de la raison, et de le combattre par une volonté “généreuse” : chez Maur, à une époque où l’on ignore totalement l’inconscient et ses lois, le chemin commence obligatoirement par une ascèse absolue où l’on réprime sévèrement les sens et les pensées, ce qui enclenche les luttes féroces avec le “diable” qui parsèment toute l’oeuvre. Maur appelle à imiter le “capitaine” Jésus-Christ : Jésus n’est d’ailleurs pas seulement une modèle de vie ; si on l’appelle, il “opère sans cesse dans nos âmes” par sa divine “vertu” (au sens étymologique, encore en usage au XVIIe siècle, de force agissante).
La première étape est donc faite d’ascèse, d’imitation de Jésus et d’aspirations
“toutes d’amour lancées vers le Ciel
aussi souvent que votre désir sera grand de voir naître en votre coeur
la Sagesse éternelle” (Les trois Portes, Dial. 2nd).
Mais arrive la fin du premier degré où règnent les ravissements, les lumières et les opérations sensibles :
“Comme Dieu ne juge pas à propos de les tenir toujours dans l'abondance de ses délices [...] ce qui ne laisse pas d'étonner et d'affliger ces chères Amantes, qui, ne sachant pas si cela leur est arrivé par quelque infidélité de leur part, se mettent en des peines non pareilles pour retrouver ce bien dont l'absence leur est insupportable...” (SS, Etat d’activité amoureuse).
Une telle amante
“...vient enfin en un état, que non seulement les actes formés lui sont insipides, eux qui étaient sa vie et sa pratique. […] Les ravissements et lumières qui ont duré si longtemps […] ne la touchent presque plus…
C’est le début de l’état de foi : Maur consacre à cette transition capitale une grande partie de son admirable Sanctuaire de la divine Sapience, pour apprendre aux directeurs de conscience à la discerner et ne pas en détourner les âmes par leur ignorance. Il arrive un moment où
... on ne désire pas agir et on ne désire plus faire comme auparavant : au contraire on y sent du dégoût si on s'efforce, et ce qu'on fait est tout à fait insipide et inutile, parce que les puissances ayant épuisé leurs forces actives dans la jouissance de leur objet et dans la consommation des moyens qu'elles tenaient pour tendre vers lui, leur action est désormais moindre que ce qu'elles expérimentent. (SS, Etat d’anéantissement).
L’âme opère un retournement total puisqu’elle doit passer de la recherche active de Dieu à un abandon absolu à l’action divine. « Sans mouvement perceptible », c’est l’état de passiveté[1221] :
…l'âme qui expérimente ces choses, se doit soigneusement prendre garde de brouiller l'action de la vertu divine par le mélange de ses propres efforts naturels [...] voulant en quelque façon correspondre de sa part et témoigner qu'elle voudrait bien pouvoir s'en ressentir. Non, dis-je, elle ne doit point faire tout cela, non pas même le moindre soupir à ce dessein, s'il lui est possible. (SS, Etat d’anéantissement).
...parce qu'on ne sait point comment il faut se comporter ici, d'autant que tous les efforts qu'on tâche de faire, sont moins que ce qu'on goûte, c'est manque de savoir que cet état se doit consommer par la vigueur de l'action divine, qui doit faire reboucher l'activité de la créature, engloutir et absorber toute son action et sa vie, jusques au fond et dans la racine, afin qu'elle ne vive plus elle-même, mais que Dieu vive en elle. (Ibid.)
Mais il subsiste
....une certaine restriction qui vient de la nature, qui empêche l'esprit de s'étendre à l'égal de la lumière qu'il reçoit.
Maur en rend compte en se servant de l’analogie de la lumière particulière qui permet de viser des étoiles, opposée à la lumière générale diffusée par l’astre du jour qui est senti plutôt que directement regardé :
Le soleil […] fait qu’on ne voit plus d'étoiles, mais seulement un soleil et une lumière universelle qui s'étend partout. Il se fait de même en l'état de l'âme […] elle connaît que c'est son bonheur d’être pénétrée de Dieu, et de n'avoir plus de connaissance que par lui et en lui ; néanmoins elle ne peut cesser de le contempler comme une chose distincte de soi. Ainsi elle retient toujours et sa propre lumière et sa propre action. […] Elle voit pourtant bien qu'il y a un grand entre-deux ; elle voit bien qu'elle résiste, […] que son union est empêchée par elle-même, et que ses propres efforts ne font que l'éloigner. Toute sa peine est à se résoudre à ne plus aimer, à ne plus connaître, à ne plus mourir, à ne plus être. (MS, cinquième degré).
C’est accepter l’état de foi obscure :
Mais il faut ici se perdre d'une toute autre manière, et quitter toutes ses vues, ses façons d'agir, la connaissance de ses voies et de son objet et se jeter sans savoir ce qu'elle doit devenir dans l'abîme et l'obscurité de la foi, dans laquelle la nature ne recoive aucun appui, et ne sache si elle connaît, ni si elle aime, si elle a jamais rien connu, ni aimé véritablement, ni de quelle façon il faut connaître ou aimer. (MS, Sixième degré).
Et pourtant :
Nous aurions une parfaite liberté en toutes nos oeuvres, si nous ne les regardions plus comme nôtres. (TM, Chap. XV).
Pour exprimer cette absence de distance entre l’âme et Dieu, Maur reprend l’image classique de la goutte d’eau dans la mer :
L'on ne doit faire aucune difficulté de renoncer à tout le reste pour vivre uniquement de cet amour […] par le seul regard de ce que Dieu est en soi-même infiniment aimable, […] unique et très simple motif qui donne le mouvement à tous les coeurs, et qui les attire à soi pour les engloutir dans son immensité, où ils sont enfin consommés et perdus à eux-mêmes, ainsi qu'une goutte d'eau jetée dedans la mer, laquelle y perd tout ce qui la distinguait d'avec elle. (TM, chap. XVII).
Pour en arriver là, l’âme doit traverser plusieurs anéantissements de plus en plus profonds et douloureux, que l’on verra décrits avec beaucoup de subtilité dans le Sanctuaire de la Divine Sapience :
… cet état se doit consommer par la vigueur de l'action divine, qui doit faire reboucher l'activité de la créature, engloutir et absorber toute son action et sa vie, jusques au fond et dans la racine, afin qu'elle ne vive plus elle-même, mais que Dieu vive en elle. (SS, Etat d’anéantissement).
Si elle se vit comme dans un désert ou suspendue par un fil, en fait elle vit le vrai amour, un don total à Dieu, à l’image de l’eau « arrêtée » qui devient miroir du soleil :
L'âme ne voit plus rien d'elle-même, elle ne voit rien de Dieu, elle ne peut plus agir, plus s'abandonner, plus vivre ni plus mourir ; elle ne conçoit ni ténèbres ni lumière, elle ne voit ni sortie ni entrée, elle ne peut ni désirer ni fuir, elle ne peut se plaire dans sa perte ni s'en attrister. Tout ce qu'on en peut dire, c'est qu'elle est dans un désert infini, suspendue comme entre le ciel et la terre, sans avoir un seul cheveu sur quoi s'appuyer. Elle est sans foi, sans espérance, et sans amour, ce lui semble, d'autant qu'elle ne peut réfléchir là-dessus, mais pourtant jamais elle n'aima si fortement ni si parfaitement. […] Si elle doit faire quelque chose, c'est se rendre attentive sans aucun sien effort et ne mettre aucun empêchement à ce que Dieu fait en elle, ni par de subtiles réflexions, ni par soupirs, ni par admirations, mais comme une eau très belle et claire qui est arrêtée, reçoit sans émotion ce que Dieu fait en elle. (EC, Etat de vie consommée)
Tout ce qu'il y a à prendre garde ici c'est de mettre quelque milieu entre Dieu et l'âme, tant subtil et simple puisse-t-il être [...] Qu'elle demeure comme un miroir fixement opposé aux rayons du soleil, sans faire autre chose que recevoir sa lumière, et concevoir sa chaleur, qui l'ayant pénétrée jusque dans son fonds, sans qu'il reste plus rien qui ne soit pleinement rempli ! (MS, Septième degré)
C’est la condition absolument nécessaire pour être mis dans l’unité :
Tandis qu'il reste à l'âme un seul respir de sa propre vie [...] il est impossible qu'elle soit totalement réduite et abîmée dans l'unité [...] tous les moyens actifs les plus simples dont on se servait, ont fini leur cours ; de même que les fleuves cessent de se mouvoir depuis qu'ils sont entrés dans la mer... (TM, Chap. XXI).
Il ne faut pas seulement être en feu mais couler comme du métal fondu :
...il faut absolument qu'elle succombe n'ayant plus rien de propre qui la soutienne, de même qu'un métal qui est dans le creuset est contraint de céder à la force du feu ; sur quoi il est à remarquer que n'est pas assez qu'il soit échauffé par la chaleur, jusque-là même qu'il paraisse n'être que feu, car s'il n'est fondu l’on ne saurait qu'en faire. (TM, Chap. XXII).
L’union est sans entre-deux, sans moyen et sans connaissance (voir suppose une distance entre l’oeil et ce qui est vu) :
Ici l'âme qui était attirée et Dieu qui l'attirait, sont joints dans une si grande unité qu'il n'y a aucun entre-deux, ni aucun moyen de la part de la créature, pour passer plus avant [...] elle ne connaît plus rien hors de soi, ou plutôt hors de Dieu, vers quoi elle doive tendre et aspirer [...] elle a épuisé toutes les lumières, tous les motifs, tous les moyens et toutes les vues d'union et de transformation en Dieu ; en sorte qu'il ne reste plus rien à l'opération humaine. (TM, Chap. XXIII).
Alors son sommeil peut être suivi d’un réveil, comme celui de Lazare :
L'âme donc gisant dans son tombeau comme les morts éternels, desquels personne ne se souvient plus, est surprise sans y penser par une vertu secrète et toute divine, et commence au travers de ces obscurités à apercevoir et ressentir un rayon de la lumière divine, qui vient comme, pour la réveiller, et lui faire encore voir le jour, auquel elle ne pensait plus[1222]. (Ibid.).
Pour décrire l’action divine en l’âme totalement unie à Dieu, Maur se sert de la comparaison de la main guidée dans son tracé ou de celle d’une eau claire qui reflète le soleil :
On peut dire que véritablement c'est Dieu qui fait tout là dedans, et que la créature est comme la main d'un enfant qui apprend à écrire, et qui n'a presqu'aucun mouvement que celui qu'elle reçoit de la main du maître. Ou bien elle est comme une eau fort belle et fort claire, sur laquelle le soleil darde très vivement ses rayons, et imprime si parfaitement en elle son image, qu'on dirait que le soleil est véritablernent en elle. (MS, Huitième degré).
Dans l’état consommé, l’âme est passée au-delà des moyens, elle s’est “jetée à perte ou à gain” c’est-à-dire sans réfléchir au risque :
Car tout le créé, [...] tant qu'il peut agir, entendre, aimer, vivre ou mourir, est toujours dans les moyens, et ne vit que des espérances de la fin [...] aussi ceux qui ne vivent que dans les moyens sont bien différents de ceux qui, ayant quitté toute différence et distinction concevable, se sont jetés à perte ou à gain, ou plutôt sans réfléchir sur quoi que ce soit dans cet abîme original, d'où toutes choses sont sorties pour y recouler par le flux continuel d'un pur amour[1223], qui [...] la fait enfin se perdre elle-même dans sa fin et son objet bienheureux, pour n'être plus qu'en lui, par lui et pour lui, au-dessus de toutes sortes de motifs, d'intentions, d'attentions, et enfin de tous les moyens les plus élevés dont on puisse se servir pour y parvenir. (EC, Etat de vie consommée).
Alors Dieu peut se donner :
Dieu qui prend toutes ses délices à se communiquer à ses créatures, ne trouvant plus ici aucune répugnance ni contrariété, se donne pleinement, vit et agit en celles-ci comme en lui-même [...] Et on peut comparer ces âmes à la glace d'un miroir, qui étant exposée aux rayons du soleil, en conçoit une si parfaite image[1224]. (EC, Etat de vie consommée).
Et mon sentiment est que si les âmes se perdaient en Dieu jusqu'au point que je viens de décrire, il prendrait réellement et véritablement le soin de tout ce qui les regarde pour l'extérieur et l'intérieur [...]
C’est le dernier état, celui de la “vie divine” :
Enfin après que l'âme est descendue jusqu'au dernier degré (ce semble) de pauvreté, et qu'elle s'est vue dénuée de tous les dons [...], Dieu la remplit d'ordinaire peu à peu de ses premières lumières [...] il ne faut pas qu'elle fasse rien pour avancer ou pour retarder, car ce n'est point là son affaire, c'est celle de Dieu ; tout ce qu'elle doit faire, c'est seulement de consentir à se laisser mouvoir à l'Esprit divin : qu'il l’abaisse ou qu'il l’élève : n'importe…[1225]. (TM, Chap. XXIV).
Les extases et les ravissements ont cessé ici [...] Tout est en parfaite paix et repos ; c'est pourquoi il ne paraît rien d'extraordinaire au-dehors en ces personnes si admirables, on les voit toutes bénignes, patientes, pleines de compassion et de charité, saintement libres et joyeuses. Tout ce que peuvent dire d'elles ceux qui n'en jugent que selon l'écorce, c'est qu'on ne voit rien de mal en elles ou qu'elles ne font ni grand bien ni grand mal. (EC, Etat de vie ressuscitée).
Les sources sont les suivantes[1226] :
Théologie chrestienne et mystique, ou conduite spirituelle pour arriver bientost au souverain degré de la perfection, A Bordeaux, Chez I. Mongiron Millanges, 1651 ; ce texte sera repris dans l’Entrée à la divine Sagesse.
Entrée à la Divine Sagesse, comprise en plusieurs Traittez Spirituels, qui contiennent les secrets de la Théologie Mystique, 1652 ; Paris, chez Antoine Padelou : 1655, 1669, 1678, 1692 ; traduction néerlandaise, Gand, 1679, 1698, et Anvers, 1706 ; les textes des deux premières éditions diffèrent légèrement, les suivantes sont très proches de la seconde.
La première édition de 1652 commence par une « Espitre dédicatoire à la Sagesse éternelle » suivie d’un « Avant-propos » (assez court), puis immédiatement des « Trois portes… »[1227].
Celle de 1655 (« A Paris, chez Antoine Padelou, rue sainct Iacques, à l’enseigne du S. Scapulaire ») est quasi-définitive : l’ « Espitre… » est suivie d’un « Avant-propos » (augmenté de deux paragraphes), du Privilège du roi, de trois Approbations (Fr. Jean Baptiste Gonet de l’ordre des FF. prêcheurs, Bordeaux, 20 juillet 1651 ; Fr. Arnal religieux Augustin, Bordeaux 31 juillet 1651 ; Fr. Joseph de l’Ascension religieux carme, Bordeaux, 24 juin 1651, très chaleureuse : nous la reproduisons), des « Trois portes… », etc.
Dans l’édition de 1678, Paris, veuve A. Padelou, l’ « Avant-propos » est suivi d’un « Extrait du Privilège du Roy » daté du 25 novembre 1668, des approbations du fr. Gonet et du fr. Arnal (celle du fr. Joseph est absente), des « Trois portes… », etc., tandis qu’en fin de volume figure, séparée des deux premières, une approbation chaleureuse (Fr. Eustache de l’Incarnation religieux carme et professeur en théologie, 7 septembre 1651 : nous la reproduisons).
Les éditions de 1652, 1655, 1669 comprennent : (1) « Les trois portes du Palais de la divine Sapience » [p. 1-93, 1678 : 1-95], (2) « Montée spirituelle, comportant huit degrés qui conduisent jusques au Trône de la Divine Sapience » [p. 94-144, 1678 : 96-146], (3) « Exposition des communications Divines, dans tous les États et Degrés de la vie Mistique et Spirituelle » [p. 145-204, 1678 : 147-210], (4) « Sanctuaire de la divine sapience » [p. 205-266, 1678 : 210-275]. Jusqu’ici les paginations sont identiques dans les éditions de 1652 et de 1655. Ensuite viennent :
(5) « Théologie chrestienne et mistique, ou conduite spirituelle… » [4 folios, pagination reprise 1-131, table couvrant 2 folios, dans l’éd. de 1652 ; pagination continue, 267-412, dans l’éd. de 1655 qui diffère légèrement pour le texte de celle de 1652 et ajoute les :] (6) « Réflexions sur la vie de Notre Seigneur » [p. 413-478, suivi d’une table couvrant 2 folios concernant « Théologie… » et les « Réflexions… »] ; l’édition de 1669 ajoute (7) un court « Traité de la fidélité de l’âme à son Dieu » [pagination reprise : 1-11] ; l’édition de 1678 est paginée de façon continue : « Théologie… », 276-416, « Réflexions… », 417-484.
Cet ouvrage a été reproduit par les éditions des « Chroniques du Carmel » de Soignies (Belgique), 1921-1933, en quatre petits volumes devenus fort rares ; les textes sont assez fidèles à l’édition de 1655, mais le style est souvent corrigé pour en rendre la lecture plus facile ou pour tenter d’éclaircir l’auteur, touchant alors à des points mystiques d’une façon souvent discutable ; leur ordre devient : (1, vol. I), (2 puis 7, vol. II), (5, vol. III), (4 puis 3) ; (6) est omis.
Le Sacré Berceau de l’Enfant Jésus, ou les entretiens spirituels sur tous les mystères de l’Enfance de N. Seigneur Jésus-Christ, Paris, 1682 ; permissions en 1663-1664.
L’ Espitre dédicatoire à la Sagesse éternelle, Les trois portes du Palais de la divine Sapience et la Montée spirituelle…, sont repris de la première édition de 1652, dont le style parfois naïf et moins policé convient bien à l’envoi du début, au dialogue des portes du palais et à l’élan intérieur requis chez le mystique novice entreprenant la montée mystique.
L’ Exposition des communications Divines…, Le sanctuaire… , la Théologie chrétienne et mystique… , sont repris de l’édition de 1678 car c’est la dernière édition du vivant de l’auteur (qui s’avère identique à celle de 1655, reprise donc avec grand soin). Le court Traité de la fidélité provient de l’édition de 1669 (il est coupé dans l’exemplaire de l’édition de 1678 à notre disposition, tout en ne figurant pas encore dans celle de 1655). Enfin, tout comme les éditrices du carmel de Soignies, nous omettons les Réflexions sur la Vie de Notre Seigneur, gloses portant sur des événements d’enfance (il précédait le court Traité).
Nous avons modifié l’ordre des traités par rapport à celui des anciennes éditions (il vient d’être rappelé), en présentant en premier lieu le plus complet d’entre eux, la Théologie chrétienne et mystique…, immédiatement suivi de l’admirable Sanctuaire de la divine Sapience qui apparaît comme un achèvement. La Montée spirituelle… et l’Exposition des communications Divines… viennent ensuite. Enfin deux textes moins importants, celui du court Traité de la fidélité et le dialogue intitulé Les trois portes du Palais de la divine Sapience achèvent le volume. L’accès à ce qui est le plus substantiel dans l’œuvre est ainsi facilité sans que le lecteur ait à s’écarter d’une lecture suivie.
Respectant fidèlement le texte de Maur de l’Enfant-Jésus et indiquant des variantes, nous reprenons seulement l’orthographe, la ponctuation, parfois le découpage en paragraphes.
Site web.
Née le 13 avril 1648 à Montargis dans une famille de riches bourgeois, mariée à seize ans à Jacques Guyon, Jeanne-Marie Bouvier aura cinq enfants dont trois survivront. A dix-huit ans, elle s’éveille à la vie intérieure grâce au «bon franciscain» Archange Enguerrand. Sa conseillère, Geneviève Granger, supérieure des bénédictines de sa ville natale, la présente en 1671 à Jacques Bertot, confesseur à l’abbaye de Montmartre (Paris), qui la dirige sur le chemin mystique. Veuve fortunée à vingt-huit ans, Mme Guyon cherche à servir son Eglise. A partir de 1681, elle voyage. A Gex, elle refuse d’être supérieure d’un couvent éduquant des converties du protestantisme. A Thonon, elle compose les Torrents et découvre l’union spirituelle vécue sous la forme d’une prière silencieuse transmise de coeur à coeur. A Turin, puis à Vercelli, auprès de l’évêque Ripa, elle connaît le milieu quiétiste italien. De retour à Grenoble, elle reçoit laïcs, clercs et religieuses, à l'intention desquels elle compose son Moyen court et ses Explications de la Bible. C'est une femme d'expérience qui revient à Paris, en 1686, pour reprendre la direction du cercle spirituel formé autour de Bertot. Accusée de quiétisme, elle est emprisonnée le 29 janvier 1688 (Molinos a été condamné en août 1687). Délivrée en septembre de la même année, sur intervention de Mme de Maintenon, alors favorable, elle est appréciée à Saint-Cyr et s’attache de nombreux disciples, dont Fénelon, les ducs et duchesses de Chevreuse et de Beauvillier. Tous lui demeureront fidèles durant près de trente ans, alors que son influence sur eux fait jaser la Cour et déplaît à Mme de Maintenon. Elle ose prétendre obéir avant tout -et malgré tout- à l'impulsion de la grâce, ce qui provoque les colères d’un Bossuet pris entre ces deux femmes («séjour» à Meaux, 13 janvier-v. 9 juillet 1695). Tombée en défaveur, elle choisit l’isolement et le silence. Emprisonnée par lettre de cachet le 27 décembre 1695, elle est suspectée de mauvaises moeurs et accusée d’avoir fondé une «petite Eglise» secrète. Mais les pressions violentes du pouvoir judiciaire royal, du confesseur imposé et de l’archevêque de Paris ne mèneront à rien. Lavée de tout soupçon, elle sort de la Bastille le 24 mars 1703, sur un brancard. Il lui reste un peu plus de treize années à vivre qu’elle consacre, à Blois, à former des disciples catholiques et protestants, les ouvrant à la vie intérieure dans une discrétion totale. Elle meurt le 9 juin 1717.
Son oeuvre ne se limite pas à sa poignante Vie écrite par elle-même (1682-1707). Aucun auteur de l’époque n’a eu une telle connaissance conjointe de la Bible et des textes mystiques -amorcée dès l’enfance auprès de sa soeur, religieuse, puis acquise en autodidacte. En témoignent d’amples Explications de l’Écriture (1684), ainsi que les Justifications, une anthologie préparée en vue du procès fait au cercle quiétiste (1694). Cette base de connaissances alliée à son expérience intime lui ont permis d’expliquer le vécu des mystiques: leur oraison est présentée de façon simple et directe dans le Moyen court tandis que l’écrit plus ample des Torrents compare leur chemin caché au cours varié d’un torrent qui se jette dans la mer. Une large Correspondance de direction et des opuscules rassemblés par les disciples sous le nom de Discours spirituels sont les chef-d’oeuvres de la «Dame directrice». L’influence diffuse de ces écrits, sauvés au XVIIIe siècle grâce à l’éditeur Pierre Poiret, s’exercera de façon cachée en milieu catholique, plus ouverte en milieu protestant piétiste. L’Abandon à la Providence divine, oeuvre d’une «main guyonnienne» longtemps attribuée à Jean-Pierre de Caussade, constitue une résurgence de son école en milieu catholique, avec toute la précaution rendue nécessaire après la condamnation du quiétisme (1699). Ses écrits circulent aussi chez les Quakers, chez Wesley et les Méthodistes. Mme Guyon a été pour Jean Baruzi, spécialiste de Jean de la Croix, sa meilleure interprète (avec Fénelon), et, pour le philosophe Bergson, le témoin mystique à l’état brut.
Elle présente l’exemple d’une veuve indépendante ayant appris à tenir bon face à «l’inquisition masculine» (Bossuet, La Reynie). Elle doit aussi une partie de ses épreuves au comportement de l’autre veuve remarquable du temps, Mme de Maintenon: opposition entre femmes d’égales intelligences, mais d’intérêts fort différents.
- 1681-1717 : Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, éd. Pierre Poiret, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre -- Lettres chrétiennes et spirituelles… Nouvelle éd. enrichie de la correspondance secrète de Mr. de Fénelon avec l’auteur, éd. Dutoit, Londres [Lyon], sn, 1767-1768 -- Correspondance, éd. D. Tronc, Paris, Honoré Champion, «Correspondances», 2003-2005 (t.I: Directions spirituelles, 2003; t.II: Combats, 2004; t.III: Chemins mystiques, 2005; largement augmentée par l’édition du fonds manuscrit principalement préservé aux Archives Saint-Sulpice de Paris).
- 1682? : Les Torrents spirituels, dans Les Opuscules spirituels..., voir infra -- dans OEuvres mystiques, voir infra (version 1720, variantes des éd. et des ms., adjonction des précisions développées par l’auteur dans ses Justifications, repérage des passages relevés dans l’Ordonnance de l’évêque de Chartres).
- 1682? : Petit abrégé de la Voie et de la réunion de l’âme à Dieu, dans Les Opuscules spirituels..., voir infra -- dans OEuvres mystiques, voir infra.
- 1682-1709 : La Vie de Mme J.-M. B. de La Mothe Guion, écrite par elle-même, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1720, 3 vol. (rééd. à l’identique par Dutoit, Paris [Lyon], Chez les Libraires Associés, 1790) -- La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, éd., intr. et annot. par D. Tronc, étude littéraire par A. Villard, Paris, Honoré Champion, «Sources Classiques», 2001 (éd. en 5 parties: les parties 1 à 3 correspondent aux trois vol. de la Vie par elle-même, augmentée des apports d’une première rédaction restée manuscrite; la partie 4 correspond au ms. du «récit de captivité»; la partie 5 rassemble des témoignages sur la dernière période vécue à Blois).
- 1682 ou 1683 (peu après Les Torrents) : Moyen court et très facile pour l’oraison que tous peuvent pratiquer très aisément..., Grenoble, J. Petit -- dans OEuvres mystiques, voir infra (var. des éd. et des ms., adjonction des précisions des Justifications).
- 1683? : Règle des associez à l’enfance de Jésus, modèle de perfection pour tous les estats, tirée de la sainte Ecriture et des Pères..., Lyon, A. Briasson -- dans Le Moyen court et autres récits, une simplicité subversive, éd. M.-L. Gondal, Grenoble, Jérôme Millon, «Atopia», 1995 (version manuscrite).
- av.1684 : Le Cantique des cantiques, interprété selon le sens mistique et la vraie représentation des états intérieurs, Lyon, A. Briasson -- dans OEuvres mystiques, voir infra (chapitres IV-VIII, adjonction des précisions apportées par l’auteur dans ses Justifications).
- 1684 : Le Nouveau Testament de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure. Divisé en Huit Tomes. On expose dans la préface les conjectures que l’on a touchant l’auteur de cet ouvrage, éd. Pierre Poiret, Vincenti/Cologne [Amsterdam], Jean de la Pierre (rééd. à l’identique par Dutoit, Paris [Lyon], Les Libraires Associés, 1790 ; souvent la seule citée car moins rare) -- choix dans OEuvres mystiques, voir infra.
- 1684 : Les livres de l’Ancien Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, divisés en douze tomes comme il se voit à la fin de la Preface, éd. Pierre Poiret, Vincenti/Cologne [Amsterdam], Jean de la Pierre (rééd. à l’identique par Dutoit, Paris [Lyon], Les Libraires Associés) -- choix dans OEuvres mystiques, voir infra.
- 1686? : Lettre… et Instruction chrétienne d’une mère à sa fille, dans Les Opuscules spirituels..., voir infra.
- 1688-après 1703 : Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, tirés la pluspart de la Sainte Écriture, éd. Pierre Poiret, Vincenti/Cologne [Amsterdam], Jean de la Pierre (140 pièces auxquelles il faut ajouter 16 pièces éditées avec la correspondance) -- choix de 50 pièces dans OEuvres mystiques, voir infra.
- av. 1694 : Traité de la purification de l’âme après la mort ou du Purgatoire, dans Les Opuscules spirituels..., voir infra -- Le Purgatoire, éd. M.-L. Gondal, Grenoble, Jérôme Millon, «Atopia», 1998.
- été 1694 : Les Justifications de Mme J.-M. B. de La Mothe-Guion, écrites par elle-même... avec un examen de la IXe et Xe conférence de Cassien, touchant l’état fixe d’oraison continuelle, par feu M. de Fénelon, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1720.
- après 1703 : L’âme amante de son Dieu, représentée dans les emblèmes de Hermannus Hugo sur ses “Pieux désirs”, et dans ceux d’Othon Vaenius sur l’amour divin, avec des figures nouvelles accompagnées de vers..., éd. Pierre Poiret, Cologne [Amsterdam], Jean de La Pierre, 1717 -- L’Ame amante de son Dieu, représentée dans les emblèmes de Hermannus Hugo..., nouvelle édition considérablement augmentée, Paris, Les Libraires Associés, 1790.
- après 1703 (certains cantiques furent composés antérieurement en prison) : Poésies et Cantiques spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, par Madame J.M.B. de la Mothe-Guyon, divisés en quatre volumes, Vincenti/Cologne [Amsterdam], Jean de la Pierre, 1722 -- choix dans OEuvres mystiques, voir infra.
- 1704 : Les Opuscules spirituels de Madame J. M. B. de la Mothe Guyon, éd. Pierre Poiret, Cologne [Amsterdam], Jean de la Pierre (première partie seule complète, seconde partie fragmentaire issue de l’Ordonnance de l’évêque de Chartres; rétablissement de la seconde partie en 1712 et variantes en 1720).
- 1707 : Récits de Captivité, éd. M.-L. Gondal, Grenoble, Jérôme Millon, «Atopia», 1992 (ce ms. est également reproduit dans la 4e partie de La Vie par elle-même..., voir supra).
- Madame Guyon: la passion de croire, choix de textes par M.-L. Gondal, Paris, Nouvelle Cité, 1990.
- Le Moyen court et autres récits, une simplicité subversive, textes édités par M.-L. Gondal, Grenoble, Jérôme Millon, «Atopia», 1995.
- OEuvres mystiques, éd. D. Tronc, Paris, Honoré Champion, «Sources Classiques», 2008.
- Madame Guyon, Les années d’épreuves, Emprisonnements et interrogatoires, éd. D. Tronc, Paris, Honoré Champion, «Pièces d’Archives» (à paraître).
- Cognet, Louis, Crépuscule des Mystiques, Paris, Desclée, 1958 (la plus grande partie de l’ouvrage porte sur le vécu de Mme Guyon avant 1695).
- Gondal, Marie-Louise, Madame Guyon (1648-1717), un nouveau visage, Paris, Beauchesne, 1989.
- Madame Guyon, Rencontres autour de la Vie et l’oeuvre de Madame Guyon, Grenoble, Millon, 1997 (contributions de spécialistes pour la première fois rassemblés autour de cette figure).
- Mallet-Joris, Françoise, Jeanne Guyon, Paris, Flammarion, 1978.
- Orcibal, Jean, «Le Cardinal Le Camus témoin au procès de Madame Guyon» [1974]; «Madame Guyon devant ses juges» [1975]; «Introduction à Jeanne Marie Bouvier de la Mothe-Guyon: les Opuscules spirituels» [1978], dans Etudes d’Histoire et de Littérature Religieuse, Paris, Klincksieck, 1997, p.799-818, 819-834, 899-910.
- 1700? : Élisabeth-Sophie Chéron, Portrait de Jeanne-Marie Bouvier de la Mothe Guyon, Moscou, Musée Pouchkine (gravé par Michel Aubert, Paris, BNF, Estampes, Ed 100, fol, p.33).
- «Nous [J. Bénigne Bossuet], évêque de Meaux, [...] sommes demeuré satisfait de sa conduite, et lui avons continué la participation des saints sacrements dans laquelle nous l’avons trouvée; déclarons en outre que nous ne l’avons trouvée impliquée en aucune sorte dans les abominations de Molinos ou autres condamnées ailleurs, ni n’avons entendu la comprendre dans la mention qui en a été par nous faite dans notre Ordonnance du 16 avril 1695. Donné à Meaux le 1er juillet 1695.» («Témoignages divers», dans Correspondance, voir supra, oeuvres, t.II, pièce no 492, «D», 1er juillet 1695)
- «J’ai vu de près des faits certains qui m’ont infiniment édifié: pourquoi veut-on que je la condamne sur d’autres faits que je n’ai point vus, qui ne concluent rien par eux-mêmes, et sans l’entendre pour savoir ce qu’elle y répondrait?» (Lettre de Fénelon à Tronson, dans Correspondance de Fénelon, t.IV, lettre 351, 26 février 1696, Paris, Klincksieck, 1976)
- «Mais je recommanderai principalement, comme un exemple spécial et très complet, et en même temps comme une illustration toute pratique des idées que j’ai présentées, l’autobiographie de Mme Guyon; c’est une belle et grande âme, dont la pensée me remplit toujours de respect; apprendre à la connaître, et rendre justice à ce qu’il y eut d’excellent dans sa façon de sentir, tout en se défiant des aberrations de son intelligence, voilà pour une nature d’élite une jouissance d’autant plus grande, que son livre ne sera jamais en crédit auprès des intelligences vulgaires, c’est-à-dire du plus grand nombre; car, partout et toujours, chacun n’apprécie que ce qui lui ressemble dans une certaine mesure...» (Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté... [1859], trad. par A. Burdeau, Paris, Presses universitaires de France, 1966, p.483-484)
- «Plus encore que Fénelon qui [...] ne consent pas à faire de la foi elle-même une obscurité que ne soutiendrait pas l'évidence de l'autorité, Mme Guyon voudrait aller au delà de toute donnée distincte [...elle] estime qu'elle retrouve en tout cela la doctrine de saint Jean de la Croix. Elle allègue des textes solidement choisis et oppose avec rigueur “la voie de lumière distincte” et “la voie de la foi”. Elle sait qu'il est “de très grande conséquence d'empêcher les âmes de s'arrêter aux visions et aux extases; parce que cela les arrête presque toute leur vie.” [...] C'est parce que la pensée de Jean de la Croix nous est arrivée mutilée et déformée que l'intuition fondamentale n'y est pas aisément discernable. Cette intuition, qu'on le veuille on non, est ressaisie de façon aiguë à travers la tradition mystique catholique, par Fénelon et Mme Guyon.» (Jean Baruzi, Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, Paris, Alcan, 1931, p.440, 443)
- «Ces quelques notations sans épuiser le contenu de la spiritualité guyonnienne, suffisent à montrer combien profondément elle est insérée dans notre tradition mystique. Il faut donc juger avec indulgence, comme le remarquait déjà Fénelon, les inexactitudes d’expression qu’on y rencontre çà et là, et que le contexte corrige.» (Louis Cognet, «Guyon», dans Dictionnaire de Spiritualité, Paris, Beauchesne, 1967, t.6, col.1336)
- «Or, si l’on veut bien lire Mme Guyon sans occulter la
force déployée en sa vie par cet extraordinaire dynamisme auquel elle donne le
nom de Dieu, de Verbe, d’Esprit, la question qui nous paraît posée dépasse
celle d’un sujet personnel. Celui-ci livre passage à la parole, dont l’origine
et la fin lui échappent [...]. Origine et fin courent dans l’univers et entre
les êtres...» (Marie-Louise Gondal, Madame Guyon..., voir supra, choix
bibliographique, p.278)
Les années d’épreuve de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Documents biographiques rassemblés et présentés chronologiquement par D. Tronc. Etude par Arlette Lebigre. Paris, Honoré Champion, coll. « Pièces d’Archives », 2009, 488 p. [mise en ordre chronologique de pièces de procès incluant les interrogatoires et des témoignages issus de la Vie et de la Correspondance ; ce dossier est précédé d’une synthèse et s’achève sur des témoignages concernant la ‘décennie silencieuse’ vécue à Blois après les prisons.]
Lors
de la célèbre « querelle du quiétisme » qui se déroula durant la dernière
décennie du Grand Siècle, Mme Guyon (1647-1717) anima le cercle spirituel
auquel appartint Fénelon ainsi que les ducs de Chevreuse et de Beauvillier. Le
caractère illustre de ces membres d’un cercle dévot assez large, ainsi que
l’opposition calculée de Mme de Maintenon, devenue l’épouse du roi - son
confesseur Fénelon donnera un avis défavorable à la publication de cette union
- exacerbèrent les dures attaques des pouvoirs royal et ecclésiastique
représenté par Bossuet étroitement associés. Il fallait en finir par une
condamnation nette qui mette un terme à une affaire devenue publique entre les
deux prélats les plus illustres de l’Église de France.
Une
procédure judiciaire fut engagée contre la forte tête du cercle. L’enquête
porta sur l’accusation d’avoir fondé une secte secrète, une « petite
Église » selon l’expression malheureuse de lettres saisies - le
protestantisme est encore actif - et sur le fait « criminel » de
s’être cachée dans Paris avant la saisie policière du 27 décembre 1695 qui
ouvre une longue période de prisons. Le choix d’un tel motif invoqué par le
pouvoir est expliqué dans la contribution « Justice et raison d'état. Les vicissitudes d'une enquête » qui
achève l’Introduction. Madame Arlette Lebigre y situe le cadre où le lieutenant
général de police de Paris La Reynie exerça avec compétence et humanité des
interrogatoires qui nous sont parvenus et sont ici publiés dans leur majorité
pour la première fois.
Jeanne-Marie
de la Mothe-Guyon subira trente-huit interrogatoires (à trois reprises, par
l’official Chéron, par La Reynie, par d’Argenson), et elle fut enfermée en cinq
lieux différents. Fait exceptionnel, neuf interrogatoires par La Reynie ont été
très soigneusement enregistrés devant greffier : on souhaitait clore la
« querelle » d’une manière analogue à ce qui était advenu dix ans
auparavant à Rome où Miguel de Molinos avait été convaincu de faute morale
et condamné, puis avait décoré une vaste cérémonie publique avant de
disparaître à jamais. Il fallait donc avoir tous les éléments à charge bien en
main.
Aux
pièces témoignant du bon fonctionnement de la police du Grand Roi[1228] - parfois à ses hésitations face à une défense
opiniâtre - et aux procès verbaux d’interrogatoires que nous venons d’évoquer,
s’ajoutent des confrontations avec un confesseur imposé ou avec l’archevêque de
Paris qui se déplacera jusque dans la prison - par obéissance totale à la
volonté royale - relatées par l’intéressée dans une correspondance, qui se
maintint au début de sa « descente en enfer », et dans ses
témoignages autobiographiques postérieurs à la sortie de la Bastille, dont se
détache le récit de prison.
Pièces
d’archives et témoignages constituent un ensemble cohérent que les historiens
récents n’ont pas pris en défaut. Leur
caractère abrupt annonce déjà des récits de survivants d’internements policiers
au XXe siècle. Les interrogatoires de Mme Guyon, même mis en forme par un
greffier, fascinent par leur intensité. Ils mettent en évidence la capacité de
défense de l’accusée face à la préparation soigneuse des questions qui
s’appuyaient sur les réponses de familiers lors d’interrogatoires
préparatoires. Des lettres rédigées « à chaud » par la prisonnière
témoignent d’une perversité des juges renforcée par l’intrication entre
pouvoirs civils et religieux. Plus tard, le récit
de prison décrira sans fard l’accablement auquel presque tous
succombaient : elle surmonta le sien et vivra par la suite une retraite
active.
Si l’on considère la période parisienne qui succède aux années de jeunesse
et de voyages et qui couvre les années 1686 à 1703, on note avec surprise que
la durée passée dans l’ombre des prisons approche celle vécue en pleine lumière
publique. La liste qui termine notre
récit (elle précède la contribution « Justice et raison d' État. Les
vicissitudes d'une enquête ») ne situe pas moins de cinq périodes
d’enfermements successifs, trois sous juridiction religieuse et deux sous
juridiction civile, dont la seule célèbre, plus longue que toutes les autres
cumulées, dans la Bastille. Les témoignages
portent ainsi sur les deux types de contraintes qui s’entremêlent sous
l’Ancien Régime.
A
cette contribution en vue de mieux connaître les conditions carcérales au Grand
Siècle, nous associons un apport biographique qui couvre la seconde partie
de la vie de Mme Guyon : cette période demeure en effet méconnue. Nous
défrichons ici un terrain vierge en tentant d’établir une chronologie sûre,
autour de laquelle les témoignages peuvent prendre place et s’éclairer
mutuellement, telles des formes cristallines convenablement exposées autour du
fil qui les a vues naître. Car l’immense littérature accumulée depuis trois
siècles autour de la célèbre querelle ne comporte que de très rares études
directement consacrées à Mme Guyon : et celles-ci s’attachent aux
influences exercées par l’animatrice du cercle quiétiste, c’est-à-dire sur ses
périodes de liberté[1229].
Aucune
étude n’a été menée sur la période obscure qui couvre la plus grande partie du présent
ouvrage. Ce dossier chronologique prend naturellement la suite du célèbre Crépuscule des mystiques de Louis
Cognet dont Mme Guyon constituait discrètement le sujet central[1230]. Cette biographie voilée
l’abandonna au moment où elle échappe au contrôle de Bossuet en sortant du
couvent des Visitandines de Meaux, pour consacrer ses dernières pages à un
Fénelon quelque peu oublié dans le corps de l’ouvrage. Les « Nouvelles
aventures » de Mme Guyon, titre donné par l’abbé au dernier récit qui lui
était consacré dans le Crépuscule,
occupait la première moitié de l’année 1695.
On
verra comment les aventures tournèrent rapidement au drame.
Les
quatre premières sections de notre ouvrage couvrent les années 1686 à 1695. La
« vie publique », seule période de liberté, certes la plus longue,
fut largement couverte par des témoignages de chroniqueurs contemporains et
attira ainsi l’attention des historiens disposant ainsi de nombreuses sources.
Aussi nous n’en rappelons que quelques jalons. Les deux brèves détentions qui
l’encadrent, en 1688 puis en 1695, retiennent plus particulièrement notre
attention, ce qui est conforme à notre souci de cerner avant tout les
conditions carcérales : nous nous attachons alors exclusivement au vécu
concret de la prisonnière, tandis que le Crépuscule
des mystiques traitait des événements publics par la mise en scène du chœur
dramatique des acteurs de la querelle.
Dans
les quatre sections suivantes, certains des acteurs précédents resurgissent,
qu’il s’agisse du grand Bossuet ou de l’obscur confesseur Pirot. Chronologiquement, ces sections prennent le
relais du Crépuscule, couvrant une période continue de détentions qui
s’étend sur plus de sept années en trois lieux successifs, de décembre
1695 à mai 1703.
Cette
période est nocturne au sens le plus concret : les quarante-deux mètres
carrés de la deuxième chambre de la tour du Trésor de la Bastille n’étaient
éclairés que par d’étroites embrasures à travers de murs fort épais. Elle l’est
aussi au sens figuré : les conditions de vie sont mal connues ; les
sources disponibles se limitent aux neuf premiers interrogatoires sur
trente-quatre[1231] vécus par la prisonnière, à de brèves pièces
administratives, aux lettres de la prisonnière en début de détention, enfin au
récit postérieur couvrant les « années muettes » où Fénelon et ses
amis ont même craint sa mort ; confié aux proches après la sortie de la
Bastille, son manuscrit du terrible récit
de prison ne fut mis en valeur que récemment[1232].
Les
détentions eurent lieu successivement en trois lieux : le donjon de
Vincennes, lieu des interrogatoires par La Reynie ; l’étrange
« couvent » de Vaugirard ; la prison royale de la Bastille. Les
sections qui leur sont consacrées forment le cœur de l’ouvrage.
Enfin
une neuvième et dernière section, comme le dernier jour paisible d’une longue
semaine de travail (au sens fort), sort du cadre oppressant des enfermements
pour évoquer une retraite où, lavée de toute accusation mais non d’obligation à
résidence, l’ex-prisonnière reprend sa direction spirituelle auprès de
disciples « cis » (français) et « trans »
(européens) : longue période qui va de 1703 à la mort en juin 1717, sur
laquelle les renseignements sont très rares, car les témoins sont devenus
discrets. Nous quittons alors l’enquête policière en rassemblant les rares
pièces qui cernent la fin de la vie
d’une survivante des prisons.
§
La
structure qui sous-tend les événements, les témoignages et les pièces de
justice, souligne en premier lieu des espaces vécus - souvent à l’étroit - et
ponctue en second lieu le déroulement du temps. Ceci constitue deux
échelles qui se superposent pour situer les événements. En témoigne la
table des matières :
1°.
Les titres de premier niveau des neuf chapitres qui suivent l’introduction
synthétique précisent généralement des lieux :
1.
Paris (21 juillet 1686 - 29 janvier 1688)
2.
Internement à la Visitation de la rue
Saint-Antoine (29 janvier 1688 – 13 ? septembre 1688).
3.
Vie publique (13 ? septembre 1688 –
12 janvier 1695).
4.
La Visitation de Meaux sous la férule
de Bossuet (13 janvier 1695 – 8 ? juillet 1695).
5.
Échapper au Grand Roi ? (8 ? juillet 1695 – 27 décembre 1695)
6.
Le donjon de Vincennes et ses interrogatoires (30 décembre 1695 – 16 octobre
1696).
7.
Le « couvent » de Vaugirard (16 octobre 1696 – 3 juin 1698)
8.
L’isolement à la Bastille (3 juin 1698 – 24 mai 1703).
9.
La retraite et l’apostolat à Blois (24 mai 1703 – 9 juin 1717).
Ces
neuf chapitres sont de longueurs très inégales. Nous disposons d’une densité
documentaire extrêmement variable selon les années. Nous voulons couvrir en
détail les périodes « à l’ombre » négligées jusqu’ici, en ne donnant
par contre que quelques repères pour les périodes « publiques » bien
connues. Il nous a cependant paru souhaitable de mettre au même niveau de
chapitres des rappels très courts mais portant parfois sur des périodes longues
sans histoire personnelle et les développements larges mais concentrés dans la
durée, tels les procès verbaux d’interrogatoires ou les témoignages de l’accusée.
Quelques
titres de second niveau servent à distinguer entre des sources au sein des
« longues heures » lorsqu’elles sont très chargées d’événements. En
effet la distribution est fort inégale entre l’année 1696, la plus chargée, qui
couvre près du tiers du volume de ce livre parce qu’elle inclut des
interrogatoires soigneusement transcrits, et l’année 1701 fort vide - ses amis
craignent qu’elle ne soit morte - qui couvre moins du centième du volume.
Terminons sur l’usage des titres : ceux de troisième niveau distinguent
souvent entre les sources documentaires. Ceux de quatrième et dernier niveau
marquent les sujets traités ou les pièces telles que des lettres d’une même
source.
2°.
Mais les titres de second niveau marquent le plus souvent la dimension temporelle selon les « heures d’une
horloge ». Ils délimitent précisément le déroulement par années, en
dix-huit années ou « longues heures », couvrant de 1686 à 1703, puis
en trois périodes dont les termes sont : 1706, 1714, 1717.
Une
telle « horloge » souligne notre ignorance des événements vécus au
cours des dix-huit dernières années (1699-1717), comparée à l’abondance des
témoignages sur la période antérieure de « vie publique », des
premiers enfermements et interrogatoires. Tout se passe à l’inverse de ce que
l’on constate habituellement chez les figures célèbres à propos desquelles les
informations s’accumulent exponentiellement en fin de leur parcours de par leur
reconnaissance progressive.
L’échec
de Mme Guyon est, semble-t-il, total. A sa mort, sa reconnaissance est limitée
à quelques disciples intimes. En collaboration avec le pasteur Poiret et son
groupe piétiste, ils assureront le sauvetage de l’œuvre. Celle-ci poursuivra
une carrière souterraine malgré la condamnation du quiétisme : elle sera
en effet appréciée hors des frontières catholiques, en milieu piétiste.
Le
rapport est inversé entre mystique et pratique religieuse au profit de
l’expérience vécue, seule référence pour affirmer un « intérieur »
inaccessible aux autorités religieuses : ce qui n’est pas sans poser de
graves problèmes de conscience à l’intéressée. Partagée entre l’intime vécu
irrécusable et l’importance qu’elle attache à sa pratique religieuse
catholique, elle subit de plein fouet les chantages exercés par refus de la
confession et de la communion[1233].
§
La
forme du présent volume - dossier de témoignages plutôt que récit
biographique rédigé - est bien adaptée à l’intensité des épreuves qui
suivent les « aventures » de la vie publique de Mme Guyon. Plutôt
qu’une paraphrase des sources, il vaut mieux laisser toute la place à des
témoignages bruts mais fort vivants. Nous proposons « un recueil de textes
d’époque, rangés dans un ordre aussi rigoureusement chronologique que possible,
reliés par une brève narration[1234] », centré sur les
interrogatoires (augmentés de notes par La Reynie traduisant des réactions
réfléchies), et sur des affrontements avec les confesseurs imposés. Les pièces
sont souvent transcrites ici pour la première fois, accompagnées de témoignages
de l’intéressée prélevés dans sa Correspondance[1235] et dans le Récit autobiographique des prisons[1236]. Car La vie par elle-même telle qu’elle fut
éditée au début du XVIIIe siècle, n’est pas utilisable ici. Elle
s’arrête en effet à la fin de l’année 1695 qui voit l’arrestation et le début
des prisons :
Je ne parlerai point ici de cette longue persécution,
qui a fait tant de bruit, par une suite de dix années de prisons de toutes
espèces, et d'un exil à peu près aussi long, et qui n'est pas encore fini, par
les traverses, les calomnies et toutes sortes de souffrances telles qu'on les
peut imaginer. Il y a des faits trop odieux, de la part de diverses personnes,
que la charité me fait couvrir, et c'est en ce sens que la charité couvre la multitude des iniquités[1237],
d’autres [ceux] qui ayant été séduits par des personnes mal intentionnées et
qui me sont respectables par leur piété et par d'autres raisons, quoiqu'ils
aient marqué un zèle trop amer pour des choses dont ils n'avaient pas une
véritable connaissance. Je me tais, des uns par respect, et des autres par
charité.[1238].
Constituer
une tresse associant archives judiciaires, lettres et récit des prisons, tout
en suivant la succession chronologique le plus rigoureusement possible, donne
un relief saisissant à l’ « épreuve obscure ». Ce relief nous
avait d’ailleurs échappé jusqu’à l’assemblage de ce volume limité aux faits.
L’approche
d’une réécriture à fin biographique trahirait la sève intérieure des pièces et
en affadirait le sel. Les passages significatifs du point de vue des événements
extérieurs ne sont pas sans résonance intérieure chez celle qui les subit,
« digressions » dont nous ne rendons pas compte ici : le lecteur
se reportera aux textes de Correspondance
II Combats et de la Vie qui soulignent une belle
disponibilité à la grâce divine.
Une
analyse des sources profondes du conflit et un survol de la chasse faite à
la « dame directrice » par les pouvoirs civil et religieux conjoints sous
l'autorité nominale du Grand Roi, - en réalité sous celle de Mme de Maintenon
son épouse morganatique, - répondent à des questions qui seront soulevées par
l’exposé chronologique. Cette recherche des causes profondes de l’épreuve et
d’une cohérence dans le déroulement des faits suppose d’avancer quelques
hypothèses. Nous n’exercerons cette liberté que dans cette seule section.
Nous
abordons d’emblée le point délicat souvent occulté qui explique les doutes de critiques
jusqu’à nos jours les mieux disposés vis-à-vis d’une femme qu’ils reconnaissent
par ailleurs comme innocente et injustement maltraitée. Il s’agit de la
transmission de la grâce de cœur à cœur, qu’elle affirme et dont elle souligne
les conditions.
Il
est possible de ne pas prendre parti en suggérant quelque illusion ou même un
déséquilibre mental[1239]. Mais cet évitement
revient à placer au second plan ce qui sous-tend toute l’activité de direction
de Mme Guyon et surtout ce qui explique un attachement inexplicable de certains
« disciples ». Nous nous bornerons donc à donner son point de
vue : pour elle, la grâce existe et sa transmission de personne à personne
est un fait expérimental.
Elle
découvrit que la prière silencieuse possède une efficience indépendante des
pratiques religieuses, ce dont les clercs qui en sont plus directement
responsables ne sont pas toujours conscients, et ce qu’on ne lui avait pas
appris. Les pratiques ne sont qu’incitatrices : elles préparent et
appellent à une prière profonde. Mais la grâce se charge parfois de la susciter
inopinément en se manifestant directement.
Une
telle prière profonde s'accompagna exceptionnellement chez Jeanne-Marie Guyon
d’une communication de cœur à cœur. Cela lui arriva très inopinément et non sans
contrecoup somatique après une longue évolution intérieure. Elle avait déjà
trente-quatre ans lorsqu’une telle découverte sauvage eut lieu à Thonon en 1682
dans ses rapports avec son confesseur, le père La Combe. Elle résulta de la
rencontre entre deux âmes avancées dans les voies intérieures.
Une
telle communication est extrêmement rare, car elle suppose une pureté parfaite
du cœur, l'absence de toute intentionnalité et de retour sur soi, l'action
spontanée de la grâce qui passe par le canal d’une personne sans aucun mérite
de sa part. Elle est attestée au sein de traditions spirituelles chrétiennes,
chez les Pères du désert puis au sein de l’église orthodoxe. Elle est au cœur
de traditions soufies et orientales qui ne relèvent pas de la médiation christique.
Elle n’est décrite dans le monde catholique qu’exceptionnellement et par
allusions. Elle nous paraît aujourd’hui
peu croyable.
Ce
fait inexpliqué de nature purement expérimentale suggère pourquoi Mme Guyon a
exercé une attraction, incompréhensible pour Saint-Simon, sur des personnalités
et dans des cercles spirituels variés ; rien ne l’y aidait, ni une
sainteté évidente, ni son époque que l’on a pu qualifier
d’« anti-mystique ». Résidant un temps à Grenoble à son retour
d'Italie, juste avant son retour à Paris, de nombreux laïques et religieux, en
particulier des moines et des chartreuses, venaient la voir. Ils distribuèrent
son premier texte édité par un laïque ami et enthousiaste, un « moyen
court » incitant à l’oraison sans étape intermédiaire. Ce rayonnement
constaté l'encouragea à poursuivre une tâche d'apostolat, et cette fois dans la
plus grande ville du royaume.
On
pratiquait l’art de l'écriture d'une façon beaucoup plus intense que dans les
époques précédentes, plus particulièrement dans le milieu noble de la Cour dont
c’était l’une des seules occupations admises (avec l’exercice militaire) :
aussi Mme Guyon distribuait-elle une large correspondance et des textes courts
de direction, en particulier par l’intermédiaire du duc de Chevreuse au début
de la période parisienne. Affirmant n’écrire que sous l’inspiration de la
grâce, elle évitait toute reprise après coup ou repentir[1240].
Car
les relations entre Mme Guyon et les membres de son cercle, ayant eu
l’expérience intime que nous venons d’évoquer, généralement des laïques vivant
hors de toute clôture, étaient d’une simplicité toute moderne. Sans précaution,
elle livrait et affirmait une autorité soutenue par la communication de cœur à
coeur constatée par ses proches. Ceci est particulièrement apparent dans sa
correspondance avec Fénelon, où les différences de caractère et de formation
intellectuelle, les défauts mêmes propres à chacun sont dépassés par cette
expérience ineffable.
Mais
l’usage d’un complément écrit portant sur l’intime cordial est risqué. Il
génère une grande perplexité chez ceux qui, n'ayant aucune expérience de cet
ordre, ne peuvent rationnellement admettre une autorité fondée sur un
« sixième sens », même si par ailleurs ils admettent une
communication possible par la prière avec Dieu et l’efficacité d’une
présentation devant Dieu par autrui, ce qui constitue
l’« activité » première des membres d’ordres contemplatifs.
Le
sujet délicat de direction intime qui provoquerait une « affection
particulière » apparaît en filigrane au cours du huitième interrogatoire
par la Reynie, avec l’accusation de secte.
En
pratique, tout ceci dégénéra à l’époque en un sujet de conversation à la Cour
et d'amusement pour les courtisans, qui par ailleurs admettaient mal la
prédominance du parti dévot et sa caricature austère offerte par les pratiques
imposées par Mme de Maintenon et partagées par Louis XIV vieillissant.
A
cette époque, la liberté de conscience était impensable sauf dans des cercles
intellectuels étroits obligés en général à la dissimulation[1241]. Pour la majorité il était obligatoire
d’avoir un confesseur, d’obéir à l’Église et aux hommes seuls capables d’une
pensée théologique - au sens étroit technique que ce terme prit au XVe
siècle. L’idée qu’on puisse être dirigé directement par l’Esprit
Saint sans l’intermédiaire des clercs posait problème. Comme on doit
tout dire à un confesseur reconnu comme
représentant du Christ, et qu’il est impossible de mentir pour une mystique, la
seule solution est de convaincre l’interlocuteur, donc de s’exposer.
A
l’opposé de l’attraction sur des proches ou sur des visiteurs, l’influence
inexpliquée provoqua donc l'opposition de tous ceux qui se sentaient dépossédés
de leurs fonctions d'intermédiaires entre la communauté des hommes et Dieu.
En
premier lieu, le général des Chartreux, dom Le Masson, réagit violemment,
n’acceptant pas l’influence exercée par le Moyen
court dans les chartreuses proches de Grenoble[1242]. Non sans l’excuse d’une
naïveté toute monacale, il sera à l'origine de graves accusations reprises à
l'époque des interrogatoires[1243]. Puis le demi-frère de
Mme Guyon qui appartenait au même ordre des barnabites que le père La Combe,
par jalousie envers ce dernier et pour défendre des intérêts familiaux, suscita
un premier internement assez court, prodrome de ce qui suivit bien des années
plus tard (certains acteurs reprendront alors du service).
Enfin,
et plus profondément, la problématique communication intérieure fut
probablement la pierre d’achoppement principale pour Bossuet : son
incompréhension se manifeste après que sa dirigée ait eu l’imprudence de lui
communiquer, sous le sceau du secret, le texte autobiographique où elle décrit
son vécu intime, dans l’espoir quelque peu naïf de le « convertir ».
Sans expérience mystique personnelle, Bossuet pouvait bien admettre les
rêveries de la sœur Cornuau qui reflète l’imaginaire religieux du temps[1244], car elles sont
déconnectées de la vie réelle et ne posent donc pas problème ; mais
l’affirmation d’une expérience intérieure peu ordinaire, qui attire son protégé
Fénelon, s’oppose à sa volonté, ce qu’il identifie à un refus d’obéissance.
La
Combe arrêté dès 1688, Molinos condamné en Italie depuis 1687 : on ne peut
qu'être surpris par le long sursis que constitue la période de « vie
publique » de Mme Guyon, soit de 1688 à 1695. En fait, Mme de Maintenon,
attirée par le rayonnement de sa cadette de dix années, fut influencée au point
d’accepter sa présence au sein de l’institution des jeunes filles de Saint-Cyr.
Mais tout se détériora. Il est possible que l’aînée ait été frustrée
mystiquement ; c’est l’hypothèse exprimée par un texte émanant du cercle
guyonnien de Lausanne au siècle suivant. En tout cas elle se mit à redouter les
effets de la pratique de l’oraison au sein de la communauté, ou du moins ce
qu’on en rapportait malicieusement. Elle reprit alors en main sa fondation (à
la fin de sa vie, elle pensera pouvoir la diriger spirituellement). Cette
dégradation des rapports entre les deux femmes se précipita après que son
confesseur Fénelon eut choisi de demeurer au sein du cercle des disciples
proches de la cadette.
L’influence
sur les ducs et les duchesses de Chevreuse et de Beauvilliers, comme la
conquête de Fénelon, paraissaient très inexplicables à beaucoup, dont
Saint-Simon, l’ami des ducs. Certes, sur le plan théorique, une transaction
théologique put être mise en place, comme le démontrent l’issue des entretiens
d'Issy. Mais les Justifications
établies par les textes de la tradition mystique chrétienne, les explications
fournies par le subtil Fénelon, qui bientôt allait joindre à l’analyse
psychologique l’approche cartésienne d’un « Dieu infini[1245] »,
ne suffirent pas à dissiper un malentendu tournant en antagonisme.
Mme
Guyon sentit alors qu'elle devenait pour ses amis la cause d'une catastrophe
très probable et toute proche, à l'image de celle qui avait eu lieu en Italie
près de dix ans auparavant. Elle se crut obligée de se livrer à un examen sur
place par Bossuet et proposa, pour sa mise à disposition, d’aller résider au
couvent de la Visitation de Meaux,
son diocèse. Cette mise à disposition vira vite au cauchemar.
Rien
ne pouvait être réglé par voie d'autorité dans un domaine où s'oppose à
l'autorité humaine la conscience d'une autorité supérieure divine à laquelle il
faut toujours obéir en premier et avec rectitude. Bossuet perdit toute patience
devant une femme qui, inexplicablement pour lui, transgressait la loi
immémoriale de soumission d’une femme et d’une laïque devant l'autorité
religieuse ; fait aggravant : celui-ci n’était pas seulement un
confesseur, mais l’un des prélats influents du Royaume[1246].
Bossuet
fut tiraillé entre, d’une part, une honnêteté foncière malgré des faiblesses
épisodiques, - à laquelle Mme Guyon fut un temps sensible au point d’alimenter
l’espoir déraisonnable de conversion à la vie mystique, - et d’autre part la
crainte des puissants. Il savait que le véritable pouvoir était de nature
politique et que dans cet ordre la fin justifie les moyens. Mme de Maintenon,
maîtresse des jeux, l’exerçait avec art : on vit donc Bossuet perdre son
sang-froid au sein du couvent de la Visitation,
dans des colères qui trahissaient son impuissance profonde, et plus tard le
faible archevêque de Paris, M. de Noailles[1247], s’abaisser à manier
l’arme d’une fausse lettre au sein de la prison de la Bastille, si dévastatrice
était la crainte de déplaire à Mme de Maintenon et donc d’être barré sur le
chemin des honneurs[1248].
Mme
Guyon, quant à elle, n'était pas prête à un subterfuge quel qu'il soit, et même
au comportement souple de l’omission par silence : elle était marquée
peut-être par la littérature de l’époque de la Fronde, lue avidement dans sa
jeunesse, qui faisait passer les principes avant les accommodements :
handicap certain à l’époque resserrée par l’absolutisme de la fin du siècle. La
connivence des sœurs de la communauté visitandine rendit la vie du couvent
probablement incontrôlable et cet affrontement sans issue se termina par un
départ d’abord autorisé à contrecœur, puis bientôt représenté comme une fuite.
Mme
Guyon tenta ensuite d'échapper au Grand roi en se terrant, espérant contre
toute probabilité se faire oublier. Mais les puissants aiment pousser leur
avantage jusqu'au bout, surtout lorsqu’il est sans risque de l’exercer.
L’attente d’un Deus ex machina qui
prendrait la forme d’un événement imprévu favorable, fut vaine. Le jeu du chat
et de la souris couvrit cependant le second semestre 1695. Finalement repérée
par la police et saisie les derniers jours de décembre, elle devenait une
« matière » à modeler, meneuse dont il fallait obtenir la
déconsidération complète pour l’emporter sans discussion dans une querelle du
quiétisme aux prolongements théologiques problématiques. Cela avait bien été
fait pour Molinos accusé lors de son procès (et lavé aujourd’hui) de toutes les
turpitudes. Dans tout procès d'Inquisition, la déviation théologique est censée
découler d'une déviation morale et le policier qui n’est pas bon
théologien doit exercer son talent ailleurs : elle fut donc attaquée sur
le plan des mœurs.
Dans
le cas présent, on avait saisi des lettres qui semblaient assez bien s'accorder
au bruit qui courait d'une relation trop étroite entre Mme Guyon et son
confesseur, le père de la Combe, que nous orthographierons dorénavant La Combe.
Nous en reproduisons des extraits substantiels au début du chapitre 6, section intitulée « Des lettres
compromettantes », juste avant les interrogatoires par La Reynie où
elles tiennent un rôle important[1249]. Écrivant surtout en
latin ou en italien, celui-ci ne parvint jamais à dominer notre langue :
ses lettres décrivant leur lien spirituel dans un style hyperbolique qui
s'accorde peut-être avec un lyrisme transalpin mais sûrement pas avec l’esprit
clair mais sans humour d’un la Reynie. Fait beaucoup plus grave, il relatait
l'éclosion d'un cercle spirituel de quiétistes parallèle au cercle parisien en
termes ambigus. Car un cercle mystique s’était développé autour de lui au sein
même de la prison royale de Lourdes, avec la participation du confesseur en
titre du lieu, le sieur de Lasherous !
Ce
qui démontre la force morale de son animateur, qui n’était pas un médiocre[1250]. Loin d'être un
personnage naïf et illuminé, il est considéré comme l'inspirateur de Mme Guyon
par l’interrogateur habile La Reynie. Il sera invoqué comme un martyr dans des
cercles guyonniens au XVIIIe siècle. Ses écrits sont raisonnables -
à l’exception de la correspondance saisie où visiblement il accumule les
bourdes qui feront le supplice de la prévenue lors de ses interrogatoires.
Brutalement
résumé, on leur avait expliqué qu’elle dirigeait une secte et qu’elle
avait couché avec son confesseur : le médiocre M. de Junca « ne
savait rien sinon qu’il me croyait une hérétique outrée et une infâme » (Vie, 4.6). La Reynie[1251], interrogateur
intelligent et droit, fait un résumé plus équilibré du cas : cette femme croit
être divinement inspirée, elle écrit des livres et elle dirige des gens, quel
orgueil ! alors même que tout ce qu’elle fait est contre le bon
sens : quitter sa famille et son bien pour partir sur les routes !
Elle
suscite sa pitié ; il ne trouve pas grand chose d’intéressant chez elle
mais il obéit au Roi. On trouve beaucoup de logique chez lui ; elle a du
mal à y échapper et en désespoir de cause demandera qu’on interroge le
confesseur. Elle voyageait avec ce dernier dans des conditions qui pouvaient
être équivoques[1252] et ne pouvaient qu’alimenter les soupçons de
relations plus intimes. Plus généralement les expressions de « petite
Église » et d’« enfants du Petit Maître » que l’on trouve dans
les lettres saisies s’avèreront catastrophiques car, outre celui de
l’existence d’une secte, elles suggèrent un communautarisme contraire à la
pratique des clercs dans le monde catholique comme à l’autorité royale qui en
est le modèle, mais proche des pratiques de certaines assemblées protestantes.
Les
septième et huitième interrogatoires par la Reynie sont particulièrement
éclairants et importants, car le Roi est le « protecteur de la vraie
et seule Église catholique[1253] », ce qu’elle
reconnaît elle-même. Sur l’épître concernant saint Michel, elle ne sait trop
que répondre : « des gens ont fait cela pour se divertir sans aucun
dessein[1254] ».
La
chasse va être menée en onze étapes qui illustrent de manière exemplaire et
parfois presque comique l’alliance entre la justice civile et la hiérarchie
religieuse. Cette réunion « du sabre et du goupillon » est par
exemple illustrée par l’épisode du transfert en secret ordonné de très haut, de
Vincennes à Vaugirard, assuré incognito par le tandem policier et confesseur[1255]. Les deux sources
d’autorité civile et religieuse, sous la direction affirmée du Grand Roi, - en
pratique de celle de son épouse, - vont se repasser la responsabilité de faire
plier une prisonnière récalcitrante et n’y parviendront pas.
On
commença par « chauffer » la prévenue par un interrogatoire qui eut
lieu le dernier jour de l'année 1695, donc très peu de temps après la saisie.
Ce changement de situation brusque, de la liberté, même confinée, à la maison
de Popaincourt où s’était réfugiée en dernier lieu Mme Guyon pour échapper à la
police royale, à l’internement dans la tour de Vincennes, pouvait en effet
induire une faiblesse momentanée chez la prévenue.
On prépara ensuite ses interrogatoires futurs
grâce aux réponses données par les personnages assez secondaires arrêtés en
même temps qu’elle : le prêtre Cousturier et sa cousine, la demoiselle
Pescherard. En même temps, on confirma l’origine des livres et des pièces
écrites qui avaient été saisies. Ces prises matérielles se seraient avérées
anecdotiques, compte tenu de précautions prises par Mme Guyon et fort
regrettées par l’interrogateur La Reynie, s’il n’y avait eu la saisie des
lettres malencontreuses de La Combe et Lasherous, dont la dernière arriva à la
maison de Popaincourt après les arrestations. Ces lettres seront les éléments
principaux qui inspireront l’enquête. Cette première phase de préparation dura
presque trois semaines (elle prit place entre le 31 décembre 1695 et le 19
janvier suivant).
Suivit
le « coup de massue » délivré sous la forme de cinq interrogatoires concentrés
sur treize jours (du deuxième, le 19 janvier, au sixième, le 1er février). Tout
tournait autour de l'existence possible d'une secte qui serait à réprimer dans
le royaume de France avant qu'il ne soit trop tard, celle d’une « petite Église
» quiétiste en phase d’incubation appelée encore « des enfants du petit
maître ». La charge d'atteinte aux mœurs était abandonnée pour l’instant
par La Reynie, homme droit ; elle sera reprise plus tard par l’archevêque
de Paris armé de la célèbre lettre forgée supposée écrite par La Combe.
L'accusée se défendit bien et des échos de cette résistance sans faille
majeure parviendront à la Cour : « On dit qu'elle se défend avec
beaucoup d'esprit et de fermeté », rapporte le chroniqueur Dangeau.
Les
enquêteurs étaient maintenant perplexes devant le statu quo, ce que traduit le va-et-vient des pièces à charge entre
l'autorité civile, c’est-à-dire La Reynie, dirigée par le ministre
Pontchartrain, et l'autorité religieuse, représentée par l'archevêque de Paris
Noailles qui mettra bientôt la main à la tâche. Ces deux autorités, entièrement
soumises au Roi et à son épouse, collaboreront étroitement. Pour l’instant, en
l'absence de nouveaux éléments à introduire dans la procédure, on laissa La
Reynie, qui de toute façon était le mieux préparé et le meilleur connaisseur de
l'accusée, terminer son travail. Cette période de flottement aura duré
exactement deux mois, du 1er février au 1er avril.
Le
deuxième assaut fut donné sous la forme de trois interrogatoires menés en
quatre jours (du 1er avril au 4 avril). Pour bien comprendre
l’impact d’un tel interrogatoire, il faut s’imaginer le lieu et son
déroulement. Un étage entier de la tour de Vincennes a été spécialement aménagé
pour elle. Mme Guyon est en présence de La Reynie, lieutenant général de police
de Paris, ainsi que du greffier chargé d'établir des actes les plus officiels
possibles pour leur utilisation éventuelle. Elle doit se confronter activement
durant presque une journée avec un homme connu pour sa compétence. Il lui faut
répondre à des questions préparées soigneusement si l’on en juge par les traces
écrites qui nous sont parvenues : les comptes-rendus des interrogatoires
préliminaires de personnages secondaires comportent des soulignements de passages
importants de leurs déclarations, parfois des notes sur les questions à poser.
L’accusée sortit épuisée de ce second assaut. En témoignent ses deux lettres
écrites avec du sang en l’absence d’encre (elles se placent entre le 5 et le 12
avril) : geste de défi ou marque de désespoir ?
En
tout cas le résultat ne fut pas atteint, qui consistait à obtenir une preuve,
signée, de la culpabilité de l'accusée. On abandonna alors la pression
policière pour y substituer une pression plus subtile, exercée cette fois par
voie religieuse. Le docteur de la Sorbonne Pirot, lui fut imposé comme
confesseur : il avait bien connu l'accusée en exerçant ses talents sur
elle des années auparavant lors du premier enfermement à Saint-Antoine, et il
va appliquer toute la pression possible, ce dont témoignent sa longue lettre et
son mémoire.
L'accusée,
acculée, appelle au secours : elle s’adresse au seul ecclésiastique qui
méritait confiance. Au-dessus de tout soupçon, M. Tronson, le directeur de
Saint-Sulpice qui avait participé aux entretiens d’Issy, avait une réputation
de grande honnêteté. Malade et âgé, il intervient pourtant par un échange assez
fourni de lettres, puis sous sa direction, une Soumission est préparée au début du mois d’août 1696 par Fénelon
(dans sa jeunesse, celui-ci fut dirigé par Tronson au séminaire de
Saint-Sulpice). Signée à la fin du mois par Mme Guyon, cette Soumission va-t-elle enfin permettre sa
sortie de prison ?
Fausse
sortie. Car le soi-disant « couvent » de Vaugirard où elle est
secrètement menée, dûment escortée par le policier Desgrez en compagnie du
confesseur imposé, s’avère une autre prison, et, circonstance aggravante, une
prison inconnue de tous, où tout peut donc arriver. « Monsieur le
curé » responsable de la direction locale est tout à la fois le confesseur
et de Mme Guyon et des trois religieuses bretonnes affectées à la garde !
Ses insinuations sont infirmées par le
récit qu'elle en fera plus tardivement, mais surtout par la correspondance qu'elle
put maintenir avec la duchesse de Mortemart. Nous présentons des extraits de
lettres qui montrent l'intensité du vécu carcéral. Elle échapperait, peut-être,
à un empoisonnement. Va-t-elle disparaître à jamais ?
En
fait, le « dossier Guyon » est repris en haut lieu, car l'on ne
désespère pas d'arriver à prouver une culpabilité, au moins formellement. De
nombreux interrogatoires seront pratiqués ultérieurement par le terrible
d'Argenson ; au total elle subira trente-huit interrogatoires, outre des
confrontations. Malheureusement, nous ne connaissons aucune pièce officielle
sous forme d'enregistrement par un greffier, mais seulement le témoignage du
« récit de prison » qu’elle rédigea après sa sortie en 1707 sur la
demande de ses proches.
Menaces
et usage successif de deux dénonciatrices, ou « moutons », ne mènent
à rien sinon à la conversion de la seconde au contact de la prisonnière. Le
fonds de l'abîme est atteint et l’accusée est entrée maintenant en dépression.
Son récit se situe ici très loin de l’hagiographie, aux confins d’une mort attendue
comme une délivrance, décrivant entre autre le suicide tenté par un condamné
voisin. Ce texte n’a été publié que récemment, car nous sommes devenus
bons lecteurs de tels témoignages extrêmes depuis l’impact des récits
d’incarcérés dans les régimes totalitaires.
Enfin
un dernier essai de prise en main a lieu en 1700 au moment même où, - parce
que ? - l'Assemblée des évêques, dirigée par un Bossuet qui va bientôt
disparaître, lève toute accusation morale. Apparemment, on ne tira alors rien
de Famille, la fidèle servante au surnom qui avait été un temps ambigu aux
yeux du premier inquisiteur. Elle fut confrontée peut-être à Rouxel, un prêtre
du diocèse de Besançon où un cercle hétérodoxe - quiétiste ? - venait
tout juste d’être démantelé à Dijon[1256].
Monsieur
de Paris eut-il « de très grands remords de me laisser mourir en
prison » ? Devenue inoffensive sur le plan de la politique religieuse
après la condamnation du quiétisme par le bref papal de 1699, tandis que Mme de
Maintenon, l’amie devenue la plus grande ennemie, intervenait dans la politique
religieuse royale et plus étroitement la communauté religieuse fondée par ses
soins à Saint-Cyr, Mme Guyon quitta la Bastille en 1703, sur un brancard, pour
vivre en résidence surveillée chez son fils.
Plus
tard elle achètera une maison située tout à côté du château royal de Blois, et
elle terminera son travail de « dame directrice » auprès d'un cercle
de disciples d’une nouvelle génération, élargi à l'Europe entière et mélangeant
protestants et catholiques, particularité très en avance sur son temps. Nous
pouvons aujourd’hui tirer bénéfice de la lecture de ses profonds écrits, forgés
dans la douleur, restés jusqu’à tout récemment méconnus[1257].
La
« période parisienne » débute le 21 juillet 1686, date de l’arrivée à
Paris au cloître Notre-Dame. Une première détention, bref aperçu de celles qui
se succéderont six années plus tard, est suivie d’une longue « période
publique ». Cette période active court de l’automne 1688 (rencontre avec
Fénelon) à la fin de 1694 (« entretiens » d’Issy). Lui succède
l’« épreuve obscure » qui s’achève le 24 mars 1703, date de la sortie
de la Bastille sur un brancard pour se rendre en résidence surveillée chez un fils
près d’Orléans. Les détentions sont ponctuées par trente-huit (ou trente-neuf)
interrogatoires auxquels s’ajoutent de nombreuses entrevues orageuses. Cinq
détentions d’une durée totale de presque huit années et demi se succèdent
dont voici brièvement rappelés les dates et lieux de détention, la durée
et le nombre d’interrogatoires, les officiants :
1/
Du 29 janvier 1688 au 13 septembre 1688 à la Visitation Saint-Antoine :
sept mois et demi ; quatre interrogatoires (peut-être neuf ou dix [1258]) par Chéron l’Official,
accompagné de Pirot.
2/
Du 13 janvier 1695 au 9 juillet 1695 à la Visitation de Meaux : près de
six mois durant lesquels « elle y fut considérée comme prisonnière »
(Cm, p. 329). Sept (?) entrevues
souvent orageuses avec Bossuet, évêque de Meaux[1259].
3/
Du 26 décembre 1695 au 6 octobre 1696, un peu moins de dix mois et demi au
donjon de Vincennes dont un niveau avait été spécialement aménagé. Neuf ou dix
interrogatoires (31.12.1695 au 4.04.1696) sont assurés par La Reynie « de
six, sept et huit heures quelquefois » ; leurs soigneux procès
verbaux nous sont parvenus. Leur succèdent des entrevues orageuses avec de
nouveau Pirot : « Il n’y a rien de plus violent que ce qu’il me
fit… »[1260].
4/
Du 7 octobre 1696 au 3 juin 1698, vingt mois à Vaugirard, dans un
« couvent » formé pour l’occasion avec la contribution de trois sœurs
bretonnes.
5/
Du 4 juin 1698 au 24 mars 1703 à la Bastille : quatre années et près de
neuf mois, dont une longue période d’isolement (en 1700 ses amis la supposent
morte) n’auront pas raison de la santé psychique de la prisonnière. Fin 1698,
durant « trois mois » ont lieu vingt
interrogatoires par le terrible d’Argenson : elle tient bon. Enfin
quelques interrogatoires ont lieu en 1700 (« d’Argenson est de
retour »).
Le
tableau suivant résume la structure du volume en reprenant les deux échelles de
lieux et par années sous leurs titres de chapitres (premier niveau) et de
sections (deuxième niveau) tels qu’ils figurent dans la table des matières. Les
périodes d’enfermements sont soulignées par l’emploi d’italiques.
Chapitres L’échelle
des lieux Titres de premier niveau |
Année |
Date de transfert |
Sections L’échelle
des années Titres de second niveau |
1.Libre à Paris |
1686 1687 |
21 juillet 1686 |
Installation, intrigues Molinos et Lacombe arrêtés |
2.La Visitation
Saint-Antoine |
1688 |
29 janvier
1688 |
Le premier
internement |
3.Période de vie publique |
1689 1690 1691 1692 1693 1694 |
13 septembre 1688 |
Evénements familiaux Une retraite paisible Premières inquiétudes Bossuet mis en action St-Cyr interdit, examens Crise, entretiens d’Issy |
4.La
Visitation de Meaux |
1695 |
13 janvier
1695 |
(sous la
férule de Bossuet) |
5.Echapper au Grand Roi ? |
|
9 juillet 1695 |
(gîtes parisiens) |
6.Le
donjon deVincennes |
1696 |
30
décembre 1695 |
Interrogatoires
(La Reynie), pression d’ un confesseur |
7.Le
« Couvent » de Vaugirard |
1697 1698 |
7 octobre
1696 |
Le joug de
M. le Curé La fausse
lettre |
8.La
Bastille |
1699 1700 1701 1702 |
4 juin
1698 |
L’abîme Le
non-lieu L’année
vide Espoir et
délivrance |
9.La retraite (Blois) |
1703 1704 1705 1706 1707 1708 1709 1710 1711 1712 1713 1714 1715 1716 1717 |
24 mars 1703 |
Chez son fils Années silencieuses à Blois Un lien avec Fénelon Dernières années actives |
9 juin 1717 |
Mort paisible à Blois |
Madame Guyon, La
Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Edition critique avec
introduction et notes par D. Tronc, Etude littéraire par Andrée Villard, Paris,
Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2001, 1163 p. [Les 3 volumes
de la Vie connus depuis leur publication au XVIIIe siècle et repris sous
les titres « 1. Jeunesse, 2. Voyages, 3. Paris », sont suivis
de : « 4. Prisons, 5. Compléments biographiques » ; l’édition
rétablit l’ordre du ms. d’Oxford et inclut des additions provenant du ms. ‘de
jeunesse’ de St-Brieuc.]
Monsieur
Jacques Le Brun et Monsieur Philippe Sellier ont éclairés mes premiers pas dans
la voie de l’édition critique et ils m’ont constamment encouragé au cours de ce
travail. Celui-ci est redevable des publications de Marie-Louise Gondal. Elle a
facilité l’accès à Madame Guyon à de nombreux lecteurs et nous devons beaucoup
à sa découverte du manuscrit de Saint-Brieuc et à sa première mise en valeur de
celui de Chantilly. On ne saurait dire tout ce qu’on apporté en leur temps Louis Cognet, Jean Orcibal et Jean
Bruno. Madame Bruno m’a confié de précieuses notes de son mari.
Je remercie les responsables de la Bodleian Library, des Bibliothèques Cantonale de Lausanne et Municipale de Saint-Brieuc qui ont efficacement assuré l’accès aux sources manuscrites.
Les précieux conseils du P. André Derville, de la compagnie de Jésus, m’ont facilité l’accès aux précurseurs de Madame Guyon. J’exprime ma profonde reconnaissance au P. Irénée Noye, sulpicien, de m’avoir accueilli depuis plusieurs années à la bibliothèque des Archives de Saint-Sulpice : sa bienveillance et sa profonde compréhension ont guidé mon exploration du fonds Guyon mis en ordre par ses soins. Le P. Racapé, eudiste, a précisé des rapports familiaux complexes et les généalogies de certains membres du « petit troupeau ». Ainsi, par leur intermédiaire, trois ordres religieux qui furent les moins hostiles à Madame Guyon dès son époque[1261] continuent une tradition d’ouverture et d’accueil.
Je remercie Mademoiselle Andrée Villard d’avoir eu la patience de relire le texte complet et d’y avoir apporté de si judicieuses corrections. Plus particulièrement elle a amélioré considérablement la ponctuation, facilitant la lecture tout en respectant le flux inspiré même lorsqu’il malmène la syntaxe. Suite naturelle de cette collaboration, elle a réalisé la première approche littéraire du texte : Madame Guyon prend ainsi une place raisonnée d’écrivain dans la collection Sources Classiques.
De très proches lectrices ont suggéré de nombreuses
améliorations à la présentation d’ensemble et m’ont invité à préciser des
intuitions. Ces maîtres et ces amis ont ainsi permis l’achèvement d’un travail
passionnant dans des conditions favorables et paisibles.
La Vie écrite par elle-même nous
révèle Madame Guyon, mystique célèbre mais méconnue, par un texte qui jaillit,
brut, sans se plier aux conventions ni aux raffinements de l’écriture.
Témoignage authentique et unique parce qu’il est porté par une expérience menée
à son terme. Texte difficile car son foisonnement n’a pas été refaçonné ni
travaillé par un “auteur” qui se serait soucié de l’être.
Le texte connu jusqu’à maintenant était celui édité par Poiret, un pasteur
protestant du début du XVIIIe siècle. Il en avait facilité la lecture par une
“toilette” portant sur le style et l’avait rendu conforme aux retenues de
l’époque au prix d’une censure. Il n’incluait pas le témoignage très dur des
prisons. L’édition que nous livrons ici est la première fondée sur les
manuscrits. Elle livre non une œuvre achevée mais un document conforme au
souhait de Madame Guyon qui interdit au lecteur de considérer sa Vie comme l’œuvre d’un écrivain. En
effet elle obéit, sans se permettre aucun repentir, à l’injonction de vérité
d’un directeur qui lui a refusé toute réticence.
« Puisque vous souhaitez de moi que je vous écrive une vie aussi
misérable[1262]
et aussi extraordinaire... » : Misérable par la succession des
traverses, épreuves et humiliations, et extraordinaire par la variété des
événements accumulés au cours d’une longue existence et par l’expérience
intérieure.
Née en 1648 et mariée à Montargis à l’âge de seize ans, elle devint veuve à
vingt-huit ans après cinq grossesses dont il survivra trois enfants jusqu’à
l’âge adulte. On sait que le veuvage a pu apporter la liberté à des femmes de
caractère au Grand Siècle[1263].
Jeanne-Marie Guyon pensait (et d’autres le pensaient avec elle) qu’elle devait
contribuer à l’évangélisation ; elle voyagea cinq ans durant, surtout hors
de France, non sans toutefois connaître des périodes de tranquillité[1264],
à Thonon en Savoie, à Grenoble, ainsi que près de Turin en Piémont pendant
presque une année. Le succès rencontré dans cette entreprise suscita jalousies
et oppositions ; mais son action féconde fut reconnue. Le Moyen court et très facile de faire oraison
publié à Grenoble[1265]
en témoigne.
C’est une femme
d’expérience qui arriva à trente-huit ans à Paris - l’année qui précède la
condamnation de Molinos et de quiétistes[1266].
Elle fut emprisonnée peu après ce retour mais fut reconnue et délivrée par Mme
de Maintenon, cette autre veuve, de dix ans son aînée, devenue l’épouse secrète
du Grand Roi. Madame Guyon entreprit alors un apostolat à la fondation des
demoiselles de Saint-Cyr et s’attacha de prestigieux disciples – les couples
des Chevreuse et Beauvillier, Fénelon – qui lui demeureront fidèles jusqu’à
leur mort, c’est-à-dire durant près de trente ans. Puis elle tomba en défaveur,
le cycle des épreuves suivit le combat des deux veuves et la défaite prévisible
de notre auteur. Elle tenta de se réfugier dans l’isolement et le silence - en
vain. Elle fut emprisonnée de nouveau à quarante-huit ans pour sept années et
demie dont cinq en isolement à la Bastille[1267].
Bossuet mort, elle en
sortit à cinquante-cinq ans - sur un brancard. La dernière partie de sa vie
n’est en rien négligeable : elle forma des disciples, catholiques et
protestants mélangés, à Blois, en les ouvrant à la vie intérieure, ce dont
témoigne sa correspondance qui devint européenne. Elle mourut à soixante-neuf
ans.
Le résumé des événements extérieurs et des réactions qu’ils entraînent
telles qu’ils sont rapportés par la Vie
brosse un portrait vivant de Madame Guyon[1268]:
La
petite fille est confiée à quatre ans aux bons soins de religieuses. Eveillée et
appréciée, elle sait comment éviter le simulacre de martyre joué par ces
dernières, en leur déclarant : « Il ne m'est pas permis de mourir
sans la permission de mon père ! » Livrée à elle-même
lorsqu’elle retourne dans sa famille, elle va « dans la rue avec d'autres
enfants jouer à des jeux qui n'avaient rien de conforme à sa naissance. »
Sa demi-sœur religieuse du côté de son père, « si habile qu’il n’y avait
guère de prédicateurs qui composât mieux des sermons qu’elle » - et qui
savait le latin - l’éveille à la vie de l’esprit. Mais la jalousie de l’autre
demi-sœur religieuse et les réprimandes de confesseurs assombrissent cette
adolescence. Ces derniers ne savent d’ailleurs pas la délivrer des difficultés
liées à l’adolescence, ce qui lui donnera la compassion des pécheurs.
Elle
est mariée à seize ans :
« mon mari avait vingt et deux ans de plus que moi, je
voyais bien qu'il n'y avait pas d'apparence de changer … outrée de douleur, il
n'y avait que six mois que j'étais mariée, je pris un couteau, étant seule,
pour me couper la langue … J'eus quelque temps un faible que je ne pouvais
vaincre qui était de pleurer … L’on me tourmentait quelquefois plusieurs jours
de suite sans me donner aucune relâche … Je m'en plaignais quelquefois à la
Mère Granger[1269] qui me disait : “Comment les contenteriez-vous, puisque
depuis plus de vingt ans je fais ce que je peux pour cela sans en pouvoir venir
à bout” ? » Après « douze ans et quatre mois de mariage »
son mari meurt avec courage : « Il me donna des avis sur ce que je
devais faire après sa mort pour ne pas dépendre des gens… »
Suit
une période d’épreuves intérieures autant qu’extérieures : « Il
m'était alors tellement indifférent d'être condamnée de tout le monde et des plus
grands saints, que je n'en avais nulle peine … Mes maladies me devinrent des
temps de plus grande impuissance et désolation … je me vis réduite à sortir au
fort de l'hiver avec mes enfants et la nourrice de ma fille. »
A trente-deux ans elle se libère et
part « pour Genève … je donnai dès Paris …tout l'argent que j'avais … Je
n'avais ni cassette fermant à clef, ni bourse. » A Gex « l’on me
proposa l'engagement et la supériorité » Elle témoigne à la supérieure des
Nouvelles Catholiques : « certaines abjurations et
certains détours ne me plaisaient pas ». « Dépouillée de tout, sans
assurance et sans aucuns papiers, sans peine et sans aucun souci de
l'avenir », elle compose à Thonon les Torrents :
« Cela coulait comme du fond et ne passait point par ma tête. Je n'étais
pas encore accoutumée à cette manière d'écrire … je passais quelquefois les
jours sans qu'il me fût possible de prononcer une parole …Tout ce que j'avais
écrit autrefois …fut condamné au feu par l'amour examinateur. » Elle
découvre « une autre manière de converser » en union avec le P. La Combe :
« j’apprenais son état tel que je le ressentais, puis incontinent je
sentais qu’il était rentré dans l’état où Dieu le voulait … Peu à peu je fus
réduite à ne lui parler qu'en silence. » Suivent des séjours fructueux en
Piémont puis à Grenoble.
A trent-huit ans elle revient à Paris, au
moment où le quiétiste Molinos est condamné à Rome. Des jalousies entre
religieux « firent entendre à Sa Majesté que le père La Combe était ami de Molinos …
[le roi] ordonna … [qu"il] ne sortirait point de son couvent … ils
résolurent de cacher cet ordre au père…» qui est finalement arrêté. Quant à
elle, « l’on me signifia que l'on ne voulait pas me donner ma fille, ni personne pour me servir; que je serais
prisonnière, enfermée seule dans une chambre … au mois de juillet dans une
chambre surchauffée. » On veut en fait marier sa fille au neveu de
l’archevêque de Paris. Elle se défend vigoureusement lorsqu’on lui
reproche de prendre Dieu à témoin : « Je lui dis que rien au monde n'était
capable de m'empêcher de recourir à Dieu. »
Libérée,
elle quitte le couvent-prison de la Visitation pour habiter « une petite
maison éloignée du monde. » Elle est active auprès d’un cercle de
disciples et à Saint-Cyr où « Madame de Maintenon me marquait alors
beaucoup de bontés ; et pendant trois ou quatre années que cela a duré
j'en ai reçu toute sorte de marques d'estime et de confiance. » Le duc de
Chevreuse lui amène Bossuet, auquel on communique la Vie « qu’il trouva si bonne qu'il lui écrivit qu'il y trouvait
une onction qu'il ne trouvait point ailleurs, qu'il avait été trois jours en la
lisant sans perdre la présence de Dieu. »
Cela
ne dure pas. Elle a quarante-sept ans
lorsque commence la seconde période d’enfermements. Elle se rend tout d’abord
d’elle-même au couvent de Sainte-Marie de Meaux où elle conquiert l’estime de
la mère Picard et des religieuses tandis qu’elle est fort menacée par Bossuet,
soumis lui-même aux pressions de Mme de Maintenon. Puis après s’être cachée
quelque mois, elle est arrêtée et enfermée par lettre de cachet à Vincennes.
Ici
prend fin le récit de la Vie
proprement dite, auquel succède celui des Prisons
(la quatrième partie de notre édition) : « après neuf ou dix
interrogatoires de six, sept et huit heures quelquefois, [M. de La Reynie] jeta les lettres et les papiers
sur la table … Il fit un dixième interrogatoire où il me demanda permission de
rire. » Elle est transférée dans un couvent-prison à Vaugirard constitué
spécialment pour elle : « on me mit dans une chambre percée à jour et
prête à tomber … [la gardienne] venait m'insulter, me dire des injures, me
mettre le poing contre le menton, afin que je me
misse
en colère.» Il est probable qu’on ait voulu se débarrasser d’elle à l’aide de
vin empoisonné[1270],
« M. le Curé me dit, un jour, un mot qui me parut
effroyable …qui était qu'on ne me mettait pas en justice parce qu'il n'y avait
pas de quoi me faire mourir … défendant, s'il me prenait quelque mal subit
comme apoplexie ou autre de cette nature, de me faire venir un prêtre. »
Après un chantage exercé sur tous ses proches - sans succès - elle est
embastillée.
On
bascule de la contrainte à la terreur. L’archevêque de Paris présente une
lettre forgée et attribuée au Père La Combe : « [Mr le Curé]
s'approchant me dit tout bas : On vous
perdra». On la sépare de ses filles de compagnie qui seront
maltraitées : “il y en a encore une dans la peine [le tourment] depuis dix
ans pour avoir dit l'histoire du vin empoisonné devant le juge. L’autre dont
l'esprit était plus faible le perdit par l'excès et la longueur de tant de
souffrances, sans que dans sa folie on pût jamais tirer un mot d'elle contre moi[1271]
… elle vit présentement paisible et servant Dieu de tout son cœur.” On les
remplace par « une demoiselle qui, étant de condition et sans biens,
espérait faire fortune, comme on lui avait promis, si elle pouvait trouver
quelque chose contre moi. » La prisonnière se trouvant défaillante, le
confesseur qui lui est imposé, « me dit : Je n'ai de pouvoir de vous confesser qu'en cas que vous alliez mourir
tout à l'heure.» Les pressions continuent : « M. d'Argenson vint m'interroger. Il était si prévenu et
avait tant de fureur que je n'avais jamais rien vu de pareil. » Elle subit « plus de vingt
interrogatoires, chacun de plusieurs heures. » Un prisonnier tente le
suicide ? « Il n'y a que l'amour de Dieu, l'abandon à sa volonté
…sans quoi les duretés qu'on y éprouve sans consolation jettent dans le
désespoir … Quelquefois, en descendant, on me montrait une porte, et l'on me
disait que c'était là qu'on donnait la question. D'autres fois on me montrait
un cachot, je disais que je le trouvais fort joli … ma vie me quittait. Je
tâchai de gagner mon lit pour mourir dedans … J'aurais toujours caché mon mal,
si l'extrême maigreur, jointe à l'impuissance de me soutenir sur mes jambes, ne
l'eût découvert. On envoya quérir le médecin qui était un très honnête homme.
L’apothicaire me donna un opiat empoisonné …Je le montrai au médecin qui me dit
à l'oreille de n'en point prendre, que c'était du poison.»
Elle
est libérée à cinquante-quatre ans et
là s’arrêtent les récits autobiographiques. Le Supplément à la vie décrit les dernières années actives à Blois où
elle forme des disciples français et étrangers : « elle vivait avec
ces anglais comme une mère avec ses enfants. …ne leur interdisait aucun
amusement permis, et quand ils s’en occupaient en sa présence et lui en
demandait son avis, elle leur répondait : Oui
mes enfants, comme vous voulez. …Bientôt ces jeux leur devenaient
insipides, et ils se sentaient si attirés au-dedans, que laissant tout, ils
demeuraient intérieurement recueillis en la présence de Dieu auprès
d’elle. » Elle meurt en paix à soixante-neuf
ans.
On est loin d’un texte
édifiant à tendance hagiographique. Ce témoignage nous plonge dans des
résistances et des tourments bien peu quiétistes. Ce premier niveau, celui de
la vie concrète des événements et réactions extérieures, fascine par son
spectre si large. Elle passe des honneurs à
la Cour, à la honte des interrogatoires policiers. La timidité et le respect des conventions
avant et au début de son mariage laissent place à une volonté de fer et à un
esprit de liberté qui affronte de face la coalition des structures civiles et
religieuses de son époque, avec une intelligence dont témoignent amis et
ennemis. Finalement, après la tempête, demeure une vision paisible et ample qui
associe respect de la tradition et liberté des opinions[1272].
Notre Biographie chronologique
propose une approche attentive de cette existence.
§§
Un second niveau de
lecture révèle une expérience mystique sous-jacente à la vie dite ordinaire,
développée de l’intérieur du cœur pour être vécue. Cette expérience justifie à
ses yeux l’entreprise d’écriture qui expose le vécu intérieur parallèlement à
celui des événements. Ce deuxième volet constitutif du texte de la Vie est résumé dans notre section
suivante consacrée à sa formation mystique.
Nous ne
rappellerons pas en effet ce qui a été
si bien dit de l’auteur sur son combat féministe avant l’heure[1273] et
sur sa pratique du véritable christianisme[1274],
car notre souci est de pallier une lacune pour nous la plus profonde :
l’absence d’une approche documentée se proposant de décrire son expérience
intérieure puis son apostolat. La Vie
nous éclaire sur son évolution :
Elle
commence par une éducation sévère dont témoignent le songe de l’enfer
(dont sa raison doutait), un simulacre de martyre par les religieuses
( !), la lecture de la Bible... Heureusement l’influence de Madame de
Charost - « je voyais sur son visage quelque chose qui me marquait
une fort grande présence de Dieu » - le passage du neveu missionnaire, ami
de Madame de Charost et de la Mère Granger - « Ils avaient un même
langage intérieur » - qui lui promet d’offrir son martyre (qui eut
lieu) pour qu’elle découvre la vertu d’oraison, attirent l’adolescente vers le
mystère caché.
Elle
n’a pas dix-huit ans lorsqu’elle rencontre « le bon
franciscain » Enguerrand : « je ne laissai pas … de lui
dire … mes difficultés sur l'oraison. Il me répliqua aussitôt : C'est, Madame, que vous cherchez au-dehors
ce que vous avez au-dedans … Vous me donnâtes en un moment par votre grâce
et par votre seule bonté ce que je n'aurais pu me donner moi-même par tous mes
efforts … l'oraison qui me fut
communiquée … est bien au-dessus des extases, et des ravissements, des
visions».
Suit
un travail de purification. Elle voit Monsieur Bertot, mais ne peut communiquer
son état : « ma disposition du dedans était trop simple pour en pouvoir
dire quelque chose. » La sécheresse vient : « Vous commençâtes,
à vous retirer de moi … Je m'en plaignis à la Mère Granger …je lui dis que je
ne vous aimais plus … elle me dit en me regardant : Quoi ! vous n'aimez plus Dieu ? Ce mot me fut plus pénétrant qu'une flèche
ardente. ». La Mère Granger, soutien de toujours, meurt :
« M. Bertot, quoiqu'à cent lieues …eut
connaissance de sa mort et de sa béatitude ; …comme on lui parlait de moi
à dessein de la réveiller, elle dit : Je
l'ai toujours aimée en Dieu.»
On trouve ensuite des descriptions précises de la nuit, de sa délivrance,
enfin de la vie apostolique.
Quels sont les grands
axes qui guident cette vie intime ? On perçoit au niveau le plus profond
de la Vie, un fait plus
extraordinaire que tous les événements extérieurs, celui de l’obéissance humble
ou acquiescement au moindre souffle
de la grâce reçue. Elle en fit sa règle de conduite et par là elle fut
souvent incomprise. On sait le danger de
passer pour « inspirée » lorsqu’on ne peut justifier ses positions ni
leur souplesse par les calculs du raisonnement. Le risque est de tomber dans
l’illusion ou le fanatisme. Mais la lucidité et la robustesse dans des
situations qui écrasent de moins solides (le confesseur et ami La Combe qui
sombrera dans la folie ainsi qu’une de ses fidèles « filles » qui,
elle, sera libérée et se rétablira), l’évolution vers toujours plus d’ouverture
et de douceur à la fin de sa vie, écartent ces soupçons en ce qui concerne
Madame Guyon. Toutefois, à l’époque des tempêtes, elle résistait avec une
étonnante ténacité, et c’est ce qui excitait ses opposants.
Très remarquable aussi
est la fidélité à son Eglise qui la rejette et au « petit maître » Jésus-Christ.
Madame Guyon diffère ici de nombreux hétérodoxes qui se sont élevés contre les
pratiques de leur temps, telle Antoinette Bourignon, qui nous paraît constituer
en quelque sorte le ‘négatif’ de notre auteur[1275].
On ne trouve jamais le rejet des sacrements ni d’une médiation par
Jésus-Christ : il est le maître et l’exemple à imiter dans la vie, ce qui lui
paraît certes préférable à des pratiques d’oraison imaginative. On peut ici
évoquer l’influence franciscaine propre au milieu issu du P. Chrysostome de
Saint-Lô du tiers-ordre régulier.
Mais la pierre d’achoppement pour beaucoup de
lecteurs qui lui sont par ailleurs favorables est son activité de direction
spirituelle fondée sur la vie mystique et non sur des moyens tel que l’ascèse.
Dans l’état « apostolique », affirme-t-elle, la grâce se communique
en silence de cœur à cœur. Le cercle des intimes autour d’elle a éprouvé ce
flux. Cette expérience les rendra
fidèles toute leur vie – ainsi Fénelon qui par ailleurs n’éprouvait pas
d’affinité de tempérament avec Madame Guyon mais sera convaincu par cette
transmission d’origine divine.
Madame Guyon : “Il me semble que Dieu dispose votre âme par la mienne et il
opère tout ce qu'il veut. O que Dieu vous veut souple! … Je suis donc sacrifiée
de tout mon coeur pour votre propre utilité à toutes les volontés de Dieu.[1276].”
- Fénelon : “Je reçois ce que vous me mandez non avec une paix aperçue qui
n'est point de mon état, mais avec une entière non-résistance. Mon coeur est
ouvert à tout et n'est surpris de rien, tant les choses lui paraissent faciles
à Dieu qui n'a qu'à vouloir[1277].”
En même temps le refus
de tout rattachement à un ordre religieux[1278]
rend cette affirmation irrecevable par des clercs – dont d’ailleurs la plupart
n’imaginent pas l’existence d’une telle « communion des saints » dès
ici-bas. Ce « christianisme intérieur » de Madame Guyon et de ses
successeurs, comme de toute la lignée dont elle est issue, remontant à
Bernières et Chrysostome de Saint-Lô, met ainsi en cause les médiations
ecclésiastiques[1279]. Ce
cercle vécut de façon radicale et irréductible l’opposition entre des clercs
qui assument extérieurement le rôle de direction spirituelle sans avoir une
expérience mystique et des laïcs qui se réfèrent à cette dernière comme étant
la source de leur « sentiment religieux ». Le groupe affirmait le
primat de l’expérience intérieure personnelle face à la hiérarchie ecclésiale
et ne céda jamais. Deux siècles plus tard Bremond entreprendra la défense[1280] de
l’auteur de la Vie, puis Bergson la
découvrira à la suite de sa lecture de ce texte[1281],
lui donnant dorénavant la première place[1282].
§§
Les deux niveaux de
lecture, biographique et mystique, obligent le lecteur à surmonter quelques
difficultés venant de leur présence conjointe dans le flux textuel. En
effet ce flux tente de rendre compte de la fusion
des aspects cachés ou mystiques avec le
vécu concret dans ses manifestations au sein de la vie la plus prosaïque :
c’est l’originalité de la Vie si on
la compare aux témoignages qui la précèdent. Ainsi les événements rapportés
sont subordonnés à la description des états propres au cheminement
intérieur ; ces états font l’objet de descriptions précises couvrant
souvent plusieurs paragraphes consécutifs, interrompant le fil biographique et
obligeant le lecteur à changer souvent de registre passant du prosaïque
autobiographique au lyrisme reconnaissant l’œuvre divine ! Ceci a limité
la résonance de cette Vie aux
lecteurs sensibles à une certaine musique intérieure.
Certains privilégient
les seuls aspects autobiographiques en sautant ces développements jugés
‘lyriques’[1283].
D’autres voudraient en extraire les seuls aspects de l’intériorité en passant
rapidement sur les détails balzaciens de la vie familiale ou sordides du séjour
en prison[1284]. Mais il est bien difficile de rapporter des
visions ou de décrire des états car Madame Guyon est une mystique très sobre et
très secrète quant à ce qui touche au plus profond : elle admet de se
livrer psychologiquement avec abondance et retours tant qu’il s’agit
d’elle-même – c'est-à-dire en vrai rien à ses yeux – mais non d’étaler sur la
place publique ce qui demeure la propriété du divin – le Tout[1285].
L’on pourrait composer
ainsi deux Vies – allant contre le
but de l’auteur qui se subordonne au dessein de la grâce, suivant le modèle
augustinien. Son cheminement intérieur
est lui-même consciemment perçu comme un cas particulier illustrant les grandes
étapes de l’approfondissement mystique commun à tous les explorateurs - ce qui
justifie un troisième niveau, celui de développements généralistes (ce
troisième volet constitutif du texte de la Vie
est résumé dans notre section suivante).
En résumé, dans ce
texte nous trouvons tout à la fois la description d’une vie prosaïque, les
résonances personnelles d’une vie intérieure mystique et l’exposé des lois
régissant cette vie intérieure[1286].
Une dernière
difficulté peut provenir de l’étalement des rédactions sur un quart de siècle.
En même temps cet étalement nous permet de suivre, fascinés, la transformation
d’une personnalité sur la durée d’une existence qui s’approfondit intérieurement de la jeunesse
quelque peu enthousiaste à la sobriété de la période de Blois. L’exposé des
premiers chapitres, comme ce sera ensuite le cas des Confessions de Rousseau, s’étend sur l’enfance dont l’importance
pour la formation de la personnalité est pleinement reconnue, peut-être ici
pour la première fois. Ce point justifie les pages que notre auteur consacre à
« l’éducation des filles.» L’accent mis sur les aspects sociaux et une
profonde observation psychologique ne manquent pas d’originalité au point de
monopoliser l’attention de la majorité des lecteurs modernes.
On voit se modifier
une conscience : de la perception du monde et de la soumission d’une
petite jeune fille à l’action et à la liberté absolue, y compris sur le plan
confessionnel, de la vieille dame de Blois.
La période de
formation a été très négligée jusqu’ici parce que les sources (à l’exception de
la source indirecte constituée par le Directeur
Mystique de Monsieur Bertot préparé pour l’édition par Madame Guyon en
hommage à son maître) sont rares, y compris dans la Vie. Nous allons la décrire en détail car elle éclaire par des
faits et par des liens personnels la situation centrale de Madame Guyon en
continuité avec l’histoire de la mystique de son siècle. Eclairage qui fut
empêché jusqu’ici par les décès prématurés de Bremond puis de Cognet.
La relation de personne
à personne est fondatrice et précède les
influences sociales, culturelles, religieuses[1287].
Il est insuffisant de chercher les influences par les textes seuls. Les écrits
sont des témoignages exemplaires validant un chemin mystique. Les textes sacrés
sont nécessaires dans les voies
spirituelles : le fidèle imprégné transforme en vie ce qu’ils enseignent.
Mais les uns et les autres sont peu efficaces dans une voie purement mystique.
Et les mystiques
spontanés sont rares[1288]. De
même que l’humain naît de sa relation
avec la mère, puis épanouit ses facultés par élargissement de ses relations
affectives au cercle des personnes en commençant par les proches, de même les
contacts humains directs sont à l’origine de la vie dite intérieure ou
spirituelle ou mystique[1289].
Les textes sont des appels à la vie intérieure, mais il est nécessaire de
rencontrer des « aînés » qui ont l’expérience des difficultés du
chemin. De cette conjonction naissent des chaînes interpersonnelles dont les
traces visibles sont les « écoles » spirituelles[1290].
L’expérience est transmise d’individu à individu et a préséance sur les
théories, les croyances ou les hiérarchies ecclésiastiques qui sont efficaces
pour rassembler des individus autour de structures, mais les transforment peu.
Madame Guyon a eu la
chance d’être soutenue très jeune par une « famille » spirituelle
constituée de personnes réelles (mais oubliées par la suite) qui maintenaient
des liens d’amitié entre elles. Ces liens humains assurant la continuité entre
des figures qui nous sont moins cachées comme celle de Bernières ou de Renty au
début du siècle et celle de notre auteur ou de Fénelon à sa fin, peuvent être
redécouverts par une recherche historique précise[1291].
Cette influence personnelle ne consiste pas seulement en conseils verbaux ou
épistolaires mais en communion cœur à cœur, même dans l’éloignement. Le
directeur de Madame Guyon, J. Bertot témoigne ainsi de ce lien :
« Je vous
assure Madame que mon âme vous trouve beaucoup en Dieu et qu’encore que vous
soyez fort éloignée, nous sommes cependant fort proches, n’ayant fait nulle
différence de votre présence et de votre absence, départ et éloignement. Les
âmes unies de cette manière peuvent être et sont toujours ensemble... C’est la
misère présente du monde, qui ne sait agir que par les sens et qui tient toute
autre manière comme une chose chimérique et non réelle, d’être privé de ses
amis et de toutes choses généralement dès que les sens ne les aperçoivent
plus...[1292]
Il évoque également
une transmission de la grâce dont il est le canal et qui va au-delà de l’union
de prière ou du rayonnement des saints:
« Je veux bien satisfaire à toute vos obligations
et payer ce que vous devez à Dieu : j’ai de quoi fournir abondamment pour
vous et pour beaucoup d’autres ; j’ai en moi un trésor caché, c’est un
fond inépuisable qui n’est autre que mon néant, ... après cela ne me demandez
plus rien. Je donne tout d’un seul coup, et je suis ravi de n’être et de
n’avoir plus rien. Je vous soutiendrai que Dieu ne peut épuiser notre néant, comme il ne peut épuiser son tout. [1293]
De même lorsqu’elle
revient à Paris, en 1686, à trente-huit ans, veuve depuis dix années, demeurée
indépendante à l’égard de toute structure religieuse, Madame Guyon exerce
et affirme à son tour une autorité spirituelle incluant une transmission de la
grâce. Le lecteur en trouvera de nombreuses descriptions. C’est la raison
profonde qui lui attache à vie des disciples dont le plus illustre est Fénelon.
Mais son ascendant apparaît étrange et surtout peu fondé pour ceux qui ne
reconnaissent pas une telle possibilité cependant suggérée par les notions de
prière et de communion des saints[1294].
Cela lui attire rapidement de redoutables épreuves, puis la fera suspecter
pendant trois siècles.
Loin d’être une
« enthousiaste » exaltée et isolée, elle s’inscrit dans une filiation
spirituelle reconnue mais peu étudiée[1295].
Celle-ci commence avec Jean-Chrysostome de Saint-Lô, s’illustre par la figure
de Jean de Bernières, s’étend au cercle de l’Ermitage dont fait partie un
discret Jacques Bertot dont nous allons découvrir le rôle qui franchit les
clôtures religieuses, et sera déterminant auprès de la jeune veuve.
Les points communs à ce milieu mystique sont
outre l’usage d’un même vocabulaire[1296]
qualifiant les étapes mystiques (volonté propre, union, foi nue, état
stable, cœur…), la sobriété, l’insistance sur le rôle premier de la grâce, sur
l’amour divin dont la rigueur peut seule purifier de la volonté propre, sur
l’union dans la vastitude de la foi nue, sur l’état stable permettant la transmission de cœur à cœur[1297].
C’est cette communication silencieuse qui est essentielle et caractérise
l’école, tandis que les écrits apparaîssent comme moyens accessoires organisant
le rapport de personne à personne. Ce
caractère second explique l’insouciance à les revoir ou à en contrôler
l’édition ce qui n’ira pas sans provoquer des complications et rendre quelque
peu ardu leur lecture. Ceci explique aussi que des correspondances, résidus de
ces rapports, présentent un intérêt souvent plus grand que les textes
généralistes qui en sont issus, plus éloignés de l’essentiel personnel[1298].
La transmission est
affirmée chez Bertot dans les citations précédentes, et reconnue chez la Mère Granger dans l’Eloge que nous
citerons. Telle une flamme qui permet d’allumer d’autres flammes, elle permet
la formation rigoureuse de Madame Guyon puis sous-tendra son autorité pendant
la seconde période, « apostolique », de sa vie.
(Légende faisant face au tableau I à regrouper en une page)
Le Tableau I : La formation reçue rassemble les influences importantes dans la formation spirituelle de Madame Guyon. Prédomine le noyau de l’école mystique normande, puis parisienne, autour de la chaîne de transmission Jean-Chrysostome – Jean de Bernières – Jacques Bertot – Madame Guyon. Les mystiques importants pour Bertot et pour Madame Guyon sont juxtaposées horizontalement selon le critère d’affinité, et verticalement selon les dépendances. Tous ne sont pas cités, tels Renty, ami de Bernières, Jean Eudes, connu de Bertot, etc. Les dates données dans la colonne de gauche par « générations » de 25 ans correspondent approximativement aux pics d’activité des membres situés sur une même rangée. La présentation en damier nous paraît préférable aux graphes utilisés habituellement parce qu’il est plus contraignant. Des choix difficiles sont rendus nécessaires par la juxtaposition de ses cases. Une présentation complémentaire synchronique s’imposerait pour rendre compte des recouvrements qui seuls rendent possibles les influences ! Certains arbitrages difficiles sont arbitraires : ainsi Marie des Vallées devrait prendre place au niveau de Bernières en ce qui concerne la date à laquelle s’est exercée son influence.
[Tableau I : La
formation reçue (Filiation)]
Tout se déroule dans
la vie de notre auteur en suivant une lente
progression aidée par des contacts humains, ce qui n’exclut pas des prises de
conscience soudaines qui suivent un
état intérieur, et peuvent alors contribuer à une meilleure stabilité ;
mais ils ne sont pas essentiels[1299].
Il est remarquable de voir la sobriété
de la voie suivie : pas d’extases ni de vision (ou du moins elle ne nous
en livre rien), seulement des rêves qui traduisent le travail de gestation en
cours. Pas de possession, peu de traces millénaristes ou prophétiques[1300]. Dans
le cas particulier de Jeanne Guyon, la maturation spirituelle se fit en
plusieurs étapes correspondant à des rencontres providentielles :
D’abord la jeune
enfant fut élevée à la façon du temps, c'est-à-dire confiée au hasard des
domestiques ou des religieuses. Elle eut la chance d’épanouir ses dons naturels
et surtout d’ouvrir son affectivité à sa demi-sœur Marie-Cécile, religieuse
ursuline du côté paternel. (On se reportera au
Tableau IV: La famille et les proches précédant la Biographie chronologique, en fin de volume).
Ensuite, à dix-neuf
ans, déjà mariée, elle rencontra la duchesse de Charost[1301]
chez son père car celle-ci séjourna en exil chez M. de La Motte et deviendra à
Paris « le centre du groupe mystique fidèle aux idées que M. Bertot avait
enseignées à l’abbaye de Montmartre et aux Nouvelles Catholiques[1302] ».
La vue de son visage baigné de la présence divine éveilla chez Madame Guyon le
désir spirituel. Elle se lança dans les prières vocales, sans succès. Cependant
la quête a reçu son impulsion :
“ Je voyais sur
son visage quelque chose qui marquait une fort grande présence de Dieu … Je
tâchais à force de tête et de pensées de me donner une présence de Dieu
continuelle ; mais je me donnais bien de la peine, et je n'avançais
guère...[1303]
Dans un troisième
temps, ce fut un ami franciscain de son père et de Madame de Charost, Archange
Enguerrand, qui l’introduisit à la vie intérieure lors d’une rencontre qui
constitua pour la jeune femme une révélation car il lui dit :
« Vous
cherchez au-dehors ce que vous avez au-dedans. Accoutumez-vous à chercher Dieu
dans votre coeur et vous l'y trouverez …[Ces paroles] furent pour moi un
coup de flèche, qui percèrent mon coeur de part en part. Je sentis dans ce
moment une plaie très profonde[1304]»
Elle décrit ensuite l’élan initial donné pour le vrai cheminement mystique.
Il commence par la découverte savoureuse, première période de facilité et
de lumière : « Je jouais souvent avec mon mari au piquet … j'étais alors plus attirée
intérieurement que si j'eusse été à l'église … L’oraison se nourrissait et
augmentait de ce que l'on m'ôtait de temps pour la faire. J'aimais sans motif
ni raison d'aimer; car rien ne se passait dans ma tête. » Des confesseurs
parisiens sont étonnés de sa pureté de conscience.
Ce franciscain ne put
la diriger à la suite d’un vœu, et craignant peut-être d’introduire une
composante affective trop humaine dans ses rapports avec une femme[1305].
Mais il lui fit rencontrer la Mère Granger[1306],
supérieure du couvent des Ursulines de Montargis, qui la prit en charge, soutenant la jeune
épouse dans l’adversité[1307],
aiguillant aussi son désir spirituel[1308].
Par ailleurs connue de la duchesse de Charost[1309],
Geneviève Granger était une belle figure de religieuse :
« … après sa mort ses amis ayant demandé quelque
chose à garder pour l’amour d’elle, on fut contraint de les refuser, son trésor
ne renfermait que deux choses, un pauvre crucifix et un chapelet. … aux pauvres
gens qui venaient au tour du monastère, elle avait des respects ... prenait
plus de plaisir à converser avec eux qu’avec les grands du monde, elle ne
pouvait souffrir qu’une religieuse parlât de sa naissance ... elle se regardait
comme une cloche qui avertit les autres d’aller à Dieu ... avait en horreur sa
propre excellence, disant qu’il n’y avait rien qui éloignât davantage les âmes
de la perfection que l’estime secrète ... voulait que l’on fit des actions
ordinaires d’une façon surnaturelle … Elle avait reçu de Dieu une lumière
surnaturelle pour connaître l’intérieur de ses filles ... [qui] n’avaient point
la peine de lui déclarer leur état ... Approchant d’elle leurs nuages étaient
dissipés ...[La Mère] demandait à Dieu de faire son ouvrage lui-même dans les
âmes afin ... qu’elle n’y eut point de part[1310]. »
Madame Guyon la voyait
très souvent : elle a bénéficié de sa présence jusqu’à sa mort, en 1674,
qui la laissa terriblement seule. Heureusement elle avait présenté Madame Guyon
à son directeur Monsieur Bertot[1311].
Madame Guyon décrit ainsi la première
rencontre avec son futur père spirituel :
« Il était venu pour la M(ère) Granger. Elle
souhaitait fort que je le visse … mais ces effroyables vents de la St Matthieu
vinrent cette nuit-là … Comme j'entendis la nuit l'impétuosité de ce vent, je
jugeai qu'il me serait impossible d'aller aux Bénédictines ce jour-là et que je
ne verrais point M. Bertot. Lorsqu'il fut temps d'aller, le vent s'apaisa tout
à coup, et il m'arriva encore une providence qui me le fit voir une seconde
fois[1312]. »
Cette tempête frappa
l'imagination des Montargois et est attestés par l'un d'eux, Gilles de
Montmeslier :
« Le 21e jour de septembre 1671, jour
de la St Matthieu, depuis minuit du matin jusqu"à six heures du jour, il
se leva un grand vent, et si furieux qu'il s'est trouvé universel ; lequel vent
a abattu une grande partie des arbres qui étaient à la campagne, quantité de
cheminées dans cette ville, comme deux aux Bénédictines...[1313]
Ainsi nous pouvons
dater précisément la nuit où souffle le vent de l’Esprit ! Il semble que
Monsieur Bertot ait assumé, après la douceur de la Mère Granger, le rôle de la
rigueur. La première partie de la Vie
rédigée tôt, probablement vers 1683, soit avant l’accomplissement de la pleine
vie apostolique, expose une direction sans faiblesse, allant jusqu’à une
apparente incompréhension. Madame Guyon reconnaîtra plus tard le rôle de
Jacques Bertot, en comprenant qu’il n’était dur que pour la dépouiller de tout.
Elle reprendra alors ses thèmes à tel point que l’on ne peut distinguer parfois
le style de l’une et de l’autre et que l’on a cru à une réécriture de sa part.
Bertol fut le lien
entre le cercle normand animé par Bernières et le cercle parisien dont Madame
Guyon prendra la direction à son retour d’Italie. Il naquit à Coutances le 29
juillet 1622 et mourut à Paris le 28 avril 1681. L’essentiel de sa vie est résumé
longtemps après sa mort dans l’Avertissement
placé en tête de ses œuvres rassemblées par Madame Guyon et éditées sous le
titre à première vue surprenant mais significatif de “Directeur mistique (sic)…”[1314] :
« Monsieur Bertot ... natif de Coutances ... grand
ami de ... Jean de Bernières ... s’appliqua à diriger les âmes dans plusieurs
communautés de religieuses ...[à diriger] plusieurs personnes ... engagées dans
des charges importantes tant à la cour qu’à la guerre ... Il continua cet
exercice jusqu’au temps que la providence l’attacha à la direction des
religieuses bénédictines de l’abbaye de Montmartre proche [de] Paris, où il est resté dans cet emploi environ douze
ans jusqu’à sa mort ... [au] commencement de mars 1681, après une longue
maladie de langueur … [Il fut] enterré dans l’église de Montmartre au côté
droit en entrant. Les personnes ... ont toujours conservé un si grand respect
... [qu’elles] allaient souvent à son tombeau pour y offrir leurs
prières. »
Donc deux
localisations géographiques successives, à Caen puis à Paris ; la direction de
religieuses dans divers couvents a pu le rendre itinérant comme ce fut le cas
du P. Chrysostome de Saint-Lô, directeur de Bernières et d’autres familiers de
Bertot.
Pendant vingt ans, J.
Bertot est devenu l’ami de Jean de Bernières. De 1655 à 1675 il fut prêtre
séculier et confesseur du monastère des ursulines de Caen, proche de l’Ermitage
de Jean, où vivait sa sœur Jourdaine ainsi que Michelle Mangon, cette dernière
figure discrète mais importante :
« (63) La supérieure des Ursulines était Michèle
Mangon et le supérieur Jacques Bertot, l’un des amis intimes du fondateur de
l’Ermitage [Jean de Bernières], puisqu’il était l’un de ses commensaux avec M.
Roquelay et François de Laval ; il [Jacques Bertot] exerçait les fonctions
de supérieur depuis la mort de M. Rocher de Bernesq, vicaire générale de
Bayeux, survenue en 1655. ... (83) Jacques Bertot donna sa démission de
supérieur en 1675 et fut remplacé par M. de Launay-Hue, le 15 avril ...
(175-176) ami et confident de Bernières ...ils étaient en parfaite communion
d’idées[1315]. »
Bertot fut en relation
avec Marie des Vallées[1316], et
l’appréciait :
« Elle me disait que la Miséricorde (en note :
c'est-à-dire l’amour-propre chargé des richesses spirituelles de la Miséricorde)
allait fort lentement à Dieu, parce qu’elle était chargée de dons et de
présents, de faveurs et de grâces de Dieu, qu’ainsi son marcher était grave et
lent; mais que l’amour divin qui était conduit par la divine Justice, allant
sans être chargée de tout cela, marche d’un pas si vite que c’est plutôt voler[1317]. »
Nous citons ce passage
parce que Madame Guyon reprendra dans les mêmes termes cette image dans ses Torrents, substituant le navire (de la
grâce) au marcher (humain)[1318].
Bertot fut également
lié à l’aventure de l’apostolat au
Canada[1319]
illustrée par Marie de l’Incarnation. Madame Guyon s’adressera au fils de cette
dernière avant sa décision de partir à Gex. Son rayonnement allait ainsi bien
au-delà du monastère de Caen, ce dont témoigne aussi Catherine de Bar[1320] qui
écrit à la Mère Benoite de la Passion, prieure de Rambervillers, le 31 août 1659 :
« C’est un enfer au dire du bon Monsieur de
Bernières, d’être un moment privé de la vie de Jésus-Christ ... (184) il faut
mourir. Monsieur Bertot sait mon mal ...s’il vous donne quelques pensées,
écrivez-le moi confidemment. »
Elles attendaient sa venue avec impatience car il pouvait leur communiquer son état spirituel : la Mère Dorothée (Heurelle) sous-prieure, le 3 septembre 1659 puis le 8 août 1660, en témoigne dans les extraits de correspondance suivants :
« (190) [Monsieur Bertot] voulait avoir la bonté
de nous venir voir à Pâques. Vous feriez une singulière charité à mon âme de
m’obtenir ce bien-là, car il me semble que j’ai grande nécessité de personnes
pour mon âme » … « (192) M. Bertot est ici, qui vous salue de grande
affection ... je ressens d’une singulière manière la présence efficace de
Jésus-Christ Notre Seigneur. »
Dans la dernière
partie de sa vie, J. Bertot fut actif comme confesseur à la célèbre abbaye de
Montmartre, proche du pèlerinage à St Denis[1321]
fréquenté par l’aristocratie. Le rayonnement de Bertot, qualifié de
“conférencier très apprécié de l'aristocratie et, en particulier, de divers
membres de la famille Colbert”[1322],
débordait donc sur un cercle laïc, celui-là même où l’on retrouvera les proches
de Madame Guyon. Jean Orcibal nous dit :
« Chevreuse dut-il à Fénelon la connaissance de
Mme Guyon? Bien qu'il paraisse l'admettre, Saint-Simon fournit un fort argument
à la thèse contraire[1323].
Après avoir indiqué que les conférences de Bertot à Montmartre étaient suivies
par Mme de Charost et par le duc de Noailles, il ajoute en effet : « MM. de
Chevreuse et de Beauvillier fréquentaient aussi cette école. Mme Guyon fit la
connaissance de ces deux derniers par Fénelon ...Ces deux ducs et leurs femmes
depuis longtemps initiés aux rudiments de cette école par celle de Montmartre,
goûtèrent Mme Guyon au point de se mettre sous sa conduite à la suite de l'abbé
de Fénelon[1324]. »
Saint-Simon, ami des
ducs, ennemi de la dame qui les séduisait d’une façon pour lui
incompréhensible, souligne, le 10 janvier 1694, les relations qui avaient liées
Bertot et Madame Guyon ; la
continuité assurée par cette dernière est également attestée :
« Elle ne fit que suivre les errements d’un
prêtre nommé Bertaut (sic), qui bien des années avant elle,
faisait des discours à l’abbaye de Montmartre, où se rassemblaient des
disciples, parmi lesquels on admirait l’assiduité avec laquelle M. de Noailles,
depuis Maréchal de France, et la duchesse de Charost, mère du gouverneur de
Louis XIV, s’y rendaient, et presque toujours ensemble tête à tête, sans que
toutefois on en ait mal parlé. MM. de Chevreuse et de Beauvilliers
fréquentaient aussi cette école.[1325] »
Madame Guyon assuma la direction du cercle, mais seulement quelques années après la mort précoce de Bertot, lorsqu’elle revint de ses voyages en Savoie et Piémont. Les papiers de celui-ci suivirent pendant ce temps un chemin décrit par J. Orcibal, avant de contribuer au Directeur Mystique :
« Jacques Bertot …désigna de son côté le duc de
Beauvillier pour exécuteur testamentaire ... Et Paulin d'Aumale, religieux du
Tiers-Ordre de Saint-François et dépositaire des papiers de Bertot, ne fit la
connaissance de Mme Guyon que lorsqu'il eut à les remettre à la duchesse de
Charost.[1326] »
La vie de Bertot fut
celle d’un prêtre dévoué à la tâche spirituelle. Il fut le lien vivant entre
d’une part le groupe Normand, constitué autour de l’Ermitage de Jean de
Bernières et du monastère de Jourdaine, et d’autre part le groupe de Paris,
constitué autour du monastère de Montmartre. A ce dernier se rattache le cercle
qui deviendra celui de Madame Guyon lorsqu’elle assurera la succession de ce
directeur spirituel. Cet homme remarquable et si central pour les spirituels de
son époque ne laissa échapper que de très rares confidences personnelles,
disséminées dans ses lettres. Ses lectures nous donnent la perspective dans
laquelle il se situe, qui sera confirmée par sa dirigée[1327] :
« Tant de livres ont été faits par de saintes
personnes pour aider les âmes en la première conduite, comme Grenade, Rodriguez
et une infinité d’autres... Pour la voie de la foi, il y en a aussi plusieurs,
comme le bienheureux Jean de la Croix, Tauler, le Chrétien Intérieur et une infinité d'autres... »[1328] « Le livre de la Volonté de Dieu [Règle de Perfection] de Benoît de
Canfeld peut beaucoup servir. »[1329]
Jean de la Croix
n’était pas encore largement reconnu mais on note l’influence de la
mystique du Nord : Canfield précéda Bertot comme confesseur auprès des
religieuses de Montmartre. Le rôle de Bertot comme directeur mystique ne
se conciliait pas toujours aisément avec les voyages et des affaires
temporelles dont il fut chargé[1330]
:
« Me voilà à la veille de faire un voyage en
Normandie. »[1331]
... « Les affaires sont un poison pour moi et une mort continuelle qui ne
fait nul bien à mon âme, sinon que la mort, de quelque part qu’elle vienne, y
donne toujours un repos. Mais je n’expérimente pas que cela soit ma vocation;
et ainsi ce repos n’est pas de toute mon âme, mais seulement de la pointe de la
volonté. »[1332]
En outre, on
n’oubliera pas le rôle de Maur de l’Enfant-Jésus auprès de Madame Guyon, limité
néanmoins probablement à une correspondance[1333],
probablement entamée par celle-ci lorsqu’elle se sentit mal comprise. Ce
dernier échappe à l’influence du groupe de l’Ermitage en tant que carme et
disciple du grand spirituel Jean de Saint-Samson. Madame Guyon, ne pouvant
citer Bernières mis à l’index post-mortem,
fera un large usage de Jean dans ses Justifications.
Il apporte ainsi une ouverture complémentaire à la tradition propre à notre
auteur.
Enfin la rencontre du
P. La Combe apporte une ouverture sur une filiation savoyarde par la mère Bon
et sur des influences italiennes dont témoigneront le séjour chez l’évêque
Ripa à Verceil.
Ainsi souffle l’Esprit
aidé par la providence : une toile de relations croisées se tisse, dont
nous venons d’indiquer quelques fils. On voit comment Madame Guyon n’est pas
isolée mais se place à la confluence des principaux courants mystiques du
siècle. Qui a tant reçu doit à son tour donner. Mais avant de décrire l’autre
versant, le versant « apostolique » de la vie de Madame Guyon,
donnons quelques repères sur le chemin parcouru avant d’être enseigné.
Formation, épreuves,
apostolat : peut-on approcher ce qui justifie un tel travail et permet de
surmonter de telles traverses ? L’auteur a fort bien exprimé la voie
suivie et son vécu dans les Torrents, dans d’autres textes brefs tels que le Moyen Court, dans les pages souvent
admirables rassemblés par les éditeurs du XVIIIe siècle sous le titre décevant
de Discours spirituels - sans oublier
de très nombreuses lettres ni
certaines des Explications des deux
Testaments.
Nous évoquons le
travail apostolique sous forme de dialogues entre directeurs et dirigés. Ce
sont des indices de la filiation dans laquelle s’inscrit notre auteur, tirés
des correspondances de Bertot à Madame Guyon puis de cette dernière à ses
disciples:
1/ Pour la formation
de sa dirigée, Bertot ne recule pas au début devant un décalogue, que nous
abrégeons :
« Vous avez vécu jusqu’ici en enfant avec bien
des ferveurs et lumières. / Lisez et relisez souvent ceci; car c’est le
fondement de ce que Dieu demande de vous. (...) Sur ce que vous me dites en
votre dernière lettre, / 1...Si le bon Dieu vous donne des lumières... vous
pouvez vous y appliquer par simple vue, / 2. Continuez votre oraison quoique
obscure et insipide. Dieu n’est pas selon nos lumières et ne peut tomber sous
nos sens. / 3. Conservez doucement ce je
ne sais quoi. / 4. Quand vous êtes tombée dans quelque infidélité, ne vous
arrêtez pas à la discerner. / 5. Pour la douceur et la patience, elles doivent
être sans bornes ni mesures, / 6. Pour les pénitences, la meilleure que vous puissiez
faire, est de les quitter. / 7. Soyez fort silencieuse, / 8.
Ce que vous me dites est très vrai que vous êtes bien éloignée du but. / 9.
Perdez autant que vous pourrez toutes les réflexions en vous abandonnant à
Dieu. / 10. Quand vous avez fait des fautes et que vous y avez remédié... ne
vous mettez point en peine si vous les oubliez...[1334] ».
Directeur prudent, il
donne quelques judicieux conseils :
« Ayez, je vous prie, grande application à
l’usage que vous faites des écrits, n’en prêtant pas facilement ; car ils
pourraient faire du mal, à moins que la vocation surnaturelle ne soit fort
discernée ... Il faut édifier et purifier leurs âmes avant que de les dénuer[1335]. »
Puis l’échange est
incarné et concret, comme le suivant, où l’on note tout à la fois l’aide de la Mère Granger, la durée de
l’oraison, peut-être la prescience de Bertot d’une mort prochaine et des
besoins futurs de sa dirigée :
« (153) Lettre
[de Madame Guyon] : Depuis dix ou douze jours M. N [Guyon] a eu la goutte.
J’ai cru qu’il était de l’ordre de Dieu de ne le pas quitter et de lui rendre
tous les petits services que je pourrais.
J’y suis demeurée, mais avec une telle paix et satisfaction que je n’en
ai expérimenté de même. ... La bonne Mère [Granger] m’aide infiniment.
Lettre 29 [réponse de Bertot] : Vous
avez très bien fait de m’écrire, et vous pouvez être sûre Madame que j’ai une
(155) joie extrême ...vous ne pouvez être plus certaine par aucune chose de la
vérité de cette divine lumière en votre âme que par cette paix et joie à vous
contenter de l’ordre de Dieu dans le service que vous rendez à Monsieur. Remarquez ...tout ce que ce divin ordre opère
en votre âme. Autrefois vous auriez désiré un million de choses et auriez été
chagriné en ce bas emploi ...Vous faites bien d’être fidèle aux quatre heures
d’oraison que vous faites: mais quand la providence vous en dérobera, pour lors
laissez-vous heureusement surprendre ...Vous ne m’avez jamais mieux exprimé
votre intérieur, ni mieux dit ce qui s’y passe; soyez-en certaine : c’est pourquoi
je renvoie votre lettre avec celle-ci, afin que gardant l’une et l’autre, elles
vous servent, d’autant que cela vous sera utile pour toute votre vie. »[1336]
Après la découverte des débuts, se situe un chemin silencieux qui passe par la purification des sens, longuement décrite dans la Vie :
L’anéantissement des puissances qui accompagne où l’âme docile « se
trouve peu à peu vide de toute volonté propre[1337] »,
ne se produit jamais par l’exercice de notre volonté. Dieu est un « amour
rigoureux qui purifie par un feu secret. Que les autres attribuent leurs
victoires à leur fidélité, pour moi je ne les attribuerai qu'à votre soin
paternel; j'ai trop éprouvé ma faiblesse.[1338] »
Toute infidélité cause un feu dévorant et la peine de l’exil du fond[1339].
Mais revient une « union d'unité …heureuse perte … goutte d'eau jetée dans
la mer[1340] »,
« vastitude » où l’on connaît que « tous les états des visions,
révélations, assurances, sont plutôt des obstacles …parce que l'âme accoutumée
aux soutiens a de la peine à les perdre … toute intelligence est donnée sans
autre vue que la foi nue.[1341] »
Ainsi qu’une
longue nuit de sept années :
Dans cette solitude vient la nuit : « Le
poids de la colère de Dieu m'était continuel. Je me couchais sur un tapis …et
je criais de toutes mes forces, lorsque je ne pouvais être entendue, dans le
sentiment où j'étais du péché et dans la pente que je croyais avoir pour le
commettre : Damnez-moi, et que je ne
pèche pas … M. Bertot m'abandonna. » Il l’ignore consciemment ou
non, veut la « remettre dans les considérations … Sans ce procédé,
j'aurais toujours subsisté dans quelque chose … J'entrai dans une secrète
complaisance de ne voir en moi aucun bien sur quoi m'appuyer. » [1342]
Bertot l’encourage
dans cette épreuve :
« Vous avez cru autrefois avoir des merveilles et
vous n’aviez rien: et à présent que vous croyez n’avoir rien et être toute
corruption et pauvreté, vous pouvez être tout si vous en faites (173) usage,
concourant avec Dieu, qui y agit en Dieu, vous laissant doucement pourrir et
mourir et vous dénuer, et par là tomber dans le calme et l’abandon.[1343] »
Madame Guyon
encouragera de même un disciple :
« Il [Dieu] ne peut venir lui-même que dans un
vide proportionné à la communication qu’il veut faire de lui-même. … Ne croyez
pas que votre voyage vous ai moins servi que les autres parce que vous y avez
eu moins de goût sensible, c’est le contraire. Dieu voulant vous ôter le
sensible a commencé ici. »[1344]
L’encouragement - joint à une grande rigueur dont se plaint Madame Guyon au
début de la rédaction de sa Vie - est
nécessaire pour arriver à bon port :
Enfin “ce fut ce jour heureux de la Madeleine que mon âme fut parfaitement
délivrée de toutes ces peines… Je me trouvais étonnée de cette nouvelle liberté
… Ce que je possédais était si simple, si immense … la paix-Dieu … Vous me
traitâtes comme votre serviteur Job …une autre volonté avait pris la place …
toute divine, qui lui était cependant si propre et si naturelle qu'elle se
trouvait infiniment plus libre dans cette volonté qu'elle ne l'avait été dans
la sienne propre … Ces dispositions, que je décris comme dans un temps passé
afin de ne rien confondre, ont toujours subsisté et se sont même toujours plus
affermies et perfectionnées jusqu'à l'heure présente.”[1345]
Madame
Guyon témoignera sur la communication directe de cœur à cœur en de très
nombreux passages qui font écho à son directeur:
« Depuis que vous êtes parti je suis restée dans
une plénitude pour vous… Ouvrez-moi donc tout votre cœur et demeurez uni à moi
de plus en plus. … Je sens que Dieu vous veut avancer et vous faire gagner le
temps que vous avez été sans vous laisser posséder de lui. … / Je rouvre [cette
lettre] pour vous dire que vous m’êtes donné avec une force et une impétuosité
qui ne m’est pas ordinaire et que j’éprouve pour très peu. Je suis obligée de vous recevoir comme un
enfant très cher dont on me fait être la véritable mère[1346].
L’état apostolique est décrit par Bertot dans la dernière lettre du dernier volume du Directeur Mistique :
« ...l’esprit est devenu comme un ciel serein. / Et dans cet état il ne paraît plus à l’âme ni haut ni bas, ne se trouvant aucune distinction ni différence entre le fond et les puissances; tout étant réduit dans l’unité, simplicité et uniformité, ...elle n’a plus de chez soi, c’est-à-dire elle n’a plus d’intérieur, n’étant plus retirée, ramassée, recueillie et concentrée au-dedans d’elle-même; mais elle est et se trouve au dehors dans la grande nudité et pauvreté d’esprit ...D’où vient qu’elle ne sait si elle est en Dieu, ou en sa nature[1347]. »
Description à laquelle fait écho, en plusieurs passages de la Vie, sa dirigée :
A la fin du chemin « cette âme n'a aucune douceur
ni saveur spirituelle : cela n'est plus de saison, elle demeure telle qu'elle
est, dans son rien pour elle-même, et c'est sa place, et dans le tout pour Dieu
… Elle ne connaît plus ses vertus comme vertus, mais elle les a toutes en Dieu
comme de Dieu, sans retour ni rapport à elle-même …celles qui sont encore en
elles-mêmes ne doivent point mesurer la liberté de ces âmes, ni les comparer
avec leur agir rétréci, quoique très vertueux et propre pour elles
… Il y a deux sortes d'âmes : les unes auxquelles Dieu laisse la liberté
de penser à elles, et d'autres que Dieu invite à se donner à lui par un oubli
si entier d'elles-mêmes qu'il leur reproche les moindres retours. Ces âmes sont
comme de petits enfants. » L’état fixe n’exclut pas des soucis. Mais il
permet « cette communication [qui] est Dieu même, qui se communique à tous
les bienheureux en flux et reflux personnel. » Toutefois « pour la
communication en silence, ceux qui sont en état de la recevoir ne sont pas pour
cela en état de la communiquer. Il y a un grand chemin à faire
auparavant. »
Plus tard Madame
Guyon écrit :
« Vous me demandez, mes chers enfants, ma
disposition. Je n’en ai qu’une extérieure qui est simplicité, enfance, une
certaine candeur etc. Et pour le dedans, c’est une goutelette d’eau perdue et
abîmée dans la mer, qui ne se discerne plus; elle ne voit que la mer : non
seulement elle en est environnée, mais absorbée. Dans cette immensité divine,
elle ne se voit plus; mais elle discerne en Dieu les objets sans les discerner
autrement que par le goût du coeur. … Voilà mon état depuis plus de trente ans,
quoique dans ces dernières années tout soit plus approfondi… »
Et elle poursuit,
toujours concrète pour suggérer quelque remède aux obstacles :
…Tous les désirs et les inquiétudes viennent d’une
volonté qui n’est pas parfaitement satisfaite : c’est pourquoi il est
besoin, dans le commencement, de marcher par un résignation continuelle de tout
vouloir, de tout désir, de tout penchant entre les mains de Dieu, même pour les
choses les plus parfaites, afin de ne vouloir uniquement pour nous que ce que
Dieu veut et a voulu de toute éternité. L’âme qui s’accoutume à se soumettre
incessamment, trouve que peu à peu sa volonté disparaît pour toutes choses,
sans exception; et que la volonté de Dieu prend la place de la nôtre. Tout ceci
ne s’opère que par la charité, qui réside dans la volonté, et qui entraîne avec
elle cette volonté en Dieu; parce que “Dieu est charité” et que “celui qui
demeure en charité demeure en Dieu”. / L’âme perdue en Dieu ne trouve plus que
rien lui puisse servir d’entre-deux, parce qu’elle est abîmée et changée en son
Etre original. Lorsqu’elle tend à cet Etre original, elle craint tout ce qui
sert d’entre-deux; parce que ce sont des obstacles et empêchements d’arriver à
sa fin; mais lorsqu’elle y est arrivée, qu’elle y est perdue et transformée,
rien ne sert d’empêchement. L’écriture est rendue nouvelle. Jésus-Christ est
l’exemple de cela... / Si je pouvais faire comprendre comme Dieu démêle en moi
tous les états des âmes, même de celles qui ont paru les plus parfaites, on en
serait surpris. Cela ne me donne nulle dignité ni avantage sur les autres, et
je suis bien éloignée de m’estimer plus, puisque je suis un vil néant: mais la
lumière de vérité est si pure et si subtile, que rien ne lui échappe; et les
états des saintes âmes lui paraissent clairs comme le jour…[1348]
Dans la richesse de
cette direction spirituelle reçue puis donnée[1349],
nous ne pouvons que suggérer quelques thèmes : incarnation dans la vie, pas de fuite
dans l’extase ou l’imaginaire, épuration de la volonté propre, transmission
dans l'état aspostolique.
En premier lieu,
Madame Guyon n’abandonne pas la vie mais au contraire l’incarne dans ses
dimensions très humaines. En cela, elle suit le modèle chrétien du Verbe
incarné : Dieu ne peut se manifester en dehors du concret[1350],
aussi se révèle-t-il dans ce monde par Jésus toujours pris pour modèle par
Madame Guyon, comme le fit François d’Assise[1351].
Jésus est présent, non par quelque représentation affective dissociée du réel
(risque de certaines méthodes d’oraisons) mais par une conformité des enfants au Petit
Maître, dans la vie, les yeux ouverts (cette spiritualité se retrouve bien
entendu ailleurs, dans la mystique sobre de Bertot comme dans celle de Bernières
ou d’Eudes). Petit est un mot qui
s’oppose à la grandeur acquise par la volonté propre ; la liberté des enfants est un antidote à
l’aliénation vis-à-vis du maître
; on ne peut donc pas réduire le vocabulaire guyonien à quelque enfantillage
prêtant au ridicule.
Elle ne cherche donc
pas un oubli dans une extase transcendante, mais l’incarnation de Dieu en
soi-même[1352].
Très loin d’être une fuite dans l’imaginaire. L’expérience de la réalité
divine vivifie l’humain dont les potentialités
se réalisent, mais au service du Divin, même si extérieurement cela
s’accompagne d’échec social, politique ou personnel.
Bien au-delà d’une
simple libération psychologique par rapport au moi imaginaire, donnée par une
psychanalyse réussie, le « je » devient libre sans renforcement de
l’ego (généralement considéré comme salutaire), et sans trouble apparent.
Nulle culpabilité chez
elle, mais une épuration nécessaire permettant de sortir, nue, de la bulle de la volonté propre.
La séparation entre
Dieu et elle a disparu. La grâce devient première. Madame Guyon n’accomplit
rien d’elle-même : elle reçoit.
Elle se plie souplement aux manifestations de la grâce, comme à l’écoute
d’une brise légère – assumant le risque de passer pour une inspirée[1353].
« C"est ici que commence cet état permanent …Un centre …se met à
vivre …une source jaillissante. Il s"est produit comme un déplacement du
point de gravité dans l"être, ou même une inversion. Les puissances :
intelligence, mémoire, volonté active, de premières qu"elles étaient, sont
devenues secondes ; Et c"est l"activité du fond qui est
première…[1354] »
Elle affirme - comme
tous les membres de l’école mais de manière moins voilée - la réalité d’une
transmission directe de cœur à cœur qui lui est donnée dans l’état apostolique.
Désappropriée d’elle-même, elle ne pratique aucune fausse humilité, n’étant
finalement rien d’autre à ses yeux qu’un canal de la grâce destinée à
autrui – mais vivant dans la mesure où ce flux la traverse[1355].
Comme le décrit en
vrai poète un de ses lecteurs récents :
« …contrairement au "moi" propriétaire,
à ce qui est privé, à ce que l"on possède, à l"enclos intime, au
refermé et au secret, l"intérieur
que nous ouvre madame Guyon est un passage : il n"enferme pas, ne
limite pas, ne clôt personne – ne détermine pas un contenu, ne délimite pas un
champ personnel – mais ouvre, s"ouvre, s"atteint par renoncement, se
gagne par lâcher prise, nous emporte et porte ailleurs qu"en soi. Au bout
d"un chemin de nudité …l"intérieur
est comme le lieu – non du moi, non du mien – mais d"un passage,
d"une brèche par où nous saisit un souffle étranger : à
l"intérieur de nous, au plus profond de nous est une voie grande ouverte. Au fond, nous sommes, pour ainsi dire,
troués, à jour, à ciel ouvert – comme les toitures des cabanes à la fête juive
de Soukkot[1356]. »
Quand Madame Guyon se
retrouva soudain seule après la mort de son mari en juillet 1678 et de son
directeur en avril 1681, elle assuma les charges qui lui incombaient.
Matériellement elle mit rapidement en ordre les affaires de famille et révéla
en l’occurrence son esprit de décision
et une intelligence pratique. Mais pour succéder à son maître disparu
trop tôt, le processus de maturation fut plus lent : elle découvrit seule,
dans ses rapports avec le P. La Combe puis avec d’autres, la vie apostolique et
ses étranges effets. C’est l’exposé de ces expériences qui constitue l’apport
de son texte original si on le compare à celui des autres autobiographies
mystiques qui décrivent les événements et les états dans le rapport avec le divin, mais non le
vécu de la relation interpersonnelle sous l’influence de la grâce divine (telle
est la limitation des admirables Relations
et Correspondance canadienne de Marie
de l’Incarnation). Elle assumera le risque majeur d’être totalement incomprise
puisqu’il s’agit là d’un accomplissement rare et très mal connu de la tradition
catholique. La vie apostolique commence, elle va transmettre ce qu’elle a reçu, selon
des modalités qu’elle décrit très précisément dans la Vie :
« M. Bertot … était mort quatre mois avant mon départ. J'eus quelque signe de sa mort
; je fus la seule à qui il s'adressa : il m'a semblé qu'il me fit part de son
esprit pour aider ses enfants … Je savais bien que je n'avais que peu d'esprit,
mais qu'en Dieu mon esprit avait pris une qualité qu'il n'eut jamais
auparavant. » Il lui faut devenir « souple comme une feuille … Dieu
me faisait sentir et payer avec une extrême rigueur toutes mes
résistances. » Elle en décrit les effets : « Tous ceux qui sont mes
véritables enfants ont d'abord tendance à demeurer en silence auprès de moi, et
j'ai même l'instinct de leur communiquer en silence ce que Dieu me donne pour
eux. Dans ce silence, je découvre leurs besoins et leurs manquements. »
Elle connaît la différence entre des « âmes de passage et ses enfants ».
Pour ces derniers, elle pouvait éprouver « un mal violent à l'endroit du
coeur, qui était cependant spirituel …il me faisait crier de toutes mes forces,
et me réduisait au lit. » Tous l’appellent mère sans savoir
pourquoi : « je sentais l'état des âmes qui m'approchaient et celui
des personnes qui m'étaient données, quelque éloignées qu'elles fussent. »
Elle comprend « qu‘il ne m'appelait point, comme
l'on avait cru, à une propagation de l'extérieur de l'Eglise, qui consiste à
gagner les hérétiques, mais à la propagation de son Esprit, qui n'est autre que
l'esprit intérieur. » A cela ne se mêle « aucun amour naturel,
mais une charité infinie … mon état est devenu simple, et invariable … rien ne
subsiste en moi ni bien ni mal. Le bien est en Dieu … Je n'ai ni confiance ni
défiance, enfin rien, rien. … Il est riche, je suis très pauvre, et je ne
manque de rien … Les pensées ne font que passer, rien n'arrête. Je ne puis rien
dire de commande. Ce que j'ai dit ou écrit est passé, je ne m'en souviens plus
… Si on disait quelque chose à mon avantage, je serais surprise, ne trouvant
rien en moi … Il me donne un air libre, et me fait entretenir les gens, non
selon mes dispositions, mais selon ce qu'ils sont, me donnant même de l'esprit
naturel avec ceux qui en ont, et cela d'un air si libre qu'ils en sont
contents. »
[...]
qui couvre une région
composite, essentiellement continentale, selon une diagonale allant de Paris à
Gênes, en passant par la Bourgogne et la Savoie. Il ne semble pas que notre
auteur ait connu de régions maritimes (sinon brièvement la côte
méditerranéenne) telle que la Normandie, lieu d’origine de son école. Les villes sont soulignées lorsqu’elles
correspondent à des lieux de séjours
de Madame Guyon. Par contre Marseille, où elle demeure une semaine, ou Lyon, ne
constituent que des étapes de voyage.
On note pour cette
période de voyages, deux concentrations géographiques
des lieux de séjour : d’abord en Savoie, à Gex et Thonon près du lac et de la
ville de Genève, ainsi qu’à Grenoble, ensuite en Piémont, dans un triangle
proche de Turin, correspondant à la modeste extension de l’évêché de Verceil,
où Madame Guyon a passé près d’une année. Ces deux régions sont finalement peu
étendues, et ces séjours qui apparaissent assez stables infirment l’image de
gyrovague parfois suggérée lorsque l’on emploie le terme pérégrinations.
Notre auteur traverse
des frontières politiques en se situant à la fois sur la France et sur la
Savoie-Piémont, et des limites géographiques en franchissant les Alpes dont les
lacs, les montagnes et les vallées encaissées où la fluidité de l’eau joue avec
le relief et la dureté rocheuse ont inspiré de belles comparaisons avec le
courant de la grâce qui surmonte les difficultées rencontrées : les Torrents rédigés à Thonon est l’oeuvre
la plus attachante de notre auteur. Au total la variété des cadres de vie est
large pour l’époque, si l’on ajoute la vallée de Loire qui ouvre et ferme
l’existence de notre auteur, la Cour et les prisons.
Certains membres
furent fidèles jusqu’à leur mort soit sur près de trente ans en moyenne. Cela
est très remarquable si l’on considère la longue « disparition du monde
des vivants » de notre auteur - cinq années passées au secret à la
Bastille – ce qui dans un cas ordinaire devrait distendre les relations.
Cette
« disparition » n’a pas de carte ni de lieux autres que celle des
prisons. Madame Guyon en sortit en 1703 sur un brancard, mais fut obligée
de rester dans les environs de Blois en résidence surveillée, sous la
responsabilité de son fils. Enfin elle put s’établir, grâce à l’appui de
l’évêque local, ami de Fénelon, dans une maison achetée dans la ville même.
Elle reprit alors une activité dont l’œuvre autobiographique ne rend pas
compte. Cette dernière période a été fort peu étudiée car l’influence sur les
contemporains était mince : une vieille femme qui fut célèbre à la cour,
terminait ses jours dans une maison modeste située au pied de l’ancien château
royal.
Elle reçoit, durant
ces années paisibles, des visiteurs français (assurant le lien avec Fénelon qui
réside à Cambrai) et étrangers (assurant le lien avec Poiret qui réside près
d’Amsterdam ; d’autres dont des Ecossais, des Allemands et des Suisses de
Lausanne). Elle reprend la rédaction de la troisième partie de la Vie et du récit séparé des captivités,
tous deux achevés en décembre 1709. Il
lui reste encore sept années et demi à vivre, qu’elle consacre à la formation
de disciples cis (français
catholiques) et trans (étrangers
protestants), voyageurs d’une semaine ou correspondants lointains. Il nous a
paru nécessaire d’ajouter aux textes autobiographiques des extraits du Supplément à la Vie, rédigé dans ce
milieu témoin des dernières années : il fixe par quelques traits précis le
dernier visage, paisible à la fin de la traversée, tout près de l’autre rive[1357].
Cette transmission de
la grâce auprès des disciples visiteurs, sa correspondance abondante, puis
l’œuvre imprimée par les soins du bon Poiret donnent naissance à des cercles
guyoniens en milieux protestants suisse, hollandais, anglais et américain, où
cette influence a été reconnue jusqu’à nos jours.
Le cercle de Lausanne
est le mieux cerné par son caractère guyonien pur et sa continuité dont
témoigne discrètement l’origine géographique d’auteurs défenseurs de Madame
Guyon : en premier lieu Dutoit, le second et dernier éditeur à la fin du
siècle, ensuite Benjamin Constant et des érudits qui oeuvrent à contre-courant
du bossuétisme ambiant[1358].
Dutoit (1721-1793) outre la réédition de l’œuvre de Madame Guyon, publie la Correspondance secrète avec Fénelon. Par
Chavannes nous avons des informations précises sur la vie de Dutoit qui est un
personnage notable de la vie en Suisse de la fin du siècle, ainsi que celle
d’autres guyoniens. Masson authentifie la Correspondance
secrète. Favre s’intéresse au cercle qui a influé le mouvement du réveil de
Vinet.
En Suisse nous savons
que Rousseau a lu la Vie et ses Confessions proposent le même
aspect de nudité dévoilée face à sa
conscience que celle de la Vie face au divin. Mais peut-on dire que
« la conscience infaillible du vicaire savoyard est bien une voix divine[1359] » ?
En Allemagne,
l’influence fut profonde sur les piétistes par la « Bible de
Berlebourg », sur Marsay et Haug, ce dernier qui nomme inquiétistes ceux qui confisquent aux
autres le silence, chemin principal du salut…[1360]
Elle s’exerça sur des auteurs pré-romantiques qui s’opposent au durcissement
ascétique (en fait totalement absent dans l’environnement proche de Madame
Guyon), tel Moritz ou Edelmann. Moritz fut un familier du jeune Goethe par
ailleurs relié à Fleischbein qui lui envoie la Vie. D’autres écrivains sont plus favorables, tel Jean-Paul :
« Seules les femmes aiment, que ce soit Dieu ou
vous, hélas. La Guyon, Sainte Thérèse …aimaient Dieu comme aucun homme ne
l"a aimé (sauf peut-être Fénelon). L"homme ne traite pas beaucoup
mieux la divinité que la beauté » ; « …pourquoi existe et à quoi
sert le nouveau mysticisme de l"art, sinon à pallier l"absence du
mysticisme du cœur ? [1361]»
Par Tersteegen[1362],
disciple de Poiret de grand rayonnement, elle atteindra
Kierkegaard. Schopenhauer en jugera ainsi :
« Il faut lire surtout la vie de Madame Guyon,
qui devrait plaire à toutes les personnes nobles qui désirent apprendre à
connaître et apprécier la beauté et la grandeur de son âme, tout en étant
tolérant face à sa superstition. …on ne peut apprécier que ce qui nous est dans
une certaine mesure analogue.[1363] »
Dans les pays de
langue anglaise, John Wesley constitue le vecteur principal de l’influence écrite
par sa bibliothèque des auteurs spirituels. Il deviendra - trop tardivement
pour que cela ait une influence profonde sur le Méthodisme - un disciple. Plus tard, un Thomas Upham aura une grande
influence dans les mouvements de réveil américain[1364].
La descendance
mystique de Madame Guyon, sa succession et la destinée de ces cercles n’ont pas
été étudiés à ce jour ; on note que l’influence guyonnienne atteint la
Suède[1365] et
des cercles moscovites maçons, mais ouverts à des membres du clergé ! On
traduit ainsi en russe Madame Guyon et Pierre Poiret[1366].
En France, l’influence
est par nécessité plus cachée. Elle est fondamentale bien sûr chez son disciple
Fénelon, et par ce canal sur tout le XVIIIe siècle. Secondairement elle déborde
vers les cercles maçons par l’intermédiaire de Ramsay[1367],
maçon. Mais surtout elle inclut une partie de l’œuvre de l’écrivain jésuite
mystique, J. P. de Caussade : la main de Madame Guyon est impliquée dans l’Abandon à la Providence divine, même si le texte a pu être
retravaillé pour lui donner un très beau style classique[1368].
Enfin plus récemment,
outre Bergson et Du Bos déjà cités, les grandes œuvres de Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux
(1916-1933) qui se serait intitulée Histoire
de la Mystique si l’époque l’avait permis, et de Delacroix, Grands Mystiques Chrétiens (1938), sont
directement ou indirectement consacrées à la mystique de notre auteur.
Delacroix consacre près de la moitié de son volume à Madame Guyon, Bremond y
eut consacré le douzième volume du Sentiment
religieux sans son attaque cérébrale
[1369].
Le pouvoir de cette
autobiographie, qui nous l’espérons va captiver son lecteur après un effort
initial, lui vient des conditions qui présidèrent à son écriture : sont
bannies de la relation toute reconstruction délibérée, le récit s’efforce de
transcrire au plus près les aveux de la remémoration. Les touches subtiles dans
la notation des sentiments ne ressortissent pas à un art concerté et nous
sommes loin des analyses de soi complaisantes : ainsi du réel quotidien et
de l’expérience spirituelle, la Vie
devient-elle un révélateur unique.
Souvent l’effort requis consiste à se laisser
porter et baigner par un flux textuel continu – ce dont nous avons acquis aujourd’hui
une certaine capacité par la lecture de Proust ou de Joyce. En effet la main
est mûe par la grâce, l’auteur est conscient d’être son instrument, l’acceptant
au point de refuser tout repentir et donc toute relecture. Il s’agit pour
Madame Guyon de ne pas interférer et ainsi de ne pas rompre l’état mystique
d’où sourd ce flux.
Mais le mystère est
là : pourquoi cette vie, rapportée avec talent littéraire, cette
autoanalyse qui préfigure notre psychologie des profondeurs et qui contient
d’admirables développements mystiques a-t-elle été occultée pendant trois
siècles même si elle exerça une influence sur Rousseau ou sur des romantiques
allemands ? Nous trouvons plusieurs raisons à cette confidentialité :
Madame Guyon fut
condamnée par l’Eglise, et sacrifiée pour en sauver d’autres : Fénelon,
dont la noble figure inspire le siècle suivant, mais auquel il faudrait
reconnaître l’état compromettant de disciple, et Bossuet, adopté même par les
laïques hors Eglise comme une « figure » du siècle, auquel il faudrait
attribuer un comportement bas. Elle ne fut pas réhabilitée par les partisans
des lumières parce que trop chrétienne - une « dévote » - et de plus
mystique.
Plus profondément,
elle était en avance sur son époque par son œcuménisme allant jusqu’à l’indifférence
- non pas à l’égard des sacrements et du Maître Jésus, mais à l’égard des
appartenances religieuses. On sait qu’elle n’approuvait pas le prosélytisme de
Fénelon à l’égard du pasteur Poiret, ni peut-être la conversion au catholicisme
du chevalier Ramsay (et sûrement pas ses tendances théosophiques). A
Blois, elle a accueilli ensembles protestants et catholiques.
Une raison matérielle
la met plus précisément en cause : elle écrit et répand malgré elle, parce
qu’elle s’adresse à une communauté déjà distendue dans l’espace[1370], ce
qui auparavant restait caché dans des communautés protégées (et contrôlées) par la clôture des couvents :
l’intercession par la prière, le rôle secondaire de l’écrit et des mots devant
la communication silencieuse de cœur à coeur. Ces aspects de la vie intérieure
étaient connus de tout temps et l’on en trouve des témoignages précis depuis
les Pères du désert, mais en termes généraux objectifs, sans la précision
descriptive subjective de la contemporaine de Racine.
Ce qui est nouveau par
rapport à Augustin, Thérèse[1371] et
Marie de l’Incarnation[1372],
est lié au développement de la conscience individuelle occidentale à la fin du
Grand Siècle. La montée des exigences de la raison - Madame Guyon connaît la
philosophie de Descartes - s’accompagne
d’interprétations et d’auto-analyses psychologiques. Racine est apprécié et
Madame Guyon connaît pour le moins Esther
et Athalie, pièces écrites pour les
demoiselles de Saint-Cyr.
L’instant est unique
où se trouvent simultanément en équilibre la description psychologique de
l’humain et celle des manifestations divines : la Vie leur attribue une importance égale par souci de réalisme et d’unité, voulant
témoigner des deux réalités et les
faire dialoguer. Cet équilibre disparaît dans des autobiographies plus récentes
fermées sur l’introspection individuelle : les modèles établis par
Rousseau, Maine de Biran et Amiel, malgré leur sensibilité et leurs aspirations
ne rendent pas compte d’un toucher
divin, d’ailleurs mis en doute[1373].
Nous pouvons lire aujourd’hui
un tel (long) texte comme témoignage d’une extraordinaire résistance à
l’adversité, mais sans durcissement de la volonté propre. Comme affirmant une
réalité peu croyable pour notre époque de conquêtes extérieures mais
d’inquiétude devant le vide à exorciser
lorsque ‘la rive à atteindre’ échappe aux analyses de type psychologique.
On y trouve associé la description d’une vie très humaine, assumant et
décrivant les difficultés de la sexualité, de la maternité, de la gestion des
biens de la fortune. Loin de la « vie parfaite » aux yeux des clercs,
Madame Guyon vit la mystique au sein de la mondanité, ce qui est finalement
rare[1374].
La Vie rapporte l’histoire des échecs
successifs d’une lutte pour s’affranchir de contraintes familiales, sociales et
finalement politiques. Ces échecs forment la trame des événements. En revanche,
l’ouverture progressive qui mène de la petite fille réprimée de tous côtés à
une résistante opiniâtre puis à la ‘mère’
est le récit d’un épanouissement intérieur dans l’adversité, dans une suite de
rebonds face à l’oppression des proches, aux maladies, aux enfermements. Leur accumulation a pu faire
croire à une vision déformée par quelque tendance au délire de la persécution,
mais la lecture des interrogatoires à Vincennes comme de la correspondance,
dont celle des témoins, confirme l’objectivité du récit.
Dans l’adversité, son
modèle est Jésus-Christ. Sa Passion présente l’Image certes inimitable de
l’échec apparent : obscurité, année(s) d’activité intense et de
pérégrinations suivi de la condamnation par les deux pouvoirs, torture,
exécution infâme. Madame Guyon aimait aussi François d’Assise, mort usé,
entraîné par le mouvement humain qu’il provoqua et soumis aux organisateurs de
ce succès, mais consumé d’amour divin.
Mais elle ne souffrait que pour atteindre la vie en Dieu : elle
vivra intérieurement la résurrection du Christ.
Elle eut la passion de
Dieu et la passion de répandre la grâce, même au sein de la Cour : erreur
de jugement qu’elle paya au prix fort et qu’elle abandonna pour vivre plus
cachée. S’est-elle abusée ? Mais comment une illusion fondamentale
donnerait-elle une telle constance et une telle vitalité face aux
épreuves ? Nous sommes face à un récit d’explorateur qui affirme ce qu’il
voit et nous appelle à explorer ces terres inconnues. Les mystiques se réfèrent
à une réalité qu’ils disent expérimenter au point d’en tirer toute leur
réalité : « Je ne suis rien que ce qui m’est donné par la grâce
divine, je n’ai rien en propre, je ne décide pas et ne veux pas même penser à
l’avance à ce que j’écris ». L’attraction immédiate provoquée par le
reflet de la grâce en action sur les compagnons échappe à la scrutation. Mais
les textes résonnent obscurément, provoquent, attirent. Elle en est bien
consciente :
“Je crois qu’il faut lire de suite la Vie parce que vous verrez une suite de
conduite en Dieu qui ne se dément point, vous verrez qu’il conduit aux enfers
et qu’il en retire ... Il n’est pas nécessaire qu’une lecture, pour nous
procurer grâce, soit conforme à notre état présent, il suffit que Dieu veuille
s’en servir pour cela et qu’elle ne soit pas contraire au dessein qu’il a sur
nous. C’est cette divine parole qui comme une semence germe et fructifie en un
cœur préparé … Nourrissez vous donc de la bonne nourriture que Dieu vous
présente[1375]…”
La Vie est un récit des souffrances
endurées pour que la présence divine en l’homme devienne la plus constante
possible. C’est le prix à payer dans toute histoire d’amour - entre rien et Dieu :
« Je
laisse aussi cette Vie que vous
m’avez défendu de brûler. … [en séparant] le vil du précieux, il y aura peu de
choses plus utiles, car outre les lumières de bien des choses, il y a des
expériences bien singulières. Enfin mon très cher fils et mon véritable Père,
je vous fait l’héritier universel de ce que Dieu m’a confié[1376]… »
Ce dernier volet de l’introduction regroupe, après une
brève revue du contenu, des sections
donnant l’histoire des rédactions successives de la Vie sous le titre Les rédactions successives, une
description des sources sous le titre manuscrits
et éditions, enfin nos principes d’édition.
Le corpus de Textes regroupe l’ensemble des écrits
autobiographiques complété par quelques témoignages directs.
La plus grande partie
est constituée par la Vie de Madame Guyon
écrite par elle-même, pour la première fois établie sur les deux manuscrits
connus. Le texte a diffusé de façon semi-clandestine durant trois siècles par
suite de la suspicion envers la mystique ; il n’en reste pas moins
surprenant qu’un tel retour aux sources n’ait jamais été entrepris.
La Vie fut imprimée deux fois au XVIII°
siècle, sous une forme retouchée dans son style et censurée compte tenu du
caractère très récent et controversé des événements rapportés. Elle couvre
la jeunesse à Montargis, les voyages en Savoie et Piémont, la période
parisienne. Nous reprenons cette division tripartite même si elle est absente
des deux manuscrits qui se présentent sous la forme de textes continus sans titres
ni même de paragraphes. Nous reprenons la division par chapitres, devenue
traditionnelle. Leurs titres destinés à faciliter le repérage des contenus
sont nôtres.
Les prisons, récit autobiographique couvrant la seconde période de captivité soit
sept ans et demi d’incarcération, et rédigé en même temps que la fin de la Vie, peut aujourd’hui lui être rattaché.
Les embastillés s’engageaient à ne rien révéler des circonstances vécues en ce
lieu ce qui explique que ce texte ait été réservé alors aux seuls proches. De
plus les descriptions des moments où Madame Guyon touche « à son fond » ne
devaient guère être appréciés de lecteurs plus éloignés, habitués des récits
hagiographiques.
L’auteur vécut sept
années et demie actives après les deux dernières rédactions autobiographiques
(de la fin de la Vie et des prisons). Nous donnons pour la première
fois, sous le titre Blois, témoignages en
suppléments de la Vie, une édition de cette relation par des témoins
directs. Elle nous est parvenue en deux manuscrits concordants. Elle est très
précieuse pour éclairer le terme du cheminement mystique de Madame Guyon, pour
connaître le cercle des disciples et sa vision de la ‘querelle’.
L’ensemble se termine
par les Lettres et poèmes retenus
par le premier éditeur pour figurer à la suite de la Vie. Nous ajoutons deux poèmes non retouchés et un texte court de
Madame Guyon de nature biographique.
La tentation a été
grande d’étendre par trop l’apparat[1377]
accompagnant les Textes, compte tenu
qu’un tel ensemble de noms et de lieux
réunis autour de Madame Guyon se présente ici pour la première fois. Réalisant
que des notes étendues rompait le fil de la lecture de Madame Guyon, nous avons
limité leur extension, renvoyant le lecteur à des Index, s’il le désire. Les
biographies qui forment le plus grand nombre des entrées sont toujours rédigées
en favorisant les traits individuels révélateurs de l’intime des personnes. Le
lecteur érudit sera indulgent sur les rappels qui lui paraîtront par trop
évidents.
Nous avons puisé assez
largement dans la correspondance. Elle forme l’autre volet biographique aussi
important que celui que nous présentons dans ce volume, parfois plus spontané
et qui le confirme. Elle est issue de quelques témoins, de son directeur
Bertot, de Maur de l’Enfant-Jésus, de dirigés dont l’illustre Fénelon, mais le
plus souvent d’elle-même[1378].
Les Textes sont suivis des Variantes (du manuscrit B et de l’édition Poiret pour la
Vie, du manuscrit Osup pour Blois, témoignages…) ; d’un Résumé des textes nécessaire pour
retrouver un événement historique (ou intérieur, ce qui est aussi important aux yeux de l’auteur) comme pour
établir une correspondance avec l’édition traditionnelle de Poiret ; d’une
Biographie chronologique nécessaire
compte tenu de l’imprécision des dates et de retours en arrière dans la Vie ; d’une Bibliographie en plusieurs sections couvrant un choix d’ouvrages de
et sur Madame Guyon, sur son école, sur la célèbre ‘querelle’et ses acteurs,
sur la vie spirituelle au grand siècle et ses sources ; enfin des Index complémentaires à l’apparat des
notes de bas de pages et général.
La rédaction de la Vie fut préparée par un passé d’écriture. Madame Guyon a témoigné de son expérience
durant toute sa vie : cela commence par ses cahiers de retraites[1379], où
elle ne se contente pas de consigner des événements intérieurs mais où elle
s’efforce de les comprendre, tournant
et retournant autour d’eux. Ce désir de saisir est très contraire à l’abandon[1380] et
conduit à une maladresse par répétition ou excès dans l’expression. Mais ces
premiers essais fascinent par l’exercice visible d’une volonté tenace !
Cette volonté de saisie conduira à forer très profond à travers des couches
psychologiques ; le travail sur l’écriture mènera à la belle expression
lyrique de nombreux passages de la Vie.
Le ms. de Saint-Brieuc antérieur à
celui d’Oxford (nos deux sources que nous décrivons en détail ci-après)
témoigne du lent progrès de l’écrivain. La célèbre « écriture
inspirée », à l’écoute des mouvements intérieurs dans leur subtilité,
n’est donc pas apparue d’un coup. L’auteur, conscient, détruisit la plus grande
part de ses essais[1381].
L’apprentissage s’est fait en de nombreuses étapes, sur une très longue durée,
dans des lieux les plus divers, libre ou en prison. Toutefois le succès de
certains passages à dire l’ineffable apparaît « raisonnablement
impossible ».
Elle commence à la
demande de son directeur François La Combe. « Une première version écrite
… probablement à Thonon ou Turin, est perdue. La majeure partie du texte actuel
a été rédigée chez les visitandines en 1688; elle y fit deux additions
importantes vers la fin de 1688 et vers la fin de 1709 » écrivait L.
Cognet en 1967[1382].
Cette version perdue serait-elle proche du manuscrit de Saint-Brieuc (B)
découvert depuis par M.-L. Gondal ? Mais celui-ci est une version
longue qui se caractérise par ses ajouts,
ce qui ne correspond pas à la « première version » dont les omissions
« ont paru trop considérables » d’après l’ouverture de la Vie. Il faut donc envisager une première
version succincte disparue ; et peut-être, à l’autre bout de la chaîne,
des révisions postérieures à la dernière date attestée de 1709 : « Le
récit de la Vie a été écrit, puis
repris au moins à trois reprises, en 1682 à Thonon, en 1688 à la Visitation et
au sortir de la Visitation, en 1709, à Blois, et probablement plus tard encore,
la Vie ayant été remise à Poiret,
selon le Dr Keith, par ordre de Madame Guyon elle-même dans les derniers temps
de son existence[1383]. »
Nous proposons une
rédaction comportant de nombreuses reprises – il s’agit d’un processus presque
continu : (1) Première version courte perdue, (2) long ms. de Saint-Brieuc (B), antérieur ou plus probablement parallèle
au ms. d’Oxford (O), daté lui-même de
mai 1682 puis (3) de novembre 1682[1384] ;
(4) suite de (O) réalisée en prison et datée du 21 août 1688[1385],
(5) suite de (O) réalisée en liberté et datée du 20 septembre [1386],
(6) suite datée de la fin 1688[1387],
(7) partie rédigée à la Bastille en 1698 ou même après[1388],
(8) et terminée en liberté en décembre 1709[1389],
parallèlement au récit des prisons du Ms. de Chantilly (C), (9) probablement
revue ensuite, au moment où la décision de publication est prise par l’auteur.
Si nous ne tenons pas
compte des reprises au sein d’une même année, on relève quatre
stades importants correspondant à
1682, 1688, 1698, 1709. Les
rédactions sont espacées de 6 puis 10 puis 11 ans. Elles reflètent les
contrastes dans les conditions extérieures (lieux divers, liberté ou
emprisonnement) ainsi que l’effet d’une maturation intérieure (sur près de
trente ans).
L’ensemble n’a pas été
très profondément revu et remanié en vue d’une publication[1390].
L’éditeur Poiret s’est borné à modifier
l’ordre de paragraphes, à exercer une censure, à « améliorer » le
style[1391].
On peut regretter
l’état d’un texte restitué qui comporte des répétitions, mais qui permet un
gain en spontanéité et en honnêteté
dans l’exposition par l’auteur de ses problèmes, et ceci sur tous les
registres, incluant celui de la sexualité.
Ceci demande au
lecteur un effort : il aborde successivement des couches successives
rédigées sur une longue durée et il doit surmonter l’absence d’une révision
littéraire générale ; s’ajoute à cela l’effort lié à la présence de
domaines différents. Madame Guyon entrelace volontairement les descriptions et explications des circonstances
extérieures prosaïques, et les
descriptions et explications par
développement de points jugés critiques de la vie mystique. Le lecteur sera
récompensé de l’effort en touchant tous
les niveaux constitutifs d’une grande mystique, c'est-à-dire d’une personne
humaine complète, dont les inhibitions psychologiques sont progressivement
surmontées et lucidement exposés – cas unique
à notre connaissance[1392].
Nous décrivons dans
les sections suivantes les manuscrits utilisés d’Oxford (O), de Saint-Brieuc
(B), de Chantilly/ Sèvres (C),
des Archives Saint-Sulpice (S), de Lausanne (L) parallèle au supplément d’Oxford (Osup) ainsi que
l’édition de Poiret (P) reprise
fidèlement par Dutoit (D) et par une
copie manuscrite[1393]. Il
existe enfin d’assez nombreuses traductions[1394].
L’étude des manuscrits
de Saint-Brieuc et de Chantilly/ Sèvres, respectivement découvert et exploité
par Madame Gondal[1395], a
renouvelé l’approche de Madame Guyon qui n’avait guère évoluée depuis presque
trois siècles[1396].
Il comporte 388 pages.
1/ Une première partie commence par un passage[1397]
de 11 lignes, ‘Lors que je parle ici d’un état fixe et permanent ... mistères
qu’ils n’entendent pas’, précédant l’ouverture du récit de la Vie, ‘Puisque vous souhaitez de moi...’
Paginée 1 à 299 elle se termine par ‘...la faiblesse d’un enfant etc. fin jusqu’en
1688 toute entière’. Soit la fin de (2.10.16).
L’écriture d’une première main (m1) est ronde, assez petite mais très
lisible. C’est celle de Durand de la Pialière[1398].
La copie très nette comporte des passages lourdement raturés ou barrés en croix
et des additions le plus souvent d’une autre main (m2) claire, petite, penchée
dont on a un addendum de 150 mots environ, p. 8, et de nombreux exemples (les
plus remarquables : p. 1 à 3, 6 et 7, 13, 21, 27, 77, 98, 126, 152, 292,
230) ; une troisième main (m3) claire, grosse et arrondie apparaît rarement (p. 81, 194).
Aucune correction ou addition n’apparaît de la main de Madame Guyon, mais un
contrôle est attesté par l’annotation portée en marge de la page 144, “N[otre]
M[ère] m’a ordonné d’abréger ce passage.
La rédaction est faite en plusieurs étapes car nous trouvons p.
164 : ‘ce que j’ai marqué était déjà écrit en mai 1682’ ; p.
151 : ‘ceci est écrit pour la
première fois jusqu’ici et finit en novembre 1682’ ; et p.
299 : ‘fin jusqu’en 1688 toute entière’.
Enfin une addition intéressante de (m2) p. 230 : ‘Looke the original
and add’ nous indique qu’il s’agit d’une copie (l’original étant perdu ;
s’agissait-il d’un manuscrit proche d’Oxford ou de Saint-Brieuc ?).
2/ une deuxième partie plus courte
mais beaucoup plus complexe commence à ‘En sortant de Sainte-Marie’, début de
(3.11.1)[1399].
Paginée de 1 à 89 elle se termine par ‘...impureté (mots biffés) décembre 1709’, soit la fin de (3.21.3).
Elle comporte plusieurs écritures, toutes différentes de la première
partie, sauf (m2) dont on retrouve une correction p. 10. Elle commence par une
écriture assez désordonnée avec des corrections et des ajouts d’une même main
(m4) constituant les pages 1 à 14. Les pages 15 à 18 sont de l’écriture
penchée et cassée, bien caractérisée, de la main (m5) de Du Puy[1400].
La page 18 se termine par sept lignes de la main de Madame Guyon soit environ
50 mots d’une grosse écriture assez malhabile : on sait qu’elle avait des
problèmes de vue à la fin de sa vie. Les pages 19 à 42 sont d’une nouvelle main
(m6), 43 à 78 d’une écriture assez proche mais plus nette et sans taches,
probablement d’une main différente (m7). Après une rupture de sens, on
retrouve, pages 79 à 89, une dernière section accolée, de la main (m5) de Du
Puy. On trouve enfin des annotations brèves de trois autres mains...
L’ensemble de cette seconde partie a été relue par Du Puy dont on trouve
des ajouts de 5 mots p. 20 et de 8 mots p. 23 ainsi qu’un attaché de 7 lignes
ou 70 mots environ p. 75.
Surtout il comporte, outre les sept lignes p. 18 de la main de Madame Guyon
qui ont été signalées lors de la description précédente, plusieurs attachés
autographes par la même Madame Guyon : p. 20 de 50 mots environ, p. 39
de 50 mots environ, p. 79 de 13 lignes
ou 60 mots environ.
L’attaché autographe de la page 39 est écrit sur une enveloppe dont le dos
porte une adresse partiellement lisible, ce qui permet de proposer l’adresse
suivante de Madame Guyon à Blois : ‘[ma]dame / [Gu]yon la douairière/
[rue N]icolas / [B]lois’.
3/ Immédiatement après le texte de la Vie,
après la page 89, on trouve : ‘Pour Mr R-y [Ramsay] / Qu’on prie de la renvoyer
s’il lui plaît à MrK.[eith] après qu’on s’en sera servi.’
Puis commence une dernière section sous la forme d’une table des matières,
d’une nouvelle main (m8), commençant par le titre : ‘Court indice de la
Vie de Me Guyon écrite par ordre du P. la C(ombe) son Directeur.’ / La première
partie fut copiée sur l’original par Mr de Piallier (le gros) et revue et
corrigée par l’Autheur elle-même.’ Cet indice est un excellent résumé, sobre et
précis, couvrant les deux parties précédentes, que nous ne reproduisons pas
sinon par ces quelques articulations :
‘Page 1. L’introduction adressée à son Directeur. / (...) / page 151. Sa
vie fut écrite pour la première fois jusqu’ici et finit en novembre 1682 /
(...) / page 299. La fin de la première partie jusqu’en 1688 tout entier./
L’Indice de la deuxième partie. / page 1. En sortant de Ste Marie elle entra
dans la communauté de Mme de Miramion... / (...) / page 89. Citation de
Thaulère Inst. ch.11.’
En résumé on retient l’authentification de l’ensemble et sa révision par
Madame Guyon. Le manuscrit a circulé de Ramsay, secrétaire de Madame Guyon, à
M. Keith, écossais qui l’a communiqué ensuite à Poiret pour l’édition. Ce
dernier l’a renvoyé, ce qui explique sa présence à Oxford. Un point particulier
intéressant est l’adresse (non confirmée) à Blois.
Ce manuscrit (B) est conservé à la Bibliothèque Municipale de Saint-Brieuc
sous le numéro 115 et comporte cinq volumes paginés couvrant la Vie jusqu’en 1688 (soit Vie 3.10.16 correspondant à la fin de la
première partie du manuscrit O de l’écriture de La Pialière. Ensuite commence
le récit « En sortant de Sainte-Marie… »). Il s’avère assez proche du
manuscrit d’Oxford dont il permet de rétablir de nombreux passage raturés. Il
comporte des ajouts précieux portant sur des épisodes intimes de jeunesse,
celui de l’attachement au janséniste (que nous n’avons pu identifier[1401]),
des éclaircissements : « j"ai oublié de dire que…» etc.
Madame Gondal qui l’a découvert en a
donné une description à laquelle nous renvoyons[1402].
Ce
manuscrit est composé de 5 volumes, respectivement de 508, 595, 501, 490 et 365
pages, dont elle fait l’analyse et propose des pistes : « Dans le premier volume, une lacune de
33 pages est signalée par un papillon qui avertit un copiste : « il manque ici
un cayer qu'on peut reprendre dans un autre manuscrit in-4° ». La dénomination
de « cahier » s'applique donc bien au manuscrit-référence et non aux volumes
présentés … La provenance de ce manuscrit n'a pas été expliquée. Un petit
papier, glissé dans un volume, portait le mot « Comtesse... ». Doit-il orienter
vers la Comtesse de Vaux ? On sait que son mari possédait des propriétés en
Bretagne. Mais l'indice paraît bien fragile.» Elle donne une information
précieuse sur l’origine du fonds de Saint-Brieuc[1403].
Nous confirmons la conclusion de sa
discussion de B : « …la narration se présente comme plus archaïque en
B. … Il semble donc que la copie B corresponde à un premier état du récit, tel
qu'il se trouvait écrit en 1688, au moment où Madame Guyon allait rencontrer et
consulter Fénelon, et tel qu'il demeura sans doute assez longtemps, puisque
Fénelon n'avait pas positivement encouragé la poursuite de cette autobiographie
et que la suite, le récit du conflit parisien, dut être reprise après la
libération de la Bastille. Le ms. B
me paraît donc devoir entrer désormais dans la lecture de la Vie de Madame Guyon. »
Ceci nous a décidé à introduire plus de trois siècles après les événements,
dans le texte principal, ses ajouts
les plus considérables qui mettent en valeur
l’humanité de Madame Guyon (les notes de fin donnant les ajouts mineurs et
toutes les variantes).
Madame Gondal l’a édité sous le titre Récits
de captivité[1404]
, en le faisant précéder d’une intéressante préface qui analyse cette Relation de Madame Guyon et montre son originalité et sa portée[1405]. Précédemment conservé à la
bibliothèque des Fontaines de Chantilly, le manuscrit relié est actuellement
déposé aux archives Jésuites situées à Vanves, dans la section dépendant de la
Bibliothèque de Sèvres, sous la nouvelle cote AR2/48. C'est un in-8° de 119
pages[1406],
daté de « décembre 1709. » Madame Gondal nous indique qu’il était connu du
Père Brunet, bibliothécaire des Fontaines et que, portant le cachet :
« Ecole Sainte-Geneviève - B.D.J. », il pourrait provenir de la
bibliothèque des Jésuites de Jersey. « Rédigé à la première personne,
adressé à un destinataire particulier et privilégié, désigné par la seule
initiale « M[onsieur] » et rédigé en réponse à sa demande, le récit, après
quelques préambules, débute en 1695[1407]. »
Notre édition suit le manuscrit (mais le divise en huit chapitres à l’image de
ce qui fut fait pour la Vie) et donne
sa pagination assez rapprochée, ce qui facilite les renvois (nous ne disposons
pas de paragraphes numérotés par Poiret !).
Manuscrits de la Vie
Il s’agit de trois sources
secondaires qui apparaîssent en variantes
de fin pour la troisième partie de la Vie,
dénotés respectivement Lettre du 25
juillet, S1, S2. La dernière de ces sources confirme le passage relatif à
Fénelon pour lequel nous avons pris B comme leçon[1408].
Il avait été retiré de l’exemplaire de la Vie
communiqué aux examinateurs d’Issy[1409].
Plus
précisément :
- La Lettre du 25 juillet 1694 est un
autographe numéroté f°1 à f°6, incluse dans A.S.-S. pièce 7308, éditée par
LEVESQUE, lettre 1083, avec de légères modifications et un commentaire[1410].
- S1 désigne une pièce du recueil
manuscrit A.S.-S. no. 2057 (‘Divers
écrits de Mme Guyon’), f° 270r°-271v°,
commençant par ‘Le soir de la Pentecôte...’. L’écriture est inconnue et
différente du f° 269 (lettre transcrite par La Pialière) et des f° 272 seq.
(poèmes transcrits par Dupuy). S1 est antérieur à O corrigé et est reproduit en Vie 3.7.8-12.
- S2 appartient
au même recueil, f°314r° à 318v°, numéroté 739 à 747, commençant par
‘Quelques...’ jusqu’à ‘...peine des âmes pour les en délivrer’. S2 reproduit Vie 3.9.10 avec quelques rares
variantes. Suit l’autographe d’un poème
commençant par ‘Que mon cœur est content auprès de ce que j’aime’(nous en
reproduisons des extraits en fin des Textes) ; enfin après deux lignes blanches figure le
texte autobiographique relatif à Fénelon : ‘Il me fut une fois donné à connaître que
N[otre] S[eigneur] m’avait donné ML...’
Ce texte est absent de O, auquel manque les feuillets correspondants, mais
présent dans B, que nous donnons dans le texte principal, précédé de ‘[B S’ et
suivi de ‘B S]’, à la suite de ‘...délivrer’ (Vie 3.10.1).
Autres manuscrits autobiographiques
1/ Sources de deux cantiques que nous ajoutons dans la dernière partie à
ceux édités à la suite de la Vie par
Poiret :
- Un cantique est intercalé entre les passages que l’on retrouve dans la Vie, référencés S1 et S2 et décrits précédemment, p. 740 du recueil
A.S.S. pièce 2055. En marge de ce cantique figure un autographe de Madame Guyon (alors que le
texte lui-même est une copie) : « ce
sont des vers fais (sic) dans ma
prison » (souligné deux fois).
- Le second cantique reproduit correspond aux folios 236r° à 239r° du même
recueil, appartenant à un fascicule de très petit format adapté à la cache en
prison et écrit très serré, contenant de très beaux poèmes qui ont échappés à
l’éditeur-correcteur Poiret.
2/ Extrait du Discours n°11
reproduit p. 133 du tome V de la
Correspondance éditée par Dutoit et intitulé « Vie d’une âme
renouvelée en Dieu et sa conduite », éclairant l’état apostolique.
3/ Correspondance autographe du
fonds A.S.–S. Guyon que nous
utilisons comme sources parallèles dans les passages les plus vifs de la Vie et des prisons.
Les manuscrits des Suppléments
Nous avons surtout utilisé deux manuscrits proches l’un de l’autre et
intitulés Supplément à la Vie de Madame
Guyon écrite par elle-même. L’un est déposé à la Bibliothèque Cantonale et
Universitaire de Lausanne sous la référence TP1155, l’autre est joint au manuscrit de la Vie d’Oxford sous la
référence Add.24. Leur analyse[1411]
démontre que ce dernier dépend de Lausanne (L) que nous avons donc pris pour
leçon, en relevant toutefois les variantes du supplément d’Oxford (Osup).
Le manuscrit de Lausanne (L) comporte 63 pages numérotées, d’une écriture
large (m1), corrigée par additions interlignes et annotée de références
principalement bibliques par une autre main (m2). Page 41, (m1) fait référence
à l’édition Dutoit de 1767 comportant un cinquième volume constitué par la
‘correspondance secrète’ avec Fénelon, venant en ajout de l’édition originale
de Poiret. Ceci situe donc la rédaction du manuscrit avant même ses corrections
à une date tardive. Il rend compte de ce
qui était connu des milieux suisses illustré par le pasteur Dutoit à Lausanne et allemand
illustré par le baron de Fleischbein au
château de Pyrmont (m2?). Malgré ce caractère tardif, la précision concernant
certains détails de l’environnement de Blois et propres à la vie antérieure de
Madame Guyon montre que le rédacteur s’appuie sur une source intermédiaire
(issue d’un écossais ou de Pétronille d’Eischweiler, épouse de
Fleischbein ; elle visita Blois).
Nous complétons ce Supplément
reproduit intégralement par quelques
extraits de l’Histoire des dernières
années…, manuscrit voisin du même fonds suisse, référencé TP1154. Il s’agit de la traduction elle-même
très partielle d’un recueil de Fleischbein[1412]
qui donne quelques informations complémentaires concernant les opinions de
Madame Guyon dans ses dernières années.
Les deux éditions du XVIIIe siècle
1/ Edition originale
par le pasteur Pierre Poiret (P) :
La vie de Madame J. M. B . de la Mothe Guyon, écrite par elle-même,
Vincenti, A Cologne [en fait : Amsterdam],
chez Jean de la Pierre, 1720, in 8°, 3 volumes. «L’édition porte la date de
1720, mais le biographe précise que cet ouvrage, dont la préface assez longue
fut le dernier écrit auquel travaillait Poiret quand le prit la maladie dont il
mourut, parut seulement quelques mois après sa mort (mai 1719). La coutume
permettait d’ailleurs de donner la date de l’année suivante aux livres publiés
dans la seconde moitié de l’année [1413]. »
Le
volume I paginé I-XLVIII, 1-296, comporte[1414]
: (p.II) un frontispice gravé du portrait de Madame Jeanne Marie Bouviers de la
Mothe Guyon, avec la légende : “Aetat : 44. Née le 13e avril 1648, décédée le
9e juin 1727”, (p.III) la page de titre donnée plus haut La vie... chez Jean de
la Pierre, 1720, (p.V-XXXV) Préface (de P.Poiret), Extrait d’une lettre sur quelques
circonstances de la mort de Mad. Guyon, Catalogue des écrits de Madame Guyon,
Jeanne Marie Bouvières de la Mothe Guyon, anagramme (en 7 vers), La vie de Madame J.M.B. de la Mothe Guyon écrite
par elle-même, première partie, «Justicias Domini cantabo in aeternum», (p.
XLI-XLVIII) Table des chapitres de cette première partie, (p.1-296) La vie de
Madame Guyon écrite par elle-même. Première partie, depuis sa naissance jusqu’à
sa sortie de France suivie du texte de la Vie, première partie. Le volume II
paginé I-XII, 1-274, comporte : (p. I-XII) la table des chapitres suivi
(p.1-274) du texte de la vie, deuxième partie. Le volume III paginé I-XII,
1-298, comporte : (p. I-XII) la table des chapitres suivi (p.1-245) du texte de
la vie, troisième partie, suivi par (p. 246-264) Addition de quelques lettres
(deux de Mme Guyon au P. la Combe, trois du P. la Combe à Mme Guyon, deux d’une
fille de Mme Guyon), (p. 265-272) (Quatre) cantiques, (p. 273-298) Table des
matières principales..., (trois pages non numérotées) Errata.
La préface de Poiret éclaire certaines
des conditions dans lesquelles il constitua son édition :
“…on a cru durant un assez long temps avoir éteint et
supprimé entièrement ce qui regardait les écrits et les faits de Madame Guion …
Mais Dieu … s’est servi pour les faire revivre et pour en répandre partour la
connaissance, des mêmes personnes qui avaient cru les éteindre, et des mêmes
moyens dont ils s’étaient servi pour cet effet. Car outre quelques uns de ses
papiers qu’ils communiquèrent à des particuliers, les [xv] ouvrages qu’ils
publièrent eux-mêmes à l’encontre ayant passé dans les pays étrangers,
portèrent la curiosité de plusieurs, mêmes entre des personnes de considération
à vouloir un peu pénétrer le fond d’une affaire qui avait fait depuis peu un si
grand bruit. … Quelques Seigneurs d’Allemagne et d’Angleterre et d’ailleurs,
non contents d’une simple lecture, ayant ouï que cette Dame depuis la mort de
son plus grand adversaire avait été délivré de sa dure captivité, et reléguée
quelque part, où pourtant il n’était pas impossible de la visiter, résolurent
de tenter s’ils y pourraient réussir. Ils eurent la satisfaction de la trouver,
et de lui parler à souhait. Elle leur fit confidence de l’histoire de sa vie
écrite et revue par elle-même, et que son intention était qu’on en fit part au
public lorsque Dieu l’aurait retirée du monde : elle remit même son
manuscrit à un Milord d’entr’eux qui s’en retournait [xvi] en Angleterre et qui
le possède encore à présent.
Cependant comme Dieu en a retiré l’Auteur il y a déjà
quelque temps[1415]c’est
pour ne pas retarder davantage l’exécution de sa volonté, que voici la
publication de cette même Vie sur une copie tirée et revue avec soin sur son
manuscrit original … On ne pouvait différer davantage la publication de cet
ouvrage sans faire tort et à ceux qui peuvent en profiter salutairement…
Puis Poiret développe longuement le contenu spirituel :
“…le but, la voie, et la méthode de l’Auteur en tous
ses ouvrages, n’est pas de disputer, d’opposer opinions à opinions, sentiments
à sentiments, parti à parti ; mais de proposer et d’avancer dans le cœur
de chacun le Royaume intérieur de Dieu,
l’adoration en esprit et en vérité que le Père demande, en un mot l’Amour pur …
Voilà ses propres paroles bien remarquables dans le Chapitre X de la troisième
partie de sa Vie : « Dieu me fit comprendre, qu"il ne
m"appelait point, comme l"on avait cru, à une propagation de
l"extérieur de l"église, qui consiste à gagner les hérétiques :
mais à la propagation de son esprit, qui [xxxiii] n"est autre que
l"esprit intérieur. » Quand celui-ci est bien rétabli, on revient
facilement à l’unité pour tout ce qui regarde le reste…”
Mme Gondal analyse ainsi les passages que nous venons de lire :
« Ces lignes renferment une double attestation :
La première est que Madame Guyon a revu le texte de sa Vie et que cette version
fut remise directement à un Anglais connu de Poiret qui la détient au moment où
est écrite la préface. La seconde attestation de l'éditeur concerne le texte
publié … Il indique … qu'il existe un « manuscrit original » (autographe ou
non) et une (ou plusieurs) copie revue par Madame Guyon, dont la garante est
celle qui se trouve en Angleterre. Un flou demeure. Un passage de
correspondance échangée entre deux amis de Madame Guyon, le Dr Keith et Lord
Deskford, permet-il de réduire ce flou ? Entre septembre 1717 et novembre 1718,
Keith, médecin londonien en relation avec les amis hollandais de Madame Guyon,
écrit à Lord Deskford, en se faisant l'écho d'une querelle autour de la
publication de la Vie[1416]. »
Le récit de cette édition rendue difficile par un désaccord des disciples
est raconté à partir des correspondances par M. Chevallier de manière
complète et vivante[1417] :
« …éclate dans le courant de l"été 1717 une
crise concernant la publication de son autobiographie. Quelques copies de ce
texte circulaient : il y en avait une en Ecosse, une autre avait été
envoyée à Poiret, dûment révisée par Madame Guyon elle-même[1418],
et il se considérait comme engagé à la faire paraître dès qu"elle serait
morte. Or Ramsay, croyant avoir la même tâche, s"opposa à
l"intervention de Poiret. Dans une lettre du 7 août, après avoir raconté
les derniers instants de Jeanne Guyon, il ajoute :
« J"ai eu ses ordres d"écrire ce que je
say de sa vie ; mais en vérité ses écrits et ses souffrances sont si
parlantes que je ne trouve presque rien à dire… Je prie Dieu que le V[énérable]
P[oiret] ne tombe point dans ces enthousiasmes outrés où il est tombé en
écrivant la vie de Mlle B[ourignon]…
« …conflit qui surprend et afflige tous ceux qui
l’ont appris. …En janvier 1718, Otto Homfeld est plein d’espoir… :
« [Ramsay] semble non seulement revenir de son
opposition …mais aussi il promet de nouveau de travailler à un supplément ou à
une continuation… » [mais la controverse continue, Ramsay gardant son
attitude hostile[1419]]
« …les Anglo-saxons ont pris le parti du « vénérable Poiret ».
…sa dernière maladie le saisit au moment où il achevait de rédiger la préface
de la Vie… qui parut enfin dans la seconde moitié de l’année 1719. »
Nous avons la chance que l’œuvre d’éditeur de Poiret ainsi couronnée par la
publication de la Vie ait laissé
finalement la parole à Madame Guyon plutôt qu’à Ramsay[1420]…
2/ Rééditions par le
pasteur Dutoit (D) :
In 8°, en 3 volumes très fidèles au texte de Poiret :
2.1/ Exemplaire de Chantilly[1421] :
Le volume I paginé 1-32, I-XLVII, 1-317, comporte (p.1-32) Discours sur la vie
et les écrits de Madame Guyon, (p. I :
page de titre imitée de P) La vie de Madame J. M. B. de la Mothe Guyon,
écrite par elle-même, Vincenti, A
Cologne chez Jean de la Pierre, 1720, (p. III-XXXV) Préface ( reproduite de
P.Poiret), (p. XXXVI) Extrait d’une lettre sur quelques circonstances de la
mort de Mad. Guyon, (p. XXXVIII)
Anagramme de Jeanne Marie Bouvières de la Mothe Guyon, (p.XXXIX : page
de titre) La vie ...première partie, (p.XLI-XLVII) Table des chapitres,
(p.1-317) texte de la Vie première partie, (un feuillet non paginé)
corrections. Le volume II est paginé I-XI, I-X, 1-296 pages. Le volume III est
paginé I-X, 1-324 et comporte outre le texte de la vie troisième partie,
(p.266-286) Addition de quelques lettres... et (p.287-296) des Cantiques de
Madame Guyon.
2.2/ Exemplaire de la collection particulière de Jean Bruno : Le
volume I paginé I-XLVII, 1-317, comporte (p. I) La Vie de Madame J. M. B. de la
Mothe-Guyon, écrite par elle-même, qui contient toutes les expériences de la
vie intérieure, depuis ses commencements jusqu’à la plus haute consommation,
avec toutes les directions relatives. Nouvelle édition, Tome I. A Paris, chez
les Libraires Associés (en fait : Lausanne), 1790, puis reprend la séquence de
l’exemplaire de Chantilly soit Préface (reproduite de P. Poiret) etc.
...corrections, (un feuillet non paginé) Catalogue de tous les ouvrages de
Madame J.M.B. de la Mothe-Guyon, nouvelle édition... se terminant par
l’Anagramme donné en début du texte de la vie. Les volumes II et III sont
semblables à l’exemplaire de Chantilly sauf par l’ajout d’un feuillet d’errata
du 3eme volume de la vie se terminant par un Avis au relieur.
Les différences portent donc sur l’absence du discours de Dutoit (p. 1-32
de Chantilly) puis sur le titre (p. I), le Catalogue, enfin sur le feuillet
d’errata.
Les rééditions modernes et traductions
Il n’existe
pas d’édition critique ; les éditions Poiret P et Dutoit D restent
préférables.
1/ Madame guyon, la vie par elle-même, la
fontaine de pierre 1973, en 2 fascicules ronéotypés : I-XVIII comportent une
préface ‘alchimique’ d’E. Perrot, une chronologie, un tableau
généalogique ; 1-434 reproduit le texte de la Vie selon P.
2/ La vie de Madame Guyon écrite par elle-même,
édition préparée par B. Sahler, introduction de J. Tourniac, Dervy-livres,
Paris, 1983, 1-637. Le texte modernisé est très fautif et l’introduction n’est
pas sûre : elle insiste sur une vision apocalyptique prêtée à Madame Guyon,
évoque des liens infondés avec des théosophes... toutefois justifiés en ce qui
concerne Caussade, Laurent de la Résurrection, l’influence sur les Quakers.
Cette réédition imprimée se réfère à la réédition ronéotypée précédente mais
ignore D.
3/ La
vie de Madame Guyon écrite par elle-même, extraits choisis et commentés par
Jean Bruno, Vol. I : 1648-1681 pub. dans Les Cahiers de la Tour Saint-Jacques,
Paris, éd. Roudil, VI, 1962 (référencée BRUNO, La vie… dans notre édition) est un travail d’une toute autre
qualité. Les pages I-XXVI contiennent “L’expérience mystique de madame Guyon”,
essai de J. Bruno, Bibliographie sommaire, Essai de chronologie, les pages
1-144 contiennent des extraits couvrant la vie jusqu’à sa seconde partie,
chapitre 4. Ils reprennent P donnant en note un choix d’addition issues du ms.
O. Ce travail n’a malheureusement pas pu
être mené à terme. Certaines notes sont le précieux condensé d’investigations
approfondies particulièrement précieuses pour préciser la formation intérieure
de notre auteur.
4/ Le
catalogue de la British Library fournit de nombreuses entrées sous Guyon :
outre des références qui recoupent celles données par P. A. Ward ci-après,
on relève An extract of the life of Madam Guyon, by John Wesley, pp. 230.
R.Hawes : London, 1776 [cote 4863 cc. 15].
5/ “Madame
Guyon in America : an annotated bibliography” by P. A. Ward in Bull. of
Bibliography, vol. 52, No. 2, June 1995, 107-111, fournit 13 entrées en
section A. Editions of the Autobiography, p. 108. Deux d’entre elles
correspondent au texte complet. Le même auteur, dans “Le Quiétisme aux
Etats-Unis, contribution à Madame Guyon”, Rencontres…
Millon 1997, pp.131-143, cite une de ces deux entrées : Autobiography
of Madame Guyon, translated in full by Thomas Taylor Allen, pub. in 1897 at
London (Kegan Paul and Co.) [British Library cote 4864 dd. 20] and at St Louis
(B. Herder). Again pub. in 1980 by Keats pub., evangelical institution. »
L’autre entrée est : Autobiography
of Madame Guyon, by Ed. Jones, New York (Bible House) 1880 repr. 1886 and
Philadelphia 1880 up to 1905 by McCalla and Chicago 1917 ...actuellement
rééditée par Moody press »[1422].
6/ Schrader,
Rencontres… pp. 83-129, cite deux
traductions allemandes : chez Walther en 1727 puis chez Sander en 1826.
Le
corpus retenu comporte six parties. Les trois premières, considérables, furent
partiellement accessibles depuis la première édition de La Vie de Madame Guyon
écrite par elle-même qui suivit de peu la mort de l’auteur, (nous intitulons ces trois parties, Vie par elle-même : I Jeunesse - Vie
par elle-même : II Voyages - Vie par elle-même : III Paris). Les
deux parties suivantes restèrent méconnues jusqu’à notre époque (nous les intitulons, Prisons, récit autobiographique - Blois, témoignages). Enfin le complément
des Lettres et poèmes est placé en
dernier afin de ne pas rompre le fil du récit. Nous décrivons notre
établissement du texte puis en Avertissement les présentations adoptées,
incluant celles de l’apparat critique :
Nous
établissons cette première édition critique de la Vie proprement dite en
prenant pour leçon le manuscrit Rawlinson D525, Oxford Bodleian Library, dénoté
ms. d’Oxford ou O. Le passage relatif à Fénelon, qui avait été retiré de
l’exemplaire de la Vie communiqué aux examinateurs d’Issy, a été conservé aux
Archives Saint-Sulpice[1423].
Il est rétabli dans le texte, précédé de ‘[B S’ et terminé par ‘B S]’[1424].
Nous
introduisons dans le texte principal les principales variantes du manuscrit 115
de la Bibliothèque Municipale de Saint-Brieuc, dénoté ms. de Saint-Brieuc ou B.
Cela est possible car elles constituent le plus souvent des additions toutefois
connues de Poiret qui eut accès à une copie très proche de B.
Nous
avons décidé : (i) de rétablir la leçon de O sous sa forme primitive,
rétablissant des passages biffés ou même lourdement raturés et s’écartant
parfois de l’ordre retenu par Poiret[1425]
qui est indiqué sur le manuscrit par des traits ajoutés, des rappels etc., (ii)
d’éditer les ajouts de B livrant souvent ce qui est de nature très
confidentielle à un confesseur ami de toute confiance.
Une telle décision va parfois contre la volonté de discrétion de Madame Guyon, comme le prouve la présence de quelques ajouts autographes indiquant qu’elle a parcouru O sous une forme proche de l’édition préfacée par Poiret puis réalisée par ses associés. Nous justifions cette indiscrétion par des différences historiques d’appréciation des confidences portant sur la vie privée et par le relief que prend la transformation assurée par la grâce lorsque toute autocensure est évitée : Madame Guyon veut témoigner combien la grâce divine est indifférente à tout mérite préalable.
Ceci impose un alourdissement éditorial dans la mesure où il faut rendre visible divers états du texte et la diversité de ses sources lorsque les variantes s’avèrent significatives. On double alors les variantes (données en fin de volume suivant les règles érudites) mais ces dernières sont alors réduites au signalement de leur début et à leur fin, ce qui évite de reproduire deux fois un même texte.
Techniquement, nous avons résolu les problèmes de sources et d’états du texte comme suit :
Tout emprunt à B est introduit par ‘/’ et terminé par ‘//’ (dans le cas d’une autre source que B, on ajoute en outre un sigle distinctif, par exemple ‘/S’ pour les Archives Saint-Sulpice) .
Deux cas se présentent : si les additions sont absentes de notre leçon O, elles sont données en italiques afin de souligner leur origine étrangère ; si les passages de B s’avèrent être des lignes par ailleurs lourdement raturées de O qu’ils permettent ainsi de rétablir[1426], nous conservons le corps romain retenu pour notre leçon O. Le lecteur est ainsi informé à vue et simplement d’une situation complexe.
Nous allégeons la présentation en ne signalant pas systématiquement les recours à B (ils sont par ailleurs toujours indiqués en variantes de fin).
Les variantes en fin de volume rendent compte de plusieurs sources : (i) les variantes et additions mineures de B et d’autres manuscrits, (ii) les variantes de l’édition posthume Poiret ou P, qui fut l’unique source accessible durant trois siècles. Ces variantes de P, même significatives ou longues, sont alors systématiquement reportées en fin de volume. Elles représentent parfois un complément par rapport aux manuscrits[1427]. S’il nous semble présenter un intérêt particulier, nous attirons alors l’attention du lecteur par de (rares) notes en bas de page renvoyant à la fin du volume.
Des sources secondaires apparaîssent en variantes de fin pour la troisième partie de la Vie sous les références Lettre du 25 juillet [1694], S1, S2. Elles ont été décrites précédemment.
Nous facilitons la lecture par une orthographe modernisée et par l’attention portée à la ponctuation. Elle est omise dans O, rare mais judicieuse dans B, par contre trop abondante chez Poiret, selon l’habitude des éditions du temps souvent destinées à être lues à voix haute.
Nous nous appuyons sur les références scripturaires (propres à la Vulgate) données par le pasteur Poiret.
Le lecteur dispose, à la suite du corpus, d’un outil détaillé de consultation sous forme d’un résumé analytique[1428] qui facilite la recherche d’événements, de personnes et de lieux et sert de table de correspondance entre notre édition et celle de Poiret reproduite par la suite.
Le texte de la Vie ne serait pas complet s’il n’était
suivi de la description de la longue période passée dans les prisons de
Vaugirard, Vincennes et la Bastille. Elle a été rédigée par l’auteur en 1709 et
réservée au cercle des disciples intimes, conformément à l’engagement pris par
les prisonniers de la Bastille de ne jamais divulguer les événements vécus
pendant leur internement. Le secret fut bien gardé puisque le manuscrit de Chantilly/ Sèvres n’a été découvert,
puis publié que récemment[1429].
Nous divisons ce texte continu dans le manuscrit en huit chapitres.
La Conclusion constituant le dernier
chapitre de la troisième partie de la Vie
a été laissée à sa place, avant le
récit des prisons afin de respecter
l’unité stylistique. Sa reprise à la fin du ms.
de Chantilly/ Sèvres apparaît dans
les variantes.
On trouvera ici, à la suite d’un passage autobiographique portant
sur l’état intérieur de son auteur, des témoignages qui furent rédigés
après la mort de Madame Guyon par des disciples, en réponse à des demandes
d’information sur notre mère. Parfois
naïfs, souvent hagiographiques, ils sont irremplaçables par les traits
révélateurs fournis sur la Dame Directrice[1430]
et renseignent sur son activité apostolique menée après sa libération de la
Bastille auprès de ses disciples qu’elle nommait cis (français) et trans
(étrangers).
Ces textes figurent à
la fin des éditions du XVIII° siècle, très certainement par la volonté de
l’auteur en ce qui concerne les lettres. Elles apportent un témoignage
intéressant sur la dureté des traitements de personnes moins considérables et
sur la fidélité de celles et ceux qui la connaissaient le plus intimement. Les
poèmes furent très connus et appréciés au XVIII° siècle ; ils pâtissent
d’une « relecture » par l’éditeur, outre le fait qu’ils constituaient
plutôt des chansons de veillées selon les airs connus retrouvés dans l’édition
d’ensemble des poèmes en 3 volumes et indiqués en notes.Nous ajoutons deux
cantiques non retouchés.
Les
principes d’édition ont décrit les solutions jugée pertinentes pour la
présentation du texte de cette première édition critique, compte tenu des sources
et de leurs états successifs. Nous visons une reconstitution la plus précise
possible alliée à la lisibilité.
Tout
emprunt à une source autre que notre leçon constituée par le manuscrit d’Oxford
est introduit par un trait transversal ‘/’ et terminé par un double trait ‘//’.
Il est édité en corps italique ou romain selon qu’il est inconnu de O ou qu’il
est présent sous une forme identique ou voisine rendue volontairement
illisible.
Nous
avons unifié outre l’orthographe des noms communs, celui des noms propres, qui
varie beaucoup dans les manuscrits et avons fait, le choix (délicat) de
rétablir toujours les noms complets
et cela sans introduire de crochets, afin de faciliter la
lecture. Ainsi de nombreuses initiales sont-elles transcrites en
entier : J.C. devient Jésus-Christ, le p.m. devient le petit Maître, G.
devient Granger, le P L C devient le Père La Combe… Le risque d’erreur
d’attribution est heureusement réduit, et nous l’indiquons en note en cas de
doute.
Le
texte manuscrit se présentait sous la forme la plus compacte : nous avons
gardé le découpage de la Vie en chapitres,
selon Poiret, le premier éditeur. Outre son usage qui s’est imposé
pendant trois siècles, il se révèle excellent[1431].
Nous avons ajouté nos chapitres ou divisions complémentaires pour les autres
textes.
Entre
crochets, figurent les numéros des paragraphes de la première édition (chiffres
suivis d’un point) - permettant de retrouver une citation établie avant la nôtre
- ainsi que la pagination (chiffres seuls) des sources manuscrites que nous
avons utilisées - notre travail étant le premier réalisé d’après ces sources[1432].
Ces paginations sont en effet le seul moyen de se reporter aux sources
manuscrites qui ne comportent ni chapitres, ni paragraphes, ni titres. Le
manuscrit O comporte ainsi deux parties paginées de [1] à [299] puis de [1] à
[89], le manuscrit B comporte 5 parties paginées de [1.1] à [5.365].
Les
renvois à des passages de la Vie sont
localisés à l’aide d’une séquence : partie, chapitre, paragraphe. Elle est
indiquée (entre parenthèses) après la pagination de ce volume : par
exemple p. 000 (1.27.8) renvoie à la page 000, première partie de la Vie, chapitre 27, § [8.] de Poiret. Nous
introduisons des paragraphes pour aérer de très longs développements.
Nos
notes constituant l’apparat critique en bas de page sont tributaires
principalement de travaux de URBAIN & LEVESQUE (éditeurs de la Correspondance
de BOSSUET), Jean BRUNO (éditeur d’extraits de la Vie), Jean ORCIBAL (un des éditeurs de la Correspondance de Fénelon), Marie-Louise GONDAL (éditeur des Récits de captivité) et d’autres moins
proches de notre sujet tel BOISLISLE (éditeur de Saint-Simon) Nous avons
condensé ces notes - certaines d’entre elles, telles les études fascinantes de
Jean ORCIBAL couvrent une page entière.
Une
note en bas de page, courte parce qu’elle ne veut pas distraire le lecteur du
texte complexe de Madame Guyon, s’avère insuffisante si l’on veut se former la
silhouette ou l’image d’un personnage ou d’un lieu jouant quelque rôle dans sa Vie. Nous renvoyons alors à des Index des noms ou de lieux donnant une brève biographie ou une description colorée
mieux adaptée à cet effet. Un Index
général donne par ailleurs les numéros de pages où apparaîssent (une ou
plusieurs fois) des mots-clefs du texte jugés significatifs (de personnes, de
lieux, notionnels).
Nous
avons conservé une certaine extension à des notes citant des textes parallèles
aux descriptions de la Vie éclairant
la vie intérieure. Il s’agit le plus souvent d’extraits d’auteurs influents ou
aimés de Madame Guyon ou bien de sa propre correspondance, qui s’avère souvent
plus vigoureuse que le passage correspondant de la Vie. Un bref Index des principales notes permet de
les situer dans la Vie. On ne peut
toutefois accéder à une grande précision dans le domaine de l’évolution
intérieure. Les correspondances non datées de Bertot et de Maur, souvent de
Madame Guyon elle-même, rend délicat le
choix de la position d’une note jugée par ailleurs utile à la définition d’un
état.
Les
variantes de fin de volume suivent les règles utilisée dans l’édition des Œuvres de Fénelon par J. Le Brun.
Permettant une reconstitution précise elles n’assurent cependant pas une
transparence immédiate, surtout pour des variantes longues. Aussi leur
ajout dans le texte apparaît-il justifié. Les variantes de fin
constituent toutefois un ensemble qui demeure complet. Elles situent tout ajout par son début et sa
fin - ce qui constitue un doublage heureusement très limité. Elles
donnent alors, s’il y a lieu, les variantes propres à ces ajouts eux-mêmes,
ceci en particulier pour des sources secondaires (v. notre description
précédente des sources de la troisième partie de la Vie).
Un Glossaire est indispensable au lecteur
moderne – et pourra s’avérer précieux
dans le cas d’une traduction. Son établissement nous a permis de découvrir de
nombreux faux-amis, compte tenu de l’évolution de la langue. Tout synonyme
proposé en note y renvoit implicitement.
1648 : naissance.
1664 : mariage.
1674 : décès de sa mère spirituelle Geneviève Granger suivie d’une nuit profonde.
1676 : cinquième enfant ; décès de son mari.
1680 : délivrance intérieure.
1681 : décès de son directeur mystique Monsieur Bertot suivi du départ hors de France.
1682 : communications intérieures avec le Père La Combe, à Thonon. Première rédaction de la Vie commandée par ce dernier ; les Torrents.
1684 : Activités apostoliques à Turin et Grenoble. Le Moyen Court ; Explications de l’Ancien et du Nouveau Testament.
1686 : retour à Paris.
1688 : courte période de captivité. Suite de la rédaction de la Vie. Sa sortie au bout de 8 mois est suivie de son activité à la cour et à Saint-Cyr. Correspondances avec Fénelon, le duc de Chevreuse, la duchesse de Mortemart.
1694 : Perte de la faveur de Madame de Maintenon ; Les Justifications ; Examens d’Issy.
1696 : début de la longue période des prisons. Reprise de la rédaction de la Vie.
1703 : sortie de la Bastille.
1705 : achat d’une maison à Blois.
1709 : Fin de la rédaction de la Vie et du récit des prisons. Activité apostolique et Correspondances avec les disciples français et étrangers.
1717 : décès.
Cette
chronologie constitue un canevas se prêtant à une lecture suivie. Il veut
permettre le repérage précis des événements tels qu’ils sont racontés dans la
Vie. Seuls les événements personnels sont rapportés. Insérer des événements
d’une portée plus générale, tels que les étapes du procès fait aux quiétistes,
pour lesquelles on se reportera à nos bibliographies[1433],
eût grossie démesurément l’outil. Nous avons dû faire des hypothèses dans un
tel travail, en particulier pour la partie couvrant la période des voyages. La
documentation reste à ce jour lacunaire pour l’enfance, pour les années 1690 à
1692, 1704 à 1717[1434].
13 avril 1648 à Montargis : naissance à 8
mois (1.2.1[1435]).
Le 24 mai, baptême ; évanouissements (1.2.3-4).
1650 : On me mit à deux ans et demi aux Ursulines, où
je restais quelque temps (2.2.5).
1651 : La Duchesse de Montbazon vint aux Bénédictines
... J’avais alors quatre ans, j’étais continuellement malade ... j’aimais ...
d’être habillée en religieuse ; rêve de l’enfer (2.2.6). Dans sa famille
l’éducation est laissée aux domestiques ; préférence de la mère pour le
frère ; elle joue dans la rue (2.2.8, 12-13[1436]).
1655 : J’avais alors près de sept ans. Il y
avait là [aux Ursulines] deux de mes
sœurs religieuses (1.3.1).
1656 : Chute dans un cloaque
profond (1.3.4) ; Sa sœur paternelle
l’instruisit si bien qu’elle intéresse Henriette de France veuve de Charles
Ier, de passage en exil (1.3.2).
1657 : Jalousie de sa sœur maternelle, mauvais
traitements, culpabilité vis-à-vis de sa sœur paternelle dont l’accès lui est
interdit ; vomissement de sang ; double langueur de corps et d’esprit
(1.3.6).
1658 : Elle passe très peu de temps chez mon
père (1.3.6-7) et séjourne chez les Sœurs de St Dominique : une fille …
avait de l’esprit et deux fois mon âge ... [elle] me fit faire un péché ;
petite vérole volante ; persécutions des grandes pensionnaires
(1.3.7-8 Var B[1437]).
1659 : Après avoir été environ huit mois dans
cette maison ... ma mère me prit auprès d’elle ... elle m’aimait un peu plus,
parce qu’elle me trouvait à son gré (1.4.1).
13 avril 1659 (jour anniversaire de ses onze ans) aux
Ursulines, entre les mains de ma très chère sœur ... communion à Pâques ...
l’on me laissa jusqu’à la Pentecôte (1.4.4). - Il se présenta quantité de partis
... j’aimais fort la lecture (1.4-5). Rencontre de M. Chamesson-Foissy,
missionnaire à la Cochinchine … Tout ce que je voyais écris dans la vie de
Madame de Chantal me charmait ... je n’avais pas encore douze ans, je prenais
néanmoins la discipline (1.4.4-8).
1660 : Je ne pensais plus qu’à me faire
religieuse et j’allais très souvent à la Visitation (1.4.9) ; elle sert
son père malade (1.5.1) ; fièvre double-tierce de quatre mois (1.5.5).
1661 : Un gentilhomme vertueux fit entendre à
son père que je ne le désagréerais pas … j’avais alors treize ans et demi ...
si grande et ... l’esprit si avancée que je surpassais beaucoup mon âge
(1.5.6).
1662 : Ce jeune gentilhomme ... disait tous les jours l’Office, je le
disais avec lui (1.5.7 VarB). Je péchai deux fois avec une fille
(1.5.9-10 VarB).
1663 : à Paris, chez son frère ; un jeune
homme passionné se tenait toute la nuit
à me conter des extravagances, et quoi qu’il fut nu en chemise ... je ne
croyais pas ... qu’il y eut du mal d’être cause que d’autres vous offensassent
(1.6.1 VarB).
1664 : à Montargis, le 28 janvier, elle est fiancée à
Jacques Guyon, héritier d’une grosse fortune. Elle n’a pas encore 16 ans, il a
38 ans et la voit deux jours avant le mariage (1.6.3). Le 18 février, signature
du contrat de mariage. Celui-ci est célébré quelques jours plus tard.
Désillusions : leur manière de vivre
était très différente ... c’était changer du blanc au noir. Opposition de sa
belle-mère, mari lointain (malgré sa passion), timidité, solitude
(1.6.5 VarB, 1.6.6).
Le 17 mars, mort de sa demi-sœur paternelle Marie de
Ste Cécile qui l’instruisit si bien ; retour à Dieu ; mari malade.
1665 : Le 21 janvier, naissance de son
premier enfant, Armand-Jacques ( il vivra jusqu’en 1720); Jacques Guyon
part à Paris chez la duchesse de Longueville en vue de régler ses difficultés
financières. Je n’avais qu’à peine 19 ans (en fait 17 ans !) ;
faiblesse, abcès, maux de tête ; pertes financières dont sa belle-mère est
inconsolable (1.7.2 ; 1.7.6)
1666 : à Paris : Mme de Longueville ... me
témoigna beaucoup de joie de me voir. Mon mari fut fort content de cela car
dans le fond il m’aimait beaucoup (1.7.8). Grave maladie : L’on m’apporta
le saint Viatique à minuit ... Il n’y avait que moi à qui la mort était
indifférente (1.7.10).
1667 : Retour à Montargis au printemps, sa mère meurt
en juillet. Elle rencontre Madame de
Charost[1438] :
Je voyais sur son visage quelque chose qui me marquait une fort grande présence de Dieu ... Elle, me voyant si
multipliée, me disait souvent quelque chose, mais il n’était pas temps (1.8.2).
Deuxième passage du missionnaire : Il aurait
bien voulu me donner une autre méthode d’oraison ... Je crois que ses prières
furent plus efficaces (1.8.3-4). Enfin Dieu permit qu’un bon religieux fort
intérieur de l’ordre de Saint-François [Archange Enguerrand] passa
: « C’est Madame que vous cherchez au dehors ce que vous avez
au-dedans » (1.8.5-10). Entrée dans l’oraison de foi savoureuse (1.9), bien au-dessus des
extases ... état très épuré, très ferme et très solide (1.10.1). Descriptions[1439]
de ces états (1.19.1-10)
1668 : Le 8 janvier 1668 naissance d’Armand-Claude (meurt en 1670) ; austérités et mortifications excessives (épisode du
crachat).
Plaie amoureuse à la date de la Madeleine, en juillet
; le père fit trois sermons admirables ...je ne pouvais presque entendre les
paroles ... mon Dieu ... votre parole faisait une impression sur mon cœur
directement ; fête de Notre Dame de la Portioncule dans le couvent où
était ce bon père ... trait de pur
amour... ; description de ces états (1.10.2-7, 9-12) et de la
purification, un purgatoire amoureux et tout ensemble rigoureux (1.11).
Epreuves. Ce bon père [Enguerrand] ... me donna la
connaissance de ... Geneviève Granger, qui était une des plus grandes servantes
de Dieu de son temps tandis que confesseur et famille s’élèvent contre elle
(1.12). Il se faisait en moi sans bruit de paroles une prière continuelle ...
j’allais quelquefois voir la mère Granger ... lorsqu’on savait que j’y avait
été, c’était des querelles qui ne finissaient point (1.13.2-3). Suivent des
sécheresses et des infidélités qui n’empêchent pas l’expérience continuelle de
la présence divine (1.13.4-7) au prix d’un feu dévorant qui ne cessait pas
que le défaut ne fut purifié … [et d’un] exil de mon fond (1.13.10).
Episode du cadeau de nuit à Saint-Cloud ;
rencontre d’un inconnu au pont Notre-Dame (1.13.12). Passion : je ne pouvais haïr ce qu’il y avait
en moi qui la faisait naître ; voyage en Touraine ; la mère Granger ... me
remit et m'encouragea (1.14.5).
1669 : Le 2 juin, baptême de Marie-Anne
(meurt en 1672) ; Voyage à Paris.
1670 : Voyage à Orléans et en Touraine avec son
mari. Pèlerinage aux Ardilliers à Saumur. A son retour, en septembre, ses trois
enfants contractent la variole. Le 4 octobre elle contracte la variole, son
fils cadet meurt le 20 octobre[1440] ;
elle-même et son fils aîné restent défigurés (1.15.3 ss.), ce qui n’empêche pas
la passion d’un gentilhomme et ses artifices habiles (1.15.10, Var B).
Tracasseries et révolte du fils : Il me
disait : « ma grand-mère dit que vous avez été plus menteuse que
moi. » Mari indifférent et lointain : je tremblais quelquefois
lorsque je l’approchais. Belle-mère rude : j’étais si timide que je ne lui
savais parler et mon silence la fâchait. (1.17.8-9 ; Var B).
1671 : En juin ou juillet première rencontre
avec le P. la Combe envoyé par son demi-frère paternel Dominique de la
Mothe : je lui dis des choses qui lui ouvrirent la voie de l’intérieur
...j’étais bien éloignée de prévoir que je dusse jamais aller à un lieu où il
serait (1.18.1-2).
Oraison continuelle : Tout ce qu’il y avait, c’est
que je sentais un grand repos et grand goût de la présence de Dieu, qui me
paraissait si intime qu’il était plus en moi que moi-même (1.18.2-8). Epreuve
intérieure. Je commençai à éprouver que la vertu me devint ... d’un poids
insupportable, non que je ne l’aimasse extrêmement mais c’est que je me
trouvais impuissante de la pratiquer. Chasteté par protection visible et
sensible et grâce à un amortissement entier de la vivacité du sentiment (1.18.8
Var B & P ajout[1441]).
Le 21 septembre 1671, rencontre avec M. Bertot aux
Bénédictines[1442]
par l’intermédiaire de la mère Granger, puis à Paris (1.19.1-2).
1672 : En mai-juin, mort de son père et de sa
fille[1443] :
Je me résolus, après avoir vu M. Bertot ... d’aller passer les dix jours de
l’Ascension à la Pentecôte dans une abbaye à quatre lieues de Paris . Le
séjour est interrompu par la mort pressentie de son père ; sa fille morte,
il ne lui reste plus qu’un fils : malade à la mort, Dieu le rendit aux
prières de la mère Granger (1.19.3-9). La veille de la Madeleine ... la mère
Granger m’envoya un petit contrat :
mariage spirituel le 22 juillet (1.19.10-11).
1673 : En juillet, pèlerinage à Alise Sainte
Reine près de Semur-en-Auxois[1444].
Le jour de l’Assomption : O si M. Bertot savait ce que je souffre !
Il lui écrit ce même jour (1.19.13). Conversion d’une dame : elle me dit
« votre silence ...me parlait jusque dans le fond de l’âme »
(1.20.2).
1674 : Le 31 mai, naissance de son quatrième
enfant, Jean-Baptiste-Denys (qui vivra jusqu’en 1752)[1445].
Nouveau pèlerinage à Ste Reine et à St Edme de Bourgogne au tombeau de St
Edmont de Cantorbéry à Pontigny.
Le 5 octobre, mort de la mère Granger : M.
Bertot quoiqu’à cent lieues ... eut connaissance de sa mort et béatitude …
comme on lui parlait de moi à dessein de la réveiller, elle dit :
« Je l’ai toujours aimée en Dieu » et ne parla plus depuis
(1.20.6-7).
Le 25 novembre, elle assiste au mariage de son frère
Jacques à Orléans. Monsieur Bertot lui envoie un précepteur pour son fils et
elle apprend le latin sous sa direction. Opposition de son frère vis-à-vis
d’elle-même et de son mari, engagement du frère vis-à-vis du frère du roi pour
deux cent mille livres ramené à ... cent cinquante livres par son intervention
(1.20.8-10).
Je commençais à vous perdre ... quant au sentiment
perceptible, car il ne s’agissait depuis longtemps ni du sensible ni du
distinct ; description de la voie de mort et de foi (1.21.2-5).
1675 : Inclination pour un ecclésiastique
janséniste : cette liaison dura deux ans et demi (1.21.1, 6-9).
Nuit intérieure : Je croyais être perdue ... M.
Bertot ne me donna plus de secours ... il n’y avait plus qu’un juge rigoureux
... Je ne pouvais plus aller voir les pauvres ... [ni] rester un moment à
l’église ... promptitudes extérieures ... sentiment de tous les péchés (1.21.9-12).
1676 : Le 21 mars, naissance de Jeanne-Marie,
son cinquième enfant[1446].
Le 21 juillet, mort de son mari après trois semaines de souffrances, la veille
de la Madeleine ; certitude de son salut et songe de la mère Granger
(1.22.1-7). Elle reste veuve avec des revenus considérables de plus de 70.000
livres annuelles. Belle-mère intéressée ; règlement de procès
(1.22.8-11).
Description de la nuit mystique qui durera sept
années et surtout cinq ans sans un instant de consolation (1.23).
1677 : Voyage à Paris pour faire retraite. M. Bertot l’ignore et cela me
faisait encore plus croire que j’étais déchue de ma grâce ; mais il lui
attache un ecclésiastique et je lui servais beaucoup pour son intérieur ;
réciproquement il lui fut d’une très grande utilité (1.24.1-3 et Var B) .
Cabale janséniste et persécutions de ce Monsieur avec
lequel j’avais rompu. Nuit, une expérience de misère et un sentiment
inconcevable de ma bassesse (1.24.5-8). Description (1.25).
1678 : Elle achète une maison contigüe à celle
de sa belle-mère et devient indépendante[1447]
1679 : Elle se trouve mise en rapport
fortuitement avec le P. la Combe, devenu en 1678 supérieur d’une maison
Barnabite à Thonon. Epreuves extérieures parallèles à celles de la
nuit intérieure : abandon de tous, accusations contre l’ecclésiastique
maintenu par Bertot : il me fallut boire la double confusion qui me
venait de lui et de moi (1.26).
1680 :
Rupture avec l’ex-belle-mère : je me vis réduite
à sortir au fort de l’hiver avec mes enfants et la nourrice de ma fille, sans
savoir que devenir (1.26).
Retour sur les épreuves et sur la nuit à son stade
final : une folie si étrange de mon imagination qu’elle ne me donnait
aucun repos … plus aucun espoir de sortir jamais d’un état si pénible … Mon
froid me parut un froid de mort (1.27.1 à 6). Elle écrit au P. La Combe. Genève
me venait dans l’esprit, aussi elle craint l’apostasie. Songe de la mère Bon
encore vivante à ce moment là, mais qu’elle ne connaissait pas, dont elle fut
extrêmement consolée. Elle écrit de nouveau au P. la Combe (1.27.7-8).
En juillet : Ce fut ce jour heureux de la
Madeleine que mon âme fut parfaitement délivrée : liberté, béatitude,
netteté de l’esprit, pureté du cœur. Comme je fus longtemps à la campagne et
que le bas âge de mes enfants ne requérait pas trop mon application ... je
donnai lieu à l’amour de me consûmer … dans un entière paix (1.28).
A Paris, je parlai moi-même à M. de Genève … je fus voir la supérieure des
Nouvelles Catholiques … J’allai consulter le père Claude Martin, fils de la
mère de l’Incarnation du Canada ; M. Bertot me dit que mon dessein était
de Dieu ; lettres du P. la Combe (1.29.3 à 11).
1681 :
Peine de quitter ses petits enfants de 4 et 6 ans
(1.29.1). Amitiés de sa belle-mère et d’une fille au moment de leur
séparation ! (1.30.1-2). L’année que je partis ... l’hiver de devant fut
un des plus longs et des plus rudes ... C’était en 1680[1448]. Hésitations envers les Nouvelles Catholiques
(1.30.5). En mars, mort de Jacques Bertot.
Voyage : Elle quitte Montargis
pour Paris où elle confie à Denis Huguet, conseiller au Parlement et cousin de
son mari, le soin de gérer les biens de ses enfants, se réservant pour elle et
pour sa fille 15 000 livres de rente ; puis elle part secrètement avec sa
fille : je partis après la Visitation
de la Vierge. A Corbeil elle voit Enguerrand qui la prévient contre les
Nouvelles Catholiques. Nous arrivâmes à Annecy la veille de la Madeleine
1681 (2.1.1, 6, 9).
Arrivée à Gex le lendemain de la Madeleine 22 juillet
où nous ne trouvâmes que les quatre murailles. Angoisses pour sa fille
(2.1.10). Le P. la Combe vient la voir. Description de la communication
intérieure (2.2.1-5)
En septembre elle mène à Thonon sa fille qu’elle
confie aux Ursulines[1449]
et rencontre un ermite qui a des visions prémonitoires (2.2.6-8, 9 Var B).
De retour à Gex elle est critiquée en France en
particulier par son frère le P. La Mothe mais soutenue par M. de Genève qui lui
donne le P. La Combe comme directeur (2.3.1-6). Maladie, indifférence des
sœurs, guérison par le P. la Combe, abandon à la volonté divine (2.3.7-11)
A Thonon en Décembre elle fait une retraite
de douze jours sous la conduite du P. la Combe puis rentre à Gex par Genève. Grave chute de cheval suivie de visions
(hallucinations ?) attribuées au démon (2.4.9 à 2.5.3). Sa famille tente de la faire revenir à Paris.
1682 :
Le 3 février, elle abandonne la tutelle de ses
enfants à sa belle-mère. Le 11 février, retraite
aux Ursulines de Thonon[1450].
Description de son état de joie dans
une largeur immense ; tout est nu et net ; l’âme par la mort à
elle-même passe en son divin objet (2.4.1-9). Le 3 mars elle renonce à ses
biens personnels en échange d’une pension. Ses proches ne font plus d’instances
pour son retour mais demandent un
procuration : Je me défis donc de mon bien ... chose dont je n’ai jamais
eu ni repentir ni chagrin.
M. de Genève est circonvenu : sachant qu’elle
refuserait l’on me proposa l’engagement et la supériorité [des Nouvelles
Catholiques] ; le P. la Combe qui refuse de faire pression est décrié ;
prémonition d’un prêtre âgé (2.6). Lettres interceptées ; calomnies
mettant en cause ses rapports avec le P. la Combe (2.7.1-3).
Description de son état nu et perdu, songe des deux
gouttes d’eau, l’une claire, l’autre pleine de petites fibres, images des voies
de la foi et de lumières ; confirmation de sa maternité spirituelle
vis-à-vis du P. le Combe et de bien d’autres (2.7.5 à 11).
Description de l’âme bien abandonnée, inébranlable,
passive : ce qui fait la perfection d’un état fait toujours l’imperfection
et le commencement de l’état qui suit … la conduite de la providence suivie à
l’aveugle fait toute sa voie et sa vie ... elle voit bien que lors qu’elle
préfère le vertueux au défectueux elle commet une faute ... Jusqu’à ce
qu’on en soit là, l’on est peu propre pour le prochain (2.8.1 à 14).
Pendant le Carême elle est atteinte d’un abcès à la
tête, sa fille est malade et mal
éduquée, mais elle demeure en paix ; elle décrit son état fixe et ferme
(2.9.10-13). Après Pâques, elle s’entretient avec le versatile M. de Genève
(2.7.13). En mai, la variole de sa fille est guérie par le P. la Combe. En juillet sa sœur vient de Sens avec une bonne
fille (2.9.1-9).
Elle fait retraite avec le P. la Combe, et écrit les
Torrents[1451].
Sitôt que le P. La Combe fut arrivé [de retour de Rome][1452]...
je le priai de me permettre une retraite ... je me laissai dévorer à l’amour
... fort mouvement d’écrire (2.11.1-5).
Elle est plongée dans la foi nue (2.11.6-8).
Direction d’une fille et de religieuses (2.12.1-5).
Du 14 septembre 1682 au 3 mai 1683, la
« grande maladie[1453] » :
A Noël abcès et fièvre jusqu’à la
rêverie ; état de petite enfance et pouvoir sur les âmes (2.12.6 et Var B,
2.12.7). Union avec le P. la Combe, tourments lorsqu’il résistait à Dieu
(2.13.1 Var B). Appréciations de Paris, estime à Gex ; Fin de rédaction de
la Vie en novembre 1682[1454].
1683 :
Pendant le carême, le P. La Combe porte une partie de
sa maladie puis est remis en état de prêcher (2.13.4). Figure de la femme de
l’Apocalypse, vision du dragon. Elle est guérie par le P. la Combe : mon
cœur, reprenant un peu de vie, revint. (2.14.1-5). Fin des fièvres. Ce fut dans cette maladie ... que
vous m’aprîtes qu’il y avait une autre manière de converser avec les créatures
qui sont tout à vous, que la parole (2.13.5-12).
Etablissement d’un hôpital (2.14.5). Opposition de M.
de Genève. Elle vit le début de l’été dans une petite maison éloignée du lac :
Je pris ma fille avec moi ...j’achetai quelques chaises de paille avec de la
vaisselle de faïence, de terre et de bois. Jamais je n’ai goûté un pareil
contentement (2.14.7 (15.1)
Bref aller-retour à Lausanne en traversant le lac[1455]
(2.14.8).
A l’automne elle se rend à Turin chez la Marquise de
Prunai Souffrance liée au P. la Combe (2.15) et
à la purification de la fille qui l’accompagne ; comment porter la
purification des âmes ; consommation dans l’unité (2.16 et 20.8 Var B).
Conversions de religieux (2.17.1-5).
1684 :
Le 2 avril, départ de Turin avec le P. La Combe. Elle
s’arrête à Grenoble et reprend son apostolat qui s’étend à de nombreuses
communautés : elle se heurte au général des Chartreux Le Masson dont les
écrits lui feront par la suite un grand
tort (2.17.6-9). Etat apostolique (2.18.1 à 8). Description de l’état du pécheur
(2.19.1 à 11). Elle dirige des frères et des sœurs de monastères (2.20).
Elle rédige des Explications de l’Ecriture
sainte : il me fallait cesser et reprendre comme vous le vouliez … la main
ne pouvait presque suivre l’esprit … J’écrivis le Cantique des cantiques en un
jour et demi. Guérison d’un bon frère copiste (2.21). Communications en silence
(2.22.4-7).
1685 :
Le 7 mars, publication du Moyen court, à l’initiative d’un
conseiller au Parlement, Giraud.
L’évêque de Grenoble, Etienne le Camus[1456],
fait prier Mme Guyon de quitter Grenoble. Elle laisse sa fille aux Ursulines. A
Marseille, elle est appréciée de Malaval
mais supporte une cabale janséniste (2.23.2-6).
Après un voyage difficile sur mer (tempête) et sur
terre (mauvais accueil des Génois bombardés peu de temps auparavant[1457] ;
voleurs) elle arrive à Gênes le 18 avril (2.23.7-10).
Le 20 avril, le P. la Combe l’accueille fraîchement à
Verceil L’évêque V.A. Ripa est plus chaleureux (2.24.1-9). Le 24 avril à Turin, elle
est chez son amie la marquise de Prunai
(2.25.3).
Elle écrit le 3 juin à J. d’Arenthon, évêque de Genève, qui lui refusera de
s’installer dans son diocèse[1458]. Le 16 juillet, Molinos est arrêté à Rome.
1686 :
Publication par V. A. Ripa de l’ Oratione del cuore facilitata[1459].
Départ pour Turin. Le P. La Combe, nommé à Paris, l’accompagne ; ils croisent le P. La Mothe à Chambéry. Elle est
malade quinze jours à Grenoble ; tout nous annonçait croix. Passage
par Lyon et Dijon, rencontre de Claude Quillot qui sera condamné comme
quiétiste (2.25.5-7).
Paris Cloître Notre-Dame : J’arrivai à Paris la
veille de la Madeleine 1686, justement cinq ans après mon départ ;
intéressement du P. la Mothe et opposition de barnabites jaloux contre le P. La
Combe applaudi pour ses sermons (3.1.3). Piège pour insinuer des attaches
criminelles entre elle et le Père, qu’elle déjoue, refusant d’aller à Montargis
accompagné de ce dernier. Calomnies sur
le voyage de Turin à Paris (3.1.4-6. Enfermée dans ma chambre à genoux ... je
me trouvais lié de nouveau avec
Jésus-Christ crucifié ; tentative de la brouiller avec le tuteur de ses
enfants (3.1.7).
J’allai à la campagne chez Mme la duchesse de
Charost... il me fut donné un fort instinct de me communiquer à eux en
silence... on fut obligée de me délacer (3.1.9).
Manoeuvres
d’un couple contre le Père, calomnie sur un supposé comportement scandaleux à
Marseille entre ce dernier et Madame Guyon, accusations de Molinosisme ;
le P. la Mothe s’associe au Provincial et à l’Official (3.1.10-15). Il incite
tantôt le P. La Combe tantôt Madame Guyon à s’enfuir; lui-même et l’Official attaquent M. Bureau à
l’aide de fausses lettres ; sa
famille est prévenue contre elle mais le tuteur rencontre l’Archevêque de Paris
(3.2).
1687 :
Le 27 août, décret du Saint-Office contre
Molinos. Condamnation confirmée le 20 novembre par le Bref
« Coelestis Pastor. » ils
firent entendre à Sa Majesté que le P. la Combe était ami de Molinos ... sur le
témoignage de l’écrivain [faussaire] et de sa femme, qu’il avait fait des
crimes. Il est interdit de sortie de son couvent mais on le lui cache et sa
sortie pour une urgence permet de le
faire passer pour rebelle. (3.3.1-2). On lui fait remettre des papiers qui
aurait permis sa défense : on les supprima (3.3.4).
Le 3 octobre on le vint enlever pour le mettre aux
Pères de la Doctrine Chrétienne. Durant ce temps, les ennemis faisaient
faussetés sur faussetés ... pour le mettre à la Bastille ... sans le juger on
l’a enfermé dans une forteresse (3.3.5). Le P. la Mothe prit plus de soin que jamais
de me porter à m’enfuir ... l’on contrefit mon écriture ... ce fut sur cette
lettre supposée ... que l’on donna ordre de m’emprisonner le 29 janvier 1688
(3.3.6-12)
Elle reçoit une attestation en faveur du Père mais
très malade elle se la laisse enlever par le P. la Mothe (3.4.1-4). Après une
entrevue-piège avec l’Official on fit entendre que j’avais déclaré beaucoup
de choses ... ils se servirent de cela
pour exiler tous les gens qui ne leur plaisaient pas ... on m’apporta une
lettre de cachet pour me rendre à la Visitation du faubourg Saint-Antoine
(3.4.5-6).
1688 :
Le 29 janvier, enfermée seule dans une chambre ...
l’on m’arracha ma fille ... l’on eut la dureté de défendre que l’on me dit
nulle nouvelle d’elle ...pour la vouloir marier par force (3.5.1). Son
confesseur effrayé ainsi que ses amis l’abandonnent. Elle est tourmentée par
une gardienne et interrogée (3.5.3-15). Sa fille est entre les mains de la
cousine du cavalier à qui l’on la voulait donner, de la famille intéressée de
l’Archevêque de Paris, Harlay.
Elle ne peut parler à personne de sa famille ni
même au tuteur ; la communauté prit pour moi une très grande affection ; à
l’extérieur les calomnies redoublent ; chantage pour marier sa fille
(3.6). La supérieure ... leur représenta que la chambre où j’étais était petite
seulement ouverte d’un côté où le soleil donne tout le jour et au mois de
juillet ... on la fermait avec un bâton en travers, comme l’on met les chiens
au chenil ; lettres contrefaites ; tentative de trouver des faux
témoins ; maladie (3.7.1 et Var B ; 3.7.3-4).
Mme de Miramion et une abbesse parente de Mme de
Maintenon prennent sa défense : le roi ... ordonna à Mgr l’Archevêque de
me mettre en liberté ce qui ... ne le fâcha pas peu. (3.8.10). Elle continue la
rédaction de sa Vie chez Mme de Miramion ; elle serait sortie le 13
septembre[1460].
Quelques jours après ma sortie, je fus à B[eynes]
...ayant ouï parler de M. [l’abbé de Fénelon], je fus tout à coup occupée de
lui avec une extrême force et douceur … je souffris huit jours entiers, après
quoi je me trouvai unie à lui sans obstacles’ (3.9.9-10). La place particulière
occupée par Fénelon[1461]
(3.10.1-2).
1689 :
Elle est malade avec un abcès à l’œil trois
mois chez les dames de Mme de Miramion qui découvre les calomnies du P. la
Mothe (3.11.1-2).
Le 16 août, Fénelon est nommé précepteur du duc de
Bourgogne. Le 25 août Armand-Jacques,
fils aîné, est blessé à Valcourt. Le 26
août sa fille Jeanne-Marie épouse Louis-Nicolas Fouquet, comte de Vaux, frère
cadet de la duchesse de Béthune : Ma fille fut mariée chez Madame de
Miramion et je fus obligée, à cause de son extrême jeunesse, d’aller rester
quelques temps avec elle. J’y restai deux ans et demi (3.11.3).
Le 29 novembre mise à l’index du Moyen court.
1690 & 1691 :
Ayant quitté ma fille, je pris une petite maison
éloignée du monde … j’avais continué d’aller à Saint-Cyr ... [Mme de
Maintenon] me marquait beaucoup de bontés ... [ce qui dura] pendant trois ou
quatre années (3.11.5).
Rencontres avec M. Boileau et M. Nicole (3.11.6-8).
Maladie, c’était un poison fort violent qu’on m’avait donné ; elle prend
les eaux à Bourbon [l’Archambaud] (3.11.9 Var P) [1462].
1692 & 1693 :
Histoire étrange d’une fille possédée (3.12.3-5)
La dévote de M. Boileau la décrie et entraîne ce
dernier qui persuade l’évêque de Chartres ; Mme de Maintenon tint bon
quelque temps ... Elle se rendit ... aux instances réitérées de Mgr l’évêque de
Chartres (3.12.6 à 10). Le 2 mai, Mme de Maintenon prie Mme Guyon de ne plus
venir à St Cyr (3.12).
Quelques personnes de mes amies jugèrent à
propos que je visse Mgr l’évêque de
Meaux [Bossuet] qu’elle rencontre le 1er août chez le duc de
Chevreuse en sa présence. Elle lui remet tous ses écrits : il lut tout avec attention, il fit de grands
extraits et se mit en état ... d’écouter mes explications (3.13.1-4). Durant
l’été, Mme Guyon fait examiner ses écrits par Pierre Nicole, Boileau ‘de
l’Archevêché’[1463]
et Bossuet.
1694 :
Le 30 janvier, entretien rue Cassette
avec Bossuet : Ce n’était plus le même
homme. Il avait apporté ... un mémoire contenant plus de vingt articles
(3.13.5-11) … prétendait qu’il n’y a que quatre ou cinq personnes dans tout le
monde qui aient ces manières d’oraison ... il y en a plus de cent mille dans le
monde (3.14.3 à 13).
Changement d’attitude de Bossuet : le 4 mars,
lettre défavorable ; Jugement définitif condamnant la doctrine du pur
amour et de l’état passif. Le 2 avril, Mme de Maintenon est nommée supérieure
de Saint-Cyr.
Le 10 juin elle tente d’échapper par la retraite.
Lettre à Mme de Maintenon demandant de
justifier ses mœurs. Mort de M. Fouquet[1464]
qui se manifeste à elle ; elle prie ses amis de me regarder comme une
chose oubliée (3.15). On cherche les examinateurs : M. de Meaux, Mgr de
Châlons et M. Tronson. Elle leur adresse une lettre ainsi que des ouvrages et
les Justifications (3.16). De juillet à septembre, entretiens d’Issy.
Le 16 octobre, mandement de l’Archevêque de Paris
Harlay condamnant le Moyen Court et le Commentaire des Cantiques. Pendant cette
période... elle institue l’ordre des Associés de l’Enfant Jésus, plaisante les
Christofflets et recommande les Michelins[1465].
Elle est obligée de communiquer sa Vie aux examinateurs ; le duc de
Chevreuse est écarté des entretiens d’Issy par Bossuet (3.17.1-2).
1695 :
Le 13 janvier elle est à Sainte Marie de Meaux :
Je partis … dans le plus affreux hiver ... j’en eus une maladie de six semaines
de fièvre continue (3.18.1). Libelles, fausse lettre de M. de Grenoble et
réponses qui la justifient du P. Richebrac et du cardinal Le Camus. Stratagème
des fausses confessions (3.18.4-8).
Le 4 février, Fénelon est nommé Archevêque de Cambrai par Louis XIV.
Le 10 mars, signature par Bossuet, Tronson, Noailles
et Fénelon des 34 articles d’Issy (publiés dans 3 instructions pastorales des
16 avril, 25 avril, 21 novembre), assortis d’une condamnation des écrits de Mme
Guyon comme d’un opuscule du P. la Combe.
Le 12 avril, lettre du P de Richebrac. Ce même jour,
puis les 14 et 15 avril, visites de Bossuet. Le jour de l’Annonciation il
me dit qu’il voulait que je signasse que je ne croyais pas au Verbe incarné ...
Je lui dis que je savais mourir mais je ne savais point signer de faussetés
(3.18.9-11). Je lui montrai ma soumission ... il la prit ... et me dit qu’il ne
me donnerait rien, que je n’étais pas au bout … les bonnes filles qui voyaient
une partie des violences, n’en pouvaient revenir (3.19.1-4).
Le 2 juillet, Bossuet lui remet une attestation
d’orthodoxie. Attestation de la mère Picard et d’autres sœurs (juillet
1695). Le 9, Fénelon est sacré à St Cyr
par Bossuet assisté par les évèques de Châlons et d’Amiens. Il quittera Paris
le 31 pour arriver à Cambrai le 4 août.
Le 9 juillet comme il y avait six mois que j’étais à
Meaux, où je ne m’étais engagée d’y rester que trois ... deux dames vinrent
donc me quérir … Il débita que j’avais sauté les murailles du couvent ... je
pris la résolution de ne point quitter Paris ... Je restai de cette manière
environ cinq à six mois (3.19.6-9).
Le 10 juillet, Godet-Desmarais va à Saint-Cyr où il
se fait remettre les écrits de Mme Guyon et de Fénelon. Mme de la Maisonfort
résiste et reçoit le 6 septembre une lettre de reproches de Mme de Maintenon.
Le 6 août, mort de Harlay. Madame Guyon se réfugie au
Faubourg St Antoine puis près de St Germain l’Auxerrois. Fénelon vient à Paris. Le 14 (?), entretien
avec Mme de Maintenon sur Mme Guyon. Le 21, ordonnance de Godet-Desmarets
contre le quiétisme.
Le 30 novembre, Mme Guyon achète une
petite maison à Popincourt. Retour
de Fénelon à Cambrai le 11 décembre.
Elle est arrêtée le 27 décembre et après trois jours
en séquestre chez Desgrez ... on me mena à Vincennes (3.19.9).
1696 :
Je ne parlerai point de cette longue persécution...[1466]
(3.20).
31 décembre au 5 avril : Enfin après neuf ou dix
interrogatoires de six, sept et huit heures quelquefois, il [M. de la Reynie]
jeta les lettres et les papiers sur la table et dit « ...Voilà assez tourmenté
une personne pour si peu de choses » (C 10) [1467].
Pirot lui succède : il n’y a rien de plus violent que ce qu’il me fit … il
voulut repasser ... les interrogatoires ... [d’] il y avait huit ou neuf ans (C
13-14) Je demandai un confesseur pour mourir en chrétienne ... le P. Archange
Enguerrand ... on me fit un crime de cette demande (C 15-16).
Le 9 juin, « Mgr de Cambrai, M le duc de
Chevreuse et M. le duc de Beauvilliers sont venu voir M.Tronson ... ce n’a pas
été sans parler de Mme Guyon » (Orcibal). Fénelon compose un projet de
soumission, échanges de visites à Issy de Beauvilliers, Chevreuse etc.
Vers la fin du temps que je passai à Vincennes, l’on
me proposa de voir M. le Curé de Saint-Sulpice [la Chétardie] ... se jetant à
genoux sitôt qu’il fut entré ... Ce début et cette affectation me firent une
certaine impression de crainte … je le [M. Tronson] suppliai de me dresser une soumission qu’elle
signe ; on lui en apporte une autre sans quoi on ne me donnerait pas les
sacrements (C 17-18, 22-27).
Le 28 Août, M. Tronson reçoit la duchesse de Charost
puis les jours suivants le P. le Valois, M. de la Chétardie avant et après sa
visite à Vincennes à Mme Guyon, et finalement Fénelon. Parallèlement il rend
compte à l’Archevêque de Paris Noailles
et louvoie… Ce dernier obtient enfin de Mme Guyon une soumission.
Le 24 septembre, Mme de Maintenon écrit à Noailles
: J’ai vu notre ami [Fénelon]. Nous
avons bien disputé, mais fort doucement... rien ne l’entame sur son amie.
Le 7 octobre, Noailles ordonne le transfert de Mme
Guyon dans une maison de Vaugirard voisine de la maison de La Reynie et
dépendant de la communauté des soeurs de St Thomas de Villeneuve : on
aurait bien voulu me laisser à Vincennes ... mais on n’osait pas ... l’on fit
en un moment une communauté [de deux ou trois sœurs de Basse-Bretagne] ... M.
le Curé m’avait proposé avant d’être mise à l’Hôpital Général ... mais ils
n’osèrent à cause de ma famille (C 30-31). Le 16 octobre, on me mit dans une
chambre ... je pensai me rompre une jambe au travers du plancher ... on avait
encore bouché une petite fenêtre qui donnait de l’air ... Cette fille qui me
gardait ... venait m’insulter, me mettre le poing contre le menton. Récit des
tourments (C 34-57).
1697 :
Le 27 janvier, parution des Maximes des Saints de
Fénelon ; Bossuet répondra le 25 février par l’Instruction sur les états
d’Oraison, suivie le 26 juin de sa
Relation sur le quiétisme. Fénelon répliquera par sa Réponse du 26
juillet.
Pendant ce temps on exerce sur Madame Guyon des
méthodes brutales incluant une tentative d’empoisonnement (C 58-61) :
Je perdis presque la vue dans ce temps-là (C 63). La servante de la soeur qui
la garde épouvantée de voir tout ce que l’on me faisait ... ne put s’empêcher
de le dire à son confesseur qui lui rend service autant qu’il le peut (C 80).
La Chétardie rencontre à son retour de Vaugirard le
duc de Chevreuse à la porte d’Issy. Le 12 février, Mme de Maintenon écrivit à
Noailles : du moins Beauvilliers devra condamner Mme Guyon sans restriction. Ce
qu’il fera, suivant le conseil de Tronson[1468].
Le 1er août, Fénelon reçoit l’ordre
du roi de se retirer dans son diocèse.
1698 :
Après avoir été environ vingt mois dans cette maison, je reçus une grande
lettre de M. le Curé qu’elle reproduit ; pressions exercées sur ses gardiennes (C 80 à 106).
Le 20 mars, Bossuet transmet des lettres du P. La Combe à
Rome. Le 26 avril, transfert du P.
La Combe de Lourdes à Vincennes.
Le 14 mai, visite de M. de Paris qui lui montre une
(fausse) lettre attribuée au P. La Combe et la menace en présence de M. le
Curé (C 107 à 123).
Le 4 juin transfert à la Bastille ; Visite de Degrez, gêné (C 125-128) : Je fus
donc mise seule à la Bastille dans une chambre nue ... mais cela ne dura pas,
car on me donna une demoiselle qui ... espérait faire fortune ... si elle
pouvait trouver quelque chose contre moi (C 130-131) ; humidité du lieu
... très grande maladie ... On croyait que j’allais mourir (C 132-133).
M. d’Argenson vint m’interroger. Il ... avait tant de
fureur que je n’avais jamais rien vu de pareil ... plus de vingt
interrogatoires, chacun de plusieurs heures ; on l’interroge sur ses
rapports avec le P. la Combe, Fénelon... cet interrogatoire ... dura près de
trois mois (C 135-143). On place près d’elle une pauvre femme qui meurt se
croyant damnée (C 144-152).
1699 :
On place près d’elle une jeune filleule à laquelle M.
du Junca promet mariage ; elle reste 3 ans puis meurt quinze jours après
son départ, étique ; … elle soutenait la vérité avec un courage qui
n’était pas d’une personne de son âge (C 155 à 168). Suicide (raté) d’un prisonnier voisin : il arrive souvent de
ces choses (C 169-171).
Le 12 mars, Bref Cum Alias condamnant en termes
nuancés les Explications sur les Maximes des Saints.
1700 :
M.d’Argenson ... revint au bout de deux ans … je
souffris trente cinq ou quarante jours que dura cet interrogatoire des
déchirements d’entrailles que je ne puis exprimer ... sans manger ni
dormir. Dernier interrogatoire après l’Assemblée du Clergé de juillet
1700, présidée par Bossuet ; déclaration officielle qui marque le terme de
l’affaire du ‘quiétisme’ (C 171-180).
1701 :
En mai, on songe à la libérer, aucun délit réel ne
justifiant son incarcération. Bossuet s’y oppose ... selon le témoignage de Mme
de Maintenon. Pendant ce temps je crus que les choses n’étant fondées que sur
le mensonge, on me ferait peut-être mourir, cette pensée me donna tant de
joie... (C 179).
1702 :
M. d’Argenson me dit : ... « Vous voulez
goûter de la Conciergerie, vous en goûterez » et autres menaces ; on
veut l’empoisonner mais le médecin me dit à l’oreille de n’en point prendre (C
183-185). Deux songes : le P. la Combe livide ; le feu dans l’eau (C
186). Je fus plus d’un an seule ... mal aux yeux ... je ne pouvais ni lire ni
travailler ... très délaissée au dedans je me contentais sans contentement de
la volonté de Dieu. (C 187).
1703 :
En janvier ses enfants sont autorisés à la voir. Sept
ou huit mois de maladie (C 189). M. de Paris eut de très grands remords ; M.de
Blois (Berthier, ami de Fénelon) intervient ; opposition de son
fils ; Berthier réécrit à M. de Pontchartrain et reçut un nouvel ordre ...
de me laisser aller à une maison que j’avais louée de concert avec le
prélat (C 193-194).
Le 24 mars, elle part en litière avec son fils
Armand-Jacques pour le château de Diziers à St Martin de Suèvres. J’y demeurai
trois ans (C 194). Le 9 septembre, permission de six mois renouvelée puis rendue
définitive.
1704 : Le 12 avril, mort de Bossuet
1705 : Mme Guyon passe trois mois à Forges, près de
Suèvres puis M. de Blois fit agréer que
j’irais demeurer à la ville (C 194) ; elle se fixe à Blois, dans
une petite maison qu’elle a achetée près de l’église Saint-Nicolas[1469].
1706, 1707 & 1708 : Aucun événement notable
durant ces années : la vie publique est terminée. Madame Guyon se consacre
discrètement à la formation de disciples.
1709 : En décembre, fin de la rédaction de la
Vie et du récit des prisons.
1710 : Témoignage des liens avec Fénelon (lettre
à deux colonnes comportant les réponses de Madame Guyon).
1711 : Aucun événement notable.
1712 : Le 18 février, mort du grand dauphin. Le 5 novembre, mort du duc de Chevreuse.
1713 : Arrivée à Blois de Ramsay. Le 8
septembre, Bulle « Unigenitus ».
1714 : Le 31 janvier, mort du duc de
Beauvilliers. Correspondance avec Gabriel-Jacques, marquis de Fénelon ainsi
qu’avec de nombreux disciples étrangers (voir notre introduction).
1715 : Le 6 janvier, mort de Fénelon. Le 29
juin, mort du P. la Combe.
1716 : Abondante correspondance avec des
disciples « cis » et « trans ».
1717 : En mars, elle tombe gravement malade mais
survit trois mois avec à son chevet le marquis de Fénelon, Ramsay, trois amis
écossais...
En juin, elle rédige son testament où elle affirme
son orthodoxie. Elle meurt le 9 juin et est enterrée dans le cloître des Récollets
à Blois[1470].
Ce résumé analytique
facilite la recherche d’événements, de personnes et de lieux. On a donc
privilégié les faits précis ou les dits saillants. Il sert aussi de table de correspondance
entre les éditions imprimées au XVIII° siècle par Poiret puis par Dutoit (qui
ont été les seules moyens d’accès pendant trois siècles), et l’édition critique
présente qui suit la leçon du ms.
d’Oxford (O) tout en incluant les ajouts longs des ms. de Saint-Brieuc (B) et
de Chantilly/Lyon (C). Nous utilisons de préférence des expressions proches ou
extraites du texte même de la Vie et indique le découpage en paragraphes
numérotés de l’édition Poiret (lorsque
cela s’avère possible ; sinon il donne l’origine du passage manuscrit et
son résumé entre parenthèses). En italiques figurent les / ajouts de B / ainsi
que des indications facilitant la recherche de sections déplacées. Les titres
de chapitres sont de notre fait : la table courte limitée à de tels titres
synthétiques fait ressortir les intentions profondes de l’auteur.
1. LA VIE PAR
ELLE-MEME : JEUNESSE
1.1 FAIRE COMPRENDRE LA BONTE DE
DIEU : 1. Ecriture par obéissance et sous la condition du secret, en
exemple de ce que Dieu détruit pour édifier. 2. La Sagesse ignorée des savants
se révèle dans la perdition et mort à soi-même. 3. Les justes propriétaires
sont rejetés, les pécheurs reconnaissants sont accueillis. 4. Amour et foi
tiennent lieu de justice. 5. Dieu renverse et détruit la justice humaine pour
établir la sienne, mais son législateur meurt sur un gibet ! 6. Il se sert
des choses faibles pour confondre les fortes.
1.2 NAISSANCE PERILLEUSE
ET COUVENTS : 1. Naissance périlleuse avant terme, le 13 avril 1648. 2.
‘Vous vouliez que je ne fusse redevable qu'à vous-même de vous avoir connu et
aimé’. 3. Cette alternance entre vie et
mort était un présage du combat à venir. 4. Un abcès provoquait ‘ces apparentes
morts’ ou évanouissements. 5. Aux Ursulines, à deux ans et demi ;
éducation négligée / avec les valets
/. 6. A quatre ans aux Bénédictines, appréciée de Madame de Montbazon, elle
aimait être habillée en religieuse. Songe de l’enfer dont elle doutait,
simulacre de martyre par les religieuses, évité par une intelligente
objection : ‘Il ne m'est pas permis de mourir sans la permission de mon
père !’ 7. Jalousie de grandes
filles, maladies qui provoquent son retour à la maison. 8. Elle est alors
laissée à la charge de domestiques. Sections
1.2.9 à1. 2.11 absentes en cet endroit de O et de B , mais présentes par la
suite dans O en 1.4.3 12. Toujours éloignée de sa mère, elle allait ‘dans
la rue avec d'autres enfants jouer à des jeux qui n'avaient rien de conforme à
ma naissance’. Son père la mène alors aux Ursulines.
1.3 SES DEUX SŒURS
RELIGIEUSES : 1. Elle a près de sept ans
lorsqu’elle est confiée à sa demi-sœur religieuse du côté de son père, ‘si
habile qu’il n’y avait guère de prédicateurs qui composât mieux des sermons
qu’elle’ / et qui savait le latin /.
‘Cette bonne fille employait tout son temps à m'instruire.’ 2. Elle a ‘près de
huit ans’ quand l’ancienne reine d’Angleterre l’apprécie et voudrait
l’attacher à sa fille : son père s’y oppose. 3. Elle perd sa première
innocence mais l’effet bénéfique de sa demi-sœur perdure. 4. dévotion enfantine ;
elle est sauvée d’une chute dans un cloaque. 5. Elle a neuf ans et est souvent
malade. 6. Jalousie de sa demi-sœur religieuse du côté maternel. Mauvais
traitements et coups. Elle a dix ans lorsque son père la retire. 7. Bref
passage chez les Dominicaines. / Désordres
sous l’influence d’une fille qui ‘avait de l’esprit et deux fois mon âge.’ /
8. Maladie de trois semaines ; elle lit la Bible ‘du matin jusqu’au soir’.
1.4 VOCATION
RELIGIEUSE : 1. Après huit mois elle retourne chez sa mère, qui préfère
son frère. Ce dernier la maltraite. 2. ‘Je fermais toutes les avenues de mon
coeur pour n'entendre point votre voix secrète qui m'appelait’. 3. (Déplacé par Poiret) 1.2.9. Les mères dévotes contraignent leurs filles contre nature
et les dégoûtent de toute religion …ou les abandonnent ; une bonne mère
‘les traite en soeurs et non pas en esclaves’1.2.10. Eviter les injustes
préférences d’où naîssent les désunions. 1.2.11. On ne songerait plus à mettre
des enfants en Religion par force. 3fin. Les rigueurs l’aigrissent. 4. Aux
Ursulines pour préparer et faire avec ferveur sa communion à onze ans sous sa
demi-sœur paternelle. 5. ‘Fort grande pour son âge’, sa mère la produit,
nombreux partis ; elle n’a pas douze ans. / un confesseur lui prend ‘avec hardiesse le menton’, elle cache un
péché, culpabilité à sa communion qu’elle croit être sacrilège /. 6. Le
regret d’avoir manqué la visite d’un missionnaire, M. de Chamesson-Foissi, la
convertit. 7. ‘Je devins si changée que je n'étais pas reconnaissable’. (Développement spirituel) ‘une âme
bien anéantie ne peut plus trouver chez elle de colère’. 8. ‘Je lus en ce temps
les Oeuvres de saint Francois de
Sales et la Vie de Madame de Chantal’. Elle prend la discipline et imite les
ascèses de sa lecture. Elle n’a pas encore douze ans. 9. Elle veut être religieuse. Son confesseur
‘ne me voulut pas absoudre disant que j'allais à la Visitation seule et par des
rues détournées … je crus avoir fait un crime épouvantable’.
1.5 AMOURS ET
DELAISSEMENT DE L’ORAISON : 1. Infirmière de son père malade ; ‘Mon
coeur se nourrissait insensiblement de votre amour... Je m'unissais à tout le
bien qui se faisait au monde’. 2. Elle est très attachée à sa cousine qui la
traite avec douceur. 3. Sa mère était charitable et vertueuse, ‘il ne lui
manquait qu'un directeur qui la fit entrer dans l'intérieur’. 4. Sa mère lui
faisait trop confiance en la laissant à elle-même. 5. Facilité à pardonner les
offenses. Fièvre de quatre mois. 6. Rencontre d’un ‘jeune gentilhomme très
sage’ mais sa présomption provoque son opposition et elle renvoie ses
lettres : il tombe malade. Elle a treize ans et demi. 7. Elle abandonne
l’oraison, ‘mon confesseur, qui était très facile et qui n'était pas homme
d'oraison, y consentit pour ma perte’. 8. ‘Il faudrait apprendre aux enfants la
nécessité de l'oraison’. ‘L'expérience instruit mieux que le raisonnement. 9. /
‘Je trouvai deux personnes différentes
qui m’apprirent des péchés que j’avais ignoré jusqu’alors’ /. L’ordre de O diffère de P qui suit de près
B : P disposait donc d’une copie proche de B ; P et O censurent tous deux
B, jugé trop intime et compromettant,
mais dans des ordres différents. Nous suivons l’ordre O car celui de B,
lui-même peu satisfaisant, ne justifie pas de contaminer notre édition ;
et renvoyer le lecteur de O aux variantes B puis à une annexe B1-B5 est
très incommodant. 12. Réprimandes. 13. Cela lui a donné la compassion des
pécheurs. ‘Le diable a faussement persuadé aux docteurs et sages du siècle
qu'il faut être parfaitement converti pour faire oraison’, on persécute les
âmes d’oraison. 14. ‘J'étais quelquefois à l'église à pleurer et à prier la
Sainte Vierge d'obtenir ma conversion, / ‘ce
qui est de plus étrange est que je faisais violence à la nature, et à mon tempérament
pour faire le mal, cependant je ne pouvais m’empêcher de le faire.’/
‘J'étais fort charitable, j'aimais les pauvres.’ 11. ‘J'aimais si éperdument la
lecture que j'y employais le jour et la nuit’. 10. ‘Vous vous retiriez peu à
peu d'un coeur qui vous quittait’ / ‘Je
péchai deux fois avec une fille par des immodesties croyant qu’il n’y avait pas
de péché énormes que ceux qui se faisaient avec des hommes’; elle est tiraillée
entre l’estime de soi-même et les appels divins /; ‘hélas que cette
funeste expérience… retour au § 13 ci-dessus.
1.6 MARIAGE ET
DESILLUSION : 1. ‘Les affaires étant finies, nous nous en retournâmes.’ / Elle apprend la philosophie morale avec un
pauvre gentilhomme qui devient follement amoureux / 2. ‘Les grands biens de
cette personne joint à ce qu’il était gentilhomme, portèrent mon père malgré toutes ses répugnances et celles de ma mère, à m'accorder … sans m'en parler, la veille de St François de Sales, le 28 janvier 1664’. 3. Suivi du mariage, courant sa seizième année,
avec un mari âgé. ‘Ma belle-mère, qui était veuve depuis très longtemps, ne songeait qu'à ménager, au
lieu que chez mon père l'on y vivait d'une manière extrêmement noble’. 4. Désillusion,
querelles : ‘si je parlais bien, ils disaient que c'était pour leur faire
leçon’. 5. Son mari est soumis à une belle-mère difficile qui la déprécie
en public 6. Les filles et serviteurs se sentant tout permis, l’insultent et
ils ont ordre de l’espionner. Son mari est pourtant amoureux et elle ne refuse
pas ses caresses. 7. Poursuivie par un ‘homme de considération’, ‘mon mari
connut mon innocence et la fausseté de ce que ma belle-mère lui voulait imprimer’. 8. Retour
à Dieu. Après une confession générale, elle quitte les romans ! 9.
Persécutions : ‘Un jour, outrée de douleur, il n'y avait que six mois que
j'étais mariée, je pris un couteau étant seule pour me couper la langue’. 10.
Mari goutteux. Quelques mois de relâche à la campagne sans la belle-mère. 11. ‘J'ai vu dans la suite que cette conduite
m'était absolument nécessaire pour me faire mourir à mon naturel vain et
hautain’.
1.7 PREMIER ENFANT -
CHAGRINS DOMESTIQUES : 1. ‘J'avais soin d'aller voir les pauvres, je
faisais ce que je pouvais pour vaincre mon humeur, et surtout en des choses qui
faisaient crever mon orgueil, je faisais beaucoup d'aumônes, j'étais exacte à
mon oraison.’ 2. Premier enfant à dix-neuf ans. 3. Petites vanités. 4. Pertes
financières. 5. Excuses sur ce qu’elle dit de sa belle-mère et de son mari. 6.
‘Nous continuions à perdre de toutes manières…’ 7. Lectures de l’Imitation et de François de
Sales ; sentiments de vanités et jalousie des autres femmes. 8. Elle
rejoint son mari, qui lui témoigne de l’affection, chez Madame de Longueville,
qui l’apprécie. 9. On l’applaudit ‘à cause de ce misérable extérieur’ ;
elle divertit son mari mélancolique. 10. Maladie dont elle faillit mourir par
excès de saignées. Elle édifie son confesseur, un ami de François de Sales. Son
mari est inconsolable et tombe malade à son tour, puis reprend son tempérament
vif lorsque tout danger est écarté.
1.8 RENCONTRES - EVEIL
INTERIEUR : 1. Sa mère meurt ‘comme un ange’. Elle s’occupe beaucoup des
pauvres, les assistant dans leurs maladies. On lui reproche l’inégalité
financière dont elle est victime au bénéfice de son frère. Grossesse. 2. Influence de Madame de Charost :
‘Je voyais sur son visage quelque chose qui me marquait une fort grande
présence de Dieu’. 3. Passage du neveu missionnaire, ami de Madame de Charost
et de la Mère Granger : ‘Ils avaient un même langage intérieur’. Il lui
promet d’offrir son martyre - qui eût lieu - pour qu’elle découvre la vertu
d’oraison. Elle n’a pas encore dix-huit ans. 4. ‘Vous me donnâtes en un moment
par votre grâce et par votre seule bonté ce que je n'aurais pu me donner
moi-même par tous mes efforts’. 5. Elle trouve son père ‘si changé, la langue
si épaisse que je craignis fort pour lui’. Il lui fait rencontrer le ‘bon
religieux fort intérieur de l'ordre de
Saint François’ [Archange Enguerrand]. 6. ‘Je ne laissai pas de lui parler, et
de lui dire en peu de mots mes difficultés sur l'oraison. Il me répliqua
aussitôt : C'est, Madame, que vous
cherchez au-dehors ce que vous avez au-dedans. Accoutumez-vous à chercher Dieu
dans votre coeur et vous l'y trouverez.’ 7. ‘Elles furent pour moi un coup
de flèche, qui percèrent mon cœur.’ 8. ‘Je ne dormis point de toute cette nuit
parce que votre amour était …comme un feu dévorant.’ 9. Le bon religieux hésite
devant cette jeune femme de dix-neuf ans puis est inspiré de la conduire. 10.
Oraisons faciles où ‘toutes distinctions se perdaient pour donner lieu à
l'amour d'aimer avec plus d'étendue, sans motifs, ni raisons d'aimer’.
1.9 L’ORAISON AU-DESSUS
DES EXTASES : 1. ‘L'oraison qui me fut communiquée …est bien au-dessus des
extases, et des ravissements, des visions, etc., parce que toutes ces grâces
sont bien moins pures.’ 2-3. Les visions ‘empêchent de courir au seul inconnu.’
4-5. L’extase est une ‘sensualité spirituelle’ ; les paroles intérieures
distinctes sont ‘sujettes à l’illusion.’ 6. La parole de Dieu immédiate ‘qui
n'a aucun son ni articulation …a une efficace admirable.’ 7. ‘Les révélations
de l'avenir sont aussi fort dangereuses … nous ne comprenons pas ce qu'elles
signifient … [elles] empêchent de vivre dans l'abandon total à la divine
providence.’ 8. ‘La révélation de Jésus-Christ … il s'exprime lui-même en nous.’ 9. ‘Les ravissements … un défaut
dans la créature.’ 10. ‘Le véritable ravissement et l'extase parfaite s'opèrent
par l'anéantissement total, où l'âme perdant toute propriété, passe en Dieu
sans effort et sans violence comme dans le lieu qui lui est propre et naturel.’
11. Elle est mise ‘dans un état très épuré, très ferme et très solide’ où Dieu
prend possession de sa volonté.
1.10 AUSTERITES, AMOUR
DIVIN, UNION EN CHARITE : 1. En relation épistolaire avec le bon père
religieux. Austérités excessives, elle se déchire de ronces et d’orties à n’en
pouvoir dormir. 2-3. Episodes du crachat et du pus, sans complaisance : ‘Sitôt
que le coeur ne répugnait plus …je n'y songeais plus depuis, car je ne faisais
rien de moi-même.’ 4. ‘En moins d'un an mes sens furent assujettis.’ 5. Plaie
amoureuse à la Madeleine 1668 où les trois sermons du bon
père ‘me faisaient d'abord impression sur le coeur, et m'absorbaient si fort en
Dieu, que je ne pouvais ni ouvrir les yeux, ni entendre.’ 6. ‘Je ne pouvais
plus voir les saints ni la Sainte Vierge hors de Dieu.’ 7. Prières vocales
impossibles. Ce qu’elle écrit au bon père est repris dans un de ses sermons. 8.
Désir de solitude où prend place une ‘infusion autant divine que continuelle.’
9. Anéantissement des puissances où l’âme docile ‘se trouve peu à peu vide de
toute volonté propre’, ce qui ne se produit jamais par l’exercice de notre
volonté. 10. ‘La foi s'empare si fort de l'entendement, qu'elle le fait
défaillir à tout raisonnement.’ 11. Comparaison de la lumière solaire qui
révèle l’ensemble aux petites lumières distinctes mais trompeuses. 12. La
mémoire est ‘absorbée par l'espérance;
et enfin tout se perd peu à peu dans la pure charité’, ‘cette réunion qui se
fait alors s'appelle unité, union centrale.’
1.11 PURIFICATION
1. Nécessité de la mortification non
par de grandes austérités mais en refusant sans relâche les satisfactions. 2. Il faut ensuite entrer ‘dans un travail
plus utile, qui est la mortification du propre esprit et de la propre volonté’.
3. La providence la conduit, ôte tout regard sur elle-même, ‘appliquée à mon
unique objet, qui n'avait plus d'objet pour moi distinct, mais une généralité
et vastitude entière. J'étais comme plongée dans un fleuve de paix.’ 4. Elle ne peut se retourner sur elle-même
pour préparer une confession. ‘Je demeurais là si pleine d'amour, que je ne
pouvais même penser à mes péchés pour en avoir de la douleur.’ 5. Dieu est
amour rigoureux qui purifie par un feu secret. 6. ‘Vous m'appreniez qu'il ne
fallait point faire de pénitences ni se confesser que vous ne fussiez satisfait
vous-même.’ 7-8. ‘Ce feu de la justice exacte est le même que celui du
purgatoire.’ Rien ne paraît de sa purification.
1.13
DIEU PRESENT, DIEU ABSENT.
1. Instinct d’immolation. 2.
Impuissance des prières distinctes. Silence profond et paix, / ‘enfoncement en Dieu que je sentais
présent’ ; l’estime de soi dans les commencements, les sécheresses dûes
aux infidélités ; divers états de l’âme, ‘l’âme donnée à l’oraison ne sent
rien qu’un fort grand vide et nudité …jugeant par ce qu’elle sent elle quitte
l’oraison pour l’action à son grand dommage’ / 3. ‘J'allais quelquefois
voir la Mère Granger, et elle m'aidait’, ‘Mon divertissement était d'aller voir quelques
pauvres malades.’ 4. L’oraison lui devient pénible. ‘Pour me soulager et faire
diversion, je m'emplissais tout le corps d'orties.’ 5. ‘C'était la douceur de
cet amour après mes chutes qui faisait mon plus véritable tourment… O mon Dieu,
est-il possible que vous soyez ainsi mon pis-aller’. 6. Confesseurs parisiens
étonnés de sa pureté de conscience. ‘Que les autres attribuent leurs victoires
à leur fidélité, pour moi je ne les attribuerai qu'à votre soin paternel; j'ai
trop éprouvé ma faiblesse.’ 7. ‘Je fus occasion de péché, car je savais
l'extrême passion que certaines personnes avaient pour moi et je souffrais
qu'ils me la témoignassent.’ 8. Parole médiate et parole substantielle qui
cause onction de grâce, d’âme à âme, comme de Marie à Elisabeth. 9. Toute
infidélité cause un feu dévorant, un exil du fond. 10. Une infidélité au cours
d’un ‘cadeau de nuit à Saint Cloud’ la sépare trois mois de sa Source. 11. Elle
ne peut étouffer le martyre du dedans. 12. Rencontre du crocheteur : ‘Dieu
veut bien autre chose de vous’.
1.14 INFIDELITES -
SOUTIEN DE LA MERE GRANGER
1. Voyage à Orléans et en Touraine.
‘Je vis bien la folie des hommes qui se laissent prendre à une vaine beauté’.
2. Confesseurs trop complaisants. / Première
apparition du vieil homme passionné /. 3. Effroi en carosse sur un chemin
miné. 4. Mauvais confesseur qui tente de la culpabiliser et de la brouiller
avec son mari. 5. La Mère Granger l’encourage. ‘La vanité me tirait au-dehors,
et l'amour au-dedans.’ 6. ‘Que mon coeur est reconnaissant, qu'il a de joie de
vous devoir tout.’ 7. ‘L’on voudrait être consumée et punie.’
1.15 LA VARIOLE
1. En rentrant au logis elle trouve
son fils aîné défiguré par la variole. La mère Granger la pousse à partir mais
sa belle-mère s’y oppose. 2. Elle en informe la Mère Granger et demeure en
abandon et sacrifice 3. ‘Le jour de saint François (d’Assise) le quatrième
d’octobre de l'année 1670, âgée de vingt et deux ans et quelques
mois, étant allée à la messe, je me trouvai si mal…’ Sa belle-mère s’oppose au
chirurgien. 4. Résignation. 5. Un habile chirurgien intervient. 6. Le mal se
porte aux yeux. 7. ‘De me réjouir de la liberté intérieure que je recevais par
là …l'on m'en fit un crime.’ 8. Mort de son cadet. 9. Son aîné est défiguré.
10. Elle s’expose à la vue de tous. / Le
vieux gentilhomme reste amoureux d’elle, il lui écrit une lettre à double sens,
spirituelle, se lie avec son mari, utilise un habile subterfuge l’obligeant à
lire ses lettres passionnées ; son mari prête moins d’attention à la femme
défigurée et plus aux critiques. /
1.16 HUMILIATIONS
DOMESTIQUES
1. Une fille épiait ‘tous les jours
que je communiais.’ 2-3. ‘J'eus quelque temps un faible que je ne pouvais
vaincre … qui était de pleurer, de sorte que cela me rendait la fable.’ ‘L’on
me tourmentait quelquefois plusieurs jours de suite sans me donner aucune relâche.’
4. Son père lui reproche de se laisser faire puis se rend à ses raisons. 5. On
dit du mal de son père. ‘Sitôt qu'on se déclarait de mes amis, l’on n'était
plus le bienvenu.’ 6. Elle réconcilie sa belle-mère et son mari, quoi qu’il lui
en coûte. 7. ‘Mon mari regardait à sa montre si j'étais plus d'une
demi-heure à prier.’
1.17 PEINES ET CONFIANCE
EN LA MERE GRANGER
1. ‘Nous allâmes à la campagne, où
je fis bien des fautes, me laissant trop aller à mon attrait intérieur’. 2.
‘J'étais étonnée d'éprouver que je ne pouvais rien désirer ni rien craindre.
Tout était mon lieu propre, partout je trouvais mon centre, parce que partout
je trouvais Dieu.’ 3. ‘Je me levais dès quatre heures, et restais sur mon lit.
On croyait que je dormais.’ 4. La providence lui facilite ses sorties pour
assister à la messe et communier. 5. Providences pour écrire à la Mère Granger.
6. L’extrême confiance envers elle provoque des colères ; ‘ceux qui me
suivaient avaient ordre de dire par tout où j’allais, s'ils y avaient manqué,
ils en étaient châtiés ou renvoyés’. 7. ‘Je m'en plaignais quelquefois à la
mère Granger, qui me disait : « Comment les contenteriez-vous, puisque depuis plus
de vingt ans je fais ce que je peux pour cela sans en pouvoir venir à bout? »’
8. On inspire à son fils le mépris à son égard. ‘Il me disait : « Ma grand-mère
dit que vous avez été plus menteuse que moi. »’ 9. Son mari ‘n'avait que du
rebut pour tout ce qui venait de moi. Je tremblais quelquefois lorsque je
l'approchais…’
1.18
LE P. LA COMBE - PROMPTITUDES ET CHARITE
1. Rencontre du P. La Combe après
‘huit ou neuf mois que j'avais eu la petite vérole’. ‘Dieu lui fit tant de
grâces par ce misérable canal qu'il m'a avoué depuis qu'il s'en alla changé en
un autre homme.’ 2. Oraison continuelle, alternances du goût de la présence et
de la peine de l’absence. 3-5. Croix désirées mais sensibles ! 6.
Promptitudes. 7. Grandes charités / pour
les pauvres et malades. / 8. La vertu lui devient pesante / ‘dès la seconde année de mon mariage, Dieu
éloigna … mon cœur de tous les plaisirs sensuels.’ /
1.19
M. BERTOT - MORT DE SON PERE
1. Elle rencontre M. Bertot par
l’intermédiaire de la Mère Granger, le lendemain des ‘effroyables vents de la
St Matthieu’[le 21 septembre 1671]. 2. Elle va à Paris, quittant son père
malade et sa fille ‘unique autant aimée qu'elle était aimable.’ Elle voit M.
Bertot mais ne peut commuiquer facilement avec lui : ‘Ma disposition du
dedans était trop simple pour en pouvoir dire quelque chose.’ 3. ‘Dix jours de
l'Ascension à la Pentecôte dans une abbaye à quatre lieues de Paris.’ 4. ‘Vive
impression que mon père était mort.’ 5. ‘Si j'avais une
volonté, il me paraissait qu'elle était avec la vôtre comme deux luths bien
d'accord.’ 6-7. Averti par lettre, elle part immédiatement en carrosse.
8-9. Son père est déjà enterré et sa
fille meurt. 10. Contrat de mariage spirituel dressé par la Mère Granger,
la veille de la Madeleine. 11. ‘Il me
semble que vous fîtes alors de moi votre temple vivant.’ 12. ‘Depuis ce temps
les croix ne me furent pas épargnées.’ 13. ‘Le jour de l'Assomption de la
Vierge de la même année 1672’, en grande détresse elle pense à M. Bertot qui
lui écrit ce même jour. 14. Soutiens et destructions divines.
1.20
UN SILENCE EFFICACE, PELERINAGE, MORT DE LA MERE GRANGER, HABILETE EN
AFFAIRES
1. La femme du gouverneur de
Montargis est touchée de Dieu. 2. Une dame en ‘parlait
scientifiquement’ mais “votre silence avait quelque chose qui me parlait
jusque dans le fond de l'âme et je ne pouvais goûter ce qu'elle me disait.”
Grandes épreuves de cette même femme dans lesquelles ‘Dieu lui donnait par mon
moyen tout ce qui lui était nécessaire.’
3. Petit voyage. Péril en carrosse. 4. Pèlerinage à Sainte-Reine, passage
à Saint-Edmé, second fils, mort de la Mère Granger. 7. ‘M. Bertot, quoiqu'à cent lieues …eut connaissance de sa mort et de sa béatitude
et aussi un autre religieux. Elle mourut en léthargie, et comme on lui parlait
de moi à dessein de la réveiller, elle dit : « Je l'ai toujours aimée en Dieu
».’ Heureuse grossesse. 8. Mariage et hostilité de son frère. Elle parle trop
de son état intérieur. 9. Son frère manifeste son hostilité en méprisant son
fils. 10. La légèreté du même frère risque de ruiner son mari. Elle va trouver
les juges : tout se règle au mieux.
1.21
LES EPREUVES DE L’AMOUR JANSENISTE
1. Liaison avec un ecclésiastique
janséniste qu’elle pense gagner à la vérité. 2. Elle perd tout sentiment
perceptible de Dieu. 3. Elle ‘ne se trouve rempli que d'un amour tout opposé à
son Dieu.’ 4. Les fêtes sont l’occasion de sécheresses car la grâce est plus
abondante et opère alors selon cette voie de foi. 5. ‘Tout notre bonheur
spirituel, temporel et éternel, consiste à nous abandonner à Dieu.’ 6. ‘Mon
coeur était pris ... Ce qui me faisait moins défier est qu'il était très
honnête … Je sentais mon inclination croître chaque jour.’ 8. ‘Il tomba bien
malade … je sentais en moi que l'envie de le perdre … Il guérit cependant et
nous fûmes plus unis et plus divisés que jamais.’ 9. ‘Je voulais rompre et il
renouait, il m'écrivait et je lui répondais.’ ‘Je croyais être perdue … M.
Bertot ne me donna plus de secours.’
10-11. ‘Le ciel était fermé’ ; ‘il n’y avait plus qu’un juge rigoureux.’
12. M. Bertot ‘me défendit toutes sortes de pénitences.’ 13. ‘Il me semblait
…que l'enfer s'allait ouvrir pour m'engloutir.’
1.22 MORT DE SON MARI
1. ‘Comme mon mari approchait de sa fin, son mal devint sans
relâche …l'on ne faisait que l'aigrir.’ Sa belle-mère ne garde plus de mesure à
son égard. 2. Saisissement de cinq
heures. / La manière dont Dieu se servit
pour toucher un religieux. / 3. Ermitages dans la campagne, elle plante des
croix. 4. Grosse de sa fille. / Dans mes
maladies …je faisais une retraite particulière. / 5-7. Après ‘douze ans et
quatre mois dans les croix du mariage’ son mari meurt avec grand courage ‘le
matin du 21 juillet 1676’. ‘Il me donna des avis sur ce que je devais faire
après sa mort pour ne pas dépendre des gens dont je dépends à présent.’ ;
‘A quelques années de là, la Mère Granger m'apparut en songe, et me dit : «
Soyez assurée que Notre Seigneur pour l'amour qu'il vous porte a délivré votre
mari du purgatoire le jour de la Madeleine ».’ 8-9. Elle ne peut exprimer
de peine. Elle lui fait un enterrement magnifique. / J’ai oublié de dire qu’après la mort de mon père j’eus bien à souffrir …des différents entre
frère et mari. / 10. Elle règle avec succès un
ensemble de procès. 11. On lui conseille de se séparer de sa belle-mère et de
la mauvaise fille, ce qu’elle ne fait pas.
1.23
LA NUIT DE LA COLERE DE DIEU
1.
‘Je vais décrire de suite les peines par où j'ai passé pendant sept
années’. 2-3. ‘Vous commençâtes, à vous retirer de moi … Je m'en plaignis à la
Mère Granger … je lui dis que je ne vous aimais plus … elle me dit en me
regardant : « Quoi! vous n'aimez plus Dieu? » Ce mot me fut plus pénétrant
qu'une flèche ardente.’ 4. ‘Je ne connaissais pas alors ce que c'était que la
perte de notre propre force pour entrer dans la force de Dieu.’ 5-6. Vers
l’état de mort. 7. ‘Il ne me restait plus rien de vous … que la douleur de
votre perte, qui me paraissait réelle. Je perdis encore cette douleur pour
entrer dans le froid de la mort. Il ne me restait qu'une assurance de ma
perte.’ 8. Promptitudes, réveil des appétits.
9. ‘Le poids de la colère de Dieu m'était continuel. Je me couchais sur
un tapis … et je criais de toutes mes forces lorsque je ne pouvais être
entendue, dans le sentiment où j'étais du péché, et dans la pente que je
croyais avoir pour le commettre : « Damnez-moi, et que je ne pèche
pas ».’ 10. ‘M. Bertot m'abandonna.’ 11. Elle accouche quand même de sa
fille [née après la mort de son mari]. 12-14. Description de la nuit portée
‘sept années, et surtout cinq ans, sans un instant de consolation.’
1.24
AIDE DU PRECEPTEUR, VENGEANCE DU
JANSENISTE
1. Patience vis-à-vis d’une fille
alcoolique. 2. A Paris, en deux mois elle parle deux fois brièvement à M.
Bertot. Il lui trouve un prêtre précepteur pour son fils. 3. Il veut la
‘remettre dans les considérations’. Episode de la lettre qui lui avait
autrefois été adressée. ‘Sans ce procédé, j'aurais toujours subsisté dans
quelque chose.’ Persécutions de l’ecclésiastique janséniste. Elle est
utile intérieurement au prêtre précepteur. /Récit
des persécutions du janséniste et de ses amis. Il s’allie à la belle-mère et
tente de la discréditer par une supposée liaison avec le précepteur. /
5. Le janséniste prêche publiquement contre elle comme d’une ‘personne qui
après avoir été l'exemple d'une ville en était devenue le scandale.’ 6-7. Sa
réputation se perd. 8. M. Bertot refuse qu’elle se défasse de l’ecclésiastique.
‘Je ne croyais pas qu'il y eût au monde une personne plus mauvaise que moi.’
1.25 TOUJOURS LA NUIT
1. Le sensible lui est
définitivement ôté pour ‘cette personne’ comme pour toute autre. 2. Impuissante
pour toute œuvre. Elle est recherchée par plusieurs. ‘Je n'osais pas désirer de
jouir de vous, ô mon Dieu, mais je désirais seulement de ne pas vous offenser.’
3. ‘Je ne pouvais ne vouloir pas mourir.’ 4. ‘Tout me paraissait plein de
défauts : mes charités, mes aumônes, mes prières, mes pénitences…’ 5. ‘J'entrai
dans une secrète complaisance de ne voir en moi aucun bien sur quoi m'appuyer.’
6. ‘J'avais de la joie de ce que ce corps de péché allait bientôt être pourri
et détruit.’ 7. ‘Je ne mangeais pas en quatre jours ce qu'il me faut en un seul
repas médiocre.’ 8. ‘Je voyais ma peine comme péché.’ ‘Ce qui me consolait …était
que vous n'en étiez pas moins grand, mon Dieu.’ 9. ‘Vous purifiâtes …le mal
réel par un mal apparent.’
1.26 EPREUVES ET DESOLATION
1. Elle est abandonnée du ‘premier
religieux’ [Enguerrand] : ‘Il m'était alors tellement indifférent d'être
condamnée de tout le monde et des plus grands saints, que je n'en avais nulle
peine.’ 2. ‘Mes maladies me devinrent des temps de plus grande impuissance et
désolation.’ 3. On accuse faussement le précepteur ‘de sorte qu’il me fallut
boire la double confusion qui me venait de lui et de moi.’ 4. ‘Enfin je me vis
réduite à sortir au fort de l'hiver avec mes enfants et la nourrice de ma
fille.’ 5. Elle essaye sans succès de s’entendre avec sa belle-mère. 6. Elle
n’est pas maître de choisir ses domestiques. 7. Explication avec témoin. 8.
Retournement : ‘Ce monsieur lui-même fut accusé des mêmes choses dont il
m'avait accusée et d'autres bien plus fortes.’
1.27
LA FIN DE LA NUIT - LE PERE LA COMBE
1. Avant la mort de son mari elle
avait eu l’intention de s’expliquer à un homme de mérite mais cela provoqua un
reproche intérieur intense : ‘Vous avez été, ô mon Dieu, mon fidèle
conducteur, même dans mes misères.’ 2. L’âme ‘se trouve au sortir de sa boue …
revêtue de toutes les inclinations de Jésus-Christ.’ 3. ‘Elle a aussi pour le
prochain une charité immense.’ ‘J’oubliais presque toutes les menues choses …
j’allais en un jour plus de dix fois au jardin pour y voir quelque chose pour
le rapporter à mon mari et je l’oubliai … je ne comprenais ni entendais plus
les nouvelles qui se disaient devant moi.’ 4. ‘Une des choses qui m'a fait le
plus de peine dans les sept ans dont j'ai parlé, surtout les cinq dernières,
c'était une folie si étrange de mon imagination qu'elle ne me donnait aucun
repos.’ 5. ‘Il me semblait, ô mon Dieu, que j'étais pour jamais effacée de
votre coeur et de celui de toutes les créatures.’ 6. Elle écrit au P. La Combe
qu’elle est ‘déchue de la grâce de mon Dieu’, ‘Il me répondit …que mon état
était de grâce.’ 7. ‘Genève me venait dans l'esprit … Je me disais à
moi-même : « Quoi! pour comble d'abandon, irai-je jusqu'à ces excès d'impiété
que de quitter la foi par une apostasie? ». Elle se sent unie au P. La
Combe ; elle rêve de la mère Bon [qu’elle identifiera plus tard]. 8. ‘Huit
ou dix jours avant la Madeleine de l'an 1680’ elle écrit au P. La
Combe qui célèbre la messe pour elle : ‘il lui fut dit par trois fois avec
beaucoup d'impétuosité : “Vous demeurerez dans un même lieu”.’
1.28 LA PAIX-DIEU
1. ‘Ce fut ce jour heureux de la Madeleine que mon âme fut parfaitement
délivrée de toutes ces peines… Je me trouvais étonnée de cette nouvelle liberté
… Ce que je possédais était si simple, si immense … la paix-Dieu.’ 2. ‘J'étais
bien éloignée alors de m'élever.’ 3. ‘Toute facilité pour le bien me fut rendue
bien plus grande qu'auparavant.’ 4. ‘Plus j'avançais, plus la liberté devenait
grande … J'étais étonnée de la netteté de mon esprit, et de la pureté de mon
cœur.’ 5. ‘…trouvant partout dans une immensité et vastitude très grande celui
que je ne possédais plus, mais qui m'avait abîmée en lui.’ 6. ‘En perdant Dieu
en moi, je le trouvai en lui dans l'immuable pour ne le plus perdre.’ 7. ‘Quel
bonheur ne goûtais-je pas dans ma petite solitude.’ 8. ‘Vous me traitâtes comme
votre serviteur Job’ … ‘une autre volonté avait pris la place … volonté toute
divine, qui lui était cependant si propre et si naturelle qu'elle se trouvait
infiniment plus libre dans cette volonté qu'elle ne l'avait été dans la sienne
propre.’ 9. ‘Ces dispositions, que je décris comme dans un temps passé afin de
ne rien confondre, ont toujours subsisté et se sont même toujours plus
affermies et perfectionnées jusqu'à l'heure présente.’ 10. ‘Union d'unité …heureuse perte … goutte
d'eau jetée dans la mer.’
1.29 GENEVE ?
1. Un confesseur de rencontre lui
déclare : ‘Je me sens un fort mouvement intérieur de vous dire que vous
fassiez ce que Notre Seigneur vous a fait connaître qu'il voulait.’ 2. Songe de
la croix qui vient à sa rencontre. 3. Rencontre de M. de Genève de passage à
Paris. 4. Il lui parle des Nouvelles Catholiques de Gex. 5. Elle voit la
Supérieure de Paris … Comme c'est une grande servante de Dieu,
cela me confirma.’ Elle consulte dom Claude Martin, le fils de la Mère de
l'Incarnation du Canada.’ 6. M. Bertot
‘me dit que mon dessein était de Dieu et qu'il y avait déjà quelque temps que
Dieu lui avait fait connaître qu'il voulait quelque chose de moi.’ 7. Rêve d’un
animal : ‘Je trouvai qu'il avait empli mes doigts comme d'aiguilles…’ 8.
‘L’on s'étonnera sans doute que, faisant si peu de cas de tout
l'extraordinaire, je rapporte des songes…’ 9. Rêve qui annonce des opprobres
d’une religieuse des Bénédictines. 10. Encouragements de nombreuses personnes
dont Claude Martin. 11. ‘Je mettais ordre peu à peu, sans empressement, ne
voulant pas faire la moindre chose ni pour faire différer l'affaire, ni pour
l'avancer, ni pour la faire réussir. La Providence était ma seule conduite.’
1.30 REGRETS A SON
DEPART, HESITATIONS
1. Sa belle-mère est transformée :
‘vous lui ouvrîtes les yeux et vous changeâtes sa rigueur en tendresse.’ / [Dans le passé] sa mère voulut avantager
son frère ce qui lui occasionna des croix de son mari et de sa belle-mère. /
2. De même la fille ‘qui jusqu'alors avait été mon fléau.’ 3-4. Madame Guyon
porte le purgatoire d’un prêtre et d’une religieuse. 5. ‘L'année que je partis
pour m'en aller … en 1680. La nécessité devint extrême … les charités secrètes
étaient plus fortes. J'avais des filles en métier et de petits garçons. Tout
cela fût cause que ma sortie fût bien plus blâmée.’ Elle soigne un pauvre
soldat. 6. ‘Ce qui me faisait encore plus de peine [de partir] était la
tendresse que j'avais pour mes enfants.’ 7. ‘Je ne désire point que ma prison
finisse… j'ose dire avec mon Apôtre : Je ne vis plus moi, mais Jésus-Christ vit
en moi.’ 8-9. ‘Cet institut [des Nouvelles Catholiques] était opposé à mon
esprit et à mon cœur.’ Hésitations. 10-11. Rencontre incognito avec la sœur
Garnier. 12. ‘Elle me dit que je ne devais point me lier avec elle et que ce
n'était pas votre dessein.’ 13. ‘M. Bertot … était mort quatre mois avant mon départ … il m'a semblé qu'il me fit
part de son esprit pour aider ses enfants.’
14. Elle fait préparer un contrat par crainte d’une ruse de la nature
qui ne veut point se détacher.
LA VIE PAR ELLE-MEME : II VOYAGES
2.1 LE VOYAGE DE MELUN A
GEX
1. Elle ne signe pas le contrat
d’engagement. 2. Elle a la grâce de mettre ses affaires ‘en un très grand
ordre’; ‘ce fut en ce temps qu'il me fut donné d'écrire par l'esprit
intérieur.’ 3-4. ‘Je menai avec moi ma fille et deux filles … Nous partîmes sur
l'eau quoique j'eusse pris la diligence pour moi afin que, si l'on me
cherchait, on ne me trouvât pas. Je fus l'attendre à Melun. … ma fille, sans savoir ce qu'elle faisait,
ne pouvait s'empêcher de faire des croix.’ 5. Une religieuse ‘vit mon coeur
entouré d'un si grand nombre d'épines qu'il en était tout couvert.’ 6. ‘A
Corbeil …je vis le Père dont Dieu s'était servi le premier pour m'attirer si
fortement à son amour …il crut que je ne pourrais pas m'accoutumer avec les
Nouvelles Catholiques’.(Déplacement P :)
8.
Voyage en diligence à partir de Melun. ‘La gaîté extérieure que j'avais, même
au milieu des plus grands périls, les rassurait.’ 7. ‘Je donnai dès Paris … tout l'argent que j'avais … Je n'avais ni cassette fermant à clef, ni
bourse.’ 9. ‘Nous arrivâmes à Annecy la veille de la Madeleine 1681; et le jour de la Madeleine,
M. de Genève nous dit la messe au tombeau de saint François
de Sales.’ 10. Le lendemain soir elle arrive à Gex où elle ne trouve que quatre
murs. ‘Je voyais ma fille fondre et maigrir.’
2.2 COMMUNICATION &
PRESAGES
1. ‘Sitôt que je vis le père La
Combe, je fus surprise de sentir une grâce intérieure que je peux appeler
communication.’ 2. Elle craint la voie de lumières de ce dernier. 3-5. Deux
nuits, ‘avec un fort écoulement de grâce, ces paroles [me furent] mises dans
l'esprit : Il est écrit de moi que je
ferai votre volonté. / Tu es Pierre
et sur cette pierre j'établirai mon Église. / 6-8. Rencontre d’un ermite qui voit des
épreuves à venir pour elle et le père qui ‘fut dépouillé de ses habits et
revêtu de l'habit blanc et du manteau rouge’ ; ‘nous abreuvions des
peuples innombrables.’ 9. Elle éprouve de grandes angoisses pour sa fille.
2.3 ETAT APOSTOLIQUE - A
THONON
1. ‘Le père La Mothe …me mandait …que ma belle-mère, en qui je me fiais pour le bien de mes enfants et pour le cadet, était
devenue en enfance, et que j'en étais cause : cela était cependant très faux …
je commençais alors à porter les peines en manière divine, …l'âme pouvais …sans
nul sentiment être en même temps et très heureuse et très douloureuse.’ 2.
Critiques, lettre de son cadet. 3. Problèmes de sommeil et de nourriture. 4.
‘Ceux qui me voyaient disaient que j'avais un esprit prodigieux. Je savais bien
que je n'avais que peu d'esprit, mais qu'en Dieu mon esprit avait pris une
qualité qu'il n'eut jamais auparavant.’
5-6. Visite de M. de Genève qui lui ouvre son cœur. Il lui donne le père
La Combe pour directeur. 7. Maladie, négligence des sœurs. Elle est guérie par
le père. A Thonon chez les Ursulines. 8. Vœux perpétuels. 9-10.
Etat d’enfance. 11. ‘J'ai été quelques années que je n'avais que comme un
demi-sommeil.’
2.4 ETAT DE VASTITUDE
1-2. Description de son état de
‘vastitude’. 3. ‘Ma tête se sentait comme élevée avec violence.’ 4. Vol de
l’esprit. 5. ‘Dieu peu à peu la perd en soi, et lui communique ses qualités, la
tirant de ce qu'elle a de propre.’ 6. ‘Tout entre-deux se perdit.’ 7. Abîmée
pendant trois jours, ‘la joie c’est qu'il paraît à l'âme qu'elle ne lui sera
plus ôtée.’ 8. ‘L'âme connaît alors que tous les états des visions,
révélations, assurances, sont plutôt des obstacles … parce que l'âme accoutumée
aux soutiens a de la peine à les perdre … Alors toute intelligence est donnée
sans autre vue que la foi nue.’ 9. Elle retourne à Gex. Chute de cheval. 10. On
l’estime à Paris, dont Mlle de Lamoignon.
2.5 COMBATS
1. Elle se défait de son bien,
signant tout ce que veut sa famille. 2-3. Elle sait que les croix viennent de
Jésus-Christ. Manifestations démoniaques. 4. Elle empêche la liaison d’une très
belle fille avec un ecclésiastique. 5-6. Celui-ci médit sur elle et gagne une
religieuse. 7-8. Heureuse veille de trois jours ; M. de Genève lui envoie
un Enfant Jésus distribuant des croix. 9. ‘Je vis la nuit en songe …le Père La
Combe attaché à une grande croix.’ 10.
L’ecclésiastique gagne la fille et la supérieure.
2.6 REFUS DU SUPERIORAT,
DEPART DU P. LA COMBE
1. L’ecclésiastique fait entendre à
M. de Genève ‘qu'il fallait, pour m'assurer à cette maison, m'obliger d'y
donner le peu de fonds que je m'étais réservé, et de m'y engager en me faisant
supérieure.’ 2. Le même intercepte le courrier. 3. ‘L’on me proposa
l'engagement et la supériorité’, ‘Je lui [la supérieure] témoignai encore que
certaines abjurations et certains détours ne me plaisaient pas.’ 4. Elle
s’oppose à ce que la supérieure s’engage à obéir au père La Combe. 5-6. ‘Le
principal caractère du père La Combe est la simplicité et la droiture’. On lui tend des pièges. L’ecclésiastique
envoie à Rome sans succès huit propositions litigieuses tirées d’un sermon du père. 7-8. On oppose le
père à M. de Genève qui lui demande de faire pression sur elle. Dans sa
droiture le père refuse. 9. Les sœurs la poursuivent. 10. L’ecclésiastique et
un de ses ami décrient le père. Celui-ci part en Italie. 11. Vision
prémonitoire alarmante d’un prêtre.
2.7 PERSECUTIONS. LES
DEUX GOUTTES D’EAU
1. Persécution. Vingt-deux lettres
interceptées. Relations entre le P. La Motte et M. de Genève. 2. Comment se
disculper de maltraiter une personne qui a donné tout son bien. 3. Inventions sur ses relations avec le père
La Combe. 4. Dans un couvent, très au repos avec sa fille. 5. Etat simple nu et
perdu. 6-7. Il lui faut devenir ‘souple comme une feuille’. 8. ‘L’on
s'abandonne à des hommes qui ne sont rien … et si l'on parle d'une âme qui
s'abandonne toute à son Dieu … on dit hautement : « Cette personne est trompée
avec son abandon ».’ 9. ‘En songe deux voies … sous la figure de deux
gouttes d'eau. L'une me paraissait d'une clarté, d'une beauté et netteté sans
pareille, l'autre me paraissait avoir aussi de la clarté, mais elle était toute
pleine de petites fibres ou filets de bourbe.’ 10. Voie de foi et voie de
lumières. Un songe lui fait connaître que le père La Combe lui a été donné pour
passer à la voie de foi. 11. ‘Ma difficulté c’était de le dire à ce père.’ Elle
lui déclare qu’elle est sa mère de grâce et il en est intérieurement confirmé.
12. L’ecclésiastique tourmente la belle
fille, qui demeure ferme. 13. ‘Après Pâques de l'année 1682, M. de Genève vint à Thonon.’ Il convient
de la sainteté du père.
2.8 ENSEIGNEMENT
1. ‘Mon âme était ainsi que je l'ai
dit, dans un abandon entier et dans un très grand contentement au milieu de si
fortes tempêtes.’ 2. ‘Cette âme n'a aucune douceur ni saveur spirituelle : cela
n'est plus de saison, elle demeure telle qu'elle est, dans son rien pour
elle-même et c'est sa place; et dans le tout pour Dieu.’ ‘Ce que j’ai marqué
était déjà écrit en mai 1682.’ 3. ‘l'âme demeure inébranlable, immobile,
portant sans mouvement la peine que lui cause sa faute, sans action pour simple
qu'elle soit.’ 4. ‘Ses plus grandes fautes sont ses réflexions, qui lui sont
alors très dommageables, voulant se regarder sous prétexte même de dire son
état … La vue propre est comme celle du basilic qui tue.’ 5. ‘Ma grâce te suffit, car la vertu se
perfectionne dans l'infirmité’. 6. ‘L’âme est inébranlable pour laisser
aller et venir la grâce’; ‘Rien ne remplit un certain vide qui n'est plus
pénible.’ 7. ‘Se laisser perdre, sans avoir pitié d'elle-même, sans regarder à
rien ni s'appuyer sur rien.’ 8. ‘Elle a tout ce qu'il lui faut, quoique tout
lui manque.’ 9. ‘Bien loin de l'orgueil, ne se pouvant attribuer que le néant
et le péché ; et elles sont si unes en Dieu qu'elles ne voient plus que
lui.’ 10. ‘Elle ne connaît plus ses vertus comme vertus, mais elle les a toutes
en Dieu comme de Dieu, sans retour ni rapport à elle-même.’ 11-12. ‘Il nous
fait entrer dans la liberté de ses enfants adoptés.’ 13. ‘La conduite de la
providence suivie à l'aveugle fait toute sa voie et sa vie, se faisant tout à
tous, son coeur devenant tous les jours plus vaste pour porter le prochain.’
14. ‘C'est où commence la vie apostolique. …Dieu les dépouille, les affaiblit,
les dénue tant et tant que, leur ôtant tout appui et tout espoir, elles sont
obligées de se perdre en lui. Elles n'ont rien de grand qui paraisse.’
2.9 L’ETAT FIXE N’EXCLUT
PAS DES SOUCIS
1-4. Les orages s’amoncellent. Calomnies. 5. Le Père est estimé à Rome. Souci pour sa
fille. 6. ‘Ma soeur vint me trouver avec cette bonne
fille au mois de juillet 1682.’ 7. La porte étroite : l’humilité importe plus
que les lumières ! 8. Retour du Père, sa nuit : ‘La première chose qu'il
me dit, ce fut que toutes ses lumières étaient tromperies.’ 9. ‘M. de Genève écrivit au Père La Mothe pour l'engager à me faire
retourner. Le père La Mothe me le manda. Je me voyais dépouillée de tout, sans
assurance et sans aucuns papiers, sans peine et sans aucun souci de l'avenir.’
10. ‘Le premier carême que je passai aux Ursulines’ : mal des yeux, enflure à la tête,
fille à la mort. 11. Soucis pour l’éducation de sa fille. 12. L’état fixe
n’exclut pas des soucis, comme d’un or purifié qu’il faut nettoyer en surface.
13. Peine donnée de Dieu.
2.10 LA DIRECTION DES
AMES
1-2. Suite de l’exposé des soucis
pour sa fille. 3. Souffrances pour les âmes, fermeté pour des défauts subtils.
4. ‘Avec les âmes de grâce … je ne puis souffrir les conversations longues et
fréquentes … notre penchant corrompant tout.’ 5-6. ‘Une âme qui se laisse
conduire par la providence dans tous les moments trouve que sans y penser elle
fait tout bien.’ 7. ‘Ardeur pour le martyre… Tout cela est très excellent, mais
celui qui se contente du moment divin, quoique exempt de tous ces désirs, est
infiniment plus content et glorifie Dieu davantage.’ 8-9. Instinct foncier de
retourner au centre. 10. ‘S’amusant à tous les objets créés fait diversion, et
ôte l'attention de l'âme, en sorte qu'elle ne sent cette vertu attirante du
centre.’ / Fin de l’an 1682 add.marg.
/
2.11 LES TORRENTS. UNION AU P. LA COMBE.
1. Le père La Combe de retour à Rome
est mis dans la voie de foi nue, ce qui le fait douter. Les lumières sont
véritables mais l’interprétation qu’on leur donne est douteuse. 2. ‘J’éprouvais
le soin que vous preniez de toutes mes affaires’. Episode du ballot retrouvé.
3. M. de Genève la persécute en sous-main. ‘Il écrivit même contre moi aux
ursulines …le supérieur de la maison …et la
supérieure, aussi bien que la communauté, se trouvèrent si indignés de cela,
qu'ils ne purent s'empêcher de le témoigner à lui-même, qui s'excusait toujours
…sur un « je ne l’entendais pas de cette sorte ».’ 4. Retraite avec
le Père. ‘Ce fut là où je sentis la qualité de mère.’ 5. ‘Cela coulait comme du
fond et ne passait point par ma tête. Je n'étais pas encore accoutumée à cette
manière d'écrire; cependant j'écrivis un traité entier de toute la voie
intérieure sous la comparaison des rivières et des fleuves.’ 6. ‘Dieu me
faisait sentir et payer avec une extrême rigueur toutes ses résistances’ ;
‘je passais quelquefois les jours sans qu'il me fût possible de prononcer une
parole’ ; ‘ Tout ce que j'avais écrit autrefois … fut condamné au feu par
l'amour examinateur.’ 7. Union avec le père La Combe. ‘Il me fallait dire
toutes mes pensées, il me semblait que par là je rentrais dans l’occupation de
moi-même.’ 8. ‘Je lui disais avec beaucoup de fidélité tout ce que Dieu me
donnait à connaître qu'il désirait de lui, et ce fut là l'endroit fort à
passer.’
2.12 POUVOIR SUR LES AMES
1. Obéissance au Père. 2-3. Elle a
puissance d’ôter les démons qui tourmentent la fille que sa sœur avait amené et
de la guérir. 4. ‘Lorsque cette vertu n'était pas reçue dans le sujet faute de
correspondance, je la sentais suspendue dans sa source, et cela me faisait une
espèce de peine.’ 5. Elle reprend une sœur méprisante de la tentation d’une
compagne. Cette sœur, à son tour, entre dans un terrible état. 6. Maladie de
septembre à mai. Fièvre, abcès à l’œil. Etat de petit enfant. 7. Elle éprouve
en même temps un pouvoir sur les âmes.
2.13 LA COMMUNICATION
INTERIEURE
1. Epreuve : ‘Il fallait, à quelque
extrémité que je pusse être, que j'écoutasse leurs différends.’ 2-3. ‘Le père me défendit de me réjouir de
mourir.’ 4. Echange de maladie. 5. ‘Vous m'apprîtes qu'il y avait une autre
manière de converser.’ Union avec le Père. ‘J’apprenais son état tel que je le
ressentais, puis incontinent je sentais qu’il était rentré dans l’état où Dieu
le voulait.’ ‘Peu à peu je fus réduite à ne lui parler qu'en silence.’ 6-7.
‘Cette communication est Dieu même, qui se communique à tous les bienheureux en
flux et reflux personnel.’ 8. ‘Tous ceux qui sont mes véritables enfants ont
d'abord tendance à demeurer en silence auprès de moi, et j'ai même l'instinct
de leur communiquer en silence ce que Dieu me donne pour eux. Dans ce silence
je découvre leurs besoins et leurs manquements.’ 9. ‘il ne m'a point éclairée
par des illustrations et connaissances, mais en me faisant expérimenter les
choses.’ 10-12. ‘O communications admirables que celles qui se passèrent entre
Marie et Saint Jean !’ ‘Quelquefois Notre Seigneur me faisait comme
arrêter court au milieu de mes occupations, et j’éprouvais qu’il se faisait un
écoulement de grâce.’
2.14
AUX PORTES DE LA MORT
1-3. ‘Vous me montrâtes à moi-même
sous la figure de cette femme de l'Apocalypse … [J’ai]
confiance que, malgré la tempête et l'orage, tout ce que vous m'avez fait dire
ou écrire sera conservé.’ 4. ‘J'aperçus, non sous aucune figure, le dragon … la
mort s'approchait toujours de mon cœur … [le Père] dit à la mort de ne passer
pas outre.’ 5. Etablissement d’un hôpital. 6. ‘La supérieure eut de fortes
croix à mon occasion …après y avoir été deux ans et demi ou environ, elles
furent plus en repos.’ 7. Le Père la quitte pour aller chez M. de Verceil. Elle
sort des Ursulines et trouve une petite maison : ‘Jamais je n'ai goûté un
pareil contentement.’ 8. Voyage périlleux à Lausanne.
2.15 EN PIEMONT
1. Heureuse dans sa petite maison.
2. ‘La marquise de Prunai, soeur du premier secrétaire d'état de Son Altesse Royale …Lorsqu'elle
sut que j'avais été obligée de quitter les Ursulines …elle obtint une lettre de
cachet pour obliger le père La Combe d'aller à Turin …et de me mener
avec lui.’ 3. ‘Il fut conclu que j'irais à Turin et que le Père La Combe m'y conduirait et de là irait à
Verceil. Je pris encore un religieux de mérite.’ Calomnies répandues par le P.
La Mothe. 4. ‘Le père La Combe se rendit à Verceil, et je restai à Turin chez la Marquise de Prunai’ (5 déplacé) 6. M. de Verceil ‘désirait extrêmement de
m'avoir. C'était madame sa soeur, religieuse de la Visitation de Turin, qui est fort de mes
amies, qui lui avait écrit de moi … mais un certain honneur, un respect humain
me retenait.’ 7. Le Père est encore intérieurement divisé, source de
souffrance. 5. Invitation de l’évêque d’Aoste, au début de son séjour à Turin.
8. Le Père est ébloui par une pénitente en lumières. Lettre. 9. Il pense
qu’elle est orgueilleuse. Essayant d’accepter ce reproche elle défaille, il est
‘éclairé dans ce moment du peu de pouvoir que j'avais en ces choses.’
2.16 DOULEURS ET REVES,
LE MONT LIBAN
1. Souffrances pour purifier la fille
qui l’accompagne. 2. Effets physiques : ‘Elle me prit le bras. La violence
de la douleur fut si excessive …je me mordis.’ 3. ‘Songe … de plusieurs animaux
qui sortaient de son corps.’ 4. ‘Elle entra extérieurement dans un état qui
aurait pû passer pour folie.’ 5. Depuis ce temps elle connaît les âmes par le
fond. 6. M. de Genève la poursuit de ses lettres adressées à la Cour de
Piémont. 7. Rêve du mont Liban et des deux lits. 8. Etat immobile de bonheur
inaltérable.
2.17 COMMUNICATION
CONSCIENTE
1. Elle convertit un religieux, 2.
sait qu’il abandonnera. 3. Elle sent un an plus tard son abandon. ‘Infidèles,
je sentais qu'ils m'étaient ôtés et qu'ils ne m'étaient plus rien, ceux que
Notre Seigneur ne m'ôtait pas et qui étaient chancelants ou infidèles pour un
temps, il me faisait souffrir pour eux.’ 4. Conversion d’un violent. 5. Rêve
des oiseaux. Le plus beau n’est pas encore venu. 6. Le Père lui ordonne de
retourner à Paris. 7. Elle demeure un temps à Grenoble. Etat apostolique :
‘Il venait du monde de tous côtés, de loin et de près.’ Le père retourne à
Verceil. 9. Suite de l’état apostolique.
2.18 COMMUNICATION ET
MATERNITE SPIRITUELLE
1. Différence entre de simples âmes
de passage et ses enfants. Pour ces derniers elle pouvait éprouver ‘un mal
violent à l'endroit du coeur, qui était cependant spirituel … il me faisait
crier de toutes mes forces, et me réduisait au lit.’ 2. ‘Deux heures de cette
souffrance me changeaient plus que plusieurs jours de fièvre.’ 3. Mauvais
religieux. 4. De saintes filles et femmes de pauvre condition sont en butte aux
persécutions de mauvais religieux. 5-6. Bons religieux du même ordre. 7. Tous
l’appellent ‘mère’ sans savoir pourquoi. 8. Notre Seigneur donne toujours ce
qu’il faut pour nourrir les âmes. 9. Maternité spirituelle.
2.19 COMMUNICATION,
SEPARATION DU PECHEUR
1. Direction d’une fille qui,
éloignée, éprouve de l’aversion. 2. ‘O ma
mère, que j'ai bien senti ce que Dieu
est en vous !’ 3. Ses démons sont chassés. 4. ‘Plus
elle me cachait les choses, plus Notre Seigneur me les faisait connaître et
plus il la rejetait de mon fond.’ 5. Ce n’est pas Dieu qui rejette le pécheur
mais lui-même. 6. ‘Il cesse d'être pécheur sitôt qu'il cesse de vouloir
l'être.’ 7. ‘La mort fixe pour toujours la disposition de l'âme.’ 8. ‘Sa peine
du dam et du sens tout ensemble ne vient que de son impureté et dissemblance.’
9. ‘Il les purifie non seulement de l'effet du péché, mais de la cause.’ 10.
‘Cette fille fut rejetée de mon fond. La cause était subsistante en elle et non
dans ma volonté.’ 11. En Piémont, rêve d’une dame : ‘Ils étaient tous enfants
et petits … portant sur leurs habits les marques de leur candeur et innocence.
Elle crut que je venais là pour me charger des enfants de l'hôpital.’
2.20 COMMUNICATIONS
EFFICACES
1. Un bon frère reçoit la grâce par
son intermédiaire. 2. ‘Il lui était donné de communiquer avec moi en silence.’
3. ‘O hiérarchie admirable, qui commence dès cette vie pour continuer dans
toute l'éternité.’ 4. ‘Pour la communication en silence, ceux qui sont en état
de la recevoir ne sont pas pour cela en état de la communiquer. Il y a un grand
chemin à faire auparavant.’ 5. Des compagnons sont convertis. 6. Transformation
d’un novice. 7. Finalement le Père maître et le supérieur sont convaincus. 8-9.
Autres enfants spirituels. 10. Une sœur est délivrée de sa peine.
2.21 EXPLICATIONS, CANTIQUE, MOYEN COURT
1-2. Elle lit et écrit des Explications de l’Ecriture sainte. 3.
‘Vous me faisiez écrire avec tant de pureté, qu'il me fallait cesser et
reprendre comme vous le vouliez.’ 4-5. ‘Il me semble, ô mon Dieu, que vous
faites de vos plus chers amis comme la mer fait de ses vagues.’ 6. ‘Tout est
pour Dieu, sans retour ni relation à elles-mêmes.’ 7. Jalousies. 8. ‘L'écrivain
ne pouvait, quelque diligence qu'il fit, copier en cinq jours ce que j'écrivais
en une nuit.’ 9. ‘J'écrivis le Cantique
des Cantiques en un jour et demi’. 10. Moyen
court et facile de faire oraison édité par un ami conseiller du Parlement.
11. Elle guérit le bon frère quêteur, son copiste. 12. Le démon maltraite ses
amies.
2.22 COMMUNICATIONS ET
SOUFFRANCE POUR LE P. LA COMBE
1. Rêve prémonitoire d’une fille. 2.
Crucifige. 3. ‘J'avais la même union
et la même communication avec le père La Combe quoiqu'il fût si éloigné … Souvent
la plénitude trop grande m'ôtait la liberté d'écrire.’ 4. ‘Avant que d'écrire
sur le livre des Rois de tout ce qui
regarde David, je fus mise dans une si étroite union avec ce saint patriarche…’
5. Conversation : ‘Cet amour pur ne souffrait aucune superfluité ni
amusement.’ ‘Il y en avait d'autres, comme j'ai dit, auxquelles je ne pouvais
me communiquer qu'en silence, mais silence autant ineffable qu'efficace.’ 6.
Communications. ‘Saint Augustin …se plaint qu'il en faut revenir aux paroles à
cause de notre faiblesse.’ 7. ‘Ce qui m'a le plus fait souffrir a été le père
La Combe.’ 8. / ‘Je souffrais à
l’occasion de la fille qui était auprès de moi. Ce qu’elle me faisait souffrir
égalait le tourment du purgatoire’ / 9. ‘La créature du monde peut-être de
laquelle vous avez voulu une plus grande dépendance.’
2.23 MARSEILLE, GENES,
ALEXANDRIE
1. ‘L’aumônier de Monsieur de
Grenoble me persuada d'aller passer
quelque temps à Marseille pour laisser apaiser la tempête.’
2. ‘Le câble cassa tout à coup et le bateau alla donner contre une roche.’ 3.
‘Les soixante et douze disciples de Monsieur de Saint-Cyran … allèrent trouver
M. de Marseille … Il envoya quérir M. de Malaval.’ 4. ‘En huit jours que je fus
à Marseille, j'y vis bien de bonnes âmes.’ 5. ‘Elle allait de confesseurs à
confesseurs dire la même chose afin de les animer contre moi. Le feu était
allumé de toutes parts.’ 6. ‘Partait le lendemain une petite chaloupe qui
allait en un jour à Gênes.’ 7. ‘Nous fûmes onze jours en chemin … Nous ne pûmes
débarquer à Savone : il fallut aller jusqu'à Gênes.’ 8. ‘Insultes des
habitants, à cause du chagrin qu'ils avaient contre les Français pour les
dégâts des bombes.’ 9-10. Voyage périlleux, les voleurs ‘me saluèrent fort
honnêtement’. 11. Alexandrie. Histoire de la logeuse effrayée par son fils.
2.24 SEJOUR A VERCEIL
1. ‘A Verceil le soir du vendredi saint. … Le
père La Combe ne pouvait s'empêcher de me marquer sa mortification.’ 2.
L’évêque ‘ne laissa pas d'être fort satisfait de la conversation … La seconde
visite acheva de le gagner entièrement.’ 3. Il loue une maison pour fonder une
communauté. 4. Maladie. 5. L’évêque vient souvent la visiter. 6. ‘Le Père La
Combe était son théologal et son confesseur 7. ‘Les
barnabites de Paris, ou plutôt le
Père de La Mothe, s'avisa de le vouloir tirer de là pour le faire aller prêcher
à Paris.’ 8. Maladie. L’établissement de la congrégation n’a pas lieu. 9. ‘Ce
fut là que j'écrivis l'Apocalypse.’ 10. Etat d’enfance. Elle écrit à la
duchesse de Charost.
2.25 TURIN, GRENOBLE
1. Elle retourne en France. 2. Le
Père La Mothe laisse courir de faux bruits. 3. Elle passe douze jours chez son
amie la Marquise de Prunai Etablissement d’un hôpital. 4. Elle avait établi un
hôpital près de Grenoble. / ‘[Le père] venait lorsque je suffoquais
d’une oppression de poitrine, et il me commandait de guérir, et je guérissais’
/. 5. Elle revient avec la prémonition de croix à venir. 6. Elle croise le Père
La Mothe à Chambéry, ‘priant tous les jours avec des instances affectées le
père La Combe de ne me point laisser, et de m'accompagner jusqu'à Paris.’ 7.
Elle retrouve ses amies à Grenoble.
3.
LA VIE PAR ELLE-MEME : PARIS
3.1 INTRIGUES A PARIS
1. Mauvais desseins du père La
Mothe. 2. Union parfaite avec le père La Combe. 3. ‘J'arrivai à Paris la veille de Sainte-Madeleine 1686, justement cinq ans après
mon départ.’ Le Père La Mothe ‘me voulut loger à sa manière afin de se rendre
maître absolu de ma conduite.’ Il médit d’elle auprès de sa logeuse. Il est
jaloux du succès des sermons du Père La Combe. Ses calomnies. 5. ‘J'avais donné
une petite somme en dépôt au père La Combe avec la permission de ses
supérieurs, que je destinais pour faire une fille religieuse.’ 6. ‘Ils
envoyèrent à confesse au père La Combe un homme et une femme qui sont
unis pour faire impunément toutes sortes de malice.’ 7. ‘Ces paroles me furent
imprimées : il a été mis au rang des
malfaiteurs.’ On tente de la brouiller avec le tuteur de ses enfants. 8.
Même le Père La Combe se rend compte des foudres à venir. 9. ‘J'allai à la
campagne chez Madame la duchesse de Charost …on fut obligé de me délacer …
/ Tout ce que je pus faire fut de me
mettre sur le lit et me laisser consûmer de cette plénitude / 10. Le
Père La Combe est circonvenu par une femme. 11. Son mari fabrique des libelles
‘auxquels ils attachaient les propositions de Molinos’ et on les montre à
l’Archevêque. 12. Calomnie sur le séjour à Marseille mais le Père La Combe
n’avait jamais été là-bas ! 13-14. Le Père La Mothe et le Provincial
complotent avec l’Official. Intrigue de la femme. Le Père La Combe est dupe.
15. Une fille avertit Madame Guyon sur sa réelle nature.
3.2 INTRIGUES, SUITE
1. Le Père est détrompé. Calomnie
sur une grossesse supposée. Changement de stratégie : on met en cause le Moyen facile de faire oraison. 2. ‘Le
père La Mothe me vint trouver, disant qu'il y
avait à l'archevêché des mémoires effroyables…’ Elle découvre l’alliance
ennemie. 3. Le Père La Combe par obéissance manque une occasion de se
disculper. 4. Visite de M. l’abbé Gaumont et de M. Bureau. Ce dernier est attaqué, ‘l’on fit travailler
l'écrivain … Mme de Miramion, amie de M. Bureau, en vérifia elle-même la fausseté.’ 5. Le Père La
Mothe suggère au Père La Combe de ‘se retirer, pour par là le faire passer pour
coupable.’ 6. Même tentative auprès d’elle : ‘leur dessein était de rendre
le père La Combe criminel par ma fuite.’ 7. Même tentative sur la sœur du
tuteur : elle a un soupçon ? le Père La Mothe ajoute : ‘Il faut
absolument la faire fuir et c'est le sentiment de Monseigneur l'archevêque.’ 8.
‘Le lendemain le tuteur de mes enfants, ayant pris l'heure de
Monseigneur l'archevêque, y alla. Il y trouva le père La Mothe qui y était allé pour le
prévenir…’ Le mensonge est ainsi dévoilé.
3.3 ARRESTATION DU PERE
LA COMBE
1. ‘Ils firent entendre à Sa Majesté que le père La Combe était ami de
Molinos …[S.M.] ordonna …que le père La Combe ne sortirait point de son couvent
…Ils concertèrent de … le faire paraître réfractaire aux ordres … ils
résolurent de cacher cet ordre au père La Combe.’ 2. Tromperies pour faire
sortir le Père La Combe et établir des procès-verbaux. 3. Naïveté du Père
toujours soucieux d’obéissance. 4. Le Père La Mothe obtient les précieuses
attestations de la doctrine du Père La Combe et les fait disparaitre. 5. Le
Père est arrêté le 3 octobre 1687. 6. Pressions du Père La Mothe et ‘il y eut
même de mes amis assez faibles pour me conseiller de feindre de prendre sa
direction.’ 7. Tous ceux qui ne la connaissent pas crient contre elle. 8. ‘Je
ne faisais pas un pas, me laissant à mon Dieu.’ 9. Activité de l’écrivain
Gautier. 10. Elle trouve des témoins qui connaissent la femme du faussaire ce
qui peut démontrer l’innocence du Père La Combe mais le Père La Mothe, supérieur
des barnabites, ‘voulait bien se mêler de livrer son religieux, mais non pas de
le défendre.’ 11. ‘Un second Joseph vendu par ses frères.’ 12. ‘Ce fut sur
cette lettre supposée, que l’on fit voir à Sa Majesté, que l'on donna ordre de
m'emprisonner.’
3.4 INFAMIE DU P. LA
MOTHE
1. Maladie. 2. Le Père La Mothe
extorque une pièce qui pouvait sauver le Père La Combe. 3. Puis ‘il ne garda
plus de mesures à m'insulter.’ 4. Accusations et abandon par tous. 5. ‘L’on me
fit entendre qu'il fallait que je parlasse à M. le théologal. C’était un piège … deux jours après on fit entendre que j'avais …accusé bien des personnes, et ils se
servirent de cela pour exiler tous les gens qui ne leur plaisaient pas …C'est
ce qui m'a été le plus douloureux.’ 6. ‘On m'apporta une lettre de cachet pour me rendre à la Visitation du faubourg Saint-Antoine.’
3.5 PREMIERE RECLUSION
1. ‘Le 29 Janvier 1688 …il
me fallut aller à la Visitation. Sitôt que j'y fus, l’on me signifia que l'on ne voulait pas me donner
ma fille, ni personne pour me servir; que
je serais prisonnière, enfermée seule dans une chambre. … l’on se servait de ma
détention pour la vouloir marier par force à des gens qui qui étaient sa
perte.’ 2. ‘C'est une maison où la foi est très pure et où Dieu est très bien
servi; c'est pourquoi l’on ne pouvait m'y voir de bon oeil me croyant
hérétique…’ 3. Son confesseur la renie par peur. 4. Elle souffre par la fille
geôlière. 5. Une infidélité : ‘je voulus m’observer.’ 6. Songe d’une pluie
de feu d’or. 7. Interrogatoire sur le Père La Combe par l’official et un
docteur de Sorbonne. 8. Protestation écrite. 9. Interrogatoire sur le Moyen court. 10. Interrogatoire sur une
lettre contrefaite à propos de supposées assemblées. 11. ‘« Vous voyez bien,
Madame, qu'après une lettre comme celle-là, il y avait bien de quoi vous mettre
en prison. » Je lui répondis : « Oui, Monsieur, si je l'avais écrite. »’ ‘L’on
fut deux mois après la dernière interrogation sans me dire un mot, à exercer
toujours la même rigueur envers moi, cette soeur me traitant plus mal que
jamais.’ 12. Aucune illusion sur le but poursuivi de la faire paraître coupable
à tout prix. 13. Visite mal intentionnée de l’Official seul. 14. ‘Il dressa un
procès-verbal.’ / Lettre pour M.
L’official, Lettre à M. L’archevêque / 15. ‘L’on me fit savoir que mon
affaire allait bien et que j'allais sortir à Pâques.’
3.6 PRESSIONS POUR MARIER
SA FILLE
1. ‘Jusqu'alors j'avais été dans un
contentement et une joie de souffrir et d'être captive inexplicable.’ 2-3. Elle
entre dans l’amertume. 4. ‘Jésus-Christ et les saints se crevaient-ils les yeux
pour ne pas voir leurs persécuteurs? Ils les voyaient : mais ils voyaient en
même temps qu'ils n'auraient eu aucun pouvoir s'il ne leur avait été donné d'en
haut.’ 5. ‘L’on ne laissait pas de pousser continuellement ma fille de consentir à un mariage qui
aurait été sa perte.’ 6. ‘Le père La Mothe sut que l'on disait du bien de
moi dans cette maison, il alla se persuader que l'on ne pouvait dire du bien de
moi sans dire du mal de lui.’ 7. ‘J'étais continuellement battue entre
l'espérance et le désespoir.’ 8. ‘L’on me vint annoncer tout à coup que le père
La Mothe avait obtenu que l'on me mît dans
une maison dont il est le maître.’ 9. On prie ‘un père jésuite de sa
connaissance de parler au père de La Chaise. Ce bon père le fit, mais il trouva le père de La Chaise fort prévenu.’
Lettre au P. de la Chaise. 10. Elle a un effet contraire. ‘Le père de La Chaise parla de moi … Monseigneur
l'archevêque assura que j'étais fort criminelle …un mois avant ce temps M.
l'official me vint trouver avec le docteur,
et me proposa en présence de la mère supérieure, que si je voulais consentir au
mariage de ma fille, je sortirais de prison avant huit
jours.’
3.7 LETTRES CONTREFAITES
1. On l’enferme au mois de juillet
dans une chambre surchauffée - malgré la mère supérieure. 2. On l’accuse de
‘choses horribles’ mais elle ne peut avoir de précision ! ‘Je lui répondis
que Dieu était le témoin de tout. Il me dit que, dans ces sortes d'affaires,
prendre Dieu à témoin était un crime. Je lui dis que rien au monde n'était
capable de m'empêcher de recourir à Dieu.’ 3. Le tuteur intervient auprès de
l’Archevêque qui l’accuse sans preuve. 4. ‘Ce fut donc ces effroyables lettres
contrefaites que l'on fit voir au père de La Chaise, pour lesquelles l’on me renferma.’ 5. Témoignage de commandants
favorables au Père La Combe. On le fait transférer de prison. 6. Faux
témoignage demandé à une personne d’honneur. Madame de Maisonfort de Saint-Cyr
parle pour elle à Madame de Maintenon, mais le roi est prévenu.
7. Maladie. 8-10. Martyrs du
Saint-Esprit. 11-12. Ils renouvelleront la face de la terre.
3.8 COMMUNICATIONS ET
MARTYRE
1. Ils voulaient tirer des
rétractations pour se couvrir. 2. ‘Comment voulez-vous, dit-il, que nous la
croyions innocente, moi qui sais que le père La Mothe, son propre frère, …a été obligé de porter des mémoires effroyables.’
3. ‘Quoique le père La Combe soit en prison, nous ne laissons
pas de nous communiquer en Dieu d'une manière admirable.’ 4. ‘J’éprouve deux
états à présent tout ensemble : je porte Jésus-Christ crucifié et enfant.’
‘Fait ce 21 d'août 1688, âgée de quarante ans ; de ma prison.’ 5. ‘Je
sentais l'état des âmes qui m'approchaient et celui des personnes qui m'étaient
données, quelque éloignées qu'elles fussent.’ 6. ‘Le 21 d'août 1688. L’on
croyait que j'allais sortir de prison et tout semblait disposé pour cela …Le
22e, je fus mise à mon réveil dans un état d'agonie.’ Indifférence entière.
7. L’épouse obtient tout de l’époux. 8.
‘M. L’official vint avec le docteur, le tuteur de mes enfants et le père La Mothe pour me parler du mariage de ma
fille. / ‘L’on me dit que si je voulais
y donner les mains, que l’on me donnerait ma liberté dans huit jours’ / 9.
‘Ma cousine voulut parler en ma faveur à Mme
de Maintenon, mais elle la trouva si prévenue contre moi par la calomnie…’
3.9 DELIVRANCE.
1-2. ‘M. l'official vint le mercredi premier
d'octobre 1688’. Il essaye de lui faire reconnaître des mémoires sans en
définir le contenu. 3. ‘Il fallut passer par là, malgré toutes mes raisons,
pour éviter leur violence et me tirer de leurs mains.’ 4. Lettre de Falconi mis
en cause à Rome. 6. Copie des papiers donnés à M. l'official, le 8 février 1688. 7. ‘Comme l'on vit que les religieuses disaient
beaucoup de bien de moi, et témoignaient m'estimer, mes ennemis et quelques-uns
de leurs amis leur vinrent dire que ce qu'elles avaient de l'estime pour moi
faisait un grand tort à leur maison, que l'on disait que je les avais toutes
corrompues et faites quiétistes.’ 8. Délivrance. 9. ‘Ensuite j'allai voir Mme
de Miramion.’ / Lettre à Madame de
Maintenon. / ‘J'allai à Saint-Cyr la saluer : elle me reçut
parfaitement bien et d'une manière singulière.’ Elle réside chez Madame de
Miramion. ‘Si Dieu le veut, j'écrirai un jour la suite d'une vie qui n'est pas
encore finie. Ce 20 septembre 1688. 10. ‘Quelques jours après ma sortie, je fus
à Beynes chez Madame de Charost ... ayant ouï parler de M. l'abbé
de Fénelon, je fus tout à coup occupée de lui avec une extrême force et
douceur…’
3.10 FENELON - ETAT
APOSTOLIQUE
1. / B S Elle regarde Fénelon comme son fils : ‘Ce fut vers la St François
du mois d’octobre 1688 …il faut qu’il soit anéanti et étrangement rapetissé.
Dieu travaillera surtout à détruire sa propre sagesse …dès 1680 que Dieu me le
fit voir en songe … Quelque union que j’aie eue pour le père La Combe j’avoue que celle que j’aie pour M. L. est
encore tout d’une autre nature. / 2. ‘Il ne m'appelait point, comme l'on avait
cru, à une propagation de l'extérieur de l'Eglise, qui consiste à gagner les
hérétiques, mais à la propagation de son Esprit, qui n'est autre que l'esprit
intérieur.’ 3-4. Douleurs spirituelles : ‘L'une causée par leur infidélité
actuelle, l'autre qui est pour les purifier et les faire avancer.’ 5-6. La
justice divine. 7. Plénitude. 8. ‘Rejaillissement d'un fond comblé et toujours
plein pour toutes les âmes qui ont besoin.’ 9. ‘Si les âmes qui sont
conduites par ces personnes pouvaient pénétrer au travers de cet extérieur si faible
la profondeur de leur grâce, elles les regarderaient avec trop de respect, et
ne mourraient point à l'appui que leur ferait une telle conduite.’ 10. Ces
personnes sont des ‘paradoxes.’ 11. ‘L'âme de cet état s'ignore soi-même.’ 12.
‘Toutes les plus grandes croix viennent de cet état apostolique …l’enfer et
tous les hommes se remuent pour empêcher le bien qui se fait dans les âmes. 13.
‘Saints qu'en lui et pour lui : ils sont saints à sa mode, et non à celle des
hommes.’ 14. ‘Aucun amour naturel, mais une charité infinie.’ 15. Ames de foi.
16. ‘Le resserrement de la personne à qui on parle qui fait la répugnance à
dire.’ ‘etc. jusqu’en fin 1688.’ / les §
en fin de B commençant par : ‘Je me suis oubliée de dire…’ sont replaçés
dans leurs contextes /
3.11 DANS LA SOLITUDE –
FREQUENTATION DE SAINT-CYR
1. Chez Madame de Miramion, qui lui
montra les lettres du Père La Mothe. 2. Mal à l’œil ; il faut savoir se
plaindre. 3. Elle reste deux ans et demi avec sa fille mariée. Elle voudrait se
retirer chez les bénédictines de Montargis ce qui fut presque fait. 4. Ses
conversations avec Fénelon. 5. ‘Ayant quitté ma fille, je pris une petite maison
éloignée du monde.’ A Saint-Cyr, Madame de Maintenon ‘me marquait alors
beaucoup de bontés; et pendant trois ou quatre années que cela a duré j'en ai
reçu toute sorte de marques d'estime et de confiance.’ Puis refroidissement. 6.
Entretien avec M. Nicole. 7. Puis avec M . Boileau. 8. Elle rédige une Explication du Moyen court. 9. Les eaux à Bourbon-l’Archambaud. 10. Nicole rédige
un livre contre elle sept ou huit mois après leur entretien. Dom F. Lamy le
réfute.
3.12 DEFAVEUR
1-2. Sa défaveur à Saint-Cyr ‘fait
quelque bruit.’ Elle tâche de disparaître à l’attention publique sans succès.
3-5. Histoire de la fille amoureuse qui s’est donnée au démon ; M. Fouquet
la mène à M. Robert grand pénitencier. Morts suspectes de ce dernier et du Père
Breton. 6. M. Boileau devient un zélé persécuteur sous l’influence d’une
dévote. 7. On l’accuse d’avoir plagié Mlle de Vigneron, ce qui s’avère faux.
8-9. Suite de l’histoire de la dévote. 10. Un cercle autour de M. Boileau
cherche à la déconsidérer aux yeux de Madame de Maintenon qui ‘tint bon quelque
temps’.
3.13 BOSSUET
1. ‘Quelques personnes de mes amis
jugèrent à propos que je visse Mgr l'évêque de Meaux.’ 2. Le duc de Chevreuse
lui amène Bossuet, qui dit avoir apprécié certains écrits. Mais ses discours
‘l’épouvantent.’ On lui communique la Vie
‘qu’il trouva si bonne qu'il lui écrivit qu'il y trouvait une onction qu'il ne
trouvait point ailleurs, qu'il avait été trois jours en la lisant sans perdre
la présence de Dieu.’ 3. Histoire de la religieuse mourante. Crédulité de
Bossuet ? 4. Communication des Explications
des Ecritures comme de la Vie,
sous le sceau du secret. 5. ‘Commencement de l'année 1694.’ Conférence qui
devait rester secrète. ‘Ce n’était plus le même homme … J'en fus malade
plusieurs jours.’ 6. Revue des difficultées qui furent soulevées :
impossibilité d’actes discursifs, de désirer son propre bonheur… 7. ‘Pour
désirer pour soi, il faut vouloir pour soi. Or tout le soin de Dieu étant
d'abîmer la volonté de la créature dans la sienne, il absorbe aussi tout désir
connu dans l'amour de sa divine volonté.’ 8. Faim distincte du désir. 9.
Disparition de la pente sensible ou même aperçue par ‘repos en Dieu même.’
Comparaison de l’eau qui n’a aucune qualité particulière. 10. ‘Les âmes ne sont
propres qu'à peu de choses tant qu'elles conservent leur consistance propre.’
Discussion sur ses livres. 11. ‘Je crois encore que ce qui fait que l'âme ne
peut plus rien désirer, c'est que Dieu remplit sa capacité.’
3.14 LES ECLAIRCISSEMENTS
EXIGES
3. ‘Il me parla de la femme de
l'Apocalypse.’ 4. ‘Pour l’écoulement de grâces, c’était une autre difficulté.’
5.Le manque d’expérience de Bossuet. ‘Il avait été frappé des choses
extraordinaires … mais cette voie de foi
simple … c’était un jargon.’ 6. Sur ‘l’absence de grâce’. 7. Difficulté sur
l’état Apostolique. 8. ‘La première fois que j'écrivis ma vie, elle était très
courte … L’on me la fit brûler, et l’on me commanda absolument de ne rien
omettre, et d'écrire sans retour.’ 9. ‘Lier et délier’. 10. Retour sur les
actes distincts. 11. ‘Se laisser mouvoir sans résistance. Qui n'admet pas ces
actes secondaires, détruit toutes les opérations de la grâce comme premier
principe et fait que Dieu n’est que secondaire, et ne fait qu'accompagner notre
action.’ 12. ‘Que je fisse des demandes ? mais que pouvais-je
demander ?’ ; ‘Il y a deux sortes d'âmes : les unes auxquelles Dieu
laisse la liberté de penser à elles, et d'autres que Dieu invite à se donner à
lui par un oubli si entier d'elles-mêmes, qu'il leur reproche les moindres
retours. Ces âmes sont comme de petits enfants.’ 13. ‘M. de Meaux prétendait qu'il n'y a que quatre
ou cinq personnes dans tout le monde qui aient ces manières d'oraison et qui
soient dans cette difficulté de faire des actes. Il y en a plus de cent mille
dans le monde.’
3.15 MORT DE M. FOUQUET
1. ‘La vivacité de M. de Meaux, et
les termes durs qu'il employait quelquefois, m'avaient persuadée qu'il me
regardait comme une personne trompée et dans l'illusion … Il était prêt de me
donner un certificat.’ 2. ‘M. Fouquet fut le seul à qui je confiai le
lieu de ma retraite.’ Elle écrit une lettre à Mme de Maintenon qui refuse une
enquête sur les mœurs, voulant se placer sur le terrain doctrinal. 3-4. ‘M.
Fouquet, qui était tombé dans une maladie de langueur, mourut dans ce
temps-là.’ Elle se réjouit de son bonheur dont elle reçoit assurance. 5. ‘L’on
craignait qu'on ne reconnût mon innocence.’ 6. ‘Je ne puis point avouer avoir
eu des pensées que je n'eus jamais.’ 7. ‘Il y avait plus de quarante jours que
j'avais la fièvre continue.’
3.16 JUSTIFICATIONS
1. ‘Je commençais à m'apercevoir
qu'on en voulait à d'autres qu'à moi dans la persécution que l'on me suscitait.
2. ‘Comme [Mme de Maintenon] avait contribué à me tirer d'oppression quelques
années auparavant, elle croyait devoir s'employer à m'accabler.’ 3. ‘Je mandai
que j'étais toujours prête de rendre raison de ma foi.’ 4. Quels
examinateurs ? M. de Paris l’aurait bien tiré d’affaire. 5. Trois
examinateurs : ‘Il y a lieu de croire qu'il [Bossuet] promit tout ce que [Mme
de Maintenon] souhaitait’; ‘Mgr l'évêque de Châlons, qui avait de la douceur et
de la piété’; M. Tronson. 6. Lettre à ces examinateurs. 7. Rédaction des Justifications.
3.17 ENTRETIENS D’ISSY
1. ‘Je m'aperçus bientôt
du changement de M. de Meaux.’ 2. Bossuet refuse la présence du duc de Chevreuse : ‘Il voulait faire
une condamnation d'éclat.’ 3. La supposition impossible ou sacrifice de
l’éternité : 4. ‘Une personne qui tombe dans l'eau fait d'abord tous ses
efforts pour se sauver et ne cesse son effort que lorsque sa faiblesse le rend
inutile. Alors elle se sacrifie à une mort qui lui paraît inévitable.’ 5. ‘Elle
lui fait donc un sacrifice de tout ce qu'elle est, afin qu'il fasse d'elle et
en elle tout ce qu'il lui plaira.’ 6. ‘En cet état l'âme est si affligée et si
tourmentée de l'expérience de ses misères et de la crainte, sans sentiment,
d'offenser Dieu, qu'elle est ravie de mourir quoique sa perte lui paraisse
certaine, afin de sortir de cet état, et de n'être plus au hasard d'offenser
Dieu.’ 7. ‘L’âme se voie dans la volonté de tous les maux et dans l’impuissance
de les commettre.’ 8. Réponse à la difficulté de M. de Meaux touchant le sacrifice de la
pureté. 9. Bossuet se fixe dans ses
idées. 10. Il l’accuse de présomption. 11. ‘On s'assembla chez M. de Meaux…’
12. ‘M. de Meaux, après s'être longtemps fait attendre, arriva sur le soir’ et chasse le
duc de Chevreuse. 13. Il ‘tâchait d'obscurcir et rendre galimatias tout ce que
je disais.’ 14. Il produit malignement une lettre. 15. ‘Cette conférence ne fut
d'aucune utilité pour le fond des choses. Elle mit seulement M. de Meaux à portée de dire à Mme de
Maintenon qu'il avait fait l'examen projeté.’ 16. ‘M. de Meaux dans la chaleur
de sa prévention m'injuriait sans vouloir m'entendre.’ 17. M. Tronson est plus
équitable.
3.18 A SAINTE-MARIE DE MEAUX
1.
Elle se rend à Sainte-Marie de Meaux en janvier 1695. Voyage mouvementé
dans la neige, suivi de six semaines de fièvres. 2. A l’accusation
d’hypocrisie, elle répond : ‘Je suis assurément une mauvaise hypocrite et j'en
ai mal appris le métier, puisque j'y ai si mal réussi.’ Cherchant à ne plaire
qu’à Dieu, ‘je compris alors que c'était la manière dont Jésus-Christ avait
souffert.’ 3. Elle est estimée de la mère Picard et des religieuses. 4. On fait
courir une lettre attribuée à M. de Grenoble. Réponse du père de Richebrac. 5.
M. de Grenoble indigné. Copie de deux de ses lettres. 6. Bossuet ‘se récria sur
la noirceur de cette calomnie. Il avait de bons moments, qui étaient ensuite
détruits par les personnes qui le poussaient contre moi et par son propre
intérêt.’ 7. Fable d’un curé. 8. ‘A confesse à tous les curés et confesseurs de
Paris, une méchante femme prit le nom d'une de mes filles. C’était celui de
Manon autrement (appelée) Famille.’ 9.
Scènes de colère par l’impuissant Bossuet. 10. Témoignage de la mère Picard et
de ses filles. 11. Bossuet à la mère Picard : ‘Je ne vois en elle, tout
comme vous, que du bien, mais ses ennemis me tourmentent et veulent trouver du
mal en elle.’
3.19 UN SURPRENANT
CHANTAGE
1. Promesse d’un certificat. 2. Le
chantage : ‘Il renferma le tout dans son portefeuille et me dit qu'il ne
me donnerait rien … il s'enfuit. Les religieuses furent épouvantées d'un tour
pareil.’ 3-4. ‘Les bonnes filles qui voyaient une partie des
violences et des emportements de M. de Meaux, n'en pouvaient revenir.’ 5. ‘Enfin après avoir été six mois à Meaux,
il me donna de lui-même un certificat.’ 6. Il lui donne congé. 7. Bossuet
change car Madame de Maintenon ‘est peu contente de l’attestation.’ 8. Copie de
la première attestation. 9. ‘Il débita que j'avais sauté les murailles du
couvent pour m'enfuir. Outre que je saute fort mal, c'est que toutes les
religieuses étaient témoins du contraire.’ 10. ‘Je pris la résolution de ne
point quitter Paris …de me dérober généralement à la vue de tout
le monde. Je restai de cette manière environ cinq ou six mois. Je passais les
jours seule, à lire, à prier Dieu, à travailler. Mais sur la fin de l'année
mille six cent quatre vingt quinze je fus arrêtée …et conduite à Vincennes.’
3.20 POURQUOI M’AVEZ-VOUS ABANDONNEE ?
1. ‘Je ne parlerai point ici de
cette longue persécution qui a fait tant de bruit par une suite de dix années
de prisons de toutes espèces, et d'un exil à peu près aussi long, et qui n'est
pas encore fini.’ 2. ‘Mon Dieu, mon Dieu,
pourquoi m'avez-vous abandonnée?’ ‘Ce fut dans ce temps que je fus portée à
me mettre du parti de Dieu contre moi-même, et à faire toutes les austérités
dont je pus m'aviser.’ 3. Elle a défendu l’oraison. 4. Elle justifie certaines
relations qui paraissent secondaires. 5. Paix au début. 6. Infidélité de
‘préméditer un jour des réponses.’ 7. Les choses sont portées ‘à de plus
grandes extrémités.’ Elle désespère.
3.21 DERNIERES PAGES DE
LA VIE, L’ETAT SIMPLE ET INVARIABLE
1. Maladies. ‘Mon état est devenu
simple, et invariable. Le fond de cet état est un anéantissement profond ne
trouvant rien en soi de nominable. Tout ce que je sais c'est que Dieu est
infiniment saint, juste, bon, heureux … rien ne subsiste en moi ni bien ni mal.
Le bien est en Dieu. Je n'ai pour mon partage que le rien.’ 2. ‘Pauvreté et
nudité est mon partage. Je n'ai ni confiance ni défiance, enfin Rien, Rien.’ 4.
‘Il est riche, je suis très pauvre … Je ne manque de rien, je ne sens de besoin
sur rien. La mort, la vie, tout est égal. L’éternité, le temps, tout est
éternité, … Dieu est amour et l'amour est Dieu’ ; ‘Les pensées ne font que
passer, rien n'arrête. … Ce que j'ai dit ou écrit est passé, je ne m'en
souviens plus.’ 5. ‘C'est un fanal vide, on peut y allumer un flambeau.’ 3. ‘Si
on disait quelque chose à mon avantage, je serais surprise, ne trouvant rien en
moi.’ ‘Il me donne un air libre, et me fait entretenir les gens, non selon mes
dispositions, mais selon ce qu'ils sont, me donnant même de l'esprit naturel
avec ceux qui en ont, et cela d'un air si libre qu'ils en sont contents.’
Décembre 1709. Annexe sur l’état fixe et permanent.
4. LES PRISONS, RECIT
AUTOBIOGRAPHIQUE
Envoi.
4.1 VINCENNES
Alternative : ‘ou d'aller dans un
couvent du diocèse de Meaux sous la conduite et la direction de ce prélat
[Bossuet], ou d'être poussée à tout ce que l'autorité et la violence me
pouvaient faite envisager de plus affreux.’ Arrestation à Noël 1695 par
Desgrez. A Vincennes, interrogatoire par l’honnête La Reynie sur des lettres
saisies du Père La Combe, sur Famille,
sur l’expression malheureuse La petite
Eglise vous salue, illustre persécutée’. ‘Après neuf ou dix interrogatoires
de six, sept et huit heures quelquefois, il jeta les lettres et les papiers sur
la table … Il fit un dixième interrogatoire où il me demanda permission de
rire.’ Etat degrande paix ; une infidélité : préparer des réponses. ‘Je faisais
des cantiques.’ Succèd le violent et aigri Pirot : ‘Les tourments que cet
homme me faisait par ses ruses et par ses artifices, me faisaient tomber malade
toutes les fois qu'il venait.’; ‘Je demandai un confesseur pour mourir en
chrétienne. L’on me demanda qui je souhaitais ; je nommai le P. Archange
Enguerrand, récollet d'un grand mérite, ou bien un jésuite.’ Ce qui ne lui fut pas
accordé. Elle eut le curé de Saint-Sulpice [La Chétardie]. Ses manœuvres.
4.2 VAUGIRARD
‘Le 16 octobre 1696, Desgrez me vint prendre à Vincennes pour me mener à Vaugirard … On me
mit dans une chambre percée à jour et prête à tomber … [Une fille] venait m'insulter,
me dire des injures, me mettre le poing contre le menton, afin que je me misse
en colère.’ Elle est tourmentée ainsi que les filles à son service par le curé.
Oppression et songes.
4.3 LES
PREUVES ABSENTES
‘Dix mois à Vincennes entre les mains de M. de La
Reynie’. On tente de se débarrasser d’elle à l’aide d’un vin empoisonné. ‘M.
le Curé me dit, un jour, un mot qui me
parut effroyable …qui était qu'on ne me mettait pas en justice parce qu'il n'y
avait pas de quoi me faire mourir’ ‘…leur défendant, s'il me prenait quelque
mal subit comme apoplexie ou autre de cette nature, de me faire venir un
prêtre.’ Lettre à M. de Paris de décembre 1697. Un confesseur lui rend service.
4.4 LE CONFESSEUR ACCUSE
Très longue lettre du curé :
reproches, insinuations etc. Il interroge la sœur qui la garde et une paysanne
qui témoigne avoir vu le faussaire chez lui.
4.5 LA FAUSSE LETTRE
Visite de M. de Paris avec une
lettre forgée du Père La Combe. ‘S'approchant [le Curé] me dit tout bas : «On
vous perdra.»’ Reproches de l’archevêque. Texte de la lettre. On la sépare de
ses filles que l’on maltraitera. ‘Il y en a encore une dans la peine depuis dix
ans pour avoir dit l'histoire du vin empoisonné devant le juge. [L’]autre dont
l'esprit était plus faible le perdit par l'excès et la longueur de tant de
souffrances, sans que dans sa folie on pût jamais tirer un mot d'elle contre
moi. …elle vit présentement paisible et servant Dieu de tout son coeur. On me mena donc seule à la Bastille.’
4.6 LA BASTILLE
Le 4 juin 1698. ‘on me donna une
demoiselle qui, étant de condition et sans biens, espérait faire fortune, comme
on lui avait promis, si elle pouvait trouver quelque chose contre moi.’
Humidité du lieu, défaillance de 24 heures. Le ‘P. Martineau me dit : “Je n'ai de pouvoir de
vous confesser qu'en cas que vous alliez mourir tout à l'heure.” … M. d’Argenson vint m'interroger. Il était si
prévenu et avait tant de fureur que je n'avais jamais rien vu de pareil. … plus
de vingt interrogatoires, chacun de plusieurs heures. … Après cet
interrogatoire si long qu'il dura près de trois mois, et qu'on (n'] en a jamais
tant fait aux plus grands criminels, on prit deux ans, apparemment pour
s'informer partout.’ Elle s’occupe d’une pauvre femme qui se croit damnée et
que l’on saigne à mort espérant tirer un témoignage chargeant Madame Guyon.
Dureté du confesseur.
4.7 L’ABIME
‘J’avais donc auprès de moi la filleule de M.
du Junca, avec la promesse qu'il lui avait faite de l'épouser.’ Elle la
convertit : ‘Elle comptait demeurer auprès de moi tant que j'aurais vécu, mais
après qu'elle y [fut resté] trois ans, dans une même chambre, il fallut qu'elle
s'en allât. Elle mourut quinze jours après. … Je restai seule un an et demi.
J'eus un an la fièvre, sans en rien dire.’ Tentative de suicide d’un
prisonnier : ‘Il n'y a que l'amour de Dieu, l'abandon à sa volonté …sans
quoi les duretés qu'on y éprouve sans consolation jettent dans le désespoir.’
Déposition contre elle de Davant, un prêtre. ‘Quelquefois, en descendant, on me
montrait une porte, et l'on me disait que c'était là qu'on donnait la question.
D'autres fois on me montrait un cachot, je disais que je le trouvais fort
joli.’ ‘Ma vie me quittait. Je tâchai de gagner mon lit pour mourir dedans.’
‘J'avais toujours caché mon mal, si l'extrême maigreur, jointe à l'impuissance
de me soutenir sur mes jambes, ne l'eût découvert. On envoya quérir le médecin
qui était un très honnête homme. L’apothicaire me donna un opiat empoisonné.
…Je le montrai au médecin qui me dit à l'oreille de n'en point prendre, que
c'était du poison.’ ‘Je fus plus d'un an seule, car la petite demoiselle dont
j'ai parlé étant morte, je priai qu'on ne m'en donnât plus, et je pris prétexte
qu'elles mouraient.’
4.8 LA DELIVRANCE
‘M. de Paris eut de très grands remords de me
laisser mourir en prison.’ ‘Il est certain qu'on me laissait aller chez mon
fils sans condition lorsque ma sortie eut été accordée. Dès qu'il fut arrivé,
il me dit qu'il ne me recevrait chez lui qu'à [certaines] conditions qu'il
voulait qu'on lui donnât par écrit.’ ‘Ils écrivirent une lettre à M. de
Pontchartrain - capable de me faire remettre à
la Bastille si, pour s'informer de la vérité
des faits qu'elle contenait, ce ministre ne l'eût renvoyée à M. l'évêque de
Blois.’
5. TEXTES SECONDAIRES
5.1 TEXTES
AUTOBIOGRAPHIQUES PARALLELES
Discours n°11 (Correspondance tome
V) : Douleurs intérieures et abandon - tout s'écoule sans cesse sans laisser
aucune impression. ‘L’âme dans son rien ne peut rien ... Il n'y a que l'Etre
créateur qui la rende propre à tout ce qu'il lui plaît.’
5.2 BLOIS TEMOIGNAGES EN
SUPPLEMENTS A LA VIE
‘Nous remonterons aux causes des
changements de Mme de Maintenon à l’égard de Madame Guyon … et nous répondrons
aux calomnies de la Beaumelle. Nous rassemblerons ensuite les faits détachés et
épars que nous avons recueilli de sa vie privée durant son séjour à Blois et
enfin nous éclaircirons une difficulté que ses ennemis ont élevé contre une
prophétie qu’elle fit en 1689 dans une lettre à Fénelon.’
5.3 SEPT LETTRES EDITEES
AVEC LA VIE
Lettre 1 de Mme Guyon au Père La
Combe, 1683 : épreuves à venir
Lettre 2 de Mme Guyon au Père
La Combe, 1683 : union paisible ;tempête à venir ; la femme enceinte
face au dragon.
Lettre 3 du P. La Combe à
Madame Guyon, 1683 : prédiction de l’anéantissement extérieur qui atteindra
celle-ci, accompagnant son anéantissement intérieur.
Lettre 4 du P. La Combe à Madame
Guyon sur son état douloureux.
Lettre 5 du P. La Combe à Madame
Guyon, 1693 : son état d'impuissance.
Lettre 6 d'une fille retenue en
prison à son frère : elle partage la croix de Madame Guyon à laquelle
elle demeure unie.
Lettre 7 de la même sur son abandon
à Dieu.
5.4 QUATRE CANTIQUES EDITES AVEC LA VIE
Grand Dieu, pour ton plaisir / Je
suis dans une cage.
Charmante solitude, / Cachot,
aimable tour
On me tient en prison, ô mon cher
petit Maître
Si c'est un crime que d'aimer…
5.5 DEUX CANTIQUES REDIGES EN PRISON
O Dieu Père fils et Saint Esprit je
suis orpheline…
Que mon cœur est content auprès de
ce que j'aime!
Afin de faciliter la
découverte de Madame Guyon après lecture de sa Vie, nous en donnons une bibliographie complète. Il existe par
ailleurs quelques belles études qui rendent compte de son courage devant
l’adversité, mais l’océan des textes issus de « l’affaire quiétiste »
ne contribue guère à mieux la connaître. L’affrontement entre Bossuet et
Fénelon domine en effet la scène et le rôle de Madame Guyon est occulté par des
auteurs qui pensent pouvoir ainsi préserver Fénelon[1471].
1. Textes de Madame Guyon couvre l’ensemble de l’œuvre. Une description
analytique allant au-delà de titres d’ouvrages rassemblant des écrits divers[1472] est
donnée ici pour la première fois. Cette œuvre n’est considérable que parce
qu’elle fut presque entièrement préservée[1473].
Elle est unique par son spectre large présentant, outre un témoignage de vie
(les écrits de ce volume et la Correspondance[1474]),
une méditation sur la tradition chrétienne (les Explications des deux Testaments et les Justifications qui est une belle anthologie mystique) et un
enseignement mystique (les Torrents, les
Discours et Opuscules). Nos diverses sous-sections couvrent la suite
chronologique des éditions : des manuscrits
furent l’objet de quelques rares éditions
du XVIIe siècle, avant que Poiret
ne réalise au début du siècle suivant une publication quasi-complète des œuvres[1475].
Rééditée par Dutoit à la fin du même
siècle, il fallut attendre 1978 pour des rééditions
récentes.
2. Etudes se limitent à un choix de quelques ouvrages
récents portant sur : 2.1 Etudes sur
Madame Guyon ; 2.2 Etudes de sa
filiation spirituelle et de son environnement. De la masse accumulée depuis
trois siècles, faussée par les échos de la « crise quiétiste » puis
plus récemment de la « crise moderniste », nous retenons les retours
aux sources, excluant d’une part les études générales sur la
« querelle », d’autre part des
interprétations ingénieuses et par là célèbres mais souvent cavalières
ou arbitraires, d’essayistes, psychologues, etc. Le nombre d’études se réduit
alors considérablement. Enfin nous donnons en 2.3 Autres ouvrages cités les références de travaux cités dans ce
volume.
NOYE (Irénée), Etat
documentaire des manuscrits des œuvres et des lettres de Madame Guyon dans
Rencontres autour de la Vie et l’œuvre de Madame Guyon, Millon, 1997, p. 51-61.
(Cet article résume le dernier état connu de l’œuvre manuscrite préparé à
l’occasion des rencontres organisées à Thonon les 12,13 et 14 septembre 1996).
1.2.
Editions du XVIIe siècle.
Au XVIIe
siècle paraissent le Moyen court, la Règle des associés et le Cantique. Madame Guyon sera interrogée
sur le Moyen court et sur le Cantique tandis que Bossuet exploitera
la Vie manuscrite :
[1685, 1686, 1690,
1699] Moyen court et très facile pour
l’oraison que tous peuvent pratiquer très aisément…, Grenoble, J. Petit, 1685. In-12, X-84 p. [B.N.F.,
D.18290(2)] ; 2e édition à Lyon chez A. Briasson, 1686. In-12,
X-186p [B.N.F., D.37255] et Paris chez A. Warin. ; 3e éd. Paris
et Rouen, 1690 ; inclu dans : Recueil
de divers traitez de théologie mystique qui entrent dans la célèbre dispute du
Quiétisme qui s’agite présentement en France…, Cologne, [Poiret],
1699.
[1685, 1690] Règle des associez à l’enfance de Jésus,
modèle de perfection pour tous les estats, tirée de la sainte Ecriture et des
Pères…, Lyon, A. Briasson, 1685. In-12, 144 p., frontisp. [B.N.F.,
D.18425] ; 1690 ; 2e éd., Ibid. In-12.
[1688] Le Cantique des cantiques, interprété selon
le sens mistique et la vraie représentation des états intérieurs, Lyon, A.
Briasson, 1688. In-8°, pièces limin. et 209 p. [B.N.F., A.6920]
1.3. Edition
Poiret (début du XVIIIe siècle).
La grande édition en
39 volumes (dont 20 vol. pour les seules Explications)
du pasteur Pierre Poiret et de ses proches à Rijnsburg près d’Amsterdam sauve
l’ensemble de l’œuvre au début du XVIIIe siècle :
[1713] Le Nouveau Testament de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure. Divisé en Huit Tomes. On expose dans la préface les conjectures que l’on a touchant l’auteur de cet ouvrage. Vincenti. A Cologne, chez Jean de la Pierre, 1713. In-8°. [A.S.-S & B.N.F., A.22812]. Description des huit tomes A.S.-S. no.1-8 :
1 : Frontispice gravé avec pour devise : « Je mettrai ma loi dans leur intérieur et l’écrirai sur leur cœur », « Préface générale » p. I-XXX, « Courte préface de l’auteur » p. 1-10, « Division de l’ouvrage en huit tomes » p. 11-12. – Le Saint Evangile de Jésus-Christ selon Saint Matthieu avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, Tome I du Nouv. Testament... 1713 (Saint Matthieu Ch. 1 à 17), p. 1-371.
2 : Suite du Saint Evangile de Jésus-Christ selon Saint Matthieu avec... Tome II du Nouv. Testament... 1713 (Saint Matthieu Ch. 18 à 28), p. 375-708. Table p.709-726. Errata p.727.
3 : Les ss. Evangiles de Jesus Christ selon S. Marc et S. Luc avec... Tome III... 1713. Saint Marc p. 3-124. Saint Luc p. 125-456. Table p. 457-478. Errata p. 479.
4 : Le Saint Evangile de Jésus-Christ selon Saint Jean avec... Tome IV... 1713. Saint Jean p. 3-539. Table p. 540-562. Errata p. 563.
5 : Les Actes des Apôtres et les Epitres de Saint Paul aux Romains aux Corinthiens & aux Galates avec... Tome V... 1713. Actes p. 3-71. Romains p. 72-232. Corinthiens I p. 233-325. Corinthiens II p. 326-436. Galates p. 437-488.
6 : Les Epitres de Saint Paul aux Ephesiens, Philippiens, Colossiens, Thessaloniciens, à Timothée, à Tite, et aux Hebreux avec... Tome VI... 1713. Ephesiens p. 489-580. Philippiens p. 581-631. Colossiens p. 632-662. Thessaloniciens I p. 663-675. Thess. II p. 675-676. Timothée I p. 677-695. Tim. II p. 696-701. Tite p. 702. Hebreux p. 703-918. Table p. 919-955. « Fautes » p. 956.
7 : Les Epitres canoniques de S. Jaques [sic], S. Pierre, S. Jean et de S. Jude avec... Tome VII... 1713. Jaques p. 3-91. Pierre I p. 92-179. Pierre II p. 179-228. Jean I p. 228-332. Jean II p. 333-338. Jean III p. 339-345. Jude p. 345-376. Table p. 377-398. Errata p. 399. « Avertissement [sur une faute] » p. 400.
8 : L’Apocalypse de S.Jean Apôtre avec... Tome VIII... 1713. Apocalypse p. 3-409. Conclusion [générale] p.409-412 « achevé le 23 de Septembre 1683 [1682 corrigé à la main sur l’ex. A.S.-S.] ». Table p. 413-442. Errata p. 443. « Additions et redressemens… » p. 659-664.
[1714-1715] Les livres de l’Ancien Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, divisés en douze tomes comme il se voit à la fin de la Preface. Vincenti. A Cologne [Amsterdam] chez Jean de la Pierre, 12 tomes[1476], 1715 [A.S.-S. & B.N.F., A.22813]. Description des 12 tomes A.S.-S. no.1-12 :
1 : Frontispice gravé – « Avertissement » p. 5. « Préface générale » p. 32. « Division de l’ouvrage sur le vieux testament en douze tomes et le contenu de chacun d’entre eux » p. 53. « Indice des passages du V. et du N. Testament qui se trouvent expliqués hors de leurs propres lieux ou cités avec quelques remarques considérables » p. 55-63. La Genèse et l’Exode avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, Tome I du Vieux Test. Vincenti. A Cologne chez Jean de la Pierre, 1714. La Genèse p. 1-225. L’Exode p. 226-356.
2 : Le Levitique, les Nombres et le Deutéronome avec... Tome II... 1714. Levitique p. 369-416. Nombres p. 417-498. Deutéronome p. 499-589. « Table des matières principales du I et II Tome ou du Pentateuque » p. 590-623. Errata p. 624.
3 : Les livres de Josué, des Juges et de Ruth avec... Tome III... 1714. Josué p. 3-48. Juges p. 49-201. Ruth p. 202-248. « Table des matières principales sur ce IIIe tome » p. 249-264. Errata p. 264.
4 : Le premier livre des Rois avec... Tome IV... 1714. Premier livre des Rois p. 3-306. Table p. 307-326. Errata p. 327.
5 : Les II. III. & IVme livres des Rois avec... Tome V... 1714. Second livre p. 323-527. Troisième livre p. 528-633. Quatrième livre p. 634-745. Table p. 746-769. Errata p. 770.
6 : Les Paralipomènes, Esdras, Nehemie, Tobie, Judit & Esther avec... Tome VI... 1714. Premier livre des Paralipomènes p. 3-21. Esdras livre premier p. 22-37, « Néhémie autrement le second livre d’Esdras » p. 38-68. Tobie p. 69-125. Judith p. 126-173. Esther p. 174-219. Table p. 220-235. Errata p. 236.
7 : Le livre de Job avec... Tome VII... 1714. « Préface sur Job » p. 3-7. Job p. 8-288. Table p. 289-307. Errata p. 308.
8 : Première partie des Psaumes de David depuis le I jusqu’au LXXV avec... Tome VIII... 1714. « Première partie des Psaumes... » p. 3-384.
9 : Seconde partie des Psaumes de David depuis le LXXVI jusqu’à la fin avec... Tome IX... 1714. « Seconde partie des Psaumes... » p. 387-678. Table p. 679-705. « Fautes à corriger au Tome VIII... au Tome IX » p. 706.
10 : Les Proverbes, L’Ecclesiaste, Le Cantique des cantiques, la Sagesse & l’Ecclésiastique avec... Tome X... 1714. Les Proverbes p. 3-87. L’Ecclésiaste p. 88-113. « Le Cantique des cantiques, Préface » p. 114-126. « Dédicace de l’Auteur [poème] p. 127-128. « Extrait du Privilège du roi et approbations » p. 127-128 [sic, répétition]. Le Cantique p. 129-247. La Sagesse p. 248-296. L’Ecclésiastique p. 297-344. Table p. 345-359. Fautes p. 360.
11 : Les Prophètes Isaie, Jérémie & Baruc, Ezéchiel, & Daniel avec... Tome XI... 1714. Isaie p. 3-155. Jérémie p. 156-189. Lamentations de Jérémie p. 189-214. Baruc p. 215-221. Ezéchiel p. 222-300. Daniel p. 301-375. Errata p.376.
12 : Les petits prophètes Osée, Joël, Amos, Jonas, Michée, Nahum, Habacuc, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie, Le Ier et IIe Livres des Macchabées avec... Tome XII... 1714. Osée p. 387-412. Joël p. 413-416. Amos p. 417-421. Jonas p. 422-440. Michée p. 441-459. Nahum p. 460-461. Habacuc p. 462-480. Sophonie p. 481-492. Aggée p. 493-496. Zacharie p. 497-547. Malachie p. 548-563. Macchabées I p. 564-608. Macchabées II p. 609-629. Table p. 630-655. Errata p. 656.
[1716] Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, tirés la pluspart de la Sainte Écriture, Vincenti, A Cologne [Amsterdam], Chez Jean de la Pierre, 1716[1477]. [B.N.F., D. 37251/2]. Description des deux tomes in-8° édités sans nom d’auteur :
1 : Tome I : Préface p. 3-23. « Table des Discours… divisés en quatre parties » p. 24-28. Discours [au nombre de 70] p. 1-470. « Table des matières principales » p. 471-488. Trois pages non numérotées donnant la table des passages de l’Écriture et les errata.
2 : Tome II : Six pages d’avis et table. « Lettre sur l’Instruction suivante » p. (3-(14 [sic, parenthèse ouvrante]. « Instruction chrétienne d’une Mère à sa Fille » p. (15-(63 [sic]. « Discours » [au même nombre de 70 que précédemment] p. 1-402. « Table des matières principales du IIe tome » p. 402-423. Une page d’errata
[1717] L’âme amante de son Dieu, représentée dans les emblèmes de Hermannus Hugo sur ses “Pieux désirs”, et dans ceux d’Othon Vaenius sur l’amour divin, avec des figures nouvelles accompagnées de vers…, Cologne, J. de La Pierre, 1717. In-8°, XXVIII-188p. et pl. gravées. [B.N.F., Z.17 458].
[1717-1718] Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 4 tomes, 1717-1718. [B.N.F., D-19455] :
Le quatrième volume comporte, outre trois parties de lettres de Madame Guyon, une « Quatrième partie contenant quelques [16] discours chrétiens et spirituels » p. 402-509, suivi d’une « Lettre d’une païsane, sur l’anéantissement du Moi de l’âme et le pur amour » p. 510-522, enfin de la « Table des matières principales ». Nous décrivons plus en détail la réédition très fidèle de 1767.
[1712, 1720] Les Opuscules spirituels de Mme J.-M. B. de La Mothe Guion, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1712. In-12°, titre gravé [B.N.F., D.37259] ; Les Opuscules spirituels de Madame J. M. B. de la Mothe Guyon, Nouvelle édition corrigée et augmentée, A Cologne [Amsterdam] Chez Jean de la Pierre, 1720. [2 vol. in-8° B.N.F., D.17787. In-8°, 560 p. & B.N.F., D.37260. In-12, X-534 p., le titre manque et l’imprimatur est daté de Lyon, 1686]. Description de cette édition de 1720 :
Frontispice gravé. Page de titre : Les Opuscules…. Page : « Prov. XXIII. v. 26. Mon fils, donne moi ton Cœur… ». Préface générale [de P.Poiret] p. 5)-56)[sic]. Table. Errata. Catalogue. Page : « Justitias Domini in aeternum cantabo ». Moien Court et très facile de faire oraison… p. 1-78. Lettre du serviteur de Dieu …Jean Falconi… p. 79-93. Remarques touchant la Mère de Chantal et avis … donné par S. François de Sales… p. 93-100. Table du Moien Court p. 101-106. Courte apologie pour le Moien court… p. 107-128. Les Torrens spirituels…et table p. 129-276. Page : « Les Opuscules … seconde partie… ». Traité de la purification de l’âme après la mort ou du Purgatoire p. 279-314. Petit abrégé de la Voie et de la réunion de l’âme à Dieu p. 315-348. Règle des Associés à l’Enfance de Jésus… p. 349-404. Page : « Instruction chrétienne pour les jeunes gens ». Lettre… et Instruction chrétienne d’une mère à sa fille p. 407-442. Page : « Brève instruction … du P. François la Combe et ses Maximes spirituelles ». Page : Approbation & permission ». Lettre d’un serviteur de Dieu contenant une brève instruction pour tendre fermement à la perfection chrétienne p. 443-522. Maximes spirituelles p. 523-534. « Table [alphabétique] des matières principales… » p. 535-559. Page : « Justitias Domini in Aeternum cantabo » p. 560.
[1720] La Vie de Mme J.-M. B. de La Mothe Guion, écrite par elle-même, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1720, 3 vol. in-12, portrait. Voir nos descriptions en tête de ce volume.
[1720] Les Justifications de Mme J.-M. B. de La Mothe-Guion, écrites par elle-même… avec un examen de la IXe et Xe conférence de Cassien, touchant l’état fixe d’oraison continuelle, par feu M. de Fénelon, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1720. [3 tomes en 1 vol. in-8° B.N.F., D.37253 et 6 vol. in-8° Rés. D.37254]. Nous décrivons plus en détail la réédition très fidèle de 1790.
[1722] Poésies et Cantiques spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, par Madame J.M.B. de la Mothe-Guyon, divisés en quatre volumes. Vincenti, à Cologne [Amsterdam] Chez Jean de la Pierre, 1722 [4 tomes en 2 vol. in-8° B.N.F., Ye 25431-25432] Description des 4 tomes[1478] :
1 : « Préface » p. I-XII. « Catalogue des écrits de Madame Guyon [édités par Poiret]. Table des Cantiques de ce Ier volume » p. XVII-XXIV, Cantiques I à CXCVI p. 1-328.
2 : « Table des cantiques et errata ». Cantiques I à CCXLIII p.1-332.
3 : « Table des cantiques et errata ». Cantiques I à CCIX p.1-326.
4 : « Table des cantiques, poèmes héroiques et en vers libres etc. ». Cantiques I à LXXXIV p. 1-101. Le Cantique des cantiques p. 102-127. Poèmes héroïques p. 128-204. Poèmes en vers libres p. 205-231. Pensées chrétiennes… p. 232-253. Les effets différents de l’Amour …en emblèmes p. 254-289. Conclusion. Table des airs. Table des matières. Errata p. 371.
1.2.3. On ajoutera à
ces œuvres de Madame Guyon les quatre volumes qu’elle a préparés à la fin de sa
vie comme « tombeau » de son maître J. Bertot. Ils contiennent une
grande partie de la correspondance passive de Madame Guyon outre 21 lettres
qui lui sont nommément attribuées (ces dernières se retrouvent aussi dans les Lettres) :
[1726] Le directeur Mistique [sic] ou les Oeuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guyon..., Poiret, 4 vol., (de 453, 430, 526, 368 pages), 1726. [A.S.-S. & B.N.F.]. Description[1479] :
1. Volume I composé de 12 traités : 1. Conduite de Dieu sur les âmes p. 1. 2. De l’état du repos sacré p. 18. 3. Profondeur des S.Evangiles p. 30. 4. Etats d’oraison, représentés dans l’Evangile du Lazare p. 39. 5. Degrés de l’Oraison, comparés aux eaux qui arrosent un jardin p. 50. 6. Voie de la perfection sous l’emblème d’un nautonnier p. 117. 7. L’Oiseau ou De l’Oraison de Foi, sous la figure d’un petit Oiseau p. 178. 8. Les croix, inséparables du don de l’Oraison p. 251. 9. Opérations de la Ste Trinité dans les âmes p. 260. 10. Sur l’état du Centre p. 266. 11. Sur l’état du Centre suite « Mr Bertot m’a dit... » p. 284. 12. Eclaircissements sur l’Oraison et la Vie intérieure. p. 292-453.
2. Vol. II composé de lettres de Bertot et d’une addition : p.1-* Lettres 1 à 70, p.*-430. « Addition: conseils d’une grande servante... Marie des Valées. »
3. Vol. III, composé de lettres de Bertot : p.1-* Lettres 1 à 70, « additions 1 à 4 » p. *-526.
4.Vol. IV, composé de lettres de Bertot, Maur de l’Enfant-Jésus et Madame Guyon : p.1 Lettres 1 à 81, p.265 Lettres 1 à 21 de P. Maur, p.310-368 Lettres 1 à 21 de Madame Guyon.
1.4.
Réédition Dutoit (fin du XVIIIe siècle).
L’édition par Poiret
et son cercle d’amis devient introuvable. Elle est rééditée à la fin du XVIIIe
siècle par le pasteur suisse Dutoit très fidèlement (le plus souvent les
paginations sont respectées alors même que le format est différent !) en
40 volumes (aux 39 volumes de l’édition antérieure s’ajoute en effet un dernier
volume de lettres comportant « la correspondance secrète » avec Fénelon).
Nous décrivons certains titres qui présentent des variations :
[1767-1768] : Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, ou l’esprit du vrai christianisme. Nouvelle éd. enrichie de la correspondance secrète de Mr. de Fénelon avec l’auteur. Londres [Lyon], 1767-1768, 5 vol. Cette dernière édition est très fidèle à Poiret mais plus complète compte tenu du caractère moins brûlant des événements :
1 : Tome I, « Avertissement sur cette seconde édition » [par Dutoit] p. I-XVIII. « Avertissement qui était à la tête de l’Edition de Hollande, sous le nom de Cologne » [par Poiret] p.XIX-XXVIII. Table des lettres [classées en trois parties par thèmes spirituels allant de : « (1) Règles et avis généraux », à : « (20) Dieu seul »] p. XXIX-XLIII. Lettres I à CCXL p. 1-694.
2 : Tome II, Lettres I à CC p.1-614, Table [lettres classées en trois parties] p. 615-623.
3 : Tome III, Table [lettres classées en trois parties] p. III-IX. Lettres I à CLVI p. 1-694.
4 : Tome IV, « Préface sur ce quatrième volume » p. III-VIII. Table [lettres classées en trois parties] p. IX-XVI. Lettres I à CXVI p. 1-403.
5 : Tome V, « Anecdotes et réflexions » [par Dutoit] I-CLX. Première partie contenant quelques Discours chrétiens et spirituels p. 1-188 [eux-mêmes introduits par la note : « Ces discours dans l’édition de Hollande faisaient la clôture du quatrième volume… » puis suivis de la lettre de la simple paysanne précédant les lettres adressées à Fénelon. On trouve ensuite la] Correspondance de l’auteur avec Fénelon p. 189-559. Table p. 560-567. « Table [alphabétique] des matières » p. 568-627. « Indice [précieux] des noms de quelques-uns de ceux à qui les lettres … sont adressées » p. 628-630.
[1790] Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, tirés la plupart de la Sainte Écriture. Par Madame J. M. B. de la Mothe-Guion. Nouvelle édition corrigée et augmentée [?], A Paris [Lyon], Chez les Libraires Associés, 1790.
[1790] Justifications de la Doctrine de Madame de la Mothe-Guyon, pleinement éclaircie, démontrée et autorisée par les Sts Peres Grecs, Latins et Auteurs cannonisés [sic] ou approuvés ; écrites par elle-même. Avec un examen de la neuvième et dixième Conférences de Cassien sur l’état fixe de l’oraison continuelle, par Mr de Fénelon, archevêque de Cambray, A Paris [Lyon] chez les Libraires Associés, MDCCXC. Cette édition de Dutoit reprend celle de Poiret. Elle comporte 3 tomes[1480] soit :
1 : Tome I : Préface [par Dutoit] I-XVI. Justifications : chap. I-XXXVII p. 1-432.
2 : Tome II : Justifications : chap. XXXVIII-L p. 1-379.
3 : Tome III : « Table des articles du IIIe tome » deux p. Justifications : chap. LI-LXVII. p. 1-256. Conclusion p. 257-265. Page : « Non nobis, Domine, non nobis … Deo Soli ». Recueil de quelques autorités des S. Pères de l’Eglise grecque : art. I-XVIII p. 267-328. Examen … de Cassien touchant l’état fixe… p. 331-368. Table des matières principales des trois volumes… p. 369-432.
[1790] L’Ame amante de son Dieu, représentée dans les emblèmes de Hermannus Hugo, et dans ceux d’Othon Vaenius sur l’amour divin, avec des figures nouvelles accompagnées de vers… par Madame J.M.B de la Mothe-Guyon, nouvelle édition considérablement augmentée, à Paris, Chez les Libraires Associés, MDCCXC.
Préface p. 1-16. Les Emblèmes …exposés en vers libres p. 1-176 [et nombreuses p. correspondant aux emblèmes gravés]. Table p. 177-186.
[1978] Les Opuscules spirituels…, J. M. Guyon, avec une Introduction par J. Orcibal de 36 pages non numérotées, G. Olms, 1978 suivie du fac-similé de l’édition de Poiret, Les Opuscules spirituels de Madame J. M. B. de la Mothe Guyon, Nouvelle édition corrigée et augmentée, A Cologne Chez Jean de la Pierre, 1720, v. le contenu détaillé ci-dessus.
[1982] Madame Guyon et Fénelon, la correspondance secrète, édition préparée par B. Sahler[1481], Paris, Dervy-livres, 1982, 335 p.
[1983] La Vie de Madame Guyon écrite par elle-même, édition préparée par B. Sahler[1482], Dervy-livres, 1983, 637 p.
[1990] Madame Guyon : la passion de croire, choix de textes par M.-L. Gondal[1483], 1990.
[1992] Récits de Captivité, édité par M.-L. Gondal, Grenoble, Jérôme Millon, Coll. « Atopia », 1992, 182 p.
[1992] Torrents et Commentaire au Cantique, édités par C. Morali[1484], Grenoble, Jérôme Millon, Coll. « Atopia », 1992.
[1995] Le Moyen court et autres récits, une simplicité subversive, textes édités par M.-L. Gondal, (ce volume contient : Introduction, I. Le Moyen court et sa défense (Moyen court, Courte apologie et extraits des Justifications), II. Le travail de l’Intérieur (Règle des Associés, Petit abrégé), III. Le Chant de l’âme, (un choix de poésies). Grenoble, Jérôme Millon, Coll. « Atopia », 1995, 298 p.
[1998] Le Purgatoire, édité par M.-L. Gondal, Grenoble, Jérôme Millon, Coll. « Atopia », 1998, 109 p.
[2000] De la Vie intérieure, Quatre-vingt Discours Chrétiens et Spirituels…, édités par D. Tronc, Phénix, Coll. « La Procure », 2000, 482 p.
[1958] COGNET (Louis), Crépuscule des Mystiques, Paris, Desclée, 1958 [ancien mais non dépassé]
[1967] COGNET (Louis), article Guyon dans le Dictionnaire de Spiritualité, tome 6, 1967, colonnes 1306-1336.
[1989] GONDAL (Marie-Louise), Madame Guyon (1648-1717), un nouveau visage,
Paris, Beauchesne, 1989 [ouvrage d’ensemble sur Madame Guyon, fondé sur L’Acte mystique, thèse soutenue en
1985].
[1997] Madame Guyon, Rencontres autour de la Vie et l’œuvre de Madame Guyon, Grenoble, Millon, 1997. [Précieuses contributions de spécialistes pour la première fois rassemblés autour de Madame Guyon]
[1974-1978] ORCIBAL (Jean), Le Cardinal Le Camus témoin au procès de Madame Guyon (1974) p. 799-818 ; Madame Guyon devant ses juges (1975) p. 819-834 ; Introduction à Jeanne Marie Bouvier de la Mothe-Guyon : les Opuscules spirituels (1978) p. 899-910, dans Etudes d’Histoire et de Littérature Religieuse, Paris, Klincksieck, 1997.
2.2 Etudes
de sa filiation spirituelle et de son environnement.
Une étude d’ensemble
de la filiation n’existe pas. Nous trouvons des études sur Bernières, Renty,
Marie des Vallées etc. puis sur Fénelon
et Poiret, sur Caussade, sur des piétistes et Dutoit, mais sans qu’une
attention particulière soit prêtée aux liens qui les unissent et qui passent
par des figures intermédiaires peu reconnues
(dont certaines sont étudiées en Introduction
et figurent sur les Tableaux I et II).
Les principales
sources publiées sur cette filiation
au sein de « l’école des mystiques normands » sont les suivantes : P.
Pourrat, art. Bertot (1937) dans DS, tome I col. 1537-1538, et du même
auteur, La Spiritualité Chrétienne, tome
IV Les temps modernes, Lecoffre (1940, publié en 1947), p. 183 ; R.
Heurtevent, L’œuvre spirituelle de Jean
de Bernières, (1938) p. 63 ; I. Noye, article Enfance de Jésus, DS vol. 4 col. 676 (1959) ; J. Le Brun , article France dans DS vol. 5 col. 948 (1962). Il faut y adjoindre les dossiers de C. Charles Berthelot du
Chesnay aux Archives Eudistes ainsi que
les notes rassemblées par J. Bruno, Vie.
Choix de quelques
études classées chronologiquement (2.3.
Ouvrages cités fournit une bibliographie plus étendue) :
[1865] CHAVANNES (Jules), Jean-Philippe Dutoit, Lausanne, 1865 [couvre l’environnement guyonnien de Dutoit] ; à compléter par FAVRE (André), Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911.
[1913] SOURIAU (Maurice), Deux mystiques normands au XVII° siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913.
[1966] COGNET (Louis), La Spiritualité Moderne, I. L’essor : 1500-1650, Paris, Aubier, 1966.
[1983 & 1997] FENELON, Œuvres I & II, Paris, Gallimard (Bibl. de la Pléiade), éd. présentée, établie et annotée par J. Le Brun, 1983 & 1997 [V. les Notices].
[1985] CHEVALLIER (Marjolaine), Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, vol. V, 1985 ; éditée par André Séguenny, Baden-Baden, Koerner [bibliographie commentée des nombreuses œuvres éditées par Pierre Poiret - dont celles de Madame Guyon]
[1994] CHEVALLIER (Marjolaine), Pierre Poiret 1646-1719, Du protestantisme à la mystique, Labor et Fides, 1994, p. 1-295 [Biographie reconstituant le cadre où s’est exercé l’activité d’éditeur de Poiret et de ses associés qui permet de cerner les influences guyonniennes en Europe p. 17-152, suivie d’une étude de la pensée p. 153-280].
[1997] ORCIBAL (Jean), Etudes d’Histoire et de Littérature Religieuse, Paris, Klincksieck,
1997.
Contribution à « Introduction à la vie intérieure et parfaite, réflexion autour de Dom Innocent Le Masson » :
D. Tronc, « Quiétude et vie mystique : Madame Guyon et les Chartreux », Transversalités, Inst. Cath. de Paris, n°91, juillet-septembre 2004, 121-149. [Repris partiellement : Les années d’épreuve…, « Annexes, Le procès des mœurs », Champion, 2009, 450-462.]
Dom Le Masson résume
ainsi, en 1699, à la fin de la « querelle du quiétisme », la doctrine
suspecte et les effets qu’on en peut attendre [1485] :
« Quelle conduite spirituelle intérieure, quelle pratique conforme aux principes de l'Évangile ; quelle pureté de morale peut-on attendre des personnes qui sont persuadées ?
1. Qu'il n'est question que de faire à Dieu un don de sa liberté, lequel étant une fois fait dure toujours, sans qu'il soit besoin de le renouveler, et que ce serait même une faute de le réitérer.
2. Que l'Âme qui a fait ce don doit croire que l'esprit de Dieu la possède et la gouverne, de telle sorte que c'est lui qui agit d'en elle, et qu'elle doit considérer toutes ses pensées et tous ses mouvements comme des opérations divines.
3. Qu'elle doit s'abandonner à cette conduite de l'Esprit de Dieu sans faire [59] aucune réflexion sur elle-même, ni sur ce qui se passe dans elle, et sans faire autre chose que pratiquer l'abandon.
4. Qui croit que c'est déroger à cet abandon, que de demander quelque chose à Dieu, tel qu'il puisse être, et en quelque état qu'elle se trouve de dangers, de tentations, etc. et qui n'a besoin que de cet abandon pour toute préparation aux Sacrements.
5. Et enfin qui croit faire un sacrifice à Dieu en renonçant au salut éternel.
Que peut-on, dis-je, attendre des personnes préoccupées de ces erreurs ? Rien autre chose,
1. Qu'une destruction cachée, mais réelle, et effectuée de toutes les bonnes moeurs.
2. Qu'un anéantissement du Christianisme.
3. Et enfin qu'un Athéisme d'exercice et de pratique, dans lesquelles on vivra en ne rendant pas plus de culte à Dieu que s'il n'y avait point de Dieu.
Il ne restera donc plus dans ces personnes, que la bestialité de l'homme animal, et que la cupidité revêtue des termes de piété, que ces Spirituels abandonnés ont dérobé des livres des mystiques pour s'en faire comme des habits et en couvrir leurs turpitudes.
Ou plutôt il ne restera plus qu'une diabolicité, s'il est permis d'user de ce terme, [60] revêtue d'un vêtement trompeur d'Amour de Dieu imaginaire.
Voilà de quels malheurs le Christianisme est délivré par l'extirpation du Quiétisme. » .
Ce texte frappe par
son extrême violence et nous essaierons donc d’en comprendre l’origine en
retraçant tout d’abord le trajet biographique de madame Guyon, puis en
examinant les charges portées contre ses mœurs, enfin en esquissant quelques
points de comparaison entre les conceptions de la vie intérieure chez deux
spirituels que rien n’aurait dû opposer.
Madame Guyon
(1648-1717) est une figure célèbre mais méconnue. Rappelons brièvement les
principaux événements de sa vie, en privilégiant ses relations avec les
chartreux et les chartreuses.
Elle naît en 1648 dans
une famille bourgeoise riche. Cinquième enfant issue d’un second mariage de son
père, elle semble avoir été négligée : ainsi, livrée à elle-même, elle va « dans la rue avec d'autres
enfants jouer à des jeux qui n'avaient rien de conforme à sa naissance » [1486].
Elle a cependant la chance d’être éveillée à la vie de l’esprit par sa
demi-sœur religieuse Marie-Cécile, « si habile qu’il n’y avait guère de
prédicateurs qui composât mieux des sermons qu’elle » .
Elle sera également en
bons termes avec son demi-frère Grégoire, de la chartreuse de Gaillon. Il a
toute son estime, ce dont témoigne une lettre qu’elle lui écrit en décembre
1684. Elle témoigne également de l’esprit qui animait madame Guyon au moment de
sa rencontre avec Dom Le Masson :
« Vous ne devez pas douter, mon très cher frère, que ce ne soit avec beaucoup de plaisir que je reçois de vos nouvelles, mais je vous dirai simplement que votre dernière m’en a donné plus que nulle autre. Elle a le goût du cœur, vous êtes le seul de ma famille qui goûtiez la conduite de Dieu sur moi […]. Vous ne sauriez dire le bien que Notre Seigneur fait faire à Grenoble pour l’intérieur […]. Il faut que je verse mon cœur dans le vôtre et que je vous dise q[1487].
ue je trouve partout cette volonté essentielle de Dieu, non hors de Lui, mais en Lui-même, en sorte qu’Il m’a mise dans l’impossibilité de faire autre chose que ce qu’Il veut de moment en moment, sans que je puisse me regarder moi-même… »Grégoire mourra, âgé,
en février 1698, au moment même où madame Guyon subira les longs
interrogatoires de La Reynie, dans le donjon de Vincennes.
Revenons en 1664. Elle
est mariée à seize ans :
« Mon mari avait vingt et deux ans de plus que moi […] J'eus quelque temps un faible, que je ne pouvais vaincre, qui était de pleurer […] L’on [il s’agit de la belle-mère autoritaire] me tourmentait quelquefois plusieurs jours de suite sans me donner aucune relâche […] Je m'en plaignais quelquefois à la Mère Granger[1488] qui me disait : Comment les contenteriez-vous, puisque depuis plus de vingt ans je fais ce que je peux pour cela [pour les contenter], sans en pouvoir venir à bout ? » [1489].
Après « douze ans
et quatre mois de mariage » son mari meurt avec courage en 1676,
réconcilié par l’attention avec laquelle elle le soigna : « Il me
donna des avis sur ce que je devais faire après sa mort pour ne pas dépendre
des gens… ». Elle est veuve, âgée de 28 ans, ayant eu cinq enfants
dont trois lui survivront.
Une longue nuit mystique
de sept années prend fin deux ans plus tard. Elle règle affaires familiales et
financières, consulte son directeur Bertot et des spirituels dont Claude
Martin, le fils de Marie de l’Incarnation, puis part en Savoie :
« Je donnai dès Paris […] tout l'argent que j'avais […] Je n'avais ni
cassette fermant à clef, ni bourse [1490]. »
A Gex, près de Genève, où elle arrive fin juillet 1681, « l’on me proposa
l'engagement et la supériorité » des Nouvelles
Catholiques chargées de l’éducation de jeunes protestantes. Mais
« certaines abjurations et certains détours ne me plaisaient pas ».
C’est à ce moment que,
« dépouillée de tout, sans assurance et sans aucuns papiers, sans peine et
sans aucun souci de l'avenir », elle compose en 1682, à Thonon, où se
jette la Dranse dans le lac Léman, les Torrents,
un exposé du déroulement de la vie mystique illustré par une analogie. Elle
découvre aussi « une autre manière de converser », en union avec le P. Lacombe :
« j’apprenais son état tel que je le ressentais, puis incontinent je
sentais qu’il était rentré dans l’état où Dieu le voulait…[1491] »
A
l’automne 1683 elle se rend de Thonon à Turin qu’elle quittera le 2 avril
1684 pour Grenoble où elle reprend son apostolat qui s’étend:
« Je ne fis aucune visite, mais je fus surprise lorsque, peu de jours après mon arrivée, il vint me voir plusieurs personnes qui faisaient profession d'être à Dieu d'une manière singulière. / Je m'aperçus aussitôt d'un don de Dieu qui m'avait été communiqué, sans que je le comprisse, du discernement des esprits et de donner à chacun ce qui lui était propre. […] Je voyais clair dans le fond l'état des âmes de celles qui me parlaient, et cela avec tant de facilité, que celles qui venaient me voir étaient dans l’étonnement et se disaient les unes aux autres que je leur donnais à chacune ce qu’elles avaient besoin […], elles s'envoyaient (à moi) les unes les autres. Cela vint à tel excès que, pour l'ordinaire, depuis six heures du matin jusqu’à huit heures du soir, j'étais occupée […]. Il leur était donné une facilité surprenante pour l'oraison… » [1492]
Cet apostolat s’étend
à des religieux (des capucins et / ou des bénédictins [1493]) :
« …un frère qui s'entend très bien aux malades étant venu à la quête, et ayant su que j'étais mal, entra. Notre-Seigneur […] permit que nous entrâmes dans une conversation qui réveilla en lui l'amour qu'il avait pour Dieu, et qui était, à ce qu'il dit, étouffé par ses grandes occupations. Je lui fis comprendre qu'il n'y avait aucune occupation qui pût l'empêcher ni d'aimer Dieu, ni de s'occuper de lui. » [1494]
« Ce bon frère fit en sorte que son supérieur me vint voir pour me remercier des charités, disait-il, que je leur faisais. Notre-Seigneur permit qu'il trouva quelque chose dans ma conversation qui lui agréa. Enfin il fut achevé d'être gagné, et ce fut lui qui, étant fait visiteur à quelque temps de là, débita une si grande quantité de ces livres [il s’agit du Moyen court] qu'ils firent acheter à leurs frais… » [1495].
Elle fait ensuite allusion
à l’ordre des chartreux :
« Notre-Seigneur me donna un très grand nombre d'enfants et trois religieux fameux d'un ordre dont j'ai été et suis encore fort persécutée. Ceux-là me sont très intimes, surtout un. Il me fit servir à un grand nombre de religieuses et de filles vertueuses… » [1496].
Elle
rédige des Explications de l’Ecriture
sainte incluant une interprétation du
Cantique des cantiques. Le 7 mars 1685, est publié le Moyen court, à
l’initiative d’un conseiller au Parlement.
D’assez nombreuses réimpressions feront de cet ouvrage un succès de librairie
tandis que le rayonnement de l’auteur atteint des chartreux et des chartreuses.
La
grande Chartreuse n’est en effet guère distante « de la ville de Grenoble, d’où l’on apporte tous les jours des denrées,
la charge de deux mulets, car il faut beaucoup de vivres aux religieux, qui
sont au nombre de plus de soixante… » [1497]. Madame Guyon aura connu les bâtiments avant
l’incendie du 10 avril 1676, lorsqu’elle
rencontra Dom Le Masson, peut-être pour solliciter sa permission de prendre
contact avec des chartreuses. Ce dernier nous déclare :
« Je n'avais pu me dispenser, six ou sept ans auparavant, de parler à la dame, qui était venue de Grenoble, monter dans un endroit de nos [12] rochers, où elle pouvait me parler. Ceux qui m'accompagnaient peuvent être des fidèles témoins de ce que je leur dis après être sorti de la conversation de cette dame, des sentiments que j'avais conçus de ces entretiens spirituels, qui m'étaient venus tout d'abord [sic] fort suspects. » [1498].
Le rayonnement de
l’apostolat d’une simple laïque apparaît finalement assez dérangeant et
l’évêque de Grenoble, Etienne Le Camus [1499],
fait prier Mme Guyon de quitter Grenoble :
«…La dame me demanda la permission de continuer ses conférences, et je la lui refusai, et je lui fis dire qu’il lui serait avantageux de se retirer du diocèse [de Grenoble]. De là, elle s’en alla dans des monastères de chartreuses, où elle se fit des disciples. / Elle était toujours accompagnée d’une jeune fille qu’elle avait gagnée… [suit un récit que nous reproduirons dans la section relative aux moeurs] / Ce général, homme très savant et très sage, a été obligé de sortir de sa solitude, pour aller réparer les désordres que cette dame avait faits dans quatre couvents de chartreuses, où elle avait fait la prophétesse comme partout ailleurs. » [1500].
Madame Guyon visita de
fait au moins le monastère de Premol, distant de trois lieues de Grenoble, qui
comptait probablement une trentaine de religieuses [1501] :
« Elle vit en ce pays-là les chartreuses de Ple…. [Prémol], à qui elle donna un commentaire sur le Cantique des cantiques et leur apprit beaucoup de choses de spiritualité, dont le père général des chartreux ne fut pas content : ce qui l’a même engagé depuis à faire d'autres commentaires sur le même cantique […] elle cessa, à cause de cela, de voir les chartreuses…» [1502]
Ses livres et sa
doctrine pénétrèrent également à Mélan et à Salettes [1503]. Cette irruption dans la vie des chartreuses
irrita le Général, dont son biographe nous dit :
« À peine averti, nous le voyons recourir aux grands moyens : il va se rendre lui-même sur les lieux. / Pour comprendre ce que cette démarche a de tout à fait insolite, il faut se rappeler que l'observance des « limites de chartreuse » est pour le général [...] une tradition sacro-sainte, et à laquelle on ne cite que très peu de dérogations dans toute histoire de l'ordre. Néanmoins Dom le Masson n'hésite pas à recourir à Rome pour demander les dispenses nécessaires. Le 4 avril 1690, il obtient d'Alexandre VIII un bref l'autorisant à visiter en personne les trois couvents [...] Dom Innocent agit avec vigueur. Il fait brûler sous ses yeux tous les livres qui, de près ou de loin, touchent au quiétisme ; puis il rassemble les moniales en séance capitulaire, et, après avoir réfuté les doctrines guyonniennes, il expose les principes du véritable amour de Dieu d'après saint François de Sales : la première preuve en est l'obéissance à la loi de Dieu et aux Statuts de l'ordre. [...] La visite avait porté d'excellents fruits. « Les moniales furent subjuguées par la science et la vertu du révérend père » nous dit l'historien du monastère de Mélan [...] « J'ai de la joie, écrit de son côté le général à la prieure de ce monastère, d'apprendre que vous avez remis les esprits à la paix [...] Vous savez, ajoute-t-il, qu'il y avait bien du déchet... » [1504].
L’irritation de Le
Masson envers « cette femme que
Saint-Jean appelle Jézabel dans son Apocalypse [1505] »
l’emporte :
« Je connais de quoi est capable Madame de Guyon et de nom et de doctrine, d'œuvre et même de visage, car elle a voulu me voir, et je lui ai parlé sur le bord de notre désert. [...] Madame de Maintenon a fait un bien qui est encore plus grand qu'elle ne pense en faisant écarter et resserrer cette femme... » [1506].
L’alarme, qui n’avait
visiblement pas été dissipée par leur rencontre, provoqua finalement la
rédaction par Le Masson d’une Déclaration
[…] à la postérité [1507] :
« Voici l’origine de ma descente chez les moniales […] J'ai reconnu depuis par expérience locale la grandeur du mal qui surpasse beaucoup tout ce que je pensais, et la nécessité du remède [...] sans recourir à Rome, où il faudrait décliner son nom, révéler la turpitude, etc. »
La
« turpitude » ne semble pas avoir été très considérable. En
1702 :
« Dom Charles le
Coulteux montre que nul reproche ne fut tenu contre les communautés de Prémol
et de Salettes ; il précise ce qu'on put constater à Mélan : « Choses
de peu d'importance », selon lui, « dont les communautés de filles ne sont
jamais exemptes ». Notre documentation ne nous permet guère de concilier ces
jugements contrastants [entre Le Masson
et Le Coulteux]…» [1508].
Revenons à madame
Guyon, en route pour la seconde fois vers le Piémont, cette fois-ci par mer,
car nous sommes à peine sortis de l’hiver 1685. A Marseille, elle est appréciée de Malaval. Après un voyage difficile
sur mer, par suite de tempête, et sur terre, par suite du mauvais accueil des
Génois bombardés peu de temps auparavant [1509], et
d’une rencontre de voleurs, elle arrive à Gênes le 18 avril et à Verceil
[Vercelli, à 70 kilomètres de Milan] le 20 avril. Elle est bien accueillie par
l’évêque V.A. Ripa [1510],
qui fut en relation avec le cardinal quiétiste Petrucci, puis par son amie la
marquise de Prunai, proche de la Cour de Turin. Elle écrit cependant le
3 juin 1685 à J. d’Arenthon, évêque de Genève, qui lui refusera de s’installer
dans son diocèse [1511].
Enfin, après un séjour de près d’un an en Piémont [1512],
madame Guyon et le P. Lacombe, nommé à Paris, retournent au printemps 1686 en
France, et passent une seconde fois par Grenoble
:
« Tous ceux que Dieu m'avait donnés la première fois que je fus à Grenoble, me vinrent voir durant ma maladie, et témoignèrent une extrême joie de me revoir. Ils me montrèrent les lettres et les rétractations de cette pauvre fille passionnée [Cateau-Barbe] [1513], et je ne vis pas que personne fut resté impressionné de ses contes. Monsieur de Grenoble me témoigna plus de bonté que jamais, m'assura n'en avoir jamais rien cru, et m'offrit de rester dans son diocèse. L’on me fit encore de nouvelles instances pour me porter à rester à l'hôpital général…» [1514].
Ils
remontent enfin vers Paris, sont à Lyon le 25 mai, puis à Dijon où ils rencontrent Claude Quillot. Le 16 juillet, Molinos est arrêté à Rome.
« J’arrivai à Paris la veille de la
Madeleine 1686 [22 juillet], justement cinq ans après mon départ. »
Nous abrégeons la suite, période publique mieux connue [1515] :
Des
jalousies entre religieux « firent entendre à Sa Majesté que le père Lacombe était ami de
Molinos » […] Quant à elle : « l’on me signifia que l'on ne
voulait pas me donner ma fille, ni personne pour me servir; que je serais
prisonnière, enfermée seule dans une chambre […] au mois de juillet dans une
chambre surchauffée. » On veut en fait marier sa fille au neveu (dissolu)
de l’archevêque de Paris, Harlay.
Libérée, elle quitte
le couvent-prison de la Visitation pour habiter « une petite maison
éloignée du monde. » Elle est active auprès d’un cercle de disciples et à
Saint-Cyr où « madame de Maintenon me marquait alors beaucoup de
bontés ». Le duc de Chevreuse lui fait connaître Bossuet, auquel on
communique la Vie écrite par elle-même que ce dernier « trouva si
bonne qu'il lui écrivit qu'il y trouvait une onction qu'il ne trouvait point
ailleurs, qu'il avait été trois jours en la lisant sans perdre la présence de
Dieu [1516] ».
Cela ne dure pas. Elle
a quarante-sept ans lorsque commence la seconde période d’épreuves. Elle se
rend tout d’abord d’elle-même au couvent de Sainte-Marie de Meaux où elle
conquiert l’estime de la mère Picard et des religieuses tandis qu’elle est fort
menacée par Bossuet, soumis lui-même aux pressions de madame de Maintenon (les
causes du changement d’attitude de l’épouse secrète du Grand Roi ne sont pas
encore clairement établies : se mêlent l’attitude de Fénelon, la crainte
du scandale, et peut-être une jalousie spirituelle).
Madame Guyon est
finalement arrêtée et enfermée par lettre de cachet à Vincennes : « après
neuf ou dix interrogatoires de six, sept et huit heures quelquefois, il [M. de
La Reynie] jeta les lettres et les papiers sur la
table…» Elle est transférée dans un couvent-prison à Vaugirard constitué
spécialement : « [la gardienne] venait m'insulter, me dire des injures, me
mettre le poing contre le menton, afin que je me misse en colère. » On bascule
enfin de la contrainte à la terreur : « M. le Curé me dit, un jour, un mot qui me parut
effroyable […] qui était qu'on ne me mettait pas en justice parce qu'il n'y
avait pas de quoi me faire mourir […] défendant, s'il me prenait quelque mal
subit comme apoplexie ou autre de cette nature, de me faire venir un
prêtre [1517]. »
Embastillée, elle
subit « plus de vingt interrogatoires, chacun de plusieurs heures […]
ma vie me quittait. Je tâchai de gagner mon lit pour mourir dedans […] J'aurais
toujours caché mon mal, si l'extrême maigreur, jointe à l'impuissance de me
soutenir sur mes jambes, ne l'eût découvert. On envoya quérir le médecin qui
était un très honnête homme. L’apothicaire me donna un opiat […] Je le montrai
au médecin qui me dit à l'oreille de n'en point prendre, que c'était du
poison. » [1518].
Libérée à cinquante-quatre ans, durant ses dernières années actives à Blois,
elle forme des disciples français et étrangers, avant de mourir en paix, âgée
de soixante-neuf ans :
« Elle vivait avec ces Anglais [écossais] comme une mère avec ses enfants. […] ne leur interdisait aucun amusement permis, et quand ils s’en occupaient en sa présence et lui en demandaient son avis, elle leur répondait : Oui, mes enfants, comme vous voulez. […] Bientôt ces jeux leur devenaient insipides, et ils se sentaient si attirés au-dedans, que laissant tout, ils demeuraient intérieurement recueillis en la présence de Dieu auprès d’elle. » [1519].
Le dossier des
accusations portant sur la vie privée de madame Guyon est incontournable, car
l’autorité du Général des chartreux, dont on nous dit qu’il était crédule, leur
avait donné du poids. Les calomnies ont été réfutées grâce aux travaux érudits
de Louis Cognet, Jean Orcibal, Marie-Louise Gondal.
Dom Innocent Le Masson
avait écrit à M. Tronson [1520],
le 8 novembre 1694 :
« … Permettez-moi de vous témoigner la consolation que j’ai eue en voyant l’Ordonnance de Mgr votre archevêque, qui condamne et défend les livres d’une dame directrice dont la doctrine métaphysique a fait bien du tort à plusieurs bonnes âmes, et sa conduite encore plus à quelques-unes. J’ai trouvé son Cantique [1521] entre les mains de nos filles chartreuses, qui leur aurait mis dans l’esprit de dangereuses rêveries si je ne leur avais retiré des mains ; et même je leur en ai dressé un autre [1522], afin de leur arracher de l’esprit ce que celui de la dame y avait déjà imprimé. Je me donne l’honneur de vous l’envoyer… »
Il s’agissait là d’une
« compétition portant sur l’autorité spirituelle » : le Général
avait de bonnes raisons pour ne pas accepter l’intervention d’une laïque chez
ses dirigées – quand bien même madame Guyon se défendait d’avoir recherché
extérieurement ou intérieurement une telle autorité.
Mais Dom Innocent ne
s’arrête pas là. Dans une lettre [1523] écrite
trois jours plus tard, le 11 novembre 1694, où il informe l’abbé de La Pérouse
de l’envoi de son propre Cantique en
réponse à celui de la Dame, il insinue des « choses terribles » [1524].
Car tout procès d’Inquisition requiert que deux volets soient remplis,
l’un portant sur la doctrine et l’autre portant sur les mœurs [1525].
« …J’ai écrit à M. Tronson une lettre de congratulation […] J’ai même donné charge à un des officiers de la Chartreuse de Paris de lui porter un de mes Cantiques, où il verra que je ne l’ai fait que pour détruire les dangereuses et méchantes rêveries de la Dame. […] C’est à moi-même, monsieur, que la patiente [il s’agit de Cateau-Barbe, fille qui fut un temps au service de madame Guyon] l’a dit, flens et gemens [pleurant et gémissant]. Elle me l’a dit comme un enfant à son père, pour tirer de lui instruction et consolation. C’est un sujet d’affliction qui lui reste au cœur d’avoir suivi, etc. [sic] ; et un des sujets de ses plus intimes actions de grâces à Dieu, c’est d’avoir été préservée du danger, qui lui paraît comme un abîme où elle devait périr, sans un secours spécial de la miséricorde de Dieu. C’était comme un pauvre agneau innocent qu’on menait, etc. [sic]. Il y a des circonstances singulières que le papier ne peut souffrir ; mais je prie M. T[ronson] d’user de sa prudence en ceci : car si cette dame adroite [madame Guyon] en avait la moindre ouverture, elle se douterait bien que c’est la patiente qui me l’a révélé, et elle envelopperait une fille angélique dans ses affaires. C’est un grand service pour le public que d’arrêter le cours du dommage que cette illuminée fera partout, si on la laisse faire... » [1526].
On ne perçoit pas très
clairement la nature exacte du lien suggéré. En tout cas Tronson aura
connaissance de ces insinuations, comme l’indique sa lettre à l’abbé de
la Pérouse du 29 janvier 1695, rendant compte de la défense de madame Guyon à
l’époque des entretiens d’Issy :
« …elle donne des explications si catholiques aux difficultés qu’on lui propose, qu’il ne sera pas aisé de condamner la personne touchant la doctrine, à moins qu’on ne voie du dérèglement dans les mœurs. Le fait contenu dans le billet du Père général est terrible ; mais comme on ne peut nommer personne, il ne fera pas sur les esprits toute l’impression qu’il serait à désirer […] le détail que je vous ai écrit était pris de sa Vie […] je vous prie même d’effacer dans les lettres que je vous ai écrites, que ces choses sont tirées de sa Vie… » [1527]
Ce qu’il répète dans
le post-scriptum à sa lettre adressée
à Le Masson le 8 juillet 1695 :
« Je n’ai pu me servir efficacement du billet que vous savez et que M. l’abbé de la Pérouse m’avait envoyé, parce que le secret [d’obligation] m’empêchant de nommer personne, ni de dire le lieu d’où il était envoyé, il n’a eu aucun effet. » [1528].
Le cardinal Le Camus,
évêque de Grenoble, reprendra l’accusation dans une
lettre adressée à l’évêque de Chartres en 1697. Cette lettre qui circula à
Paris au moment des interrogatoires au donjon de Vincennes a déjà été citée [1529] à propos de l’activité
« missionnaire » de madame Guyon. Nous reproduisons maintenant les
accusations :
« […] Elle était toujours accompagnée d’une jeune fille qu’elle avait gagnée, et qu’elle faisait coucher avec elle [1530] : cette fille est très bien faite et pleine d’esprit. Elle l’a menée à Turin, à Gênes, à MarseiIle et ailleurs, et ses parents s’étant venus plaindre à moi de l’enlèvement de leur fille, j’écrivis qu’on la renvoyât, et cela fut exécuté. Par cette fille, on a découvert d’affreux mystères. On s’est convaincu que Mme Guyon a deux manières de s’expliquer. Aux uns, elle ne débite que des maximes d’une piété solide ; mais aux autres, elle dit tout ce qu’il y a de plus pernicieux dans son livre des Torrents, ainsi qu’elle en a usé à l’égard de Cateau-Barbe ; c’est le nom de cette fille dont l’esprit et l’agrément lui plaisaient.
Repassant
par Grenoble, elle me fit tant solliciter [1531],
que je ne pus lui refuser une lettre de recommandation […]
Si le bénédictin [Dom
Richebracque] ne s’était
pas rétracté, c’eût été une nouvelle preuve contre cette dame : mais ce père se
trouva engagé à se dédire par une personne de grande qualité dont il faut taire
le nom [1532].
Mais il y avait déjà de quoi se convaincre assez des erreurs et de la conduite
de cette femme, qu’on voyait courir de province en province avec son directeur
[…]
Le général des chartreux a écrit
une très grande lettre à M. N. [Tronson], sur tout ce qu’il a découvert de la
conduite de cette dame et de Cateau-Barbe. Ce général, homme très savant et très
sage [1533]… »
Terminons sur les
suites des insinuations concernant la perturbatrice. L’enquête menée par
Chevreuse conduisit à des témoignages donnant un tout autre son de cloche. S’en
détache celui du bénédictin, Dom Richebracque, qui répond point par point,
en prenant la défense de l’accusée, en particulier, sur la question de ses
mœurs [1534] :
« …le bruit s'apaisa bientôt, parce, disait-on, que la fille [Cateau-Barbe] s'était rétractée, ayant, par les remords de sa conscience, reconnu que le seul dépit de n'avoir pas fait le voyage [en Piémont] l'avait fait parler si mal à propos. On disait aussi que cette fille avait eu quelque temps l'esprit égaré. Vous voulez, monseigneur, que j'ajoute s'il ne m'est rien revenu d'ailleurs de mauvais des mœurs de la dame. Je le fais, en vous assurant que non. On disait au contraire beaucoup de bien de sa grande retraite, de ses charités, de son édifiante conversation, etc. Un M. Giraud [l’éditeur du Moyen court], entre les autres, conseiller, et si j'ose le dire d'un si saint homme, mon ami, homme d'une probité reconnue, et que l'on m'a mandé être mort depuis quelques mois en odeur de sainteté, ne pouvait s'en taire, et prenait généreusement son parti, quand la prudence ou la charité l'exigeaient de lui. »
On
dispose également d’attestations remarquables des religieuses et de la
supérieure du couvent de Meaux où madame Guyon fut emprisonnée, de réfutations
d’accusations diverses, etc. [1535].
En
conclusion, les deux insinuations les plus directes portant sur les
mœurs les plus intimes, d’une part issue d’une dénonciation de
Cateau-Barbe, reprise par Dom Le Masson, d’autre part venant des témoins de
rapports paraissant trop intimes avec le P. Lacombe, renforcés par une fausse
lettre attribuée au P. Lacombe et présentée à madame Guyon à Vincennes [1536],
ne purent être confirmées malgré des pressions intenses. Madame de Maintenon
eut communication des interrogatoires préparés soigneusement [1537],
une enquête avait été préalablement conduite sur toutes les relations de
l’accusée [1538].
Madame Guyon fut finalement lavée sur le chapitre des mœurs : « Et quand l’Assemblée du Clergé donna le
26 juillet 1700 à Bossuet l’occasion de présenter une relation de toute
l’affaire, il dut reconnaître […] que pour
les abominations qu’on regardait comme les suites de ces principes
[quiétistes], il n’en fut jamais question, et cette personne en témoignait de
l’horreur. » [1539].
L’abbé
Cognet, en 1967, met en cause l’évêque de Grenoble : « l'attitude prise par Le Camus demeure
mystérieuse et, pour l'apprécier, il faut tenir compte des sympathies
ouvertement jansénistes et de l'évidente duplicité du personnage, qui plus tard
cherchera à se donner la gloire un peu facile d'avoir été l'un des premiers à
détecter le quiétisme en France[1540]. »
Deux études de Jean Orcibal confirment la
réhabilitation [1541].
Madame Gondal, puis nous-même constatons qu’« à mesure que les documents
sortent du silence où ils ont été enfouis, la contre-accusation menée par l’accusée
s’avère exacte [1542]. »
Elevons-nous
maintenant au-dessus de la chicane pour aborder le fond spirituel. Les
attitudes de l’évêque de Grenoble et de Dom Le Masson nous paraissent moins
mystérieuses si l’on prend conscience que l’influence de madame Guyon reposait
sur l’expérience vécue par ses amis, à savoir celle d’une transmission cœur à
cœur de la grâce, apparemment inexplicable pour ces prélats, et ceci d’autant
plus qu’il s’agissait d’une femme et d’une simple laïque.
Cette
expérience est pourtant bien connue dans le monde entier ; elle est restée
par exemple vivante dans l’orthodoxie. Madame Guyon affirme être le lieu où se
transmet la grâce de cœur à cœur en silence. Le directeur spirituel est alors
semblable à un canal où l’eau de la grâce dévale vers le cœur de celui qui
reçoit et le fait avancer dans sa vie spirituelle.
Le célèbre verset
« …lorsqu’il y a en quelque lieu deux ou trois personnes assemblées
en mon nom, je suis là au milieu d’elles » est commenté ainsi par
madame Guyon :
« Ils se parlent plus du cœur que de la bouche ; et l’éloignement des lieux n’empêche point cette conversation intérieure. Dieu unit ordinairement deux ou trois personnes […] dans une si grande unité, qu’ils se trouvent perdus en Dieu […] l’esprit demeurant aussi dégagé et aussi vide d’image que s’il n’y en avait point. […] Dieu fait aussi des unions de filiations, liant certaines âmes à d’autres comme à leurs parents de grâce. » [1543].
Elle affirme ce lien intérieur
avec Fénelon, qu’elle considère comme son fils spirituel le plus proche, et
écrit en avril 1690 :
« …j’ai cette confiance que si vous voulez bien rester uni à mon coeur, vous me trouverez toujours en Dieu et dans votre besoin » [1544].
A cette confiance, celui-ci répond à un moment où il craint de la voir mourir :
« …serais-je à l'avenir sans guide ? Vous savez ce que je ne sais point et les états où je puis passer [...] Je puis me trouver dans l'embarras ou de reculer sur la voie que vous m'avez ouverte, ou de m'y égarer faute d'expérience et de soutien. Je me jette tête première et les yeux bandés dans l'abîme impénétrable des volontés de Dieu. Lui seul sait ce que vous m'êtes en Lui et je vois bien que je ne le sais pas moi-même, mais je vous perds en Lui comme je m'y perds » [1545].
Madame Guyon le
considèrera un temps comme son successeur :
« Je vous laisse l’esprit directeur que Dieu m’a donné. » [1546].
Mais Fénelon mourra
avant elle.
Une telle direction
spirituelle s’exerçant de cœur à cœur ne peut se justifier que si elle
s’inscrit dans le droit fil d’une tradition. Les influences reçues par la jeune
madame Guyon font apparaître un réseau spirituel très dense dont émergent des
figures irréprochables sur le plan religieux catholique [1547]. Au
sein de ce réseau qui couvre au moins trois générations, prend place une
filiation cachée dont nous indiquons ici très brièvement l’existence.
Remontons le temps.
Madame Guyon, vers la
fin de sa vie, rassemble les lettres et des opuscules de son directeur de
jeunesse, le prêtre Jacques Bertot (1620-1681). Un « tombeau » est
ainsi élevé à sa mémoire sous la forme de quatre volumes, édités en 1726,
sous un titre inhabituel mais très exact : « Le Directeur
mystique […] ». On retrouve un enseignement très semblable à celui de
madame Guyon - à tel point que l’on a pu penser qu’elle avait mis la main à
l’ouvrage (ce que le style très abrupt de Bertot dément à nos yeux).
Cette direction est
assurée sans compromis. L’amour du directeur se manifeste dans sa
rigueur ; on n’affronte rien qui soit au-dessus de ses forces, mais tout
est apporté par la grâce et elle seule ; il n’y a pas de mérite [1548]. Voici un extrait d’une lettre de Bertot à la
jeune madame Guyon :
« Vous ne pouvez
assez entrer dans le repos et dans la paix intérieure; car c’est la voie pour
arriver où Dieu vous appelle avec tant de miséricorde. Je vous dis que c’est la
voie, et non pas votre centre : car vous ne devez pas vous y reposer ni y
jouir, mais passer doucement plus loin en Dieu et dans le néant ; c’est-à-dire
qu’il ne faut plus vous arrêter à rien quoiqu’il faille que vous soyez en repos
partout. [...] Je vous en dis infiniment davantage intérieurement et en
présence de Dieu; si vous y êtes attentive vous l’entendrez. Soutenez-vous en
Dieu nuement et simplement, seule et une [...] N’ayez donc plus d’idées, de
pensées, de sentiments de vous-même, non plus que d’une chose qui n’a jamais
été et ne sera jamais.» [1549].
Bertot parle de l’union spirituelle qu’il éprouve avec ses amis et disciples, avant que madame Guyon n’en fasse la description vécue. Il les porte comme un père dans ses prières et les amène à l’union avec lui dans le même état spirituel :
« Si j’entre dans
cette unité divine, je vous attirerai, vous et bien d’autres qui ne font
qu’attendre ; et tous ensemble n’étant qu’un en sentiment, en pensée, en
amour, en conduite et en disposition, nous tomberons heureusement en Dieu
seul... » [1550].
Jacques Bertot fut le
confesseur de la célèbre abbaye de Montmartre à Paris. Son rayonnement
s’étendit au cercle de laïcs auquel vint se joindre la jeune Jeanne-Marie
Guyon. Il avait été le confesseur des religieuses du couvent fondé à Caen par
la sœur de Jean de Bernières (1602-1659) dont il était le fidèle compagnon. Ce
dernier, qui fut le « directeur des directeurs de conscience [1551] »,
accueillait ses amis à l’Ermitage. Il
en parle avec humour :
« Il m’a pris un désir de nommer l’Ermitage l’hôpital des Incurables, et de
n’y loger avec moi que des pauvres spirituels [...] Il y a à Paris un hôpital
des Incurables pour le corps, et le nôtre sera pour les âmes. » [1552].
« Je vous conjure,
quand vous irez en Bretagne, de venir me voir; j’ai une petite chambre que je
vous garde : vous y vivrez si solitaire que vous voudrez ; nous chercherons
tous deux ensemble le trésor caché dans le champ, c’est-à-dire
l’oraison. » [1553].
Il était bien
conscient de n’être que l’intendant de Dieu :
« Nous vivons ici en grand repos, liberté, gaieté et obscurité, étant inconnus du monde, et ne nous connaissant pas nous-mêmes. Nous allons vers Dieu sans réflexion [...] Je connais clairement que l’établissement de l’Ermitage est par ordre de Dieu, et notre bon Père [Chrysostome] ne l’a pas fait bâtir par hasard ; la grâce d’oraison s’y communique facilement à ceux qui y demeurent, et on ne peut dire comment cela se fait, sinon que Dieu le fait. » [1554].
Ces rapports
personnels dans sa direction évoquent des lettres que Madame Guyon adressera
bien plus tard de Blois à des dirigés :
« …vous serez dans
la maison du petit Maître tant que vous le voudrez et pourrez. Si les bons
Ecossais viennent, vous pourrez découcher et descendre dans le bas, car je fais
de vous comme des choux de mon jardin. » [1555].
Jean de Bernières (et bien d’autres) furent
dirigés par le rigoureux mais attachant père Chrysostome de Saint Lô
(1594-1646), du Tiers Ordre Régulier franciscain, dont la vocation fut suscitée
par un laïc, Antoine le Clerc sieur de la Forest (1563-1628).
Le P. Chrysostome fut
lui-même formé par deux italiens arrivés vers 1590 : Vincent de Paris et
son compagnon Antoine. La première communauté du Tiers Ordre Régulier
franciscain s’était propagée jusqu’à Gênes où ils eurent en charge l’hôpital [1556]. On
sait que Catherine de Gênes (1447-1510), dont l’influence sera très grande chez
Jacques Bertot et Madame Guyon, a été une tertiaire franciscaine.
On voit que madame
Guyon n’était en rien une aventurière puisqu’elle a été formée dans la plus
grande rigueur au sein d’une tradition remontant aux franciscains. On peut
remarquer aussi que ce milieu d’amis comprenait aussi bien des laïcs que des
prêtres, des hommes que des femmes : Antoine le Clerc, sieur de la Forest
- P. Chrysostome, religieux – M. de Bernières, receveur des impôts – M, Bertot,
prêtre – Mme Guyon… Ceci a probablement interdit la fondation d’un ordre
religieux qui eût pu défendre leur spiritualité en leur prêtant une identité
structurelle.
Ces liens spirituels
ont été vécus dans la plus grande discrétion, sans demander d’autorisation à
une autorité. Cette liberté était difficile à admettre pour Dom Le Masson, qui
n’en a vu que les dangers potentiels.
Après avoir évoqué le
milieu dans lequel madame Guyon se situait, nous esquisserons l’étude de
quelques thèmes mystiques sur lesquels Dom Le Masson et madame Guyon ont pu
s’opposer. Nous nous appuierons sur plusieurs sources.
Deux ouvrages de Dom
Le Masson critiquent incidemment les mœurs et la spiritualité de madame
Guyon : La Vie de Mgr d’Arenthon
d’Alex (1697) [1557],
suivie d’ Eclaircissements... (1699) [1558].
Deux de ses autres ouvrages abordent le quiétisme : l’Introduction à la vie Intérieure et parfaite […] (1677, 1701) [1559] critiquait déjà « l’inaction » de
« nouveaux mystiques », tandis que la Direction […] de l’Oraison […]
à l’usage des religieuses chartreuses (1695) [1560]
réagit contre l’influence directe exercée par madame Guyon.
En face, on trouve
trois brefs ouvrages de madame Guyon, (car la grande édition hollandaise de ses
œuvres par le pasteur Poiret ne sera produite qu’à partir de 1712). Il s’agit
du Moyen court (1685, 1686,
...) [1561] ;
d’un Commentaire au Cantique des cantiques
(Lyon, 1688) [1562] ;
d’une Règle des Associés à l’enfance de
Jésus (1685, 1690). On note que ce qui est facilement accessible
aujourd’hui, et donc lu, sont les « écrits de jeunesse » de la
première moitié de sa vie : ils incluent les Torrents composés à Thonon dès 1682, ainsi que les deux premières
parties (sur quatre en y rattachant le « récit des prisons ») de la Vie par elle-même -, tandis que les
« écrits de maturité » de la seconde moitié de sa vie - elle mourut en 1717 âgée de soixante-neuf
ans - restent méconnus : Lettres
de directions spirituelles, écrits sur la Vie
intérieure... [1563].
Nous limiterons les
citations au Moyen court, connu de
Dom Le Masson, en suivant le plan du traité des Torrents, écrit auparavant. Ce dernier texte n’est pas un poème lyrique,
comme le suggère un éditeur moderne [1564],
mais expose l’expérience d’une voie parcourue en de nombreuses années, suivant
des étapes nettement différenciées. Nous reprenons leurs titres, judicieusement
choisis par l’éditeur Poiret qui devint un disciple apprécié de madame Guyon.
C’est la voie traitée par Dom Le
Masson dans la tradition des traités ouvrant la voie spirituelle. Dans La
Direction […] à l’usage des religieuses chartreuses… le passage suivant reconnaît
la réalité mystique tout en la faisant
dépendre d’un ordre à suivre où l’adhésion à des croyances risque de
prendre le pas sur la vie de foi :
« Vous verrez dans les avis qui sont donnés à la fin de ce traité aux âmes avancées, que quand elles sont comme arrêtées dans ce recueillement par une impression de grâce, et tout occupées de la présence de Dieu, elles doivent s'y tenir, en faisant des effusions de cœur dans son sein, tant que cette impression dure. Si la même [33] chose vous arrive, observez la même règle, mais revenez ensuite à l'ordre de votre direction. Il faut suivre cet ordre, parce qu'étant nécessaire que les commençants soient bien instruits et convaincus des vérités chrétiennes avant que de passer à un plus haut degré [...] [34] l'âme donc ne doit pas recourir aux moyens quand elle se sent comme parvenue à la fin. »
Suit un traité tout à
fait classique et raisonnable abordant la méditation, certainement utile à
l’enseignement des novices, où abondent les comparaisons avec la grandeur
royale :
« [44] l'entretien se doit commencer, 1. Par la connaissance de son néant [...] [45] 2. Par la contrition de ses péchés. 3. Par l'intention d'unir notre prière à celle de Jésus-Christ [...] Disons donc aussi qu'une âme fidèle [47] doit imiter ce gueux [mendiant qui rencontre un roi]. Il faut qu'elle se jette en esprit devant Dieu, comme un autre Lazare, couverte de plaies, mais pleine de désirs d'être rassasiée des miettes de pain qui tombent de sa table ; qu'elle lui découvre ses misères et ses besoins. [...] Comme dit saint François [53] de Sales, le vrai amour n'a guère de méthode. Si l'âme se trouve sèche dans ses considérations, elle doit rejeter le découragement aussi bien que l'inquiétude, et demeurer avec simplicité en la présence de Dieu, pour y fait l'exercice du pauvre gueux dont nous venons de parler. [...] [55] Combien y a-t-il de courtisans qui vont cent fois à la présence du roi, non pas pour lui parler ni pour l'ouïr, mais simplement afin d'être vus de lui et de témoigner par leur assiduité qu'ils sont ses serviteurs ? »
Madame Guyon reconnaît
cette voie. Elle suggère de faire cette oraison en s’appuyant sur une lecture
et regrette qu’on ne l’enseigne pas, même aux simples qui ne savent lire :
« Après s'être mis en la présence de Dieu par un acte de foi vive, il faut lire quelque chose de substantiel et s'arrêter doucement dessus non avec raisonnement mais seulement pour fixer l'esprit, observant que l'exercice principal doit être la présence de Dieu, et que le sujet doit être plutôt pour fixer l'esprit que pour l'exercer au raisonnement. »[1565].
« Premièrement, il faut qu'ils apprennent une vérité fondamentale, qui est que « le Royaume de Dieu est au-dedans » d'eux (Lc.17,21) et que c'est là qu'il le faut chercher. Les curés devraient apprendre à faire oraison à leurs paroissiens, comme ils leur apprennent le catéchisme. Ils leur apprennent la fin pour laquelle ils ont été créés et ils ne leur apprennent pas à jouir de leur fin. » [1566].
Elle reconnaît la
nécessité de la mortification :
« La mortification
doit toujours accompagner l'oraison selon les forces, l'état d'un chacun et
l'obéissance. Mais je dis que l'on ne doit pas faire son exercice principal de
la mortification ni se fixer à telles et telles austérités, mais suivre
seulement l'attrait intérieur et s'occuper de la présence de Dieu sans penser
en particulier à la mortification. Dieu en fait faire de toutes sortes, et Il
ne donne point de relâche aux âmes qui sont fidèles à s'abandonner à lui, qu'Il
n'ait mortifié en elles tout ce qu'il y a à mortifier. Il faut donc seulement
se tenir attentif à Dieu et tout se fait avec beaucoup de perfection. Tous ne
sont pas capables des austérités extérieures, mais tous sont capables de
ceci. » [1567].
Le Masson évoque la
vie mystique en se limitant aux états de contemplation consciente de la douce
présence divine. La « vie de foi », qui suivra ces heureux prémices,
n’est pas abordée.
« Il y a une autre espèce de contemplation, qui s’appelle passive, de laquelle je ne dis rien. Dieu apprend lui-même ce que c’est aux âmes qu’Il y élève… »[1568].
« Quand l'âme est attachée à Dieu par la
contemplation et qu'elle est toute occupée de sa simple Présence, elle est dans
un acte essentiel et continué sans interruption qui comprend tous les actes
qu'elle pourrait faire, sans qu'elle ait besoin pour lors des opérations de ses
puissances. Si donc les puissances demeurent suspendues pendant ce temps-là,
comme quand on est surpris et occupé par une agréable mélodie de voix et
d'instruments de musique, et que l'âme puisse faire et fasse par effet un acte
intime et essentiel sans qu'elle [253] ait besoin du secours de ses puissances,
elle les doit tenir dans cette suspension quand la présence de Dieu les y a
mises plutôt que de les rappeler à un travail et à des opérations naturelles ;
car cela ne servirait pour lors qu'à troubler la jouissance où elle est de la
douce présence de Dieu... » [1569].
Il s’oppose à l’inaction, terme pris dans son sens
moderne d’oisiveté et non comme un état où se vit l’action de la grâce divine
au cœur de l’être (in-action), tout
en mettant justement l’action de Dieu en premier :
« Ces actes […] ne laissent point l’âme dans la malheureuse oisiveté d’inaction, que les Quiétistes se sont formée, sous le prétexte de cette passiveté […] Le véritable anéantissement de nous-même ne consiste pas à ne nous point servir de nos puissances, mais à ne faire aucun fond sur nous-mêmes non plus que sur le néant et à attendre tout de Dieu… » [1570].
Ce à quoi madame Guyon
répond :
« Quelques
personnes, entendant parler du silence dans l'oraison, se sont faussement
persuadées que l'âme y demeure stupide, morte et sans action. Non, assurément,
elle agit plus noblement et plus fortement. Elle est mue et agie par l'Esprit
de Dieu. […] L'on ne dit pas qu'il ne faut point agir, mais qu'il faut agir par
dépendance du mouvement de la grâce. » [1571].
Et elle explique
que :
« cette action de
l'âme est une action pleine de repos. Lorsqu'elle agit par elle-même, elle agit
avec effort. C'est pourquoi elle distingue mieux alors son action. Mais
lorsqu'elle agit par dépendance de l'esprit de la grâce, son action est si
libre, si aisée, si naturelle, qu'il semble qu'elle n'agisse pas. […] Tous les
mouvements que nous faisons par notre propre esprit empêchent cet admirable
peintre de travailler et font faire de faux traits. Il faut donc demeurer en
paix, et ne nous mouvoir que lorsqu'Il nous meut. […] si nous ne savons pas ce
qu'il nous faut, ni même demander comme il faut ce qui nous est nécessaire, et
que l'Esprit qui est en nous, à la motion duquel nous nous abandonnons, le
demande pour nous, ne devons-nous pas le laisser faire ? »
Madame Guyon explique
comment l’in-action est une action
divine dans l’intérieur, vivement ressentie (et parfois pâtie) et explique
l’apparente disparition des opérations :
« …l'opération de
Dieu, devenant plus abondante, absorbe celle de la créature, comme l'on voit que
le soleil, à mesure qu'il s'élève, absorbe peu à peu toute la lumière des
étoiles, qui se distinguaient très bien avant qu'il parût. Ce n'est point le
défaut de lumière qui fait que l'on ne distingue plus les étoiles, mais l'excès
de lumière. Il en est de même ici. La créature ne distingue plus son opération,
parce qu'une lumière forte et générale absorbe toutes ses petites lumières
distinctes et les fait entièrement défaillir, à cause que son excès les
surpasse toutes. De sorte que ceux qui accusent cette oraison d'oisiveté se
trompent beaucoup. Et c'est faute d'expérience qu'ils le disent de la
sorte. » [1572].
Elle justifie cette
apparente facilité par sa comparaison préférée du cours d’une rivière :
« Tout ce qu'il y a
de plus grand dans la religion est ce qu'il y a de plus aisé. […] De même dans
les choses naturelles. Voulez-vous aller à la mer ? Embarquez-vous sur une
rivière et, insensiblement et sans effort, vous y arriverez. » [1573].
Mais l’on n’est pas
toujours orienté vers Dieu, aussi elle reconnaît la nécessité de « faire
des actes » dans le cas contraire :
« Si je suis tourné
vers Dieu et que je veuille faire un acte, je me détourne de Dieu et je me
tourne plus ou moins vers les choses créées, selon que mon acte est plus ou
moins fort. Si je suis tourné vers la créature, il faut que je fasse un acte
pour me détourner de cette créature et me tourner vers Dieu. […] Jusqu'à
ce que je sois parfaitement converti, j'ai besoin d'actes pour me tourner vers
Dieu. » [1574].
Ensuite cela devient
une habitude :
« Comme plusieurs
actes réitérés font une habitude, l'âme contracte l'habitude de la conversion.
L'acte devient habituel et non formel, dans la suite. [L'âme] ne doit pas se
mettre alors en peine de former cet acte parce qu'il subsiste. […] Elle trouve
même qu'elle se tire de son état pour le faire, ce qu'elle ne doit jamais
faire. » [1575].
Une comparaison
éclaire ce passage de l’acte « volontaire » à la coopération
naturelle au travail de la grâce :
« Lorsque le
vaisseau est au port, les mariniers ont peine à l'arracher de là pour le mettre
en pleine mer. Mais ensuite ils le tournent aisément du côté qu'ils veulent
aller. Lorsque l'âme est encore dans le péché et dans les créatures, il faut,
avec bien des efforts, la tirer de là, il faut défaire les cordages qui la
tiennent liée. Puis ramant par le moyen des actes forts et vigoureux, tâcher de
l'attirer au-dedans, l'éloignant peu à peu de son propre port, et en
l'éloignant, on la tourne au-dedans qui est le lieu où l'on désire voyager.
« Lorsque le vaisseau
est tourné de la sorte, à mesure qu'il avance dans la mer, il s'éloigne plus de
la terre. Et plus il s'éloigne de la terre, moins il faut d'effort pour
l'attirer. Enfin, on commence à voguer très doucement et le vaisseau s'éloigne
si fort qu'il faut quitter la rame, rendue inutile. Que fait alors le pilote ?
Il se contente d'étendre les voiles et de tenir le gouvernail.
« Etendre les
voiles, c'est faire l'oraison de simple exposition devant Dieu, pour être mû
par son Esprit. Tenir le gouvernail, c'est empêcher notre coeur de s'égarer du
droit chemin, le ramenant doucement et le conduisant selon le mouvement de
l'Esprit de Dieu qui s'empare peu à peu de ce cœur, comme le vent vient peu à
peu enfler les voiles et pousser le vaisseau. » [1576].
Après la découverte de
l’intériorité et des prémices où sont données la paix et parfois la jouissance
de la présence divine, l’homme doit être purifié au point d’être consumé par le
feu divin. Le chapitre XXIV du Moyen
court, traitant du « moyen le plus sûr pour arriver à l'union divine
», résume cette longue période qui couvre les deux premières des trois voies
traditionnelle de purification, d’illumination, d’union :
« § 1. Il est
impossible d'arriver à l'union divine par la seule voie de la méditation pour
plusieurs raisons dont j'en dirai quelques-unes. Premièrement, selon
l'Ecriture, « Nul homme vivant ne verra Dieu » (Exode, 55, 20). Or tout
l'exercice de l'oraison discursive ou même de la contemplation active, regardée
comme une fin et non comme une disposition à la passive, sont des exercices
vivants par lesquels nous ne pouvons voir Dieu, c'est-à-dire être unis à Lui.
[…]
« § 6-7.
[...] Il faut que sa Sagesse, accompagnée de la divine Justice, comme un feu
impitoyable et dévorant, ôte à l'âme tout ce qu'elle a de propriété, de
terrestre, de charnel et d'actif. […] l'homme aime si fort sa propriété, et il
craint tant sa destruction que, si Dieu ne le faisait lui-même et d'autorité,
l'homme n'y consentirait jamais. L'on me répondra à cela que Dieu n'ôte jamais
à l'homme sa liberté et qu'ainsi il peut toujours résister à Dieu, que je ne
dois pas dire que Dieu agit absolument et sans le consentement de l'homme. Je
m'explique, et je dis qu'il suffit d'un consentement passif, que l'homme ait
une entière et pleine liberté, parce que s'étant donné à Dieu dès le
commencement, pour qu'il fasse de lui et en lui tout ce qu'Il voudrait, il fit
alors un consentement actif et implicite à tout ce que Dieu ferait. Mais
lorsque Dieu détruit, brûle, purifie, l'âme ne voit pas que cela lui soit
avantageux.
« § 8. Dieu, donc,
purifie tellement cette âme de toutes opérations propres, distinctes, aperçues,
et multipliées, qui font une dissemblance très grande, qu'enfin Il se la rend
peu à peu conforme et enfin uniforme, relevant la capacité passive de la
créature, l'élargissant et l'ennoblissant, d'une manière cachée et inconnue -
c'est pourquoi on l'appelle « mystique ». Mais il faut qu'à toutes ces
opérations l'âme ne travaille que passivement.
Le dialogue peut
continuer avec un chartreux, Hugues de
Balma (~1300), auteur d’une Théologie
mystique :
« Parce qu'il ne s'attribue pas en effet
les choses qu'il possède, mais les fait toutes tourner à la louange du
dispensateur de toutes choses, il creuse en soi une concavité en luttant
contre soi-même avec plus de vérité. Par elle, l'abondante pluie des grâces
divines, franchissant monts et collines, s'introduit dans les endroits moins
élevés, de telle sorte que plus grande aura été la concavité de l'humilité,
plus elle sera capable de recevoir une grâce plus abondante. » [1577].
Ce
« creusement » est en quelque sorte céder à l’opération de Dieu,
passiveté qui succède peu à peu à l’action ;
madame Guyon poursuit:
« Il est vrai qu'avant
d'en venir là, il faut qu'elle agisse plus au commencement. Puis, à mesure que
l'opération de Dieu devient plus forte, il faut que peu à peu et
successivement, l'âme lui cède, jusqu'à ce qu'Il l'absorbe tout à fait. Mais
cela dure longtemps.
« § 9. C'est
pourquoi, on ne dit pas, donc, comme quelques-uns l'ont cru, qu'il ne faille
pas passer par l'action, puisqu'au contraire c'est la porte. Mais seulement
qu'il n'y faut pas toujours demeurer. »[1578]
Alors naît une
liberté nouvelle. La « mort »
subie par le spirituel pèlerin était un passage et non le terme. Le chartreux
Hugues de Balma le dit :
« Lorsque, grâce au
secours divin, sont supprimés les empêchements […] liens qui s’opposent à la
perfection de l’extension unitive, libre alors comme un oiselet, la puissance
affective qu'emportent les seules ailes des affections ardentes jouit d'une
liberté si grande que chaque fois qu'elle le veut très ardemment elle est mue
vers Dieu… » [1579].
Pour Dom Le Masson une
des fausses idées des « Sectateurs du Quiétisme » est celle
d’une permanence possible de l’état de grâce.
L'essence de Dieu est [35] tellement propre aux trois adorables Personnes de la Sainte Trinité qu'elle n'est communicable à aucune créature. Ces termes donc d'union essentielle et d'autres semblables, usurpés par quelques mystiques de ce temps, sont des êtres de raison qui servent à attirer et à donner de l'estime aux âmes imprudentes, qu'on jette ensuite facilement dans des erreurs, ou qui s'y précipitent elles-mêmes... » [1580].
« Êtres de
raison » ou état expérimenté par les mystiques accomplis ?
Un tel état d’union
est décrit dans la seconde Relation
de 1654 lorsque Marie de l’Incarnation est âgée de cinquante-cinq ans :
« Il ne se peut
dire la paix et la grande tranquillité que l’âme possède, se voyant entièrement
libre de ses liens et rétablie en tout ce qu’elle avait perdu […] comme ayant
eu diverses affaires depuis que je suis en Canada […] L’on prenait souvent mon
procédé comme provenant de mon naturel […] l’on ne voyait pas que, mon esprit
étant possédé de cet Esprit des maximes du Fils de Dieu, j’agissais par ce
principe […] Dans les susdits emplois, mon esprit était toujours lié à cet
Esprit qui me possédait… » [1581].
L’état « apostolique »
est décrit avec une grande sobriété dans la conclusion de la Vie, rédigée lorsque madame Guyon est
âgée de soixante et un ans :
« L’état simple et invariable. Dans ces derniers temps je ne puis parler que peu ou point de mes dispositions, c’est que mon état est devenu simple et invariable. […] Le fond de cet état est un anéantissement profond, ne trouvant rien en moi de nominable. Tout ce que je sais, c'est que Dieu est infiniment saint, juste, bon, heureux ; qu'Il renferme en soi tous les biens, et moi toutes les misères. Je ne vois rien au-dessous de moi, ni rien de plus indigne que moi. Je reconnais que Dieu m'a fait des grâces capables de sauver un monde, et que peut-être j'ai tout payé d'ingratitude. Je dis peut-être, car rien ne subsiste en moi, ni bien, ni mal. Le bien est en Dieu, je n'ai pour partage que le rien. Que puis-je dire d'un état toujours le même, sans vue ni variation ? Car la sécheresse, si j'en ai, est égale pour moi à l'état le plus satisfaisant. Tout est perdu dans l'immense, et je ne puis ni vouloir, ni penser. […] Décembre 1709. » [1582].
Rien n’aurait dû opposer la mystique et le
chartreux au niveau de la vie intérieure ; de fait ils s’accordent sur le
rôle de la grâce divine, la finalité dans l’amour, etc.,
« fondamentaux » communs à tous et à toutes époques. Mais l’un et
l’autre se placent à des étapes différentes du parcours des « sentiers de
l’amour divin [1583] ».
Ceci provoque des appréciations de l’oraison qui semblent contradictoires. S’y
ajoutent, mais secondairement, des conditions du cheminement différentes
pour des chartreux ou pour des laïcs.
L’approche de madame
Guyon, de nature expérimentale, n’insiste guère sur une ascèse préparatoire,
mais sur l’abandon de la volonté propre. L’ascèse devient une garde du cœur ou
vigilance collaborant au travail de la grâce divine, aidée par une transmission
cachée de la grâce.
L’affrontement entre
madame Guyon et Dom Le Masson illustre l’opposition entre un
« christianisme intérieur » et
une pratique religieuse. La théorie – la carte du géographe - ne rend
guère compte de l’expérience – le vécu de l’explorateur - selon la
comparaison de Bergson rapportée par Jean Guitton dans la préface de ce
dernier à la biographie de Dom Le Masson par
Martin :
« …il y avait en
elle [madame Guyon] cette note de réalité qui ne trompe pas, et qui distingue
du premier coup et à coup sûr le récit d'un voyageur qui a parcouru le pays
dont il parle et la reconstitution de ce même pays par un auteur qui n'y est
pas allé. » [1584].
Laissant de côté les
démêlés nés de la rencontre historique entre le « Louis XIV des chartreux »
et la « Dame Directrice », il faudra un jour montrer plus
profondément que nous n’avons pu le faire ici, comment les meilleurs des
auteurs chartreux, les trois Guigues et Hugues de Balma au Moyen Age,
Guillerand et Porion récemment, s’accordent à la quiétude de madame Guyon et de son disciple Fénelon.
Sur le plan historique
notons que les deux grands prélats adversaires de madame Guyon, Dom Le Masson
et Bossuet, sont contemporains :
ils naissent en 1627 et meurent respectivement en 1703 et
1704. Ils précèdent d’une génération celle qui naquit en 1648. Le défi à leur
autorité, au nom d’une expérience intime, illustre la transformation en cours
vers la modernité. « A partir de 1670, on constate un recul progressif des
systèmes explicatifs à priori » [1585], et
« les plus hardis prétendent que la valeur d’une foi vient moins de son
invérifiable orthodoxie que de l’authenticité de la conscience du
croyant » [1586].
Il est illusoire de
vouloir unifier la diversité des vécus. Les uns, tel l’ascétique Dom Le Masson,
privilégient l’exercice de la volonté propre en vue de mériter (un choix
divin ?). Les autres, telle la mystique madame Guyon, privilégient
l’abandon de leur volonté propre pour se conformer à la Providence divine.
Selon ce dernier point
de vue, on craindra qu’une ascèse des pratiques ne mène à l’opposé de celle
consistant en l’abandon de la volonté propre. De même, dans certaines
analyses psychanalytiques accomplies, un meilleur fonctionnement de l’humain
renforce la dureté de son noyau intime dominateur.
La vigilance
(« la fine pointe de l’âme ») visera à se conformer au travail animé
par la grâce (issue de « l’Immense »). On peut recourir à l’analogie
d’un foyer dans une maison. L’ascèse correspond à la fermeture des portes et
des fenêtres qui assure l’absence de courants d’air figurant les
dispersions. Cette précaution permet au feu de bien prendre - mais on ne peut
que rassembler les brindilles, c’est à la grâce divine de l’allumer. Sans l’in-action de la grâce, on est dans le
froid et le noir. Quand le feu est
établi, on peut ouvrir portes et fenêtres - retrouver une activité complète -
ce qui ne peut que faire croître la flamme. Les formes de l’intériorité (prière
vocale ou liturgique, oraison mentale, oraison passive, abandon, etc.) balisent
le cheminement vers l’amour. Dans des cas très exceptionnels, quand la personne
est toute entière emplie par la grâce, le terme de la vie mystique serait sa
transmission à d’autres.
La présentation rapide
de la biographie de madame Guyon, mais détaillée en ce qui concerne ses
rapports avec les chartreux et avec leur Général (I. Eléments historiques), nous donne l’occasion d’examiner très
précisément les charges portées contre elle et de confirmer sa réhabilitation (II. Accusations). Que cette incursion
érudite dans la chicane ne décourage pas le lecteur ! Le second volet de
notre étude aborde le thème crucial de la transmission cœur à cœur de la grâce
au sein du réseau spirituel dans lequel fut formée madame Guyon (III. Une filiation au sein d’un réseau), puis suit le lent parcours d’une vie
mystique selon le plan exposé dans le traité des Torrents, en tentant un dialogue avec Dom Le Masson (éventuellement
assisté par Hugues de Balma) :
voie active de la méditation, voie passive de lumière, voie passive en foi,
cette dernière conduisant, par le dépouillement, de l’amour à une vie nouvelle
(IV. La vie mystique).
Madame Guyon, Ecrits
sur la vie intérieure, présentation par Dominique et Murielle Tronc, Paris,
Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2005, 195 p. [15 Discours]
…il y avait en elle [madame Guyon] cette note de réalité qui ne trompe pas, et qui distingue du premier coup et à coup sûr le récit d'un voyageur qui a parcouru le pays dont il parle et la reconstitution de ce même pays par un auteur qui n'y est pas allé. (Bergson) [1587].
Contemporaine
de Racine, madame Guyon fut l’une des très grandes mystiques du XVIIe
siècle français. Pourtant elle nous est proche, car elle resta toute sa vie une
laïque plongée dans les difficultés de l’ordinaire quotidien et elle garda
toujours une entière liberté intérieure, résistant aux pressions pour n’obéir
qu’à son élan intime, issu d’une expérience trop profonde pour être comprise du
pouvoir clérical. Restée indépendante vis-à-vis des structures religieuses,
elle affirma une autorité spirituelle auprès de disciples dont le plus célèbre
est Fénelon. Bien qu’elle soit devenue suspecte après les condamnations du
« Quiétisme », son influence spirituelle s’exerça au sein d’un groupe
important d’amis mystiques qui lui restèrent fidèles malgré le danger, tant
était grand son rayonnement.
Après
sa mort, ses écrits se transmirent principalement hors de France. Admirée chez
les protestants, elle ne fut réhabilitée qu’au siècle dernier au sein du
catholicisme. Malgré une fidélité à son Eglise conservée jusqu’à sa mort, elle
resta suspecte : il fallut attendre 1907 pour voir authentifiée sa correspondance
de la direction de Fénelon ! Puis Henri Delacroix dès 1908, le philosophe
Bergson, les historiens Henri Bremond et Louis Cognet la réhabilitèrent avant
que l’on ne la réédite partiellement. Sa grandeur et son œuvre restent pourtant
méconnus [1588].
Sa
vie fut mouvementée. Née en 1648 à Montargis d’une famille de riches bourgeois,
mariée à seize ans, elle devint veuve à vingt-huit ans après cinq grossesses
dont survivront trois enfants. Elle entra dans la vie intérieure dès dix-huit
ans grâce à la Mère Granger, supérieure du couvent des bénédictines de sa ville
natale, auprès de qui elle se réfugiait souvent, tant elle était malheureuse
dans sa belle-famille. Elle fut présentée par cette religieuse à monsieur
Bertot (1620-1681), prêtre et profond mystique, qui devint son père spirituel.
Après
la mort de son mari, elle pensait (avec ses conseillers religieux) qu’elle
devait contribuer à faire connaître la vie intérieure. On lui proposa d’être
supérieure des « Nouvelles Catholiques » à Gex, mais elle refusa.
Elle voyagea cinq ans durant en Savoie, à Thonon où elle composa les Torrents, en Piémont dont elle connut
les milieux piétistes. À cette époque elle découvrit qu'elle pouvait être en
union spirituelle avec d'autres personnes et leur transmettre la grâce en
silence de cœur à cœur. De retour à Grenoble, elle reçut de très nombreux
visiteurs : clercs, religieuses chartreuses, à l'intention desquelles elle
composa son Moyen court et ses Explications de la Bible.
C'est
une femme d'expérience qui arriva à trente-huit ans à Paris. Elle reprit la
direction du cercle spirituel créé par monsieur Bertot. Comme elle se
rattachait au milieu quiétiste par ce dernier, elle fut emprisonnée après la
condamnation de Molinos. Délivrée sur l'intervention de Madame de Maintenon qui
fut tentée par la vie mystique, elle entreprit un apostolat à la Fondation des
Demoiselles de Saint-Cyr et s’attacha de nombreux disciples, dont Fénelon, les
ducs et duchesses de Chevreuse et Beauvillier sont les figures connues. Ils lui
demeureront fidèles jusqu’à leur mort, c’est-à-dire durant près de
trente ans.
Tombée
en défaveur, madame Guyon tenta en vain de se réfugier dans l’isolement et le
silence. Elle fut soumise à la colère des pouvoirs qui à l'époque entendaient
contrôler la conscience intime de tous : cette femme, laïque de surcroît, qui
osait prétendre n'obéir qu'à l'impulsion de la grâce divine et la répandre
autour d'elle, devait être soumise. Emprisonnée une seconde fois à
quarante-huit ans pendant sept années et demi, dont cinq en isolement, elle fut
l'objet d'accusation de mauvaises mœurs et de pressions violentes de la part du
pouvoir judiciaire royal et de l'évêque Bossuet très soumis à madame de
Maintenon.
Enfin
lavée de tout soupçon, elle sortit de la Bastille à cinquante-cinq ans - sur un
brancard. Il lui restait cependant un peu plus de treize années à vivre :
elle les consacra à former des disciples catholiques et protestants, les
ouvrant à la vie intérieure dans une discrétion totale, ce dont témoignent les textes
présentés ici et une correspondance qui devint européenne. Elle mourut en 1717.
Les
oeuvres accessibles au public d’aujourd'hui ne représentent que l'expérience
des années de jeunesse de madame Guyon, acquise avant sa trente-septième année.
Or elle vécut soixante-neuf ans et s’abstint de composer des traités dans sa
pleine maturité. Elle comprit, à l’expérience, tant sont divers les secrets sentiers de l’amour divin [1589],
qu’il faut adapter la guidance mystique à chacun, par des conseils particuliers,
ou tout au plus par de brefs opuscules répondant à une difficulté particulière
communément ressentie.
Les
disciples, dont certains visitaient la vieille dame de Blois, ont rassemblé ces
opuscules et des lettres qui circulaient entre eux. Cet ensemble de pièces de
dimensions variables (d’une à vingt-cinq pages) constituent le cœur de l’œuvre
guyonnienne, traduisant la pleine maturité mystique. Pour un regard
privilégiant la valeur du contenu spirituel utilisable aujourd’hui, cet
ensemble se révèle plus profond que la Vie
par elle-même, ou les œuvres de jeunesse, telles que la première
partie des Torrents, le Moyen court, les volumineuses Explications de la Bible... Mais le
trésor est resté caché, enfoui sous un long titre qui révèle mal sa
valeur : Discours chrétiens et
spirituels sur divers sujets qui concernent la vie intérieure. Il fut
publié en 1716, du vivant de leur auteur, en deux volumes contenant chacun
soixante-dix pièces [1590],
rapidement dispersés dans les bibliothèques privées de disciples français et
surtout étrangers, suisses, hollandais, anglais ou écossais. Ce corpus est donc pratiquement inconnu du
public.
Nous
proposons un choix de pièces disposées selon un ordre ascendant du point de vue
de l’approfondissement mystique, très proche de celui du premier éditeur,
Pierre Poiret, disciple aimé de madame Guyon. Les aspects de l’expérience
mystique sont abordés sous différents angles. Une même réalité se manifeste
progressivement, celle de la vie nouvelle
et divine, en Dieu où sont données une véritable liberté et l’efficience
mystique. A la fin d’une vie, le sentier
mystique, sortant « d’une forêt sauvage et âpre et forte », débouche
dans la lumière.
Madame
Guyon rechercha Dieu très jeune et pratiquait méditations et prières vocales
comme l'enseigne traditionnellement le clergé catholique. Mais cherchant une
voie intérieure satisfaisante, elle s'adressa au « bon franciscain »
Enguerrand qui répondit à ses questions par une phrase lapidaire : « C'est,
Madame, que vous cherchez au-dehors ce que vous avez au-dedans. » Par ces mots,
il la fit entrer brusquement dans l'intériorité qui allait remplir toute sa
vie.
Malgré
une existence compliquée par de nombreuses épreuves, elle resta attachée à sa
vérité intérieure sans faiblir, comme en témoigne cette confidence au duc de
Chevreuse :
« J’avais fait cinq vœux en ce pays-là [la Savoie]. Le
premier de chasteté que j’avais déjà fait sitôt que je fus veuve, [le second]
celui de pauvreté, c’est pourquoi je me suis dépouillée de tous mes biens - je
n’ai jamais confié ceci à qui que ce soit. Le troisième d’une obéissance
aveugle à l’extérieur à toutes les providences ou à ce qui me serait
marqué par mes supérieurs ou directeurs,
et au-dedans d’une totale dépendance de la grâce. Le quatrième d’un attachement
inviolable à la sainte Eglise. Le cinquième était un culte particulier à
l’enfance de Jésus-Christ plus intérieur qu’extérieur [1591].
»
A la
fin de sa vie, dans les Discours dont
nous donnons un choix, elle évoque pour ses « enfants » en Dieu les
grands thèmes de la mystique de façon très simple, épurée par une longue
expérience, dégagée de toute gangue dévotionnelle, mais avec grande précision
et finesse.
Tout
commence par la prière pour adhérer à
Dieu. Mais comment la pratiquer ? Madame Guyon ne fait pas appel à
l’effort méditatif des exercices spirituels. Car les exercices peuvent être
utiles au commencement mais risquent d’enfermer le pratiquant dans leurs
procédés. Elle rejette aussi la
recherche d’un vide ponctuel obtenu par abstraction d’esprit. Exercices
prolongés ou abstraction volontaire d’esprit ont en commun de privilégier
l’effort. Ils risquent donc en pratique
de ne plus reconnaître la primauté voire l’existence même du don de la
grâce ! La seule chose est d’appeler la grâce et de se mettre en état de
disponibilité totale pour l'accueillir : elle tombera alors obligatoirement car
Dieu ne peut résister à cet appel.
Madame Guyon se situe
donc dans la tradition spirituelle qui remonte par Benoît de Canfield aux
Rhéno-flamands :
« L’élévation d’esprit qui se fait par ignorance, n’est
autre chose que d’être mu immédiatement par l’ardeur d’amour, sans aucun
miroir, ou aide des créatures, sans l’entremise d’aucune pensée précédente, et
sans aucun mouvement présent d’entendement, afin que la seule affection puisse
toucher, et que la connaissance spéculative ne puisse rien connaître en cet
exercice d’esprit [1592]. »
La
béguine Hadewijch disait brièvement :
« Quoi que trouve l’esprit,
Dieu demeure incirconscrit
Dans l’amour nu,
Sans paroles ni
raison [1593]. »
Madame Guyon rend compte du vécu intérieur
par des descriptions précises. En premier lieu, la découverte de l’intériorité
permet une pacification progressive. Cette découverte s’accompagne d’événements
intérieurs variés selon les tempéraments et l’environnement, brefs instants ou
états pouvant durer des jours. Ces débuts remplissent la mystique d'ivresses
merveilleuses ou de révélations : ils constituent la « voie des lumières » et
la plupart des mystiques se contentent de cela. Il faut pourtant dépasser cette
étape qui ne donne que des « miettes » de Dieu et non Dieu lui-même.
Suivent
en second lieu des années de désappropriation, terme préférable à celui de
« purification », courant dans la littérature spirituelle, mais
ambigu, parce qu’il risque de laisser croire que nous serions à terme un
« nous-mêmes » moins nos défauts ! Subsistent seulement
des capacités et aussi des infirmités.
« Dès le commencement elle consiste en un regard d’amour
sur l’homme ; et ce regard le consume et détruit ses impuretés … Car il faut
concevoir, que toutes les opérations de Dieu en lui-même et hors de lui-même ne
sont qu’un regard et un amour éclairant et unissant. … Plus il purifie par ce
regard, plus il atteint le dedans et le purifie de ce qui est plus subtil, plus
délicat, mais aussi plus enraciné [1594]. »
En
troisième lieu la structure individuelle est mise au service de ce qui vient
prendre la place centrale au cœur et la dirige, comme l’exprime l’apôtre Paul si souvent cité par Madame Guyon :
« Cette âme sait fort bien que Dieu est devenu sa vie.
Au commencement cela est plus aperçu, dans la suite cela devient comme naturel.
Saint Paul qui
l’avait éprouvé dit : je vis, non plus
moi, mais Jésus-Christ vit en moi [1595]. »
C’est
la naissance à une vie nouvelle :
« Je ne suis ni saint, ni orné, etc., dira cet homme
éclairé de la lumière de Dieu, mais Dieu
est tout cela pour moi. … comme Il ne laisse rien pour moi, et que je ne
saurais subsister sans rien, Il m’absorbe et me perd en Lui, où Il ne me laisse
rien de propre, ni propre justice, ni propre vertu [1596]. »
On
peut trouver chez madame Guyon des descriptions plus fines que celle de la
division tripartite que nous venons d’évoquer : attirance en soi où
demeure la voie de l’intériorité et sa source, laisser faire Dieu plutôt que de
s’efforcer à quelque exercice ou ascèse, chasser l’amour-propre en ne se recourbant jamais sur soi, accepter la purification nécessaire parce
qu’on ne peut concilier attachement et amour, suivre Jésus-Christ par la voie
de la foi nue [1597]
et non des lumières, vivre dans l’Amour pur rend qui heureux dans le sans-limite, subir la
nuit ou du moins quelques touches nocturnes qui
touchent l’être même et non plus seulement ses vêtements, puis un état
intermédiaire où l’on est perdu à soi mais où le divin demeure encore
caché [1598],
enfin une recréation divine ; alors suivant Paul, ce n’est
plus nous qui agissons [1599].
Mais toute division en étapes présente le danger de substituer un chemin à la diversité des expériences
personnelles durant l’ascension de la montagne, selon la belle comparaison qui
ouvre ce recueil.
Le
principal obstacle est celui de la volonté
propre qui empêche le divin d’être notre principe : il est surmonté à
l’aide des qualités de simplicité et d’humilité, analogue au creux de la
pierre :
« Il faut savoir qu’on creuse la pierre en proportion
que ce qu’on y veut graver a de grandeur, d’épaisseur et d’étendue. Afin que
Dieu s’imprime dans notre âme, il faut qu’elle soit dans un néant proportionné
au dessin de l’impression que Dieu y veut faire. Ici tout s’opère en vide …
L’homme ne voit point ce merveilleux ouvrage : il n’en paraît rien au dehors.
Ce n’est point un ouvrage de relief, mais un creux profond, une concavité, que
l’âme n’aperçoit que par un vide souvent très pénible [1600]. »
Finalement
l’âme est anéantie en Dieu, ce qu’affirme madame Guyon :
« Elle sait qu’elle vit et c’est tout, et elle sait que
cette vie est étendue, vaste, qu’elle n’est pas comme la première : et c’est
tout ainsi que cette âme sait fort bien que Dieu est devenu sa vie [1601].
Une
âme peut être perdue en Dieu uniquement pour elle-même, mais Madame Guyon reçut
le don de transmettre la grâce à ceux qui l’approchaient. Ce charisme bien
connu en Orient ou dans le soufisme, est affirmé par les orthodoxes, mais est
peu mentionnée dans le catholicisme, probablement à cause de la clôture des
communautés qui empêche la communication de cette expérience. Madame Guyon
s'est exprimée ouvertement sur ce sujet dans sa correspondance avec ses
intimes, et ses affirmations nous sont précieuses à cause de leur rareté dans
notre milieu occidental.
Elle
avait ressenti l'action du divin par l’intermédiaire d'une personne, Jacques
Bertot ou Geneviève Granger. Elle la reconnut chez elle-même avec
émerveillement à quarante-quatre ans. Se référant à la descente de l’Esprit
Saint lors de la Pentecôte, elle appelle cette efficience « vie apostolique »,
car, de même que la parole était entendue simultanément en plusieurs langues,
de même une personne peut transmettre l’Esprit Saint à chacun selon ses
besoins.
Madame
Guyon se percevait comme un canal qui donne passage à la grâce, en l'absence de
toute volonté propre, sans intentionnalité personnelle. Cette transmission a
lieu dans la passiveté [1602]
totale, dans une extrême soumission à cette « main de Dieu qui
donne », dans un vide de soi-même et des créatures[1603].
Elle vibre alors de la plénitude divine dans la pleine liberté et la
« communication » est ressentie par tous
dans un état de paix ou parfait repos. L’on note ainsi, très loin du « vide » ou
d’un « vertige du néant » synonyme de paralysie, l’association très
étroite du vide à la plénitude :
« Quand l’âme a perdu et tout pouvoir propre et toute
répugnance à être mue et agie selon la volonté du Seigneur, alors Il la fait
agir comme Il veut … Quand Dieu la meut vers un cœur, à moins que ce cœur ne
refusât lui-même la grâce que Dieu veut lui communiquer, ou qu’il ne fût mal
disposé par trop d’activité, il reçoit immanquablement une paix profonde …
Quelquefois plusieurs personnes reçoivent dans le même temps l’écoulement de
ces eaux de grâce [1604]. »
Cette
transmission ne dépend que de Dieu seul et s’effectue le plus parfaitement en silence.
Elle suppose un accord au niveau du recueillement des personnes qui est souvent
favorisé par une proximité physique tandis que le transmetteur est affranchi de
toute inclination naturelle :
« Vous m’avez demandé comment se faisait l’union du cœur ? Je vous dirai que l’âme étant
entièrement affranchie de tout penchant, de toute inclination et de toute
amitié naturelle, Dieu … fait pencher le cœur vers une personne … Cela ne
dépend point de notre volonté : mais Dieu seul l’opère dans l’âme, quand et comme il Lui
plaît, et souvent lorsqu’on y pense le moins. Tous nos efforts ne pourraient
nous donner cette disposition ; au contraire notre activité ne servirait qu’à
l’empêcher [1605]. »
Fénelon,
fut un des bénéficiaires les plus connus comme en témoigne le début de la
lettre du 1er décembre 1689, suivi d’un bel exposé de la transmission
cœur à cœur et de la passiveté requise de l’âme exposée au
regard divin, devenue le court Discours 2.25 :
« Je me sens depuis hier dans un renouvellement d’union
avec vous très intime. Il me fallut hier rester plusieurs heures en silence si
remplie que rien plus. Je ne trouvais nul obstacle qui pût empêcher mon coeur
de s’écouler dans le vôtre. … »
A
cette confiance Fénelon répondait :
« Si vous veniez à manquer, de qui prendrais-je avis ? …Vous
savez ce que je ne sais point et les états où je puis passer ... Je me jette
tête première et les yeux bandés dans l'abîme impénétrable des volontés de
Dieu. Lui seul sait ce que vous m'êtes en Lui et je vois bien que je ne le sais
pas moi-même, mais je vous perds en Lui comme je m'y perds [1606]…»
C’est
à cette mission que Mme Guyon a consacré les dernières années de sa vie :
elle réunissait à Blois quelques disciples qui formèrent par la suite des
cercles guyonniens dont on peut relever la trace sur plus d’un siècle.
Présentés par Dominique et Murielle TRONC
Madame Guyon, De la Vie intérieure, Discours Chrétiens et Spirituels sur divers
sujets qui regardent la vie intérieure, présentés et annotés par D. Tronc, Paris, Phénix Editions - La
Procure Librairie, Collection « La Procure », 2000, réédition
2004, 482 pages [Tirages limités épuisés ; sur ce choix de 80 Discours
(156 pièces furent éditées au XVIIIe siècle) 15 ont été repris en
2005 : Madame Guyon, Ecrits sur la vie intérieure, pp. 23-193 ; puis 50 en 2008 : Madame Guyon, Oeuvres
mystiques, « Discours spirituels »,
pp. 531-762.
Madame Guyon
(1648-1717) fut l'une des grandes figures mystiques du XVIIe siècle
français. Les opuscules rassemblés dans ce volume expriment l’enseignement
qu'elle donna à la fin de sa vie, où, durant quatorze années, elle ouvrit à
l'intériorité ses nombreux visiteurs, indifférente à ce qu'ils fussent
catholiques ou protestants, tout en écrivant aux étrangers qui ne pouvaient lui
rendre visite.
Elle resta laïque,
vivant l'intériorité au milieu de l'ordinaire quotidien, ce qui nous la
rend proche. Sa vie fut mouvementée : après avoir mené
une vie d’épouse et de mère de famille, géré sa fortune (qu'elle donna à ses
enfants), voyagé, pratiqué la Cour et ses mondanités, elle connut les prisons
avant une fin de vie paisible.
Née en 1648, mariée à
Montargis à l’âge de seize ans, elle fut veuve à vingt-huit ans après cinq
grossesses (trois enfants atteindront l’âge adulte). Elle était déjà
avancée sur le chemin intérieur lorsque ses conseillers religieux
l'encouragèrent à lutter contre le protestantisme genevois : aussi
voyagea-t-elle cinq ans durant, à Thonon en Savoie, près de Turin en Piémont
pendant presque une année, et à Grenoble. Elle refusa de devenir supérieure des
Nouvelles Catholiques à Gex (malgré les pressions de l’évêque in
partibus de Genève). C'est à cette
époque qu'elle écrivit le Moyen court[1607] pour donner une méthode simple d'entrer
dans l'intériorité : ce fut
un succès de librairie avec plusieurs éditions qui entrèrent même dans des
Chartreuses ! Son rayonnement mystique attira bientôt de nombreux visiteurs,
moines et laïcs, ce qui suscita jalousies et oppositions, notamment du clergé.
On commença à lui reprocher ce qu'on lui opposera toujours : comment une
simple femme, laïque de surcroît, peut-elle s'arroger le droit d'être une
directrice spirituelle ?
C’est une femme
d’expérience qui revint à Paris en 1686, à trente-huit ans, et malheureusement
pour elle, un an avant la condamnation de Molinos et des
« quiétistes » auxquels on l'associa sans y regarder de plus près[1608]. De
fait, son confesseur M. Bertot, prêtre et confesseur des bénédictines de Montmartre[1609],
avait été formé spirituellement par M. de Bernières et son cercle mystique
normand ; or Bernières fit partie du lot des auteurs suspects et fut
condamné post-mortem bien qu'il ait
été lu sans poser problème par tous les spirituels de France. Dans un temps où
la liberté de conscience était un concept
inconnu et le pouvoir royal tout-puissant, Madame
Guyon fut emprisonnée un peu moins d’une année.
Délivrée sur
l’intervention de Madame de Maintenon tentée momentanément par la vie mystique,
elle rentra à la Fondation des Demoiselles de Saint-Cyr que dirigeait alors sa
cousine Madame de la Maisonfort. Elle s’attacha de nombreux disciples à la
Cour, dont Fénelon, les ducs et duchesses de Chevreuse et de Beauvilliers sont
les figures les plus connues. Résistant aux pressions, ils lui demeureront
fidèles jusqu’à leur mort, c’est-à-dire durant près de trente ans. Car les
pouvoirs politique et religieux jugeant dangereuse l'indépendance de ce
mouvement mystique, Mme Guyon retomba en défaveur. Elle tenta en vain de se
réfugier dans l’isolement et le silence, mais fut emprisonnée une seconde
fois à quarante-huit ans.
Le problème était
double : Madame Guyon vivait une expérience qui se situe au-delà des
frontières connues des confesseurs, or ceux-ci se plient nécessairement à des
règles de prudence, respectent des critères théologiques, recherchent un
langage exempt d’ambiguïté. A l'époque le concept de liberté de conscience
n'existait pas et tout le monde devait avoir un confesseur : il était
exclu qu'une femme, laïque de surcroît, ait une quelconque autonomie
intérieure. Les clercs voulurent donc
contrôler son oraison, s'assurer qu'elle était conforme et surtout exempte de
la passivité reprochée aux « quiétistes ». Or Madame Guyon n'était
pas théoricienne : elle proclamait son christianisme, mais engloutie dans
le divin, elle s'intéressait peu à la théologie[1610],
la réservant aux clercs plus compétents qu'elle.
Le scandale suprême arriva parce qu'elle
affirmait avoir découvert la possibilité de transmettre directement la grâce de
cœur à cœur sans paroles : ce charisme, qu'elle appelait « vie
apostolique », était même le fondement de sa relation avec ses
dirigés. Les lettres où elle en parlait
auraient dû demeurer secrètes, mais portées sur la place publique, elles provoquèrent
des moqueries. Pour les clercs comme pour la plupart des gens, c'était affirmer
l'inconcevable. On voit bien que cette transmission directe rendait secondaires
les sacrements et le rôle des prêtres. En 1694, Madame Guyon tenta naïvement de
convaincre Bossuet, puis résista
opiniâtrement à la violence de ses assauts.
Ce refus de renier son
expérience personnelle et sa relation très exceptionnelle avec ses disciple[1611] heurtèrent les membres des structures
religieuses qui la croisèrent (Bossuet, l’archevêque de Paris, puis un
confesseur imposé, enfin monsieur Tronson). Même ceux qui lui étaient plutôt
favorables demeuraient perplexes, puisqu'ils s'en remettaient au jugement des
structures collectives. Un ecclésiastique
éclairé et modéré comme M. Tronson, confesseur de Fénelon et directeur de
Saint-Sulpice, auquel eut recours Mme Guyon en prison, fut agacé par son
autorité et la surnomma la « Dame directrice »[1612] !
La gêne perdure à l'heure actuelle dans les milieux catholiques.
En réalité, elle
s’appuyait très solidement sur les traditions de l’Écriture et ses écrits
témoignent d’une culture exceptionnelle. En 1684, elle avait rédigé ses Explications
(1684) qui sont d'amples commentaires des deux Testaments[1613].
Dans les Discours, on la verra se référer beaucoup à Jean et Paul, les
plus intérieurs des apôtres. C'est grâce à son expérience que le sens de l’Écriture lui apparaît :
elle l'éclaire par d'abondantes explications de texte.
Elle s'est aussi nourrie des
mystiques chrétiens. En 1694, pendant la « querelle du
quiétisme », elle avait dû préparer pour sa défense des Justifications
(1694) où, avec Fénelon, elle avait opéré un remarquable choix d’auteurs
mystiques du temps passé pour prouver que leurs affirmations n'étaient pas
nouvelles dans l'histoire du christianisme : de siècle en siècle, leurs
récits identiques corroboraient leur
propre expérience. On verra que les notes de Poiret citent abondamment
Catherine de Gênes, veuve de la fin du XVe siècle, dont le recueil
de dits demeurait lu et admiré. Nous avons ajouté Hadewijch II, béguine du XIIIe
siècle, inspiratrice de Ruusbroec. Ces deux femmes abordèrent elles aussi des
sujets théologiquement sensibles - et parfois plus vigoureusement que ne se le
permit Madame Guyon[1614].
La profondeur de
Madame Guyon n'est pas due à ses lectures, mais à la chance qu'elle a eue de
côtoyer de grands spirituels de son
époque. Loin d'être une autodidacte solitaire, elle est l'héritière d'un
courant spirituel franciscain plein de vitalité qui était né avec
l'arrivée en Normandie du franciscain Chrysostome de Saint-Lô
(1595-1646) ; sous sa direction, le laïc Jean de Bernières (1602-1659)[1615]
fonda l'Ermitage de Caen, lieu de spiritualité intense au sein duquel
fut formé à son tour le prêtre Jacques Bertot[1616],
très profond mystique qui fut le confesseur de l'abbaye de Montmartre où se
pressaient nombre d'amoureux de la vie intérieure. Le milieu spirituel de
l'époque était foisonnant : les Mémoires de Saint-Simon racontent
que l'oraison était un passionnant sujet de conversation à la Cour ! Monsieur Bertot fut le confesseur de Madame
Guyon et c'est à elle qu'il transmit ses dirigés laïcs. Dans cette chaîne de
transmission spirituelle qui dura plus d'un siècle, elle fut donc un maillon
essentiel.
La belle certitude de
Madame Guyon vis-à-vis des autorités de son temps était portée par le contact
intime avec la réalité de la grâce divine. Loin de se sentir hétérodoxe, elle
était même persuadée que les mystiques incarnent le vrai christianisme et tenta
d'en convaincre ses interlocuteurs souvent bien rétifs comme Bossuet. Le
conflit avec les clercs l'a déchirée, car il lui était impossible de se
concevoir autre que chrétienne. En témoigne ce vœu d'inspiration toute
franciscaine dont elle fit confidence au duc de Chevreuse :
J’avais
fait cinq vœux en ce pays-là [la Savoie]. Le premier de chasteté que j’avais
déjà fait sitôt que je fus veuve, [le second] celui de pauvreté, c’est pourquoi
je me suis dépouillée de tous mes biens - je n’ai jamais confié ceci à qui que
ce soit. Le troisième d’une obéissance aveugle à l’extérieur à toutes les
providences ou à ce qui me serait marqué
par mes supérieurs ou directeurs, et au-dedans d’une totale dépendance
de la grâce. Le quatrième, d’un attachement inviolable à la sainte Église. Le
cinquième était un culte particulier à l’enfance de Jésus-Christ plus intérieur
qu’extérieur[1617].
Pourtant les
représentants de la foi doutaient d'elle. Elle dut se résoudre à affirmer son
expérience personnelle indescriptible tant l'évidence était forte, mais ce fut
pour elle un tourment sans fond. Elle
fut maintenue en prison pour sept années et demie, dont cinq en isolement à la
Bastille pour en sortir en 1703, à cinquante-cinq ans, sur un brancard[1618].
Heureusement le pouvoir toléra qu'elle se retire à Blois. Il lui restait encore
quatorze années à vivre : elle mourra en 1717 à soixante-neuf ans.
Dans cette retraite
paisible au milieu de ses amis, n'ayant plus à lutter, Madame Guyon consacra
ses dernières années à sa mission apostolique, s'employant à communiquer la vie
mystique à ses amis et visiteurs de tous horizons. Sa correspondance devint
européenne[1619].
Singulièrement résistante à l’adversité, la vieille dame resta donc fort active
malgré les contraintes imposées par le pouvoir : les visites se faisaient
avec discrétion et l'on ne confiait le courrier qu'à des gens sûrs. Ces
visiteurs français généralement catholiques se nommaient entre eux les cis tandis que les étrangers écossais et
suisses, généralement protestants, étaient les trans. Animés d’une même recherche intérieure, ces visiteurs
oubliaient sur place leurs différences, tout en respectant les règles
confessionnelles de l'époque :
Elle
vivait avec ces Anglais[1620] comme une mère avec ses enfants.
On sait que cette nation est accoutumée à ne connaître ni gêne ni contrainte,
mais à se livrer à ses mouvements et à ses saillies. Souvent ils se
disputaient, se brouillaient ; dans ces occasions elle les ramenait par sa
douceur et les engageait à céder[1621] ; elle ne leur interdisait
aucun amusement permis, et quand ils s’en occupaient en sa présence, et lui en
demandaient son avis, elle leur répondait : oui, mes enfants, comme vous voulez. Alors ils s’amusaient de leurs
jeux, et cette grande sainte restait pendant ce temps-là abîmée et perdue en
Dieu. Bientôt ces jeux leur devenaient insipides, et ils se sentaient si
attirés au-dedans, que, laissant tout, ils demeuraient intérieurement
recueillis en la présence de Dieu auprès d’elle.
Quand on
lui apportait le Saint Sacrement, ils se tenaient rassemblés dans son
appartement, et à l’arrivée du prêtre, cachés derrière le rideau du lit, qu’on
avait soin de fermer, pour qu’ils ne fussent pas vus parce qu’ils étaient
protestants, ils s’agenouillaient [43] et étaient dans un délectable et profond
recueillement, chacun selon le degré de son avancement, souvent aussi dans des
souffrances assorties à leur état[1622].
La condamnation de
Fénelon par le Pape soumis à la pression politique de Louis XIV mit un terme à
la « querelle du quiétisme » : Fénelon s'inclina, mais continua
lui aussi à recevoir des disciples dans son évêché de Cambrai.
En France, la peur se
répandit au sein des institutions religieuses : plus question d’éditer un texte
« quiétiste ». L'expérience mystique fut traquée. A la mort de Madame
Guyon en 1717, les disciples qu'elle
avait formés continuèrent à se réunir
dans des cercles discrets et on perd la trace de réunions de prière
devenues secrètes. Pourtant une résurgence atteste que le courant guyonien
circulait souterrainement : en 1740 paraît L’Abandon à la Providence divine (1740) attribué par prudence au
jésuite J.-P. de Caussade (1675-1751) ; en fait, on reconnaît aujourd’hui une
« main guyonienne » dans ce beau texte où de nombreux passages sont
visiblement inspirés par les Discours Chrétiens et spirituels (par ex.
le chap. II) [1623].
Ce fut à l'étranger,
chez les protestants, que l'on respecta Madame Guyon. Ses opuscules circulèrent
dans les cercles spirituels en Hollande autour du pasteur Poiret influent sur
Tersteegen et d’autres, en Suisse près de Lausanne avec Monod et Wattenville, à
Londres avec le Dr. James Keith, enfin en Écosse près d’Aberdeen autour de Lord
Deskford et Lord Forbes[1624]. En
Allemagne, le pasteur mystique Gerhard Tersteegen (1697-1769) traduisit en
partie Madame Guyon[1625],
qui se trouve donc avoir influencé le piétisme. En Suisse, l’activité du cercle
de Morges près de Lausanne, auquel appartenait Dutoit[1626],
second éditeur de l’œuvre, est attestée jusqu’en 1838. A l'heure actuelle, de
nombreuses versions plus ou moins fidèles en anglais ont été produites par les
protestants américains, et Madame Guyon reste appréciée par des Quakers.
Cette notoriété à
l'étranger et la condamnation du quiétisme rendirent difficile une
reconnaissance de Madame Guyon dans le monde catholique alors qu'il constituait
son milieu naturel et qu'elle lui était demeurée fidèle. Par la suite, en
France, elle demeura toujours « une dévote » aux yeux des esprits
sceptiques du Siècle des Lumières hostiles à l’influence des Églises. Son
influence resta souterraine et suspecte aux uns comme aux autres : il
fallut attendre 1907 pour authentifier sa correspondance de direction avec
Fénelon[1627].
Henri Delacroix dès 1908, le philosophe Bergson, les historiens Henri Bremond
puis Louis Cognet la réhabilitèrent[1628].
Les écrits que nous
allons lire furent rassemblés à la fin de cette longue vie. Madame Guyon et son
éditeur Pierre Poiret étaient tous deux conscients de leur disparition
prochaine comme de celle de leurs amis. Le duc de Chevreuse meurt en 1712 et
Fénelon en janvier 1714. Madame Guyon disparaîtra en juin 1717 et Poiret en
1719. Toute une génération s’effaçait, remplacée par des disciples français,
écossais, hollandais et suisses. Il importait de sauvegarder les traces écrites
d’une direction exceptionnellement profonde : Poiret et ses amis[1629] les
ont rassemblées et éditées entre 1716 et 1718.
Plus intimes que les traités composés
auparavant pour un public élargi[1630],
ils décrivent les différents aspects de l’expérience intérieure. Ils furent
appréciés à l’époque, mais ne furent pas pour autant réédités. Restés au sein
de bibliothèques privées, ils devinrent très rares[1631] et
furent oubliés jusqu’au début de notre siècle.
Écrits dans des
conditions très diverses, ils s’adressent toujours à un aspirant à la vie
intérieure : ce sont souvent des lettres dont on retirait les aspects
personnels afin de voiler l’identité d’un destinataire vivant ou récemment
disparu. Il ne s’agit donc pas de « chapitres » d’une œuvre
construite, mais du choix des pièces qui ont été jugées les plus utiles au sein
des cercles spirituels. Telles des facettes multiples à travers lesquelles se
perçoit une même lumière profonde, ils sont similaires quant à leur sujet, mais
répondent à la variété des besoins personnels. Ils traduisent la grande
diversité des chemins possibles. Ils répondent souvent aux problèmes d'un
interlocuteur défini et personnellement connu.
Comme les dernières
pages autobiographiques de La Vie par elle-même rédigées tardivement
en 1709, ces écrits de maturité expriment une paix souveraine, une
autorité paisible et sans illusion,
une clarté due à la profondeur d'une
longue vie intérieure qui a tout simplifié. Avec la clarté de ceux qui sont
parvenus au sommet de la vie intérieure, Madame Guyon explique à ses
correspondants les fondements d'une vie mystique très pure. Elle le fait avec
précision et finesse, - et dans notre langue, - ce qui nous facilite une
compréhension intuitive entre les mots quelque peu analogue au mode de
lecture poétique.
Pour elle, les âmes sont semblables à des
torrents qui se précipitent vers le divin : sous l'impulsion de la grâce, la prière
ouvre un chemin dont le cours surmonte des obstacles par une
purification qui, de saut en saut jusqu’à la nuit vécue dans la foi, trouve son
terme dans l'océan divin. On sera conscient de la durée très longue - chez elle, plusieurs dizaines d’années - de ce
vécu mystique. Le chemin est une spirale ascendante plutôt qu’une progression
linéaire :
Ce ne sont
donc point les mêmes degrés que l’on repasse, ce qui serait aussi difficile que
de rentrer dans le ventre de sa mère, mais de nouveaux degrés, qui paraissent
les mêmes […][1632].
Aussi bien dans les Discours que
dans La Vie par elle-même ou la Correspondance,
Madame Guyon mêle les événements de la vie concrète et psychologique qui ont
lieu en même temps que les expériences intérieures. Toutes ces composantes
forment ainsi une tresse qui ne dissocie jamais vie intérieure de la vie tout
court, même dans ses aspects prosaïques. Si cette expérience est appelée
« mystique » parce qu’elle est intérieure et cachée, elle ne se
traduit par aucun refus des engagements de la vie concrète visible (mariage,
enfants...). On n'est pas retiré de la
vie commune, mais c'est toute la vie qui est orientée vers le divin, dévorée
par lui.
Tout commence par la
prière, « ce concours vital […] pour adhérer à Dieu et le laisser
faire ce qui Lui plaît[1633]. »
Parfois seul le silence répond : Madame Guyon elle-même pria en vain
quelques années. Mais elle eut la chance, à dix-neuf ans, de rencontrer le
franciscain Archange Enguerrand, qui répondit à ses questions angoissées sur
l'intériorité : « C’est, Madame, que vous cherchez au-dehors ce que
vous avez au-dedans[1634] »,
parole dont l'efficacité ouvrit instantanément son cœur à la grâce.
Madame Guyon tient pour évident que
l'amour divin finit par répondre quand la demande est forte. Elle décrit une voie médiane entre deux
écueils : elle ne fait pas appel à l’effort méditatif d’exercices
spirituels bien que l'on puisse avoir recours à une lecture pour s'introduire doucement
au recueillement ; à l’opposé, elle rejette tout vide obtenu par
abstraction d’esprit et qui ne conduit qu'à une fausse paix, danger contre
lequel Ruusbroec (1293-1381) mettait déjà en garde :
On
rencontre d’autres hommes qui [...] au moyen d’une sorte de vide, de
dépouillement intérieur et d’affranchissement d’images, croient avoir découvert
une manière d’être sans mode et s’y sont fixés sans l’amour de Dieu. Aussi
pensent-ils être eux-mêmes Dieu [...] Ils sont élevés à un état de non-savoir
et d’absence de modes auxquels ils s’attachent ; et ils prennent cet être sans
modes pour Dieu[1635].
Ces deux extrêmes ont en commun de privilégier
l’effort, donc de centrer le méditant sur
lui-même : en plus de l'enflure du moi, il risque de ne pas
reconnaître le don de la grâce quand il survient ! Au contraire, Madame
Guyon préconise de lâcher tout ce que l'on est pour plonger dans
l'amour qui se révèle au centre de l'âme :
On ne fait
nul effort d’esprit pour s’abstraire; mais l’âme s’enfonçant de plus en plus dans
l’amour, accoutume l’esprit à laisser tomber toutes les pensées ; non par
effort ou raisonnement, mais cessant de les retenir, elles tombent
d’elles-mêmes[1636].
Elle privilégie l'élan
du cœur, non l’intellect. Elle conseille de faire appel à la volonté mystique, qui est l'orientation amoureuse de
tout l'être vers Dieu :
L’esprit
se lasse de penser, et le cœur ne se lasse jamais d’aimer. […] il est
impossible que l’action de l’esprit puisse durer continuellement : c’est de
plus une action sèche, qui n’est bonne qu’autant qu’elle en procure une autre,
qui est celle de la volonté. Concluons qu’il est plus utile pour nous, plus
glorieux à Dieu, et même uniquement nécessaire, d’aller par la voie de la
volonté[1637].
La volonté est le levier grâce auquel on peut
tout dépasser : ainsi les phénomènes propres aux débuts de la vie mystique
et liés à la faiblesse de notre nature sont rejetés ou du moins mis à une place
secondaire comme chez l’ensemble des auteurs mystiques[1638].
Mme Guyon met aussi en garde contre la « voie des lumières »[1639] où
s'attardent un si grand nombre : ces images, ces compréhensions, si
fascinantes et attachantes soient-elles, ne sauraient rendre la réalité de
Dieu. Au mieux, elles sont colorées d'humanité même si elles laissent
transparaître le travail profond de la grâce ; au pire, ce sont des illusions. Dans tous les
cas, il faut passer outre. La règle générale est qu'il ne faut pas stagner en
se satisfaisant d'une expérience particulière, car elle ne peut être que
limitée : il faut aller vers le sans-limite par la foi nue et l’anéantissement
en Dieu :
Cette
contemplation doit être nue et simple, parce qu’elle doit être pure. Tout ce
qui la détermine, la termine et l’empêche […] ne donne jamais la chose telle
qu’elle est en soi, mais en image grossière, qui ne peut ressembler au simple
et immense Tout [1640].
Madame Guyon partage ainsi la radicalité d'un
Benoît de Canfield (1562-1611) :
L’élévation
d’esprit qui se fait par ignorance, n’est autre chose que d’être mû
immédiatement par l’ardeur d’amour, sans aucun miroir, ou aide des créatures,
sans l’entremise d’aucune pensée précédente, et sans aucun mouvement présent
d’entendement, afin que la seule affection puisse toucher, et que la
connaissance spéculative ne puisse rien connaître en cet exercice d’esprit [1641].
Ou de la béguine
Hadewijch :
Dieu demeure incirconscrit
Dans l’amour nu,
Sans paroles ni raison[1642].
Madame Guyon décrit
une évolution qui naît au cœur de l’individu et le transforme sur la longue
durée. Elle en donne des descriptions précises, même si elles sont parfois
lyriques. Elle sait définir clairement les termes mystiques correspondant aux
divers états de prière ou oraison, tels qu’ils sont en usage à la fin du
siècle. Elle distingue, classiquement, mais en se référant toujours à
l’expérience : oraison de simple regard, contemplation, oraison
simple, oraison de foi, foi simple sans bornes ni
mesures[1643].
Bien entendu, toute division en étapes
présente le danger de substituer un chemin théorique à la diversité des
expériences dans l’ascension de la « montagne » selon la belle
comparaison qui ouvre les Discours[1644].
Mais on peut, sans en faire un système, parler de trois grandes périodes :
la première est la découverte de l’intériorité qui permet au mystique de tomber
amoureux de la Réalité divine qui se manifeste à lui et de la préférer à toute
autre chose en une pacification progressive. Elle s’accompagne d’événements
intérieurs variés selon les tempéraments et l’environnement, en de brefs
instants ou dans des états qui durent des jours : leur caractère
merveilleux a toujours attiré une attention exagérée et on y assimile toute la
mystique au détriment d'une vie encore plus profonde. Ces manifestations
secondaires sont cependant utiles pour confirmer le commençant dans sa voie.
Elles élargissent sa vision en relativisant l’importance accordée à soi-même,
elles ouvrent à la beauté de Dieu, du monde et des êtres. Mais la grâce
commence tout de suite à détruire les obstacles qui s'opposent à elle, même si
elle reste suave en ce début :
Dieu
commence par combler l’âme de grâces : ce ne sont que lumières et ardeurs : on
monte incessamment de grâce en grâce, de vertus en vertus, de faveurs en
faveurs[1645].
Dès le
commencement elle consiste en un regard d’amour sur l’homme ; et ce regard le
consume et détruit ses impuretés […] Car il faut concevoir, que toutes les
opérations de Dieu en lui-même et hors de lui-même ne sont qu’un regard et un
amour éclairant et unissant. […] Plus il purifie par ce regard, plus il atteint
le dedans et le purifie de ce qui est plus subtil, plus délicat, mais aussi
plus enraciné[1646].
Arrivent alors des
années de « désappropriation » : ce terme s’avère d’un emploi
fréquent dans les Discours et se substitue souvent à celui de
« purification », terme beaucoup plus courant dans la littérature
spirituelle, mais ambigu aux yeux de Mme Guyon. Elle l’emploie, mais dans un sens moins large, parce qu’il
risque de laisser croire que nous serions à terme un ‘nous-mêmes’ parfait sans
ses défauts. Il ne s'agit pas d'une recherche de la perfection, car l'humanité
demeure avec ses capacités et ses défauts naturels[1647]. La
désappropriation porte sur l’être même :
On s’élève au-dessus de soi en se quittant soi-même
par un désespoir absolu de ne trouver aucun bien en soi. On n’y en cherche plus
; on trouve en Dieu tout ce qui nous manque ; ainsi on s’élève
au-dessus de soi par un amour de Dieu très épuré[1648].
Le divin peut alors
prendre la place centrale au cœur et irriguer tout l'être humain, comme
l’exprime l’apôtre Paul :
Cette âme sait fort bien que Dieu est devenu sa vie.
Au commencement cela est plus aperçu, dans la suite cela devient comme naturel.
Saint Paul qui l’avait éprouvé dit : Je vis, non plus moi, mais
Jésus-Christ vit en moi [1649].
C’est la naissance à
une vie nouvelle. Il ne s'agit pas de « divinisation » ou d'être
placé au-dessus de l'humain. Au contraire, l'être entier s'incline devant le divin qui l'habite :
…
sans que l’âme fasse autre chose que se reposer, sans savoir comme cela
se fait, elle s’élève insensiblement au-dessus d’elle-même, et
par un renoncement parfait, elle se quitte peu à peu à force de s’élever
au-dessus d’elle-même, comme un aigle qui quittant la terre, s’élève si haut
qu’il la perd de vue [1650].
Je ne suis
ni saint, ni orné, etc., dira cet homme éclairé de la lumière de Dieu, mais Dieu
est tout cela pour moi. […] Comme Il ne laisse rien pour moi, et que je ne
saurais subsister sans rien, Il m’absorbe et me perd en Lui, où Il ne me laisse
rien de propre, ni propre justice ni propre vertu [1651].
On rencontre plusieurs
obstacles sur le chemin, dont le principal est la volonté propre qui
empêche le divin d’être notre principe. En effet son exercice conduit souvent à
une fausse ascèse dont Mme Guyon n’hésite pas à comparer les adeptes aux
sépulcres blanchis de l’Évangile (Mt. 23, 27) :
Il y avait
alors un certain ordre d’architecture aux tombeaux qui les faisaient paraître
très beaux par dehors, quoiqu’ils ne renfermassent que des ossements de morts.
[…] On met toute la perfection dans un certain arrangement extérieur, dans une
certaine composition, durant que nous laissons vivre nos passions. Par les
passions je n’entends pas seulement la colère et la sensualité grossière, mais
la cupidité de l’esprit et tout ce qui nous fait vivre à nous-mêmes…[1652].
Le doute est un autre
obstacle, auquel tente de remédier le recours à la loi ou aux
raisonnements :
Nous
parlâmes d’abord des tentations contre la foi, des doutes sur l’éternité et sur
l’immortalité de l’âme […] Le plus court, le plus assuré, et le plus avantageux
est de n’admettre dans l’esprit nulles raisons mais de vouloir déterminément
servir Dieu, et l’aimer indépendamment de tous les événements [1653].
Ces obstacles peuvent
arrêter l’évolution intérieure :
Étant dans
un fort recueillement, il me fut montré deux personnes : l’une qui était
toujours exposée aux rayons divins et qui recevait incessamment les influences
de la grâce ; et l’autre qui mettant continuellement de nouveaux
obstacles, quoique subtils et légers, à la pénétration du Soleil, était cause
que le Soleil ne faisait autre chose par son opération, que de dissiper les
obstacles[1654].
Ceux-ci seront
surmontés grâce à la simplicité et l’humilité, sur lesquelles revient toujours
Madame Guyon, comparant l'âme à une pierre creusée par le sculpteur divin :
En quoi
consiste la simplicité ? C’est dans l’unité : si nous n’avons qu’un regard
unique, un amour unique, nous sommes simples[1655].
Il faut
savoir qu’on creuse la pierre en proportion que ce qu’on y veut graver a de
grandeur, d’épaisseur et d’étendue. Afin que Dieu s’imprime dans notre âme, il
faut qu’elle soit dans un néant proportionné au dessin de l’impression que Dieu
y veut faire. Ici tout s’opère en vide […] L’homme ne voit point ce merveilleux
ouvrage : il n’en paraît rien au-dehors. Ce n’est point un ouvrage de relief,
mais un creux profond, une concavité, que l’âme n’aperçoit que par un vide
souvent très pénible[1656].
Finalement ne se
manifestent plus que la pure charité et le pur amour qui absorbent la foi et
l’espérance dans l'unité finale :
La pure
charité est si pure, si droite, si grande, si élevée, qu’elle ne peut envisager
autre chose que Dieu en Lui-même et pour Lui-même. Elle ne peut se tourner ni à
droite ni à gauche, ni se recourber sur nulles choses créées quelques élevées
qu’elles soient. […] [La foi et
l’espérance] sont absorbées dans elle, qui les renferme et les comprend sans
les détruire : comme nous voyons la lumière du soleil, lorsqu’il est dans son
plein jour, absorber tellement celle des autres astres qu’on ne les peut plus
discerner, quoiqu’ils subsistent réellement[1657].
La volonté
embrasse l’amour et se transforme en lui et la foi fait la même chose de la
vérité : en sorte que, quoique cela paraisse deux actes différents, tout se
réduit en unité[1658].
Tout va vers un
anéantissement en Dieu décrit inlassablement :
L’âme n’éprouvant
plus de vicissitudes, n’a plus rien qui la trouble, elle est toujours reposée
de toute action, n’en ayant plus d’autre que celle que Dieu lui donne et étant
même dans une heureuse impuissance de se soustraire à son domaine, elle est
toujours parfaitement tranquille et paisible[1659].
Elle sait
qu’elle vit et c’est tout, et elle sait que cette vie est étendue, vaste,
qu’elle n’est pas comme la première : et c’est tout ainsi que cette âme sait
fort bien que Dieu est devenu sa vie[1660].
Chez Madame Guyon,
cette vie en Dieu déboucha sur un charisme rare dont elle prit conscience
à sa grande surprise à l’âge de quarante-quatre ans[1661]
: par elle, la grâce pouvait se communiquer directement de cœur à cœur en
silence, utilisant l'être humain comme canal vers un autre être humain. La
fonction de directeur mystique atteint alors son plus haut degré : elle
consiste à transmettre la grâce. C'était d'une grande hardiesse de l'affirmer
puisqu'il s'agit d'un équivalent des sacrements. Mais là encore, c'était pour
elle un fait d'expérience. Elle appela « vie apostolique » l'état où
le mystique a la possibilité de transmettre, se référant aux apôtres
transmettant la Parole divine après la descente en eux de l’Esprit Saint lors
de la Pentecôte. Dans cet état spécifique, l'être humain est vidé de toute
volonté propre et de toute intentionnalité[1662],
soumis à l’action divine en toute passiveté [1663]
afin de laisser librement passer le courant de la grâce vers la personne
concernée.
Cette
« prière » au caractère surprenant et rare a fait l’objet de doutes
et de sarcasmes chez les ecclésiastiques de son époque. Notre époque en fait
maintenant un sujet de curiosité et d’étude[1664].
En réalité, c'est oublier qu'elle a toujours été connue dans le monde entier.
On la trouve dans le christianisme : les chrétiens orthodoxes ne l'ont pas
oubliée (Seraphim de Sarov en est un exemple). On en trouve aussi des indices
chez les Pères du désert[1665],
chez Monsieur Olier[1666],
mais à cause de la clôture des communautés, les catholiques en parlent peu,
l’ignorent souvent ou s'effraient d'en parler. Le témoignage de Madame Guyon
est donc particulièrement précieux.
Il ne faut pas
confondre deux niveaux de transmission : la plupart du temps, les gens qui
approchent un mystique avancé ressentent la paix et l'amour qu'il diffuse, mais
cette expérience est éphémère et ne continue pas à distance. Au contraire, la
grâce passant par l'intermédiaire de Madame Guyon mettait le dirigé dans l'état
mystique dont il avait besoin pour progresser, puis poursuivait son œuvre hors
de sa présence, mais par l'efficacité de sa prière. Celle-ci percevait l'état
de son dirigé à distance, partageait ses souffrances et les portait avec
lui.
La transmission de la
grâce divine se situe ainsi bien loin de toute intention, - qui serait un
exercice subtil de la volonté propre, -, mais dans une extrême soumission à
cette « main de Dieu qui donne », dans un vide de soi-même et des
créatures[1667].
Ainsi sont associés vide humain et plénitude du divin qui se répand en pleine
liberté[1668].
Plusieurs dirigés peuvent ressentir ensemble cette « communication »
qui les met dans la paix :
Quand
l’âme a perdu et tout pouvoir propre et toute répugnance à être mue et agie
selon la volonté du Seigneur, alors Il la fait agir comme Il veut […] Quand
Dieu la meut vers un cœur, à moins que ce cœur ne refusât lui-même la grâce que
Dieu veut lui communiquer, ou qu’il ne fût mal disposé par trop d’activité, il
reçoit immanquablement une paix profonde […] Quelquefois plusieurs personnes
reçoivent dans le même temps l’écoulement de ces eaux de grâce ; et cela à
proportion que leur capacité est plus ou moins étendue, leur activité moindre
et leur passiveté plus grande[1669].
L'initiative de cette
transmission provient de Dieu seul. Elle suppose l'acquiescement et le
recueillement des personnes :
Vous
m’avez demandé comment se faisait l’union du cœur ? Je vous dirai que
l’âme étant entièrement affranchie de tout penchant, de toute inclination et de
toute amitié naturelle, Dieu remue le cœur comme il Lui plaît ; et saisissant
l’âme par un plus fort recueillement, Il fait pencher le cœur vers une
personne. Si cette personne est disposée, elle doit aussi éprouver au-dedans
d’elle-même une espèce de recueillement et quelque chose qui incline son cœur
[…] Cela ne dépend point de notre volonté : mais Dieu seul l’opère dans l’âme,
quand et comme il Lui plaît, et souvent lorsqu’on y pense le moins. Tous nos
efforts ne pourraient nous donner cette disposition; au contraire notre
activité ne servirait qu’à l’empêcher[1670].
On trouve de nombreux
textes parallèles décrivant les modalités de la transmission dans la Vie par
elle-même[1671] et
dans les Explications des deux Testaments :
[…] les
personnes intérieures, en quelque lieu qu'elles se rencontrent, se trouvent
unies d'une liaison de cœur si forte et si intime qu'elles éprouvent que les
unions de la nature et des parents les
plus proches n'égalent pas celle-là. C'est une union si pure, si simple et si
nette qu'il ne s'y mêle rien de l'humain et l'on est aussi unis étant loin que
près. [...]
Mais entre
tous, Dieu unit plus particulièrement
ceux qui sont dans le même degré d'oraison. Leur union est si pure que c'est
inconcevable. Ils se parlent plus du cœur que de la bouche, et l’éloignement
des lieux n’empêche point cette conversation intérieure. Dieu unit ordinairement
deux ou trois personnes de cette sorte dans une si grande unité qu’elles
se trouvent perdues en Dieu jusqu'à ne pouvoir plus se distinguer, ce qu'Il
fait pour Sa gloire et pour les faire travailler de concert au salut des âmes
[…] Dieu fait aussi des unions de
filiations, liant certaines âmes à d’autres comme à leurs parents de grâce[1672] [...]
La relation de Madame
Guyon avec ses dirigés ne se limitait donc pas à des conseils : c'est la
transmission de la grâce qui en était le fondement. Fénelon (1651-1715) est le
plus connu de ceux qui en ont bénéficié, comme Madame Guyon le lui écrit [1673] :
Je me sens
depuis hier dans un renouvellement d’union avec vous très intime. Il me fallut
hier rester plusieurs heures en silence si remplie que rien plus. Je ne trouvais
nul obstacle qui pût empêcher mon cœur de s’écouler dans le vôtre […] Votre âme
m’est toujours présente en Dieu d’une manière nue, pure et générale, sans
bornes ni aucun objet.
Fénelon en était bien
conscient :
Je suis de
plus en plus uni à vous, madame, en Notre Seigneur, et j'aimerais mieux mille
fois être anéanti que de retarder un seul instant le cours des grâces par le
canal que Dieu a choisi[1674].
Je ne
saurais penser à vous que cette pensée ne m'enfonce davantage dans cet inconnu
de Dieu, où je veux me perdre à jamais[1675].
Il fut son disciple
préféré, au point qu'un jour où elle se sentait gravement malade, elle souhaita
qu'il hérite de sa fonction. Voici un
extrait de cette lettre-testament
:
Je n’aime
que Dieu seul et je vous aime en Lui plus que personne du monde, non d’une
manière distincte de Dieu, mais du même amour dont je l’aime, et dont Il s’aime
en moi […] j’ai cette confiance que si vous voulez bien rester uni à mon cœur,
vous me trouverez toujours en Dieu et dans votre besoin. […] Je vous laisse
l’Esprit directeur que Dieu m’a donné […] Je vous fais l'héritier universel de
ce que Dieu m'a confié[1676].
Étant en union
profonde avec elle, Fénelon assuma en effet la même fonction de transmission
envers ses visiteurs. Il s'en émerveillait :
Je sens un très grand goût à me taire et à
causer avec Ma. Il me semble que son âme entre dans la mienne et que nous ne
sommes tous deux qu'un avec vous en Dieu […] quoique vous soyez loin de nous [1677].
C'est cette relation
profonde et intense que vivaient les disciples auprès de Madame Guyon à Blois.
Il en est largement parlé dans les Discours, et c'est là un des intérêts
de ce grand texte.
Nous livrons ici des opuscules rassemblés et publiés au XVIIIe siècle pour la première fois par le pasteur Pierre Poiret[1678] sous le titre de Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure… en deux volumes comportant chacun soixante-dix pièces[1679]. Seize autres « Discours » furent ajoutés à la fin du dernier volume des Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme…[1680].
Figure ici un choix de pièces privilégiant l’intériorité mystique. Il est difficile de définir des critères qui soient ‘scientifiques’. Nous laissons de côté les pièces d’une rigueur datée ou d’une étroitesse que l’on ne rencontre jamais dans l’œuvre vaste de Madame Guyon ou même visiblement rédigées par d’autres. Une bibliographie de cette œuvre vaste limitée aux éditions établies depuis le début du siècle figure en fin de volume. Notre choix représente les deux tiers des 156 ‘Discours’ de tailles très variables assemblés par Poiret.
Cent quarante furent édités en 1716, peu avant la mort de madame Guyon en juin 1717, suivis de seize probablement imprimés au début de l’an 1718. Elle n’a pas eu le temps de les revoir, car l’éditeur Poiret habitait loin de Blois, à Rijnsburg près d’Amsterdam[1681]. Contrairement au cas de la Vie par elle-même, nous ne possédons aucun manuscrit couvrant l’ensemble des Discours : ils ont disparu, probablement lors de la dispersion de la bibliothèque de Poiret en 1748. Heureusement de rares ‘Discours’ sont des lettres dont les manuscrits nous sont parvenus par une autre voie : ils nous permettent de vérifier la grande fidélité assurée par le premier éditeur. Nous indiquerons alors en notes les variantes : on constatera qu'elles ne sont que mineures et ne portent que sur des corrections de style. Nous pouvons donc faire confiance au travail de Poiret, en général la seule base disponible.
Pasteur protestant, cartésien reconnu et
responsable compétent d’une bonne centaine d’ouvrages, Pierre Poiret était
devenu l'éditeur et le premier diffuseur de textes mystiques en Europe
protestante[1682]. Il
fut un disciple attentif, respectueux et apprécié de madame Guyon. La préface
du premier volume, qu'il rédigea lui-même, nous éclaire sur le traitement qu'il
a donné à ses sources[1683].
Voici comment il explicite la genèse, le choix et le classement des Discours
:
Le titre
de ce livre ne veut pas dire que ce soient des Discours prononcés de
vive voix : ils ont seulement été écrits, soit à la réquisition de
quelques âmes pieuses, soit de la simple inclination où l’auteur s’est pu
trouver de fois à autres à se décharger de la plénitude de son cœur sur le
papier. Ils nous sont venus en main de divers endroits et par divers moyens.
C’était des pièces séparées, sans titre ni sans ordre […]
Pour
l’ordre des matières, on a fait précéder celles qui regardent le plus les
personnes commençantes, et fait suivre le reste à mesure de ce qui se découvre
et qui s’expérimente dans le progrès de la vie de l’esprit. Ceux qui aiment en
toutes choses des partitions générales, en pourront aisément remarquer trois ou
quatre dans le corps de l’ouvrage, s’ils veulent observer, (I.) que dans les
treize premiers de ces Discours Spirituels il s’y agit principalement
des vérités qui concernent le général, les principes et les commencements des
voies intérieures : (II.) Que depuis le Discours XIV jusqu’au XXXVIII,
on y trouve des matières convenables à ceux qui sont déjà entrés considérablement
dans ces voies de l’esprit. (III.) Ces matières-là sont suivies de plusieurs
autres qui regardent des âmes encore plus avancées dans la perfection
Chrétienne : c’est depuis le Discours XXXIX jusqu’au LXII ; et celui-ci
contient comme une espèce de récapitulation de toute cette troisième partie, ou
au moins du principal. (IV.) Tout le reste, depuis le Discours LXIII jusqu’à la
fin, regarde en gros la constitution soit bonne soit mauvaise, présente ou bien
future, du général des Chrétiens aussi bien que de ceux ou qui les ont
conduits, ou que Dieu veut leur susciter encore avant la fin du monde selon ses
promesses. On ne s’est pas avisé de marquer cette Partition dans le corps de
l’ouvrage, mais on la verra dans la table qui suit […] Ce n’était ici, comme on
l’a déjà dit, que des pièces séparées, écrites sans relation ni vue des unes
sur les autres : il y en a même plusieurs où il s’agit de diverses matières, et
qui appartiennent à des états différents. Pour placer celles-ci […] on s’est
réglé sur celle des matières qui y régnait le plus…[1684].
Aux cent quarante pièces ainsi présentées
s'ajoutent les seize Discours qui concluent le quatrième volume des Lettres
chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure…
Ils constituent un supplément assemblé après
la mort de madame Guyon. Au-delà d'un complément post-mortem, ce
petit ensemble constitue un condensé élémentaire, mais complet de la voie
mystique, à l’usage probable des disciples de Blois puis des cercles qui leur
succédèrent.
Les Discours
témoignent donc de l’ensemble des opuscules divers qui circulaient dans le
milieu guyonien au début du XVIIIe siècle. Certains constituent des
essais assez amples tandis que d’autres sont des lettres dont on a ôté le début
et/ou la fin jugés trop personnels. Nous n’avons pas jugé utile de bouleverser
l’ordre adopté par Poiret : se faisant l'écho des cercles proches de
Madame Guyon sinon d’elle-même[1685],
il respecte leur vision d'une progression mystique par « zones »
traversées successivement.
Nous n’avons pas opéré
de coupure au sein même des Discours. Certaines ouvertures ou
conclusions trop diffuses demandent une certaine patience au lecteur :
peut-être ont-elles été ajoutées par des dévots bien intentionnés.
Par contre, nous avons
décidé de ne pas donner d'édition intégrale imprimée : elle aurait contenu
des pièces dont l’origine nous pose un problème insoluble. Des pièces faibles se retrouvent à côté de
développements profonds : intervention d’un disciple obtus et/ou
interpolation probable de pièces étrangères ? Les indices textuels qui permettraient de les
éliminer avec sûreté du corpus
manquent, mais on sent bien à la
lecture qu'il ne peut s'agir de « la simple inclination où l'auteur s'est
pu trouver de fois à autre à se décharger de la plénitude de son cœur sur le
papier » ! Certains passages au ton eschatologique sont d'évidence
étrangers à l'amour universel vécu par Madame Guyon : leur intolérance,
leurs invectives, leurs condamnations peu charitables inspirées du prophète
Isaïe sont probablement l'écho de certaines minorités piétistes. D'autres ont
été rédigés par des lecteurs de Mme Guyon : ils en reprennent les
expressions, mais leur prose au style catastrophique n'aboutit qu'à un pastiche
naïf et ridicule. Certaines pièces sont devenues illisibles à notre
époque : que faire devant tel développement malvenu sur les
juifs ?
Les cercles auprès desquels Poiret se procura
des copies étaient très divers : « Ils nous sont venus en main de
divers endroits et par divers moyens. C'était des pièces séparées, sans titre
ni sans ordre », avait-il prévenu dans sa préface. Les transcriptions
étaient assurées par des dévots qui n'étaient pas tous remarquables : ils
ont de toute évidence ajouté leur petite contribution personnelle, leurs
contre-sens et souvent des épanchements sentimentaux que nous ne supportons
plus.
Poiret, en éditeur scrupuleux et disciple très
respectueux, a retenu toutes les sources qui lui étaient parvenues, quelles que
soient leurs dimensions, et sans faire intervenir son jugement, donnant à
toutes le titre de « Discours ». Il préféra sans doute ne fâcher
personne : il était délicat d’éliminer au nom de sa seule autorité
d’éditeur certaines des copies communiquées par des disciples par ailleurs
généralement ami(e)s. Omettre des documents uniques pouvait être perçu comme
abus de pouvoir provenant d’un disciple trans [1686] !
Il a donc décidé de ‘ratisser large’.
Il faut rappeler aussi
des conditions de parution. Le groupe que dirigeait Poiret durant ses dernières
années était forcément surmené :
entre 1712 et 1722, ils assurèrent l'édition des 39 volumes de l’œuvre
de madame Guyon ! L'énorme, mais nécessaire travail de collection de
manuscrits a été plus ou moins bien contrôlé par Poiret, maître d’œuvre à la
santé mauvaise qui mourut dès 1719.
Notre but n'est pas de
faire une édition intégrale répondant aux exigences universitaires, mais de
faire partager au lecteur les plus beaux textes mystiques[1687],
d'en sauvegarder les témoignages les plus profonds. Nous avons donc décidé
d'éliminer de la version imprimée les textes manifestement faibles : il
aurait été dommage de dégoûter le lecteur en nous obstinant à garder des textes
dont l'auteur n'est pas sûr et dont la médiocrité aurait ‘plombé’ l'ensemble.
Nous conservons la
numérotation d’ensemble de Poiret [1688].
Ainsi le lecteur rencontrant des « trous » dans la séquence des Discours
imprimés sur papier sera toujours averti de nos choix.
Le chercheur
spécialisé pourra recourir à l'index très abondant établi consciencieusement
par Poiret. Mais la liste de ses entrées montre le caractère peu technique d’un
vocabulaire qui ne prend sa pleine signification que par des associations
contextuelles de plusieurs termes autour d’un thème faisant l’objet d’un
ou plusieurs paragraphes, voire d’un Discours entier[1689].
Nous respectons le
plan d’édition suivi par celui qui fut un disciple apprécié. Ses regroupements
tiennent compte des quelques « étapes » traversées généralement par
les pèlerins intérieurs suivant une progression globalement ascendante.
Un sondage des sources
sur le vaste ensemble de l’œuvre n’a pas conduit à de nombreux doubles. Onze Discours
sont des lettres adressées à Fénelon et deux sont des lettres à Bossuet, dont
une est reprise dans la Vie : ces textes sont brefs[1690].
Les lettres adressées en 1689 à Fénelon sont toutes différentes : il n’y a
pas de doublon ou de lettre scindée au sein de Discours. Aucune des
nombreuses lettres adressées au duc de Chevreuse ou à d’autres correspondants,
tels que la « petite duchesse » de Mortemart, n’est reprise, mais
certains Discours pour lesquels nous n’avons pas trouvé de source
parallèle sont visiblement des lettres. Nous pensons que les disciples ont été
sensibles au caractère illustre de Fénelon, « notre père », ou à la forme très achevée de lettres
adressées à Bossuet.
Notre souci a été de
rendre le texte compréhensible au lecteur moderne : l’orthographe et la
ponctuation ont été modernisées. Poiret utilisait des italiques et des petites
capitales : nous avons simplifié[1691]
en nous limitant à un seul niveau de
soulignement indiqué par des italiques (également utilisées pour les
citations bibliques, mais cela n’induit guère de doutes). En réalité, madame
Guyon ne soulignait rien, négligeait les majuscules et utilisait de nombreuses
abréviations : si l’on en juge par les nombreux autographes de la Correspondance,
elle écrivait, par exemple, ns pour Notre Seigneur[1692].
Elle n’introduisait ponctuation et paragraphes que très exceptionnellement.
Nous avons imité Poiret en revoyant le découpage des paragraphes de façon à
rendre le texte clair tout en en gardant le rythme original et si possible la
respiration poétique. Parfois nous ajoutons entre crochets un ou quelques mots
nécessaires à la compréhension. Madame Guyon ne mettait pas de
majuscules : nous en avons donc mis très peu.
Les incorrections de style sont d'origine
: elles sont dues en partie au manque d’éducation des filles[1693], à
une grammaire non encore fixée, mais surtout au fait que l’auteure ne revenait
jamais en arrière pour corriger. Son unique désir était de laisser conduire sa
plume par la grâce afin de ne pas s'interposer entre Dieu et son correspondant.
On a supposé une « écriture automatique ». Il ne s’agit pas chez
madame Guyon de trouver une source d’inspiration poétique dans l’inconscient
comme le pratiquaient nos surréalistes, mais de laisser toute la place à
l’Esprit divin : des reprises afin d’améliorer l’expression écrite
auraient été l’œuvre de l'intellect et un retour sur soi[1694]. Madame Guyon ne pratiquait même aucun repentir : tout ce qui arrêtait la
fluidité et l'élan était évité.
Nous avons supprimé du texte
principal les explications entre parenthèses : elles seraient de la
main de Poiret, l’utilisation des parenthèses étant très exceptionnelle chez
Mme Guyon si l’on en juge par ses autographes. En réalité, elles n'apportent
pas grand-chose et affaiblissent le texte par leur prudence : nous avons
préféré les mettre en notes et le lecteur pourra les oublier.
Par contre, nous
reproduisons certaines notes de
Poiret, en particulier les passages de
Catherine de Gênes que Mme Guyon cite souvent, car elle
l'aimait beaucoup : avec Jean de la Croix et Jean de Saint-Samson, la
Dame du Pur Amour fut l'un des trois auteurs les plus cités dans les Justifications
rédigées au moment le plus crucial de la « querelle ». Nous
complétons certaines références par des citations. Nous signalons en note[1695] les
abréviations utilisées. Enfin nous avons parfois opéré des rapprochements avec
la béguine Hadewijch II, appréciée de Ruusbroec (qui a à son tour
influencé Catherine de Gênes[1696]).
Donner d’autres textes en parallèle alourdirait l’édition.
On ne retrouvera pas
les trop abondantes Explications bibliques de 1683-1684, mais un
dialogue très dense avec l'Écriture, dont elle accumule les citations pour
justifier son propos. Grâce à sa longue
expérience, elle en comprend le sens et fait de véritables explications de
texte : elle éclaire les paroles de Jésus en montrant qu'elles se rapportent
à la vie intérieure et ne peuvent être comprises que grâce à celle-ci.
De nos jours où le
contact avec l’Écriture est devenu plus rare, il est utile, pour mieux
comprendre le dialogue permanent entre madame Guyon et les textes sacrés, de
« doubler » fréquemment la traduction ou l'adaptation qu’elle en
propose. Nous accompagnons alors d’une citation en note la référence du verset
indiqué par le pasteur Poiret (suivant l’ancienne Vulgate), parfois en faisant
appel à plusieurs sources qui s’éclairent mutuellement[1697].
Les manuscrits et autographes de Mme Guyon ne comportent jamais de références
précises et bien rarement une indication de l’origine testamentaire : elle
citait de mémoire et tout le monde connaissait la Bible par cœur...
Redécouverte à
l'époque moderne, Madame Guyon parle beaucoup au lecteur qui cherche
l'intériorité. Sa vie témoigne d’une incessante lutte pour garder cette voie
personnelle inébranlable au milieu de la vie. Notre époque met en doute
l’existence même d’une Réalité intime plus profonde et plus centrale que notre
nature consciente et inconsciente, en amont des religions qui tentent d’en
donner l’écho. Des modèles d’explications psychologiques ou empruntées aux
sciences sociales revendiquent une compréhension profonde en analysant ces
textes comme un travail d’écriture : voulant réduire ces textes à du connu, à
savoir l'inspiration poétique, ils sont loin d'en appréhender le mystère.
Inversement, Bergson ne mit pas en doute le témoignage autobiographique de
madame Guyon et y vit les preuves d’une expérience du divin : existerait
un invariant mystique qui ne dépend pas du temps et qui précède les religions.
Les textes de Madame
Guyon ont souvent une profondeur comparable à ceux de Ruusbroec ou de Jean de
la Croix[1698].
Les témoignages de ces deux anciens maîtres mystiques ont été retravaillés pour
le premier, et partiellement détruits pour le second ; leur éloignement
par le temps et par leurs modes de vie particuliers est grand. Au contraire, ce
que nous lirons ici se révèle unique et proche de nous. L'on appréciera la finesse
de la contemporaine de Racine qui lui permet de démonter les pièges de l’amour
propre. Certes les descriptions des effets de l’amour divin qui conduisent à la
désappropriation prennent ici un caractère rigoureux, voire abrupt. Il n’est
toutefois « terrible » que si l’on oublie l’aide de la grâce divine qui ne
peut manquer à l’appel.
On touchera ici à une
autre rive, mais à condition de perdre de vue celle d’où l’on vient. On
voyagera au cœur d’un continent inconnu que nous décrit une grande
exploratrice. Faisons confiance au témoignage vécu. Comme le dit
Descartes :
Car on
doit plus croire à un seul qui dit, sans intention de mentir, qu’il a vu ou
compris quelque chose, qu’on ne doit faire à mille autres qui le nient pour
cela seul qu’ils ne l’ont pu voir ou comprendre : ainsi qu’en la
découverte des antipodes on a plutôt cru au rapport de quelques matelots qui
ont fait le tour de la terre qu’à des milliers de philosophes qui n’ont pas cru
qu’elle fût ronde[1699].
Madame Guyon, Oeuvres mystiques, éd. critique avec introductions par D. Tronc, Etude par le P. Max Huot de Longchamp, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2008, 796 p. [Un « compagnon » sous forme d’un volume maniable. Il reprend des œuvres brèves connues – Moyen Court, Torrents, Petit Abrégé, une partie du Cantique... Sa seconde moitié ouvre à la partie encore méconnue datant de la pleine maturité mystique : notes apportées aux Justifications, choix de Lettres et de Discours…]
4e
de couverture :
Ce volume d’Œuvres mystiques présente un choix couvrant pour la première fois l’ensemble de l’œuvre de Madame Guyon (à l’exception de l’autobiographie). Il couronne la série des précédents volumes publiés chez Honoré Champion (Vie par elle-même et Correspondance en trois tomes). Il inclut, outre l’essentiel de ce qui fit la réputation de Madame Guyon, des écrits jamais reproduits depuis trois siècles qui traduisent la pleine maturité mystique atteinte dans la seconde moitié de sa vie.
Aucun auteur n’a une telle connaissance de la Bible en son entier et des meilleurs auteurs mystiques, une telle compréhension théorique du chemin spirituel, une si profonde analyse de l’âme humaine pendant son chemin vers Dieu. L’œuvre est remarquable par une connaissance approfondie des trois appuis nécessaires à toute direction mystique.
En premier lieu s’affirme celle de la Tradition, ici chrétienne mais dont la valeur est universelle. En témoignent d’amples Explications de l’Écriture dont une partie relative au Cantique, ainsi que l’anthologie mystique des Justifications. En second lieu l’approche du « système » est présentée de façon vivante dans le Moyen court, dans les plus amples Torrents et dans son Abrégé. Elle est complétée par les réflexions très profondes jointes aux textes des Justifications. En dernier lieu, l’aspect pratique est couvert par un choix de Lettres et d’opuscules assemblés sous le nom de Discours spirituels, chef-d’œuvre de Madame Guyon car, arrivée à la fin de sa vie, elle n’éprouve plus le besoin de se justifier mais affirme l’évidence du vécu mystique avec l’autorité tranquille qui découle d’une longue expérience
Au XVIIe
siècle, les autorités religieuses sont inquiètes : l’image d’un monde sans
limites, dépourvu de centre, autonome dans ses mouvements depuis Galilée et
pouvant inclure des vides depuis Pascal, prend la place de la représentation
hiérarchique si bien illustrée par Dante. Les rôles fondateurs de l’expérience
physique et de la raison qui l’analyse, s’imposent devant celui des autorités.
L’examen critique des Écritures est entrepris.
Sans jamais faiblir,
Madame Guyon (1648-1717) s’appuie sur un vécu mystique personnel qui déborde
les systèmes traditionnels organisés : persuadée que seule une expérience
intérieure peut enraciner la foi, elle croit devoir prendre le risque de
l’expliciter. En cette entreprise, elle allie à sa certitude une grande finesse
psychologique.
Elle subira l’éclipse
promise à qui heurte de front des autorités religieuses et disparaîtra de la
scène publique. Mais en même temps, loin de rejeter une foi dont l’Église
rendait compte médiocrement, elle maintient que ce qui sous-tend des
représentations et des croyances conserve toute sa valeur, mais à un niveau
plus profond. Elle s’appuie pour cela sur une connaissance remarquable des
textes des Écritures et des mystiques chrétiens.
Ne serait-elle plus
pour nous qu’une figure anachronique dans une époque de transition ? Notre
époque heureusement délivrée des vieilles querelles peut aujourd’hui reconnaître
la valeur de son témoignage et la réhabiliter : elle fut pour Baruzi la
meilleure interprète de Jean de la Croix (avec Fénelon), et, pour Bergson,
le témoin mystique à l’état brut. Si les croyances disparaissent, nos
contemporains continuent à chercher la Source au-delà du corps et du psychisme,
dont on sait aujourd’hui combien les échos sont multiples et non limités à une
Église (Jean Grenier a pu proposer un rapprochement entre des écrits quiétistes
et ceux des pères du système taoïste). Ce volume d’Œuvres mystiques devrait permettre de confirmer ce que certains
d’entre nous n’osent quelquefois pas même reconnaître : on peut y retrouver un vécu commun dans des
descriptions toujours sobres, souvent d’une précision chirurgicale, à la fois
intimes et universelles. Elles suggèrent l’Invariable, cette profondeur voilée
par des fluctuations et des métamorphoses superficielles qui sont en fait de
nature culturelle.
« L’hypothèse » divine n’est plus
avancée de nos jours par les historiens qui s’efforcent de cerner le champ
mystique : ils recourent à des modèles d’explications psychologiques ou
empruntés aux sciences sociales et tentent parallèlement d’accéder à une
compréhension profonde par l’analyse du travail d’écriture. Inversement Bergson
voyait dans le témoignage de Mme Guyon un invariant mystique pré-existant aux
religions, une preuve par universalité qui ne dépend pas du temps et des
croyances religieuses. Ce témoignage peut conforter ceux qui sont exposés au
doute sur l’existence d’une Réalité intime, cause première et premier moteur,
plus profonde et plus centrale que notre nature consciente et inconsciente, en
amont des religions qui tentent d’en donner l’écho. Une mystique très pure est
exposée avec précision et finesse, dans notre langue, ce qui facilite une approche,
à travers les mots, quelque peu analogue au mode de perception poétique. La
figure est exemplaire par sa souplesse à la grâce. Elle est accessible :
cette laïque, cette femme mariée et mère de famille partage la variété des
conditions humaines, depuis les dîners intimes avec la femme du Roi jusqu’aux
épreuves des interrogatoires et des prisons.
Un choix opéré sur
l’œuvre suit l’ordre presque chronologique. Sa nouveauté tient à ce qu’il
équilibre les œuvres écrites dans l’élan de la jeunesse avant trente-sept ans,
par des écrits qui reflètent toute la profondeur atteinte dans la maturité par
une mystique qui vécut soixante-neuf ans.
Les premiers écrits,
composés avant la querelle du quiétisme, furent largement critiqués et on
en connaît au moins les titres : Moyen
court, Torrents, Commentaire au Cantique… Les derniers écrits sont restés méconnus : publiés
après la mort de leur auteur sous des titres moins évocateurs, ils furent
rapidement dispersés au sein des discrets cercles européens où se regroupaient
les disciples ; il s’agit des Justifications,
de Lettres, des Discours spirituels.
Pour le Moyen court et les Torrents, notre édition critique tient compte de nombreuses
variantes : elles forment un réseau complexe, même si l’on ne
retient que celles qui affectent le sens profond. Nous y joignons les repérages des extraits
figurant dans l’Ordonnance de M. de
Chartres, Paul Godet des Marais : au moment du procès de Mme Guyon, il fut
en effet le seul prélat à prendre la peine de citer des passages - souvent des
assemblages - jugés condamnables[1700].
Notre édition inclut
aussi, pour la première fois, toutes les précisions apportées dix années plus
tard puisque, dans ses Justifications,
Mme Guyon commenta son propre choix d’extraits du Moyen Court et du Commentaire
au Cantique. Ces compléments
datant de sa pleine maturité éclairent des points fondamentaux de la vie
mystique, et ceux-là mêmes qui furent les plus âprement discutés. Passés
presque inaperçus de par leur caractère de notes adjointes au sein d’une vaste
anthologie mystique, ils présentent un grand intérêt.
Tous les aspects du corpus sont représentés dans ce volume
(à l’exception des écrits biographiques déjà présentés dans cette même
collection « Sources classiques ») : Moyen court, Torrents, Abrégé de la voie sont reproduits dans
leur intégralité ; le Commentaire au Cantique est limité à sa seconde moitié ; quelques exemples
suggèrent l’esprit qui anima les très vastes Commentaires apportés aux autres textes de la Bible ; les Justifications
livrent des notes profondes que Mme Guyon rattache aux auteurs figurant dans
cette anthologie, principalement à Jean de la Croix ; un choix substantiel des
textes rassemblés par les disciples sous le titre de Discours spirituels représente
l’œuvre de la maturité et forme
le sommet trop souvent méconnu du corpus
; quelques Lettres soulignent la
grandeur de sa direction spirituelle[1701] ;
de brefs extraits de Cantiques nous
émeuvent lorsque l’on connaît les dures conditions de leur genèse.
Notre introduction
privilégie les aspects historiques. Puis l’étude du Père Max Huot de
Longchamp précise le sens théologique de termes utilisés dans le domaine
mystique chrétien et esquisse un parallèle avec Ruusbroec, Thérèse, Jean de la
Croix… Établir en profondeur l’affinité qui existe entre les grands mystiques
nous a semblé utile pour démontrer la permanence d’une expérience commune vécue
dans des circonstances diverses. La fin du Grand Siècle s’avère d’ailleurs en
ce domaine trop pauvre pour que l’on s’y cantonne.
Les présentations
attachées aux sections viennent compléter ces deux ouvertures : en particulier
celle qui ouvre les Discours spirituels
suggère quelques traits propres à la voie de l’intériorité, outre des
éclaircissements sur les circonstances entourant chaque écrit et sur les
sources utilisées dans cette édition critique. Une bibliographie axée sur les
publications de l’œuvre pallie la contrainte que pose la contraction en un seul
volume de l’ensemble des Œuvres Mystiques.
Notre choix et nos présentations privilégient les écrits sur la vie intérieure.
D’autres aspects ont heureusement été bien couverts avant nous :
introspection psychologique remontant à l’enfance, conseils d’éducation,
émergence de thèmes propres à la moitié féminine du genre humain. Nous avons
tenté de rassembler les textes qui traduisent clairement la maîtrise
expérimentale d’une voie certes cachée, mais réelle et très concrète.
Le terme
« quiétiste » fut employé largement et péjorativement par ceux qui
craignaient les dangers d’un abandon excessif à la grâce, après que Molinos eût
été condamné à la prison à perpétuité à Rome en 1687. Les spirituels visés se
qualifiaient simplement de « mystiques » et même, chez Fénelon, de
« mystiques modernes[1702] ».
Ils font en réalité partie de la grande tradition issue de Jean de la Croix,
comme le souligna Jean Baruzi :
C'est parce que la pensée de Jean de la Croix nous est
arrivée mutilée et déformée que l'intuition fondamentale n'y est pas aisément
discernable. Cette intuition, qu'on le veuille on non, est ressaisie de façon
aiguë à travers la tradition mystique catholique, par Fénelon et Mme Guyon…[1703]
Ces derniers ne
voulaient à aucun prix être considérés comme extérieurs à la foi catholique : Fénelon a passé des années
à vouloir convaincre Bossuet que la mystique moderne est l’essence même du
christianisme vécu. Ils ne sont pas des « météores » arrivés
subitement, des « nouveaux mystiques » comme les brocarde Bossuet.
Mme Guyon n’est qu’un maillon au sein d’un réseau d’amitiés mystiques dont la
longue histoire couvre deux siècles[1704].
L’inspiration
d’origine est franciscaine : le Tiers Ordre Régulier se propagea jusqu’à
Gênes et eut en charge l’hôpital auquel fut lié Catherine de Gênes
(1447-1510), dont l’influence sera très grande chez Mme Guyon (seule
l’influence des carmes Jean de la Croix et Jean de Saint-Samson est
comparable). A la fin des guerres de religion, arrivèrent en France deux moines
franciscains du Tiers Ordre qui établirent le monastère de Picpus.
Puis Jean-Chrysostome
de Saint Lô (1594-1646) devint Provincial de la région de Normandie-Bretagne
fondée en 1640 et anima un vaste cercle mystique[1705].
L’un de ceux qu’il dirigeait et accueillait dans l’Ermitage[1706]
qu’il fit bâtir, était un laïc, M. de Bernières (1601-1659).
Bernières, sensible à
l’amitié, mais indifférent aux hiérarchies sociales, payait de sa personne
lorsque maladie et misère étaient en cause. De concert avec Gaston de Renty
(1611-1649), autre mystique laïc, grand seigneur qui passa des armes et des
sciences à l’exercice de la charité, il contribua à la fondation d’hôpitaux, de
couvents, de missions et de séminaires :
Il paye de sa personne, car il va chercher lui-même les
malades dans leurs pauvres maisons, pour les conduire à l’hôpital [...] porte
sur son dos les indigents qui ne peuvent pas marcher jusqu’à l’hospice [...] Il
lui faut traverser les principales rues de la ville : les gens du siècle en
rient autour de lui[1707].
Il fut aussi « le
directeur des directeurs de conscience », conseillait aussi bien des laïcs
que des clercs, parlant avec humour de cet « hôpital » un peu
particulier qui accueillait amis et hôtes de passage :
Il m’a pris un
désir de nommer l’Ermitage l’hôpital
des Incurables, et de n’y loger avec moi que des pauvres spirituels [...] Il y
a à Paris un hôpital des Incurables pour le corps, et le nôtre sera pour les
âmes[1708].
Je vous conjure,
quand vous irez en Bretagne, de venir me voir ; j’ai une petite chambre que je
vous garde : vous y vivrez si solitaire que vous voudrez ; nous chercherons
tous deux ensemble le trésor caché dans le champ, c’est-à-dire l’oraison[1709].
Bernières était bien
conscient de n’être que l’intendant de Dieu :
Nous vivons ici en grand repos, liberté, gaieté et
obscurité, étant inconnus du monde, et ne nous connaissant pas nous-mêmes. Nous
allons vers Dieu sans réflexion [...] Je connais clairement que l’établissement
de l’Ermitage est par ordre de Dieu,
et notre bon Père [Chrysostome de Saint-Lô] ne l’a pas fait bâtir par hasard ;
la grâce d’oraison s’y communique facilement à ceux qui y demeurent, et on ne
peut dire comment cela se fait, sinon que Dieu le fait[1710].
Son influence
s’étendit au Canada par l’intermédiaire de l’ursuline Marie de l’Incarnation
(1599-1672). Une de ses proches, la Mère Mectilde du Saint-Sacrement
(1614-1698) fonda les bénédictines de l’Adoration perpétuelle du très Saint
Sacrement, qui se répandit jusqu’en Pologne.
Le meilleur ami et
disciple de Bernières fut le prêtre Jacques Bertot (1622-1671), auquel
il adressa quatorze lettres remarquables par leur ton et leur profondeur[1711].
Nous trouvons un résumé de sa vie, rédigé longtemps après sa mort, dans l’Avertissement placé en tête de ses
œuvres rassemblées par Mme Guyon sous le titre Le directeur mystique[1712] :
Monsieur Bertot [...] grand ami de [...] Jean de
Bernières [...] s’appliqua à diriger les âmes dans plusieurs communautés de
Religieuses [...et] plusieurs personnes [...] engagées dans des charges
importantes tant à la Cour qu’à la guerre [...] Il continua cet exercice
jusqu’au temps que la providence l’attacha à la direction des Religieuses
Bénédictines de l’abbaye de Montmartre proche Paris, où il est resté dans cet
emploi environ douze ans jusqu’à sa mort […Il fut] enterré dans l’Église de
Montmartre au côté droit en entrant. Les personnes [...] ont toujours conservé
un si grand respect [...qu’elles] allaient souvent à son tombeau pour y offrir
leurs prières.
Bertot vécut caché
mais actif à Caen, où Jourdaine, sœur du vénéré Jean de Bernières et
prestigieuse supérieure du couvent, lui vouait une confiance et une obéissance
absolue. Il fut en relation avec la
mystique Marie des Vallées[1713].
Dans la dernière
partie de sa vie, Bertot fut nommé confesseur à la célèbre et vénérable abbaye
bénédictine de Montmartre, fondée en 1133, dont le rôle était central après sa
réforme mouvementée au début du siècle avec l’aide de Benoît de Canfield :
sa présence y fut très appréciée, en particulier par Madame de Guise, abbesse
de 1644 à 1669. Son rayonnement déborda les murs du couvent dans un cercle dévot
laïc, dont, à sa mort, il laissa la direction à sa fille spirituelle, Mme
Guyon. Nous en avons un témoignage dans un compte-rendu de police de 1695
adressé à Mme de Maintenon qui s’inquiètait de l’existence d’un cercle mystique
trop indépendant du pouvoir royal :
Il y a plus de vingt ans que l'on voit à la tête de ce
parti M. Bertau [Bertot] directeur de feu madame de Montmartre [la
supérieure du célèbre couvent] […] Cet homme était fort consulté ; les
dévots et les dévotes de la Cour avaient beaucoup de confiance en lui ;
ils allaient le voir à Montmartre, et sans même garder toutes les mesures que
la bienséance demandait, de jeunes dames de vingt ans partaient pour y aller, à
six heures du matin, en tête-à-tête avec de jeunes gens à peu près du même âge.
[…] Madame G[uyon] était, disait-il, sa fille aînée, et la plus avancée…[1714]
L’œuvre de Bertot est
plus épurée, plus dense, moins lyrique que celle de son illustre dirigée. Il n’a livré sur lui-même que de très rares
confidences qui trahissent une vie intérieure très profonde :
En vérité il [Notre Seigneur] me détourne tellement des
créatures que j’oublie tout volontiers et de bon cœur. […] mon âme est comme un instrument dont on joue,
ou si vous voulez comme un luth qui ne dit ni ne peut dire mot que par le mouvement
de Celui qui l’anime.[1715]
Tous ces spirituels
(une trentaine, dont Chrysostome, Bernières et Bertot en filiation directe) ne
furent donc pas des génies individuels ou des solitaires : ils se
rencontraient, s’encourageaient, séjournaient à l’Ermitage, entretenaient des correspondances, priaient les uns pour
les autres. On voit bien au travers de leurs lettres que ces relations
personnelles se voulaient discrètes par rapport aux autorités religieuses et
qu’ils avaient des difficultés avec les confesseurs sans expérience mystique.
Chacun s’inclinait devant l’autorité du père spirituel qui l’avait initié à
l’oraison. Bernières s’y réfère même par-delà la mort puisqu’il témoigne
ainsi de son directeur, le père Jean-Chrysostome, dans une lettre à Catherine
de Bar (la mère du Saint-Sacrement tant appréciée de Mme Guyon et Fénelon[1716]) :
…ce me serait
grande consolation que [...] nous puissions parler de ce que nous avons ouï
dire à notre bon Père [...] puisque Dieu nous a si étroitement unis que de nous
faire enfants d’un même Père [...] Savez-vous bien que son seul souvenir remet
mon âme dans la présence de Dieu[1717] ?
Nous sommes bien
au-delà d’un lien littéraire où lire une œuvre suffit pour recevoir l’influence
de l’écrivain. Ces mystiques sont connaisseurs des rhéno-flamands (corpus taulérien et Ruusbroec), de Jean
de la Croix, des « dits » rapportés par le confesseur de Catherine de
Gênes, des « dictées » de l’aveugle Jean de Saint-Samson. Mais ce qui
est fondamental dans ce mouvement, c’est qu’ils reconnaissent recevoir l’influence
de la grâce par la présence même d’une personne plus avancée qu’eux dans le
cheminement vers Dieu. Lorsque Bertot parle de l’union spirituelle qu’il
éprouve avec ses amis et disciples, il affirme les porter dans ses prières et
les amèner à l’union avec lui dans le même état spirituel :
Si j’entre dans cette unité divine, je vous attirerai,
vous et bien d’autres qui ne font qu’attendre ; et tous ensemble n’étant
qu’un en sentiment, en pensée, en amour, en conduite et en disposition, nous
tomberons heureusement en Dieu seul...[1718]
On touche là la nature
profonde du lien entre Madame Guyon et Fénelon.
Ces mystiques ne sont
donc jamais seuls : ils sont reliés au passé par toute une chaîne
d’influences et d’expériences transmises de personne à personne depuis les deux
moines franciscains, en passant par Chrysostome, Bernières, Bertot dont Mme
Guyon hérite. Et ils sont soutenus par
leur groupe d’amis, génération après génération : ces amis ont la
même expérience intérieure, exprimée avec le même vocabulaire, au point qu’on
a accusé Mme Guyon de plagier M. Bertot[1719].
Dans ces groupes, on trouve aussi bien des laïcs que des clercs, des femmes que
des hommes. L’autorité n’est due qu’à l’expérience intérieure, ce qui explique
la méfiance des autorités ecclésiastiques et politiques à leur égard. Chacun
vit dans la situation sociale où le sort l’a mis, et ils n’éprouvent pas le
besoin de créer une structure particulière : leur lien est tout intérieur,
beaucoup plus fort que toute règle.
Madame Guyon fut donc la dirigée la plus
illustre de M. Bertot. Elle affirma une belle indépendance vis-à-vis des
autorités de son temps parce qu’elle était persuadée que son contact direct
avec une réalité intime donnée par la grâce divine était semblable à
l’expérience des mystiques chrétiens de tous les temps. Cette certitude
intérieure explique sa tentative « naïve » d’influencer Bossuet, puis
sa résistance opiniâtre lors des interrogatoires de l’évêque de Meaux, enfin
l’incompréhension de ce dernier face à une femme qui invoque presque
exclusivement une expérience qui lui échappe.
Elle fit des années de
prison et c’est par la condamnation de son ami Fénelon que le pape mit un terme
à la querelle du quiétisme. Mais des protestants l’admirèrent et la publièrent,
d’abord en Hollande, puis en Suisse. Tous ces faits rendirent difficile jusqu’à
nos jours sa reconnaissance dans le monde catholique, qui constituait cependant
son milieu naturel et auquel elle demeura fidèle. Inversement, aux yeux des
esprits sceptiques du Siècle des Lumières en lutte contre l’influence des
Églises, elle demeura toujours une dévote. Son influence resta donc souterraine
et par là suspecte aux uns comme aux autres : il fallut attendre 1907
pour voir authentifiée sa correspondance de la direction de Fénelon. Puis Henri
Delacroix dès 1908, Jean Baruzi en 1931, reconnurent le sérieux et la justesse
de ses vues avant que l’on ne la réédite partiellement[1720]:
Plus encore que Fénelon qui […] ne consent pas à faire
de la foi elle-même une obscurité que ne soutiendrait pas l'évidence de
l'autorité, Mme Guyon voudrait aller au delà de toute donnée distincte […elle] estime qu'elle retrouve en tout cela
la doctrine de saint Jean de la Croix. Elle allègue des textes solidement
choisis et oppose avec rigueur « la voie de lumière distincte » et « la
voie de la foi ». Elle sait « qu'il est de très grande conséquence d'empêcher
les âmes de s'arrêter aux visions et aux extases ; parce que cela les arrête
presque toute leur vie. » [1721].
Il fallut attendre
1958 pour que Louis Cognet consacre à Mme Guyon la moitié d’un fort volume dont
le titre, Crépuscule des mystiques,
Bossuet Fénelon, omet encore son nom[1722].
En 1962 Jean Bruno entreprit une première édition critique d’extraits de la Vie, suivie des contributions de Jean
Orcibal à partir de 1974, et de madame Gondal à partir de 1989[1723].
Le fait que Mme Guyon
ait vécu plongée « dans l’ordinaire » quotidien est un des éléments
qui nous la rendent très proche. Au nom de sa liberté intérieure, elle refusa
de se laisser embrigader par les autorités ecclésiastiques masculines : en
particulier de devenir supérieure des Nouvelles Catholiques de Gex malgré les
pressions de l’évêque in-partibus de
Genève. Elle vécut une vie d’épouse et de mère de famille, géra sa fortune,
voyagea, connut la Cour et ses mondanités, puis les prisons. Mais elle resta
toujours centrée sur sa vérité profonde comme en témoigne cette confidence au
duc de Chevreuse :
J’avais fait cinq vœux en ce pays-là [la Savoie]. Le
premier de chasteté que j’avais déjà fait sitôt que je fus veuve, [le second]
celui de pauvreté, c’est pourquoi je me suis dépouillée de tous mes biens - je
n’ai jamais confié ceci à qui que ce soit. Le troisième d’une obéissance
aveugle à l’extérieur à toutes les providences ou à ce qui me serait
marqué par mes supérieurs ou directeurs,
et au-dedans d’une totale dépendance de la grâce. Le quatrième d’un attachement
inviolable à la sainte Église. Le cinquième était un culte particulier à
l’enfance de Jésus-Christ plus intérieur qu’extérieur[1724].
»
Sa vie témoigne d’une
incessante lutte pour garder cette voie personnelle inébranlable au milieu de
la vie ordinaire et publique. Elle s’articule selon cinq périodes :
jeunesse et vie provinciale, voyages en Savoie et Piémont, période parisienne
de notoriété et de combats, enfermement, retraite à Blois :
Jeanne-Marie Bouvier
de la Mothe naît en 1648 à Montargis, à l’est d’Orléans : c’est l’année
des traités de Westphalie, la fin de la guerre de Trente ans, mais le début de
la Fronde. La petite fille est placée dans des couvents - deux demi-sœurs sont
religieuses - avant d’être donnée à seize ans en mariage à Jacques Guyon, riche
et âgé.
Trois ans plus tard,
cherchant la vie intérieure, la jeune femme fréquente des disciples et des amis
de Bernières. Elle rencontre le
« bon franciscain » Archange Enguerrand[1725] qui
l’ouvre à la vie mystique. La supérieure du couvent local des bénédictines,
Geneviève Granger[1726],
figure remarquable, la soutient pendant ses difficultés familiales, puis une
nuit intérieure[1727] :
elle la voit chaque jour et lui communique paix et soulagement de toutes ses
angoisses. La mère Granger l’envoie à M. Bertot probablement pour qu’elle soit
formée plus rigoureusement : elle le rencontre le 21 septembre 1671.
Malgré quelques incompréhensions dont fait état sa Vie[1728],
elle engage avec lui une relation très profonde, à laquelle fait écho une
correspondance remarquable par l’intensité mystique des deux
correspondants :
Vous ne pouvez assez entrer dans le repos et dans la
paix intérieure, car c’est la voie pour arriver où Dieu vous appelle avec tant
de miséricorde. Je vous dis que c’est la voie, et non pas votre centre : car
vous ne devez pas vous y reposer ni y jouir […] il ne faut plus vous arrêter à
rien quoique il faille que vous soyez en repos partout. [...] Je vous en dis
infiniment davantage intérieurement et en présence de Dieu ; si vous y êtes
attentive, vous l’entendrez. Soutenez-vous en Dieu nuement et simplement, seule
et une [...] N’ayez donc plus d’idées, de pensées, de sentiments de vous-même,
non plus que d’une chose qui n’a jamais été et ne sera jamais[1729].
Un cinquième enfant
naît après la mort de son mari, dont trois atteindront l’âge adulte. Elle a
vingt-huit ans. Quatre années plus tard, sa nuit mystique prend fin après sept
années, mais Bertot meurt l’année suivante.
En 1681, âgée de
trente-trois ans, elle prend conseil auprès de spirituels, en particulier
auprès de dom Martin, le fils de Marie de l’Incarnation du Canada[1730], et
part à Gex, près de Genève, s’occuper des Nouvelles Catholiques,
c’est-à-dire de jeunes protestantes que l’on convertissait au catholiscisme. Le
caractère ambigu de cet apostolat lui fait refuser un supériorat. Elle vit
quelques années dans le duché de Savoie-Piémont (Thonon, Turin, Verceil) et en
Dauphiné (Grenoble), exerçant à l’état laïque, avec grand succès, une activité
apostolique. C’est lors de son séjour à Thonon qu’elle fait l’expérience de
communications intérieures avec son confesseur, le père Lacombe. Elle rédige le
début de son autobiographie et les Torrents,
où elle compare le chemin mystique à un torrent, à l’image de la Dranse qui se
jette à Thonon dans le lac Léman.
Elle séjourne près
d’un an près de Turin, auprès de l’évêque Ripa qui était lié au cardinal
quiétiste Petrucci (1636-1701). A Grenoble, où elle rédige les Explications de l’Ancien et du Nouveau
Testament et où son Moyen court est
publié avec succès[1731],
son apostolat auprès de religieuses chartreuses provoque le « Louis XIV
des chartreux », dom Le Masson[1732],
qui s’inquiète de son influence et fait enlever le Moyen court des couvents.
C’est une femme
d’expérience qui revient en France et arrive à trente-huit ans à Paris, en
1686, l’année précédant la condamnation de Molinos et de supposés
quiétistes[1733],
dont, post-mortem, Jean de Bernières.
Elle connaît une captivité de huit mois à la suite de complexes intrigues religieuses
et familiales. Sa libération est suivie de ses relations à la Cour et à
Saint-Cyr où sa cousine de la Maisonfort est maîtresse, grâce à la faveur de
Madame de Maintenon.
Elle reprend une place
centrale au sein du cercle créé par son directeur Bertot et rencontre Fénelon
en 1688. Ses correspondances, avec Fénelon, avec le duc de Chevreuse, avec la
duchesse de Mortemart, témoignent de sa profondeur spirituelle . De graves
épreuves vont suivre la perte de la faveur de la femme du Roi, rendue
publique dès 1694.
Elle prépare alors des
Justifications, en collaboration étroite avec Fénelon. Les examens doctrinaux aboutissent à la signature par Bossuet,
Tronson, Noailles, Fénelon, des 34 articles d’Issy, et à la condamnation de ses
écrits. Elle est arrêtée le 27 décembre 1695 sans qu’une justification soit
nécessaire, car l’arbitraire du système de lettre de cachet est total.
A l’âge de
quarante-sept ans, débute une succession d’enfermements qui durera près de huit
années, dont plus de quatre en isolement : en 1700, ses amis la croient
morte. Elle est interrogée à Vincennes neuf fois, près d’une journée entière
chaque fois, dans un niveau du donjon spécialement aménagé par ordre du roi,
puis enfermée à Vaugirard dans un « couvent » spécialement créé à cet
effet comportant trois gardiennes religieuses bretonnes qui la
maltraitent ; enfin, à partir du 4 juin 1698, elle est mise à la Bastille,
où les maladies et vingt interrogatoires nouveaux épuiseront sa robuste nature.
Mais on ne pourra jamais lui extorquer de dépositions compromettantes ou qui
contredisent son expérience.
Elle sort de la
Bastille le 24 mars 1703, âgée de cinquante-cinq ans, sur un brancard, lavée de
toutes les fausses accusations, pour se rendre avec son fils Armand-Jacques au
château de Diziers, près de Blois. Elle achète une maison à Blois dont l’évêque
Berthier est ami de Fénelon, et en 1709, ayant retrouvé des forces, elle
rédige la fin de La vie par elle-même
et l’extraordinaire Récit des prisons.
Son activité
apostolique reprend auprès de disciples français : des gens très simples,
mais aussi les ducs et duchesses de Chevreuse et de Beauvillier, Fénelon dont
la fidélité est indéfectible et qui maintient un contact épistolier par le
marquis son petit-neveu, etc. Elle a aussi des correspondants étrangers
(allemands, suisses, hollandais, écossais), qui lisent ses ouvrages publiés par
Poiret et son cercle à Amsterdam. Quelques-uns peuvent venir la voir et
d’autres entretiennent une abondante Correspondance
dont il nous reste les plus belles lettres de direction. Elle meurt
paisiblement le 9 juin 1717, âgée de soixante-neuf ans[1734].
Le
génie propre de Mme Guyon n’est pas tant une expérience mystique qu’elle a en
commun avec Bertot et quelques autres, mais d’avoir su l’écrire et surtout
l’analyser remarquablement sans la dissocier de la vie concrète.
L’intérêt
se trouve renforcé par une excellente préservation du corpus. Ceci est dû à l’édition entreprise du vivant de Mme Guyon
et à la sauvegarde des nombreux manuscrits rassemblés à l’époque de la querelle
du quiétisme par les évêques-juges des rencontres d’Issy et, parallèlement, par
les disciples. On possède l’essentiel de ses écrits, pratiquement sans
retouches affectant le sens profond, ce qui est tout à fait exceptionnel. Nous
sont également parvenues les minutes des interrogatoires menés avec grand soin.
A l’inverse, on a perdu la plus grande partie de l’œuvre de Jean de la Croix[1735], Bernières a été retouché, etc.
Les
écrits les plus connus, soit la première partie des Torrents qui précède le Moyen court, le Cantique
[…] interprété…, les deux
premières parties de la Vie…, les Explications des Écritures, sont tous
composés avant la fin de l’année 1685, soit avant l’âge de trente-sept ans.
Délivrée d’une longue purification spirituelle et avec l’énergie que donne la
jeunesse, elle y manifeste spontanéité et lyrisme.
Elle
déclare avoir entrepris d’écrire sous l’impulsion divine à laquelle elle ne
pouvait résister et n’écrit jamais que pressée par la grâce. Elle pratique une
écriture sans repentir. Il ne s’agit pas d’un procédé à la recherche de
l’inspiration, telle que l’écriture automatique des surréalistes. La
rédaction est liée à un état contemplatif où la justesse d’un texte et ses
multiples implications apparaissent d’autant mieux que l’auteur ne tente aucune
capture volontaire. Elle dit à Dieu :
Vous me faisiez écrire avec tant de pureté, qu’il me
fallait cesser et reprendre comme Vous le vouliez. [...]
j’avais la tête si libre qu’elle était dans un vide entier. J’étais si
dégagée de ce que j’écrivais, qu’il m’était comme étranger. Il me prit une
réflexion : j’en fus punie, mon écriture tarit aussitôt, et je restai comme une
bête jusqu’à ce que je fusse éclairée là-dessus[1736].
Il
s’ensuit une décision volontaire de ne pas interférer, car les repentirs et
tout travail d’amélioration stylistique risquent de déformer une expression
spontanée dépendante de la grâce divine, ce que l’on vérifie sur les
autographes où les ratures, très rares, signalent une modification affectant la
suite à donner au cours d’une rédaction rapide (ponctuation et paragraphes
absents), mais jamais un repentir après relecture. Mme Guyon témoigne par
ailleurs de l’abondance de son inspiration, car si l’agilité
intellectuelle et physique peut être ralentie par un état contemplatif,
l’énergie vitale d’une femme de trente-six ans lui permettait de transcrire
rapidement une dictée intérieure :
Je continuais toujours d’écrire, et avec une vitesse
inconcevable, car la main ne pouvait presque suivre l’Esprit qui dictait et,
durant un si long ouvrage, je ne changeai point de conduite, ni me servis
d’aucun livre[1737].
Dix
années plus tard, au moment le plus intense de la querelle, le dossier des Justifications constitue un tissu des
auteurs mystiques chrétiens accompagné de précieuses remarques de sa main, que
nous reprenons ici avec les œuvres de jeunesse.
Enfin,
après sa sortie de la Bastille, elle accepta de revoir ses écrits à l’occasion
de leur édition par le pasteur Pierre Poiret, esprit original méconnu et grand
transmetteur d’œuvres mystiques, devenu un disciple[1738]. Elle s’abstint toutefois de composer de
nouveaux traités : elle avait compris, par l’expérience acquise auprès de
ses dirigé(e)s, qu’il faut adapter la guidance de chacun par des conseils
particuliers ou tout au plus par de brefs opuscules répondant à une difficulté
particulière communément ressentie. Ses disciples rassemblèrent des opuscules
et des lettres qui circulaient entre eux. Cet ensemble de pièces de dimensions
variables (entre une et vingt-cinq pages) constituent le cœur de l’œuvre
guyonnienne, et traduisent la pleine maturité mystique, trésor resté caché,
enfoui sous le titre de Discours
chrétiens et spirituels… qui révèle mal sa valeur.
Sa Correspondance fournit des
séries de directions, dont la plus célèbre est celle avec Fénelon, qu’elle
entraîna sur les divins sentiers. Il est très rare d’avoir des dialogues avec
les dirigés : on ne possède habituellement que les écrits d’un seul
correspondant. Plus largement, dans la
durée, ses lettres nous donnent accès à toutes les étapes de la vie
mystique, de la jeune femme dirigée par Bertot avant 1681 et par Maur de
l’Enfant-Jésus, à la « dame directrice ».
Des
textes, parfois secondaires à nos yeux tels que les cantiques et poèmes, furent
fidèlement publiés, dont se détache l’immense commentaire biblique formant
vingt des trente-neuf volumes assemblés et édités à Amsterdam, travail accompli
fidèlement par Poiret. Il doit être complété par le fond manuscrit, car des
textes essentiels demeurèrent hors d’atteinte de ce dernier : écrits de
jeunesse, Récit des prisons, une
grande partie de la Correspondance.
Le corpus guyonnien couvre donc les trois
domaines qui fondent une autorité spirituelle, ce qui est, soulignons-le de
nouveau, très exceptionnel :
(1)
Les témoignages biographiques et spirituels sont d’une grande franchise et
acuité psychologique. Ils rassemblent en une tresse unique : les
événements, le vécu intérieur, enfin le « système » spirituel (tandis
que la Vida de Thérèse, souvent citée
comme modèle, sépare ces fils selon deux grandes parties, biographie,
événements intérieurs).
(2) Un
enseignement structuré et imagé tout à la fois est fourni. En témoigna à
l’époque le Moyen court qui atteignit un large public avant sa
condamnation. Sa simplicité, qui n’est pas synonyme de facilité, vient de
l’affranchissement de tout moyen préalable : acquis théologiques et
dogmatiques, méthodes de prières et exercices, sélections sociales ou
culturelles sont écartés ; tous les hommes sont appelés à l’expérience
intérieure par la médiation du « petit maître » Jésus-enfant. Les Torrents restèrent par contre manuscrits
jusqu’en 1704, car cette oeuvre pouvait faire peur aux hommes de métier dont la
médiation est mise en question[1739] : la liberté sauvage de l’âme emportée
par le torrent de grâce est
préférable aux canaux faits de mains humaines.
(3) Un
recours à la Tradition conduit aux Explications de l’Ancien et du
Nouveau Testament interprétés spirituellement, et dix ans plus tard aux Justifications,
une remarquable anthologie de textes mystiques rassemblés autour de mots-clefs.
L’édifice bâti à partir des sources traditionnelles est solide car double
: connaissance de l’Écriture autant que des mystiques, ses interprètes.
Au-delà
des textes attribués en toute certitude, le problème de l’influence plus ou
moins immédiate sur L’Abandon à la
Providence divine, très beau
traité spirituel et l’un des best-sellers
de la littérature spirituelle, autrefois attribué à Jean-Pierre de Caussade,
reste posé. Le plus récent de ses éditeurs l’attribue « à une plume
anonyme, disciple de madame Guyon ».[1740].
Dans les dernières années de sa vie, Mme Guyon
réunissait à Blois des disciples, qui se voyaient aussi entre eux,
indépendamment. Les disciples voyageaient beaucoup entre Blois (la maison de
« notre mère »), Paris, Cambrai (l’archevêché de « notre
père » Fénelon), Rijnsburg près d’Amsterdam (la maison de Poiret et de
proches), Aberdeen au nord d’Edinburgh (les résidences proches des Garden, de
lord Deskford, des Forbes). A cette « route » principale, reliant les
bords de la Loire à la Hollande et de là par mer en trois jours à la lointaine
Écosse, s’adjoint un chemin secondaire vers Lausanne, lieu de séjour important
à l’époque pour prendre les eaux (et une certaine liberté) dans une Suisse
encore très sauvage : loin du pouvoir royal français, ils pouvaient se
réunir pour faire oraison sans attirer l’attention de personne.
Mais à cette époque, les voyages étaient longs
et difficiles et l’enseignement passait par les lettres : comme elles
mettaient des jours sinon des mois à parvenir à leur destinataire, on les
conservait soigneusement et on les relisait avec ferveur ; elles servaient
de petits traités d’oraison pour tout un groupe et circulaient entre disciples.
C’est ainsi que des séries de lettres furent adressées à Fénelon, au marquis de
Fénelon, petit-neveu de l’archevêque, au baron de Metternich, diplomate de la
cour de Prusse, à Poiret et à son cercle, à des Écossais, etc.
Après la mort de Mme Guyon, on constate
l’influence diffuse de ses écrits sur des milieux divers. L’Abandon à la Providence divine constitue une résurgence de la
spiritualité de l’école en milieu catholique, avec toute la précaution rendue
nécessaire après l’affaire du quiétisme. Dans une tout autre direction, ses écrits circulent chez les Quakers, chez
Wesley et les méthodistes[1741]. Ils
atteindront la Suède, probablement par l’intermédiaire des grandes familles
écossaises qui avaient pied des deux côtés de la mer du Nord, telle que celle
des Forbes ; les Etat-Unis où la première Bible éditée in-folio reprend des
commentaires guyonniens et où s’installent quakers et méthodistes ; la Russie
où des œuvres sont traduites par un pope au tout début du XIXe
siècle.
En Suisse, le pasteur Jean-Philippe Dutoit fut
influencé par Fleischbein et réédital’œuvre de madame Guyon. Objet en 1769
d’une visite de la police de Berne, le procès-verbal de saisie de ses livres se
limite, outre la Bible et l’Imitation,
à quatre auteurs : Bernières, Bertot, Mme Guyon, Poiret[1742]. Le
cercle guyonnien suisse continue jusqu’au début du XIXe siècle à Lausanne, où
Rosalie de Constant meurt de manière édifiante en 1837 ; elle était
cousine du chevalier de Langalerie. Ce dernier, converti par Dutoit, était au
centre d’un cercle spirituel probablement en voie de desséchement puisqu’on en
perd la trace ensuite. Il est intéressant de noter que Sainte-Beuve fut
accueilli à Lausanne la même année par Olivier et Vinet pour les conférences
qui conduiront au Port-Royal :
Vinet était un protestant animateur du Réveil,
mouvement qui avait des contacts guyonniens.
Ce grand courant mystique auquel fut attaché le
sobriquet de quiétisme, dura donc deux siècles. Jean Baruzi avait
bien senti l’intérêt d’une telle école où se mêlaient religieux et laïcs, et
proposait déjà d’entreprendre l’étude des cercles guyonniens du XVIIe
et du XVIIIe siècles :
Une
étude historique concernant Poiret, Dutoit, le comte de Fleischbein, […] les
ermitages tels que ceux qui furent créés par Poiret à Rheinsburg [Rijnsburg]
en 1688 ou, par Fleischbein, à Hayn, devrait s'appliquer à démêler ce qui,
par-delà l'influence de Mme Guyon, rejoint saint Jean de la Croix lui-même…[1743].
Malheureusement, la querelle du quiétisme a
engendré le rejet de ces mystiques par l’Église catholique. Après eux, la peur
de l’hérésie sera telle qu’il leur deviendra difficile de témoigner en son
sein, et l’on constate la rareté d’expressions écrites publiées alors qu’elles
demeurent assez nombreuses sous forme manuscrite.
Ceci conduisit Louis Cognet à publier son Crépuscule des mystiques (1958) dont le
titre, certes évocateur, risque malheureusement de laisser croire que « la
mystique » serait l’expression d’une époque révolue. Les aspects théoriques du quiétisme ont été traités
par Paul Dudon dans sa préface au Gnostique
de Fénelon (1930), par Louis Cognet, par Jacques Le Brun dans son édition du
premier volume des Œuvres de Fénelon
(Pléiade, 1983), dans l’article « quiétisme » (Pacho, Le Brun) du Dictionnaire de Spiritualité, vaste
monographie couvrant Espagne, Italie et France. Toutes controverses éteintes, l’heure est venue de redécouvrir Mme Guyon
et sa descendance spirituelle.
Nous attirons maintenant l’attention sur quelques aspects de l’expérience
vécue au cours du long pèlerinage mystique : Mme Guyon les a soulignés
dans le Moyen court, son seul texte
normatif publié au XVIIe siècle, dans l’ample exposé des Torrents, enfin dans sa Correspondance. Mais comment entrer dans
cette dépendance vécue où la grâce seule travaille ?
Pour les débutants,
Mme Guyon suggère de pratiquer l’oraison en s’appuyant sur une lecture :
Après s'être mis
en la présence de Dieu par un acte de foi vive, il faut lire quelque chose de
substantiel et s'arrêter doucement dessus non avec raisonnement mais seulement
pour fixer l'esprit, observant que l'exercice principal doit être la présence
de Dieu, et que le sujet doit être plutôt pour fixer l'esprit que pour
l'exercer au raisonnement[1744].
Elle regrette qu’on
n’enseigne pas l’oraison, car
…le Royaume de
Dieu est au-dedans. […] Les curés devraient apprendre à faire oraison à leurs
paroissiens, comme ils leur apprennent le catéchisme. Ils leur apprennent la
fin pour laquelle ils ont été créés et ils ne leur apprennent pas à jouir de
leur fin[1745].
Elle reconnaît la
nécessité de la mortification :
La mortification doit toujours accompagner l'oraison selon
les forces, l'état d'un chacun et l'obéissance. Mais je dis que l'on ne doit
pas faire son exercice principal de la mortification ni se fixer à telles et
telles austérités, mais suivre seulement l'attrait intérieur et s'occuper de la
présence de Dieu sans penser en particulier à la mortification. Dieu en fait
faire de toutes sortes[1746].
Comme l’on n’est pas
toujours orienté vers Dieu, elle reconnaît la nécessité de parfois « faire
des actes » :
Si je suis tourné vers Dieu et que je veuille faire un
acte, je me détourne de Dieu et je me tourne plus ou moins vers les choses
créées, selon que mon acte est plus ou moins fort. Si je suis tourné vers la
créature, il faut que je fasse un acte pour me détourner de cette créature et
me tourner vers Dieu. […] Jusqu'à ce que je sois parfaitement converti, j'ai
besoin d'actes pour me tourner vers Dieu[1747].
Il ne s’agit donc pas
de « rêver sur son balai », comme telle pensionnaire de Saint-Cyr !
Une comparaison éclaire le passage de l’acte « volontaire » à la coopération naturelle
au travail de la grâce :
Lorsque le vaisseau est au port, les mariniers ont peine
à l'arracher de là pour le mettre en pleine mer. Mais ensuite ils le tournent
aisément du côté qu'ils veulent aller. Lorsque l'âme est encore dans le péché
et dans les créatures, il faut, avec bien des efforts, la tirer de là : il
faut défaire les cordages qui la tiennent liée. Puis ramant par le moyen des
actes forts et vigoureux, tâcher de l'attirer au-dedans, l'éloignant peu à peu
de son propre port…
Lorsque le vaisseau est tourné de la sorte […] plus il
s'éloigne de la terre, moins il faut d'effort pour l'attirer. Enfin, on
commence à voguer très doucement et le vaisseau s'éloigne si fort qu'il faut
quitter la rame, rendue inutile. Que fait alors le pilote ? Il se contente
d'étendre les voiles et de tenir le gouvernail.
Étendre les voiles, c'est faire l'oraison de simple
exposition devant Dieu, pour être mû par son Esprit. Tenir le gouvernail, c'est
empêcher notre coeur de s'égarer du droit chemin, le ramenant doucement et le
conduisant selon le mouvement de l'Esprit de Dieu qui s'empare peu à peu de ce
cœur, comme le vent vient peu à peu enfler les voiles et pousser le vaisseau[1748].
Ses
détracteurs l’ont attaquée en utilisant le mot quiétisme qui sous-entend l’idée de repos statique : on ne
fait plus rien, on ne pratique plus les prières, ni même les
vertus puisque Dieu fera tout à notre place. Il est vrai que les termes de
passiveté (et non passivité) et de repos en Dieu demeurent ambigus, lorsque
Mme Guyon écrit à propos des états ultimes :
Cette âme ne se met pas en peine de chercher ni de rien
faire. Elle demeure comme elle est et cela suffit. Mais que fait-elle ?
Rien, rien et toujours rien. Elle fait tout ce qu’on lui fait faire[1749].
La majorité des écrivains spirituels
contemporains de Mme Guyon, dont Bossuet,
se méprennent et s’opposent à l’inaction, en la prenant dans son sens
moderne d’oisiveté et non comme un état où se vit l’action de la grâce divine
au cœur de l’être (in-action). Ainsi
dom Le Masson, l’actif général des Chartreux, adversaire de la « dame
directrice », déclare qu’il ne faut pas laisser
… l’âme dans la malheureuse oisiveté d’inaction que les
Quiétistes se sont formée, sous le prétexte de cette passiveté[1750].
Madame Guyon leur
répond :
…cette action de l'âme est une action pleine de repos.
Lorsqu'elle agit par elle-même, elle agit avec effort. C'est pourquoi elle
distingue mieux alors son action. Mais lorsque elle agit par dépendance de
l'esprit de la grâce, son action est si libre, si aisée, si naturelle qu'il
semble qu'elle n'agisse pas. […] Tous les mouvements que nous faisons par notre
propre esprit empêchent cet admirable Peintre de travailler et font faire de
faux traits. Il faut donc demeurer en paix, et ne nous mouvoir que lorsque Il nous
meut[1751].
La « voie passive
en foi » est la voie toute simple dans la mesure où il n’y a pas de
technique : la grâce divine va répondre à celui qui l’appelle et le chemin
commence :
Tout ce qu'il y a de plus grand dans la religion est ce
qu'il y a de plus aisé. […] De même dans les choses naturelles. Voulez-vous
aller à la mer ? Embarquez-vous sur une rivière et, insensiblement et sans
effort, vous y arriverez[1752].
Se produisent alors
toutes sortes d’expériences : compréhension profonde, amour, paix… et
surtout le mystique s’absorbe de plus en plus dans le courant de grâce.
…l'opération de Dieu, devenant plus abondante, absorbe
celle de la créature, comme l'on voit que le soleil, à mesure qu'il s'élève,
absorbe peu à peu toute la lumière des étoiles […] La créature ne distingue
plus son opération, parce qu'une lumière forte et générale absorbe toutes ses
petites lumières distinctes et les fait entièrement défaillir, à cause que son
excès les surpasse toutes. De sorte que ceux qui accusent cette oraison
d'oisiveté se trompent beaucoup. Et c'est faute d'expérience qu'ils le disent
de la sorte[1753].
Mme Guyon et Fénelon
appellent le lecteur à se référer à l’expérience et à faire confiance aux
spirituels expérimentés ; leurs ennuis sont venus de ce qu’ils avaient
affaire à des clercs qui, se situant à un autre niveau, réclamaient des actions
qui conviennent aux débutants. En effet, pour ceux qui sont arrivés au-delà des
gestes cultuels, des prières formulées, de la pratique volontaire de vertus,
l’effort quel qu’il soit n’a plus de sens. Mme Guyon fit son possible pour
obéir à Bossuet, qui lui ordonnait de faire des prières et demander son salut,
mais elle en était devenue incapable. Fénelon dit bien dans son Gnostique que les mystiques font partie
de l’Église et prient en commun avec tous, mais que leur expérience se situe
au-delà de celle de la majorité des chrétiens.
Mme Guyon insiste dans
sa défense de l’oraison passive :
Quelques personnes, entendant parler du silence dans
l'oraison, se sont faussement persuadées que l'âme y demeure stupide, morte et
sans action. Non, assurément, elle agit plus noblement et plus fortement. Elle
est mue et agie par l'Esprit de Dieu. […] L'on ne dit pas qu'il ne faut point
agir, mais qu'il faut agir par dépendance du mouvement de la grâce[1754].
Elle affirme avec
force que :
…tout l'exercice de l'oraison discursive ou même de la
contemplation active, regardée comme une fin et non comme une disposition à la
passive, sont des exercices vivants par lesquels nous ne pouvons voir Dieu,
c'est-à-dire être unis à Lui[1755].
La passiveté a été
définie par Fénelon dans son Mémoire sur
l’état passif comme
…un état d’amour si purifié qu’il n’admet plus que la
conformité à la chose aimée, en sorte que l’âme ne s’occupe plus volontiers ni
du goût qu’elle peut y trouver ni de la peine qu’elle en souffrirait si elle
cessait d’aimer, ni de la récompense attachée à l’amour ni de son amour même,
mais uniquement de son bien-aimé[1756].
A la limite, l’âme est
tellement amoureuse de Dieu qu’elle devient indifférente à son salut. Si par
une « très fausse supposition », Dieu voulait la damner sans la
priver de son amour, l’âme préférerait être damnée plutôt que perdre son
amour : cette célèbre supposition impossible qui scandalisa Bossuet, était
acceptée depuis Clément d’Alexandrie jusqu’à François de Sales.
« L’école »
de l’amour pur est donc radicale. L’âme se considère comme un néant. Toute
appropriation personnelle doit disparaître pour laisser place à Dieu seul. Le
chemin serait aisé si on laissait agir la grâce. Mais en fait l’âme se croit
propriétaire d’elle-même, de ses états mystiques et de Dieu même.
Après la découverte de
l’intériorité et des prémices où sont données la paix et parfois la jouissance
d’un reflet de la présence divine, l’homme sera purifié jusqu’à être consumé
par le feu divin. Le chapitre XXIV du Moyen
court, traitant du « moyen le plus sûr pour arriver à l'union divine »,
résume cette longue période qui couvre les deux premières des trois voies
traditionnelles, soit la purification et l’illumination (avant l’union) :
…Il faut que sa Sagesse, accompagnée de la divine
Justice, comme un feu impitoyable et dévorant, ôte à l'âme tout ce qu'elle a de
propriété, de terrestre, de charnel et d'actif. […] L'homme aime si fort sa
propriété, et il craint tant sa destruction que, si Dieu ne le faisait lui-même
et d'autorité, l'homme n'y consentirait jamais. L'on me répondra à cela que Dieu
n'ôte jamais à l'homme sa liberté […] je dis qu'il suffit d'un consentement
passif […] parce que s'étant donné à Dieu dès le commencement, pour qu'Il fasse
de lui et en lui tout ce qu'Il voudrait, il [l’homme] fît alors un consentement
actif et implicite à tout ce que Dieu ferait. Mais lorsque Dieu détruit, brûle,
purifie, l'âme ne voit pas que cela lui soit avantageux[1757].
Mme Guyon continue en
décrivant la face lumineuse de cette période, l’action divine dans l’âme :
Dieu, donc, purifie tellement cette âme de toutes
opérations propres, distinctes, aperçues et multipliées, qui font une
dissemblance très grande, qu'enfin Il se la rend peu à peu conforme et enfin
uniforme, relevant la capacité passive de la créature, l'élargissant et
l'ennoblissant, d'une manière cachée et inconnue - c'est pourquoi on l'appelle
« mystique ». Mais il faut qu'à toutes ces opérations l'âme ne travaille que
passivement[1758].
La grâce opère à
l’envers des tendances naturelles d’accroissement propriétaire, par un
« creusement » de l’être humain :
Ceux en qui Dieu
est saint, ne sont pas des pierres ou médailles de relief, mais des pierres
gravées profondément, comme celle des cachets. C’est Dieu qui S’imprime
profondément en eux, qui est leur véritable sainteté. Il ne paraît au-dehors de
ceux-là qu’une concavité. On n’en peut discerner la beauté qu’en les imprimant
sur la cire, c’est-à-dire qu’on ne les connaît qu’à leur souplesse et à la
perte de toute leur propriété et de tous les apanages de la volonté propre, au
lieu que les premiers ont des volontés fortes et puissantes et un jugement
raide[1759].
Sans le savoir, Mme
Guyon se situe dans la tradition du chartreux Hugues de Balma (~1300), auteur
d’une Théologie mystique des trois
voies (qu’elle n’aura pas lue) :
Parce qu'il [le
mystique] ne s'attribue pas en effet les choses qu'il possède, mais les fait
toutes tourner à la louange du dispensateur de toutes choses, il creuse en soi
une concavité en luttant contre soi-même avec plus de vérité. Par elle,
l'abondante pluie des grâces divines, franchissant monts et collines,
s'introduit dans les endroits moins élevés, de telle sorte que plus grande aura
été la concavité de l'humilité, plus elle sera capable de recevoir une grâce
plus abondante[1760].
Ce
« creusement » est en quelque sorte céder à l’opération de
Dieu : la passiveté succède peu
à peu à l’action. Alors naît une liberté nouvelle, car la « mort »
subie par le pèlerin spirituel est un passage et non un terme.
Dans la Correspondance de la fin de sa vie, Mme
Guyon redira la même chose en termes encore plus simples :
…Il vous faut maintenant un tel oubli de vous-même que
vous ne songiez pas même volontairement si vous êtes d’une manière ou d’une
autre. Il faut faire le saut de la perte totale, qui consiste à se laisser à
Dieu pour le temps et l’éternité en sorte que tout ce qui nous touche ne nous
regarde plus[1761].
C’est l’époque
où :
la foi nue dépouille l’âme et la vide de tout ce qu’elle
avait reçu dans la foi savoureuse, et la défigure si fort […] C’est
pourquoi elle perd peu à peu l’amour d’elle-même et les propriétés, perdant les
choses qui la rendaient propriétaire ; et en perdant tout de cette sorte,
elle s’anéantit peu à peu et Dieu prend la place et remplit son vide et son
néant, de sorte que, perdant tout, on trouve tout[1762].
Car cet anéantissement
de soi n’a pas pour but de laisser la place au néant[1763].
Mme Guyon demande en une prose magnifique que l’âme laisse la place à
l’Amour absolu :
…mais ce que Dieu demande le plus de vous est l’étendue
du cœur, la largeur, l’oubli de vous, la désoccupation de vous-même, la perte
de tous vos intérêts d’âme, de corps, de temps, d’éternité : vous devez
vous jeter dans les bras de l’amour … Allons, le temps est court.
Enfonçons-nous dans cette mer d’amour éternel … Quand sera-ce que nous ne
saurons plus si nous allons et comme nous allons, n’ayant plus de marcher [sic], mais nous laissant emporter par ce
tourbillon infini qui nous fera faire plus de chemin en un moment que nous n’en
ferions par nos pas en mille années[1764] ?
L’âme est
ressuscitée : la vie divine n’est pas une mort, mais la vie même :
…l’âme reprend une véritable vie […]
Pour être ressuscitée, l’âme doit faire les mêmes actions qu’elle faisait
autrefois avant toutes ses pertes, et sans nulle difficulté ; mais elle
les fait en Dieu[1765].
Elle a perdu le créé pour l’incréé,le rien pour le tout…[1766]
Cet état n’est plus un
« état », car il est naturel pour ainsi dire : les
« inclinations de Jésus-Christ » sont là, se font en elle « si
aisément qu’il semble qu’elles lui soient devenues naturelles[1767]. »
Quelle différence de cette âme à une personne toute dans
l’humain ? La différence est que c’est Dieu qui la fait agir sans qu’elle
le sache et auparavant c’était la nature qui agissait[1768].
Mme Guyon eut le tort
d’affirmer une liberté totale qui, mal comprise, pose problème aux autorités
établies, qui se plient nécessairement à des règles de prudence. En réalité,
les contraintes habituelles n’ont plus place parce que seule compte l’impulsion
donnée par le divin :
La liberté dont je parle n'est pas de cette nature :
elle a facilité pour toutes les choses qui sont dans l'ordre de Dieu et de son
état…[1769]
La liberté est absolue parce que l’on est
détaché de tout et parce qu’il n’y a plus que Dieu, au terme d’une voie ardue,
dans un dépouillement absolu. Ces textes ne décrivent l’expérience que de
quelques personnes.
A l’intention de celui
qui est arrivé là, Mme Guyon témoigne en décembre 1709 :
Dans ces derniers temps, je ne puis parler que peu ou
point de mes dispositions : c’est que mon état est devenu simple et
invariable. […] Le fond de cet état est
un anéantissement profond, ne trouvant rien en moi de nominable. Tout ce que je
sais, c'est que Dieu est infiniment saint, juste, bon, heureux […] rien ne
subsiste en moi, ni bien ni mal. Le bien est en Dieu, je n'ai pour partage que
le rien. […] Tout est perdu dans l'immense, et je ne puis ni vouloir, ni
penser. […] Décembre 1709 [1770].
Sa prière s’est
totalement transformée :
Il semble que je vous porte partout sitôt que je suis
seule en paix, et il se fait en moi une prière continuelle qui est comme un
état inséparable de mon fond, lequel est fixe et invariable quoique la
disposition varie[1771].
Un tel état d’union
est commun aux mystiques accomplis. Marie de l’Incarnation partageait cet état,
elle qui écrivait dans sa Relation de
1654, âgée alors de cinquante-cinq ans :
Il ne se peut dire la paix et la grande tranquillité que
l’âme possède, se voyant entièrement libre de ses liens et rétablie en tout ce
qu’elle avait perdu […] comme ayant eu diverses affaires depuis que je suis en
Canada […] L’on prenait souvent mon procédé comme provenant de mon naturel […]
l’on ne voyait pas que, mon esprit étant possédé de cet Esprit des maximes du
Fils de Dieu, j’agissais par ce principe […] Dans les susdits emplois, mon
esprit était toujours lié à cet Esprit qui me possédait[1772].
Cette plénitude de la vie mystique n’est pas
vécue comme une expérience personnelle et solitaire : à cet état ultime et
permanent, est associée, chez Mme Guyon, la possibilité de transmettre la grâce
de personne à personne et c’est pourquoi elle l’appelle « état
apostolique » en référence aux apôtres qui reçurent le Saint-Esprit à la
Pentecôte et pouvaient Le transmettre. La grâce utilise alors un canal humain
pour passer. Mme Guyon a découvert cette expérience assez tardivement, à l’âge
de quarante-quatre ans en 1682. Il s’agit d’un état spécifique de vide, même si
Mme Guyon perçoit le passage de la grâce par son canal, en l’absence de toute
volonté propre et sans intentionnalité[1773].
Cette « prière » de caractère surprenant et rare a fait l’objet
d’incrédulité et de sarcasmes, en particulier de la part de Bossuet. A l’époque
moderne, elle est parfois sujet de curiosité et d’étude pour des érudits
modernes[1774]. En
réalité, elle a toujours été connue dans le monde entier à toutes époques. On
la trouve chez les orthodoxes, par exemple chez Séraphim de Sarov. On en trouve
aussi des indices chez les Pères du désert[1775],
peut-être dans le Carmel, et chez Monsieur Olier[1776].
Mais compte tenu de l’existence de communautés fermées chez les catholiques, on
en parle peu. La possibilité d’être un canal de grâce pour autrui est déjà
évoquée par Bertot, mais Mme Guyon l’a explorée et a osé en parler et la décrire. Son
témoignage est donc particulièrement précieux.
Elle a pris conscience que la grâce pouvait
l’utiliser comme « un canal de communication » sans que sa volonté
propre intervienne, ce dernier point étant absolument nécessaire. Ces
communications se passaient pendant des oraisons silencieuses en commun, mais
étaient vécues aussi à distance :
Ceux que Dieu unit à sa paternité divine, ont un don de
se communiquer intérieurement à leurs enfants de grâce, et Dieu s’en sert comme
d’un canal de communication. Ils ont encore une autre qualité, qui leur coûte
cher et qui est de souffrir pour leurs enfants, de porter leurs faiblesses et
leurs langueurs ; et les enfants éprouvent de leur côté qu’ils ont auprès
de leur père ou mère de grâce une onction toute particulière ; c’est
pourquoi ils éprouvent qu’il leur est communiqué quelque chose par le fond
qu’ils ne reçoivent de nulle autre part[1777].
La transmission de la
grâce divine se situe bien loin de toute intention qui serait un exercice
subtil de la volonté propre, mais dans une extrême soumission à cette
« main de Dieu qui donne », dans un vide de soi-même et des créatures[1778] :
Si son propre salut ne la touche pas alors, celui des
autres ne le fait pas non plus ; cependant, elle y est employée et elle y
travaille par providence, mais sans soin ni souci, sans y penser, sans s’en
occuper, sans se soucier du succès : tout périrait et renverserait qu’elle
n’en serait point touchée. Tout lui est Dieu, et Dieu est tout : la gloire de
Dieu se trouve autant dans la destruction que dans l’édification. On ne sait
plus alors ce que c’est que parents, amis, biens, enfants, intérêt, [604]
honneur, santé, vie, salut, gloire, éternité : tout cela ne subsiste plus
pour une telle âme ; Dieu est toutes ces choses en Lui et pour Lui[1779].
Mais il y a l’association très étroite du vide à la plénitude, tandis que
cette « communication » est ressentie par tous dans un état de paix
ou parfait repos :
Quand l’âme a perdu et tout pouvoir propre et toute
répugnance à être mue et agie selon la volonté du Seigneur, alors Il la fait
agir comme Il veut […] Quand Dieu la meut vers un cœur, à moins que ce cœur ne
refusât lui-même la grâce que Dieu veut lui communiquer, ou qu’il ne fût mal
disposé par trop d’activité, il reçoit immanquablement une paix profonde […]
Quelquefois plusieurs personnes reçoivent dans le même temps l’écoulement de
ces eaux de grâce; et cela à proportion que leur capacité est plus ou moins
étendue, leur activité moindre et leur passiveté plus grande[1780].
Cette transmission ne
dépend que de Dieu seul et s’effectue le plus parfaitement en silence. Elle
suppose un accord au niveau du recueillement des personnes qui est souvent
favorisé par une proximité physique tandis que le transmetteur est affranchi de
toute inclination naturelle :
Vous m’avez demandé comment se faisait l’union du
cœur ? Je vous dirai que l’âme étant entièrement affranchie de tout
penchant, de toute inclination et de toute amitié naturelle, Dieu remue le cœur
comme il Lui plaît; et saisissant l’âme par un plus fort recueillement, Il fait
pencher le cœur vers une personne. Si cette personne est disposée, elle doit
aussi éprouver au-dedans d’elle-même une espèce de recueillement et quelque
chose qui incline son cœur […] Cela ne dépend point de notre volonté : mais
Dieu seul l’opère dans l’âme, quand et comme il Lui
plaît, et souvent lorsque on y pense le moins. Tous nos efforts ne pourraient
nous donner cette disposition; au contraire notre activité ne servirait qu’à
l’empêcher[1781].
On trouve de nombreux
textes parallèles décrivant les modalités de la transmission dans la Vie par elle-même[1782] et
dans les Explications des deux
Testaments :
Ils se parlent plus du cœur que de la bouche ; et
l’éloignement des lieux n’empêche point cette conversation intérieure. Dieu unit ordinairement deux ou trois personnes […] dans une si grande unité, qu’ils se
trouvent perdus en Dieu […] l’esprit demeurant aussi dégagé et aussi vide
d’image que s’il n’y en avait point. […] Dieu fait aussi des unions de filiations,
liant certaines âmes à d’autres comme à leurs parents de grâce[1783]. »
Les Lettres parlent sans cesse de cette
expérience commune aux amis de Mme
Guyon. Tentant de la décrire, elle écrit au duc de Chevreuse :
Ce n’est point une conversation de paroles successives,
mais une communication d’onction, de lumière et d’amour. Le fer frotté d’aimant
attire comme l’aimant même. Une âme désappropriée, dénuée et simple et pleine
de Dieu, attire les autres âmes à Lui…[1784]
Cette expérience bouleversante, Fénelon l’a
ressentie à sa grande surprise, et c’est ce qui explique sa fidélité absolue à
Mme Guyon malgré les pressions extérieures (mais après avoir exploré les
compromis possibles). Fénelon avait des préventions contre une femme laïque et
de tempérament si différent du sien, mais il savait par expérience qu’en
sa présence et dans le silence, il recevait une communication spirituelle.
C’est la raison pour laquelle il ne l’a jamais reniée et l’a aidée autant qu’il
l’a pu, au grand étonnement de leurs juges, navrés de cet attachement
incompréhensible. Dans ses lettres, il la reconnaît explicitement comme
« canal » de grâce pour lui :
Je suis de plus en plus uni à vous, madame, en Notre
Seigneur, et j’aimerais mieux mille fois être anéanti que de retarder un seul
instant le cours des grâces par le canal que Dieu a choisi. [1785]
Celle-ci affirme son lien intérieur avec
Fénelon, qu’elle considère comme son fils spirituel le plus proche.
Je me sens depuis hier dans un renouvellement d’union
avec vous très intime. Il me fallut hier rester plusieurs heures en silence si
remplie que rien plus. Je ne trouvais nul obstacle qui pût empêcher mon cœur de
s’écouler dans le vôtre. …[1786]
Elle lui écrit au
début avril 1690 :
…j’ai cette confiance que si vous voulez bien rester uni
à mon coeur, vous me trouverez toujours en Dieu et dans votre besoin[1787].
A cette confiance,
Fénelon répond combien il a besoin de s’appuyer sur elle :
Si vous veniez à manquer, de qui prendrais-je avis ? ou
bien serais-je à l’avenir sans guide ? Vous savez ce que je ne sais point et
les états où je puis passer. C’est à vous à savoir et à me dire simplement les
vues que Dieu vous donne pour moi sur cela. [...] Je puis me trouver dans
l'embarras ou reculer sur la voie que vous m'avez ouverte […] Je me jette tête
première et les yeux bandés dans l'abîme impénétrable des volontés de Dieu. Lui
seul sait ce que vous m'êtes en Lui […] je vous perds en Lui comme je m'y perds[1788].
Fénelon était son disciple le plus cher, et
un jour où elle était malade et croyait
mourir, elle lui écrivit pour lui léguer la direction de leur groupe spirituel
:
Je vous laisse l’esprit directeur que Dieu m’a donné[1789].
Cette succession n’eut
jamais lieu, car Fénelon mourut avant elle.
De nombreuses
personnes bénéficièrent de ce don de grâce. Nobles ou gens simples, c’est cette
expérience profonde qui attirait les gens venus à Blois les dernières
années de sa vie comme l’avaient été les religieuses chartreuses dès
1685 : en sa présence, l’expérience
mystique était si prégnante que les amis qui la connurent ne pouvaient la
renier, même pour obéir à l’Église, dont ils reconnaissaient pourtant faire
intimement partie. Le seul témoignage qui nous
soit parvenu, décrit, sur un ton peut-être trop hagiographique, comment ses
amis plongeaient dans l’intériorité spontanément auprès d’elle, sans nulle
suggestion orale ou rappel de sa part :
Elle vivait avec ces Anglais [des Écossais] comme une
mère avec ses enfants. […] Souvent ils se disputaient [à propos de
politique : le premier soulèvement écossais des jacobites eut lieu en 1715], se brouillaient ; dans ces
occasions elle les ramenait par sa douceur et les engageait à céder ; elle
ne leur interdisait aucun amusement permis, et quand ils s’en occupaient en sa
présence, et lui en demandaient son avis, elle leur répondait :
« Oui, mes enfants, comme vous voulez ». Alors ils s’amusaient de
leurs jeux, et cette grande sainte restait pendant ce temps-là abîmée et perdue
en Dieu. Bientôt ces jeux leur devenaient insipides, et ils se sentaient si
attirés au-dedans que, laissant tout, ils demeuraient intérieurement recueillis
en la présence de Dieu auprès d’elle.
On y voit aussi une
amusante façon de vivre l’œcuménisme tout en respectant les
interdits cultuels de l’époque :
Quand on lui apportait le Saint Sacrement, ils se tenaient
rassemblés dans son appartement, et à l’arrivée du prêtre, cachés derrière le
rideau du lit, qu’on avait soin de fermer pour qu’ils ne fussent pas vus parce
qu’ils étaient protestants, ils s’agenouillaient et étaient dans un délectable
et profond recueillement, chacun selon le degré de son avancement, souvent
aussi dans des souffrances [de purification] assorties à leur état[1790].
Un tel vécu montre que
l’expérience mystique se situe en amont des religions et des clivages créés par
des structures religieuses. Baruzi et Bergson pensaient que l’expérience
mystique est universelle et a-dogmatique : elle témoigne qu’il existe un
au-delà du corps et du psychisme. Dans ses découvertes textuelles, Bremond
appelait à retrouver les « traces d’un fond ineffable qui se
répète à l’identique à toutes époques, depuis l’homme des cavernes ». Le
lecteur doit surmonter l’éventuelle étrangeté de ce témoignage avant de se
laisser saisir par la véracité et la précision de l’explorateur d’une terre
inconnue. Ces textes véridiques, car destinés à des amis définis et très
personnellement connus, témoignent d’une expérience acquise « sur le
terrain » et située au-delà des frontières connues de la psychologie ou de
la religion traditionnelle.
Ce bref manuel, qui
enseigne à tous de façon accessible la pratique de l’oraison, fut écrit en
Savoie-Piémont peu après les Torrents,
dont il constitue en quelque sorte une simplification. Il fut imprimé à
Grenoble en mars 1685, et rencontra un succès certain[1791] :
les capucins en auraient pris quinze cents exemplaires et il pénétra chez les
chartreuses, ce qui provoqua une mémorable intervention de leur Général, dom Le
Masson, qui jugea son autorité mise en cause. Les rééditions accompagnées
d’approbations chaleureuses furent nombreuses, en particulier à Paris et à
Rouen, les deux premières villes du royaume.
Mais le petit ouvrage,
dénoncé en 1687 par l’évêque de Genève in
partibus, dans sa Lettre pastorale
contre le quiétisme rédigée à la suite de la condamnation de Molinos, fut
mis à l’index en 1688. En 1690, Jean-Jacques Boileau[1792] à
qui Nicole, puis Fénelon avaient adressé Mme Guyon à la fin de l’hiver,
sollicita une Courte apologie (qui
resta inédite jusqu’en 1712). Cela n’empêcha pas quelques années plus tard sa
diffusion à Saint-Cyr, à l’époque où Mme de Maintenon semblait touchée par la
grâce. Puis les autorités contestèrent les écrits de Mme Guyon : les
exemplaires du Moyen court furent
finalement recherchés et confisqués en 1693, lors de la visite canonique à
Saint-Cyr de l’évêque de Chartres, Godet des Marais.
Finalement,
l’affrontement entre les membres du cercle « quiétiste » animé par
madame Guyon et les autorités civiles et religieuses devint public et fit
l’objet d’Ordonnances successives :
celles-ci forment la base canonique dont il faut partir pour déterminer la
teneur des critiques de fond. Les principales Ordonnances se succèdent d’octobre 1694 à fin novembre 1695. Partir
du corpus des textes épiscopaux
permet de relever les principales objections dogmatiques. S’y adjoindra par la
suite une immense littérature secondaire de controverses et de libelles,
jusqu’au Bref romain de 1699. De
cette confusion se détachent par leur valeur les figures de Bossuet et de
Nicole d’une part, de Fénelon et de dom Claude Martin d’autre part.
Comme le Moyen court concentrait le feu des
critiques, le déroulement des Ordonnances[1793] nous paraît mériter un exposé bref mais
précis des objections anti-quiétistes du magistère catholique[1794], en
nous limitant au tout début d’une « querelle du quiétisme »
rapidement confuse.
L’archevêque de Paris,
Harlay, mécontent d’avoir été mis à l’écart des premières conversations d’Issy,
prend les devants dès le 16 octobre 1694. Il censure trois livres : l’Analysis orationis Mentalis du P.
Lacombe, le Moyen court et Le Cantique.
Son texte est court. Il condamne « l'idée chimérique... de faire parvenir
les âmes à la perfection... jusqu'à rendre ridiculement la contemplation commune
à tout le monde même aux enfants de quatre ans », ce qui « donne
atteinte à des vérités essentielles de la Religion ... Par l’extinction de la
liberté dans les contemplatifs, en qui elle ne reconnaît qu’un consentement
passif aux mouvements que Dieu produit en eux... Par la persuasion illusoire
qu’elle établit d’un affranchissement de toute règle et de tout moyen, de tout exercice de piété, etc. et d’un
bonheur qu’elle suppose dans l’oubli des péchés... Par l’assurance imaginaire
qu’elle insinue qu’on possède Dieu dès cette vie en lui-même et sans aucun
milieu, qu’on l’y connaît sans espèces même intellectuelles...» Enfin il achève
par ce qui apparaît comme le plus condamnable : « les auteurs y
déclarent ... une fécondité qui met par
état dans la vie apostolique ». La censure publiée est « lue dans
toutes les communautés » le dimanche 24 octobre.
Puis, à la suite des
« entretiens d’Issy » et de la rédaction finale du compromis en 34
articles, contresigné le 16 avril 1695 par Mme Guyon (elle fait toutefois
précéder sa signature d’une formule restrictive), Bossuet ouvre le feu, et
publie son Ordonnance « sur les
état d’oraison » : elle est datée du 16 avril et publiée le 1er
mai. Il cite, à la fin d’une introduction combative, le Guide de Molinos, La pratique
de Malaval, Le Moyen court, la Règle des associés à l’Enfant-Jésus, Le Cantique, l’Orationis. Après un rappel
des condamnations romaines de 1687, il se réfère à la « judicieuse »
ordonnance du 16 octobre où « plusieurs propositions ... sont
proscrites » par Harlay. Il résume clairement mais sans nuances cinq
« erreurs » quiétistes : « ils excluent de la haute
contemplation l’humanité sainte de Notre Seigneur Jésus-Christ », ils
avancent « une fausse générosité et une espèce de désintéressement
» ; le « troisième moyen de connaître ces faux docteurs » est de
relever leur suppression de « tous les actes » ; leur
« quatrième marque » est de s’opposer à la mortification ; enfin il
leur est reproché de ne « louer communément que les oraisons
extraordinaires » ! Ce texte de combat est suivi de l’impression des 34 Articles sur les états d’oraison d’Issy,
dont on pouvait attendre une édition irénique puisqu’il s’agissait d’un
« accord » conclu entre les parties, plus particulièrement entre
Bossuet et Fénelon.
En même temps,
Noailles, l’évêque de Châlons qui participa aussi aux entretiens d’Issy et
succédera bientôt à Harlay comme archevêque de Paris, publie chez l’imprimeur
Seneuze à Châlons, en seize pages denses, son Ordonnance « Contre les erreurs du quiétisme, portant
condamnation de quatre livres » : il s’agit de l’Analysis,
du Moyen court, de la Règle des Associés, du Cantique. Noailles s’oppose aux
conceptions quiétistes de l’indifférence, de l’abandon, du repos, de
l’anéantissement ; il fait l’effort de les définir, puis reproduit les 34 Articles d’Issy. Datée du 12 avril, jour
où madame Guyon subissait la visite tempétueuse de Bossuet au couvent de Meaux,
l’Ordonnance aurait été publiée vers le 15 mai.
Jusqu’ici on a
condamné, mais sans citations méthodiques ! L’évêque de Chartres Godet des
Marais porte à cinq le nombre des ouvrages condamnés : l’Analysis, le Moyen court, la Règle des
associés, Le Cantique, et surtout
un manuscrit, Les Torrens, dont des
exemplaires avaient été saisis par lui-même à Saint-Cyr au mois d’août. Il
apporte une contribution nouvelle en publiant 63 extraits jugés condamnables[1795]. Le
grand intérêt de cette quatrième Ordonnance
vient donc de la présence des extraits qui ont particulièrement soulevé
l’opposition ecclésiastique. Ils sont réalisés selon l’habitude du temps, par
collage de segments de texte, sans indiquer les coupures pratiquées (il s’agit
parfois de larges sauts), rarement innocentes. Le manuscrit utilisé s’avère
très proche de « G » sinon lui-même.
Les quatre Ordonnances portent donc sur huit textes
: Guide, Pratique, Analysis, Moyen court, Règle des associés, Cantique,
Torrents. Quatre auteurs sont
concernés, tandis que quatre textes sont de la main de madame Guyon, et sont
les seuls cités. Nous avons relevé en notes à nos éditions les 63 extraits
jugés condamnables.
Un travail en
profondeur permettant de mieux cerner les condamnations des évêques devrait
tenir compte de l’analyse de nombreux écrits postérieurs, dont la masse croît
exponentiellement avec le temps. S’en détachent deux écrits officiels provenant
du nouvel archevêque de Paris : Noailles, qui a succédé à Harlay, douze
jours après la mort subite de ce dernier le 6 août 1695, publie en effet, en
1697, contre les Maximes des Saints
de Fénelon, l’Instruction pastorale sur la perfection chrétienne et sur la vie
intérieure. Contre les illusions des faux mystiques[1796].
Puis, en 1699, le même Noailles publie son Mandement reproduisant la condamnation par Innocent XII de 23
propositions extraites de l’Explication
des Maximes.
Le Moyen court a été publié en sept années
différentes entre 1685 et 1720 :
(1) 1685, J.
Petit , Grenoble, que nous citons « G ».
(2) 1686, A. Briasson,
Lyon, « L » ; A. Warin, Paris.
(3) 1690, Paris et
Rouen, « R ».
(4) 1699, Cologne
[Amsterdam], par Poiret, « 1699 ».
(5) 1704, par Poiret,
« 1704 ».
(6) 1712, par Poiret,
« 1712 ».
(7) 1720, par Poiret,
« 1720 », réédité à l’identique par Dutoit en 1790.
La première édition
critique réalisée par M.-L. Gondal en 1995 (J. Millon, Grenoble), reprise à
l’identique en 2001 (Mercure de France, Paris), donne le « premier
jet » (1) 1685, ainsi que les variantes de « L » et de
« R ».
Nous avons choisi de
donner le « dernier état » (7) 1720. Nos variantes proviennent
surtout de « G », car les éditions de Poiret reprennent probablement
celle de Rouen (deuxième ville du Royaume dont le port est en relation avec la
Hollande) et demeurent identiques entre elles (à la différence du cas complexe des Torrents).
Nous adjoignons au Moyen court des extraits de la Courte Apologie (que nous omettons par
ailleurs) et surtout nous adjoignons
au Moyen court puis au Torrents les éclaircissements que Mme
Guyon apporta à ces œuvres « de jeunesse » : rédigés en 1694,
ils furent publiés dans les Justifications
sous forme de notes attachées à des extraits des œuvres. Nous avons déjà évoqué
la grande valeur spirituelle de ces précisions, ce qui justifie de les
présenter ici avec un minimum de coupures, même au prix de quelques notes
longues. Dans ce dernier cas, peu fréquent, nous en résumons brièvement l’objet
en note et les reportons en appendices
qui figurent en fin de l’œuvre concernée : séparées par dix années, les
oeuvres de jeunesse « dialoguent » avec les réflexions qu’elles
suscitent dans la pleine maturité. La série des éclaircissements ne pourrait
d’ailleurs pas être éditée séparément.
Nous ajoutons
également les repérages et les variantes des soixante-trois passages relevés
dans l’unique Ordonnance dont le
rédacteur s’est donné la peine de citer avec méthode l’auteur incriminé. Ceci
constitue un élément central appartenant au « dossier » du procès.
Dans cette sélection, peut-être l’œuvre d’un clerc au service de Godet des
Marais, les points de friction sont soulignés et des gauchissements sont
perceptibles : ils constituent des résumés « orientés ».
Comme indiqué
précédemment dans l’Avertissement
commun aux œuvres, nous modernisons l’orthographe, la ponctuation, et reprenons
le découpage des paragraphes.
Dans sa Vie par elle-même, Mme Guyon décrit les
circonstances et le caractère spontané de la première écriture de son œuvre la
plus connue[1797] :
Dans cette retraite, il me vint un si fort mouvement
d'écrire que je ne pouvais y résister. La violence que je me faisais pour ne le
point faire me faisait malade et m'ôtait la parole. Je fus fort surprise de me
trouver de cette sorte, car jamais cela ne m'était arrivé. Ce n'est pas que
j'eusse rien de particulier à écrire, je n'avais chose au monde ni pas même une
idée de quoi que ce soit. C'était un simple instinct, avec une plénitude que je
ne pouvais supporter. J'étais comme ces mères trop pleines de lait, qui
souffrent beaucoup. Je dis au Père La Combe après beaucoup de résistance la disposition où
je me trouvais, il me dit qu'il avait eu de son côté un fort mouvement de me
commander d'écrire, mais qu'à cause que j'étais si languissante qu’il n'avait
osé me l'ordonner. Je lui dis que ma langueur ne venait que de ma résistance,
que je croyais qu'aussitôt que j'écrirais, cela se passerait. Il me demanda :
« Mais que voulez-vous écrire ? » Je lui dis : « Je n'en
sais rien, je ne veux rien, et je n'ai nulle idée, et je croirais même faire
une grande infidélité de m'en donner une, ni de penser un moment à ce que je
pourrais écrire. » Il m'ordonna de le faire. En prenant la plume, je ne
savais pas le premier mot de ce que je voulais écrire. Je me mis à écrire sans
savoir comment, et je trouvais que cela venait avec une impétuosité étrange. Ce
qui me surprenait le plus était que cela coulait comme du fond et ne passait
point par ma tête. Je n'étais pas encore accoutumée à cette manière d'écrire ;
cependant j'écrivis un traité entier de toute la voie intérieure sous la
comparaison des rivières et des fleuves. Quoiqu'il soit assez long et que la
comparaison y soit soutenue jusqu'au bout, je n'ai jamais formé une pensée ni
n'ai jamais pris garde où j'en étais restée et, malgré des interruptions
continuelles, je n'ai jamais rien relu que sur la fin, où je relus une ligne ou
deux à cause d'un mot coupé que j'avais laissé ; encore crus-je avoir fait une
infidélité. Je ne savais avant d'écrire ce que j'allais écrire ; était-il
écrit, je n'y pensais plus. J'aurais fait une infidélité de retenir quelque
pensée pour la mettre, et Notre Seigneur me fit la grâce que cela n'arriva pas.
A mesure que j'écrivais, je me sentais soulagée et je me portais mieux.
Le premier jet date de
l’été 1682 : c’est donc une œuvre de relative jeunesse puisque Mme Guyon a
vécue tout juste la moitié de son existence. Elle y compare le chemin spirituel
à un torrent, mais il manquait des précisions sur sa fin : le lac ou la
mer où se mêle l’eau du torrent parvenu au terme de sa course.
Insatisfaite du
dernier chapitre de sa première écriture, qui précédait une Conclusion […] à son confesseur, elle ajouta donc une « seconde
partie », où elle précise cet achèvement, ceci à une date indéterminée,
précédant toutefois 1695 [1798].
Après sa sortie de prison en 1703, elle révisa et compléta le texte, corrigeant
« un grand nombre de formules peu heureuses[1799] ».
Cette seconde partie des Torrents a
été souvent négligée parce qu’elle abandonne la comparaison avec le cours d’eau
qui fait le charme de la première ; mais, ajoutée après coup, elle couvre
l’essentiel de la vie mystique.
Orcibal fait le récit suivant relatif à l’histoire manuscrite :
Mme
Guyon ne chercha jamais à publier les Torrents,
mais, après son retour à Paris en 1686, elle montra l'écrit à la duchesse de
Charost qui "en fit un grand état" et à un confesseur, le P. du
troisième Ordre Paulin d'Aumale, "sans lui permettre cependant d'en
prendre de copie". Le religieux le "trouva fort spirituel", bien
qu'il y eût "des choses qu'il n'approuvait pas". Le duc de Chevreuse
en eut communication et, le 12 mai 1693, Mme Guyon lui permettait même d'en
"faire lire le commencement" à J. J. Boileau qui avait déjà examiné
son Moyen Court. Les 23 et 24 août
1693, elle plaçait beaucoup plus de confiance dans le jugement qu'en ferait
Bossuet, ajoutant : "S'il y a quelque chose de trop fort dans les Torrents,
je l'expliquerai et, si je me suis trompée dans ce que j'ai écrit, je suis
ravie d'être redressée". Hélas ! Dès le 30 septembre 1693 Bossuet disait
"avoir vu un écrit des Torrents,
fort mauvais". Mais il ne devait s'agir que d'une copie sans autorité,
puisque le ler septembre 1694 on demanda au P. Paulin d'Aumale
l'attestation que c'était "le même écrit que je me souviens d'avoir lu
autrefois mot à mot et qui m'avait été prêté par Mme Guyon". Le 6
décembre 1694, Bossuet et Noailles posèrent à celle-ci huit questions sur des
expressions des Torrents et M. Tronson compléta le 12 l'interrogatoire :
elle donna des réponses satisfaisantes, mais incomplètes. Une fois à Meaux,
elle déclara solennellement à Bossuet les 15 avril et 1er juillet 1695 :
"Quant aux manuscrits qu'on répand sous mon nom, notamment celui qu'on
nomme Torrens ... je n'en puis avouer
aucun à cause des altérations qu'on a faites dans les copies". Aussi
l'ouvrage ne fut-il pas mentionné dans les Instructions
pastorales de Bossuet et de Noailles d'avril 1695.
Jusqu’ici demeure l’espoir d’une compréhension
ou du moins d’un accommodement par transaction entre d’une part Mme Guyon, la
duchesse de Charost, aînée du groupe fondé par Bertot, le duc de Chevreuse
devenu confident, et d’autre part Paulin d’Aumale, Bossuet et Noailles, enfin
Tronson agissant peut-être comme modérateur. Mais, après le traitement de choc par Bossuet
auquel fut soumise Mme Guyon lors de son séjour volontaire à la Visitation
de Meaux :
Tout changea après que Mme Guyon se fut enfuie de Meaux
et, le 21 novembre 1695, l'évêque de Chartres Godet-Desmarais publia un
mandement où il dénonçait une soixantaine de propositions de Mme Guyon, dont
près de vingt, et les plus accablantes, étaient tirées d'un manuscrit des Torrents communiqué par Bossuet.
L'accusée protesta avec indignation dans une lettre du 27 au duc de Chevreuse:
"Ceux qui ont transcrit ... l'écrit des Torrens ... avec une fin malicieuse" ont "ajouté des
endroits et tronqué d'autres qui le rendent tout à fait différent de
lui-même". [1800].
On trouvera dans les
63 propositions dont nous repérons les collages au fil du texte des Torrents des gauchissements qui
justifient les protestations de madame Guyon.
Quatre
manuscrits des Torrents sont actuellement
connus:
-
le ms. (R) des Archives générales O.
P. , Rome, Sainte - Sabine, XIV, 461a, envoyé sans doute par Bossuet en 1698
avec l' attestation du P. Paulin d' Aumale ;
-
le ms. (G) des Archives de Saint -
Sulpice 2056 muni du même certificat. La table (dressée par un sulpicien en
1700 - 1703) précise : "Cette copie a été faite sur celle de M. l'évêque
de Chartres qui a fait transcrire la sienne sur celle de M. l'évêque de Meaux,
lequel assure que la sienne est fidèle. Elle diffère du manuscrit suivant qui
nous a été envoyé d' Autun" (p. 241).
-
Nous désignons par (A) cette autre pièce du même ms. 2056.
-
Enfin le ms. 169 de la B. M. de Sens
(S) a appartenu à l'archevêque Languet de Gergy dont le nom est bien connu des
historiens de Fénelon et de Mme Guyon.
Les
mss. A et S ne portent pas le
certificat du P. Paulin, mais R, G et S semblent remonter à un archétype commun[1801].
Mme Guyon protestera
contre l’utilisation de copies peu sûres (ou tronquées) des Torrents et veillera sur son œuvre de
jeunesse[1802]. Il
faut attendre 1699 pour voir la première édition hollandaise de Pierre Poiret
incluant la première partie des Torrents.
L’ « Avertissement », qui ne serait pas de Poiret, soulève
clairement les points les plus difficiles à admettre par ses détracteurs
« anti-mystiques » - et aussi par de nombreux observateurs
« neutres » :
Ceux qui les ont vus [les manuscrits cités auparavant]
et qui prétendent la convaincre de quiétisme, disent qu'elle fait remarquer
trois sortes de choses extraordinaires en elle : la première qui regarde les
communications intérieures en silence, laquelle elle dit être très aisée à
justifier par le grand nombre de personnes de mérite et de probité, qui en ont
fait l'expérience. Pour les choses à venir, c'est une matière sur
laquelle elle ne désire pas trop qu'on fasse attention [...] Au regard des
communications, on lui fait dire que Dieu lui donne une abondance de grâce
[...] on n'a qu'à s'asseoir en silence auprès d'elle, et l'on y reçoit la grâce
[...] mais puisque l'évêque de Meaux et les autres prélats de son parti,
toléraient Madame Guyon, qu'ils l'admettaient à la communion, et qu'ils ne se
sont déchaînés contre elle que depuis qu'ils ont été animés contre l'archevêque
de Cambrai, il y a bien plus d'apparence que c'est elle qui est victime de cet
archevêque. L'amitié que ce prélat lui avait témoignée lui est devenue
funeste...[1803].
Il faut attendre 1712
pour que Poiret puisse donner le texte complet augmenté d'après « deux
manuscrits qu'on croit être du nombre des meilleurs », assez proches de
celui d’Autun. Pour Orcibal :
Cette fois il s'agit d'un texte révisé et complété par
l'addition de mots, de lignes et même de pages qui expliquent les passages
délicats et font disparaître les expressions choquantes. Est-ce à dire que
l'édition précédente renfermait une "quantité prodigieuse de fautes"
(Préface, pp. 24 sq.) ? Ce serait bien invraisemblable. Il ne serait pas moins
injuste d'attribuer les nouvelles leçons à Poiret lui-même (qui ne se prive
d'ailleurs pas de développer dans des notes ses idées personnelles). Il
s'agit bien plutôt d'une seconde édition composée par Mme Guyon après la
libération (1703) qu'elle finit par obtenir après avoir passé six ans à
Vincennes et à la Bastille : le Dr James Keith [de Londres] aura alors servi
d'intermédiaire[1804].
Le
texte de Torrents fut assez largement
diffusé puis subit une longue éclipse. Sa reconnaissance récente est due à
quelques rééditions modernes, les éditions anciennes étant devenues très rares.
Les informations qui accompagnent ces mises à disposition par Jean Orcibal,
puis Marinette Bruno, sont complétées par Claude Morali qui présente cette
histoire et décrit les manuscrits actuellement localisés : Rome, Sens, et
deux à Paris[1805].
Nous
prenons comme leçon la dernière édition sortie de presse l’année qui suivit la
mort de Poiret, grâce aux soins des membres de son cercle spirituel de
Rijnsburg[1806].
Trois années se sont écoulées depuis la mort de Mme Guyon. Cette édition suit
très probablement la volonté de « notre mère » dont Poiret devint, à
la fin de sa vie, un disciple aimé[1807] :
elle aurait revu une copie que
l’on peut considérer comme le dernier état de l’œuvre. Trois années seulement
séparent son décès en juin 1717, de cette édition de 1720, qui peut ainsi être assimilée à une « dernière
édition du vivant de l’auteur » si l’on tient compte de l’intimité qui
unissait les membres du cercle ainsi que d’un délai d’impression compréhensible
à la suite des deux décès. On note que Mme Guyon révisa la Vie publiée la même année par l’équipe
Poiret : nous disposons dans ce dernier cas de traces manuscrites, dont un
autographe attaché au ms. d’Oxford
utilisé par Poiret[1808].
En
tout état de cause l’édition de 1720 diffère très peu de l’édition de 1712, qui
apporte par contre d’assez longs ajouts aux manuscrits qui nous sont parvenus,
Poiret disposant en 1712 selon Orcibal d’un « meilleur manuscrit,
probablement mis au point par madame Guyon elle-même. » La comparaison
avec le ms. « A » d’Autun
fournit de nombreuses corrections portant sur des contresens évidents et
améliore beaucoup la précision du message.
Nous pensons ainsi
respecter la volonté de la « Dame directrice » en nous conformant à
la règle d’édition de la dernière forme revue. Ne faut-il pas en effet accorder
le bénéfice d’une révision du texte à celle à qui l’on reproche trop souvent
une écriture sans repentir ? Car
il ne s’agit pas ici d’un poème dont on devrait privilégier le premier élan,
mais de la description précise et exacte du cheminement le long d’une voie
mystique parcourue en de nombreuses années.
Ajouter toutes les
variantes des manuscrits et des éditions antérieures aurait conduit à un
fourmillement voilant complètement les adjonctions à la signification de
l’oeuvre[1809].
Aussi ne donnons-nous que celles qui affectent le sens profond, mais en retenant
toutefois certaines des modifications spirituellement fines des variantes du ms. des archives Saint-Sulpice
« A » d’Autun, celles de l’édition de 1704, et celles de l’édition de
1712.
Tout le
chemin est résumé par l’image du torrent sauvage : cette dynamique qui
bouscule toute la personne conduit à un engloutissement dans le flot de la
grâce décrit sur le mode subjectif dans la Vie par elle-même :
[1.8.10.]
Rien ne m'était plus facile alors que de faire oraison : les heures ne me
duraient que des moments et je ne pouvais ne la point faire : l'amour ne me
laissait pas un moment de repos. […] rien ne se passait de mon oraison dans la
tête, mais c'était une oraison de jouissance et de possession dans la volonté,
où le goût de Dieu était si grand, si pur et si simple qu'il attirait et
absorbait les deux autres puissances de l'âme dans un profond recueillement,
sans acte ni discours. J'avais cependant quelquefois la liberté de dire
quelques mots d'amour à mon Bien-aimé ; mais ensuite tout me fut ôté. C'était
une oraison de foi savoureuse qui excluait toute distinction, car je n'avais
aucune vue ni de Jésus-Christ, ni des attributs divins : tout était absorbé
dans une foi savoureuse, où toutes distinctions se perdaient pour donner lieu à
l'amour d'aimer avec plus d'étendue, sans motifs ni raisons d'aimer. Cette
souveraine des puissances, la volonté, engloutissait les deux autres puissances
[…] c'est que la lumière générale, pareille à celle du soleil, absorbe
toutes lumières distinctes, et les met
en obscurité à notre égard, parce que l'excès de sa lumière les surpasse
toutes.
L’Abrégé
reprend une description comparable, mais exprimée cette fois sur le mode
objectif :
[§II,
1] Les personnes qui sont conduites par cette voie sont celles qui éprouvent la
science savoureuse, quoique conduites par un abandon aveugle. Elles ne
vont jamais par les lumières de l'esprit comme les premières qui reçoivent des
lumières distinctes pour leur conduite et qui, voyant les routes par où elles
sont conduites, ne marchent jamais par les routes impénétrables de la volonté
cachée, ce qui n'est que pour les dernières. Les premières marchent sur les témoignages
que leurs lumières leur donnent, aidées de leur raison, et elles font
bien ; mais les secondes, destinées à suivre aveuglément une conduite
inconnue qui leur paraît toute naturelle, quoique elles semblent aller à
tâtons, vont cependant plus sûrement que les premières, qui peuvent se tromper
dans les lumières de leur esprit.
La voie mystique est
ainsi présentée dans LES TORRENTS
Spirituels et dans le PETIT ABRÉGÉ de
la voie et de la réunion de l’âme à Dieu que nous livrons à sa suite. Nous suggérons dans le tableau qui
suit des correspondances entre des chapitres ou des paragraphes repérées dans
ces deux œuvres, tout en étant conscient du risque de substituer à la diversité
des vécus un chemin qui serait la norme !
La division
traditionnelle en « trois voies » est rappelée dans la dernière
colonne du tableau en l’appliquant à la seule vie mystique profonde. Le
modèle des trois voies prête en effet à confusion, car certains y incluent
parfois ce qui précède la vie proprement mystique, alors que la purgation suit
l’appel divin : la vie mystique commence par un des états de passiveté où Dieu illumine l’homme par in-action sans que ce dernier y soit
pour quelque chose.
Les Torrents expose amplement la
voie passive en foi, préférée à la voie passive de lumière qui correspond à une
« mystique » des phénomènes trop souvent privilégiée. Les deux voies
ne se succèdent pas - du moins généralement -, sinon dans l’exposé : le Petit Abrégé, probablement rédigé
postérieurement à la seconde partie des Torrents,
évite toute digression et toute ambiguïté, en ne s’attachant qu’à la voie
passive en foi sans lumière distincte. C’est celle à laquelle appelle Mme
Guyon.
TABLEAU DES
VOIES
LES TORRENTS Spirituels. |
PETIT ABRÉGÉ de la voie et de la réunion de l’âme à Dieu. |
Trois voies |
||
PARTIE I de la voie Ch.I Ch.II 1ere
voie méditation |
|
voie
Purgative |
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PARTIE I de la voie Ch.III 2e v. passive de lumière Ch.IV 3e v. passive en foi 1erdegré (pente) Ch.V Ch.VI 2e degré (perte) Ch.VII 3e degré Ch.VIII (mort) Ch.IX 4e degré (vie divine) |
PARTIE I de la voie §I-II 1er 2e degrés (science savoureuse, lumière obscure) §III 3e d. passiveté savoureuse §IV 4e d. de foi nue (dépouillement) §V 5e d. (mort mystique) §VI (union sans sentiment) |
v. Illuminative |
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PARTIE II de la vie ressuscitée Ch.I (liberté, humilité, bonheur) Ch.II (pureté, paix) Ch.III (déiformité) Ch.IV (souffrance & paix) |
PARTIE II de la réunion §I (résurrection) §II (amour divin, souffrance pour autrui) §III (simplicité en Dieu) |
v. Unitive |
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Les écrits
« normatifs » du Moyen court,
des Torrents, de l’Abrégé, s’appuient sur un second volet
méconnu de l’œuvre de madame Guyon. Il s’agit des Explications qui portent sur les livres retenus par la Vulgate de
l’Église catholique et s’avèrent très amples[1810],
ainsi que des Justifications qui
présentent, outre un choix opéré sur le corpus des auteurs mystiques, des
explications en notes à ces derniers (les explications qui se réfèrent
directement au extraits du Moyen court
et du Cantique qui ouvrent chaque
chapitre ou clé ont déjà été présentés parallèlement aux textes de ces
derniers).
Le choix proposé dans
la section présente d’Explications
donne une très faible partie de celles concernant les textes sacrés des deux
Testaments (en privilégiant le Cantique
seul texte de l’ensemble qui, ayant fait l’objet d’une première publication en
1688, bénéficiera d’annotations par son auteur en 1694). La section suivante,
intitulée Justifications, décrira
avec quelques détails cette vaste anthologie mystique et livrera un choix
d’explications par madame Guyon des auteurs cités (outre celles déjà
reproduites en notes au Moyen court
et au Cantique).
Le récit de la Vie, seul témoignage aujourd’hui
disponible sur la période grenobloise, relate les circonstances de leur
composition. Dans cette autobiographie, Mme Guyon décrit l’élan qu’elle a
ressenti d’écrire ces Explications et
elle affirme avoir obéi à une injonction intérieure divine[1811].
Mais elle n’a pas écrit pour elle-même : elle évoque le « grand
nombre de personnes que Notre Seigneur » lui faisait aider à cette époque[1812],
dont « trois religieux fameux […] un grand nombre de
religieuses… »[1813].
Nous supposons donc qu’elle fut amenée à relire l’Écriture à la suite de
questions qui lui furent posées par ces religieux et ces religieuses qui se
nourrissaient de la parole de Dieu et en cherchaient le sens intérieur :
Vous ne vous contentâtes pas de me faire parler, mon
Dieu […] Il y avait du temps que je ne lisais plus […] Sitôt que je
commençai de lire l’Écriture Sainte, il me fut donné d’écrire le passage que je
lisais et aussitôt tout de suite, il m’en était donné l’explication…[1814].
La part la plus
considérable du travail d’écriture eut lieu à Grenoble entre avril 1684 et mars
1685, après un séjour à Thonon et un premier voyage à Turin, mais avant le
second voyage à Verceil, près de Turin, qui fut suivi du retour définitif à Paris en juillet 1686. Elle avait
toutefois rédigé certaines parties auparavant, dont l’interprétation du Cantique publiée en 1685[1815] et celle de l’Apocalypse[1816].
Les circonstances de
la composition de ses Explications
sont décrites dans la Vie, qui insiste sur leur flux spontané qui
provient de Dieu seul et non de l’être humain. Il ne s’agit pas de rechercher
l’apport de notre inconscient, comme dans l’écriture automatique
des surréalistes : cette rédaction rapide et sans repentir est liée à un
état contemplatif où l’auteur sert de canal au divin. La justesse d’un texte et
ses multiples implications apparaissent d’autant mieux que l’auteur ne tente
aucune capture volontaire :
…je voyais que j’écrivais des choses que je n’avais
jamais sues […] je ne me souvenais de quoi que ce soit de ce que j’avais écrit,
et il ne m’en restait ni espèces ni images [1817].
De
cette sorte, Notre Seigneur me fit expliquer toute la Sainte Écriture. Je
n’avais aucun livre que la Bible, et ne me suis servie que de celui-là, sans
jamais rien chercher [1818].
Aucune appropriation
personnelle ne lui est permise :
Vous me faisiez écrire avec tant de pureté qu’il me
fallait cesser et reprendre comme Vous le vouliez. [...]
j’avais la tête si libre qu’elle était dans un vide entier. J’étais si
dégagée de ce que j’écrivais qu’il m’était comme étranger. Il me prit une
réflexion : j’en fus punie, mon écriture tarit aussitôt, et je restai comme une
bête jusqu’à ce que je fusse éclairée là-dessus. La moindre joie des grâces que
Vous me faisiez, était punie très rigoureusement [1819].
Madame Guyon
s’émerveille aussi de l’abondance de son inspiration et de la force qui
lui était donnée pour transcrire ce flot :
Je continuais toujours d’écrire, et avec une vitesse
inconcevable, car la main ne pouvait presque suivre l’Esprit qui dictait et,
durant un si long ouvrage, je ne changeai point de conduite, ni me servis
d’aucun livre. L’écrivain ne pouvait, quelque diligence qu’il fît, copier en
cinq jours ce que j’écrivais en une nuit.
[...]
Au commencement, je commis bien des fautes, n’étant pas
encore stylée à l’opération de l’Esprit de Dieu qui me faisait écrire. Car Il
me faisait cesser d’écrire lorsque j’avais le temps d’écrire et que je le
pouvais commodément ; et lorsque il me semblait avoir un fort grand besoin de
dormir, c’était alors qu’Il me faisait écrire. Lorsque j’écrivais le jour,
c’était des interruptions continuelles, car je n’avais pas le temps de manger,
à cause de la grande quantité de monde qui venait : il fallait tout quitter
sitôt que l’on me demandait ; et j’avais pour surcroît la fille qui me servait
dans l’état dont j’ai parlé, qui sans raison me venait interrompre à tout coup,
selon que son humeur la prenait. Je laissais souvent le sens à moitié fini sans
me mettre en peine si ce que j’écrivais était suivi ou non [1820].
Nous avons donc
affaire à une masse de textes de valeurs très inégales. Les pages les plus
belles, certaines interprétations originales et profondes restent enfouies dans
cet ensemble, dont elle explique ainsi les différences par une raison
spirituelle :
Toutes les fautes qui sont dans mes écrits viennent de
ce que, n’étant pas accoutumée à l’opération de Dieu, j’y étais souvent
infidèle, croyant bien faire de continuer d’écrire lorsque j’en avais le temps
sans en avoir le mouvement, parce qu’on m’avait ordonné d’achever
l’ouvrage [1821]
: de sorte qu’il est aisé de voir des endroits qui sont beaux et soutenus, et
d’autres qui n’ont ni goût ni onction [1822].
La presque totalité
des livres des deux Testaments est couverte à l’exception de certains versets.
Ceux qui sont largement expliqués constituent des points de départ à
l’interprétation de divers aspects de la vie intérieure, conformément au titre.
Le parti pris est rigoureux et absolu : Mme Guyon fait correspondre les
événements rapportés par la Bible à des expériences mystiques des temps
anciens, dont elle explicite les images et l’actualité toujours vivante. Le
texte sacré devient ainsi une source d’inspiration pour les « chrétiens
intérieurs » qui les expérimentent.
Cet ensemble est
demeuré dans l’oubli par suite de son volume considérable et d’une utilisation
des textes qui reste dans la ligne traditionnelle des commentaires
spirituels : compte tenu du but tout intérieur de Mme Guyon, qui ne voit
dans le texte sacré que l’expression d’une vie intérieure mystique, les
problématiques modernes d’analyse biblique ouvertes par Spinoza[1823] et
R. Simon sont ignorées. Mme Guyon s’inscrit dans la longue tradition des Pères
de l’Église aussi bien que des auteurs juifs, mais en privilégiant le vécu
mystique, elle souligne l’originalité de sa démarche :
Les Saintes Écritures ont […] beaucoup de sens
différents. Les grands hommes qui ont de la science se sont attachés au sens
littéral et à d’autres sens. Mais personne n’a entrepris, que je sache,
d’expliquer le sens mistique ou intérieur, du moins entièrement [1824].
On sait comment cette
tradition a été remplacée durant ces trois derniers siècles par le travail
critique d’historiens et interprètes modernes qui ont rétabli des textes exacts
et ont éclairé leur genèse. De fait, l’interprétation mystique des textes
sacrés chrétiens a disparu très souvent de l’horizon de traducteurs modernes.
Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, la traduction moderne TOB de Luc 17, 21 donne
cette traduction : “…En effet,
le Règne de Dieu est parmi vous”,
accompagnée de la note explicite suivante, qui se justifie d’adopter une
orientation toute extérieure, mettant en valeur l’assemblée des croyants :
« On traduit parfois : en vous,
mais cette traduction a l’inconvénient de faire du Règne de Dieu une réalité
seulement intérieure et privée. Pour Jésus, ce Règne qui concerne tout le
peuple de Dieu est présent en fait dans son action de salut (cf. 11, 20). Il
est à votre portée [1825]. »
Face à cette tendance extravertie et communautaire, le commentaire de Mme Guyon
fait apparaître la richesse intérieure du texte biblique puisqu’elle commente
ainsi l’évangile de Marc, au chapitre I :
…La perfection consiste à connaître que nous avons
Dieu en nous, à L’y chercher et à L’y trouver. Jésus-Christ nous apprend que le royaume de Dieu est en nous [1826].
A ce titre, cette
démarche clôt une précieuse tradition d’interprétations allégoriques et peut
alimenter la vie spirituelle de nos contemporains. Revenir à des
interprétations intérieures permet de
ne pas négliger le sens profond voulu par des auteurs qui ne recherchaient
guère une exactitude historique et ne peuvent donc faire l’objet d’une
interprétation littérale.
Nous découvrons ici
une façon originale de lire la Bible : d’une part, elle diffère de
l’interprétation traditionnelle qui s’attachait au sens littéral et qui perdure
de nos jours au sein de certaines congrégations protestantes ; d’autre
part, elle néglige l’approche critique scientifique, où le texte est interprété
aux seules lumières des contraintes historiques et sociales.
La primauté de
l’expérience sur la croyance est affirmée catégoriquement par tous les
spirituels, mais les livres des deux Testaments
demeurent ici des révélations sacrées, comme le pensait la très grande majorité
des hommes au XVIIe siècle et comme l’imposait la religion
chrétienne. Chez Mme Guyon, l’interprétation de l’expérience a lieu à
l’intérieur de la foi chrétienne de façon profonde et cohérente. Les versets
bibliques sont compris comme des témoignages des contacts vécus par leurs
rédacteurs avec Dieu et son médiateur Jésus-Christ. Souvent elle
interprète ces versets de façon à décrire la voie mystique, parfois au prix
d’une liberté prise dans l’interprétation analogique. On retrouve rarement une
approche similaire : le texte sacré n’est presque jamais vu comme la
description d’une échelle mystique.
Pour elle, les récits
bibliques ne se situent pas dans l’histoire, mais présentent les étapes du
retournement, du cheminement difficile vers le « cœur »,
« l’intérieur », le centre où le Divin réside et se manifeste à
l’homme. La Bible traduit ainsi une expérience intime qui se renouvelle
d’âge en âge et, par là, le commentaire guyonnien garde une valeur
intemporelle.
Mme Guyon, tout en
dialoguant librement avec Dieu, écarte toute manifestation particulière
excessive, « mystique » dans le sens que l’on prête trop souvent à ce
terme, lorsque Dieu est pris comme objet d’expérience associée à des phénomènes
(visions, sensations…) qu’elle considère comme dangereux ou négligeables[1827].
Elle n’attache de prix qu’à l’expérience du « grand fond » où les
âmes mystiques
...ne peuvent rien distinguer de Lui. C’est comme une
personne qui vit dans l’air et le respire sans penser qu’elle en vit et qu’elle
le respire, à cause qu’elle n’y réfléchit pas. Ces âmes, quoique toutes
pénétrées de Dieu, n’y pensent pas, parce que Dieu leur cache ce qu’elles sont
: c’est pourquoi on appelle cette voie « mystique », qui veut
dire secrète et imperceptible [1828]…
Elle utilise avec
précision son expérience intime pour comprendre le sens symbolique du texte
sacré. Elle le fait ainsi revivre et l’éclaire d’un vécu personnel similaire à
celui que transcrivit le rédacteur dans des formulations et des images adaptées
à son temps. En ce sens, elle s’approche probablement mieux de l’intention de
l’écrivain sacré que ne le font des commentaires modernes, souvent
anachroniques par leur orientation historicisante. Enfin Mme Guyon ne décrit
jamais son vécu directement, car elle est sobre quand il ne s’agit pas
seulement d’elle-même et qu’elle se méfie de tendances au prophétisme ou au
millénarisme.
On sait que le Cantique a bénéficié d’un très grand
nombre de commentaires, dont se détachent par leur influence les sermons de
Bernard de Clairvaux et par sa profondeur mystique l’exposé de Guillaume de
Saint-Thierry. Madame Guyon y ajoute des notations tout à fait originales et
précieuses : l’opération nocturne de Dieu dans un demi-sommeil (chapitre
V, verset 2), la consommation du mariage mystique dans une simple unité où
l’âme « n’a plus que faire de soupirer après des moments de jouissance
distincte et aperçue … ne saurait plus arrêter un désir sur quoi que ce soit …
marque qu’elle est possédée par le centre », telle la gouttelette au sein de la mer
(chapitre VI, verset 14). Elle voit dans ce texte la description du niveau
mystique le plus élevé, l’état apostolique, où le mystique accompli sert de
canal à la transmission de la grâce de personne à personne : l’épouse
enfante alors des âmes à son Époux, puis les nourrit (chapitre VII, versets 2
& 3) ; elle Lui parle des affaires des âmes et traite familièrement
avec Lui (chapitre VIII, verset 8) ; elle sert les âmes avec un soin
extrême, et cela seulement lorsque son
Époux les lui adresse (chapitre VIII, verset 14). Ce commentaire ne cultive aucun lyrisme
poétique, mais tire parti parfois prosaïquement et fort directement d’une
comparaison très étroite entre unions humaine et divine.
Expliquer les écrits sacrés comme des expressions
d’une même vérité humaine d’expérience
intérieure est peut-être devenu la
seule approche acceptable par notre époque : l’explication se soumet à ce qui
apparaît comme raisonnable et l’autorité de l’expérience subordonne les
croyances au vécu.
On trouvera ici les
explications de la seconde moitié du Cantique,
chapitres V à VIII, avec les précisions qu’elle a données dans les Justifications, dont la grande majorité se
rapportent à cette dernière partie, soulignant ainsi son importance. Des développements
parfois longs figurent sous forme d’appendices dont le premier est relatif au
chapitre V et les suivants sont relatifs au chapitre VIII : ils sont
regroupés ici en fin du texte principal. Comme précédemment figurent des
extraits de l’Ordonnance de Godet des
Marais.
Les citations
suivantes suggèrent le contenu des quatre premiers chapitres
manquants :
« Il y a des personnes qui disent que cette union
ne se peut faire que dans l’autre vie, mais je tiens pour certain qu’elle se
peut faire en celle-ci, avec cette différence qu’en cette vie l’on possède sans
voir, et dans l’autre l’on voit ce que l’on possède. » (Chap. I,
Verset 1).
Après la « sortie des satisfactions naturelles,
pour ne pouvoir plaire qu’au Bien-aimé », il faut sortir « de la
possession de soi-même, afin de n’être plus possédé que de Dieu … C’est un
transport de la créature dans son origine » (Chap. II, V.10).
Car Dieu « veut être cherché dans Lui-même et,
lorqu’elle sera arrivée en Lui, elle y découvrira … que son Bien-aimé est partout
et en tout, et que tout est Lui-même » (Chap. III, V.2).
Alors, « elle n’est propriétaire d’aucune action
… elle est aussi une fontaine, puisqu’elle est unie intimement à Moi, qui
suis la source, dont elle doit répandre les eaux par toute la terre, mais que
Je tiens scellée, en sorte qu’il n’en sortira jamais une goutte que par mon
ordre : et ainsi les eaux qu’elle distribuera seront très pures et sans
mélange... » (Chap. IV, V.12.)
Puis nous faisons
suivre l’ensemble relatif au Cantique
d’un bref aperçu de tous les autres commentaires[1829].
Ils représentent en effet la quasi-totalité de huit mille pages d’Explications. Nous suivons l’ordre de la
Vulgate ancienne[1830].
Nos extraits sont précédés de la citation du ou des versets du texte sacré
commenté, même si nous omettons parfois un long développement séparant le
dernier verset cité du début de l’extrait.
En juin 1694, Mme
Guyon demanda à être examinée sur ses mœurs pour pouvoir se justifier :
« L’on veut corrompre mes mœurs pour corrompre ma foi[1831] ».
Cette demande fut acceptée par Mme de Maintenon, qui la limita à la doctrine.
Commencèrent les célèbres « entretiens d’Issy » qui se succédèrent
depuis l’été jusqu’à janvier 1695. Madame Guyon ainsi que le duc de Chevreuse,
son confident, furent écartés des premières discussions. Ces entretiens
confirmèrent l’affrontement entre Bossuet et Fénelon. Y participèrent M. de
Noailles, évêque de Châlons, assez faible de caractère, et l’honnête mais
prudent M. Tronson, supérieur de Saint-Sulpice[1832],
malheureusement malade. Mme Guyon ne comparut devant ses juges qu’en décembre
et janvier.
Plus d’un millier de
pages de Justifications…[1833] fut
rassemblé par Mme Guyon pendant l’été 1694, « en cinquante jours de
temps ». Elle raconte :
J'envoyai en même temps à ces messieurs,
outre mes deux petits livres imprimés, mes Commentaires
sur l’Écriture sainte, et j'entrepris par leur ordre un ouvrage pour leur
faciliter l'examen qu'ils entreprenaient et les soulager d'un travail qui ne
laissait pas d'être assez pénible, ou qui leur aurait pris du moins beaucoup de
temps, qui fut de rassembler quantité de passages d'auteurs mystiques et
autorisés qui faisaient voir la conformité de mes écrits et des expressions
dont je m'étais servie avec celles de ces saints auteurs. C'était un ouvrage
immense. Je faisais transcrire les cahiers à mesure que je les avais écrits pour
les envoyer à ces messieurs et, suivant que l'occasion s'en présentait,
j'expliquais les endroits douteux ou obscurs, ou qui n'avaient pas été
suffisamment expliqués dans mes Commentaires
parce que je les avais composés dans un temps où, les affaires de Molinos
n'ayant pas encore éclaté, j'avais écrit mes pensées sans précaution et sans
m'imaginer qu'on pût jamais les détourner aux sens condamnés. Cet ouvrage a
pour titre Les Justifications. Il fut
composé en cinquante jours de temps, et paraissait fort capable d'éclaircir la
matière.[1834]
L’intérêt déborde
largement celui d’un dossier établi en vue d’un procès, car le court délai et
la maîtrise à cerner des notions-clés assurent une unité qui s’avère rare dans
le genre anthologique. Surtout, le choix ne se limite pas aux prémices de la
vie mystique, mais couvre tous ses aspects.
Enfin toute controverse de nature théorique en est absente, le tout
restant très justement focalisé sur la pratique
de la vie intérieure pendant que Fénelon, dans ses travaux parallèles de la
même époque, apportait toute sa compétence théologique. L’ensemble forme la
meilleure des anthologie mystique
chrétienne, mais elle est demeurée quasiment inconnue.
La structure est
originale et fait apparaître une objectivité toute moderne : au lieu d’obéir à
un schéma directeur, toujours arbitraire parce qu’il ne peut rendre compte que
d’un seul point de vue, cette anthologie évite tout a priori schématique par le recours à soixante-sept notions ou
clés. Pour chacune de ces clés, sont donnés en premier lieu les passages
incriminés du Moyen court et du
Commentaire au Cantique, qui sont déjà publiés à l’époque, ensuite les
passages pertinents des auteurs classiques autorisés, toujours substantiels,
parfois longs et couvrant plusieurs
pages, en particulier lorsqu’il s’agit de Jean de la Croix.
Comment est réparti le
contenu de cette oeuvre ? Les commentaires de Mme Guyon représentent
environ le dixième du volume total. Plus de la moitié des passages retenus
concernent cinq auteurs : Jean de la Croix
vient en tête, ce qui montre la clairvoyance de Mme Guyon alors qu’il
n’est pas encore canonisé[1835]; Jean de Saint Samson le
suit de très près : ses écrits sont bien connus de Mme Guyon qui a correspondu
avec son disciple Maur de l’Enfant-Jésus ; on remarque la place importante
accordée au grand carme de la réforme dite de Touraine et au carme déchaussé de la réforme
espagnole. Catherine de Gênes
est très présente, alors que le volume des dits qui lui
sont attribués et des écrits la
concernant est beaucoup plus réduit ; Thérèse d’Avila, canonisée depuis le début du siècle[1836],
demeure cependant en retrait (loin derrière Jean de la Croix canonisé au XVIIIe
siècle) ; enfin Denys, qui
représente aux yeux des contemporains l’autorité des débuts de l’Église, ouvre
chaque chapitre. Lorsqu’on ajoute à ces cinq auteurs principaux, douze autres
auteurs, dont Clément d’Alexandrie, François de Sales et l’Imitation, on
couvre les six septièmes des passages retenus. L’école rhéno-flamande est assez
bien représentée si l’on regroupe les fragments connus à l’époque : en effet
l’ensemble constitué par l’Imitation,
Suso, Benoît de Canfield, Ruusbroec, Harphius, Tauler, prend la troisième place
entre Jean de Saint Samson et Catherine de Gênes. Les auteurs mystiques
« récents » (postérieurs au moyen âge) sont donc très bien
représentés[1837].
On peut penser que la
collaboration entre Mme Guyon et Fénelon s’est tout naturellement traduite par
un partage des tâches : à l’une les aspects mystiques, en défense
immédiate de ses écrits, ce qui favorise tout naturellement des témoignages
contemporains parfois sensibles aux aspects psychologiques ; à l’autre les
aspects théologiques et le recours aux Pères de l’Église, tel Clément
d’Alexandrie. Fénelon est toutefois largement présent dans le titre des Justifications et sa contribution
apparaît au tome III, dans le supplément consacré aux Pères Grecs (où Clément
se taille la part royale).
Une réédition à des
fins spirituelles est souhaitable et devrait rétablir le texte à partir des
manuscrits : en effet l’ordre des passages au sein de chaque
chapitre y diffère de celui de l’édition du XVIIIe siècle
« scientifique », qui adopta une séquence chronologique des auteurs
aussi exacte que possible, effaçant les rapprochements qui soulignent des
similitudes relatives au vécu intérieur ; de plus, les corrections de
style opérées par l’éditeur font perdre précision et tranchant, certains mots
forts ayant été omis dans l’imprimé[1838].
Aux citations
s’ajoutent de fort intéressants développements rédigés sous forme de notes par
Mme Guyon elle-même et qui ne sont pas signalés dans la table des matières.
C’est dans ces « notes », parfois très longues, que réside l’autre
grand intérêt de cette œuvre : après avoir repris une grande partie de ces
notes au fil du Moyen court et de la
seconde moitié du Commentaire au Cantique,
nous donnons ici un choix d’explications relatives aux mystiques qui forment le
corps proprement dit de l’anthologie (qui ne peut évidemment trouver place dans
un volume d’œuvres de madame Guyon, mais que nous avons tenu à présenter pour
inciter à la découverte).
L’ordre
suivi est celui des clés. Les titres et extraits d’auteurs incluant l’appel de
commentaires ou notes figurent en caractères italiques. Nous avons conservé des
paginations pour rendre le repérage possible au sein de la vaste anthologie qui
couvre trois volumes dans l’édition originelle.
Au-delà d’une
spontanéité à laquelle nous sommes devenus sensibles aujourd’hui, les lettres
écrites et reçues par madame Guyon constituent un témoignage sur une vie
mystique vécue et mise à l’épreuve dans les tribulations. Le choix présent
donne la primauté à la description des états intimes, d’intérêt permanent.
L’auteur, qui n’a aucun but littéraire, n’élabore en rien son récit, mais
simplement témoigne d’une vie intérieure intense, caractérisée par une entière
disponibilité à la grâce.
Nous disposons de
séries suivies de directions spirituelles : Mme Guyon jeune fut dirigée
par Maur de l’Enfant-Jésus puis par Bertot ; puis elle devint la
« dame directrice » de Chevreuse, de Fénelon, puis du marquis de
Fénelon, du baron de Metternich, de Poiret et de Holmfeld, de fidèles écossais
et suisses. L’ensemble constitue un témoignage unique à notre connaissance
puisqu’il couvre les deux
volets de toute vie intérieure achevée : une formation reçue est par
la suite transmise.
Trente-cinq lettres
sont ici retenues parmi les quinze cents qui nous sont parvenues. Le lecteur
dispose ainsi d’un volume d’Œuvres
mystiques équilibré. Nous avons distribuées ces quelques lettres en quatre
brèves séries. Il s’agit de lettres adressées à
Fénelon en 1689 et 1690 (sous le titre « Direction de
Fénelon »), de témoignages de la période d’affrontement couvrant les
années 1693 à 1698 (« Les années d’affrontement »), de lettres
adressées à des dirigés étrangers entre 1714 ( ?) et juin 1717
(« Direction de disciples étrangers »), enfin de lettres sans
destinataires ni dates (« Conseils à des dirigés anonymes »). Les
numéros de la grande édition de cette Correspondance[1839]
ordonnée thématiquement sont retenus afin de faciliter la recherche ;
l’apparat critique est ici fortement réduit par suppression de variantes qui ne
présentent pas d’importance au niveau du sens profond ; le thème principal de
chaque lettre est suggéré par nos titres ; les destinataires ou des acteurs
cités sont identifiés en notes lorsqu’ils apparaissent pour la première fois.
Mme Guyon écrit très
rapidement, sans majuscules ni paragraphes, d’une écriture liée et souvent peu
lisible à première vue. Sans recherche littéraire, elle entre directement dans
le vif du sujet comme le montrent les débuts ou incipit des lettres qui se révèlent pratiquement tous différents.
Elle s’arrête le plus souvent parce qu’elle est limitée par la fin du feuillet
disponible : cela suspend la conversation écrite. L’effort nécessaire pour
apprécier ces « messages » est récompensé par leur spontanéité et
leur vigueur, expressions d’une vitalité que nourrit l’énergie profonde de la
grâce. Il existe une similitude entre les lettres de Mme Guyon et celles
de Thérèse d’Avila[1840].
Au fil de la lecture
se détache parfois un petit traité spirituel. Toujours jailli sans souci de
composition ni contrainte, sans autocensure, la célèbre « écriture
automatique » n’est que désir de ne pas interférer avec la liberté
intérieure. Les Correspondances du
Grand Siècle sont irremplaçables en cela qu’elles sont les lieux secrets
de liberté au sein d’une contrainte sociale généralisée.
Ces lettres servent
d’aliment spirituel à des amis qui sont loin d’elle et ne peuvent bénéficier de
sa présence : les voyages sont difficiles, les lettres longues à venir.
Les missives sont donc gardées précieusement et méditées : pleins
d’amour, les mots sont une aide pour garder le spirituel dans la rigueur de la
voie. Mme Guyon les invite toujours à une plus grande liberté, à s’affranchir
de toute limite : peu importent nos défauts car « Dieu saura
bien vous les ôter ou vous les laisser autant qu’il sera nécessaire » ;
« ne mesurez jamais l’intérieur sur des faiblesses qui ne sont pas
essentielles mais sur la force et la vigueur de la vie »[1841].
Peu importe la santé : « Je
vous conjure de soigner votre santé autant qu’il sera possible. Il faut
cependant entrer dans une indifférence parfaite pour cette même santé lorsque
tout sera désespéré[1842]
».Peu importe ce que nous sentons et d’ailleurs « Dieu purifie en
nous ce sentiment que nous croyons si bon […] par la sécheresse afin que nous
nous attachions à l’invisible par-dessus tout. » Quant à la sagesse
humaine, « lorsque nous croyons
une vérité bien établie dans notre esprit, un autre raisonnement la
détruit »[1843].
Peu importe l’état intérieur des autres, puisque « de cinq cents
personnes qui marcheront dans la voie de la foi, cependant il n’y en a pas deux
qui seront de la même manière[1844] ».
Seul importe d’aller
de l’avant : il faut « toujours marcher, sans s’arrêter… C’est tout le
secret[1845] ».
L’oubli de soi est capital : « La foi nue dépouille l’âme et la vide
de tout ce qu’elle avait reçu dans la foi savoureuse, et la défigure … elle
perd peu à peu l’amour d’elle-même et
les propriétés … Dieu prend la place … de sorte que, perdant tout, on trouve
tout[1846] ».
Seule importe la grâce qu’il faut suivre d’instant en instant : « Si
vous l’anticipez d’un moment, elle n’y est pas encore ; si vous ne la
prenez pas lorsque elle se présente et que votre raisonnement la tient
suspendue, vous ne la rattraperez plus[1847]
». Elle permet « que l’amour nous enfonce de plus en plus en Dieu, mais un
amour nu et désintéressé[1848] »,
un « Amour-Dieu qui s’aime Lui-même comme Il le mérite[1849]. »
La directrice nourrit
l’âme par la parole ou l’écriture : « Mes paroles sont
pour vous esprit et vie[1850] ». Mais le lien essentiel de Mme Guyon avec ses
amis ne repose pas sur ce qu’elle leur écrit, mais sur sa communication de la
grâce de cœur à coeur. Elle a expérimenté très tôt que la grâce l’utilisait
comme un canal pour son entourage et en parle dans ses lettres : elle
porte les âmes en Dieu, connaît leur état de loin et leur transmet l’Esprit
Saint même à distance. Passant à travers elle, la grâce s’accorde avec la
substance de l’âme et fait son travail en profondeur. Mme Guyon aborde très franchement ce sujet
avec ses intimes, tout en leur recommandant une grande discrétion et en prenant
des précautions pour sauvegarder le secret de leur correspondance, ce qu’elle
n’avait pu faire pour sa Vie :
ces missives qui témoignent de leur expérience commune, n’étaient pas destinées
à être publiées, ce qui explique leur franchise absolue ou les épanchements
qu’elles contiennent.
Dans l’état
apostolique, le mystique est uni à Dieu comme une goutte d’eau à la mer, et
participe de la paternité divine. Elle explique à Fénelon la souplesse du guide
envers la grâce :
Les mêmes dispositions où Dieu l’a mise [l’âme] pour Sa
propre gloire, de désintéressement consommé et de souplesse infinie, elle l’a
pour le bien du prochain[1851].
Mais il s’agit d’un état paradoxal dont elle
parle avec beaucoup de hardiesse, affirmant à Fénelon qu’il y a identité entre
la communication de la grâce entre personnes humaines et la circulation de la
grâce entre les Personnes divines :
Le flux et reflux de communication [...] nous fait
participer en quelque manière au commerce ineffable de la Trinité[1852].
Il
y a équivalence entre l’Eucharistie et
la transmission de la grâce qui s’opère par elle :
Mon affaire est d’être toujours, comme je l’ai
été, un canal sans propriété. Que le divin Maître l’ouvre Lui-même ou que
vous l’ouvriez, il ne m’importe. Que ce même Verbe qui se peut
communiquer immédiatement aux hommes et qui le sait, se serve aussi du
pain et de la parole du prêtre pour le faire, n’est-ce pas toujours le même
Dieu et un excès d’amour ?[1853].
C’est cette réalité
d’expérience qu’elle affirme avec autorité :
M. B[ertot] en mourant m’ayant laissé son esprit
directeur pour ses enfants, ceux qui sont égarés aussi bien que ceux qui sont
restés fidèles n’auront la communication de cet esprit que par moi[1854].
Dès lors, ose-t-elle
dire, l’efficacité qu’elle a sur les âmes est celle même de Dieu, puisque Dieu
se sert d’elle comme d’un canal. Mais il n’y là aucun orgueil : la
paternité spirituelle est le contraire de l’affirmation de soi, car elle ne
peut exister sans que le mystique ait été anéanti par la grâce. Il n’est rien
et tout est action de grâce. Mme Guyon affirme avec humour à la fois la
nécessité du guide et sa petitesse :
Dieu vous a unie à une planche pourrie pour
passer une mer orageuse, mais je vous assure que vous ne la pouvez passer sans
elle, et que, si vous la quittez, vous croyant assez forte pour nager, vous
tomberez.[1855].
Elle écrit peu avant sa mort au baron de
Metternich pour lui rappeler qu’elle n’est que « néant » :
Dieu Se sert des instruments les plus méprisables pour
faire Son ouvrage. Il est digne d’un tel Ouvrier d’opérer sur le néant et par
le néant. Que dis-je ? Il n’emploie que le néant pour faire ce qu’Il fait.
Je ne suis rien et moins que rien. Je ne sais ce qu’Il fait en moi ni par
moi : il ne reste aucune trace. Il ôte et Il donne, je Le laisse faire.
S’Il le veut, je puis tout en Lui, s’Il me laisse, je suis un néant vide, un
canal sans eau. Chacun trouve par ce canal selon sa foi, afin que rien ne soit
attribué à la créature[1856].
Mme Guyon
s’émerveillait de la réalité de la direction spirituelle et de l’union totale
qu’elle ressentait avec ses disciples. Metternich la remercia en ces termes,
sachant combien leur expérience était incompréhensible à ceux qui ne la
partageaient pas :
Un directeur expérimenté peut beaucoup. Je crois qu’il
est presque impossible de faire ce passage sans une telle aide, car il renverse
toute la raison, toute idée qu’on aurait et que tout le monde a de la
spiritualité. Si l’on en parle, personne ne l’entend pos[sible], et si l’on en
voulait parler clair à quiconque n’est pas dans ce cas, il en serait
extrêmement scandalisé. Il faut donc souffrir et se laisser juger, ma très
chère mère[1857].
Fénelon fut le
disciple le plus cher. Il nous est heureusement resté la première moitié de
leur correspondance qui couvre le début de leur amitié spirituelle : elle
est très précieuse pour comprendre leur relation. Mme Guyon lui écrit avec
émotion :
Outre le goût général et continuel que j’ai de votre
âme, où je ne trouve ni entre-deux ni milieu, et une certaine pénétration par
laquelle il me semble que j’atteins de l’un à l’autre bout, Dieu me donne une
connaissance du particulier de votre état, de votre disposition et ce qui en
fait le fond et l’essentiel[1858].
Fénelon fut conquis
bien malgré lui, mais il dut s’incliner devant un fait d’expérience. Elle mesure les difficultés de cette
acceptation : dans cette société
profondément patriarcale, ce prélat à qui toute femme devait obéissance a dû
s’incliner devant l’envoyée choisie par la grâce. Elle lui dit carrément :
Il me paraît que c’est
une conduite de Dieu rapetissante et humiliante pour vous qu’Il veuille
me donner ce qui vous est propre. Cependant cela est et cela sera, parce qu’Il
l’a ainsi voulu[1859].
Elle
lui écrit avec humour et tendresse :
Mon cher enfant que j’enfante chaque jour à
Jésus-Christ, avalez simplement et recevez la nourriture que je vous présente,
et votre âme, étant engraissée, sera dans la joie. C’est le seul moyen de
devenir souple : sans cela, il se fait des calus à vos jointures !
Entrez d’un cœur enfantin et vous recevrez la vie, car mes paroles sont pour
vous esprit et vie : elles se doivent insinuer comme l’esprit Recevez donc
cet esprit qui est en moi pour vous, qui n’est autre que l’esprit de mon Maître
qui S’est caché pour vous non sous la forme d’une colombe [...], mais sous
celle d’une petite femmelette[1860].
A ce maître de l’intellect et du langage,
elle apprend à aller au-delà et à préférer une conversation silencieuse :
Lorsqu’on a une fois appris ce langage [...], on apprend
à être uni en tout lieu sans espèce et sans impureté, non seulement avec Dieu
dans le profond et toujours éloquent silence du Verbe dans l’âme, mais même
avec ceux qui sont consommés en Lui : c’est la communication des saints
véritable et réelle[1861].
Ceci ne peut exister
que dans son union avec elle :
Vous ne ferez rien sans celle qui est comme votre
racine, vous enté en elle comme elle
l’est en Jésus-Christ [...] Elle est comme la sève qui vous donne la vie[1862].
Mme Guyon écrira également à Fénelon
un peu plus tard, en avril 1690 :
…Je n’aime que Dieu seul et je vous aime en Lui plus que
personne du monde, non d’une manière distincte de Dieu, mais du même amour dont
je L’aime, et dont Il S’aime en moi … j’ai cette confiance que si vous voulez
bien rester uni à mon cœur, vous me trouverez toujours en Dieu et dans votre
besoin. … Je vous laisse l’esprit directeur que Dieu m’a donné. … Je
laisse aussi cette Vie que vous
m’avez défendu de brûler, quoique il y
ait bien des choses inutiles[1863]…
Elle ramène leur
relation sans cesse à l’essentiel :
Il faut que nous
cessions d’être et d’agir afin que Dieu seul soit[1864].
Nous avons la chance
d’avoir les réponses de Fénelon :
Je ne suis pas d’un degré à être pour vous comme vous
êtes pour moi, mais je ne sens rien en
moi qui ne soit uni à vous sans réserve, et je ne l’ai jamais été tant à
rien en ce monde depuis que j’y suis. (14 juin 1689)
Je suis de plus en plus uni à vous, madame, en Notre
Seigneur, et j’aimerais mille fois être anéanti que de retarder un seul instant
le cours des grâces par le canal que Dieu a choisi. (31 août 1689)
Tout au long de ces
années, Mme Guyon s’émerveilla de leur union si totale en Dieu :
Vous ne pourriez en sortir [de Dieu] sans être désuni
d’avec moi, ni être désuni d’avec moi sans sortir de Dieu[1865].
Elle célèbre dans la
même lettre la liberté absolue de cette union au-delà de l’humain
« au-dessus de ce que le monde renferme de cérémonies et de
lois » :
…les
enfants de l’éternité […] se sentent dégagés de tous liens bons et mauvais,
leur pays est celui du parfait repos et
de l’entière liberté.[1866].
Plus tard, comme on le voit clairement dans
les lettres aux autres disciples, il
s’est formé autour de Fénelon un cercle spirituel équivalent à celui de Mme
Guyon à Blois, au point que tous les appelaient « père » et
« mère ».
Même la mort ne
pouvait les désunir :
Le jour qu’il tomba malade, je me sentis pénétrée,
quoique assez éloignée de lui, d’une douleur profonde mais suave. Toute douleur
cessa à sa mort et nous sommes tous, sans exception, trouvés plus unis à lui
que pendant sa vie[1867].
Des opuscules furent
rassemblés et publiés au XVIIIe siècle par l’éditeur et pasteur
Pierre Poiret, à Rijnsburg en Hollande, sous le titre de Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie
intérieure…[1716], comportant 140 pièces[1868]
auxquelles s’ajoutent 16 pièces qui forment une conclusion au quatrième volume
des Lettres chrétiennes et spirituelles
sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai
christianisme… [1718] [1869].
Ces textes furent
rassemblés dans la perspective d’une disparition prochaine de Mme Guyon et de
ses amis français et étrangers, dans le but de donner à la nouvelle génération
de disciples les traces écrites d’une direction spirituelle vivante. Le duc de
Chevreuse était mort en 1712 et Fénelon en janvier 1715 ; l’éditeur et
disciple Poiret va disparaître en 1719 : c’est ici toute une génération
qui s’efface pour être remplacée par des disciples français, écossais,
hollandais et suisses. Les Discours
expriment l’enseignement vivant répandu dans le cercle des amis proches,
souvent plus révélateur que des textes qui s’adressent à un cercle élargi comme
le Moyen court ou les Torrents.
Ces textes de
direction furent écrits dans des conditions très diverses, mais s’adressaient
toujours à un aspirant à la vie intérieure, assez souvent sous la forme d’une
lettre. Dans ce dernier cas, Poiret en a retiré les aspects personnels afin de
voiler l’identité d’un destinataire encore vivant ou très récemment disparu.
Ceci explique l’absence
de plan général : il ne s’agit pas de « chapitres » d’une œuvre
construite. Cependant Poiret les a regroupés par « zones » dans
l’ordre où les traversent les pèlerins intérieurs. Nous reprenons cette séquence ordonnée par Poiret, sur
laquelle il est vraisemblable que Mme Guyon a donné son avis. La majorité de
ces écrits furent en effet rassemblés à la fin de sa vie, pendant cette période
paisible à Blois où, sortie de prison, mais sous surveillance après la
condamnation du quiétisme, elle a pu discrètement faire venir auprès d’elle
quelques disciples et correspondre avec beaucoup d’autres : 140 de ces 156
textes furent édités en 1716, très certainement avec son accord (elle mourut en
1717), même si elle n’a peut-être pas eu le temps de revoir les manuscrits
(disparus) utilisés par Poiret en Hollande[1870].
Seuls les 16 textes édités en 1718, à la fin des volumes rassemblant aussi une
fraction de sa correspondance, nous apparaissent comme un supplément rassemblé post-mortem sans le contrôle de leur
auteur.
Citons, de préférence
à toute paraphrase, quelques extraits de la préface du premier volume édité par
Pierre Poiret des Discours Chrétiens et
Spirituels. Ils nous éclairent sur le traitement que ce pasteur protestant,
cartésien reconnu et grand éditeur de textes spirituels, a pu faire subir à ses
sources. Disciple attentif, respectueux et apprécié de Mme Guyon, il en
explicite ainsi la genèse, le choix et le classement :
Le titre de ce livre ne veut pas dire que ce soient des Discours prononcés de vive voix :
ils ont seulement été écrits, soit à la réquisition de quelques âmes pieuses,
soit de la simple inclination où l’auteur s’est pu trouver de fois à autres à
se décharger de la plénitude de son cœur sur le papier. Ils nous sont venus en
main de divers endroits et par divers moyens. C’était des pièces séparées, sans
titre ni sans ordre (…) Pour l’ordre des matières, on a fait précéder celles
qui regardent le plus les personnes commençantes, et fait suivre le reste à
mesure de ce qui se découvre et qui s’expérimente dans le progrès de la vie de
l’esprit. Ceux qui aiment en toutes choses des partitions générales, en
pourront aisément remarquer trois ou quatre dans le corps de l’ouvrage, s’ils
veulent observer (I.) que dans les treize premiers de ces Discours Spirituels il s’y agit principalement des vérités qui
concernent le général, les principes et les commencements des voies intérieures ; (II.) Que depuis de Discours XIV jusqu’au
XXXVIII, on y trouve des matières convenables à ceux qui sont déjà entrés
considérablement dans ces voies de l’esprit. (III.) Ces matières-là sont
suivies de plusieurs autres qui regardent des âmes encore plus avancées dans la
perfection Chrétienne : c’est depuis le Discours XXXIX jusqu’au LXII ; et
celui-ci contient comme une espèce de récapitulation de toute cette troisième
partie, ou au moins du principal. (IV.) Tout le reste, depuis le Discours LXIII
jusqu’à la fin, regarde en gros la constitution soit bonne soit mauvaise,
présente ou bien future, du général des Chrétiens aussi bien que de ceux ou qui
les ont conduits, ou que Dieu veut leur susciter encore avant la fin du monde
selon ses promesses. On ne s’est pas avisé de marquer cette Partition dans le
corps de l’ouvrage, mais on la verra dans la table qui suit (…) Ce n’était ici,
comme on l’a déjà dit, que des pièces séparées, écrites sans relation ni vue
des unes sur les autres : il y en a même plusieurs où il s’agit de diverses
matières, et qui appartiennent à des états différents. Pour placer celles-ci (…)
on s’est réglé sur celle des matières qui y régnait le plus…[1871].
S’ajoutent les 16
Discours qui faisaient la conclusion du quatrième volume des Lettres chrétiennes et spirituelles sur
divers sujets qui regardent la vie intérieure… Bien que non revu par Mme
Guyon, ce petit ensemble constitue un condensé simple, abordable mais complet
de toute la voie mystique, à l’usage probable des disciples de Blois, puis des cercles guyonniens qui leur
succédèrent.
Moins connus que les
textes de jeunesse, les Discours sont
le chef-d’œuvre de Mme Guyon : arrivée à la fin de sa vie et au sommet de
la mystique, elle n’éprouve plus le besoin de se justifier, mais en affirme
l’évidence avec l’autorité tranquille qui découle d’une longue expérience. Sans
illusion, elle s’adresse à ses amis avec bonté et amour. Elle a abandonné les
larges développements lyriques et sentimentaux de sa jeunesse : son écriture
est très simple et totalement décapée, elle va droit à l’essentiel dans un
style comparable à celui des dernières pages autobiographiques écrites en 1709.
On pourrait dire à son propos ce qu’elle dit de saint Paul :
…s’il
ne se sert point de termes extraordinaires, c’est qu’il en parle en grand
maître qui, possédant sa matière, la tourne comme il lui plaît.[1872].
Un dialogue permanent
avec l’Ancien et le Nouveau Testament supplée à l’absence de théories
théologiques dont elle n’a plus besoin : l’abondante interprétation
mystique des Explications (1684)
s’est simplifiée et approfondie.
Poiret et ses amis ont
donc édité un témoignage sobre et sûr, en tout point conforme au courant qui
relie, à plus d’un siècle d’écart, Jean de Bernières à Jean-Pierre de Caussade.
Ces thèmes se
présentent selon une séquence chronologique analogue à « l’histoire »
qui sous-tend le texte des Torrents.
On sera conscient de la durée très grande de la lente maturation
mystique, qui prend toute une vie, donc souvent des dizaines d’années. Parfois
des prises de conscience peuvent surgir brusquement : ainsi à dix-neuf
ans, ne connaissant que la méditation et la prière vocale et cherchant
vainement une voie intérieure satisfaisante, fît-elle la connaissance du
franciscain A. Enguerrand qui lui répondit : « C’est, madame,
que vous cherchez au-dehors ce que vous avez au-dedans[1873] »,
réponse dont l’efficacité la fit entrer brusquement dans la vie mystique. Mais
il fallut toute une vie pour atteindre la maturité qui s’exprime dans les Discours.
Chez beaucoup de
spirituels l’évolution reste inachevée. Ceci explique une confusion dans les
termes mystiques utilisés par des observateurs qui superposent certains états à
d’autres états analogues mais plus avancés d’un ou quelques
« tours », selon une comparaison imagée où le chemin est assimilé à
une spirale ascendante plutôt qu’à une progression linéaire :
Ce
ne sont donc point les mêmes degrés que l’on repasse, ce qui serait aussi
difficile que de rentrer dans le ventre de sa mère, mais de nouveaux degrés,
qui paraissent les mêmes[1874]…
Tout commence par la
prière, « ce concours vital …pour adhérer à Dieu[1875]. »
La prière est au début du chemin et s’y retrouve tout du long sous diverses
formes, trouvant son terme en Dieu.
Mme Guyon décrit une
voie médiane qui ne fait pas appel à l’effort méditatif d’exercices spirituels
bien qu’elle ne rejette pas le recours à une aide comme celle de la lecture qui
introduit doucement au recueillement ; à l’opposé, elle rejette une
recherche « quiétiste » qui se satisferait d’un vide ponctuel obtenu
par l’oisiveté ou par l’effort d’une abstraction d’esprit. Car les exercices
peuvent être utiles au commencement, mais risquent ensuite d’enfermer le
pratiquant dans leurs procédés ; inversement, la recherche du vide peut
conduire à une fausse paix de l’esprit, danger contre lequel Ruusbroec mettait
en garde :
On rencontre d’autres hommes qui... au moyen d’une sorte
de vide, de dépouillement intérieur et d’affranchissement d’images, croient
avoir découvert une manière d’être sans mode et s’y sont fixés sans l’amour de
Dieu. Aussi pensent-ils être eux-mêmes Dieu... Ils sont élevés à un état de non
savoir et d’absence de modes auxquels ils s’attachent ; et ils prennent cet
être sans modes pour Dieu[1876].
Ces deux extrêmes ont en commun de privilégier
l’effort. Ils risquent donc en pratique
de ne plus laisser reconnaître la primauté, voire l’existence même, du don de
la grâce : de toutes façons, on ne fait que s’affirmer soi-même au lieu
d’appeler Dieu. Au contraire, dans la voie d’amour, tout s’accomplit par
l’abandon à la grâce :
On ne fait nul effort d’esprit pour s’abstraire; mais
l’âme s’enfonçant de plus en plus dans l’amour, accoutume l’esprit à laisser
tomber toutes les pensées ; non par effort ou raisonnement, mais cessant de les
retenir, elles tombent d’elles-mêmes[1877].
Mme Guyon privilégie non l’intellect, mais l’élan du
cœur, c’est-à-dire la volonté :
L’esprit se lasse
de penser, et le cœur ne se lasse jamais d’aimer. (…) il est impossible que
l’action de l’esprit puisse durer continuellement : c’est de plus une action
sèche, qui n’est bonne qu’autant qu’elle en procure une autre, qui est celle de
la volonté. Concluons qu’il est plus utile pour nous, plus glorieux à Dieu, et
même uniquement nécessaire, d’aller par la voie de la volonté[1878].
Peuvent se présenter des phénomènes
extraordinaires, souvent sous la forme de représentations, d’images. Mais le
parcours intérieur va bien au-delà de ces phénomènes propres aux débuts de la
vie mystique, qui sont liés à la faiblesse de notre nature et qui sont rejetés
ou du moins mis à leur place secondaire par l’ensemble des
auteurs mystiques. Il dépasse la « voie de lumières[1879] »
pour aboutir, après purification, à la foi nue, l’anéantissement en Dieu. Ces
phénomènes ne sont que l’expression imagée, dépendant d’un contexte religieux
ou culturel, sous laquelle transparaît le travail profond de la
grâce ; au pire, elles sont des
illusions. Dans tous les cas, il faut s’en détourner :
Cette contemplation doit être nue et simple; parce
qu’elle doit être pure. Tout ce qui la détermine, la termine et l’empêche … ne
donne jamais la chose telle qu’elle est en soi, mais en image grossière, qui ne
peut ressembler au simple et immense Tout.[1880].
Ainsi, quand Mme Guyon
dénonce les illusions conformément aux nombreuses mises en garde de Jean de la
Croix, elle se situe dans la tradition spirituelle qui remonte par Benoît de
Canfield aux Rhéno-flamands :
L’élévation d’esprit qui se fait par ignorance, n’est
autre chose que d’être mu immédiatement par l’ardeur d’amour, sans aucun
miroir, ou aide des créatures, sans l’entremise d’aucune pensée précédente, et
sans aucun mouvement présent d’entendement, afin que la seule affection puisse
toucher, et que la connaissance spéculative ne puisse rien connaître en cet
exercice d’esprit[1881].
Loin de rester dans
une théorie sèche, Mme Guyon sait décrire ces étapes avec précision, en
s’aidant d’images très vivantes qui traduisent un vécu intense et le flux
renouvelé de sa vie en Dieu. Loin d’être floue, elle donne des descriptions
claires, subtiles et frappantes de précision. Naturellement, elle reprend à son
compte les termes mystiques tels qu’ils sont en usage à la fin du siècle[1882] : oraison de simple regard, contemplation, oraison simple, oraison de
foi, foi simple sans bornes ni mesures[1883].
Mais elle prend appui sur son expérience personnelle
pour les analyser avec une acuité remarquable et les discerner chez chacun avec
perspicacité.
La Vie par elle-même décrit une évolution qui naît au cœur de
l’individu et le transforme sur la longue durée. Cette expérience est dite mystique parce
qu’elle est intérieure et cachée, mais elle ne se traduit par aucun refus des
engagements dans la vie concrète visible et libère même une énergie active
considérable. On distingue, sans en faire système, trois étapes ou mieux
grandes périodes.
En premier lieu, la
découverte de l’intériorité permet une pacification progressive. Cette
découverte s’accompagne d’événements intérieurs variés selon les tempéraments
et l’environnement, en de brefs instants ou des états durables. Leur caractère
extraordinaire a toujours attiré une attention exagérée au détriment de la vie
profonde. Manifestations secondaires souvent liées aux faiblesses d’une nature
rencontrée par la grâce, elles sont cependant utiles pour confirmer le
commençant dans sa voie. Elles élargissent sa vision en relativisant
l’importance accordée à soi-même par une ouverture à la beauté du monde et des
êtres. Mme Guyon souligne la manifestation divine qui détruit - suavement en ce
début - les obstacles :
Dieu commence par combler l’âme de grâces : ce ne sont
que lumières et ardeurs, on monte incessamment de grâce en grâce, de vertus en
vertus, de faveurs en faveurs[1884].
Dès le commencement elle consiste en un regard d’amour
sur l’homme; et ce regard le consume et détruit ses impuretés … Car il faut concevoir
que toutes les opérations de Dieu en Lui-même et hors de Lui-même ne sont qu’un
regard et un amour éclairant et unissant… Plus Il purifie par ce regard, plus
Il atteint le dedans et le purifie de ce qui est plus subtil, plus délicat,
mais aussi plus enraciné[1885].
Puis aux élans d’amour
« par secousse », succède le « poids » de l’amour qui
enfonce l’âme en Dieu :
L’âme ayant passé ces élans d’amour dont nous
avons parlé, ce même amour actif et par secousse est premièrement ralenti et
devient plus tempéré ; ensuite l’âme ne le sent plus que comme un poids qui l’entraîne insensiblement
en bas. C’est un poids qui enfonce peu à peu l’âme en son rien, et qui est
comme tout naturel, jusqu’à ce que par cette pente insensible et ce poids
d’amour, l’âme tombe dans le plus profond de la vallée, qui est son néant. […]
Alors ce poids d’amour la faisant outrepasser elle-même, […] elle tombe en Lui
où elle se perd et s’abîme toujours de plus en plus par ce même poids de
l’amour. Or comme Dieu est immense et infini, ce poids l’enfonce toujours plus
en Dieu.[1886]
Ce sont aussi des années de désappropriation, terme qui s’avère d’un
emploi fréquent dans les Discours. Il
se substitue souvent à celui de purification,
terme beaucoup plus courant dans la littérature spirituelle, mais ambigu aux
yeux de Mme Guyon : elle l’emploie souvent, mais dans un sens moins large.
Tout d’abord, la grâce opère un travail de purification des obstacles (orgueil,
volonté, etc.) au moyen d’épreuves diverses qui frappent dans la vie concrète.
Le chemin dépend beaucoup des obstacles propres au mystique. Le principal
obstacle est la volonté propre qui
empêche le divin d’être notre principe. En particulier, l’ascèse décidée par
soi-même ne conduit pas vers Dieu mais vers la perfection de soi : Mme
Guyon s’en méfie et lui préfère les épreuves données par la Providence, qui
sont beaucoup plus efficaces car non voulues. On peut citer aussi le doute,
auquel on tente souvent de remédier par le recours à la loi ou aux
raisonnements. Ainsi ces obstacles peuvent arrêter l’évolution
intérieure :
Étant
dans un fort recueillement, il me fut montré deux personnes : l’une qui
était toujours exposée aux rayons divins et qui recevait incessamment les
influences de la grâce ; et l’autre qui mettant continuellement de
nouveaux obstacles, quoique subtils et légers, à la pénétration du Soleil,
était cause que le Soleil ne faisait autre chose par son opération, que de
dissiper les obstacles[1887].
Mais le but n’est pas d’être à terme un
‘nous-mêmes’ moins ses défauts ! Pendant des années de travail
douloureux pour le mystique, la grâce opère une désappropriation que Mme Guyon compare à l’action du sculpteur qui
creuse la pierre :
Il faut savoir qu’on creuse
la pierre en proportion que ce qu’on y veut graver a de grandeur, d’épaisseur
et d’étendue. Afin que Dieu s’imprime dans notre âme, il faut qu’elle soit dans
un néant proportionné au dessin de l’impression que Dieu y veut faire. Ici tout
s’opère en vide […] L’homme ne voit point ce merveilleux ouvrage : il n’en
paraît rien au-dehors. Ce n’est point un ouvrage de relief, mais un creux
profond, une concavité, que l’âme n’aperçoit que par un vide souvent très
pénible[1888].
Ce travail trouve son
achèvement quand tout l’être se donne à la grâce :
On s’élève au-dessus de soi en se quittant soi-même par
un désespoir absolu de trouver aucun bien en soi : on n’y en cherche plus,
on trouve en Dieu tout ce qui nous manque ; ainsi on s’élève
au-dessus de soi par un amour de Dieu très épuré[1889].
…sans que l’âme fasse autre chose que se reposer, sans savoir comme cela se
fait, elle s’élève insensiblement au-dessus d’elle-même, et par un
renoncement parfait, elle se quitte peu à peu à force de s’élever au-dessus
d’elle-même, comme un aigle qui quittant la terre, s’élève si haut qu’il la
perd de vue[1890].
Le mystique finit par
perdre toute propriété même envers lui-même tout en gardant ses capacités et
ses infirmités[1891].
Dans un apaisement total de tout son être, il n’existe plus que traversé par
l’énergie divine. Comme chez Ruusbroec[1892],
la structure individuelle est mise au service de la grâce qui vient prendre la
place centrale au cœur et donne les impulsions, comme l’exprime l’apôtre Paul
si souvent cité par Mme Guyon :
Cette âme sait fort bien que Dieu est devenu sa vie. Au
commencement cela est plus aperçu, dans la suite cela devient comme naturel.
Saint Paul qui l’avait éprouvé dit : Je
vis, non plus moi, mais Jésus-Christ vit en moi[1893].
La pure charité et le
pur amour absorbent la foi et l’espérance :
La pure charité est si pure, si droite, si grande, si
élevée qu’elle ne peut envisager autre chose que Dieu en Lui-même et pour
Lui-même. Elle ne peut se tourner ni à droite ni à gauche, ni se recourber sur
nulles choses créées quelque élevées qu’elles soient. …
[La foi et l’espérance] sont absorbées dans elle, qui
les renferme et les comprend sans les détruire : comme nous voyons la lumière
du soleil, lorsque il est dans son plein jour, absorber tellement celle des
autres astres, qu’on ne les peut plus discerner, quoique ils subsistent
réellement[1894].
La volonté embrasse l’amour et se transforme en lui et
la foi fait la même chose de la vérité, en sorte que, quoique cela paraisse
deux actes différents, tout se réduit en unité[1895].
Là est l’ultime
simplicité :
En quoi consiste la simplicité ? C’est dans l’unité
: si nous n’avons qu’un regard unique, un amour unique, nous sommes simples[1896].
C’est la naissance à
une vie nouvelle :
Je ne suis ni saint ni orné, etc., dira cet homme
éclairé de la lumière de Dieu, mais Dieu
est tout cela pour moi. … comme Il ne laisse rien pour moi, et que je ne
saurais subsister sans rien, Il m’absorbe et me perd en Lui, où Il ne me laisse
rien de propre, ni propre justice ni propre vertu[1897].
Nous ne saurions
ajouter à ce que décrit inlassablement Mme Guyon :
Elle [l’âme] est partout ailleurs dans un état violent ;
et là elle trouve une paix parfaite, parce
qu’arrivant à son centre et ensuite l’ayant trouvé, elle est hors des
agitations de ceux qui y tendent.[1898]
…l’âme n’éprouvant plus de
vicissitudes, n’a plus rien qui la trouble, elle est toujours reposée de toute
action, n’en ayant plus d’autre que celle que Dieu lui donne et étant même dans
une heureuse impuissance de se soustraire à son domaine, elle est toujours
parfaitement tranquille et paisible[1899].
Elle
sait qu’elle vit et c’est tout, et elle sait que cette vie est étendue, vaste,
qu’elle n’est pas comme la première : et c’est tout ainsi que cette âme sait
fort bien que Dieu est devenu sa vie[1900].
Mme Guyon affine cette
division tripartite en décrivant des étapes intermédiaires des plus imagées[1901].
Ainsi selon la succession suivante : (1) attirance en soi où demeure la
voie de l’intériorité et sa source[1902],
(2) laisser faire Dieu plutôt que de s’efforcer à quelque exercice ou ascèse[1903],
(3) chasser l’amour-propre en ne se recourbant jamais sur soi[1904], (4) accepter la purification nécessaire[1905]
parce qu’on ne peut concilier attachement et amour : on est obligé de
suivre Jésus-Christ par la voie de la foi nue[1906]
et non des lumières ; (5) l’Amour pur rend heureux dans le sans limite[1907],
(6) des nuits touchent l’être même et non plus seulement ses vêtements[1908],
(7) puis un état intermédiaire où l’on est perdu à soi mais où le divin demeure
encore caché[1909],
(8) enfin une re-création divine : alors suivant Paul « ce n’est plus
nous qui agissons[1910]. »
Mais elle ne se tient pas au dogmatisme
d’une division en trois étapes[1911] ou en huit : au cœur d’une vie mystique fluide
et mouvante, chacun fait l’ascension de la montagne en suivant son propre
chemin, selon la belle comparaison qui ouvre les Discours[1912] :
…on voit avec plaisir que ces chemins si éloignés, se
rapprochant peu à peu et enfin se joignant en un seul et unique point, comme
des lignes fort éloignées se rejoignent dans un point central, se rapprochent
insensiblement.
Durant tout ce chemin, Mme Guyon affirme la
nécessité d’avoir un guide spirituel et critique durement ceux qui se prennent
pour des maîtres sans y être appelés :
Peu y marchent parce
qu’il ne se trouve presque point de guide qui apprenne aux âmes à suivre Dieu
et qu’au contraire ils font suivre leurs propres voies : c’est eux que
l’on suit et Dieu est oublié.[1913].
De même que dans la Correspondance, une évidence de fond soutient tous les Discours : tout dépendant de la
grâce divine, sa transmission en silence de cœur à cœur, de personne à
personne, est un des moyens qu’elle utilise pour guider les êtres vers Dieu.
Mme Guyon a été ce canal : c’est une certitude d’expérience pour ses amis
et pour elle-même. C’est dans les Discours
que nous trouvons les plus belles analyses de leur vécu :
Vous
m’avez demandé comment se faisait l’union du cœur ?
Je vous dirai que l’âme étant entièrement affranchie de tout
penchant, de toute inclination et de toute amitié naturelle, Dieu remue le cœur
comme Il lui plaît et saisissant l’âme par un plus fort recueillement, Il fait
pencher le cœur vers une personne. Si cette personne est disposée, elle doit
aussi éprouver au-dedans d’elle-même une espèce de recueillement et quelque
chose qui incline son cœur. On discerne alors fort bien qu’on éprouve quelque
chose au-dedans de soi-même que l’on n’éprouvait pas auparavant, mais pour ce
temps-là seulement ; et quoique cela soit très simple, il ne laisse pas de se
faire goûter du cœur, qui éprouve en soi une correspondance pour cet autre
cœur. […] Il ne faut point dire à cela :
« Je ne veux rien », car il faut recevoir également tout ce que Dieu
donne et par le moyen qu’Il lui a plu de choisir, et [moyen] qui n’y a non plus
de part qu’un tuyau qu’on met auprès d’une eau pour la faire couler et qu’on
ôte quand on veut.[1914].
C’est aussi dans les Discours que Mme Guyon donne de l’état
apostolique l’explication théologique la plus achevée :
…L’âme
n’y a point de part : elle est morte et très anéantie à toute
opération ; mais Dieu, qui est en elle essentiellement en unité très
parfaite où toute la Trinité en distinction personnelle se trouve réunie, sort
Lui-même au-dehors par Ses opérations, sans cesser d’être tout au-dedans ;
et sans quitter l’unité du centre, Il se répand sur les puissances […] durant
que cette âme, vide de toute propriété et distinction, non seulement des
Personnes mais d’elle-même, demeure essentiellement unie à Dieu dans le fond,
qui est Dieu même, où tout est dans le repos parfait de l’unité essentielle de
Dieu, pendant néanmoins que le même Dieu
agit par elle en distinction de Personnes…[1915].
C’est à cette mission que Mme Guyon a
consacré les dernières années de sa vie. Par la suite, ses disciples formèrent
des cercles guyonniens dont on peut relever la trace sur plus d’un siècle.
Cent quarante
opuscules de dimensions très diverses nous sont ainsi parvenus fidèlement comme
le montrent les comparaisons sur les rares d’entre eux dont on possède une
copie manuscrite[1916]. La recherche[1917]
des sources sur le vaste ensemble de l’œuvre guyonienne n’a pas conduit à de
nombreux doubles. Les très abondantes et relativement précoces Explications bibliques de 1683-1684 ne
comportent pas les développements propres à certains Discours. Ces derniers, souvent très denses, correspondent à un
retour tardif et approfondi sur les textes sacrés. Plusieurs Discours sont des lettres adressées à
Fénelon et deux sont des lettres adressées à Bossuet, dont une est reprise dans
la Vie. A notre surprise, aucune des
nombreuses lettres adressées au duc de Chevreuse ou à d’autres correspondants,
tels que la « petite duchesse » de Mortemart ou les disciples du
début du XVIIIe siècle, n’est reprise (cependant certains Discours pour lesquels ne nous sont pas parvenues de sources
parallèles sont visiblement des lettres).
On peut penser que les disciples ont été sensibles au caractère illustre
de Fénelon, « notre père » ;
ou à la forme plus achevée, par précaution, de lettres adressées à Bossuet.
Il nous a paru utile
de compléter certaines références à des textes spirituels par quelques
extraits ; ceci est particulièrement important pour Catherine de
Gênes, très appréciée de Mme Guyon et de Poiret, qui signale les passages où
cette dernière se réfère à cette grande mystique du Pur Amour. Avec Jean de la
Croix et Jean de Saint-Samson, Catherine de Gênes fait en effet partie des
trois auteurs les plus cités dans les Justifications
rédigées au moment le plus crucial de la « querelle » quiétiste.
Enfin nous avons parfois cité une autre femme, Hadewijch II, connue directement
par Ruusbroec et qui aurait influencé Catherine de Gênes[1918]. Des abréviations sont utilisées dans les
notes[1919].
Les poèmes de Mme
Guyon, le plus souvent des cantiques, représentent le huitième de son œuvre
écrite, soit cinq volumes. S’ajoutent quelques manuscrits rédigés en prison. Il
ne s’agit pas de la partie la plus remarquable de l’œuvre et nous n’en
donnerons donc ici qu’un très bref aperçu. Mais au cas où le goût littéraire
changeant se rapprocherait quelque jour de ce qui fut fort goûté au XVIIIe
siècle, indépendamment de la bibliographie donnée en fin de volume, en
voici les sources :
[1717] L’âme
amante de son Dieu, représentée dans les emblèmes de Hermanus Hugo sur
ses“Pieux désirs”, et dans ceux d’Othon Vaenius sur l’amour divin, avec des
figures nouvelles accompagnées de vers qui en font l’application aux
dispositions les plus essentielles de la Vie intérieure, à Cologne [Amsterdam],
J. de la Pierre, 1717. XXVIII-188p. et pl. gravées. - Réédition « par
Madame J.M.B de la Mothe-Guyon, nouvelle édition considérablement augmentée »,
1790.
[1722] Poésies et Cantiques spirituels sur divers
sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme,
par Madame J.M.B. de la Mothe-Guyon, divisés en quatre volumes, à Cologne
[Amsterdam], Chez Jean de la Pierre, 1722 – Réédition, 1790.
Quelques
poésies figurent en annexe à la Vie par
elle-même (p. 1036-1042, éd. Paris, Champion, 2001) ainsi que dans la
correspondance échangée avec Fénelon (p. 565-585, éd. 2003 ; les poèmes
seraient d’elle ?).
Des
traductions-adaptations existent, dont celle écrite par le poète anglais
William Cowper (1731-1800). Plus récemment un choix notable a été proposé par
M.-L. Gondal : Le Moyen court et autres
récits, une simplicité subversive, « III. Le Chant de l’âme »,
Grenoble, Millon, 1995.
Enfin
des sources manuscrites demeurent inexploitées aux Archives
Saint-Sulpice : il s’agit des folios 77 à 83 et 89 du ms. 2176, « Livre des lettres du marquis de Fénelon »,
ainsi que de cinq sections du ms.
2057, « Divers écrits de Madame Guyon ».
La poésie de Mme Guyon
ne cherchait aucunement un achèvement littéraire. Mais elle illustre de manière
concentrée et directe l’intensité et la profondeur de l’expérience vécue.
Rappelons brièvement les circonstances de leur composition : Mme
Guyon fut enfermée en prison pendant plus de sept ans [1920],
dont près de cinq années d’isolement dans l’un des quatre étages de l’une des
huit tours de la Bastille [1921].
C’est dans ce sombre lieu que furent composés des poésies dont subsistent deux
manuscrits, des petits cahiers d’une écriture microscopique, dont l’un est
autographe[1922].
Elle partageait très probablement ses poèmes, d’inspiration psalmique, avec ses « filles » de compagnie
qui restèrent fidèles, d’où une grande simplicité et répétitivité dans les
formes. Dans les dossiers La Reynie conservés à la B.N.F., on a conservé des
traces matérielles de cette période : les cheveux qui servirent à une
crèche faite à la Bastille. Ces traces traduisent une dévotion où le thème de
l’Enfance de Jésus tient une large place, qui apparaît bien dans ses
compositions rythmées.
On la questionna aussi
au sujet de ses écrits en vers, lors du neuvième interrogatoire qui eut lieu au
donjon de Vincennes le 4 avril 1696 :
[…]
Si elle n'a pas écrit et composé en vers.
A
dit qu’oui, et qu'elle aime extrêmement la poésie, qu'elle a composé un petit
livre d'emblèmes qui est manuscrit, où il y a des images à chaque feuille, et
qu'elle a aussi composé l'opéra dont elle vient de parler, et quelques autres
pièces.
Si
elle a appris les règles qu'il faut savoir pour composer et pour écrire en vers
français.
Et
dit que non, et que c'est par cette raison qu'elle y fait beaucoup de fautes,
mais qu'elle écrit avec autant de facilité en vers qu'en prose et qu'elle
faisait quarante et quarante-cinq de ces emblèmes en une seule matinée. […]
Un niveau du donjon
avait été aménagé par ordre royal pour ces interrogatoires dont on espérait
beaucoup. Elle fut enfermée ensuite dans un « couvent » à Vaugirard,
spécialement constitué pour cet effet. Car l’affaire quiétiste fut l’objet des
soins du puissant Roi, signataire des lettres de cachets, et surtout de son
épouse, Mme de Maintenon, qui manipulait les évêques. Les interrogatoires se
déroulèrent en deux temps : aux neuf interrogatoires par La Reynie, homme
sévère mais juste, dont nous venons de donner un extrait, succèderont vingt
interrogatoires par son terrible successeur d’Argenson [1923].
Les écrits de prison sont souvent des cantiques : quand on est réduit à
n’utiliser que quelques rares feuilles de papier avec des moyens de fortune,
que peut-on fixer, sinon des formes brèves ? Elle écrira par ailleurs deux
lettres avec une encre de fortune puis avec son sang[1924] !
Ces cantiques
traduisent une alternance entre paix et oppression. Les deux premiers extraits
traduisent la félicité qu’elle arrive encore à trouver au début de son
emprisonnement parce qu’elle peut trouver refuge en Dieu :
Cantique
V [1925] :
[…]
Je n’ai nulle espérance en moi, mais Vous êtes mon salut
Je
suis calomniée, Vous êtes mon défenseur
Je
suis dans l’opprobre et Vous êtes ma gloire,
(237v°)
Je suis dans les ténèbres, Vous êtes ma lumière [...]
Cantique
VI [1926]
Que
mon cœur est content auprès de ce que j’aime !
Et
que je suis heureux dans mon malheur extrême !
Puisque
tous mes travaux me donnent plus de lieu
De
m’unir et jouir en secret de mon Dieu.
Je
Le possède seul dans un profond silence
Je
me nourris de foi, d’amour et d’espérance […]
Mais de nombreux
poèmes suivront qui montrent moins de certitude lorsque l’épreuve devient très
lourde. Ils laissent transparaître l’angoisse de la prisonnière qui se sent
abandonnée. Isolée dans la Bastille, ses amis la croiront morte en 1700. On
rejoint l’atmosphère oppressante rendue par l’extraordinaire « récit des
prisons ». Le premier extrait qui suit est raisonnablement confiant, et
fut donc imprimé. Les suivants, se prêtant moins à une attente forcément
hagiographique de disciples, ne semblent pas l’avoir été :
[f°300v°]
[1927]
Pour
labourer un champ on fait beaucoup d’effort :
Il
faut avec le fer ouvrir, tourner la terre.
Plus
le fer passe, plus on attend son rapport.
On y
jette le blé et puis on le resserre :
C’est
ainsi que l’Amour agit sur notre cœur.
La
croix et la douleur Lui sert de labourage. [1928]
[…]
On voit que
l’expression est moins mièvre que dans les précédents poèmes car elle perd
toute espérance humaine. Mais jamais elle ne tombe dans l’absence d’espérance
car elle garde toujours à l’esprit que cette épreuve a un sens spirituel
profond :
[f°299]
L’espérance
me nourrissait
Dedans
ma plus tendre jeunesse
Et
l’Amour qui me conduisait
Était
plein de délicatesse.
Mais
sitôt que la foi brillant dans mon esprit
Me
fit apercevoir mille traits de l’enfance [1929],
Je
voulus quitter l’espérance
Et
suivre l’Amour pur dans une sombre nuit.
L’espérance
sera ta fidèle compagne,
Dit
l’Amour : quitte du lait la douceur
Et
viens avec moi parcourir la campagne.
Il
faut, il faut changer ton cœur :
Je
te ferai courir à bord des précipices
[…]
[f°297]
Je
vois de tous côtés grand nombre d’ennemis :
Chacun
me presse et m’environne,
Ils
croient me rendre soumis,
La
mort et l’enfer me talonne[nt].
Malgré
tant de dangers je n’appréhende rien :
Qu’on
me frappe, qu’on m’environne,
Ce
qu’on fait contre moi me paraîtrait un bien
Si
ce divin Amour me servait de soutien.
[…]
Parfois pourtant la
lassitude la prend et elle soupire après la mort :
[f°288v°]
Que
mon exil est long, ô mon divin Époux,
J’attends
la fin de ma carrière
Et
Votre divine lumière
Devant
de désirer un bien si doux.
Je
suis pèlerine sur terre
Dedans
une terre étrangère
Dont
j’abhorre les habitants
car
on ne Vous y connaît guère […]
Mais elle n’ose
désirer la mort :
[f°281v°]
Je
vois de loin la mort qui semble m’approcher.
Je
n’ose en témoigner de joie :
J’appréhende
de Vous fâcher.
Hélas !
faites que je Vous voie !
[…]
Elle ne sortit de sa
prison qu’en 1703, très faible, en litière. On se méfiait encore d’elle et elle
fut assignée à résidence chez son fils près de Blois. Heureusement, vers 1705,
elle put s’établir discrètement dans une maison acquise près du château de
Blois où des disciples français (les « cis ») et étrangers (les
« trans ») lui rendaient visite : le jeune marquis de Fénelon
(qui deviendra un temps ambassadeur en Hollande avant de mourir au combat au
milieu du siècle), des Écossais comme le « chevalier » Ramsay, lord
Deskford, des membres de la famille des Forbes... Elle entretenait une
abondante correspondance européenne.
L’atmosphère de ce
cercle spirituel de Blois était très informelle et on s’y distrayait
innocemment. C’est pendant cette seconde époque, beaucoup plus paisible, que
madame Guyon composa des cantilènes que l’on
chantait sur des airs profanes connus : ce
« détournement » devait beaucoup amuser tous ces amis et prouve
l’humour qui régnait parmi eux ; on est très loin d’une atmosphère
compassée ou d’une retraite dans un couvent ! Ces chansons, à la forme plus ou
moins achevée, devaient être bienvenues lors des longues veillées d’hiver bien
rudes : celui de 1709, célèbre, vit la Loire gelée et le pont emporté par
les glaces… La préface de l’éditeur des quatre volumes de Poésies et Cantiques nous décrit la façon dont furent créés ces
chansons spirituelles :
…dans des moments d’un recueillement plus marqué, elle prenait le premier
papier qui se trouvait sous sa main, & y écrivait ces Cantiques sur toutes
sortes d'airs qui lui venaient en pensée, ou qui lui étaient suggérés par ses
Amis, aussi aisément qu’elle écrivait ou dictait des lettres; et la cadence
& les rimes s'y trouvaient […] & souvent ils y découvraient les
dispositions de leurs âmes, chacun selon son état et degré [Vol. 1, Préface, V]
Le même éditeur
ajoute :
On
verra à la fin du quatrième volume une Table
alphabétique de tous ces poèmes : à quoi l'on a ajouté en faveur de ceux
qui aiment le chant, une autre Table des
airs …avec la désignation de ceux auxquels chaque air se rapporte …[Vol. 1,
Préface, XI]
En effet à chaque
poème est attribué un air profane connu de tous et que signalent les pièces
manuscrites. Ceci nous a permis de retrouver certains poèmes imprimés, pour
constater que l’ordre des strophes est modifié, et parfois des strophes
ajoutées : l’éditeur a eu visiblement à mettre en ordre des sources de
fortune (« elle prenait le premier papier… ») et a cru bon d’arranger
légèrement le style… Cela autoriserait l’édition éventuelle de quatrains
choisis pour leur force d’expression, sans se soucier d’en faire une édition complète qui serait fort ennuyeuse.
On s’aperçoit en particulier que les débuts sont fréquemment meilleurs que les
suites : ces dernières ne sont pas exemptes de répétitions, prix payé pour
assurer une longueur propice, comme c’est le cas pour certains hymnes de
louange du missel.
Le but de Mme Guyon était, dans la première
période sombre de composition, de maintenir un certain courage très nécessaire
pour elle-même et ses compagnes dans les prisons. A Blois, ces chansons lui
permettaient de ramener ses disciples à une certaine ferveur, sans tension ni
sévérité, dans la détente et la simplicité, en évitant monotonie et
ennui : s’exprimant en pleine spontanéité, elle décrivait en formules
heureuses la joie et la liberté d’une âme parvenue au sommet d’une vie mystique
qu’elle désirait faire partager à ses amis.
La familiarité tenait
une grande place dans les rapports entre la « dame directrice » et
ses « disciples » : ils se désignaient entre eux comme les
enfants de « notre mère » (comme aussi de « notre
père » : Fénelon). On voit Mme Guyon inviter sans
formalité « le boiteux », neveu de l’archevêque :
…Et
vous serez dans la maison du petit Maître tant que vous le voudrez et pourrez.
Si les bons Écossais viennent, vous pourrez découcher et descendre dans le bas,
car je fais de vous comme des choux de mon jardin. À Dieu sans amen, mon enfant le boiteux[1930].
Les
« enfants » se livraient à des « jeux » pendant que
« leur mère » restait en oraison. Les cantiques ou chansons
poursuivaient donc deux buts : fournir des thèmes qui inclinent vers
l’oraison, exprimer ce qui est vécu dans l’oraison. L’intérêt des poèmes réside
dans leur contenu qui reflète sa longue expérience, beaucoup plus que dans la
forme peu achevée, puisqu’il faut inventer chaque jour autour de thèmes
récurrents : un lecteur sévère dirait qu’il s’agit plutôt de prose rimée.
Mais Mme Guyon arrive en général à maintenir un rythme : nous entendons
beaucoup de décasyllabes, parfois des rythmes impairs à cinq ou sept pieds,
parfois des alexandrins. Mais l’intérêt évident de ces vers est leur profondeur
mystique.
§
Des thèmes essentiels
se dégagent : Dieu seul donne et
demande un amour pur qui assure la paix et la liberté, quelles que soient les contraintes extérieures.
Dieu seul est le point de départ ou source
commune à tous les mystiques, qu’ils soient quiétistes ou non. L’amour pur en est immédiatement la
conséquence puisque tout retour sur nous-mêmes revient à détourner notre regard
de la vision vers Dieu. Mme Guyon compare souvent l’être humain à un
miroir ou à un héliotrope qui se tourne toujours vers le soleil de Dieu.
Elle utilisait d’ailleurs souvent un cachet portant cette image qui, par son
dynamisme ( la rotation de la plante), rappelle très bien notre nature de
vivant.
O
bien réel ! tu fais toute ma joie :
Je
te trouve en mon Dieu, non pas en moi ;
Ce
qu'Il donne, aussitôt je Lui renvoie :
Un
cœur loyal ne retient rien pour soi.
[…]
…Dieu
seul se possédant Soi-même,
Infiniment
tranquille et bienheureux,
Doit
faire le bonheur du cœur qui L'aime.
Ou
bien il est lâche, et non amoureux ![1931]
[…]
Nous
arrêtons les dons de Dieu
Quand
nous les voulons pour nous-mêmes.
Ils
ne sont bien que dans leur lieu :
Leur
lieu, c'est l’Essence suprême.
Tout
en sort, tout doit aboutir
En
Lui, comme il en doit sortir.[1932]
[…]
Nous
voulons conserver mille choses pour Dieu,
Lorsque
Il en veut le sacrifice :
C'est
la matière d'un grand feu ;
Et
ce feu vient de Sa Justice.
[…]
Ah !
Ne nous flattons point : c'est vouloir posséder
Que
de se posséder soi-même ;
C’est
un prétexte pour tromper,
Dire
que c’est pour Dieu qu'on s'aime.[1933]
Dieu est la seule
réalité, et nous-mêmes, à vrai dire, ne sommes rien devant Lui. Ce vertige de
la mystique est heureusement contredit par l’expérience d’être aimé.
[…]
Voulez-vous
savoir qui je suis ?
Rien.
Et Dieu toute chose.
Je
ne veux, ne fais ni ne puis.
Dieu,
mon unique Cause,
Demeure
en Soi, moi dans le rien.
Dieu
vit, Dieu seul opère.
Dieu
saint est le souverain bien ;
Moi,
la même misère. [1934]
Tout panthéisme est
évité par la reconnaissance d’une circulation dynamique qui ramène à sa Cause : on est loin
d’une vision statique. Mme Guyon est marquée par l’influence de Denys, qui
reprend un schéma d’émanation où le rôle premier est celui de la grâce divine
qui nous in-forme :
Je
m'imagine voir l'immense tourbillon
Entraînant
ce qui se dissipe,
Comme
par circulation
Le
ramenant à son Principe.
Laissons-nous
entraîner à sa rapidité ;
Nous
n'appréhendrons plus l'orage :
Il
nous conduit dans l'immensité ;
Rien
ne s'oppose à son passage.[1935]
L’amour pur est le thème central, parallèle à la nudité puisqu’il faut se donner
totalement à Dieu :
Ah ,
qu'heureuse est la destinée
De
celui qui n'a plus de moi !
Et
que l'âme est infortunée,
Lorsqu'elle
habite encore en soi ! [1936]
[…]
Divine
Vérité qui faites mon bonheur,
Que
vous causez au cœur de paix et de largeur !
On
ne vous goûte bien que dans la solitude :
C'est
là qu'on apprend tout sans secours de l'étude.
[…][162]
On
se donne cent fois, on se reprend de même,
On
ne se laisse point mouvoir au Dieu Suprême :
S'Il
vient pour nous conduire, on veut voir Son chemin ;
On
cherche à s'assurer s'Il nous tient par la main. [1937]
Le mystique n’a plus
de volonté propre, il est mû totalement par la grâce. Apparaît un thème qu’elle
a vécu très profondément, celui de l’enfant dans les bras de Dieu, et
parallèlement à celui, peu usité chez elle, du « fou » de Dieu :
L’âme
ainsi qu'un fleuve s'écoule
Par
la volonté dans l'Amour:
Dieu
la meut ainsi qu’une boule ;
Elle
obéit sans nul détour. [1938]
[…]
Je
ne possède plus de moi,
Toujours
étrangère à moi-même :
Je
vis sans connaître de loi,
Suivant
toujours la loi suprême ;
Tout
ainsi qu'un petit enfant
Remué
par un bras puissant.
[…]
Principe
de mon mouvement,
Souverain
Auteur de mon être,
Tu
me conduis rapidement,
Après
T'être rendu le maître :
Je
Te suis comme un pauvre fou,
Le
plus souvent sans savoir où. [1939]
[…]
Je
ne puis rien prévoir
Je
ne sais Qui me mène ;
Je
n’ai plus aucun pouvoir,
Et
je n’en ai point de peine :
Ma
route est incertaine ;
Je
ne puis rien vouloir. [1940]
Elle appelle ses
disciples à une vie mystique très épurée et très sobre : il n’y a plus
d’états, plus de manifestation extraordinaire car l’union à Dieu est
totale :
D'abord,
Il attire, unit et concentre
Les
puissances rejointes en un point.
Quand
Dieu possède entièrement le centre,
Les
sens reçoivent, ne dissipent point.
Amour
en soi peu à peu nous transforme.
Les
puissances trouvent la vérité.
Même
les sens changent aussi de forme,
Et
tout se retrouve dans l'unité. [1941]
L’étincelle de l’âme
est engloutie dans le feu divin :
Plus
notre amour est pur et se concentre,
Moins
il parait d'étincelle au-dehors :
Quand
la charité devient notre centre,
On
ne remarque plus aucuns transports.
L'obstacle
au feu cause les étincelles :
Sans
quoi, il brûlerait tranquillement:
Quand
les âmes sont souples et fidèles,
On
ne voit à leur feu nul mouvement.
Le
pur amour est une flamme droite,
Qui
sans se recourber tend à son Dieu.[1942]
[…]
J’aime
mon Dieu cent fois plus que moi-même ;
Et
cependant je ne sens point d'amour !
L'homme
perdu dans l'Essence Suprême
Ne
connaît plus ni ténèbres ni jour. [1943]
Là, l’être humain est
comblé et madame Guyon choisit l’amplitude de l’alexandrin pour l’exprimer
:
Dedans
l'obscurité j'ai trouvé la lumière ;
Mon
néant est comblé de la Source première.
Je
ne manque de rien, & sans rien posséder,
J’ai
cent fois plus de bien ; car sans rien demander,
Il
prévient mes besoins ; à Lui je m'abandonne.
Ce
qui me vient de Lui, sans cesse je Lui donne;
Et
dégagé par là de tous soins superflus,
Je
Le contemple seul, et je ne me vois plus. [1944]
Une fois la perte du moi
accomplie, elle chante son bonheur :
On
trouve en se perdant, ce Dieu puissant, immense,
Qui
fait participer à Son immensité
Le
cœur trouve une libre aisance,
Qui
vient de sa simplicité.[1945]
[…]
Dans
cette étrange obscurité
Que
mon âme est contente!
J'y
pénètre la vérité
Par
delà mon attente.
La
vérité c'est mon néant,
Et
que Dieu seul est juste et grand [1946]
Le rythme devient celui d’une chanson remplie de paix et de liberté au terme de cette longue vie si remplie d’épreuves et
d’amour de Dieu :
Que
je suis contente,
N'étant
bonne à rien!
Je
vis sans attente
En
moi de nul bien,
Mais
mon Sauveur
Est
seul tout mon bonheur.
[…]
Que
je suis bien
Quand
je suis dans le rien !
[…]
Dieu
Se voit sans cesse
Dans
cet heureux rien :
Là,
de ses richesses,
On
n'usurpe rien.
Tout
est pour Lui :
Sagesse,
force, appui.
L'esprit
se promène
Dans
Son vaste sein,
Sa
grâce l'entraîne
Selon
Son dessein :
Car
pour le rien,
Il n'est ni mal ni bien. [1947]
Et enfin elle
affirme :
La
perte la plus extrême
N'est
pas trop grande à mon gré.
Je
suis défait de moi-même
Et
je vis en liberté.
Enfin
j'ai tout ce que j'aime,
Et
j'aime tout ce que j'ai. [1948].
Cette bibliographie
met à jour les éditions de textes appartenant au corpus guyonnien (ou, dans deux cas, ayant exercé une influence
directe suite à la rencontre de leurs auteurs avec la jeune mystique). Elle
renvoie aussi à des descriptions de sources qui, prenant place au sein de
recueils variés, risquent d’être négligées.
L’état connu des
sources est présenté dans : Madame Guyon, Rencontres autour de la Vie et l’œuvre de Madame Guyon, Grenoble,
Millon, 1997, « État documentaire des manuscrits des œuvres et des lettres
de Madame Guyon », par I. Noye, p. 51-61 ; dans : J.-M. Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits
biographiques, Paris Champion, 2001, « Introduction » décrivant
les sources, par D. Tronc, p. 82-94 ; dans : Madame Guyon, Correspondance, tome I, Directions spirituelles, Paris,
Champion, 2003, « Description des sources », par D. Tronc,
p. 20-23 ; dans : Madame Guyon, Correspondance, Tome II, Combats »,
id., 2004, « Divers écrits de
Madame Guyon (ms. 2057) »
& « Manuscrits : descriptions
complémentaires », p. 901-904 & 908-910.
La description de
la grande édition de Poiret reprise par Dutoit, du XVIIIe siècle, en
39 puis 40 volumes, se doit de détailler leurs contenus, car sous des titres
généralistes (Opuscules spirituels…)
sont rassemblées des œuvres connues sous leurs noms propres (Moyen Court, Torrents…) : voir La Vie par elle-même et autres écrits
biographiques, Paris, Honoré Champion, 2001, « Bibliographie. 1.
Textes de Madame Guyon », p. 1103-1112. Nous avons ici donné au fil de la
présentation des œuvres les références des sources anciennes.
Des rééditions modernes
accompagnent une redécouverte de Mme Guyon qui a suivi l’apaisement des
querelles :
[1962]
« La Vie…Extraits…, I 1648-1681 », parue dans la revue La Tour Saint Jacques, VI, 1962
[contribution de Jean Bruno].
[1978]
Madame Guyon, Les Opuscules spirituels…,
G. Olms, Hildesheim, 1978 [reproduction
anastatique de l’éd. Poiret de 1720 : Moien
court, Torrens, etc., [préface
par J. Orcibal, 539 p.].
[1982, 1983]
Madame Guyon et Fénelon, la
correspondance secrète, éd. préparée par B. Sahler, Paris, Dervy, 1982, 335
p. [reprise de l’éd. Dutoit] ; La
Vie de Madame Guyon écrite par elle-même, éd. B. Sahler, Paris, Dervy,
1983, 637 p. [reprise de l’éd. Poiret. Ces deux reprises, fautives par rapport
à leurs sources, eurent le mérite de révéler Mme Guyon à un large public].
Les éditions
critiques sont récentes. Leur mise à jour couvrant la période 1990-2007 est la
suivante[1949] :
[1990] Madame Guyon : la passion de croire, choix de textes par M.-L. Gondal, 1990 ; Nouvelle Cité, 1994.
[1992] Récits de Captivité, édité par M.-L. Gondal, Grenoble, Jérôme Millon, Coll. « Atopia », 1992, 182 p.
[1992] Torrents et Commentaire au Cantique, édités par C. Morali, Grenoble, Jérôme Millon, Coll. « Atopia », 1992, 305 p.
[1995] Le Moyen court et autres récits, une simplicité subversive, textes édités par M.-L. Gondal, Grenoble, Jérôme Millon, Coll. « Atopia », 1995, 298 p. [contient : Introduction, I. Le Moyen court et sa défense (Moyen court, Courte apologie et extraits des Justifications), II. Le travail de l’Intérieur (Règle des Associés, Petit abrégé), III. Le Chant de l’âme (un choix de poésies)].
[1998] Le Purgatoire, édité par M.-L. Gondal, Grenoble, Jérôme Millon, Coll. « Atopia », 1998, 109 p.
[2000] De la Vie intérieure, Quatre-vingts Discours Chrétiens et Spirituels…, édités par D. Tronc, Paris, Phénix, Coll. « La Procure », 2000, 2004, 482 p. [choix de 80 Discours sur les 156 existants].
[2001] Le Moyen court, Mercure de France, 91p., [reprise de l’éd. de 1995].
[2001] La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, édition critique avec introduction et notes par D. Tronc, étude littéraire par A. Villard, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2001, 1163 p. [inclut les “récits de captivité” et des témoignages de tiers].
[2003] Madame Guyon, Correspondance, I Directions spirituelles, édition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2003, 928 p. [les lettres adressées par Mme Guyon à Fénelon n’ont pas été reprises en correspondance passive dans la Correspondance de Fénelon par J. Orcibal. Elles avaient toutefois été éditées par Masson en 1907 - avec des coupures - pour les années 1688-1689. Celles de l’année 1690 sont ici éditées pour la première fois].
[2004] Madame Guyon, Correspondance, II Combats, id., 2004, 952 p. [ce dossier permettant l’étude de la “Querelle du Quiétisme” inclut des témoignages, protestations, pièces annexes et judiciaires].
[2005] Madame Guyon, Correspondance, III Chemins mystiques, id., 2005, 934 p. [ce volume final comporte une table générale de l’ensemble de la correspondance avec les incipit et inclut des témoignages et des correctifs portant sur les volumes précédents ainsi que sur la Vie par elle-même].
[2005] Jeanne-Marie Guyon, Explications de la Bible, L’ancien Testament et le Nouveau Testament…, introduites et annotées par D. Tronc, Paris, Phénix Editions, 2005, 441 p.
[2005] Madame Guyon, Écrits sur la vie intérieure, présentation par D. et M. Tronc, « Les carnets spirituels », Arfuyen, 195 p., 2005 [15 discours].
Les écrits de Jacques Bertot ainsi que des lettres du carme Maur de l’Enfant-Jésus ont influé directement Jeanne-Marie Guyon et par là le contenu de son œuvre :
[2005] Jacques Bertot directeur mystique, coll. « Sources mystiques », Editions du Carmel, Toulouse, 2005, 573 p.
[2007] Maur de l’Enfant-Jésus, Écrits de la maturité 1664-1689, coll. « Sources mystiques », Editions du Carmel, Toulouse, 2007, 342 p.
Choix de publications
françaises centrées sur la figure de Mme Guyon[1950] :
[1958] L. Cognet, Crépuscule des Mystiques, Bossuet Fénelon, Paris, Desclée, 1958 (réédition par J.-R. Armogathe). [la plus grande partie du volume est consacré à Mme Guyon].
[1967] L. Cognet, article « Guyon », Dictionnaire de Spiritualité, Beauchesne, tome 6, colonnes 1306-1336.
[1974, 1975, 1978] J. Orcibal, « Le Cardinal Le Camus témoin au procès de Madame Guyon » (1974) ; « Madame Guyon devant ses juges » (1975) ; « Introduction à Jeanne Marie Bouvier de la Mothe-Guyon : les Opuscules spirituels » (1978), Études d’Histoire et de Littérature Religieuse, Paris, Klincksieck, 1997, 799-818, 819-834, 899-910.
[1981-1983] M. Bruno, « Les voies mystiques selon madame J. Guyon », Les voies de la mystique, Hermès I, Paris, Deux Océans, 1981, 81-117 ; J. Bruno, « Madame Guyon et la communication intérieure en silence » & J. Sebeo, « Madame Guyon : L’expérience de la transmission et l’état apostolique », Le maître spirituel selon les traditions d’Occident et d’Orient, Hermès 3, Paris, Deux Océans, 1983, 204-212, 213-226.
[1989] M.-L. Gondal, Madame Guyon (1648-1717), un nouveau visage, Paris, Beauchesne, 1989 [premier ouvrage d’ensemble, fondé sur L’Acte mystique, thèse soutenue en 1985].
[1997] Madame Guyon, Rencontres autour de la Vie et l’œuvre de Madame Guyon, Grenoble, Millon, 1997 [contributions de spécialistes pour la première fois rassemblés autour de sa figure].
[2003-2004] D. Tronc, « Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon », XVIIe siècle, n°1-2003, 95-116, « Quiétude et vie mystique : Madame Guyon et les Chartreux », Transversalités, n°91, juillet-septembre 2004, 121-149, « L’expérience ‘quiétiste’ de Madame Guyon », Mélanges Carmélitains, vol. 2 (2004), 349-395.
Un glossaire relève en
quelque sorte des détails anatomiques, dont l’assemblage ne permet guère de
reconstituer la vie. Une approche plus synthétique relève des descriptions qui
portent sur des phases de la vie mystique traduisant une dynamique intérieure.
Elle est préférable, mais moins « scientifique ». Nous l’avons
adoptée, en relevant les thèmes suivant le déroulement des écrits, car le plan
des œuvres de Mme Guyon est toujours établi autour d’un chemin spirituel
progressif, à l’image devenue célèbre d’un torrent[1951].
Les abbréviations utilisées sont les suivantes : MC Moyen Court (n :
note, dont n Justif., n Apologie, & Appendice), T Torrents (TI Première partie & TII seconde
partie), A Abrégé (AI & AII), C Cantique
(v : verset, &), AT Ancien
Testament NT Nouveau Testament, J
Justifications (par clés), L Lettres (par numéros), D Discours spirituels.
I.
En vue d’une première approche,
on regroupe certaines des références données dans la section suivante II autour de quelques grands
thèmes :
Abandon : MC VI, AI §II, L 1.420, L 3.389 [D.3.74], D 1.62.
Amour, amour pur : AI §V, C Appendice 1, AT Psaume
32, NT Épitre aux Romains, J clé
21 §4(d), clé 38, clé 44, clé 63 (c), L 1.397, D 1.38, D 1.48, D 1.49, D 1.53, D 2.49, D
2.51, D 2.52, D 2.54.
Centre : enfoncé en son centre MC II, que
tout se concentre dans le cœur 1.438, pente centrale MC XXI, dépouillement de
toute propriété centrale NT Matthieu
V sur la première béatitude.
Communication : AII §II 7, C VIII v2, L 1.276, L 2.116, D 2.64, D 2.67. (& se
répandre D 2.61.).
[Comparaisons] : du vaisseau MC
XXII, de l’or MC XXIV & n Justif., de l’hiver & du bois au feu MC Appendice, de l’éponge TI VII 30, des
miroirs et de l’eau L 2.159, de la montagne D 1.01, des voies du serpent,
du vaisseau, de l’aigle D 1.14 & D 2.69, de la tempête et de la noyade
D 2.15, du miroir D 2.36 §II, du soleil avec ou sans nuages D 2.54.
L’hiver L 2.454, Rayons du soleil L 1.401, Image de la rosée D 3.02,
de la glace D 3.11.
Conformité : MC III n Apologie, MC Appendice, AT II
Rois, J clé 48, D 2.52.
Etats : passif MC XXI n Apologie, permanent MC XXIV n Apologie, invariable de
paix TII II, fixe d’oraison J clé 50 §65, de vie apostolique L
2.159 Pièce jointe, de l’âme réunie à
Dieu L 3.557 [D.2.196], de silence intérieur D 2.09, purifiants D 2.19. (&
Ambiguïté du mariage spirituel D 2.62.).
Foi, foi nue : TI IV, AI §II, §4, NT Jean,
NT Épitre aux Romains, J clé 23 §1, §14, L 1.124, D 2.09,
D 3.03.
Mort mystique, mourir (& Résurrection)
: TI VII 5 & 39, TI VIII, AI §V, D 2.36 §I, §II, D 3.15, AT Ps. 76 (& Résurrection : D 2.36
§I, AII §I)
Oraison : MC I , MC II, MC XIII, TI
II 8, AII §II 5, J clé 50 §65,
L 1.263, L 1.397, L 1.445, D 1.02, D 2.08.
Repos, paix : C VII v1, L 2.159, D 1.17, D 1.37, D 1.53, D 2.46. (&
paix : TII II, NT Philippiens, J clé 48.).
Unité : C VII v13, D 1.40, D 2.04.
Voies (& chemins) : passive
de lumière TI III, extraordinaires L 3.433 [D.4.124], imperceptibles D 1.14,
dont il ne reste rien D 2.69. (& chemin de la foi L 1.124, chemins éloignés
se rapprochent D 1.01.).
Volonté : MC III n Apologie,
AI §II, AT II Rois, AT Job, J clé 34, L 1.263, D 2.04, D 2.64.MC ch. I .
II.
Ce résumé thématique du volume suit l’ordre des
œuvres entièrement ou partiellement présentées. Chaque élément du résumé est
précédé de sa référence :
MC I Tous peuvent
faire oraison. MC II Oraison par la
lecture méditée, enfoncé en son centre.
MC III n Apologie
Conformité de notre volonté à celle de Dieu.
MC VI Abandon. MC VIII n Justif. Union aux saints. MC IX n
Justif. & X Mortification. MC XI
Tourné vers le centre, adhérence à Dieu.
MC XII Opération de Dieu et non
oisiveté, silence d’abondance. MC
XIII Oraison infuse. MC XX Prière par anéantissement. MC XXI
Action de l’âme, pente centrale, opération de Dieu et non oisiveté. n
Apologie État passif. MC XXII
L’âme tournée vers Dieu ; comparaison du vaisseau. MC XXIV & n Justif. Purification,
comparaison de l’or & n Apologie Perte de la propriété & n
Justif. Résistance involontaire & n
Apologie État permanent mais dont on peut déchoir. MC Appendice Comparaison de
l’hiver, Dieu détruit pour se conformer les sujets et les changer en soi,
comparaison du bois au feu.
TI, chap. I Retour
à Dieu. TI ch. II §8 Ne pas porter les
âmes scrupuleuses à l’oraison passive. TI III Voie passive de lumière. TI IV Le
vécu du début de la voie passive en foi comparé au torrent. TI IV 16 L’âme possédée du vin spirituel. TI V Les
défauts dans ce début de la vie mystique. TI V 14 Sécheresse. TI VI La perte des goûts spirituels. TI VII 5 Le
degré de mort est fort long. 20 Nudité
et dégoûts. 30 Nettoyages, comparaison de l’éponge. 39 Perte de soi par mort mystique. TI VIII Suite de la mort, l’oubli de soi. TI IX Vie
divine. TII I Vie apostolique. TII II État invariable de paix. 9 Libre. 12
En Dieu. TII III Transformation du grain, déiformité. TII IV 7 Tout est
Dieu.
AI §II Chemin de
foi et d’abandon, touche de la volonté. AI §III Sécheresse, passiveté. AI §IV
Foi nue, dépouillements intérieur et extérieur. 9 Combat. AI §V Mort mystique
dans les bras de l’amour. 14 La nouvelle
vie vient du fond. AII §I Résurrection en Dieu. 3 Fécondité en charité. AII §II
5 L’oraison, un silence des puissances,
cessation d’opérations. 7 Fécondité par communication avec les autres âmes
pures. AII §III Simplicité, conduite spirituelle pour aider les autres.
C chap. V verset 1
La myrrhe amère et le miel. v. 2 L’union à Dieu et même durant la nuit. v. 4 Le
toucher de Dieu. C VI v. 4 Mariage divin. v. 6 L’apparence commune. C VII
v. 1 Repos. v. 13 Unité. C VIII v. 2 Communications. Appendice
1 L’amour pur. App. 3 & 4 La
résistance de l’âme.
AT Genèse v. 2 Dieu crée l’homme de
nouveau. v. 14 en illuminant l’âme. AT I Rois
Se perdre en Dieu comme un vase penché. AT II Rois Conformité et perte de volonté en Dieu, apaisement. AT IV Rois Description de l’entrée « au-dedans »
où Dieu vient. AT Job Union par la
volonté. AT Psaume 32 Simple regard
de pur amour. AT Ps. 76 Mourir à nos
propres activités n’est pas oisiveté. AT Ps.
118 L’exil en Dieu.
NT Préface La désappropriation. NT Matthieu V sur la première béatitude La pauvreté d’esprit, le dépouillement de
toute propriété centrale mène au royaume du ciel. XVIII Liaison de cœur entre
les personnes intérieures. XXII La
consolation se fait au-dedans, Dieu ne demande que le cœur. NT Jean La foi nue. NT Actes
La prière continuelle. NT Épitre aux
Romains Foi lumineuse, grand amour, vie de la seule foi. NT Philippiens L’inquiétude est opposée à
l’intérieur, la paix surpasse tout entendement.
J clé 15 L’impuissance de désirer. clé 21 §2(d) Le moment divin détermine
les âmes directrices. §2(e) revêtues de la sagesse Jésus-Christ. §4(b) Dieu
communique son amour pour que nous l’aimions. clé 23 §1 L’esprit de foi nue. §14 Dieu ôte le distinct aux
âmes directrices, âmes de foi, et tout leur arrive naturellement. clé 34 Notre volonté changée en celle de
Dieu. clé 38 L’amour de Dieu consume
le péché. clé 44 L’amour de
Jésus-Christ sans images formées de Lui. clé
48 Pas de remords, paix profonde ; conformité, purification,
transformation, c’est l’économie de la grâce. clé 50 Peine du dam. §61 Mauvais et saint désespoirs. §65 L’état
fixe d’oraison. clé 58
Persécutions exercées sur Jean de la Croix. clé
63 (a) Transformation en Dieu où le désir se perd comme un poids qui
s’enfonce dans la mer. (c) L’amour de Dieu, amour pur dès cette vie. clé 66 §59 « Une petite femmelette
… son divin Maître, non seulement lui donne ses matériaux, mais les lui range
lui-même ». §60 La divine Sagesse inconnue à l’esprit … abîme l’âme en
soi. clé 67 Benoît de Canfield. Conclusion « Plus Dieu prend soin
de détruire une chose, plus elle Lui est chère. »
L 1.124 Dieu
conduit par le chemin de la foi, l’âme ne voit rien… L 1.157 L’audience du
silence. L 1.263 Vous êtes pauvre, Il est riche en vous. C’est être
toujours en oraison que de faire toujours la volonté de Dieu. L 1.271 Mon
âme est comme une eau qui se mélange avec la vôtre. L 1.276 Flux et reflux de
communications. L 2.116 Les communications intérieures. Saint Augustin. L 2.159
Le repos dans l’union avec Dieu, comparaisons des miroirs et de l’eau. Pièce jointe L’état ou vie apostolique
de l’âme unie à Dieu. L 2.216 « Un justaucorps de sapin ». L 2.273
Passiveté. L 2.449 On a cherché de faux témoins… L 2.454 L’hiver fait tomber
les feuilles des arbres et prive la terre de fleurs, mais les arbres prennent
alors de profondes racines. L 1.385 Nous avons perdu notre cher Père…
L 1.397 Plutôt une oraison de cœur et d’amour… L 1.401 Demeurez simplement
exposé à Ses yeux divins comme on s’expose aux rayons du soleil. L
1.420 Il n’est point question de vous appuyer sur la raison … mais sur
l’abandon. L 1.434 Je ne
sais ce qu’Il fait en moi ni par
moi : il ne reste aucune trace. L 1.438 Nous tâchons que tout se concentre
dans le cœur, sans nul effort de tête. L 1.445 Oraison libre … comme un
enfant auprès de son père.
L3.27[D.2.169]
Cette largeur immense que j’expérimente… L 3.121 [D.2.1] se servir du
goût sensible spirituel pour mourir infatigablement au sensible matériel …
il n’y a rien de violent dans la conduite de Dieu que ce que nous y ajoutons. L
3.387 [D.3.72]. Mon esprit est lié et converse avec le sien d’une manière
ineffable. L 3.389 [D.3.74]. Quoiqu’on paraisse en ce temps-là comme
abandonné à soi-même, Dieu ne nous soutient jamais davantage. L 3.433 [D.4.124]
Toutes ces voies extraordinaires … ne pourraient nous unir au Souverain Bien,
puisqu’il est bien éloigné de consister en ces choses. L 3.557 [D.2.196].
État de l’âme réunie à Dieu. L 3.613 [D.4.144] Mon affaire est d’être toujours,
comme je l’ai été, un canal sans propriété.
D 1.01 Comparaison
de la montagne : les chemins éloignés se rapprochent… D 1.02 L’intérieur n’est autre qu’une
participation de cet Esprit vivant et vivifiant qui anime toute chose ; la
nouvelle vie ; l’oraison passive. D 1.03 Les livres intérieurs sont faits
plus pour recueillir que pour instruire ; la méditation est une bonne
chose, mais ce n’est point une prière. D 1.14 Comparaison des voies
imperceptibles avec la voie du serpent, du vaisseau, de l’aigle. D 1.17 Le
repos puis l’humiliation consommée en anéantissement. D 1.19 Les croix, les
défauts difficiles à porter passivement. D 1.30 Nul ne veut être rien. D 1.36
Dépouillement, détachement. D 1.37 Fuir de soi-même, silence du coeur,
repos en Dieu. D 1.38 Prière, tendance perpétuelle qui vient de l’amour nu et pur.
D 1.40 Simplicité de l’unité. D 1.43 Dénuement, pauvreté d’esprit et non
l’abstraction. D 1.44 L’attrait de Dieu, l’obstacle des impuretés,
comaraison des gouttes d’eau qui s’attirent sur une surface lisse. D 1.48
Sacrifice de tout amour intéressé. D 1.49 L’amour un poids qui enfonce l’âme
dans son rien. D 1.53 Connaître Dieu comme la mer, aimer sans retour ni raison,
demeurant en repos. D 1.56 Comme un instrument… D 1.60 Ceux en qui Dieu est
saint, Dieu prépare l’âme par le vide pour y graver Ses caractères. D 1.62
L’abandon, purification, comme l’or dans le creuset.
D 2.04 Perfection,
unité à la volonté de Dieu, le fondement de la béatitude, contre la volonté
propre ; visions et extases de nulle utilité. D 2.05 L’attention de
l’esprit varie incessamment, le coeur ne se lasse pas d’aimer. D 2.08
L’oraison passive d’union. D 2.09 L’acte de foi en la présence de Dieu dans un
état de silence intérieur. D 2.15 Comparaison de la tempête et de la
noyade …où l’on trouve une autre vie ! D 2.19 État purifiants terribles
parce qu’il salissent en apparence ; une faim étrange de Dieu. D 2.28
L’humilité. D 2.31 Obstacles. D 2.32 Contre la sagesse humaine. D 2.36 §I Mort,
pourriture, sépulture ; résurrection, l’âme établie en Dieu. §II La
propriété, comparaison du miroir. D 2.46 Pas de loi pour le juste, ni pour
la mort, ni après résurrection ; repos. D 2.49 Nous faire arriver à la
divine charité dans le pur amour. D 2.51 Pur amour et vérité. D 2.52 Le
sacrifice absolu ne sacrifie jamais l’amour même ; soumission, conformité,
uniformité ; oubli de soi n’est pas indifférence mais amour. D 2.54
Opération de l’amour, comparaison du soleil agissant de façon égale mais avec
ou sans nuages. D 2.61 L’âme passée en Dieu ne subsiste que pour se répandre. D
2.62 Ambiguité du mariage spirituel. D 2.64 Communication d’une âme aux autres,
de par la volonté divine qui la penche du côté qu’il Lui plaît. D 2.66 Il est
l’âme de mon âme et comme mon âme anime mon corps, Jésus-Christ anime mon âme.
D 2.67 Quand le cœur est devenu étendu et qu’il participe à l’immensité de
celui qui lui communique, alors on se communique aussi bien à cent lieues que
proche. Mais ces sortes de communications veulent une correspondance immense… D
2.69 la voie de l’aigle dans l’air
dont il ne reste rien. D 3.01 Courte idée de la voie. D 3.02 Image de la rosée
qui détrempe la terre, la fait reverdir… D 3.03 contemplations de Jésus-Christ,
de simple regard, des lumières (« de la Trinité »), de Dieu sans
attribut, obscure de foi nue : « ces âmes ne tendent pas à être saintes,
mais que Dieu soit saint en elles ». D 3.11 « Il ne faut pas croire
que Dieu endurcisse le cœur de l’homme autrement que le soleil endurcit la
glace : c’est par son absence ». D 3.15 Pour le temps de la mort.
Madame Guyon, Lettres
de direction, choix présenté par Dominique Tronc, lulu.com, coll.
« Chemins mystiques », Série « Madame Guyon ».
Madame Guyon (1648-1717) fut toute sa vie soucieuse d’aider des proches à mieux vivre le don reçu de la grâce divine. Elle leur éclaira un chemin mystique.
Une union se produisait souvent de cœur à cœur. Elle ne pouvait être directement décrite, car l’essentiel d’un contenu mystique demeure souvent caché aux yeux mêmes de ceux qui la vivent. Mais une trace secondaire nous a été parfois conservée sous forme de lettre(s) adressée(s) par madame Guyon à un ou à une dirigée.
Nombreuses et diverses, leurs correspondances furent conservées et partagées au sein de cercles spirituels qui survécurent à la dame directrice qu’ils appelaient leur « mère ». Les membres de ces cercles s’échangeaient ces écrits qui furent rassemblés puis publiés par deux fois au XVIIIe siècle [[1952]].
Nous proposons un volume de lettres choisies adressées à des destinataires anonymes. Le nom du grand Fénelon (1651-1715) apparaîtra, mais seulement lors de la seconde édition (1767-1768), lorsque les condamnations des quiétismes ne risquaient plus guère d’atteindre sa renommée établie à travers toute l’Europe [[1953]].
Les quatre-vingt-quinze lettres proposées ici [[1954]] sont vivantes par leur justesse psychologique comme par une Vérité intemporelle atteinte au-delà des singularités propres à divers états vécus par leurs destinataires. On se demande aujourd’hui comment une telle clarté et finesse sont restée si longtemps ignorée, même en invoquant un opprobre longtemps entretenu vis-à-vis de tous les quiétismes [[1955]].
Les noms des destinataires ne nous sont généralement pas parvenus parce que l’on a voulu protéger ceux dont la mémoire était encore tout proche lors de la première édition (1717-1718) et évidemment tous ceux qui étaient encore vivants.
Le grand intérêt des lettres que l’on va lire réside dans les réponses précises apportées à des difficultés très diverses rencontrées par les pèlerins tout au long de leur chemin mystique. Par exemple une fois l’enchantement propre à la découverte de la vie intérieure disparu survient la difficulté dont témoigne ce début de la lettre dix-septième :
M.
m'a lu votre lettre, ma très chère sœur en Notre-Seigneur, et elle m'a donné
beaucoup de joie et un goût intime de votre cœur. Ne vous étonnez pas si
vous n'avez plus le doux recueillement d'autrefois et cette présence
perceptible que Dieu donne à ceux qu'Il veut attirer à Lui dans le
commencement. Lorsqu'Il les affermit dans Son amour et qu'il est sûr de leur
cœur, Il les sèvre de tout cela pour les faire marcher en foi et en croix.
Le premier état est le lait dont parle saint Paul,
et le second est le pain des forts : dans le premier, Dieu nous
donne des témoignages de Son amour et dans le second, Il en exige du nôtre.
Après l’onction savoureuse passive, l’on craindra souvent
d’avoir perdu ce chemin en foi nue parce que tout aperçu est retiré. Peut-être
par notre faute ? Recourbé sur nous-mêmes nous le craindrons avant d’être
forcés à l’abandon par une véritable chasse :
La
foi passive est cette onction savoureuse qui pénètre l’âme et lui
ôte toute envie de discourir avec Dieu, l’invite au silence, si bien qu’on ne
peut plus opérer, mais aimer et se taire, goûtant un plaisir et une suavité
plus grands que je ne puis dire, les uns plus, les autres moins.
La
foi nue succède à cet
état et dépouille l’âme de ce qu’il y a de sensible, de distinct, et
d’aperçu dans l’état, commençant par ôter le sensible, et ensuite le distinct,
puis l’aperçu, qui est le dernier qui se perd. [[1956]]
Très tard, tout
s’achèvera dans l’ « état d’une âme perdue en Dieu ». Il est décrit
au début de notre choix à la lettre quatrième [[1957]].
L’état succède après l’expérience fondamentale de l’amour pur rapportée au
premier paragraphe de la citation suivante :
…Notre-Seigneur
me donna, il y a longues années, cette expérience de l’amour sans connaissance,
en sorte que j’aimais sans vue, ni raison, ni motif d’aimer ; et mon amour
était plutôt, comme il l’exprime bien, un serrement, et un embrassement du
centre le plus profond, qui se sentait sans sentir, embrasser et posséder.
Lorsque je dis sentir, c’est pour faire comprendre que rien ne se passait dans
les sentiments, mais dans une expérience intime, réelle et très profonde[1958].
L’état que
je porte, autant que je le puisse comprendre selon la vue présente qui m’en est
donnée est très différent de celui-là. L’âme n’est plus ni serrée ni possédée,
ni même ne possède, ni ne jouit ; elle ne peut faire nulle différence de Dieu
et d’elle, rien voir en Dieu, rien posséder, rien distinguer : Dieu est elle,
et elle est Dieu, en sorte que c’est comme la vie naturelle, sans amour, sans
connaissance, sans que la volonté puisse se tourner de côté ni d’autre, ni vers
aucune chose créée pour les vouloir désirer, ou goûter, ni vers Dieu même
qu’elle ne trouve plus. Elle ne peut ni s’élever vers Lui, ni s’abaisser, ni se
joindre. Mais elle est non seulement comme s’il n’y avait que Dieu et elle, ce
n’est point cela, mais comme si Dieu était seul, car elle est si éloignée de
penser de Dieu, de goûter Dieu, d’avoir de la reconnaissance, de désirer rien
ni pour Lui ni pour elle, que cela ne se peut dire.
Entre le début
perceptible et savoureux illustré par le premier extrait de notre brève
présentation et la fin, qui ne se peut dire, mais que tente d’évoquer le
dernier paragraphe du deuxième extrait que nous venons de lire, un torrent [[1959]]
peut traduire par analogie la carrière ou chemin mystique. Le torrent doit
surmonter de nombreux obstacles entre sa source et la mer ou lieu sans limites
où se termine sa course.
Le pèlerin sera animé
par l’intérieur pendant son parcours puisque selon le début de la « Voie
pour devenir une créature nouvelle » :
Dieu, en nous créant,
a mis dans l’essence de notre âme une tendance de réunion à son principe et un
germe d’immortalité…
Lisons donc la suite
de la phrase dans cette première de quatre-vingt-quinze « thèses » ou courriers adressés à
des dirigé(e)s :
Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions
spirituelles, Edition critique établie par
D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances »,
2003, 928 p. [Directions reçues de Maur de l’Enfant-Jésus et de monsieur
Bertot, 1671-1681 ; lettres et témoignages, 1681-1688 ; direction de
Fénelon, 1688-1689, complément édité pour la premièrefois de l’année
1690 ; directions du marquis de Fénelon et de disciples étrangers, après
1710]
La correspondance de Madame Guyon complète la connaissance biographique apportée par la Vie par elle-même. Elle situe leur auteur comme la représentante par excellence du christianisme intérieur et explique des comportements inattendus, telle la fidélité de son disciple Fénelon, qui ne la renia jamais.
On ne disposait jusqu’ici que des éditions faites par deux pasteurs protestants au XVIIIe siècle, couvrant la moitié environ du corpus. Il est extraordinaire que personne n’ait entrepris une édition à la fois critique et complétée par l’apport des nombreux autographes ou de copies fidèles. Les témoignages intimes sur la formation de la jeune Madame Guyon, sur l’approfondissement de sa direction de Fénelon durant l’année 1690, puis sur le lien constant maintenu avec le cercle quiétiste par l’intermédiaire du duc de Chevreuse, sont restés inédits.
Cette correspondance est nécessaire à toute étude sérieuse de la « querelle du quiétisme » et témoigne d’une vie mystique mise à l’épreuve dans les tribulations, caractérisée par une entière disponibilité à la grâce. Le lecteur découvrira une très belle écriture, d’une grande précision psychologique, et un guide sûr.
Le premier volume est consacré aux Directions spirituelles, séries de correspondances actives et passives couvrant les deux volets d’une vie achevée : formation reçue puis transmise. Ce volume sera prochainement complété par : II Combats et III Mystique.
Les lettres de Madame
Guyon confirment et complètent la connaissance biographique apportée par la Vie par elle-même[1960]. Elles situent leur auteur comme la
représentante par excellence du christianisme intérieur de la seconde moitié du
Grand Siècle. Elles expliquent des
comportements inattendus, telle la fidélité de son disciple Fénelon, qui ne la
renia jamais.
Madame Guyon
(1648-1717) fut formée spirituellement par Monsieur Bertot (1620-1681), un
ecclésiastique lui-même formé par le laïc Jean de Bernières (1602-1659), qui
animait un groupe de prière, l’Ermitage,
à Caen. Elle prit la succession de Jacques Bertot, animant le cercle qui
s’était formé autour de lui en liaison avec le couvent des bénédictines de
Montmartre. Elle dirigea ses membres, dont les ducs de Chevreuse et de
Beauvillier ainsi que Fénelon.
Ceux-ci lui
demandèrent aussi des avis pratiques sur la conduite à tenir lorsque la chasse
aux mystiques de la fin du siècle dégénéra en l’affrontement public connu sous
le nom de « Querelle du Quiétisme ». Querelle est d’ailleurs un terme qui
rend mal compte des épreuves subies par les perdants, dont cinq années
d’isolement total à la Bastille en ce qui concerne Madame Guyon : ses amis
proches ne savaient pas en 1700 si elle vivait encore ! Mais elle survécut
et reprit une correspondance qui devint abondante et européenne dans les toutes
dernières années de sa vie à Blois.
On ne la prend pas en
défaut sur les événements, sinon sur quelques précisions de dates. Plus
profondément, cette correspondance apporte le matériau expérimental nécessaire
à toute étude sérieuse des thèmes mystiques sur lesquels portent les
affrontements. Louis Cognet, auteur du Crépuscule
des mystiques ou les éditeurs de la Correspondance
de Fénelon y recourent constamment, rétablissant le déroulement historique
de la « querelle », mais sans en souligner l’exemplarité spirituelle.
On est très surpris de
l’absence de toute édition critique pour un pareil creuset d’études, alors que
le nom de l’écrivain est si célèbre : la moitié de la Correspondance de Madame
Guyon, active et passive, est restée inédite jusqu’à maintenant ! Pour
l’époque de la « vie publique », où ce manque se fait
particulièrement sentir, on trouve certaines lettres et des soumissions[1961]
éparpillées dans les correspondances de Bossuet, de Tronson et de Fénelon.
Mais les témoignages plus intimes et plus riches humainement autant que
spirituellement, portant sur l’approfondissement de la direction de Fénelon en
1690, puis transmis par son
« tuteur », le duc de Chevreuse, enfin par la « petite
duchesse » de Mortemart, avant l’interruption brutale de 1698 due à
l’isolement renforcé de Madame Guyon, restèrent
sous forme manuscrite de copies faites par les fidèles ou d’autographes.
Ces derniers sont très difficiles à déchiffrer : parfois le papier
manquait et Madame Guyon en utilisait les plus petites parties dans tous les
sens ; sa vue était de toute façon médiocre, effets de l’enfermement et
d’une variole contractée dans la jeunesse.
L’autre moitié des
lettres, postérieure à la période des prisons, fut publiée au XVIIIe siècle
par deux pasteurs protestants, Pierre Poiret et Jean-Philippe Dutoit, pour
l’édification des membres des cercles guyoniens. En effet le très grand intérêt
de cette correspondance, au-delà d’une spontanéité à laquelle nous sommes
devenus sensibles aujourd’hui, consiste en ce qu’elle offre un témoignage
unique sur la vie mystique vécue et mise à l’épreuve dans les tribulations. La
part consacrée aux « affaires » d’intérêt devenu aujourd’hui bien
secondaire, est réduite, ce qui n’est pas toujours le cas des correspondances
de personnages fondateurs, par exemple de Thérèse d’Avila, ou occupant des
fonctions notables dans la société, tel Fénelon. La primauté reste ainsi à la
description des états intimes, d’intérêt permanent. L’auteur, qui n’a aucun but
littéraire, n’élabore en rien son récit, mais simplement témoigne d’une vie
intérieure intense, caractérisée par une entière disponibilité à la grâce.
Ce témoignage
personnel s’inscrit dans des séries
suivies de directions spirituelles : Madame Guyon, dirigée par
Bertot, devient la « Dame directrice[1962] »
de Fénelon, de Chevreuse, du marquis de Fénelon, du baron de Metternich, de
Poiret et de Holmfeld, de fidèles
écossais et suisses. Ces séries se
suivent souvent dans le temps, ce qui permet de ne pas trop compromettre
l’ordre chronologique lorsque nous choisissons de regrouper les lettres par
destinataires, comme dans ce premier volume.
La chance nous est
donnée de pouvoir présenter d’assez nombreuses lettres reçues par Madame Guyon,
alors que la correspondance passive a
disparu pour la plupart des spirituels du siècle, qui furent mis en valeur au
détriment de leurs correspondants.
Mais de plus, cas
unique à notre connaissance, nous disposons ici de plusieurs séries de correspondances actives et passives au cours
d’une longue vie. L’ensemble constitue un témoignage unique sur les deux volets de toute vie
intérieure achevée : formation reçue puis transmise. Madame Guyon a moins
de trente-trois ans lorsqu’elle est dirigée par Maur de l’Enfant-Jésus et
surtout par Bertot, elle devient à quarante et un ans la directrice de Fénelon,
à soixante-six ans elle dirige le marquis neveu de Fénelon et des disciples
étrangers : Poiret et ses amis, Metternich, des Ecossais, des Suisses.
Ces séries montrent
comment un appel est transmis par des
sensibilités différentes, celle de l’abrupt Monsieur Bertot, celle de la
lyrique Madame Guyon. Mais le message mystique reste remarquablement
identique : la grâce divine est toujours et partout active. Le rédacteur
de la notice « Bertot » dans le Dictionnaire
de Spiritualité avait noté leur ressemblance et suggérait une intervention
de sa dirigée dont on entendrait même la voix dans Le Directeur Mystique[1963].
Pour notre part nous avons difficilement dissocié Bertot de son prédécesseur
Bernières.
Présentons brièvement
les contenus des trois volumes, de dimensions comparables, constituant la
Correspondance active et passive de Madame Guyon ; elle est augmentée de quelques témoignages
directs échangés entre tiers et de ses actes de soumission ou de protestation.
Le premier volume I Directions spirituelles regroupe les
lettres relatives aux directions dont les destinataires sont connus. Il
présente la jeune Madame Guyon guidée principalement par Bertot, mais aussi par
Maur de l’Enfant-Jésus. Puis il regroupe quelques lettres adressées à sa famille
et de rares témoignages externes. Il couvre ensuite le début de la période
parisienne par sa direction spirituelle de Fénelon : Madame Guyon a
quarante et un ans lorsqu’elle revient de ses voyages et a atteint une certaine
maturité intérieure. Cette direction couvre l’année 1690 qui n’avait pas été
publiée[1964].
Suivent les directions du marquis de Fénelon, puis de disciples étrangers,
datant de la fin de la vie de Madame Guyon. La fin de ce volume I regroupe donc
des directions qui, d’un point de vue chronologique, devaient appartenir au
volume III, mais il nous a paru préférable de regrouper l’ensemble des lettres
de directions dont les destinataires sont connus : le volume I présente
tour à tour ceux-ci.
Le volume
intermédiaire II Combats 1691-1698
concerne l’histoire de la « querelle ». La grande majorité des
lettres étant datée, l’ordre chronologique a pu être respecté. Par contre les
correspondants sont mélangés, ce qui ne présente guère d’inconvénient car on
sort ici du cadre de directions pour lesquelles une perception continue
du dialogue instauré est indispensable. Cette intense mais courte
période couvre environ sept années et fournit les très nombreuses lettres
transmises par le duc de Chevreuse, puis par la « petite duchesse »
de Mortemart, qui jouent le rôle d’intermédiaire. On ne peut pas parler au sens
propre de directions de Chevreuse ou de la « petite duchesse »,
encore que des avis personnels soient souvent mêlés aux relations
événementielles. Figurent aussi les correspondances avec Tronson, Bossuet, etc.
Celle avec le P. Lacombe a été extraite de l’ensemble chronologique et inclut
quelques lettres plus anciennes (en effet on n’a pas voulu fragmenter la
série) ; ces lettres proviennent majoritairement de Lacombe et
n’interfèrent pas directement avec
notre connaissance des faits biographiques, dans la mesure où ce dernier était
déjà hors de combat. Le volume débute par un aperçu de la querelle sous la
forme d’un texte remarquable du marquis de Fénelon. Il omet l’affrontement
intellectuel entre Fénelon et Bossuet, si bien retracé par ailleurs[1965].
Le dernier volume III Mystique regroupe l’ensemble des
lettres non datées et sans destinataires identifiés. Poiret, le premier éditeur
de la majorité des lettres de ce dernier volume, fut un disciple éclairé et
estimé de Madame Guyon. Nous suivons son ordre. Il respecte approximativement
la division tripartite traditionnelle selon les dominantes purgative,
illuminative et unitive, qui fut utilisée pour l’édition au XVIIe siècle
de la correspondance de Bernières, père spirituel de Bertot. Notre édition
est suivie d’une étude qui met en relief quelques thèmes de la mystique
guyonienne. Elle se termine par des
aides à la recherche afférents à l’ensemble des trois volumes.
Malgré sa relative
abondance, cette correspondance s’avère fragmentaire puisqu’elle comporte
deux périodes courtes séparées par le silence des prisons. La très grande
majorité des lettres ne couvrent finalement que le septième de la durée de vie
de leur auteur.
Cette brève
chronologie[1966] met
en relief les influences reçues et exercées (noms propres en capitales) ainsi
que les textes qui nous sont parvenus (ils sont indiqués en italiques ;
entre guillemets figurent les noms des sections de cette édition de la
Correspondance).
On distingue cinq
périodes : jeunesse et vie provinciale,
voyages en Savoie et Piémont, période parisienne de la notoriété et des
combats, enfermements, retraite à Blois.
1648 : le 13
avril naissance à Montargis de Jeanne-Marie Bouvier de La Mothe.
Éveil affectif et
culturel de la petite fille auprès d’une de ses deux demi-sœurs religieuses.
1664 : mariage à seize ans avec Jacques Guyon Du
Chesnoy, beaucoup plus âgé.
1667 : rencontre
du franciscain Archange Enguerrand et naissance de sa vie mystique.
21 septembre
1671 : Rencontre de Jacques Bertot, disciple de Bernières.
1674 : décès de
sa mère spirituelle Geneviève Granger, supérieure du couvent de
bénédictines de Montargis, qui lui fut un soutien constant au travers des
difficultés familiales. Nuit intérieure qui durera en s’approfondissant durant
près de sept années.
1676 : cinquième
enfant ; décès de son mari.
1680 : fin de la
nuit intérieure et transformation.
1681 : décès de
son directeur Jacques Bertot, confesseur au couvent des bénédictines de Montmartre après avoir été
celui des bénédictines de Caen. Enguerrand, Granger et Bertot faisaient partie
de la « famille » mystique issu du cercle normand animé par le
franciscain régulier Jean Chrysostome de Saint-Lô et illustré par Bernières,
Renty et d’autres.
De cette première
période subsistent les correspondances de directions reçues de Bertot et
de Maur de l’Enfant-Jésus, disciple de Jean de Saint-Samson. Elles
sont éditées dans Correspondance, I
Directions, sous le titre : « Madame Guyon, dirigée,
1671-1681. »
1681 : après
avoir pris conseil auprès de spirituels, dont le fils de Marie de l’Incarnation
(du Canada), elle part s’occuper en juillet des « Nouvelles
Catholiques » à Gex, près de Genève.
Le caractère ambigu de
cet apostolat, dont le but était de convertir de jeunes protestantes, lui fera
refuser un supériorat. Elle vivra alors plusieurs années dans le royaume de
Savoie-Piémont (Thonon, Turin, Verceil) et en Savoie française (Grenoble),
exerçant à l’état laïque avec succès une activité apostolique auprès de tous,
incluant des religieux.
1682 :
communications intérieures à Thonon avec son confesseur, le père Lacombe.
La Vie par elle-même : première rédaction ordonnée par ce dernier. Torrents.
1684 : Activités apostoliques à Turin, où elle
a la faveur de l’évêque Ripa, ainsi qu’à Grenoble.
Moyen Court et très facile de faire
oraison.
Explications de l’Ancien et du Nouveau
Testament.
La correspondance de
cette seconde période est perdue à l’exception des quelques lettres éditées
dans ce volume I Directions
comme « Lettres et
témoignages 1681-1688 »et du début de la correspondance avec le
père Lacombe éditée en fin du volume II Combats sous le titre de
« Relations avec le P. Lacombe ».
1686 : retour à
Paris.
1688 : courte
période de captivité.
Vie par elle-même : suite de la rédaction.
Sa sortie au bout de
huit mois est suivie de son activité à la cour par suite de la faveur de Madame
de Maintenon et à Saint-Cyr, alors dirigée par sa cousine
Marie-Françoise-Silvine Le Maistre de la Maisonfort.
Correspondance avec Fénelon (1688-1690 ; la suite est
perdue à l’exception de quelques pièces dont une lettre de 1710
comportant questions et réponses). Elle est éditée dans ce volume I Directions sous le titre : « La
direction de Fénelon ».
Correspondances avec le duc de Chevreuse et la « petite
duchesse » de Mortemart, qui sont les intermédiaires avec le cercle
quiétiste ; avec Bossuet, Tronson, etc. Ces correspondances forment la
plus grande partie du volume II
Combats ; il suit l’ordre chronologique (destinataires mélangés).
1694 : La perte
de la faveur de Madame de Maintenon est rendue publique.
Justifications.
Examens doctrinaux
d’Issy.
1695 : signature
par Bossuet, Tronson, Noailles et Fénelon des 34 articles d’Issy, condamnation
des écrits de Mme Guyon. Elle est arrêtée le 27 décembre (arbitraire permis par
le système des lettres de cachet) et menée à Vincennes.
1696 : début de
la longue période « des prisons », qui durera sept années et demi,
dont plus de quatre en isolement (en 1700 ses amis la croiront morte).
La Vie par elle-même : reprise, rapidement interrompue.
Elle est
successivement interrogée à Vincennes, enfermée à Vaugirard, puis à partir du 4
juin 1698 à la Bastille.
Fin de la
correspondance avec la « petite duchesse » de Mortemart.
On ne peut lui
extorquer les dépositions compromettantes demandées par Madame de Maintenon et
Bossuet.
1703 : elle sort
le 24 mars - sous condition - de la Bastille pour se rendre avec son fils
Armand-Jacques au château de Diziers à Saint-Martin de Suèvres près de Blois.
1705 : achat
d’une maison à Blois, dont l’Évêque Berthier est ami de Fénelon.
1709 : Fin de la rédaction de la Vie et du Récit des prisons.
Activité apostolique
auprès de disciples français (cercle fidèle des ducs et duchesses de Chevreuse
et de Beauvillier, de Fénelon et du marquis son neveu, etc.) et étrangers
(allemands, suisses, hollandais, écossais).
Quelques-uns peuvent
venir la voir et d’autres entretiennent une abondante Correspondance. Les lettres dont on connaît les destinataires,
Fénelon et le marquis de Fénelon, Poiret et Homfeld, Metternich, Ramsay,
disciples suisses et écossais, figurent au volume I Directions, sous diverses sections : « Autres directions et relations après 1703. »
La grande masse des lettres sans dates ni destinataires forme le volume III Mystique selon une présentation thématique.
1717 : décès
paisible le 9 juin.
L’approche des sources de la Correspondance est grandement facilitée
depuis que leur liste a été établie par monsieur I. Noye sous le titre :
« État documentaire des manuscrits des œuvres et des lettres de Madame
Guyon », à l’occasion des Rencontres
autour de la Vie et l’œuvre de Madame Guyon[1967]. En ce qui concerne le
fonds « Guyon » propre aux A.S.-S.[1968], qui
inclut la grande majorité des manuscrits, cette présentation donne une vue synthétique
de ses quelques huit cents pièces[1969] en
les regroupant par destinataires[1970].
Les sources[1971] de la
correspondance guyonienne peuvent être distribuées en quatre sous-ensembles : Lettres publiées de Madame Guyon, Directeur mystique de Monsieur Bertot,
manuscrits sous forme de « livres de lettres », autographes et copies
de lettres séparées. Nous décrivons brièvement ces sous-ensembles en suivant
souvent l’État documentaire… d’I.
Noye.
1° Aux quatre tomes de Lettres publiés par Poiret[1972] en
1717 fut adjoint un cinquième tome lors de leur réédition par Dutoit[1973] en
1767, présentant une partie de la « Correspondance secrète »
avec Fénelon. Dates et données
personnelles sont effacées et les manuscrits sont perdus. Heureusement un Indice fourni par Dutoit en conclusion
de son édition situe quelques destinataires. Ce premier sous-ensemble fut
longtemps la seule partie connue des lettres, sinon reconnue[1974]. Il
constitue la source d’une moitié du présent volume (I Directions) ainsi que de la quasi-totalité du troisième volume (III Mystique). Il s’agit des deux
éditions suivantes :
a) Lettres
chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure,
ou l’esprit du vrai christianisme, [Pierre Poiret], Cologne [Amsterdam], J.
de La Pierre, 4 tomes, 1717-1718.
Il n’y a ni classement chronologique ni nom
d’auteurs. Les références personnelles ont été soigneusement retirées, ce que
l’on constate en comparant les lettres imprimées à celles dont on a conservé
l’autographe ou une copie fidèle. Les originaux ont été perdus lors de la
dispersion de la bibliothèque Poiret. Les rares comparaisons possibles montrent
cependant une grande fidélité en ce qui concerne les textes conservés pour leur
intérêt spirituel. Le tome IV comporte, outre trois parties de lettres de
Madame Guyon, une « Quatrième partie contenant quelques [16] discours
chrétiens et spirituels » p. 402-509, suivie d’une « Lettre
d’une païsane, sur l’anéantissement du Moi de l’âme et le pur amour »
p. 510-522, enfin de la « Table des matières principales ».
b) Lettres
chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure,
ou l’esprit du vrai christianisme. Nouvelle éd. enrichie de la correspondance
secrète de M. de Fénelon avec l’auteur. [Jean-Philippe Dutoit], Londres
[Lyon], 1767-1768, 5 vol.
Cette seconde et dernière édition est très fidèle à celle de Poiret (au point d’en respecter la pagination), mais plus complète, parce qu’elle n’a plus à tenir compte du caractère brûlant d’événements trop récents.
Tome I : « Avertissement sur cette seconde édition » [par Dutoit] p. I-XVIII. « Avertissement qui était à la tête de l’Édition de Hollande, sous le nom de Cologne » [par Poiret] p. XIX-XXVIII. Table des lettres [classées en trois parties par thèmes spirituels allant de : « (1) Règles et avis généraux », à : « (20) Dieu seul »] p. XXIX-XLIII. Lettres I à CCXL p. 1-694. - Tome II : Lettres I à CC p.1-614, Table [lettres classées en trois parties] p. 615-623. - Tome III : Table [lettres classées en trois parties] p. III-IX. Lettres I à CLVI p. 1-694. - Tome IV : « Préface sur ce quatrième volume » p. III-VIII. Table [lettres classées en trois parties] p. IX-XVI. Lettres I à CXVI p. 1-403. - Tome V : « Anecdotes et réflexions » [par Dutoit] I-CLX. Première partie contenant quelques Discours chrétiens et spirituels, p. 1-188. Ils sont introduits par la note : « Ces discours dans l’édition de Hollande faisaient la clôture du quatrième volume… » puis suivis de la lettre de la « simple paysanne » précédant les lettres adressées à Fénelon. On trouve ensuite les apports nouveaux, soit : Correspondance de l’auteur avec Fénelon, p. 189-559. Table p. 560-567. « Table [alphabétique] des matières », p. 568-627. « Indice des noms de quelques-uns de ceux à qui les lettres … sont adressées », p. 628-630. Ce tome V donne ainsi la « correspondance secrète » avec Fénelon et comporte des renvois à des compléments distribués dans les volumes précédents, Dutoit s’étant abstenu d’effectuer tout regroupement qui aurait modifié les quatre volumes reproduits de l’édition Poiret.
Nous avons pris pour base cette édition. En
outre notre exemplaire comporte parfois de soigneuses corrections
« provenant d’un manuscrit de la bibliothèque de M. Pétillet » qui
fut un disciple de Dutoit, libraire à Lausanne. Elles s’accordent avec des
sources manuscrites préservées aux A. S.-S.
2° Le
Directeur Mystique en 4 tomes, préparé par Madame Guyon en
hommage à son maître Jacques Bertot[1975], fut
publié tardivement par les amis de Poiret en 1726. Il contient une grande
partie de la correspondance reçue par Madame Guyon de Bertot et de Maur de
l’Enfant-Jésus - outre 21 lettres qui lui sont nommément attribuées[1976]. Il
est malheureusement très difficile de dissocier les lettres destinées à Madame
Guyon de celles destinées probablement à la duchesse de Charost ou à des
religieuses, compte tenu de l’effacement systématique des dates et des données
personnelles. Nous avons opté pour la plus sévère circonspection, ne retenant
que les lettres pour lesquelles nous avons un quasi-certitude d’attribution.
Nous détaillons ci-dessous le contenu de ces volumes:
Le
directeur Mistique [sic] ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de
feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guyon..., Poiret, 4 vol.,
(respectivement de 453, 430, 526, 368 pages), 1726. Il en existe une réédition
partielle[1977].
Le tome I est composé de 12 traités : (1.) p. 1. « Conduite de Dieu sur les âmes » […][1978] (12.) p. 292-453. « Éclaircissements sur l’oraison et la Vie intérieure. » - Le tome II est composé de lettres de Bertot et d’une addition : p.1. Lettres 1 à 70, p. 430. « Addition: conseils d’une grande servante... Marie des Valées [sic]. » - Le tome III est composé de lettres de Bertot : p.1. Lettres 1 à 70, p. 526. « Additions 1 à 4 » - Le tome IV est composé de lettres de Bertot, Maur de l’Enfant-Jésus et Madame Guyon : p.1. Lettres 1 à 81, p.265. Lettres 1 à 21 de P. Maur, p.310-368. Lettres 1 à 21 de Madame Guyon.
3° Nous abordons ici la partie manuscrite très
partiellement exploitée à l’occasion de la publication d’autres
correspondances, dont en premier lieu celle de Bossuet. Elle ne se retrouve que
très exceptionnellement dans les imprimés précédents[1979].
Les originaux, souvent autographes, étaient fréquemment recopiés en vue d’en rendre facile la consultation (les personnages assumant une fonction notable avaient souvent à leur service un secrétaire tenant à jour des « livres de lettres ») ou dans le cas des disciples de Madame Guyon afin d’en permettre entre eux la circulation (fait attesté pour les Ecossais).
Quatre « Livres de lettres » se détachent ainsi de la masse manuscrite : trois sont conservés aux A.S.-S., respectivement de Dupuy, de La Pialière, du marquis de Fénelon ; ils reprennent une partie des autographes et des copies du même fonds des A.S.-S. tout en apportant de nombreuses lettres nouvelles. La comparaison ainsi rendue possible montre que ces copies sont très fidèles. Le quatrième livre, conservé à la B.N.F., fournit une suite aux lettres de direction adressées à Fénelon qui sont connues. Nous donnons maintenant quelques précisions sur ces livres en suivant cette fois l’ordre chronologique de leur contenu épistolaire :
La copie par Isaac Du Puy[1980], A.S.-S. ms. 2055 « lettres au duc de Chevreuse », 229 ff., 22,4 cm., appartint au duc de Chevreuse, puis finalement à Mme de Giac, veuve Chaulnes. Ce long ms. couvre la période de juillet 1693 à janvier 1698. Il s’arrête abruptement, probablement amputé des dernières pages.
La copie par Durand de la Pialière[1981], A.S.-S. ms. 2173, va jusqu’à mai 1698. Isaac Du Puy l’a eue entre les mains, car il y a apporté quelques corrections, a développé des abréviations pour les noms propres et placé à la fin une page d’index portant sur les abréviations et les pseudonymes.
I. Noye a découvert[1982] le complément de la correspondance avec Fénelon (ms. B.N.F., Nouv. acq. fr. 11010) : cela fait suite à ce qui est connu depuis le XVIIIe s. et présente de ce fait un intérêt majeur dû à l’approfondissement spirituel. Il s’agit d’un petit volume de 9 cm x 13 cm, relié peau, intitulé sur le dos, en doré, « lettre spirituelle », sans autre indication. En tête, le verso de la page de garde porte la signature « Carbon », et, d’une autre main, en tête du f° 1, « de la bibliothèque des théatins ». En règle générale, ce manuscrit n’a ni parenthèses ni références de citations, ni passages à la ligne, ni soulignement. De la main d’Isaac Dupuy, auquel nous devons donc beaucoup pour la préservation des lettres de Madame Guyon, il donne copie de 70 lettres formant un « dialogue » spirituel. Les 20 lettres de Fénelon ont été éditées dans le vol II, en 1972, de la Correspondance de Fénelon. Les 50 lettres de Madame Guyon, qui s’apparentent parfois à de petits traités spirituels, seront une découverte pour notre lecteur. D’après un inventaire ancien, les théatins auraient eu quatre volumes dont le premier servit à Poiret et Dutoit et dont le second vient d’être décrit. La découverte - majeure - d’une suite à la direction de Fénelon constituée par les deux derniers n’est donc pas à exclure pour le futur[1983] !
La copie du marquis de Fénelon, ms. 2176, 195 pages, reprend la correspondance qui lui fut adressée surtout à partir de 1714, à la fin de la vie de Madame Guyon. Figurent aussi dans ce manuscrit un échange choisi de lettres avec des étrangers et même quelques chansons.
4° L’imposant fonds manuscrit des A.S.-S. comporte de très nombreux autographes ou des lettres dictées par Madame Guyon à un secrétaire (tel que le chevalier Ramsay), ainsi que des copies.
Les autographes, lettres ou billets, ont été récemment regroupés, montés sur onglets et reliés en volumes. Il s’agit essentiellement de la collection des lettres adressées au duc de Chevreuse ou à la « petite duchesse » de Mortemart, de la période « des combats » à Paris couvrant les années 1693 à 1698 (A.S.-S. ms. 2172 & 2174), et des lettres plus tardives adressées aux disciples ou reçues de ces derniers : marquis de Fénelon, comte de Metternich, etc., lors de la période d’enseignement à Blois couvrant (hormis quelques lettres de 1711) les années 1714 à 1717 (A.S.-S. ms.2177 à 2179). Ainsi la grande majorité de la correspondance couvre deux périodes brèves – au total dix années.
Les lettres du premier groupe, qui forment l’essentiel de notre second volume, sont rarement datées par Madame Guyon, mais le sont souvent par Chevreuse, qui notait le jour où il recevait les lettres, parfois en ignorant le délai de la livraison, d’où beaucoup d’approximations : « Reçue le 26 déc. 93 ; écrite un ou deux jours plus tôt », ou : « Je crois cette lettre entre celles du 11e et du 14e juillet 1693 ».
Les lettres du second groupe sont moins nombreuses. Elles sont reprises dans les « Directions » de la fin de notre premier volume. Leur datation exacte pose des problèmes souvent insurmontables.
Il existe une liste informatisée du fonds A.S.-S. « Guyon »[1984].
5° Enfin des lettres diverses sont éparses dans d’autres sources, aux A.S.-S., à la B.N.F., aux Archives nationales, à la bibliothèque de Lausanne, en Écosse.
En France :
(1) dossiers « Bossuet », à la B.N.F., soit 9 lettres, dont 8 autographes, absentes de la Correspondance de Bossuet d’Urbain & Levesque (UL) - dans un recueil de Ledieu, son secrétaire, conservé à Saint-Sulpice (ms. 2059), - dans la publication de Phélipeaux, Relation... (lettre de Mme Guyon à l’évêque de Genève d’Arenthon d’Alex et à Mme de Maintenon ; v. UL, t. VI, appendice),
(2) dossiers « Guyon » : dans sa Vie par elle-même, où elle reproduit d’assez nombreuses lettres, outre celles qui sont rassemblées à la fin de cette autobiographie,
(3) dossier du P. Léonard de Sainte-Catherine, aux Arch. Nat. L22, no.15 : 5 lettres de Mme Guyon (v. UL, t. VI...) au P. de la Motte et à ses deux fils.
(4) dossier « Fénelon », une lettre autographe constituant un petit traité de vie intérieure, relevé par I. Noye en octobre 2001.
On n’a pas conservé, semble-t-il, de dossiers Noailles, Godet-Desmarets, dom Le Masson, abbé Boileau...
À l’étranger :
(1) lettres à ses disciples écossais, qui furent conservées par Lord Deskford à Cullen House, Banffshire, Écosse. Actuellement dispersées, elles furent publiées par Henderson, Mystics of the North East, Aberdeen, 1934,
(2) lettres à des disciples suisses, dont 3 copies de lettres à Lausanne (Dorigny).
À partir des sous-ensembles de sources que nous venons de décrire brièvement, de nombreuses lettres ou témoignages furent imprimés au cours du dernier siècle. Ces éditions apportent des compléments - apparat critique, lettres entre tiers, autres pièces - que notre édition ne peut reprendre. Quelques publications importantes doivent donc être citées. Nous suivons l’ordre chronologique de leur apparition[1985] :
[1904] Bertrand L., Correspondance de M. Louis Tronson, tome troisième, livre
cinquième : les « lettres relatives au quiétisme »,
p. 451-690, incluent de nombreuses lettres échangées entre Tronson et Mme
Guyon et soulignent l’attitude ambiguë de Tronson si on les compare aux lettres
échangées avec des tiers.
[1907] Masson M., Fénelon et Mme Guyon, Paris. Cet érudit originaire de Lausanne
(qui, jusqu’à 1830 environ, abrita un cercle guyonien) publie ici la
correspondance avec Fénelon reprise du tome V de Dutoit avec des
adjonctions à partir des tomes précédents. Il omet certains passages spirituels
jugés trop longs. L’apparat critique précis et utile par ses nombreux
rapprochements avec des textes de Fénelon - il fallait prouver l’authenticité
de cette « correspondance secrète » mise en doute au XIXe
siècle par des éditeurs trop soucieux de protéger la mémoire de ce dernier -
fut souvent repris par Orcibal dans la Correspondance
de Fénelon.
[1909-1925] Levesque publie dans la Correspondance de Bossuet en 15 volumes,
outre des lettres de Mme Guyon à Bossuet qui suivent l’ordre chronologique de
la série principale (lettres no. 921, 933, 938, 986 etc.), divers
appendices consacrés à Mme Guyon. On se reportera en particulier au tome
VI, appendice III, section I Lettres
écrites par Mme Guyon, p. 531-565 - tome VII, appendice III, section
II Témoignages concernant Mme Guyon,
p. 485-505 - tome VII, appendice III, section III[1986] Actes de soumission de Mme Guyon et
attestations à elle données par Bossuet, p. 505-520. & section IV Protestation de Mme Guyon, p. 521-524.
[1910-1913] Griselle E. édite dans sa Revue Fénelon : « Madame
Guyon, directrice de conscience, quelques lettres inédites », lettres extraites
d’un recueil de la main du marquis de Fénelon, suivies des cinquante premières
lettres adressées au duc de Chevreuse ou exceptionnellement au duc de
Beauvillier.
[1982] Le travail de Masson [1907] est
fautivement réédité, sans apparat critique, mais les passages spirituels omis
par l’érudit furent toutefois rétablis, sous le titre : Madame Guyon et Fénelon, la correspondance secrète, Paris, Dervy.
[1972 et ss.] Fénelon, Correspondance, établie par Jean Orcibal ; puis par Jean
Orcibal, Jacques Le Brun & Irénée Noye, Paris, Klincksieck, puis
Genève, Droz. Le tome I porte sur la famille et les débuts de Fénelon, voir
Orcibal, Correspondance de Fénelon, Tome I, Fénelon, sa famille et ses débuts,
Paris, Klincksieck, 1972 ; le tome II contient les lettres 1 à 300, dont la
majorité de celles qui furent adressées à Madame Guyon (mais omet les
nombreuses lettres de cette dernière) ; le tome III contient les notes
correspondant aux lettres précédentes ; les tomes suivants adoptent la même
alternance entre texte édité et apparat (et contiennent un complément de
lettres adressées à Madame Guyon). L’ensemble forme une irremplaçable source
d’informations sur le milieu guyonien et son influence.
Quelques mots enfin sur la façon d’écrire de
Madame Guyon peuvent contribuer à l’appréciation de cette correspondance
envisagée et sentie par le lecteur comme un dialogue exemplaire sur
l’intériorité. Ces lettres soutiennent une relation plus profonde mais ne s’y
substituent pas.
Madame Guyon écrit très rapidement, sans majuscules
ni paragraphes, d’une écriture liée souvent illisible à première vue. Sans recherche littéraire, elle entre
directement dans le vif du sujet comme le montrent les débuts ou incipit des lettres qui se révèlent
pratiquement tous différents. Elle s’arrête le plus souvent parce qu’elle est
limitée par la fin du feuillet disponible : cela suspend la conversation
écrite. L’effort nécessaire pour apprécier ces « messages » est
récompensé par leur spontanéité et leur vigueur, expressions d’une vitalité que
nourrit l’énergie profonde de la grâce. Il existe une similitude entre la
vitalité et la spontanéité que traduisent les lettres de Madame Guyon et
celles de Thérèse d’Avila[1987].
Au fil de la lecture se détache parfois un
petit traité spirituel. Toujours jailli sans souci de composition ni
contrainte, sans autocensure, la célèbre « écriture automatique »
n’est que désir de ne pas interférer par des repentirs avec la liberté
intérieure. Les Correspondances du
Grand Siècle sont irremplaçables parce qu’elles sont les lieux secrets de
liberté au sein d’une contrainte sociale généralisée.
Elles n’ont guère d’équivalent de nos jours parce que l’écriture n’est plus le seul moyen de communication à distance. Les plaintes de Thérèse d’Avila achevant de nuit ses lettres, ou celles de Marie de l’Incarnation du Canada devant répondre au flot des missives entre l’arrivée des bateaux au printemps et leur départ en automne, témoignent d’un monde presque disparu. La relation verbale et le courrier électronique tendent à se substituer au message écrit ; bientôt nous serons délivrés de tout clavier. Cette évolution vers le fugace fait plus que justifier, elle prescrit d’éditer ou de rééditer les traces fixées par l’écriture d’une « même chose mystérieuse ». Ce travail de remémoration et de communication d’une expérience intérieure vécue par plusieurs personnes risque d’être négligé davantage dans les temps qui viennent ; et pourtant une telle relation écrite sait donner la preuve par invariance de la réalité d’un vécu intérieur dont les similitudes transcendent les distinctions propres aux représentations religieuses.
Nous avons cherché à faciliter l’accès à une correspondance qui intéresse les mystiques comme les érudits, tout en respectant les sources. Nous avons modernisé l’orthographe et introduit ou revu la ponctuation : cette dernière est absente des manuscrits et trop abondante dans les éditions. L’introduction de paragraphes est souvent nécessaire. Parfois nous avons ajouté, placés entre crochets dans le texte, un ou quelques mots éclairant un sens voilé par les lourdeurs et les incorrections de style propres à l’époque où vivait Bertot, ou propres à l’écriture voulue sans repentir de Madame Guyon[1988].
Nous avons unifié l’orthographe des noms propres, ce qui suppose parfois un choix arbitraire, tel Lacombe pour La Combe. Ils sont rétablis en leur entier dans le texte chaque fois que cela s’avère possible, ce qui est parfois signalé à l’aide de crochets lorsque l’attribution n’est pas évidente. En vue d’alléger la lecture, des initiales récurrentes sont transcrites uniformément en entier sans crochets : ainsi M. en monsieur, J.C. en Jésus-Christ, p. m. en petit Maître, P L C en Père Lacombe…
Nous indiquons le plus souvent la pagination ou le folio de la source entre crochets, ce qui facilite le recours aux sources, lequel deviendra progressivement facilité par la mise en réseau prévisible de reproductions des manuscrits[1989].
Notre apparat critique est tributaire des travaux d’Urbain et Levesque, éditeurs de la Correspondance de Bossuet, de Maurice Masson et de Jean Orcibal (un des éditeurs de la Correspondance de Fénelon).
Le titre de chaque pièce (lettre ou parfois document complémentaire tel que protestation, soumission…), mentionne son numéro, l’auteur ou le destinataire autre que Madame Guyon (ou les deux dans les cas rares d’un document échangé entre tiers, tel qu’un témoignage de première main sur Madame Guyon), ainsi que la date. Un très bref résumé d’une ligne italique, constituant en quelque sorte une « signature », reprend souvent quelques mots jugés significatifs du texte, et sera repris en table des matières. Suit le texte principal, édité en corps différents selon qu’il s’agit d’une correspondance active ou passive. Sources, variantes et notes sont données en corps réduit à la fin de chaque pièce.
Nous utilisons parfois les abréviations suivantes lorsque les références se répètent :
DM(volume).(numéro de lettre) = Le directeur Mystique ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guyon [...], Poiret, 1726, 4 vol. - Exemple : DM 3.06 réfère à la sixième lettre du troisième volume.
Dutoit ou D(volume).(numéro de lettre) = Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, ou l’esprit du vrai christianisme. Nouvelle éd. enrichie de la correspondance secrète de Mr de Fénelon avec l’auteur, [Par Jean-Philippe Dutoit], Londres [Lyon], 1767-1768, 5 vol. - Exemple : Dutoit, vol II, lettre 26 ou D2.26 réfère à la vingt-sixième lettre du second volume des Lettres chrétiennes [...].
Fénelon (1828) = Correspondance de Fénelon, Archevêque de Cambrai, publiée pour la première fois sur les manuscrits originaux et la plupart inédits, Paris, Ferra jeune & A. Le Clere et Cie, 1828, 11 vol. [Cette édition, dite « de Versailles », dont les vol. 7 à 11 constituent la « Section VI. Correspondance sur l’affaire du Quiétisme », comporte 669 lettres, dont de très nombreuses entre tiers, dont Madame Guyon, Lacombe, etc. Elle est reprise telle quelle, avec ses notes inchangées, au vol. IX de l’édition de 1851-1852 par Gosselin qui s’avère moins fiable.]
Fénelon (Gosselin) = Fénelon, Œuvres complètes, Paris, J. Leroux et Jouby, et Gaume et Cie, 1851-1852, 10 vol. (édition donnée par M. Gosselin).
Fénelon (Orcibal) = Correspondance de Fénelon, établie par Jean Orcibal ; puis Jean Orcibal, Jacques Le Brun & Irénée Noye ; Paris, Klincksieck, 1972 et ss. ; puis Genève, Droz. [Au-delà des sources manuscrites, deux correspondances se révèlent donc finalement utiles : lorsque Fénelon (Orcibal) omet certaines pièces entre tiers se rapportant à Madame Guyon, on peut en effet consulter Fénelon (1828).]
Fénelon (Le Brun) = Fénelon, Œuvres, Bibl. de la Pléiade, Édition présentée, établie et annotée par J. Le Brun, Paris, Gallimard, vol. I (1983) & vol. II (1997).
Henderson (M.N.E.) = Henderson, Mystics of the North East, Aberdeen, Spalding club, 1934.
Masson ou [M] = Masson (Maurice), Fénelon et Mme Guyon. Documents nouveaux et inédits, Paris, Hachette, 1907.
Orcibal ou [O] = Fénelon (Orcibal). Il s’agit le plus souvent de l’apparat critique du tome III relatif aux lettres du tome II de la Correspondance de Fénelon couvrant les années 1670 à 1695.
Poiret Explic. = des traductions données par Poiret de citations bibliques dans les Explications du Nouveau et de l’Ancien Testament par Madame Guyon (20 vol.).
UL = Urbain & Levesque, Correspondance de Bossuet, Paris, 1909-1925, 15 vol.
Vie(partie).(chapitre).(paragraphe) = Jeanne-Marie Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques,[…], Honoré Champion, Coll. « Sources Classiques », Paris, 2001 - Exemple : Vie 3.9.10 réfère au dixième paragraphe du neuvième chapitre de la troisième partie (sur les cinq parties des écrits biographiques : « jeunesse », « voyages », « Paris », « prisons », « compléments biographiques »).
·
Ce volume commence en 1671 et couvre la
décennie dont la correspondance, surtout passive, témoigne de la formation
spirituelle de Madame Guyon par le prêtre Jacques Bertot, mort en 1681, et par
le carme Maur de l’Enfant-Jésus[1990]. Elle
est du plus grand intérêt parce qu’elle permet de comparer l’enseignement
mystique que Madame Guyon reçut et celui, très semblable, qu’elle donnera.
C’est le seul cas à notre
connaissance où les traces écrites intimes d’un mystique dans ses relations
avec autrui nous sont parvenues « dans les deux sens », passif puis
actif, mettant au jour toute une dynamique intérieure animée par la grâce. En
outre la qualité propre des deux directeurs se révèle par leurs lettres,
derrière un style parfois abrupt.
Puis quelques lettres adressées à sa famille et
les rares témoignages externes qui ont échappé à la disparition de la
correspondance des années 1681-1688, en dehors du début de la correspondance
passive reçue du P. Lacombe[1991],
présentent Madame Guyon au tournant de sa vie, passant de la vie familiale à
une activité apostolique.
Le début de la période parisienne - Madame Guyon a quarante et un ans
lorsqu’elle revient de ses voyages et connaît donc la pleine maturité -
s’illustre par la direction de Fénelon en 1689-1690, ici augmentée de la première édition des lettres de Madame
Guyon de 1690, comme de la restitution du dialogue traduit par la lettre en deux colonnes de mai 1710, l’une
où figurent les questions de Fénelon, l’autre réservée aux réponses de Madame
Guyon.
Suivent les séries de lettres de direction
postérieures à 1703, date de la sortie de la Bastille. Elles furent adressées
au marquis de Fénelon et bien préservées par ce disciple aimé qui les copia
dans son livre de lettres ; il conserva de nombreux autographes que l’on
retrouve aux A.S.-S. Enfin on reproduit des séries adressées à des disciples
étrangers (les proches n’avaient pas besoin de lettres). À part le cas du dialogue avec Metternich,
abondant car bien conservé, nous les regroupons souvent géographiquement :
on sait que ces lettres circulaient au sein des petits groupes entourant Poiret[1992], en
Écosse[1993], à
Lausanne[1994], ce
qui justifie de les considérer comme des séries. Elles datent surtout des années 1714-1717,
qui furent actives pour la vieille dame de Blois, malgré l’usure physique.
Elles traduisent la douceur de cet automne de la vie[1995].
Nous présentons tour à tour au début de chaque
section les correspondants.
Ce premier volume comporte une correspondance
de 467 lettres se répartissant en cinq sections comme suit :
1. Madame Guyon dirigée 1671-1681 : 61 lettres (n° 1 à 61) dont :
Maur de l’Enfant-Jésus 21 et Monsieur Bertot 40,
2. Lettres et témoignages 1681-1688 : 22 lettres (n° 62 à 83),
3. Direction de Fénelon : 231 lettres (n°84 à 314) dont :
136 pour l’année 1689, 74 pour l’année 1690, 3 après 1703, 18 poèmes,
4. Direction du Marquis de
Fénelon après 1703 : 69
lettres (n° 315 à 383),
5. Directions étrangères (des
« Trans ») après 1703 : 84 lettres (n° 384 à 467) dont : Poiret-Homfeld 13, Metternich
39, Ecossais 24, Suisses 8.
64% des lettres sont
écrites par Madame Guyon, 32% lui sont adressées, 4% sont des témoignages ou des lettres échangées entre
tiers.
En attendant une
« table générale des lettres », indiquant leur contenu en reprenant
le résumé bref donné en italiques en tête de chacune d’entre elles, qui est
prévue en fin du volume III de cette correspondance de Madame Guyon, indiquons
certaines lettres remarquables, ouvrant à des thèmes très divers, dont ceux de
la direction spirituelle et de la transmission mystique. La liste suivante suit
leur ordre d’édition dans ce premier volume :
Lettre 61 (de Bertot)
sur « l’état d’anéantissement parfait en nudité entière où l’âme est et
vit en Dieu ». Lettre 124 sur la mort de la volonté. Lettre 157 sur
la prière du silence et l’union. Lettre 263 sur la bonne ambition spirituelle.
Lettre 271 sur l’union en Dieu. Lettre 276 et 283 sur la transmission. Lettre
289 sur la paternité spirituelle de Fénelon enté en Madame Guyon. Lettre
292 témoignant d’une grande tendresse. Lettre 385 sur le sentiment ressenti à
la mort de Fénelon. Lettre 397 sur divers sujets dont la condition du
mariage. Lettre 401 évoquant l’exposition au divin soleil. Lettre 420 sur les
états et les conditions de vie. Lettre 426 sur deux manières de présence de
Dieu. Lettres 430 et 431 (de Metternich) sur la nécessité d’avoir un directeur
et sur la liberté protestante. Lettre 434 sur l’emploi divin du néant. Lettre
438 sur la concentration dans le cœur et contre l’abstraction. Lettre 445
qui donne un programme simple de spiritualité guyonienne.
(En
collaboration avec Murielle Tronc.)
Les lettres de Madame
Guyon sont un témoignage exceptionnel sur le rôle de la « prière des
saints » dans la progression spirituelle. Cette expérience n’est pas
nouvelle : elle est attestée dans le monde entier, chez les pères du
désert Barsanuphe et Jean de Gaza, chez les orthodoxes comme Séraphin de Sarov,
chez les soufis, en Orient, mais elle est restée voilée chez les catholiques.
Ce thème apparaît de façon très discrète chez le père spirituel de Madame Guyon, M. Bertot : pour lui comme ce le sera pour elle, la « conversation » silencieuse est supérieure à tout enseignement oral :
Je vous parlerai toujours très peu : je crois que le temps de vous parler est passé, et celui de vous entretenir en paix et en silence est arrivé[1996].
Il lui révèle qu’il
porte ses amis dans sa prière et que, lorsqu’il rentre en oraison, il les
emmène avec lui dans l’Unité divine :
Je vous en dis infiniment davantage intérieurement et en présence de Dieu : si vous êtes attentive, vous l’entendrez (…) Demeurons ainsi, j’y veux demeurer avec vous et je vais commencer aujourd’hui à la sainte messe. Je suis sûr que, si je suis une fois élevé à l’autel, c’est-à-dire que si j’entre dans cette unité divine, je vous attirerai, vous et bien d’autres qui ne font qu’attendre. Et tous ensemble, n’étant qu’un en sentiment, en pensée, en amour, en conduite et en disposition, nous tomberons heureusement en Dieu seul, unis à Son Unité, ou plutôt n’étant qu’une unité en Lui seul, par Lui et pour Lui[1997].
On sait aussi que la
jeune Madame Guyon allait tous les jours au monastère de Montargis rendre
visite à la mère Granger, dont la présence mettait en paix profonde tous les
visiteurs[1998].
Madame Guyon a abordé
très franchement le sujet de la transmission mystique avec ses intimes, tout en
leur recommandant une grande discrétion et en prenant des précautions pour
sauvegarder le secret de leur correspondance, ce qu’elle n’avait pu faire pour
sa Vie : ces lettres qui
témoignent de leur expérience commune n’étaient pas destinées à être publiées,
ce qui explique leur franchise absolue ou les épanchements qu’elles
contiennent.
La transmission de la
grâce est la base même de sa direction spirituelle : elle insiste sur son
rôle central, conseillant de quitter tout autre appui rituel ou sacramentel,
puisque la grâce seule suffit. Ceci constitue un objet de scandale à son époque
comme pour nos contemporains peu habitués à de si nettes affirmations d’une
réalité hors de l’expérience commune. Madame Guyon l’a explorée sans guide
puisque son père spirituel, Jacques Bertot, était mort avant qu’elle ne prenne
conscience de son rôle de mère spirituelle.
Elle affirme
l’existence d’une transmission de la grâce d’une personne à une autre dans un
cœur à cœur silencieux qui existe aussi bien dans la proximité que dans la
distance :
C’est
comme un regard de complaisance non distinct de Dieu, qui produit grâce et
écoulement dans ces âmes[1999].
Ne
vous étonnez pas de la joie et de la paix que vous goûtâtes l’autre jour avec
moi. C’est une opération de Dieu, aussi bien que les autres que vous
expérimentâtes. Vous en aviez besoin. […]
Il n’est pas nécessaire que N. s’unisse à moi en distinction. Il suffit
qu’il ne soit point opposé, et qu’il se laisse aller à ce je ne sais quoi qu’il
doit goûter, pour que mon âme ait toute liberté de se communiquer à la sienne.
[…] C’est la communion des saints[2000].
J’ai
été éveillée longtemps avant quatre heures avec une douce et suave occupation
de vous en Dieu. Il me semble que l’on ne peut être unie plus intimement selon
l’état présent, que mon âme [ne] l’est à
la vôtre[2001].
Ils
se parlent plus du cœur que de la bouche ; et l’éloignement des lieux
n’empêche point cette conversation intérieure. Dieu unit ordinairement deux ou
trois personnes (…) dans une si grande unité qu’ils se trouvent perdus en Dieu,
(…) l’esprit demeurant aussi dégagé et aussi vide d’image que s’il n’y en avait
point. (…) Dieu fait aussi des unions de filiation, liant certaines âmes à d’autres comme à leurs
parents de grâce[2002].
Cette communication
est indissociable de la direction spirituelle puisqu’elle en constitue la
pratique même. Madame Guyon se voit comme « un aimant qui les attire pour
les perdre en Dieu[2003]. »
Le lien avec la personne n’a rien de naturel, est voulu par Dieu et le guide
n’y est pour rien :
Ce mouvement qui paraît vie et l’est en effet, n’est pas un
mouvement vivant par la nature, mais un mouvement que Dieu, devenu le principe
de l’âme, opère. Il est plus puissant, plus fort, et plus efficace que ceux de
la nature. Il vient du fond où réside cette vie divine, et non des sens qui
n’ont nulle part à ces choses. […] Comme de moi je n’ai nulle activité pour le
prochain, s’Il ne me réveillait pas incessamment pour vous, je vous oublierais
comme tout le reste. C’est Lui qui […] me donne un réveil pour les personnes
qu’Il veut que j’aide et ce réveil est accompagné d’une tendresse foncière, qui
est comme le véhicule qui pousse et fait agir une chose inanimée[2004].
[C’]
est une inclination du centre que Dieu incline comme il Lui plaît en Lui selon
qu’Il penche Lui-même […] sans que l’on puisse là-dessus se donner aucun mouvement[2005].
A cause de leur union
en Dieu, le père spirituel connaît son disciple de l’intérieur :
Celles [les âmes] qui me sont données,
comme la vôtre, Dieu, en me les appliquant très intimement, me fait connaître
ce qui leur est propre et le dessein qu’Il a sur elles[2006].
Outre
le goût général et continuel que j’ai de votre âme, où je ne trouve ni
entre-deux ni milieu, et une certaine pénétration par laquelle il me semble que
j’atteins de l’un à l’autre bout, Dieu me donne une connaissance du particulier
de votre état, de votre disposition et ce qui en fait le fond et l’essentiel[2007].
Pendant
le chemin qu’il a lui-même parcouru, la volonté personnelle du guide a disparu,
il ne projette plus rien sur le disciple :
Le
directeur éclairé de l’esprit de Dieu a peu à faire, il n’a qu’à détruire les
obstacles, empêcher que l’on ne s’arrête et montrer la route de l’intérieur et
la fidélité aux plus simples mouvements de la grâce, car ce n’est pas le
directeur qui fait faire le chemin et donne des lois, du moins celui qui ne se
cherche point soi-même. Il conduit droit à Dieu…[2008]
Les
mêmes dispositions où Dieu l’a mise [l’âme] pour Sa propre gloire, de
désintéressement consommé et de souplesse infinie, elle l’a pour le bien du
prochain[2009].
Ce que confirmait le
Dr. Keith après sa mort :
Notre
mère, en communiquant l’esprit de l’onction à ses enfants, les détachait du
canal et ne souffrait point qu’on s’attachât à l’instrument[2010].
Cependant le directeur
est à reconnaître comme signe de Dieu. Sa parole est là pour
« avertir » : même combattue, elle s’accordera avec la substance
de l’âme et fera son travail en profondeur[2011] :
« Mes paroles sont pour vous esprit et vie[2012]. »
Les défauts même qui
restent de sa personnalité humaine sont une épreuve adaptée à chacun. Elle
déclare avec humour à Fénelon :
Dieu
m’a choisie telle que je suis pour vous, afin de détruire par ma folie votre
sagesse, non en ne me faisant rien, mais en me supportant telle que je suis[2013].
Ses mouvements
spontanés proviennent de la grâce, il lui est insupportable de les
contrecarrer : elle ne le peut pas et Fénelon y perdrait si elle le
faisait[2014].
Si elle transmet la
grâce, elle porte aussi les épreuves et les angoisses du dirigé au prix de
souffrances dont elle se plaint parfois :
Hier
matin étant à la messe prête à communier très serrée à Dieu, tout à coup votre
âme me fut présente et l’on la serrait à la mienne, cela en réalité intime, en
foi nue, sans distinction ni objet […] Celui qui le faisait en moi […] me
chargea des croix et des humiliations que vous auriez dû porter afin que j’en
busse jusqu’à la lie[2015].
Nous
ne portons les langueurs et les peines que de ceux qu’Il nous donne pour
véritables enfants[2016].
Le directeur mystique
étant uni à Dieu comme une goutte d’eau à la mer, il est participant de la
paternité divine. La communication de la grâce au niveau humain se fonde sur la
circulation de la grâce entre les Personnes divines car le père spirituel
transmet le Verbe :
Le
flux et reflux de communication [...] nous fait participer en quelque manière
au commerce ineffable de la Trinité[2017].
Dès lors, ose-t-elle
dire, l’efficacité qu’elle a sur les âmes est celle même de Dieu[2018],
puisque Dieu Se sert d’elle comme d’un canal. Elle écrit dans une admirable lettre rédigée peu avant
sa mort au baron de Metternich :
Dieu
Se sert des instruments les plus méprisables pour faire Son ouvrage. Il est
digne d’un tel Ouvrier d’opérer sur le néant et par le néant. Que dis-je ?
Il n’emploie que le néant pour faire ce qu’Il fait. Je ne suis rien et moins
que rien. Je ne sais ce qu’Il fait en
moi ni par moi : il ne reste aucune trace. Il ôte et Il donne, je Le
laisse faire. S’Il le veut, je puis tout en Lui, s’Il me laisse, je suis un
néant vide, un canal sans eau. Chacun trouve par ce canal selon sa foi, afin
que rien ne soit attribué à la créature[2019].
De même M. Bertot lui écrivait-il :
Je
veux bien satisfaire à toutes vos obligations et payer ce que vous devez à
Dieu : j’ai de quoi fournir abondamment pour vous et beaucoup d’autres.
J’ai en moi un trésor caché : c’est un fond inépuisable qui n’est autre
que mon néant[2020].
Fait exceptionnel,
nous avons ici le témoignage que la possibilité de transmettre la grâce s’est
transmise sur trois générations. Si les lignées de pères spirituels sont bien
connues en Orient, elles sont beaucoup plus cachées dans le christianisme.
C’est cependant cette réalité qu’elle affirme avec simplicité à propos de M.
Bertot qui l’a guidée autrefois :
M.
B[ertot] en mourant m’ayant laissé son esprit directeur pour ses enfants, ceux
qui sont égarés aussi bien que ceux qui sont restés fidèles n’auront la
communication de cet esprit que par moi[2021].
Lorsqu’elle croit
mourir, elle lègue sa mission à Fénelon :
Je
vous fais l’héritier universel de ce que Dieu m’a confié[2022].
On sait que Fénelon
mourra avant elle, mais on voit clairement dans leur correspondance qu'il
remplissait le même rôle que Madame Guyon auprès de son propre entourage[2023].
La mort
ne peut dissoudre l’union entre un père spirituel et ses enfants : leur
lien est indissoluble car en Dieu ils auront le même lieu[2024].
Madame Guyon rassure Fénelon en lui disant qu’il pourra faire appel à elle,
même morte :
Je suis cependant certaine que je ne mourrai
point à quelque extrémité que je puisse aller, si je vous suis encore utile ;
et si je ne vous la suis plus sur terre, j’ai cette confiance que si vous voulez
bien rester uni à mon cœur, vous me trouverez toujours en Dieu et dans votre besoin[2025].
Après la mort de
Fénelon, elle incite ses amis à penser à lui afin d’y puiser de l’aide[2026], et
elle déclare pour elle-même :
Mon
cœur le trouve dans le centre commun. Il répand sur moi un rayon de cette paix
céleste dont il jouit, quand je m’y unis en simplicité et sans détour. Il m’est
un canal de grâce[2027].
Madame Guyon
s’émerveillait souvent de la réalité de la direction spirituelle et de l’union
totale qu’elle ressentait avec ses disciples. Nous laisserons la parole à
Metternich, qui la remerciait en ces termes, sachant combien leur expérience
était incompréhensible à ceux qui ne la partageaient pas :
Un
directeur expérimenté peut beaucoup. Je crois qu’il est presque impossible de
faire ce passage sans une telle aide, car il renverse toute la raison, toute
idée qu’on aurait et que tout le monde a de la spiritualité. Si l’on en parle,
personne ne l’entend pos[sible], et si l’on en voulait parler clair à quiconque
n’est pas dans ce cas, il en serait extrêmement scandalisé. Il faut donc
souffrir et se laisser juger, ma très chère
mère[2028].
La correspondance
couvrant la jeunesse de Madame Guyon précède ses voyages en Savoie et en
Piémont. Elle aurait totalement disparu si elle-même n’avait rassemblé des
textes en mémoire de son père spirituel, Jacques Bertot, sous le titre Le Directeur mystique[2029], en
s’appuyant bien naturellement en premier lieu sur les nombreuses lettres qu’il
lui avait adressées.
La dirigée a bénéficié
du soutien direct de la mère Geneviève Granger, supérieure du couvent des
Ursulines de Montargis et elle-même liée à Bertot, puis de la direction écrite
de celui-ci, qui demeurait éloigné et résidait à Paris quand il ne visitait pas
des monastères en Normandie ; elle a brièvement rencontré Archange Enguerrand,
qui se rattache, par Jean Aumont, à la source commune du milieu de l’Ermitage
de Jean de Bernières et du Père Chrysostome de Saint-Lô.
L’influence de Maur de
l’Enfant-Jésus, qui vivait dans un ermitage du sud-ouest de la France, est
attestée par la présence de vingt et une de ses lettres dans Le Directeur
mystique. Son rattachement à Jean de Saint-Samson peut expliquer pourquoi
Madame Guyon cite ce dernier si souvent dans ses Justifications, ne pouvant par contre reprendre Bernières, condamné[2030].
Nous avons présenté
ces diverses influences du milieu normand de l’Ermitage sur la jeune Madame
Guyon dans notre préface à l’édition critique de la Vie par elle-même.
La section présente
est constituée d’une correspondance passive, éparse dans les trois derniers
volumes du Directeur Mystique. Les
preuves formelles permettant de les attribuer à coup sûr sont quelques rares
indices qui ont échappé au « nettoyage » visant à enlever tout
caractère personnel à des textes publiés en vue de la seule édification intérieure des disciples
guyoniens. Entre deux extrêmes, réduire ces lettres aux très rares exemplaires
qui ont conservé, inclus dans le fil de l’écrit, un trait biographique précis
pouvant être attribué à Madame Guyon avec une absolue certitude, ou présenter
de larges suites sur la base de leur continuité stylistique et de sens profond
par rapport à ces exceptions, nous avons choisi un compromis qui ne garantit
pas contre toute erreur, Bertot ayant dirigé d’autres laïques appartenant au
même milieu social[2031].
Sans doute avons-nous laissé de côté un nombre de lettres supérieur à celui des
lettres retenues. Ces dernières suffisent cependant à reconstituer une
direction qui reflète fidèlement l’ensemble très vaste, couvrant les
trois-quarts du Directeur mystique.
Les thèmes abordés sont d’ailleurs classiques, mais présentés de façon très
directe et sans compromis : rien que Dieu et tout à Dieu !
La fin du quatrième
volume du Directeur comporte 21
lettres du Père Maur de l’Enfant-Jésus. Elles se placent plutôt au début de
l’évolution de Madame Guyon et ouvrent donc cette section.
Ces 21 lettres forment
le début de la seconde partie du volume IV du Directeur mystique, pages 265 à
309, sous le titre « Seconde partie, / contenant / Quelques Lettres
Spirituelles du R. P. Maur de l’enfant Jésus et de Madame Guyon, / qui n’ont
point encore vu le jour. / Première section ou / Lettres du R. P. Maur de
l’enfant Jésus, Religieux Carme / [Ces lettres sont écrites à une même personne
et dans le même ordre] ».
Elles sont localisées
entre 11 lettres très probablement adressées par Bertot à Madame Guyon et 21
lettres (en fait 22 si l’on intègre la « lettre » qui leur apporte
une conclusion) qui lui sont nommément attribuées ; le nombre 21 est
probablement symbolique, ce qui implique un choix préalable fait dans une
correspondance plus large.
Nous avons relevé chez
Maur quelques indices précis ayant échappé au nettoyage éditorial. La première
lettre fait référence à « une personne mariée qui a grande
famille… » ; la seconde lettre précise une localisation loin du
sud-ouest où résidait Maur : « mais il faut qu’on paie le port à
Paris » ; la lettre 8 revient sur la condition évoquée déjà dans la
première lettre : « Il faut que vous portiez le poids et les croix d’une
femme mariée et mère de famille » ; la lettre 10 indique un voyage de Maur
et une certaine familiarité : « Je vous demandais des nouvelles de toute
la famille. Celle que vous m’avez écrite, me donne bien de la joie, voyant que
Notre Seigneur verse ses bénédictions sur vous tous. Je ne puis vous dire rien
de bien particulier jusqu’à ce que je sache ce qui s’est passé en vous depuis
mon départ. » ; la fin de la lettre 19 reprend : « Acquittez-vous
tout le mieux que vous pourrez de vos obligations de mère de famille. »
Le carme Maur de
l’Enfant-Jésus (1617 ou 1618 - 1690)[2032]
fut un disciple privilégié du maître spirituel de la Réforme de Touraine, Jean
de Saint-Samson, ce qui explique la place prioritaire que ce dernier occupera
dans le choix de textes mystiques qui constitue les Justifications rassemblées en 1695 par Madame Guyon. Maur vécut
dans la région de Bordeaux, mais fit de nombreux voyages malgré un profond
désir de solitude. Recherché comme directeur spirituel, il prit place au sein
d’un réseau spirituel qui couvre Loudun, Rennes et Paris. Il décrit une
dynamique de la transformation de l’âme :
Il
faut renoncer à ses propres opérations, c’est-à-dire à l’amour propre qui
« prétend se donner soi-même par là sa propre perfection. » À mesure
que l’homme renonce à sa propre activité, Dieu commence à agir en lui comme
premier principe. Tel est l’abandon total, même de l’opération consciente de
s’abandonner[2033].
Vient la nuit, et
l’âme se démet de toute opposition à Dieu. C’est alors :
…l’entière
consommation. À ce niveau, c’est « l’opération divine » qui fait agir
l’homme, non pas qu’il y ait suppression de l’activité humaine, mais il n’y a
plus dualité d’action. … cet état de consommation semble être appelé aussi par
Maur un état de résurrection, dans lequel « Dieu S’unissant à l’âme
non plus par sa vertu mais par Lui-même, prend possession de toutes ses
puissances[2034].
On retrouvera cette
résurrection, accomplissement de la vie mystique, possible dès ici-bas, active
mystiquement sous le nom « d’état apostolique », dans les Torrents, les Discours et les lettres de Madame Guyon.
La voie mystique
présentée par Maur de l’Enfant-Jésus est sévère. Elle consiste à faire passer
l’homme de son établissement, où règne sa volonté propre, au règne de Dieu en
lui. Un dépouillement rigoureux est incontournable, mais il est possible
d’aider ce travail de la grâce divine par un seul moyen : en s’y
abandonnant complètement. La perte de tout repère ou « vide » sera
finalement rempli de Dieu. Maur est un praticien des âmes qui se soucie peu de
méthode. Ses constats sont radicaux :
Il lui semble que […] tout ce qu’elle a vu et
éprouvé autrefois de la part de Dieu, sont des illusions[2035].
Il encourage celui qui
en éprouve la dure réalité au cours de son « voyage vers
Dieu ». Au départ :
…chacun
fait son petit établissement spirituel selon lequel on veut passer la vie, les
uns en oraison, les autres en beaucoup d’austérités, d’autres en bonnes œuvres
extérieures, mais il faut mourir et tout
abandonner[2036].
Comment ? Il
n’existe aucune méthode :
Il
ne faut point chercher ni passiveté, ni repos, ni aucun de tous les états et
manières dont il est parlé dans les livres. Il ne faut que se laisser dans
l’abîme de la volonté de Dieu[2037].
À défaut de méthode, dont l’application
renforcerait notre volonté propre, on peut quand même orienter la fine pointe
de l’être :
…regardez
Sa volonté en toutes choses, tâchant que la vôtre passe tellement en celle de
Dieu qu’elle devienne comme une même chose avec elle[2038].
De fait,
…la
créature raisonnable ne saurait rentrer parfaitement en Dieu, qui est son
centre et le principe d’où elle est sortie, qu’elle ne se perde totalement à
elle-même[2039].
S’en suivent pertes
douloureuses, chemin ardu, mise à l’épreuve :
C’est
ce qu’Il a commencé à faire, vous jetant dans ce désert intérieur dans lequel
vous dites qu’Il vous a mise. Il faudra y entrer plus avant et le traverser, si
vous voulez atteindre à la jouissance du Bien souverain qui vous a touché le
cœur dès votre enfance. N’y pensez pas trouver de route, ni des sentiers où
vous puissiez avoir quelque assurance de votre voie[2040].
Lorsque la nuit
intérieure atteint sa dirigée,
Dieu
[…] la dépouille si entièrement de toutes les lumières et de tous les bons
désirs qu’elle avait pour cela, et la réduit dans un tel état de sécheresse et
d’obscurité, et même d’impuissance de s’aider elle-même en quoi que ce soit,
qu’il lui semble que tout est perdu pour elle, et que tout ce qu’elle a vu et
éprouvé autrefois de la part de Dieu, sont des illusions[2041].
Un tel dépouillement
est nécessaire car :
…pour
se dénuder si nuement et se perdre dans un si profond abîme, il faut que
l’opération de Dieu absorbe celle de la créature[2042].
[…] Il faut se perdre et s’abandonner totalement à l’opération divine, qui
exécute son dessein en nous sans que nous sachions comment, sinon que nous
souffrons et que notre esprit semble se diviser de l’âme, et que nous sommes
pénétrés jusqu’à la moelle des os[2043].
Quoi qu’il en soit, « marchez devant vous quoique vous
ne sachiez où vous êtes[2044]
! »
Ce qui conduit à une
perte de tout repère :
…l’on
ne voit plus ni perte, ni abandon, ni dépouillement, ni ravissement, ni extase,
ni présent, ni éternité, mais la créature expérimente que tout est Dieu[2045].
[…] L’abandon et le néant ne nous paraissaient plus, lorsque nous y sommes
consommés et abîmés. Nous y vivons et demeurons comme nous voyons les poissons
vivre et se mouvoir en l’eau[2046].
Alors le vide peut être rempli :
Il
est devenu le principe et la cause principale de tous ses mouvements, de ses
actions[2047].
[…] Dieu par Sa grâce Se faisant un autre nous-mêmes, gouverne tout l’intérieur
: c’est pourquoi Il détruit et anéantit ce nous-mêmes[2048].
Ce qui permet à Maur
de conclure :
Hé
bien ! Ne vous accrochez donc plus à rien[2049] !
L’essentiel de la vie
de Jacques Bertot (1620-1681) est résumé, longtemps après sa mort, dans l’Avertissement placé en tête du premier
volume des œuvres rassemblées par Madame Guyon sous le titre, à première
vue étrange, mais à la réflexion très juste de Directeur Mystique :
Monsieur
Bertot ... natif de Coutances... grand ami de ... Jean de Bernières ...
s’appliqua à diriger les âmes dans plusieurs communautés de religieuses ... [à
diriger] plusieurs personnes ... engagées dans des charges importantes tant à
la Cour qu’à la guerre ... Il continua cet exercice jusqu’au temps que la
Providence l’attacha à la direction des religieuses bénédictines de l’abbaye de
Montmartre proche [de] Paris, où il est resté dans cet emploi environ douze ans
jusqu’à sa mort ... [au] commencement de mars 1681 après une longue maladie de
langueur. ... [Il fut] enterré dans l’église de Montmartre au côté droit en
entrant. Les personnes ... ont toujours conservé un si grand respect ...
[qu’elles] allaient souvent à son tombeau pour y offrir leurs prières.
Catherine de Bar (1614
- 1698), qui, devenue la mère du Saint-Sacrement, fut appréciée par Madame
Guyon au monastère de la rue Cassette, témoigne de son rayonnement spirituel[2050] :
Monsieur
Bertot sait mon mal ... s’il vous donne quelques pensées, écrivez-le moi
confidemment.
M.
Bertot est ici, qui vous salue de grande affection ... je ressens d’une singulière
manière la présence efficace de Jésus-Christ Notre Seigneur.
Il animait un cercle
au-delà des murs de l’abbaye de Montmartre :
…où
se rassemblaient des disciples, parmi lesquels on admirait l’assiduité avec
laquelle M. de Noailles, depuis maréchal de France, et la duchesse de Charost,
mère du gouverneur de Louis XIV, s’y rendaient … MM. de Chevreuse et de
Beauvilliers fréquentaient aussi cette école [2051].
On retrouve la
duchesse de Charost auprès de la toute jeune Madame Guyon, puis plus tard les
ducs et duchesses de Chevreuse et de Beauvilliers. Enfin Saint-Simon le
désigne comme :
…le
chef du petit troupeau qui s’y assemblait et qu’il dirigeait[2052].
Bertot apparaît donc
comme le « passeur » entre le cercle mystique normand animé par
Bernières (ainsi que par le franciscain Chrysostome de Saint-Lô) et le cercle
parisien dont la direction sera reprise par Madame Guyon[2053]. Il
se place directement au début de la vie mystique de foi nue :
Vous avez vécu jusqu’ici en enfant avec bien des ferveurs et lumières.
Mangez incessamment de ce
pain en vous laissant dévorer aux providences, qui vous seront toujours
heureuses pourvu que vous soyez fidèle à les souffrir et à tout perdre[2054].
Il faut maintenant se
soumettre à :
…la
divine Providence comme un morceau de bois en celle d’un sculpteur pour être
taillée et sculptée selon son bon plaisir. Il faut bien savoir que cela
s’exécute assurément par l’état de votre vocation ; les ouvriers qui doivent
travailler à faire cette statue sont monsieur votre mari, votre mère, vos
enfants, votre ménage. Ainsi votre âme deviendra de plus en plus lumineuse, non
pas par des lumières particulières qui feront élancement en vous, mais bien par
une pureté générale, comme vous voyez qu’un cristal étant sali et plein de
boue, à mesure qu’on l’essuie, on le clarifie et on lui donne son lustre .
Et cette pureté se traduit par le repos, la petitesse et l’abandon dans les
rencontres, au lieu que, quand l’âme vit
en elle-même et en ses désirs, elle est toujours agitée[2055].
Pour pouvoir s’abandonner
ainsi au divin sculpteur, il est utile de :
…savoir
que tout ce qui est de plus naturel dans la vie de l’homme peut être relevé
très éminemment dans la jouissance de Dieu, et qu’ainsi une âme qui peu à peu,
par la fidélité et par l’oraison, s’approprie à l’usage de la foi, peut rendre
surnaturel tout ce qu’il y a de plus naturel en sa vie […] La chose devient
très facile à peu près comme nous voyons que nos yeux corporels étant capables
de la lumière du soleil, nous voyons et nous découvrons sans peine la beauté
des objets[2056].
En clair il s’agit de
découvrir l’action de la divine Providence en tout, sans séparer le surnaturel
et la vie concrète. Rude et direct, parce qu’il est profondément optimiste
quant au terme s’il est recherché vigoureusement, Bertot affirme sans détour
l’efficience d’une transmission de la grâce et assure du terme :
Pourvu
que vous soyez fidèle, je ne vous manquerai pas au besoin pour vous aider à
vous approcher de Dieu promptement[2057].
Vingt et une lettres,
nommément attribuées à Madame Guyon, achèvent avec autorité le Directeur mystique, ce qui la place
comme le successeur de M. Bertot[2058].
Nous n’avons pas les
lettres de la jeune Madame Guyon adressées à ses directeurs, mais le premier volume
du Directeur mystique présente des opuscules de Bertot avant ses lettres
(qui constituent la plus grande part des trois volumes suivants). Certains
opuscules traduisent une relation avec Madame Guyon qui a dû constituer
primitivement une correspondance ou du moins un dialogue oral appartenant
encore à sa jeunesse spirituelle. Voici quelques extraits de ces
opuscules :
[284]
Avis sur l’état d’une âme qui commence à se perdre en Dieu par la foi nue[2059].
M.
Bertot m’a dit que, si je suis fidèle, j’irai très loin, que j’en ai la
vocation et les qualités nécessaires. Il dit que le dénuement doit aller si
loin, et que je dois me tellement perdre en Dieu par le centre, qu’en effet mon
intérieur soit si absolument perdu qu’une goutte d’eau ne le soit pas plus quand
elle est dans la mer. Et que, quand cela sera, je ne trouverai plus d’intérieur
quel qu’il puisse être, ni selon les sens ni selon la raison et les puissances,
sans pouvoir avoir rien sans exception sur quoi m’appuyer : en sorte que je ne
posséderai plus ni paix ni calme, et ne verrai que passions, inutilités et
perte entière de temps sans pouvoir seulement me recueillir ; et que mon âme
par son propre poids tombera dans ce néant comme une pierre tombe dans son
centre.
Sur
ce que je lui ai dit que j’étais dans un grand dénuement et que je ne voyais
point d’intérieur en moi, il m’a fait connaître que cela n’était pas au point
que je crois, puisqu’il y a des moments que je suis convaincue que j’en ai et
que Dieu est le principe de mes actions, enfin que je possède mon esprit, mais
qu’en ce temps je ne le posséderai plus. [...]
[289]
M. B[ertot] assure que Dieu m’a fait de plus grandes grâces dans ma petite
retraite de janvier 1676 qu’Il ne m’avait encore fait, qu’Il a dessein de me
communiquer très abondamment le don d’oraison, et que je serai très passive
[...] C’est pourquoi il veut que je sois bien réjouie, et tienne mon âme libre
et gaie, ne la laissant jamais abattre. Il dit qu’une des choses que j’ai le
plus à craindre, est la tristesse et la mélancolie ; parce que j’y ai du
penchant à cause de mon tempérament, qu’aussitôt que je m’en apercevrai, je
dois passivement me remettre dans ma lumière générale...
[408]
Question : Cette lumière de foi [...] ne me paraît pas lumière, [...] car
il me semble que durant tout le temps que les sens et les puissances se
simplifient et se perdent je ne sais où, [...][j’éprouve] obscurités,
sécheresses et pauvretés [...] Réponse : Il est vrai que tout ce que vous
me dites paraît ainsi. Mais [...] il ne faut pas croire ce qu’en croient ces
pauvres sens et ces pauvres puissances. [...] Ils n’expérimentent qu’un défaut
de lumière, qu’une vraie disette et un manque de tout ; et ainsi ils sont
contraints malgré eux de cesser et de mourir à leur opération. Il ne faut pas
les croire, mais marcher sur la foi des âmes éclairées qui vous aident et
certifient. [...][409] Pour lors ils vous diront [...] qu’ils défaillent
heureusement, sans à la fin jamais plus se retrouver en leur manière propre,
mais bien en la manière de Dieu et en Dieu, dont ils sont capables par l’excès
de la lumière de la foi qui les fait disparaître.[…]
[411] …Les sens et les puissances étant fort
simplifiés et perdus en leur opération, on n’aperçoit qu’une simplicité obscure
et très sèche, qui ne marque aucune opération ? […] Je dis plus, un temps
considérable même se passe, […] sans que l’on aperçoive et voie aucune
opération […] Étant désunies de leur premier principe, en agissant elles le
faisaient sans union perceptible : les sens ayant leurs sentiments à part,
les passions, les appétits, la mémoire, l’entendement et aussi la volonté,
ayant leur action propre. Quand, par la perte d’elles-mêmes, elles sont
heureusement réunies à leur premier principe, alors elles retrouvent leur
opération, mais dans une union admirable. C’est une harmonie que la seule
expérience peut faire connaître, [...][413] capable des vertus et des
merveilles de Dieu [...] dans une vaste et pleine fécondité.
[414] Je vous prie de me dire s’il arrive des
extases et des visions à telles âmes ? [...] Cette grande et générale
extase de tout elles-mêmes les élève au-dessus de la faiblesse des extases particulières. Pour ce qui est des
visions, elles n’en ont presque jamais […] Cette lumière est comme infiniment
supérieure à toutes celles des visions, quelque sublimes qu’elles puissent
être.
[414] Dites-moi encore si la perte et le
recoulement des sens et des puissances est long […] ? […][415]
L’entendement commence le premier, [...] ensuite la volonté suit, et en dernier
lieu la mémoire. La foi, au lieu d’occuper et de remplir l’entendement, le met
en vide et dans une vaste et très pure lumière, qui ne peut occuper ni être
occupée de rien. La volonté suit ensuite par une secrète foi amoureuse [...] dans une vastitude [...]
dénuant et perdant la volonté, la faisant sans amour, sans désirs, sans
inclination à quoi que ce soit [...] [418] Une si grande augmentation de la foi
en pureté et nue lumière […] abîme et perd aussi la mémoire ; mais cela
est une grande peine : [...] ne pouvant comprendre comment on peut vivre
dans la terre parmi les créatures sans se ressouvenir des affaires et des
nécessités, non plus que sans idées saintes du côté de Dieu, [l’âme] se défend,
[...] mais enfin après bien du temps […] elle est mise comme dans une région
sereine où tout lui est donné sans vue,
sans ressouvenir et sans soin. Aussi, c’est un grand repos, [...] possession
sans recherche.
[430]
Comment il faut garder ses sens et tout l’intérieur et l’extérieur pour vivre
en pureté ? […][442] C’est une tromperie [...] de croire que les âmes les
plus passives [...] soient fainéantes. [...] Tout au contraire, un degré de
plus grande élévation est aussi un degré de plus grande purification. [...]
Dieu étant Lui-même un abîme dont jamais aucune créature ne peut trouver le
fond.
Les lecteurs munis
d’une formation littéraire classique pardonneront ce bref repérage de l’auteur
du Télémaque[2060] :
Méridional à l’esprit vif, il naquit en 1651.
Malgré un enthousiasme modéré pour les conversions forcées, il fut nommé à
vingt-sept ans supérieur des « Nouvelles Catholiques ». Chargé de
convertir les protestants saintongeais, aidé par son aîné Bossuet, il était
promis à une brillante carrière. À trente sept ans, en octobre 1688, il fit la
rencontre, décisive, de Madame Guyon, de trois ans son aînée. Il fut nommé
l’année suivante précepteur du duc de Bourgogne, et le succès de sa méthode
éducative ouvrit tous les espoirs au parti dévôt, auquel appartenaient les
membres du cercle guyonien. Mais l’affrontement avec Madame de Maintenon et
Bossuet, suivi d’un refus - qui parut mystérieux - d’abandonner la
mystique, le conduisirent à une disgrâce
relative : il fut éloigné de la Cour par sa nomination comme archevêque de
Cambrai à quarante-quatre ans. Lorsque les Maximes
des Saints furent condamnées en mars 1699 (bref Cum alias), le prélat, obéissant, cessa immédiatement le combat.
Par la suite il se révèla un pasteur attentif aux misères de la guerre qu’il
soulagea autant que possible. Il mourut pauvre à soixante-quatre ans en janvier
1715. Jusqu’à la fin, il conserva des relations étroites avec Madame Guyon,
qu’il reconnaissait comme son directeur spirituel et ne renia jamais.
On trouvera ici un
dialogue remarquable par son recul vis-à-vis des phénomènes
« mystiques ». La dépendance que manifeste Fénelon vis-à-vis de son
initiatrice est fondée sur l’expérience intraduisible mais très directe de
communication de cœur à cœur qu’il ne peut rejeter, malgré son aversion - qu’il
reconnaît - pour certains traits
féminins. Madame Guyon ne les désavoue pas : elle se sent d’ailleurs libre
vis-à-vis de ses limites, sachant qu’elle n’est rien par elle-même, mais
toute efficiente par grâce.
(Murielle Tronc.)
La correspondance
entre Madame Guyon et Fénelon est d’un exceptionnel intérêt : elle
constitue à notre connaissance le seul texte relatant au jour le jour la
« mise au monde » d’un mystique par une autre mystique servant de
canal à la grâce. Le lecteur contemporain imprégné de psychanalyse frémira
parfois devant les dérapages sentimentaux de Madame Guyon. Mais interpréter
cette relation comme traduisant un érotisme frustré réduit à un connu élémentaire
ce qui le dépasse visiblement, si l’on se penche sur ces textes avec respect et
honnêteté : ils témoignent de la découverte expérimentale d’un au-delà du
monde corporel et psychologique, qu’ils ont appelé Dieu. Il faut donc accepter
d’entrer avec eux dans le territoire inconnu dont ils portent témoignage et que
Madame Guyon a exploré seule sans personne pour la guider.
Elle a rencontré
Fénelon le 13 septembre 1688, après qu’il lui eut été désigné par un
rêve :
Après
vous avoir vu en songe, je vous cherchais dans toutes les personnes que je
voyais, je ne vous trouvais point : vous ayant trouvé, j’ai été remplie de
joie, parce que je vois que les yeux et le cœur de Dieu sont tout appliqués sur
vous. (Lettre 154).
Il fut le disciple
préféré, avec qui elle se sentait en union mystique complète ; il se
révèla le seul dont les potentialités fussent égales aux siennes, ce qui
explique son immense joie, le soin extrême qu’elle prit à le suivre pas à pas
et les analyses remarquables qu’elle lui adressa durant de nombreuses années
(dont ne demeurent que le début de leur relation et quelques vestiges) :
Dieu
ne veut faire qu’un seul et unique tout
de vous et de Lui : aussi n’ai-je jamais trouvé avec personne une si
entière correspondance, et je suis certaine que la conduite intérieure de Dieu
sur vous sera la même qu’Il a tenue sur moi, quoique l’extérieur soit
infiniment différent. (Lettre 132).
Le fondement de la
relation de Madame Guyon avec ses enfants spirituels était la communication de
la grâce dans le silence d’un cœur à cœur qui se poursuivait même à distance.
Elle eut donc à apprendre à Fénelon à aller au-delà du langage, à préférer une
conversation silencieuse :
Lorsqu’on
a une fois appris ce langage [...], on apprend à être uni en tout lieu sans
espèce et sans impureté, non seulement avec Dieu dans le profond et toujours
éloquent silence du Verbe dans l’âme, mais même avec ceux qui sont consommés en
Lui : c’est la communication des saints véritable et réelle. (L. 157).
Tout au long de ces
lettres, elle tente par images d’exprimer le flux de grâce qui passe à travers
elle :
Mon
âme fait à présent à votre égard comme la mer qui entre dans le fleuve pour
l’entraîner et comme l’inviter à se perdre en elle » (L. 276). Ou
encore : « Dieu me tient incessamment devant Lui pour vous, comme une
lampe qui se consume sans relâche […] Il me paraissait tantôt que je n’étais
qu’un canal de communication, sans rien prendre. (L. 114).
Sa mission est souvent
lourde à supporter :
Dieu
m’a associée à votre égard à Sa paternité divine […] Il veut que je vous aide à
y marcher [vers la destruction], que je vous porte même sur mes bras et dans
mon cœur, que je me charge de vos langueurs et que j’en porte la plus forte
charge. (L. 154).
Elle sait combien cela
paraît extraordinaire et elle insiste souvent :
Ceci
n’est point imaginaire mais très réel : il se passe dans le plus intime de
mon âme, dans cette noble portion où Dieu habite seul et où rien n’est reçu que
ce qu’Il porte en Lui. (L. 146).
Avec l’autorité que
donne l’expérience, elle fonde ontologiquement la paternité spirituelle dans
l’importante lettre 276 :
Le
père en Christ ne se sert pas seulement de la force de la parole, mais de la
substance de son âme, qui n’est autre que la communication centrale du Verbe.
Cette circulation de
la grâce se fonde sur le « flux et reflux » qui a lieu dans la
Trinité même. Elle affirme avec force : « Tout ce qui n’est point
cela n’est point sainteté. »
La tâche est immense
et ne souffre aucune relâche :
Je
me trouve disposée à vous poursuivre partout dans tous les lieux où vous
pourriez trouver refuge et, quoi qu’il m’en puisse arriver, je ne vous
laisserai point que je ne vous ai conduit où je suis. (L. 220).
Elle va lui faire
quitter peu à peu tous ses appuis, à commencer par le domaine de
l’intellect auquel s’accroche cet homme
si raisonnable et scrupuleux :
Vous
raisonnez assurément trop sur les choses [...] Je vous plains, par ce que je
conçois de la conduite de Dieu sur vous. Mais vous êtes à Lui, il ne faut pas
reculer. (L. 128).
Il rend les armes et
ironise sur lui-même :
Je
ménage ma tête, j’amuse mes sens, mon oraison va fort irrégulièrement ; et
quand j’y suis, je ne fais presque rêver [...] Enfin je deviens un pauvre homme
et je le veux bien. (L. 149).
Elle lui fait
abandonner toute ses habitudes d’ecclésiastique, son bréviaire (L. 231 sq.) et
même la confession :
Il
faut que (Dieu) soit votre seul appui et votre seule purification. Dans l’état
où vous êtes, toute autre purification vous salirait. Ceci est fort. (L.
267).
Elle lui fait dépasser
toute référence morale humaine :
Je
vous prie donc que, sans vous arrêter à nulles lois, vous suiviez la loi du
cœur et que vous fassiez bonnement là-dessus ce que le Seigneur vous inspirera.
Ce n’est plus la vertu que nous devons envisager en quoi que ce soit, - cela
n’est plus pour nous -, mais la volonté de Dieu, qui est au-dessus de
toutes vertus. (L. 219).
Le but est d’atteindre
l’état d’enfance où Dieu seul est le maître et où nul attachement humain n’a
plus cours :
C’est
cet état d’enfance qui doit être votre propre caractère : c’est lui qui
vous donnera toutes grâces. Vous ne sauriez être trop petit, ni trop
enfant : c’est pourquoi Dieu vous a choisi une enfant pour vous tenir
compagnie et vous apprendre la route des enfants. (L. 154).
Elle le ramène sans
cesse à l’essentiel :
Il
faut que nous cessions d’être et d’agir
afin que Dieu seul soit. (L. 263).
On mesure facilement
les difficultés de Fénelon : dans cette
société profondément patriarcale, ce prince de l’Eglise à qui toute
femme devait obéissance a dû s’incliner devant l’envoyée choisie par la grâce.
Elle ne s’y trompe pas et lui dit carrément :
Il
me paraît que c’est une conduite de Dieu
rapetissante et humiliante pour vous qu’Il veuille me donner ce qui vous est
propre. Cependant cela est et cela sera, parce qu’Il l’a ainsi voulu. (L. 124).
Plus tard, elle lui
écrit avec humour et tendresse :
Recevez
donc cet esprit qui est en moi pour vous, qui n’est autre que l’esprit de mon
Maître qui S’est caché pour vous non sous la forme d’une colombe [...], mais
sous celle d’une petite femmelette. (L. 292).
Leurs deux
tempéraments étaient opposés : il était un intellectuel sec et
raisonnable, un esprit analytique très fin, un ecclésiastique rempli de
scrupules ; elle était passionnée, parfois un peu trop exaltée, et surtout elle
ne pouvait rien contre les « mouvements » de la grâce, si prompts
qu’elle agissait et écrivait sans y pouvoir rien (L. 253). Elle s’excuse
souvent de ce qu’elle est :
Dieu
m’a choisie telle que je suis pour vous, afin de détruire par ma folie votre
sagesse, non en ne me faisant rien, mais en me supportant telle que je suis.
(L. 171).
Mais avec tendresse et
rigueur, elle le bouscule pour lui faire lâcher ses attachements personnels et
le ramener à tout prix vers l’essentiel. On le voit peu à peu abandonner ses
préjugés et ses peurs, il la rassure : « Rien ne me scandalise en
vous et je ne suis jamais importuné de vos expressions. Je suis convaincu que
Dieu vous les donne selon mes besoins. » et il termine en souriant
sur lui-même : « Rien n’égale mon attachement froid et sec pour
vous. » (L. 172). Surtout il accède à l’essence même de la relation
spirituelle :
Je
ne saurais penser à vous que cette pensée ne m’enfonce davantage dans cet
inconnu de Dieu, où je veux me perdre à jamais. (L. 195).
Il règne entre eux
deux un rapport complexe d’autorité réciproque : bien qu’elle lui laisse
son entière liberté, il sait bien que sa parole est vérité et avertissement
divin (l . 220). Quand elle manque de mourir, il lui écrit, éperdu :
« Si vous veniez à manquer, de qui prendrais-je avis ? Ou bien
serais-je à l’avenir sans guide ? Vous savez ce que je ne sais point et
les états où je puis passer. » (L. 249). Inversement, elle le considère comme signe de Dieu pour
elle et lui affirme toujours sa soumission en tout : « Il n’y a rien
au monde que je ne condamnasse au feu de ce qui m’appartient, sitôt que vous me
le diriez [...] Comptez, monsieur, que je vous obéirai toujours en
enfant. » (L. 169). Avec une totale confiance et une grande estime, elle
se confie à lui car elle est dans un état d’enfance, d’abandon trop profond à
la volonté divine pour vouloir encore réfléchir ou décider par elle-même :
Notre
Seigneur m’a fait entendre que vous êtes mon père et mon fils, et qu’en ces
qualités vous me devez conduire et me faire faire ce que vous jugerez à propos,
à cause de mon enfance qui ne me laisse du tout rien voir, ni bien ni mal, que
ce qu’on me montre dans le moment actuel. (L. 280).
Il lui répondra
toujours avec une déférence et une délicatesse extrêmes : sans oser lui
donner d’ordres, il lui suggère des solutions dans des problèmes délicats ou
familiaux.
Si Madame Guyon a été
source de souffrances purificatrices pour Fénelon, il a été pour elle le
support de projections psychologiques intenses, qui elles aussi ont été
détruites par la Providence. Fénelon fut gouverneur du Dauphin de 1689 à 1695 et aurait pu devenir son premier
ministre après la mort de Louis XIV : Madame Guyon et son entourage ont
rêvé d’une France enfin gouvernée par un prince bien entouré et imprégné de
spiritualité, au point que Madame Guyon
s’est laissée aller à des prédictions à propos de ce prince :
« Il redressera ce qui est presque détruit [...] par le vrai esprit de la
foi. » (L. 184). On sait que le Dauphin mourut en 1712. De même, Madame
Guyon vit en Fénelon son successeur après sa mort. En avril 1690, croyant
mourir, elle lui confia sa charge spirituelle : « Je vous laisse
l’Esprit directeur que Dieu m’a donné [...] Je vous fais l’héritier universel
de ce que Dieu m’a confié. » (L. 248).
Malheureusement Fénelon est mort avant elle en janvier 1715.
Si Fénelon n’a pas pu continuer après elle, il a été d’une grande aide
puisqu’il a pris en charge ceux qui se trouvaient autour de lui. Petit à petit,
on voit Madame Guyon lui donner des conseils pour diriger certains amis, et il
expérimente à son tour la communication de la grâce cœur à cœur avec ses
propres disciples :
Je
me sens un très grand goût à me taire et à causer avec Ma. Il me semble que son
âme entre dans la mienne et que nous ne sommes tous deux qu’un avec vous en
Dieu. Nous sommes assez souvent le soir comme des petits enfants ensemble, et
vous y êtes aussi quoique vous soyez loin de nous. (L. 266).
Ceci ne peut exister
que dans son union avec elle, lui explique Madame Guyon :
Vous
ne ferez rien sans celle qui est comme votre racine, vous enté en elle comme elle l’est en Jésus-Christ
[...] Elle est comme la sève qui vous donne la vie. (L. 289).
Comme on le voit très
clairement dans les lettres aux autres disciples, il s’est formé autour de Fénelon un cercle
spirituel équivalent à celui de Madame Guyon à Blois, au point que tous les
appelaient « père » et « mère ».
Tout au long de ces
années, Madame Guyon s’émerveilla de leur union si totale en Dieu :
« Vous ne pourriez en sortir [de Dieu] sans être désuni d’avec moi, ni
être désuni d’avec moi sans sortir de Dieu. » (L. 271). Elle célèbre la
liberté absolue de cette union au-delà de l’humain « au-dessus de ce que
le monde renferme de cérémonies et de lois » ; « les enfants
de l’éternité […] se sentent dégagés de tous liens bons et mauvais, leur pays
est celui du parfait repos et de l’entière liberté. » (L. 271). Même la
mort ne pouvait les désunir :
Le
jour qu’il tomba malade, je me sentis pénétrée, quoique assez éloignée de lui,
d’une douleur profonde mais suave. Toute douleur cessa à sa mort et nous sommes
tous, sans exception, trouvés plus unis à lui que pendant sa vie. (L. 385 à
Poiret).
La relation avec
Fénelon couvre le sixième environ du total de la correspondance et
constitue la plus importante série des directions spirituelles par Madame
Guyon ; encore en avons-nous perdu les deux derniers volumes sur quatre
repérés. Le premier, utilisé par Dutoit, reconnu authentique par Masson depuis
1907, ouvre cette direction, suivi du second volume, édité ici en totalité pour
la première fois.
Nous éditons cette
correspondance en quatre sections :
I La « Correspondance secrète » de
l’année 1689, premier volume
publié au XVIIIe siècle, reconnue authentique depuis 1907, couvre
les quatorze premiers mois de la rencontre (octobre 1688 à décembre 1689)
;
II Le complément de l’année 1690 couvre presque la même durée (fin décembre
1689 à la fin de l’année 1690). Cet apport du ms. de la B.N.F., découvert
par I. Noye, est édité ici pour la première fois en ce qui concerne sa majeure
partie, celle des lettres écrites par Madame Guyon[2061] ;
III Lettres écrites après 1703 reprend les rares témoignages qui nous sont
parvenus de la correspondance postérieure à la période des prisons. En
particulier le dialogue daté de mai 1710, qui a fait le voyage de Cambrai à
Blois, puis le retour, probablement porté par le marquis de Fénelon ou par
Ramsay, a été écrit sur deux colonnes comportant d’un côté des questions posées
par l’archevêque et de l’autre les
réponses de Madame Guyon : il est édité ici pour la première fois de façon
compréhensible, c’est-à-dire en associant les réponses aux questions[2062]. Ce
précieux témoin nous éclaire sur le type de relations qui perdura jusqu’à la
mort de Fénelon : il y eut un courant de lettres portées par des amis
sûrs entre Blois et Cambrai (comme vers
l’étranger, en particulier l’Écosse et la Hollande, ainsi qu’en témoigneront
les séries de directions réunies à la fin de ce volume).
IV Poésies spirituelles. Il s’agit de lettres en vers échangées entre
Fénelon et Madame Guyon, rassemblées pour la première fois en 1907. On relira
avec intérêt les préfaces (générale et aux poésies) de Masson ; l’étude
d’Orcibal : « Fénelon vu par Madame Guyon[2063] »,
apporte le complément historique.
Cette série de
direction I à IV couvre un temps bref : le tableau I ci-dessous donne le
nombre des lettres, par années et trimestres, de la correspondance totale et de
sa partie passive.
Tableau I :
Direction de Fénelon par Madame Guyon.
Année |
Trimestre |
Corr. totale |
C. passive |
1688 |
4 |
9 |
1 |
1689 |
1 |
28 |
4 |
1689 |
2 |
39 |
14 |
1689 |
3 |
36 |
13 |
1689 |
4 |
28 |
5 |
1690 |
1 |
20 |
9 |
1690 |
2 |
28 |
8 |
1690 |
3 |
9 |
1 |
1690 |
4 |
12 |
1 |
Après 1703 |
|
3 |
2 |
L’essentiel de ce qui
nous a été conservé couvre six trimestres (janvier 1689 – Juin 1690) et
présente une répartition uniforme. La moyenne relative à la correspondance
totale, pour cette année et demie, atteint trente lettres par mois, soit une
lettre par jour - la correspondance passive issue de Fénelon y contribuant en
moyenne pour neuf lettres par mois, soit
une lettre tous les trois jours.
On pense que des
lettres de Madame Guyon furent adressées à Fénelon longtemps auparavant[2064]. On
sait que la correspondance continua après 1690, indirectement relayée par le
duc de Chevreuse ; elle fut interrompue par l’emprisonnement à la Bastille
de Madame Guyon, pour reprendre ensuite : les courriers entre Cambrai et
Blois étant assurés par le marquis neveu de Fénelon, Ramsay, Dupuy et d’autres.
La moitié (soit deux « cahiers de lettres ») de ce qui suit le corpus des années 1689-1690 est perdu -
ou reste à découvrir.
Il est intéressant de
regarder la distribution des lettres écrites par Fénelon à divers
correspondants pendant les deux années d’abondance :
Pour l’année 1689, les
49 lettres de Fénelon, éditées par Orcibal, sont adressées à : Madame
Guyon (37), Chevalier Colbert (5), Mme de Maintenon (3), autres (4).
Pour l’année 1690, les
54 lettres de Fénelon, éditées par Orcibal, sont adressées à : Madame
Guyon (19), Mme de Maintenon (7), la comtesse de Gramont (9), Seignelay (6),
d’autres (13).
Plus de la moitié des
lettres sont ainsi adressées à Madame
Guyon. Madame de Maintenon vient en seconde place suivie de près par les autres
dirigé(e)s de l’abbé.
Il est enfin utile
d’évoquer le cadre événementiel par une chronologie couvrant ces années de
correspondance : elle est d’ailleurs courte car nous avons peu de
renseignements précis sur cette période couvrant ces deux années heureuses sans histoire[2065] :
13 septembre
1688 : Madame Guyon sort de la prison de la Visitation du Faubourg
Saint-Antoine, suite aux interventions de Mme de Miramion et d’une abbesse
parente de Mme de Maintenon.
« Un peu avant le
3 octobre 1688 » : rencontre avec l’abbé de Fénelon au château de
Beynes[2066].
Madame Guyon est
malade trois mois, avec un abcès à l’œil. Elle réside chez les dames de Mme de
Miramion. Celle-ci découvre les calomnies du P. la Mothe[2067].
2 décembre 1688 :
Fénelon écrit à Mme Guyon.
Fénelon prêche
successivement à des religieuses (28 novembre, 1er dimanche de
l’Avent), aux Nouvelles Catholiques (12 décembre, 3e dimanche de
l’Avent), à la maison professe des jésuites (1er jour de l’an 1689.)
Entre le 10 et le 14
avril 1689 : entrevue entre Fénelon et Madame Guyon.
A partir du 22 au 30
avril 1689 : séjour de Madame Guyon à la campagne[2068].
20 juin 1689 :
rencontre à Saint-Jacques de la Boucherie[2069].
17 juillet 1689 :
Fénelon écrit : « Je reviens de la campagne [Germigny ?] où j’ai
demeuré cinq jours[2070] ».
24 et sans doute 28
août 1689 : Rencontres.
25 août 1689 :
Armand-Jacques, le fils aîné de Madame Guyon, est blessé à l’engagement de
Valcourt. Il restera estropié[2071].
26 août 1689 : sa
fille Jeanne-Marie épouse Louis-Nicolas Fouquet, comte de Vaux.
29 août 1689 :
Fénelon, prête serment devant le roi comme précepteur du duc de Bourgogne. Il
commence son enseignement le 3 septembre et réside désormais à Versailles.
Début
octobre 1689 : Fénelon « n’a pas assez de foi ». Crise de
novembre[2072].
Janvier
1690 ? : Lettre de Fénelon à Mme de Maintenon[2073],
« sur ses défauts. »
Février 1690 :
« Pour ma santé, elle est bien détruite…[2074] »
L’année 1690 est très
mal documentée en ce qui concerne Madame Guyon : « Ayant quitté ma
fille, je pris une petite maison éloignée du monde…[2075] »
Longue période sans événements datés.
Jean-Baptiste Colbert,
marquis de Seignelay, fils aîné du ministre, est assisté par Fénelon et meurt
le 3 novembre 1690. (Les filles ont épousé les deux ducs de Beauvillier et de
Chevreuse, disciples de Madame Guyon).
8 novembre 1690 :
Fénelon va à Issy remettre une lettre à M. Tronson, son ancien confesseur,
à la demande de Mme de Maintenon.
29 novembre
1690 : mise à l’index du Moyen court.
11 décembre
1690 : Fénelon participe à un conseil des directeurs de Saint-Cyr qui
décide de la vocation de Mme de la Maisonfort.
Madame Guyon eut bien
du mal avec ce mousquetaire arrivé à elle à l’âge de vingt-trois ans après
avoir été blessé. Il avait des
difficultés à s’unifier dans la vie intérieure. Elle le confia au début à un
ami, lord Forbes ou Ramsay[2076],
puis développa une tendresse particulière pour son « cher boiteux ». En
outre, cette correspondance décrit les précautions que devait prendre le petit
groupe quiétiste surveillé de près, et nous renseigne sur la publication de
manuscrits de Fénelon après sa mort.
Gabriel-Jacques de Salignac de La Mothe,
marquis de Fénelon, neveu de l’archevêque, mena une vie de
militaire :
Né le 25 juillet 1688,
petit-fils du frère aîné de Fénelon, il était le second d’une famille de
quatorze enfants. Mousquetaire en 1704, colonel du régiment de Bigorre en 1709,
il reçut une grave blessure le 31 août 1711 au siège de Landrecies, lors de
l’enlèvement du camp ennemi à Hordain. Mal soigné, il subit une opération au
début de février 1713, qui fut suivie de trois mois de maladie dont nous trouvons l’écho dans la
correspondance. Il se rendit aux eaux de Barèges en 1714 avec
« Panta », l’abbé Pantaleon de Beaumont. Ils s’attardèrent à Paris et
peut-être à Blois[2077].
Commença alors une correspondance suivie avec Madame Guyon. Il fut inspecteur
général de l’infanterie en 1718, brigadier en 1719. Son mariage avec la fille
de Louis Le Pelletier avait fait de lui un parent du comte de Morville,
secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères : celui-ci le désigna en 1724
pour l’ambassade de Hollande. Il y resta jusqu’en 1728, où il fut nommé
plénipotentiaire au Congrès de Soissons, puis retourna en Hollande de 1730 à
1744. Chevalier des Ordres du Roi en 1739, il servit comme lieutenant général
dans l’armée du maréchal de Noailles, puis dans celle de Maurice de Saxe. Il
était en passe d’obtenir le bâton de maréchal quand il fut blessé très
grièvement à la bataille de Raucoux, près de Liège, et mourut quelques jours
après, le 11 octobre 1746[2078].
Légataire universel de
son grand-oncle et dépositaire de tous ses écrits originaux, qui lui avaient
été remis par l’abbé de Beaumont, il les publia[2079],
en y ajoutant un Avertissement pour
servir d’introduction à la lecture des Œuvres spirituelles recueillies dans
cette nouvelle édition[2080].
Cet exposé [A2]fut peut-être rédigé avec l’aide de Dupuy.
Nous disposons d’une
série de 70 lettres, dont 69 qui lui sont adressées par Madame Guyon. La seule
lettre attribuable au marquis, datée du 31 mars 1614, ne permet guère de mieux
le connaître, mais - outre les traits observés par Madame Guyon - on se
reportera à la préface du marquis rédigée avec soin pour son édition de 1738
des Œuvres spirituelles de Fénelon[2081].
Nous avons ajouté deux lettres adressées au marquis, l’une des duchesses de
Mortemart et de Guiche (depuis maréchale de Grammont), l’autre, tardive, de
Dupuy, informant le marquis à l’occasion de la rédaction de sa préface que nous
rééditons dans le volume II Combats.
L’édition par Dutoit
atteste en son Indice (p. 628 du t.
V) trois lettres au t. III, puis une série de trente-huit lettres au t. IV.
Nous avons pu recourir à de nombreux
originaux (autographes de l’écriture difficile qui caractérise la fin de la vie
de Madame Guyon ; copies sous dictée le plus souvent de la main de son
secrétaire Ramsay) et à défaut, au « cahier des lettres » de la main
du marquis. Dutoit s’est avéré utile pour certains mots indéchiffrables ;
malheureusement toutes les difficultés n’ont pu être surmontées, de déchiffrage
comme d’identification de personnes.
L’accord entre ces
trois sources s’avère excellent. On relève dans toutes les variantes la
fidélité du pasteur Poiret. Son édition fut reprise scrupuleusement par Dutoit,
à l’exception d’omissions de noms et de détails personnels : notons toutefois
une tendance à occulter le « petit Maître », expression remplacée par
« Seigneur » ou « Dieu », ainsi que les témoignages de
tendresse, fréquemment omis.
L’ordre obtenu suivant
les indications de dates, souvent portées sur les sources (mais fréquemment il
manque l’année !), s’avère respecter de près celui donné par la série des
trente-huit lettres citées[2082] :
la « Table des lettres de ce IV. volume » par Poiret, reproduite par
Dutoit, déclarait d’ailleurs qu’elles « sont écrites à une même personne,
et dans le même ordre ».
La sortie de la
Bastille le 24 mars 1703 fut suivie d’années obscures. Un délai fut nécessaire
à Madame Guyon pour retrouver une santé qui restera cependant chancelante, et
aussi pour que des lecteurs des œuvres éditées par Poiret localisent leur
auteur, probablement par l’intermédiaire de Fénelon, qui resta toujours en
contact avec elle par son neveu le marquis. Elle fut alors visitée à Blois.
En complément ou à la
place de tels rapports directs - supposant des déplacements en France,
interdits au célèbre pasteur hollandais Poiret comme probablement au
diplomate et baron de Prusse Metternich, - une correspondance de direction
s’étendit à l’Europe entière. Il en reste quelques témoignages : cahier des lettres du marquis, quelques copies ou autographes, écossais ou suisses, qui sont les rares cas où la
source directe est datée et signale le destinataire. La grande majorité des
lettres est constituée cependant par la
masse éditée par Poiret, puis reprise et complétée par Dutoit, après un
filtrage attentif de tous les indices personnels comme ce sera le cas bientôt
pour la correspondance de Bertot[2083].
Mais parfois le correspondant est connu grâce à l’Indice donné par Dutoit à la fin de son dernier volume de Lettres. Ces amorces de séries autour de
correspondants attestés couvrent surtout les trois dernières années : 1714
à 1717.
Les pertes ont
certainement été considérables : il est étonnant que l’on possède si peu
de lettres adressées à Ramsay, l’actif secrétaire à Blois souvent en
déplacement à Paris ou à Cambrai, ou bien adressées à Keith, actif
intermédiaire londonien, ou encore à Garden, influent dans le groupe
d’Aberdeen. Ces derniers disciples ne nous sont d’ailleurs connus
qu’indirectement.
Nous avons regroupé
les lettres dont on a pu retrouver le destinataire, en ensembles selon quatre
localisations : I Poiret &
Homfelt en Hollande, II Metternich
en Allemagne (exceptionnelle série active et passive), III Ecossais et IV Suisses.
Nous présentons maintenant brièvement ces correspondants.
L’éditeur Pierre
Poiret (1646-1719) et son ami Homfelt furent des disciples dont il est bien
naturel de retrouver les lettres dans une correspondance qu’ils éditèrent. On
est surpris que Dutoit dans son Indice
limite singulièrement leur nombre, tout en indiquant pour Poiret une plus
large présence (les lettres adressées à Poiret figureraient au nombre de plus
d’une trentaine dans le corpus édité) : « Poiret : Tome IV Lettres
146, 149, 150, etc. » Etc. pose
problème puisque la lettre 151 est adressée à une « chère sœur », la
lettre 152 à Metternich… Dutoit ajoute cependant : « Quelques-unes
des lettres de Mme Guion extraites du 4e volume de Mr Bertot,
singulièrement la 4e et non pas les 22 lettres, comme porte la note
qui est au bas de la page 464. » On trouvera ces lettres, qui concluent Le Directeur
mystique, rassemblées dans notre volume III, dont la 4e citée.
Nous n’avons pas cru devoir la détacher de cette série très particulière visant
à établir Madame Guyon comme le successeur mystique de Bertot. De même nous
n’avons pas voulu grossir le corpus des lettres adressées à Poiret en prenant
appui sur des indices incertains pour reconstituer une véritable série.
L’évolution de P.
Poiret, natif de Metz, devenu pasteur en Hollande,
grand éditeur à l’intuition très sûre des principaux textes mystiques accessibles
à l’époque, le conduira finalement à devenir sur la fin de sa vie un disciple
aimé de Madame Guyon[2084].
[Madame Guyon] s’écria : “Voilà l’homme qui publiera
tous mes ouvrages”, et en effet c’est lui qui en a procuré l’édition complète
en Hollande sous le nom de Cologne. Elle n’en avait jamais ouï parler
auparavant. Dès lors ils firent connaissance. […] On sait qu’elle en faisait un
cas tout particulier. Il avait formé en Hollande une maison patriarcale [à
Rijnsburg près de Leyde], et était fort avancé. Il passait après Fénelon pour
une des premières âmes intérieures[2085].
Il eut, par son
activité inlassable, une influence considérable, non seulement par ses éditions[2086]
reprises en particulier par Wesley (1703-1792), le fondateur du méthodisme,
mais encore par son disciple piétiste Tersteegen (1697-1769), connu lui-même de
Kierkegaard.
Otto Homfeld (et son frère Jodocus) appartenaient au cercle de Rijnsburg. Originaires de l’Allemagne du Nord, ils étaient déjà liés à Poiret en 1692, quand ils signèrent de leurs initiales des poèmes latins d’éloge, en tête de son De Eruditione[2087]. Otto fut en relation avec le Dr. Keith, Anglais, et annonça l’expédition des livres de la maison d’édition d’Amsterdam[2088]. Le témoignage suivant de Tersteegen éclaire d’une douce lumière la fin du cercle (la bibliothèque de Poiret sera dispersée en 1748) :
Ils
vivent contents, ils travaillent eux-mêmes le jardin […] Le frère Homfeld, qui
est de Brême, est âgé de 77 ans, et le fr. Wetstein qui est natif de Bâle âgé à
peu près de même, il est frère du Wetstein Marchand Libraire à Amsterdam tant
renommé […] Le troisième frère est Israel Norraüs, il est Suédois de
naissance […] Le frère Homfeld est devenu par la vieillesse, mais plus
encore par la grâce de Jésus, un petit enfant simple et doux […] Il a été un
savant homme [traducteur en latin de l’Oeconomie
Divine de Poiret]. À qui le questionne, il répond « je ne suis rien »[2089]…
Wolf von Metternich fut diplomate, écrivain avec un penchant vers
l’alchimie, et ami de Poiret :
Après avoir probablement fait des études de droit, ce deuxième fils de Johann Reinhard devint le conseiller privé pour le Brandebourg et la Bavière, et le plénipotentiaire du Reichstag à Regensburg (Ratisbonne). En 1726 il passa au service du prince de Scharzburg-Rudolfstadt, devint son conseiller privé et finalement son chancelier. A côté de son activité d’écrivain calviniste et de traducteur, voilée sous des pseudonymes (le plus souvent : Hilarius Theomilus), il se consacra principalement à l’alchimie, et eut une certaine célébrité ; le dix-neuf juillet 1716, selon les affirmations sous serments de quatre gentilhommes, il aurait transformé du cuivre en argent dans une maison de Vienne ! Il mourut en 1731, toujours célibataire, ce qui éteignit la lignée des Chursdorf-Metternich[2090].
C’est un homme en recherche dont les sympathies furent nombreuses. Intéressé par les écrits des fondateurs de la Société de Philadelphie, John Pordage et Jane Leade, le baron les avait traduits en allemand. Il avait voyagé avec l’Ecossais Lord Forbes of Pitsligo […] Ses activités de diplomate chargé des intérêts du Roi de Prusse le conduisaient dans toute l’Europe.[2091]
De la tête au cœur.
Même si elle n’a pas la même élévation que dans sa relation avec Fénelon, la correspondance de Madame Guyon avec Metternich est dense et riche. Ce qui nous est parvenu couvre trois années, durant lesquelles on peut suivre l’approfondissement du baron, au point que Mme Guyon lui écrit de longues et importantes lettres, véritables résumés de la mystique guyonienne. On peut y suivre aussi avec quelle patience et quelle délicatesse elle le détache peu à peu des scrupules et des analyses sans fin où se débattait cet homme trop identifié à son intellect et qu’elle voulait voir se centrer dans le cœur.
Sans relâche, elle l’appelle à se simplifier : « Une vie simple et réglée, l’amour et l’abandon : c’est tout ce qu’il vous faut. » Il lui faut abandonner ses « lumières », ses appuis comme la lecture pendant l’oraison, les soucis personnels, même concernant son mariage. Encore et encore, elle l’exhorte à la confiance : « Laissez-vous donc conduire par ces ténèbres, et ne marquez jamais aucune défiance à Dieu. » (Lettre 402). Lui qui cherche les appuis doit maintenant suivre les inspirations « délicates » de Dieu, les mouvements de l’Esprit-Saint : elle lui indique comment les reconnaître.
Elle l’exhorte à trouver l’état d’enfance, à se laisser conduire par Dieu comme un enfant par sa nourrice. Chaque moment est alors ressenti comme divin :
« Désaltérez-vous
à cette fontaine du moment divin, et si vous êtes assez heureux pour passer en
Dieu et vous y perdre dès cette vie, vous verrez que ce même moment, qui vous
doit être à présent volonté de Dieu, vous sera Dieu. » (L. 425).
Elle le porte comme un enfant dans sa prière, et on en voit le résultat dans la belle lettre où Metternich lui décrit son état : « Il est vrai que Dieu me fait des grâces infinies. […] C’est comme si mon cœur était diaphane et qu’une sérénité indistincte le pénétrât de tout côté sans obstacle ». (L. 430). Il lui décrit sa répugnance à devenir catholique. Cette savoureuse comparaison entre catholiques et protestants se poursuit dans la lettre 431 où il décrit sa paix joyeuse et sa liberté intérieure, se sentant comme « une petite abeille qui voltige librement sur toutes sortes de fleurs. »
Il lui dit toute sa reconnaissance et laisse passer son émerveillement :
Si
Dieu daigne faire quelque chose de cette masse corrompue, c’est à vos prières
et à vos avis que j’en suis redevable. (L. 430).
Les Ecossais
constituaient un groupe dont Henderson[2092] restitue l’atmosphère attachante, la
droiture et le courage des individus pris par les remous politiques.
L’Écosse a une
histoire faite de luttes inégales (telle
celle avec Cromwell) suivies de dominations par l’Angleterre. Ainsi l’Union de
1707 fut suivie d’un soulèvement inefficace en 1715 en faveur du
prétendant catholique James VIII (the Old
Pretender), qui s’enfuira finalement à Rome. Il n’y eut pas alors de
lourdes sanctions - comme ce sera le cas lors du soulèvement de 1745 en faveur
de son fils (the Young Pretender).
Certains disciples de Madame Guyon prendont part aux deux soulèvements.
L’histoire est compliquée par les luttes religieuses entre royauté catholique,
protestants épiscopaliens (ayant récupéré la structure catholique lors de la
première vague luthérienne qui avait vu Henry VIII fonder l’Église anglicane,
jacobites le plus souvent, par attache aux structures traditionnelles et
royale), presbytériens (protestants de la seconde vague calviniste, d’assise
sociale populaire et puritaine), sans compter la présence de quelques
minorités, telle celle des quakers.
Notre groupe était
catholique ou de tendance épiscopalienne parce que se succédèrent - par
exception - des religieux remarquables, enseignant in Divinity à l’université d’Aberdeen, l’une des trois meilleures
universités britanniques (avec Oxford et Cambridge) : John Forbes, qui tint un
journal intérieur de 1624 à 1647 ; puis Henry Scougall, auteur de la
remarquable Life of God in the soul of
man[2093]
(1677) ; enfin James Garden auteur de la non moins remarquable Comparative theology (1699). Ce dernier
devint disciple guyonien avec son jeune frère George.
Ils étaient jacobites
de manière avouée ou cachée : ses membres voyageaient ou se réfugiaient
sur le continent. Ils passaient par la Hollande, qui n’était qu’à trois (voire
deux) jours de bateau des ports de la côte est, situés entre Edimbourg et
Aberdeen. De nombreuses communautés d’Ecossais s’établirent sur le continent,
tout comme les Hollandais furent présents à Culross, le beau port et village
« hollandais » visité de nos jours près d’Edimbourg.
Le dégoût des
affrontements et des controverses au nom de l’Ecriture souvent interprétée trop
littéralement, tourna leur attention vers « l’intérieur » mystique.
Tout un réseau d’Ecossais reçut ainsi les ouvrages mystiques de Poiret par
l’intermédiaire du Dr. Keith de Londres. Ce dernier importa par exemple cent
exemplaires d’un de ses titres pour en redistribuer quarante-deux en Écosse[2094].
Ils furent un temps adeptes d’Antoinette Bourignon[2095],
sous l’influence de Poiret. Mais en 1708 Keith et George Garden interrompirent
« for no apparent reason » la traduction de son œuvre[2096] :
Poiret leur avait fait connaître Madame Guyon et ils avaient atteint le
terme de leur quête. Par la suite plusieurs membres du groupe vinrent à Blois.
De ce groupe on identifie :
(1) Le Dr. Keith, étudiant en Arts devenu médecin d’Aberdeen et exerçant à Londres, fut l’agent
par lequel circulaient livres et lettres. Il était cultivé, possèdait de
nombreux ouvrages mystiques en plusieurs langues, avait plusieurs cercles de
relations. Un ami proche, le Dr. Cheynes, mentionne dans une lettre :
Tauler, John of the Cross, Bernier [Bernières], Bertot, Marsay, Madame Guyon[2097].
(2) James Garden,
cité plus haut.
(3) Georges
Garden son
jeune frère (1649-1733), ami d’Henry Scougall et attaché à l’église cathédrale
d’Old Machar. Refusant de se cacher, il fut emprisonné lorsque les
presbytériens déposèrent des ministres épiscopaliens, puis s’échappa en Hollande et fit des études
médicales à Leyde. Il ne retourna en Écosse qu’en 1720. Resté célibataire, il
traduisit John Forbes, auteur du journal spirituel que nous avons cité. Wetstein,
éditeur hollandais ami de Poiret, déclare qu’il n’a jamais connu quelqu’un de
plus doux, modeste, ayant plus de bonté fraternelle[2098].
(4) Lord
Deskford, James Ogilvie (1690-1764). Son nom est souvent corrompu en
Exford[2099]. De
santé fragile, il étudia l’histoire et le français ; il vécut à Cullen
House. Il fut arrêté en août 1715 et confiné un moment au château d’Edinbourg.
Il eut une vie utile, prenant activement part au gouvernement local de Cullen,
introduisant des manufactures de tissus, devenant vice-amiral d’Écosse. Sa
première femme appartenait à la famille des Dupplin. Il se remaria en 1723. Il
est bien représenté dans notre correspondance, par suite de la conservation de
sa bibliothèque - très complète en ce qui concerne les auteurs mystiques
-jusqu’à sa dispersion en 1975.
Nous rencontrons
ensuite trois membres de la grande famille des Forbes qui comporte même une
branche suédoise[2100]. De
nombreux aspects biographiques sont couverts par The House of Forbes[2101]
:
(5) Alexander, 4th
Lord Forbes of Pitsligo (1678-1762). La mort de son père lorsqu’il
avait treize ans fut suivie de son éducation sur le continent, où il aurait
rencontré Fénelon (et Madame Guyon ?) avant
de retourner en Écosse en 1700[2102]. Il protesta contre l’Union de 1705, fut
présent à la bataille de Sheriffmuir en 1715, se cacha en Écosse puis à
Londres, en Hollande, à Vienne, à Rome ; il ne s’entendit guère avec le
roi en exil, et revint vivre en Écosse, avant de prendre de nouveau part au
soulèvement de 1745 à un âge avancé, sans illusion. Il finit sa vie à nouveau
caché en Écosse[2103]. Sa
personnalité est décrite ainsi par Henderson :
« There
is nothing to suggest the dangerous quietist : but his self-control, his
disinteredness, his loving kindness, his trustful acceptance of ill fortune and
good fortune, and his possession of a peace past understanding remained to
prove him the follower of Mme Guyon and of greater mystics [Henderson n’est pas
un inconditionnel guyonien, ce qui ajoute valeur à ce témoignage]. His spiritua l position may be summed up in his own
words : « An absolute submission to the divine will in ourselves and
others is the only thing to be prayed for, as it is the only true essential
religion[2104]. »
(6) William,
14th Lord Forbes (1687-1730)
« …was
evidently very highly regarded by his friends. Dr. James Keith speaks of him
with particular affection. He seems to have spent a great part of his life
abroad […] He enjoyed the hospitality of Mme Guyon at Blois […] Extremely
interesting information of these last years of Mme Guyon’s life comes to us […]
among these is a Notice sur Mme Guyon
[T.P. 1154 de Lausanne, texte que nous avons publié avec sa Vie par elle-même] recording what
William Forbes, when living at Aix la Chapelle between 1720 and 1730, recounted
to Pétronelle d’Eschweiler, afterwards the wife of Fleischbein. »
(7) James, 16th
Lord Forbes (1689-1761)
Son jeune frère fut
marié deux fois, en 1715 à une sœur de Lord Forbes of Pistligo. Il connut personnellement
Madame Guyon et fut présent à Blois à son agonie. Il fut très respecté comme
l’indique la notice annonçant son décès.[2105]
(8) Ramsay.
La personnalité de ce
personnage relativement célèbre est appréciée diversement par ses biographes[2106].
L’énergie qu’il mit en œuvre dans la diversité de ses entreprises est
certainement remarquable.
Dans la transcription
de la correspondance de Madame Guyon, dont il fut un temps secrétaire, on
trouvera ses interventions au ton quelque peu protecteur. Cette dernière garde
à son égard une certaine distance, contrairement à la tendresse qu’elle marque
au jeune marquis de Fénelon. Il joua un rôle discuté lors de la querelle qui
suivit la mort de « notre mère », en s’opposant à l’édition de la Vie et au vieux Poiret. Mais il fut aussi l’ami de Lord Deskford et
du marquis de Fénelon.
Né en 1686 en Écosse,
fils d’un boulanger, il se distingua par sa curiosité d’esprit qui le conduisit
à des études de théologie à Glasgow et Edimbourg. Le goût de l’aventure (voir
Chérel), ou la recherche spirituelle (v. Henderson) le conduisent à rendre
visite à Poiret en Hollande. Il séjourna chez Fénelon à Cambrai, puis devint le
secrétaire de Madame Guyon à Blois, de 1714 à 1716. Il rendit service par son
bilinguisme en facilitant les relations avec les disciples écossais ou trans. Sept ans précepteur du fils du
comtede Sassenage grâce au duc de Chevreuse, il se voua au culte de Fénelon; il
polémiqua avec un éditeur en « gardien vigilant » de sa mémoire (v.
Chérel). Le Régent l’estimait et lui attribua une pension. Il partit pour Rome
en 1724 comme précepteur du fils aîné du Prétendant au trône d’Écosse, mais
rentra la même année à Paris. Protégé de Fleury, hôte du duc de Sully, qui
était marié à la fille de Madame Guyon, il écrivit un roman qui remporta le
succès : Les Voyages de Cyrus, à l’imitation du Télémaque. Il fit partie du Club de l’Entresol à partir de
1726 : « tous les dogmes
chrétiens, affirmait-il, se retrouvent dans les religions païennes[2107] ».
Il y rencontra Montesquieu, qui toutefois le jugea un « homme fade[2108]».
Il alla jeter à Londres les fondements d’une « Maçonnerie
nouvelle » et accumula diverses distinctions. De retour en France, il se
présenta à l’Académie Française (sans succès) et entra à quarante-quatre ans en
qualité de précepteur dans la puissante famille des Bouillon. Il prononça en
1736 dans la loge Saint-Thomas un discours resté fameux[2109]. Il
se maria à quarante-neuf ans : sa femme était âgée de vingt-cinq ans.
Grand orateur, peut-être chancelier de l’ordre des Francs-Maçons,
il manoeuvra auprès du cardinal de Fleury pour faire admettre cette
institution. Il mourut en 1743.
« Ramsay
était un homme estimable, mais il prêtait beaucoup à la plaisanterie, par ses
airs empesés, par son affectation à faire parade de science et d’esprit »,
selon un témoignage d’époque[2110].
Dans son Histoire de Fénelon, Ramsay
avoue avoir voulu « détruire les fausses idées que certaines personnes ont
formées de Madame Guyon, en lisant une histoire de sa vie, imprimée depuis peu
dans les pays étrangers [par Poiret], sans son aveu, et contre ses dernières
volontés […] Madame Guyon apparaissait comme l’inspiratrice, tandis que
Fénelon n’était qu’un disciple. Voilà contre quoi Ramsay tint à protester et à
réagir[2111] ».
Henderson nous le
présente beaucoup plus favorablement, comme un exemple d’une remarquable
adaptation sociale en ces temps difficiles, pour qui n’était pas d’origine
noble ; ce sera plus tard le cas pour Rousseau. Son grand œuvre, Principes philosophiques de la Religion
naturelle et révélée, ne manque pas d’intérêt. Il était tolérant et
charitable, il se fit de très nombreux amis et sa jeune femme lui resta profondément
attachée[2112].
Son intervention contre la publication de la Vie s’expliquerait par l’influence de la fille de Madame Guyon,
d’un caractère très énergique[2113].
Tout ceci nous trace
le portrait d’un personnage actif dans le bouillonnement des esprits, sensible
à l’esprit du temps, théosophe plutôt que mystique.
Madame Guyon fit un
voyage mouvementé, en traversant le lac de Genève entre Thonon et Lausanne[2114] :
peut-être avait-elle gardé des contacts pris à cette époque ?
Aucune figure
marquante ne se détache dans le groupe suisse. Nous n’avons pas
d’informations particulières sur les premiers disciples de Lausanne (ou de Morges,
localité voisine), restés obscurs, dont nous éditons ici quelques lettres ;
mais un groupe guyonien sera actif à Lausanne jusque dans les années 1830[2115].
Parmi les visiteurs de
Blois, se trouvait la jeune Pétronille d’Eschweiler
(née vers 1690), qui épousa le comte Friedrich von Fleischbein.
Fleischbein
(1700-1774) traduisit en allemand les œuvres de Madame Guyon et fut également
influencé par Ch. H. de Marsay. Il eut des disciples en son château de Pyrmont.
Le jeune Karl-Philipp Moritz décrit, dans son roman Anton Reiser, ce milieu alliant mystique guyonienne et rigorisme[2116].
Celui-ci exerça à son
tour une autorité profonde sur le pasteur Dutoit (1721-1793). Ce dernier mérite ici un aperçu
biographique, compte tenu de son apport déterminant à notre connaissance de la
correspondance de Madame Guyon.
Jean-Philippe
Dutoit-Membrini naquit d’un père vaudois qui renonça à devenir pasteur, jugeant
sévèrement l’état du clergé protestant, et d’une mère d’origine italienne ; il
fit des études de théologie. À trente-et-un ans il traversa une crise
intérieure à l’occasion d’une longue et dangereuse maladie, exalté selon
certains, en tout cas assez isolé et sans direction spirituelle. Celà ne
l’empêcha pas d’apprécier Voltaire, puis l’année suivante de trouver les Discours de Madame Guyon en les
feuilletant chez un bouquiniste. Sous son inspiration, il devint un pasteur
aimé par un public qui goûtait ses exhortations pleines de flamme, à l’opposé
des discours académiques des pasteurs du temps : « Quand il arrivait
au temple, les avenues étaient si remplies de monde qu’il disait plaisamment :
« si je ne trouve pas de place, il faudra que je m’en retourne »,
rapporte son disciple Pétillet.
À trente-neuf ans, des ennuis de santé le
firent renoncer à prêcher. Il commença à correspondre avec beaucoup de frères
spirituels, dont le Suédois Klinkowström et l’Allemand Fleischbein. Ce dernier le dirigeait : « Quinze ans je
lui ai obéi à l’aveugle et m’en suis infiniment bien trouvé. » Il passa
deux années à Genève et publia en 1767-1768 la Correspondance de Madame Guyon, augmentée de celle, secrète, avec
Fénelon. Un certain nombre de nouveaux fidèles s’attachèrent à « la doctrine
de l’intérieur ». Informés de l’existence à Lausanne d’un groupe suspect
de piétisme, les autorités bernoise firent une saisie des livres et écrits de
Dutoit, dont la liste nous prouve la conscience qu’il avait de la filiation
Bernière-Bertot-Guyon. Cet événement, qui le marqua, se produisit le 6 janvier
1769 : il avait quarante-huit ans. Il
passa trois années heureuses chez les Grenus, à la Chablière, propriété louée
au colonel Constant, puis fut accueilli chez les dames Schlumpf. Il demeurait
cependant abattu. Il eut la joie de rencontrer à cinquante-six ans son fidèle
disciple Pétillet, âgé seulement de dix-neuf ans. Mais sa santé empira et il
traversait des périodes d’angoisse. Il publia les quarante volumes de la
réédition des œuvres de Madame Guyon entre 1789 et 1791. Il mourut en 1793 âgé
de soixante-douze ans[2117].
Absorbement : rare, synonyme d’absorption pour « extase, ravissement » chez Suso (trad. 1586).
Apetisser : Rendre plus petit. Apetisser un manteau. On dit plus ordinairement rapetisser. (Littré).
Assaisonnement : manières agréables qui accompagnent ce qu’on dit.
Bélial : le malin esprit, le démon ; mot hébreu signifiant qui ne vaut rien. (Littré).
Bonace : état d’une mer très tranquille.
Caractère : mot repris du latin chrétien dans sa spécialisation : « marque spirituelle et ineffaçable qu’impriment les sacrements ».
Considération : représente le latin consideratio « examen attentif. »
Consistance : d’abord synonyme de « matière », est attesté depuis 1580 au sens d’ « état de ce qui est ferme, solide », d’abord avec la valeur d’ « immobilité, stabilité », puis en parlant d’une chose abstraite.
Correspondre : être en rapport de conformité avec.
Coulpe : le mot demeure un terme de théologie désignant la faute.
D’abord : Dès l’abord, tout de suite. « incontinent, aussitôt ».
Déchet : premier sens de perte. Littré cite Bossuet : « Sans [la retraite], vous ne trouverez jamais que du déchet en votre âme, du désordre dans votre conscience… »
Dévoiement : un vomissement, une indigestion (1538), la diarrhée (1680), acceptions médicales sorties d’usage.
Enlever : signifie aussi (1655) « priver de (qqch.) » avec un complément nom de personne, et aussi « enthousiasmer ». Signer : par extension, signer s’emploie aussi pour « approuver ».
Ennui : s’est dit jusqu’à l’époque classique pour « tristesse profonde, dégoût », d’où ennui de vivre.
Ennuyer :
« causer des tourments, être insupportable », sens dominant jusqu’à
l’époque classique .
Entretenir : dans son premier emploi « se soutenir mutuellement », puis « tenir dans le même état, faire durer, maintenir »
Espèces : Furetière 6e entrée – sens général de « catégorie, sorte », d’où en philosophie espèces sensibles, espèces intelligibles. Et par extension, représentation ; v. latin classique, species « vue, regard ».
Etrange : épouvantable, terrible, scandaleux ; hors de la réalité habituelle.
Faire l’amour (à
qqn) : après l’ancien provençal far
amor (ad alcun), signifie « courtiser », sens encore normal dans
l’usage classique (XVIIe- XVIIIe s.).
Flatter : d’abord, au figuré, a signifié « chercher à tromper en déguisant la vérité » d’où à l’époque classique se flatter, « se bercer d’illusions » (av. 1559) ; aujourd’hui flatter qqn de qqch. « laisser qqn faussement espérer » (1669).
Grief : douloureux, motif de plainte.
Lisière : Dans les premières attestations, lisière désigne le bord d’une étoffe. On l’attacha au vêtement d’un enfant pour le soutenir quant il apprend à marcher (1680). D’où aux siècles suivants : tenir qqn en lisières.
Longanime : patient avec indulgence, magnanime.
Mouvement : au sens moral, « impulsion qui pousse à agir d’une certaine façon », également en emploi qualifié dans bon mouvement (1690).
Observer : en langue classique, « veiller à » (1677).
Opérer : « agir, produire un effet conforme à sa nature » (1470), aujourd’hui archaïque sauf dans une acception religieuse, en parlant de la grâce.
Outrepasser : A eu le sens concret de « dépasser » (une ville), et sur le plan temporel « passer », sans y ajouter le sens abstrait de « transgresser (une limite). »
Propriétaire : Les mots « propriétaires », « propriété » ont une grande importance pour Madame Guyon. Elle transpose l’ascèse en une remise totale à Dieu par désappropriation.Voir l'article de J.-L. Goré sur la désappropriation dans le Dictionnaire de spiritualité, t. III, 1957, col. 518-529.
Prospect : Manière de regarder un objet. (Littré).
Rebut :
action de rebuter, repousser.
Réprobation : d’abord employé dans le langage religieux, il désigne l’acte par lequel Dieu exclut un pécheur du bonheur éternel. Ce n’est que fin XVIIIe s. que le mot s’est répandu dans l’usage courant pour « blâme ».
Subsister : apparaît avec le sens de « demeurer en vigueur », plus généralement « continuer d’exister », « se maintenir en vie ». Ces acceptions ont disparues au bénéfice du sens moderne de « pourvoir à ses besoins. »
Timide : apparaît d’abord comme un mot d’emprunt lettré dans son sens latin originel « qui a peur ». La généralisation de son emploi entraîne, après le milieu du XVIIe siècle, un affaiblissement sémantique progressif en « craintif, plein d’appréhension » (1660).
Viande : au XVIIe siècle, viande conserve encore le sens général de nourriture mais l’emploi moderne spécialisé se développe. Le mot s’emploie aussi figurément au sens de « nourriture pour l’esprit. »
Vers : « à l’égard de ». « Et vers l’un ou vers l’autre il faut être perfide » Cinna, v. 818.
Les lettres de
directions de ce volume utilisent un vocabulaire dont on trouvera parfois les
occurrences dans l’index général. Des définitions à la fois brèves et précises
sont illusoires, car les mots utilisés par Madame Guyon sont toujours empruntés
au vocabulaire le plus courant[2118].
Nous avons par contre
retenu des éclaircissements que prête Madame Guyon à des thèmes spirituels qui
lui sont chers. A mi-chemin entre la stérilité d’un dictionnaire par mots et
l’abondance que demande une étude approfondie des thèmes, nous avons opté pour
quelques citations reproduites assez largement. Le « glossaire »
ainsi constitué forme un florilège qui
peut être lu pour lui-même.
Abandon, passiveté. L'abandon bien entendu est un exercice
continuel de notre liberté, pour la délaisser à tous les mouvements du
Saint-Esprit : ainsi, ce qu'on appelle passiveté, n'est jamais une absolue
cessation d'action, mais c'est un usage très libre de notre volonté, pour la
laisser conduire par celle de Dieu. Un homme qui se laisse faire par un
chirurgien une incision profonde et douloureuse, fait sans doute une action
très libre et courageuse, en ne se remuant pas, pour laisser faire le
chirurgien. (L. 117, mars 1689).
Ames propriétaires,
mouvement à leur égard. Si leur
disposition change je me trouve tout à coup tournée vers elles avec beaucoup
d'affection, et cela sans que j'y mette rien de ma part ; en sorte que
sans que j'aie de choix, de penchant et d'amitié pour personne, je me trouve
nécessairement liée avec celles qui sont plus désappropriées [...] Cette union
ne passe point par l'entremise des sens, et il me serait impossible de donner
un autre rang à ces personnes dans mon cœur que celui que Dieu y donne
Lui-même, sans que je me règle ni sur les défauts, ni sur les qualités
extérieures, ni sur l'amitié que l'on a pour moi, car il y a de ces personnes
propriétaires qui m'aiment beaucoup, et leur témoignage m'en est insupportable,
au lieu que je me sens portée à en donner moi-même aux personnes simples,
droites et vides d'elles-mêmes. Je n'aime point par le cœur, mais par un
certain fond qui accepte ou rejette ce qui lui convient, ou plutôt, ce qui
convient à Dieu. (L. 255, avril 1690). J'ai
éprouvé que l'on ne me donne rien pour les âmes empressées et désireuses :
[...] plus sont-ils morts à toute sorte d'envie et d'empressement, plus a-t-on
de mouvement à leur égard. Ce mouvement qui paraît vie et l'est en effet, n'est
pas un mouvement vivant par la nature, mais un mouvement que Dieu, devenu le
principe de l'âme, opère. Il est plus puissant, plus fort et plus efficace que
ceux de la nature. Il vient du fond où réside cette vie divine, et non des sens
qui n'ont nulle part à ces choses.(L. 177, 27 juillet 1689). C'est comme un regard de complaisance non
distinct de Dieu, qui produit grâce et écoulement dans ces âmes. Au contraire,
celles qui sont propriétaires et qui résistent à Dieu, étant appelées à Son
union, sont rejetées de ce fond sans que je puisse faire autrement, quelque
volonté que j'en eusse, et lorsque je suis appliquée à elles je sens comme un
mur entre Dieu et elles. (L. 107, mars 1689).
Claivoyance dans la
communion. Dieu me presse encore plus que
devant, me tenant sans cesse dans Sa présence pour vous avec bien de la force
et de la douceur [...] Il y a des âmes qui ne m'appartiennent point, auxquelles
je ne dis rien de tout cela ; mais celles qui me sont données, comme la vôtre,
Dieu, en me les appliquant très intimement, me fait aussi connaître ce qui leur
est propre et le dessein qu'Il a sur elles. (L. 85, octobre-novembre 1688). Dieu me donne une connaissance du
particulier de votre état, de votre disposition et de ce qui en fait le fond et
l'essentiel... Cela sera même plus dans la suite, lorsque la déroute intérieure
commencera. (L. 124, avril 1689).
Communication,
communion des saints. (Madame Guyon
l’aborde franchement, insiste sur son rôle central, par contraste avec celui
secondaire des pratiques ou rites.) Ne
vous étonnez pas de la joie et de la paix que vous goûtâtes l'autre jour avec
moi. C'est une opération de Dieu, aussi bien que les autres que vous
expérimentâtes…(L. 95, janvier 1689).
J’ai été éveillée longtemps avant quatre heures avec une douce et suave
occupation de vous en Dieu. [...] Je sens quelque secrète inclination de rester
avec vous une demi-heure en silence. (L. 116 de mars 1689) Je vous assure que votre âme est tellement
une même chose avec la mienne. Car, pour la mienne, elle est disparue quant à
moi et je ne la découvre plus que par l'étroite union où Dieu la met avec la
vôtre.(L. 192, 25 septembre 1689).
Hier matin, étant à la messe prête à communier très serrée à Dieu, tout à coup
votre âme me fut présente et l’on la serrait à la mienne, cela en réalité
intime, en foi nue, sans distinction ni objet. [...] Celui qui le faisait en
moi [...] me chargea des croix et des humiliations que vous auriez dû porter
afin que j’en busse jusqu’à la lie. (L. 223, décembre 1689).
Destruction
(« mort »). Laissez-vous donc
conduire par Celui qui vous aime avec tendresse. Plus ce qui est de vous chez
vous sera détruit, plus Il vous possèdera. Ce n'est pas vous qui le
détruirez, mais, en demeurant fidèle
dans la privation de toutes les vies dont Il n'est pas l'unique principe, Il
fera en vous tout cet ouvrage. (L. 132, mai 1689).
Direction spirituelle.
Je sens en moi dans le moment que je vous
parle, un Maître infiniment puissant et infiniment petit qui me donne un droit
sur vous pour vous rendre petit, et ce droit me donne celui de disposer de
vous ; et sur cela je me trouve beaucoup de liberté que rien ne rétrécit,
sans envie de vous faire des compliments ni de vous donner même ce qu’il
semblerait que vous auriez raison de me demander. Je n’aime que Dieu seul et je
vous aime en Lui plus que personne du monde, non d’une manière distincte de
Dieu, mais du même amour dont je L’aime, et dont Il S’aime en moi ; et cet
amour est éternel et la mort n’y fera nulle altération, au contraire. Je suis
cependant certaine que je ne mourrai point à quelque extrémité que je puisse
aller, si je vous suis encore utile ; et si je ne vous la suis plus sur
terre, j’ai cette confiance que si vous voulez bien rester uni à mon cœur, vous
me trouverez toujours en Dieu et dans votre besoin. (L. 248, avril 1690).
Etat invariable (de
foi nue, de calme serein). Mon état est
invariable et toujours le même depuis plus de huit ans. Son étendue est aussi
grande que sa simplicité et nudité est pure. (L. 89, décembre 1688). Il y a en moi deux états, qui n'en
composent cependant qu'un : l'essentiel qui est toujours une foi nue, pure, ou
plutôt un anéantissement total qui exclut toute distinction, tout ce qui est et
subsiste, en quelque chose que ce soit, tout aperçu, tout ce qui se peut dire et
nommer, l'âme subsistant en Dieu en pure perte, ou plutôt en total
anéantissement. Il y a aussi un état accidentel qui est ce que j'éprouve pour
les autres, qui me fait goûter et connaître leur état et tout ce qui les
concerne, ce qui donne des distinctions, songes, connaissances, etc. Mais cela
est séparé du fond immobile et n'a nul rapport avec lui, de sorte que ces
connaissances ne sont point des lumières et illustrations qui donnent une
disposition particulière à l'âme. Au lieu que les autres opérations viennent de
la tête, et qu'elles se répandent sur les parties du corps, celles-là viennent
du fond proche du cœur et se distribuent dans l'esprit par un vide fécond, car
la mémoire ne représente rien et cependant n'est pas stérile pour cela, mais
claire, sans nul terme ni objet. L’esprit de même n'a nulle agitation, mais son
calme est serein et lumineux. Ce n'est pas un vide d'abrutissement : au
contraire, c'est une pure, simple et nue intelligence, sans espèce ni rien qui
borne. La volonté est aussi nue et vide, mais sans disette, et avec une
plénitude qui dilate toujours plus le cœur qui trouve tous ses désirs
parfaitement contents et remplis, sans rien distinguer de ce qui contente et
remplit. (L. 199, 25 octobre 1689).
Filiation. Madame
Guyon est consciente de sa responsabilité liée au rôle éminent qui lui est
confié dans la filiation. Il m'est
venu dans l’esprit ce matin que M. B[ertot], en mourant, m’ayant laissé son
esprit directeur pour ses enfants, ceux qui se sont égarés aussi bien que ceux
qui sont restés fidèles, n'auront la communication de cet esprit que par moi,
mais dans votre union. (L. 276, été 1690). Je vous prie de poursuivre la carrière sans crainte et sans scrupule,
d’être persuadé que Dieu vous veut par la plus extrême pauvreté, que c’est la
voie de la justice où il ne règne que le seul honneur et la seule gloire de
Dieu. Plus la créature perd ses intérêts, plus Dieu trouve les Siens. Ne
craignez point une saleté apparente, mais soyez persuadé que la vraie pureté
consiste dans l’entière désappropriation. Je vous laisse l’esprit directeur que
Dieu m’a donné. (L. 248, avril 1690).
In-action (action de
la grâce par l’intérieur). Vous n'avez
garde d'avoir goûté jusqu'à présent la délicatesse de Sa pure opération,
puisque vous l'avez toujours extrêmement mélangée de la vôtre, ne vous tenant
jamais ferme et invariablement attaché au conseil que l'on vous a donné sur
cela. Combien de fois avons-nous éclairci cet article, où je vous ai dit que,
lorsque Dieu opérait, il fallait quitter tout opérer pour Le laisser faire ?
Non seulement vous ne mourez pas à cette activité intérieure (ce qui est un
effet de votre crainte, et la source du peu de mort extérieure qui est en
vous), mais de plus, vous allez chercher des sujets lorsque Dieu vous occupe de
Lui-même. […] Vous vous conduisez non par la foi, mais par le goût, la
connaissance et l'assurance. […] Sitôt que la sécheresse s'empare de votre cœur
et l'incertitude de votre esprit, vous croyez devoir trouver dans vos efforts
les assurances que vous ne trouvez pas dans vos dispositions. (L. 99,
février 1689).
Acquiescement. La pratique de tout laisser tomber est
admirable, mais c'est cependant une action […] Acquiescez simplement, car il y
a des temps que Dieu veut cet acquiescement ; et c'est la seule et unique
activité, - si l'on peut appeler de cette sorte une chose si simple,- que Dieu
veut de vous. (L. 158, 25 juin 1689).
Nuit (se perdre
soi-même). Quand Dieu vous met dans la
nuit impénétrable, qui est Sa volonté inconnue, on ne peut plus voir la main de
Dieu qui nous mène, parce qu'on a besoin de perdre cet appui, pour se perdre
soi-même (18 juillet 1689). Le plus
grand avancement de l’âme n’est pas de se posséder en paix, à quelque haut
degré d’élévation que cela puisse monter, mais d’être banni de chez soi par la
découverte journalière et l’expérience foncière de ce que l’on est. Car de
savoir par vertu et humilité pratiquée que l’on n’est bon à rien, c’est se
croire quelque chose, quoique l’on ne se persuade pas de le croire, mais
approfondir son néant jusques au plus profond, c’est tout. Lorsque l’on
rapporte encore quelque chose à soi, l’on est imparfait, quoique l’on paraisse
très parfait.(L. 231, février 1690)
Dieu ayant pris ce qui est Sien, il ne nous reste que le néant et le péché.
Ceci est réel, mais très réel. Plus tôt on en est logé là, plus tôt est-on
affranchi de l’incommodité de se voir tout ôter l’un après l’autre.(L. 238,
mars 1690)
Passiveté. Vous ne sauriez être trop passif selon les
desseins de Dieu sur vous ; mais votre cœur doit toujours être également ouvert
pour recevoir les opérations de Dieu sans y rien mettre du vôtre. Ce serait
même une action que d'outrepasser une disposition, soit parce qu’elle est
sensible et par conséquent moins pure, ou parce que l'impression en reste. Il
faut vous laisser comme une chambre qui laisse tout entrer et sortir, fermer et
ouvrir la porte2. (26 décembre 1689). V. aussi : Abandon.
Perte de la volonté.
(Par acquiescement à l’opération divine. L’opération divine dans la prière s’étend
à tout le déroulement de la vie ; la volonté propre s’y conforme puis
s’efface). Le vrai humble ne prend rien
pour lui dans l'élévation ni dans l'abaissement : il se laisse en la main de
Dieu comme un instrument destitué de sa propre vie. (L. 104, mars 1689). On éprouve que cette volonté, qui se
délaissait avec tant de souplesse à tous les vouloirs divins pour vouloir ou ne
vouloir pas qu'autant qu'elle était mue, se perd ; et qu'une volonté, autant
divine qu'elle est profonde et délicate, est substituée en la place de la
nôtre. Mais volonté si propre et si naturelle à l'âme qu'elle ne voit plus que
cette seule et unique volonté, qui lui paraît être la sienne, n'en trouvant
plus d'autre. (L. 101, février-mars 1689).
Perte en Dieu.
(Au-delà de la sainteté). Nous voulons
cesser d'être et d'agir, même vertueusement […] Non seulement c'est en Dieu,
comme dit saint Paul, que nous agissons et que nous sommes, mais il faut que
nous cessions d'être et d'agir afin que Dieu seul soit. Le recueillement sert
infiniment pour les personnes que Dieu veut attirer à Lui dans leur fond, mais
ce même recueillement se perd en ce qu’il a d’aperçu lorsque Dieu perd l’âme en
Lui. Elle n'est plus alors recueillie ni resserrée en elle-même, elle entre
dans le large et dans des espaces infinis. Dieu devient l'âme de son âme d'une
manière aussi naturelle que notre âme nous fait agir, et que 1'air nous fait
respirer. Vous êtes à Lui : qu’Il vous jette dans la boue ou qu’Il vous élève
sur le trône, ce n'est plus votre affaire. Votre affaire seule et unique est de
ne point vous reprendre, de vous oublier, de ne pas plus vous regarder si l'on
vous jetait dans l'abîme que s'Il vous élevait sur le trône. Vous n'êtes plus à
vous. Dieu seul est et cela suffit. S'il vient à perdre quelque chose de ce
qu’Il est, cela seul peut et doit vous occuper. Dieu est un Dieu fort jaloux.
Comptez qu’Il met tout en usage pour n'avoir point de compagnon. (L. 265,
mai 1690)
Présence de Dieu
(cachée). Lorsque vous dites que la
présence de Dieu vous est moins facile, vous vous trompez ; car, quoique vous
l'aperceviez moins, elle est bien plus continuelle, son opération sur votre âme
n'est jamais interrompue. Deux choses vous feront remarquer cette présence
cachée et desséchante : la première, cette inclination secrète pour la
solitude, qui marque une opération secrète, quoique dérobée aux sentiments de
l'âme ; et ces opérations abattent plus le corps que celles qui sont sensibles,
car les premières semblent tout dessécher, et les secondes fortifient. L'autre
preuve de l'opération continuelle qui se fait en vous, sans que vous la
connaissiez, est cet amen continuel pour toutes choses, cet abandon, cette
simplicité et petitesse, que je vois s'accroître chaque jour, et qui me sont
des preuves évidentes (quand je ne le connaîtrais pas par le sentiment
intérieur que j'en ai), que le Maître vous rend tous les jours plus conforme à
Lui, et perd chaque jour votre volonté en la Sienne. (L. 164, juillet 1689)
Mais, comme l'on ne veut de vous d'autre
action que celle de recevoir ce que l'on vous donne et de vous laisser
détruire, selon toute l'étendue des desseins de Dieu, on ne veut aussi de vous
que l'acquiescement et la docilité que Dieu vous donne, pour ne rien ajouter ni
ôter à ce que Dieu fait en vous. (L. 177, 27 juillet 1689).
Pur amour. (Sans
concession ni à l’amour fervent, ni à l’amour recourbé sur le sujet ou amour
propre). Quand je parle du pur
amour, je ne parle pas de l'amour fervent, qui ne travaille qu'à embellir celui
qui le possède et qui semble n'être appliqué qu'à lui : cet amour-là, je
l'appelle imparfait, quoique ce soit celui que les hommes ignorants regardent
comme le comble de la sainteté. Je ne regarde comme pur amour que l'amour
impitoyable, destructeur, qui loin d'embellir et d'orner son sujet, lui arrache
tout sans miséricorde, afin que rien ne restant dans ce même sujet, rien ne
l'empêche de passer dans la fin. (L. 210, automne 1689).
Purification,
purgatoire. Il faut souffrir la douleur
que vos fautes vous causent, pourvu que vous ne fassiez nulle action, ni pour
diminuer la douleur, ni pour y remédier : c'est une espèce de brûlure qui sert
de purgatoire. (octobre 1689).
Résistance. Ce qui fait les peines des âmes non
éclairées, c'est la résistance, qu'elles ne connaissent souvent pas. Comme la
délicatesse de Dieu est infinie et qu'Il ne fait souvent que présenter à l'âme
ce qu'Il veut d'elle, elle, qui n'est pas accoutumée à la délicatesse de
l'esprit, se sert de sa raison pour échapper à ce qui lui est proposé, parce
qu'elle craint même de se tromper ; et alors elle entre dans l'obscurité et
dans le trouble [...] Elle porte ce trouble comme les autres peines, du moins
elle tâche de le faire. Mais tout cela ne la remet point en la situation
ordinaire, jusqu'à ce que Dieu, par une lumière supérieure ou par quelque
personne fort éclairée, lui fasse comprendre sa résistance et la fasse entrer
dans l'acquiescement, non d'acte mais d'effet... (L. 124,
avril 1689 ; v. L. 415 à Metternich sur la même délicatesse divine). Rien ne souffre chez nous que la résistance
: qui a pu résister à Dieu, et vivre en paix ? Ne résistez jamais, vous ne
souffrirez jamais...(L. 126, avril 1689).
Rêves ayant un sens
mystique. En même temps que je vous
voyais et moi aussi, comme des enfants simples qui jouions, et qu'en vous
serrant contre mon cœur, je vous rendais toujours plus simple et plus enfant,
plus pur et plus innocent, je voyais en même temps des gens pleins d'artifice
et fausse sagesse qui faisaient tous leurs efforts pour vous retirer de votre
simplicité. (L. 140, 18 mai 1689). Il m'a semblé qu'il y avait une vallée d'une profondeur extraordinaire.
Vous étiez presque sur le haut. Vous veniez du haut en bas [...] Nous ne
faisions rien autre chose que de nous laisser couler en bas ; je vous tenais
fortement, ayant passé ma main gauche derrière vous, d'une manière que je vous
embrassais. Et je sentais même en dormant que mon cœur penchait vers le vôtre
et semblait vouloir attirer le vôtre à soi. Vous me disiez que vous éprouviez
une douce correspondance. Vous me disiez même d'une manière très contente : il
n’y a rien de plus doux au monde. Ce qui était extraordinaire à cette vallée
est qu'elle était faite en sillons comme par degrés. Cela facilitait ceux qui
montaient ; cela devait, ce me semble, nous arrêter, puisque nous ne faisions
d'autres mouvements que de nous laisser couler en bas, étant assis, comme je
vous l'ai dit, d'une manière presque imperceptible. Ce qui faisait que les sillons
ou degrés ne nous arrêtaient point et ne faisaient nulle violence à la douce
pente qui nous entraînait en bas, c'est que cette vallée était flexible et
qu'elle prenait elle-même le mouvement qui était nécessaire pour faciliter
notre descente et se baissait par endroit, comme les ondes de la mer ; et cela
nous faisait couler toujours plus dans le fond... (L. 143, fin mai 1689). [...] La sagesse humaine est le Goliath que
le simple David doit détruire, non avec les fortes armes de la nature, mais
avec la fronde de l'abandon et de la simplicité de Jésus-Christ, représentée
par ces cinq pierres très claires du torrent. Vous ne sauriez vous imaginer,
mon enfant (je me sens pressée dans le plus intime de mon cœur de vous donner
ce nom et de franchir les obstacles de ma raison), vous ne sauriez, dis-je,
vous imaginer combien j'ai de joie de voir que vous ne voulez être arrêté ni
rétréci... (5 juin 1689). J’ai vu en
songe un oiseau d’une beauté extraordinaire. Tout le monde était empressé pour
l’avoir, il est venu entre mes mains sans que je fisse rien pour le prendre et
c’est à vous que j’en ai remis la charge. (L. 225, décembre 1689).
Science des saints et
science de Dieu. (Distinction entre la voie de lumière et de sainteté et la
voie mystique - cachée - de foi nue.) Il
y a la science des saints et celle des hommes, et elles sont très différentes
l'une de l'autre ; mais il faut perdre l'une et 1'autre, pour n'avoir que la
science de Dieu […] Il vous arrivera
aussi de perdre souvent la trace de la conduite de Dieu sur vous, ce qui sera
accompagné de dégoût et de sécheresse. Vous serez souvent comme un oiseau qui
voltige sans trouver où poser son pied ; mais tout cela ne servira qu'à vous
faire comprendre l'extrême dépendance où vous êtes de Dieu et la différence qu'il
y a de vous à bien d'autres.(L. 137, mai 1689).
Silence. (Laisser toute la place à l’opération
divine en commençant par la manière de prier où toute opération propre est
nuisible dès qu’elle se manifeste). Votre
oraison doit être entièrement indépendante et même détachée de votre esprit […]
Quand il plaît à Dieu de rappeler les sens et les puissances au-dedans, comme
par un coup de filet, Il met tout dans un profond silence (L. 194, octobre
1689).
Union des puissances. Dieu, attirant l'âme à Lui, le fait
d'ordinaire par le moyen de la volonté. Cette volonté, se laissant entraîner à
un je ne sais quoi qu'elle goûte sans pouvoir ni l'exprimer, ni même le
comprendre, attire à elle les autres puissances, et réduit comme à un seul acte
simple et indivisible les opérations des autres puissances, en sorte que toutes
ses opérations réduites en un ne font plus qu'un seul et même acte, qui est
également lumière et chaleur, connaissance et amour. C'est ce qui s'appelle
union des puissances. (L. 91, décembre 1688).
Unité. Après quoi, Il la transforme en Lui-même.
Cette âme vivrait contente quand tout serait détruit ; et quand tout usage de
la religion lui serait interdit, elle ne trouverait pas qu'il lui manquât rien.
Il paraît à cette âme réduite en unité et dans l'entière simplicité, que tout
ce qui la concerne, même ses défauts, ne mérite plus son application qui la
détournerait de sa dernière fin. (L. 94, janvier 1689). Je connus, dis-je, la pureté de Dieu être si infinie et celle qu'Il
exige de l'âme pour y opérer avec plaisir être telle, qu'Il ne veut pas la
moindre action de l'âme [...] La plus délicate de ces fautes est une haleine
qui ternit la glace de ce beau miroir et il faut que cela soit essuyé. (L.
209, automne 1689). Un bon appui est
aussi bien un appui qu’un mauvais et sert d’entre-deux, mais lorsque tout est
ôté et que l’âme est réduite en unité, cet Amour clairvoyant ou ce Regard
d’amour sur l’âme la consomme toujours plus en Soi, et c’est ce qui s’appelle
transformation. Alors l’âme jouit d’une
paix et d’une liberté infinie, étant dans sa fin. (L. 217, 1er
décembre 1689).
Vie en Dieu. Lorsque l'homme est encore en lui-même, il
rapporte tout à soi et attire tout en soi-même : toutes les créatures sont
pour lui-même en manière spirituelle, ou en vue de perfection ou de salut. Mais
par le transport qui est fait de cette âme en Dieu par une extase d'autant plus
éminente qu'elle est plus continuelle - puisqu'elle commence dès cette vie ce
qui doit durer éternellement, où l'âme ne sortira plus de Dieu pour retourner à
elle-même - alors elle transporte avec elle toutes les créatures en Dieu, de
sorte que Dieu est son seul objet et sa seule vie : elle voit tout en Dieu et
tout Dieu, rien hors de Dieu ni distinct de Dieu. (L. 208, automne 1689).
Nous
éditons ici pour la première fois la correspondance générale des années
« parisiennes » de Madame Guyon
(celle, datant de la même époque, qui porte sur sa direction de Fénelon, a été publiée
dans l’ouvrage précédent). Elle couvre les dernières années du XVIIe
siècle, avec une grande abondance de lettres entre 1693 et 1698. Ce second
ouvrage révèle Madame Guyon comme l’indomptable animatrice de ses dirigés du
cercle « quiétiste » parisien : Fénelon, puis le duc de
Chevreuse et la
« petite duchesse » de Mortemart, etc. Nous lui donnons pour titre Années de combat pour souligner l'interaction sociale ici
dominante, alors que le volume regroupant des Directions spirituelles pouvait en quelque sorte ignorer leur cadre
extérieur.
A
la correspondance active et passive de Madame Guyon, nous ajoutons des pièces
complémentaires, peu nombreuses si l'on se limite aux témoignages directs bien informés : protestations et
soumissions de la main même de Madame Guyon, mémoires ou lettres provenant
d’amis ou d’opposants qui furent en contact direct
avec elle. Leur faible nombre permet de les joindre ici à la suite du corps
principal des « lettres » proprement dites[2119].
On
a ainsi regroupé l'ensemble des matériaux nécessaires pour une approche
biographique complémentaire des éléments fournis par les troisième et quatrième
parties de la Vie par elle-même et autres textes biographiques[2120]. Aussi valait-il la
peine de risquer ici une première mise en
ordre chronologique, en incluant les éléments non datés. L'ensemble ainsi
présenté constitue un samizdat
ordonné de luttes et d'épreuves. Les lettres et témoignages sont précédés d'un
aperçu historique, « Madame Guyon et le quiétisme », d’un « récit de la querelle » rendant la vision du cercle guyonnien
au début du XVIIIe siècle sur ces événements, ainsi que d’une
« chronologie des années 1690-1698 » qui reprend plus finement la
brève chronologie d’ensemble donnée dans l’ouvrage précédent[2121].
Après
les suites chronologiques des lettres et les témoignages, un index
biographique associe aux personnages rencontrés dans ce second volume ceux –
beaucoup moins nombreux - qui apparaissent dans les deux autres volumes. Des
notices regroupent autour de quelques sujets sensibles ce qui ne pouvait
trouver place dans des notes de dimension raisonnable ou ce qui eût dû être
répété. Elles précèdent l’index général et la table des matières.
Quand
Madame Guyon arrive en 1686 à Paris, elle n’est pas une inconnue : le Moyen court a été récemment édité à
Grenoble avec succès. Le
cercle spirituel, formé par Monsieur Bertot autour du couvent
de Montmartre, retrouve celle qui fut sa « fille aînée[2122] » : succédant
à son maître, elle l’anime à son tour, avant de subir le contrecoup de la
condamnation de la mystique par les
Églises, qui se manifeste dans toute l’Europe.
Ce
qui nous surprend n'est pas tant le désastre final, prévisible compte tenu de
la disparité des forces en présence, que sa date tardive. En effet, plus de dix
années séparent la condamnation Romaine de 1687 des propositions quiétistes de
Molinos, de l'isolement complet de Madame Guyon dans une des
huit tours de la Bastille : elle est enfin réduite au silence, pour un temps
d’une durée à peu près égale, puisque les dernières lettres de la série
chronologique constituant ce volume datent du mois de mai 1698, et que la fin
de la rédaction de la Vie, qui ouvre une dernière
période féconde, date de 1709.
La
vie « parisienne » de Madame Guyon comporte trois périodes. Elle
surmonte une première crise consécutive à la condamnation Romaine de 1687, où la
jalousie d'un demi-frère, le P. Dominique de la Mothe, envers le P. Lacombe, tous deux appartenant au même ordre barnabite, conduit à un premier enfermement de la dirigée de ce
dernier, à la suite d’obscures manœuvres permettant d’obtenir une première
lettre de cachet (1686-1689).
Cette
crise est suivie d'une période de liberté, où contre tout pronostic
raisonnable, compte tenu de la condamnation du quiétisme italien, elle exerce
une influence au plus haut niveau, auprès de Madame de Maintenon et à Saint-Cyr, en dirigeant Fénelon, le duc de Chevreuse, la « petite duchesse » de Mortemart, etc. (1689-1694).
Mais
une opposition naît entre les deux dames. Madame Guyon est trop appréciée à
Saint-Cyr et leur commune
fréquentation de Fénelon, qui est dirigé de l'une et le confesseur de l'autre,
accentue une compétition naissante, tandis que les lettres de direction sévères
de ce dernier (ainsi peut-être que ses terribles critiques exprimées dans sa
lettre au roi), gâtent la situation. Une insatisfaction spirituelle
de Madame de Maintenon expliquerait,
après le renvoi de Saint-Cyr de l’une et la nomination à Cambrai de l’autre,
l’acharnement qui conduira Madame Guyon à la Bastille pour de
nombreuses années. Il sera facile d’obtenir à cette fin le concours des puissants, exploitant la peur de tout
désordre, ici provoquée par la liberté intérieure de la mystique.
Lorsque
cette seconde crise est devenue publique, Madame Guyon ne peut l'emporter,
malgré les soutiens discrets de Fénelon et des ducs. Le
pouvoir clérical orienté par Madame de Maintenon est représenté
par Bossuet et Noailles[2123] (1694-1698).
A
la période publique suivront le grand silence (1698-1703) à la Bastille, se prolongeant à Blois jusqu’en 1709,
puis une retraite active : mise en ordre de textes pour l’avenir,
nombreuses directions spirituelles (1709-1717).
En
réalité il ne s’agit pas d’une querelle d’idées, mais du trouble créé par une
femme qui se mêle de diriger spirituellement dans un univers régi par des
ecclésiastiques, une laïque qui refuse l’entrée en religion pour diriger des
religieux, une femme de bonne famille qui sème le vent de la liberté chez les
jeunes filles à Saint-Cyr, bourgeoise qui détourne des grandes familles du
« couvent de la Cour », à savoir le cercle dévot désigné ainsi par
Saint-Simon. Même Bossuet, au début, semble sous le charme et Madame Guyon espère
que la communication divine se produira pour lui ; mais soucieux de sa
carrière plutôt que de la grâce, il se fait l’exécuteur de l’épouse du roi. Fénelon voudra concilier
les extrêmes, tentera d’expliquer l’expérience mystique, mais acculé, il
restera fidèle à l’expérience intérieure révélée par Madame Guyon et choisira
le parti de son initiatrice. D’autres adopteront un profil bas.
Pour
comprendre ces crises et leur conclusion, il faut tenir compte des conditions
concrètes de l’existence et de la mentalité de l’époque : l’adhésion au
catholicisme, religion unique après 1685, et l’obéissance à un roi absolu, oint de
Dieu, sont des évidences pour tous les Français de cette époque. L’individu est
mis en échec par le système d’Inquisition en faveur, dans sa version
« douce » : celle du confesseur obligatoire pour
tout catholique depuis le concile de Trente. Nous sommes presque dans une société totalitaire, au
moins dans une société du soupçon, à laquelle ne manquent que les moyens
techniques récents d’action rapide : on ne remet jamais en cause ni le roi
ni la religion ; ils ont le droit de connaître le fond des consciences.
Cet
absolutisme s’exprime dans les lettres de cachet : il est souvent demandé de préciser
« le fait » pour lequel Madame Guyon fut emprisonnée : serait-il
inavouable ? Mais il n’est en rien
nécessaire car il suffit d’encourir le déplaisir du roi : « Les
lettres de cachet sont une
variante des lettres closes
(par opposition à patentes). Elles
sont des « ordres du roi ». Or nul tribunal n’a le droit de connaître de ces ordres. En
1759, Louis XV déclarera encore aux représentants du Parlement de Paris : « Par des considérations ou des raisons
d’Etat dont les magistrats ne peuvent
être juges, le roi peut, sans donner atteinte aux lois, user du pouvoir qui
réside en sa personne par des voies d’administration dont qui que ce soit ne
doit se dire exempt dans son royaume ». Il faudra une révolution tardive, après celles de
Hollande, d’Angleterre et d’Amérique,
pour introduire en France une tradition
démocratique[2124] ».
Pour
Madame Guyon, le problème est encore plus profond : son état mystique la
rend incapable de mentir ou de biaiser par omission, comme surent le faire, un
demi-siècle plus tôt, les libertins[2125]. De plus, chaque
événement et chaque personne sont envoyés par Dieu, d’où, sur le point
particulier le plus intime, l’obligation torturante pour Madame Guyon d’obéir
au confesseur qui lui est
dévolu. Il est intéressant de suivre son évolution dans les lettres : elle
commence par obéir à l’envoyé de Dieu, mais des ordres contraires à son état
mystique la désespèrent, enfin elle finit par penser que tel clerc est
envoyé par le Tentateur, ce qu’elle hésite à assumer clairement puiqu’elle
reste attachée à l’Église. Laïque et libre, elle pouvait cependant choisir son
confesseur[2126], mais on sait que sa
confiance dans le père Lacombe provoquera bien
des persécutions. Emprisonnée, elle n’aura sur ce point, crucial pour ses
geôliers, aucun choix possible, même celui de l’ordre religieux (à la Bastille, elle aurait préféré un jésuite).
La
dépendance féminine vis-à-vis des proches est considérable à cette époque
: les femmes étaient soumises au mari, au confesseur, à la famille. Après de douloureuses expériences de
jeunesse que sa Vie nous décrit,
Madame Guyon a su acquérir son indépendance au prix d’un large sacrifice
(volontaire en ce qui concerne l’abandon de la plus grande part de sa fortune).
Elle peut alors circuler librement et garde à son service deux « filles »
remarquables et très fidèles, dont l’une au moins lui sera attachée
mystiquement. Le statut féminin lui impose d’exercer une
« influence » hors cadre, ce qui est ressenti comme une résistance
plus ou moins secrète, donc suspecte, et comme une concurrence à l’égard de la
médiation assurée par les clercs appuyés sur la discrétion sacramentaire. Même
les moins combatifs sont agacés par la « Dame directrice »[2127].
La
résistance est assurée matériellement grâce aux lettres, même si l’on est
confiné dans quelque institution[2128]. Mais dans cet Etat où
l’individu n’a aucune liberté personnelle, la crainte perpétuelle est que le
courrier soit intercepté : la solution est de disposer d’un porteur sûr.
Heureusement, la situation sociale de la dame lui permet d’en bénéficier dans
les échanges avec le duc de Chevreuse ; puis elle trouvera un humble porteur bénévole
caché (il le reste à ce jour) lors des échanges avec la « petite
duchesse » de Mortemart, peu avant l’emprisonnement final.
Cette
résistance, qui tint en respect l’adversité pendant presque dix années, fut
extérieurement facilitée par la fidélité de Fénelon, par celle des ducs et des duchesses de Chevreuse et de Beauvillier, par l'appui de personnages moins prestigieux, telles
des religieuses converties par la droiture de leur prisonnière. Elle est due
surtout à une étonnante fermeté intérieure. Moins accomplis intérieurement et
plus durement traités car socialement moindres, le P. Lacombe et une fille à
son service perdront leur équilibre psychologique.
Cette
fermeté n'est en rien stoïque[2129] : son origine est
tout intérieure, trouvant sa source dans la vie mystique, à laquelle s’abandonne,
consciemment et entièrement, une nature par ailleurs volontaire. Il s'agit de
se laisser entièrement conduire par la grâce divine : c'est le sens profond de
la « méthode quiétiste », au-delà de la nature particulière d'une oraison dite passive. En
fait il n'y a pas de méthode, mais dans chaque action, dans chaque état de la
vie de tous les jours, il « suffit » de s’ouvrir à l'action de la grâce pour en
être imprégné[2130]. Toute la
« querelle » est vécue par Madame Guyon de cette façon. De même elle
donnait sa Vie à lire, non par
narcissisme, mais pour que ses amis voient comment, à chaque instant, autant
qu'on le peut, on lâche prise sur soi-même pour laisser Dieu agir.
Les
circonstances de nature très personnelle que nous venons d’évoquer eurent un
effet dévastateur par suite du contexte défavorable issu de la
condamnation de Molinos et d’autres
« quiétistes », dont celle de Bernières, le père spirituel de Bertot, par les Inquisitions italienne et espagnole.
Au
delà de l’exposé décevant et complexe des rivalités humaines de surface qui se
révèlent dans des affaires inquisitoriales, on soulignera l'incompatibilité
entre l'expérience mystique individuelle et certaines pratiques de la vie
religieuse collective[2131]. L’expérience intime est mal vécue à une époque où l’on
doit en rendre compte dans un cadre ecclésiastique, au confesseur pour commencer.
Elle n'est acceptée qu'au prix d'un mode de vie réglé au sein de l’Église, où
la sphère de liberté privée est réduite et contrôlée, ce à quoi Madame Guyon ne
s'est pas résolue, refusant par exemple d’être supérieure des Nouvelles Catholiques de Gex.
Le
« quiétisme » est le nom que prend au dix-septième siècle la résistance de
nombreux mystiques dans le monde catholique. Il est symétrique du « piétisme »
dans le monde protestant[2132]. Des liens existent
entre ces deux tendances vers un « christianisme intérieur » sans
médiation humaine structurée. L'intolérance s’accroît des deux côtés, depuis la
fracture entre protestants et catholiques, soutenue par le pouvoir civil et par
une opinion qui veut éviter tout risque de retour aux terribles luttes d’origine religieuse si
proches (décennies 1560 en France et 1630 en Allemagne). Il s'agit d’un
phénomène de recherche de cohésion sociale plutôt que de véritables divergences
dogmatiques, d’ailleurs difficiles à justifier :
Les catalogues d’erreurs dessinent pour la postérité les
contours d’une doctrine et de pratiques « hérétiques » difficiles à
découvrir dans les actes et dans les textes des mystiques eux-mêmes. Il est
vrai, toutefois, que l’Église établie a rencontré à toute époque des mouvements
caractérisés par le refus des institutions ecclésiales et par la valorisation
de l’expérience individuelle, mystique ou prophétique, et que ces tendances
antihiérarchiques ont entraîné une forte réaction…[2133]
Nous
ne résumons pas ici le quiétisme : il suffit de renvoyer le lecteur aux
études remarquables de J. Le Brun et E. Pacho[2134]. La première trace de
« quiétisme » italien est ainsi décrite :
Au début de 1671, l'inquisiteur de Casale Monferato
communique au Saint-Office la dénonciation concernant un médecin français
Antoine Girardi (ou Grignon) ; il enseigne [...] « une nouvelle manière de
faire oraison, qu'il appelle oraison de silence et
de quiétude » [...] selon la manière que prône la religieuse ursuline
Marie Bon du diocèse de Vienne en Dauphiné [...] le foyer ne disparut pas
[...] il s'étendit [...] sur la Riviera à l'ouest de Gênes (1675)[2135].
Lorsque
le quiétisme devient une cause controversée, après le succès retentissant de la
Guia espiritual de Molinos dont huit
éditions italiennes voient le jour de 1675 à 1685, un équilibre paraît encore
possible, évitant un « crépuscule » des mystiques en terre
catholique. Innocent XI cherche
d’ailleurs un accord entre
« méditatifs » et « contemplatifs » [2136]. Mais la situation
favorable à Molinos se détériore assez brusquement, tout comme avait été
rapide son ascension : il est emprisonné le 18 juillet 1685 tandis que sa Guia sera condamnée par l’Inquisition espagnole le 24 novembre de la même
année[2137].
Ce
quiétisme méditerranéen était connu de Madame Guyon. En effet elle passe par
Marseille et rencontre
Malaval. Elle décrit dans sa Vie
comment la Mère Bon lui apparaît en
songe avant son départ pour Gex. Plus tard elle séjourne près d’un an au Piémont, à Turin et dans le
diocèse de Verceil, où, en compagnie du P. Lacombe, ce dernier maîtrisant mieux l’italien que le français,
elle se lie avec l’évêque Ripa : ils entreprennent un apostolat commun[2138].
En
ce qui concerne la France, déjà, en 1657, en attaquant Surin, Chéron « dénonçait
les mystiques comme [...] donnant aux affections, passions, délectations et
goûts spirituels ce qu'ils ôtaient à la raison et à la doctrine : vieille
accusation d'irrationalisme [...] jadis lancée contre les alumbrados[2139]. » Puis
avaient eu lieu les affaires de Philibert Robert, curé de Seurre, de Claude Quillot et des
« quiétistes » de Bourgogne, de Rouxel, prêtre de Besançon, et de femmes dévotes de Lyon… On retrouvera des contacts de Madame Guyon avec ces
« quiétistes », dont un séjour de quinze jours en 1691 à Seurre[2140].
C’est
dans ce contexte « international » troublé qu’en 1686 Madame Guyon
arrive à Paris. En 1687, Molinos emprisonné depuis
deux ans, est officiellement condamné à Rome comme
« quiétiste », par la bulle Cœlestis
Pastor. En même temps est condamné post-mortem
Jean de Bernières, dont on n’ignorait pas à l’époque l’influence
déterminante sur le cercle de Montmartre animé par le
confesseur Jacques Bertot, puis repris par Madame Guyon à son retour de voyages.
Ainsi
s’inscrit naturellement, en 1688, la première période courte d’enfermement de
Madame Guyon évoquée plus haut : les ennemis jaloux de l’autorité
spirituelle d’une femme, ainsi que du talent d’orateur du père Lacombe, trouvaient dans la condamnation papale et l’inquiétude
des pouvoirs un solide argument conforté par quelques manœuvres.
Mais
Madame Guyon sort victorieuse de cette première épreuve, auréolée du prestige
du martyre : nous attribuons ce retour en faveur inespéré à l’aide de sa
cousine de la Maisonfort à Saint-Cyr qui intervient
auprès de Madame de Maintenon, et au soutien des membres du cercle de Montmartre qui faisaient
partie du « couvent de la Cour » . Le pauvre P. Lacombe ne pourra, lui,
rayonner que sur un cercle spirituel qu’il aura su constituer, emprisonné à
Lourdes, et qu’il appelle « petite Église » dans les lettres à Madame Guyon, malheureusement
saisies : l’expression est malheureuse et donnera bien du souci à celle-ci
lors de ses interrrogatoires.
Le
courant général de suspicion religieuse intimement lié au politique, fusion
renforcée par l’intérêt que porte l’épouse secrète du grand roi au domaine
religieux, s’oppose à la victoire de Fénelon sur Bossuet, dans la célèbre querelle qui sera tranchée par le bref
Cum alias de 1699. Madame Guyon
commence dès 1696 une terrible épreuve de sept années, dont cinq d’isolement à
la Bastille.
Tout
ce combat pour quelles « idées » ? Que recouvre pour les
critiques français l’étiquette de « quiétiste » ?
Une des références de l'antiquiétisme en France est le
texte de la bulle Coelestis Pastor,
imprimé en latin et en français dès l'automne 1687 [...] la thèse essentielle
des quiétistes serait, d'après la bulle, une définition de la « voie
intérieure », « voie unique », par l'annihilation des puissances
[...] ni connaissance, ni souvenir de Dieu, ni de soi, ni rien de propre, ni images
[...] la négation ne porte pas sur l'objet (récompense, châtiment, mort,
éternité, salut, etc.) mais sur la démarche du sujet, démarche d'ordre
psychologique, devant l'objet de la foi : il ne doit pas « penser » à
ces objets, ne doit pas en avoir souci ou espérance [...] [ce qui exprimerait]
un retour du sujet sur soi-même, une volonté propre, un amour-propre[2141].
Les
protagonistes de la querelle ont comme perspectives la question de la cessation
des actes, et celle de l'absence de pensées, reprochées aux mystiques. C’est
alors que l’inaction prend son sens
moderne de perte de temps, alors qu'il s'agit d'action intérieure, in-action[2142]. Les uns s’attachent à
une représentation intellectuelle, les autres, dans la tradition transmise par Benoît de Canfeld, font
intervenir la volonté, la fine pointe de l’âme chère à François de Sales, ou « cœur », siège de la volonté :
Mme Guyon met l'oraison du cœur au-dessus de « l'oraison de seule
pensée » (p.5 [du Moyen Court]),
car la pensée est discontinue, l'esprit ne pouvant penser à une chose qu'en
cessant de penser à une autre, tandis que l'oraison du cœur n'est point
interrompue [...] tandis que Bossuet s'oppose, comme Nicole, à une foi nue et à un amour qui ne reposerait
pas sur une connaissance, tout en refusant à la fois un retour sur soi et un
retour sur une simple présence de Dieu. Les « actes intérieurs » sont
produits par l'attention, et, selon Bossuet, disposent à l'attention [...]
conception de l'abandon comme acte[2143].
Ainsi
l’opposition naît de la diversité des expériences intérieures. L’on est tenté
de distinguer des couches successives de conscience atteintes par des
« plongées » plus ou moins profondes – avec le risque de se limiter à
l’humain décrit au niveau conscient et suggéré par des effets provenant du
niveau « inconscient » (rêves, comportements, etc.). Il vaut mieux y
voir des expériences qui se succèdent dans le temps, liées à un
« progrès » intérieur mû par la grâce, dont l’origine se situe au-delà
de l’humain, ce que recouvre le terme maladroit, dualisant, de
« Dieu ».
Au
niveau sémantique, quiétisme renvoie
à « l’oraison de
quiétude » qui se distingue de « l’oraison discursive » :
Quiroga, un disciple mystique de Jean de la Croix, trop peu connu, éclaire ces points :
La contemplation est parfaite, elle s'exerce non
seulement au-dessus de la raison, mais aussi sans appui sur elle, lorsque
l'entendement connaît par la lumière divine les choses que n'atteint aucune
raison humaine […] Beaucoup de contemplatifs pratiquent le premier point,
c'est-à-dire abandonner tous les actes de la raison, se dépouiller de toutes
les similitudes de la connaissance naturelle, et entrer sans tout cela en
l'obscurité de la foi comme Moïse dans la nuée qui recouvrait le sommet de la
montagne ; mais se reposer là comme lui en totale quiétude d'esprit, bien rares
sont ceux qui s'y adonnent : au contraire, en cette obscurité, l'intention de
leur esprit est appliquée à la connaissance, leur entendement cherchant à
toujours reconnaître son propre acte, quand même serait-ce en cette obscurité
de foi. Et cette démangeaison et ce mouvement qui consiste à vouloir
reconnaître toujours son propre acte en y inclinant l'intention de l'esprit, s'opposent
à ce que nous avons vu par ailleurs de la doctrine de saint Denys : non
seulement l'entendement doit abandonner toutes les choses créées et leurs
similitudes, mais il doit aussi s'abandonner lui-même en se mettant en quiétude
quant à toute son opération active, aussi élevée soit-elle, afin d'être mû par
Dieu sans attache ni résistance de sa part[2144].
Mais
ne nous arrêtons pas à distinguer des types d’oraison. Il s'agit d'y associer toute la vie, aussi bien
extérieure qu’intérieure. Un grand calme déborde ainsi peu à peu des temps
d’oraison, signe de l'imprégnation par la grâce, qui est une émanation de
l’amour divin, « sous forme d’énergie », par in-action, attitude d’ouverture. Alors l’attention au chemin, aux
étapes, aux ruptures, laisse place à l’état de grand large, le vaisseau ayant
atteint l’océan sans rivage. Madame Guyon décrit « l’état
apostolique » :
Cet état néanmoins n’est point une sortie de la créature
au dehors pour parler, agir et produire les effets de la vie apostolique. L’âme n’y a point de part : elle est
morte et très anéantie à toute opération. Mais Dieu, qui est en elle
essentiellement en Unité très parfaite où toute la Trinité en
distinction personnelle Se trouve réunie, sort Lui-même au-dehors par Ses
opérations : sans cesser d’être tout au-dedans et sans quitter l’unité du Centre, Il se
répand sur les puissances, faisant par elles et avec elles…[2145]
Il
faudrait un volume pour dialoguer avec - et très généralement confirmer - le
remarquable exposé du Crépuscule des
mystiques de Cognet. Ses quatre cents pages constituent une biographie
vivante de Madame Guyon, couvrant la décade qui nous intéresse, 1686-1696. Nous
préférons présenter un texte reflétant l’opinion des cercles guyonniens plutôt
que d’ajouter un essai au dossier contradictoire bâti autour du
« quiétisme ».
Le
récit donné en 1738 dans l’Avertissement
rédigé par le marquis de Fénelon à l’occasion de
son édition des œuvres spirituelles de son oncle[2146] ne fut jamais réédité, peut-être parce qu’il
donne, de manière un peu inattendue, une place majeure à Madame Guyon, plutôt
qu’à Fénelon dont il souligne d’ailleurs la position ambiguë. C’était
reconnaître par là la préséance de l’expérience mystique sur la pensée
intellectuelle. L’information exacte dont ce texte témoigne, suggère le
concours de Dupuy, fort estimé du cercle des disciples. En 1733, proche de la
fin de sa vie, il apporta de précieux témoignages au marquis[2147].
Après
avoir justifié l’édition des Œuvres
spirituelles de Fénelon[2148], le marquis présente un
historique de l’évolution de l’archevêque, citant longuement des lettres
adressées au duc de Beauvillier, le mandement d’obéissance qui suivit la condamnation
des Maximes des Saints, une réponse au P.
Gerberon[2149]… Puis cet Avertissement s’anime en présentant un
exposé complet de la querelle à partir des événements subis par Madame Guyon.
Ceci est très exceptionnel car l’on
escamote souvent son rôle, jugé compromettant, afin de protéger la mémoire
de Fénelon[2150]. Ce caractère
exceptionnel, joint à la véracité informée du récit, nous fait maintenant citer
cette seconde partie sans coupures[2151] :
Cet
index biographique voudrait éclaircir les faits relatés dans ce présent volume
qui couvre l’histoire de la querelle ; les deux autres volumes présentent
un intérêt spirituel requérant moins ce type d’informations. L’index reprend,
en le corrigeant parfois et en le complétant largement, un « index des
noms de personnes », que nous avions constitué pour l’édition critique de
la Vie par elle-même. Il couvre l’ensemble
des trois volumes de la Correspondance :
des notices concernent la direction de disciples étrangers lors de la dernière
période vécue à Blois.
La
Correspondance de Fénelon, tome onzième, 1829,
fournissait une « notice des personnages » remarquable pour l’époque
et très clairement rédigée : nous en reprenons quelques passages pour montrer
la rare sympathie de cet éditeur du début du XIXe siècle, qui
s’exprime ainsi de façon voilée, alors même que son avertissement à sa
« Correspondance sur l’affaire du quiétisme », tome septième,
beaucoup plus réservé par prudence, ne reconnaissait pas l’authenticité de la
« correspondance secrète » entre Fénelon et Mme Guyon !
L’édition
critique réalisée récemment par J. Orcibal, I. Noye et J. Le Brun, bénéficie
d’un incomparable apparat critique, malheureusement dispersé dans les notes
(non indexées à ce jour). S’étendant parfois sur plus d’une page, les
« notes » d’Orcibal constituent de véritables études ; nous
avons pris le parti d’en citer des extraits en donnant toutes les références des vol. III et V
relatifs aux lettres des vol. II et IV. Le chercheur désirant approfondir la
biographie de Mme Guyon s’y reportera ainsi facilement.
Ces
deux sources sont complétées par Levesque, Correspondance
de Bossuet, par l’édition par
Boislisle des Mémoires de Saint-Simon, par les travaux
d’Henderson, etc.
[...]
Nous
placons ici, par l’ordre alphabétique de leurs titres, des notices signalées
dans la suite chronologique des lettres. Ces notices (avec l’index des noms)
ont permis de limiter l’extension des notes associées aux lettres, en abordant
quelques sujets récurrents :
Les mœurs de Mme Guyon (« Affaire Cateau
Barbe »),
Le repérage de la correspondance guyonnienne
disséminée dans celle de Bossuet (« Correspondance éditée par
Levesque »),
La description du contenu d’une source
essentielle pour connaître Mme Guyon et négligée jusqu’ici (« Divers
écrits de Mme Guyon, ms. 2057 »),
Quelques éléments autour d’œuvres de Fénelon qui influèrent
sur la vie de Mme Guyon (« Fénelon, Explication
des Maximes des saints (1697) »),
L’œuvre
d’un contemporain appartenant à l’ordre des
carmes, qui exerça une grande influence sur Mme Guyon par Jean de
la Croix et Jean de
Saint-Samson (« Laurent
de la Résurrection et son œuvre »),
Des abréviations et surnoms rencontrés dans
les lettres (« Liste d’abréviations et de surnoms »),
La description fine des manuscrits principaux
des lettres en vue de faciliter leur repérage (« Manuscrits, descriptions
complémentaires [de celles du premier volume] »),
Une liste des sources essentielles qui
associées à l’ensemble des quatre volumes de la Vie et de la Correspondance forme le corpus biographique guyonnien
(« Relations et autres pièces biographiques »),
Une approche du rapport avec Bossuet par Levesque
(« Soumissions et attestations vues par Levesque »).
1. A propos de la
lettre « DU CARDINAL LE CAMUS A L’EVEQUE
DE CHARTRES. 1697 », Levesque donne les précisions suivantes :
« […] [selon] une lettre de M. Tronson, du 14 juillet 1697, au général des chartreux, « Mgr le cardinal Le Camus, dit M. Tronson, lui en a écrit [de Mme Guyon à
M. de Chartres] une lettre fort considérable, dans laquelle il
lui parle d’une jeune fille nommée Cateau Barbe, qu’elle emmena sans la participation de sa
mère.
Je ne sais si cette
fille est la même dont vous m’avez mandé l’histoire. » L’authenticité de
la lettre de Le Camus a été niée par l’abbé de La Bletterie, de l’Académie des
Inscriptions ; mais le témoignage de M. Tronson ne permet pas de douter
qu’elle ait été écrite par l’évêque de Grenoble, sans toutefois nous garantir qu’elle n’a été ni
altérée ni interpolée (Voir La Bletterie, Lettres
à un ami au sujet de la Relation du quiétisme, Paris,1733, in-8, reproduites dans la Correspondance de Fénelon, t. XI, p. 109-113 ; Mgr Bellet, Histoire du cardinal Le Camus, Paris, 1886, in-8, p. 197 ; Lettres du cardinal Le Camus, éd. lngold, p. 572 ; la discussion de
M. L. Bertrand dans la Correspondance
de M. Tronson, 1828, t. III, p. 566 à 569 ; l’Apologie du P. La Combe par
lui-même, dans la Revue Fénelon, sept. et déc. 1910). Deforis croyait cette
lettre écrite en 1696 ; les éditeurs de Versailles l’ont
placée en 1695, et Mgr Bellet l’assigne à l’année 1694. Nous nous rangeons à
l’avis de M. L. Bertrand, et nous suivons Ledieu, qui l’a datée de 1697. Il est
intéressant de rapprocher cette lettre du cardinal Le Camus d’une autre, écrite
par le même prélat, le 18 décembre 1695, au janséniste Maille,
son correspondant à Rome : « Je
n’ai jamais parlé qu’un instant au P. de La Combe, et il n’a demeuré que très
peu de temps dans mon diocèse. Pour Mme Guyon, tant qu’elle s’est retranchée à
recevoir les sacrements et à donner l’aumône, je l’ai estimée ; mais, depuis
qu’elle a voulu dogmatiser et faire des conventicules pour semer la doctrine de
Molinos, et qu’elle s’expliqua à un bénédictin de ce qui
tendait à l’ordure, je n’en ai plus voulu entendre parler, que pour recommander
à mon frère un procès qu’elle avait à Paris, où j’ai écrit de bonne foi, quand
on me l’a demandé, ce qui s’était passé sur son compte dans ce diocèse. Je ne
connais point et je n’ai aucun commerce avec le P. de Malleval [sic :
Malaval] ». (Affaires étrangères, Rome, t. 374, f° 428). » [UL].
2. Un phénomène de
contamination a pu avoir lieu si le récit de jeunesse de Vie 1.5.10, ajout du ms. de Saint-Brieuc, p. 155 de notre
édition, « Je péchai deux fois avec une fille par des
immodesties », est parvenu aux mains de contemporains.
3. En fait,
« l’austère cardinal a pris avec les données objectives des libertés […]
il subordonnait le sort de Mme Guyon à des intérêts majeurs », nous
explique en conclusion Orcibal au terme de sa propre enquête (v. Etudes…, « Le cardinal Le Camus… », 799-817). On trouvera le détail des
enquêtes menées dès 1695 par Tronson et aussi
par le duc de Chevreuse auprès de
Richebracque, ce dernier sous la pression de Bossuet, (Id.,
p. 812).
Nous
avons relevé 53 lettres, témoignages, attestations, soumissions, réparties dans
les vol. VI et VII de la Correspondance
de Bossuet. Elles se distribuent entre une série principale de lettres et
des annexes. L’intrication de ces dernières et l’intérêt d’un apparat critique
très informé justifient la description de cette source à l’intention des
chercheurs : Dans la série principale : lettres à Bossuet : no. 921 du 6 octobre 1693, 933 du 22
octobre, 938 du 30 octobre, 986 du 25 janvier 1694, 992 du 29 janvier 1694, 993
du 30 janvier, 994 de février, 995 du 10 février, du 23 février 1694 (UL,VI, p. 159), 1007 du 8 (?) mars, 1083
au même et à Noailles du 25 juillet,
1112 à Bossuet du 3 octobre, 1152 vers le 21 décembre, 1155 du 23 décembre ;
lettres de Bossuet : no. 1004 du 4 mars 1694, 1113 du 5
octobre.
Tome
VI, app. III, « I, Lettres écrites par Mme Guyon » : renferme,
p. 531-565 : 1° Lettre au R.P. de la Motte, son frère, 2° A son fils aîné, 3° A son
fils cadet, 4° A son frère, 5° Au même, 6° Au P. La Combe, 7° A dom Grégoire Bouvier, son frère, 8° A d’Arenthon d’Alex, 9° A
l’Official de Paris, 10° A l’Official, 11° A l’Archevêque de Paris, 12° A
Mme de Maintenon, 13° Mémoire, 14° Au duc de Chevreuse, le 1er octobre 1694.
Tome
VII, app. III, « II, Témoignages concernant Mme Guyon » :
renferme « les témoignages de diverses personnes… », p.
485-505 : (A) Jean d’Arenthon d’Alex du 29 juin
1683, (B, 1°) Le cardinal Le Camus à d’Arenthon
d’Alex du 18 avril 1685, (B, 2°) Le même au duc de Chevreuse du 18 janvier
1695, (B, 3°) Le même à dom Falgeyrat du 3 mai 1685, (B, 4°) Le même à l’évêque
de Chartres (extraits) de
1697, (C, 1°) D. Richebracque au duc de
Chevreuse du 14 avril 1695, (C, 2°) Le même à Mme Guyon à la même date, (C, 3°)
Le duc de Chevreuse à D. Richebracque du 18 avril 1695, (C, 4°) D. Richebracque
au duc de Chevreuse du 23 avril 1695, (D) Placet présenté au Roi en faveur de Mme
Guyon, (E, 1°) Attestation donnée par les religieuses du la Visitation de Meaux à Mme Guyon,
lorsqu’elle sortit de ce monastère le 7 juillet 1695, (E, 2°) La M. Le Picart à
Mme Guyon le 9 ( ?) juillet 1695, (E, 3°) Les religieuses de la Visitation
de Meaux à Mme Guyon, le 9 juillet 1695.
Tome
VII, app. III, « III, Actes de soumission de Mme Guyon et
attestations à elle données par Bossuet », p. 505-520, contient les soumissions A, B, et les attestations C,
D. Nous les éditons, mais séparées, en respectant leur ordre chronologique,
ordre adopté pour les autres documents de notre volume. L’étude par Levesque,
qui forme le début (p. 505) et la fin (p. 516) de la section, est reproduite
dans la notice :
« Soumissions et attestations vues par Levesque. »
Tome
VII, app. III, « IV, Protestation de Mme Guyon », p.
521-524, du 15 avril 1695. Pour la discussion de ces dernières pièces, selon un
point de vue bossuétiste, on se reportera à
l’annexe : « Soumissions et attestations vues par
Levesque. »
Tome
IX, App. II, « II, Lettres du P. La Combe », p. 480-488, 1° Le P. La Combe au Général des
barnabites, 1er février 1689, 2° au
même, pièce en latin.
Le manuscrit 2057 des
A.S.-S., intitulé « Divers écrits de Madame Guyon » est un recueil de
nombreuses pièces disjointes, de mains et de formats différents, paginées dans
certains cas, souvent réduites à des feuillets numérotés.
De nombreux textes ont
été écrits au cours des années 1674 et suivantes. Ils sont essentiels pour
étudier l'évolution intérieure de la jeune femme. Monsieur Noye a noté que
les feuillets 32 à 179 « ne concernaient pas Madame Guyon », abandonnant une attribution plausible à Marie
Rousseau, l’inspiratrice d’Olier.
Le Traité du Purgatoire a été
édité (par Madame Gondal), ainsi que les pages enlevées de la Vie concernant
Fénelon (en
premier lieu par Masson, puis intégrées dans notre édition de la Vie), et quelques poèmes de prison (dans notre édition de la Vie). Les autres textes, abondants, n’ont pas été étudiés
jusqu'ici. C’est la raison pour laquelle nous donnerons, dans le troisième
volume, de nombreux extraits qui éclairent d’une lumière vive la période de
formation.
Les écrits de jeunesse
sont souvent liés à des retraites, parfois à une tentative - encore maladroite
- d’introspection. Il est remarquable de voir l’effort intense pour comprendre un état – traduisant une
volonté d’appropriation qui, ne se limitant pas à l’écriture, est combattue par
Bertot (v. les
lettres de ce dernier dans le premier volume de la correspondance). En tout cas
cet acharnement du compte-rendu, parfois monotone à lire, explique la précision
admirable des descriptions ultérieures, par exemple de « l’état
apostolique » : la formation d’écrivain commence tôt et explique la
fluidité du texte des Torrents (1685).
Nous avons décomposé le
manuscrit en sections (une analyse élaborée en augmenterait le nombre en
divisant certaines d’entre elles, jugées moins intéressantes) :
1° (4 pages). « Conduite
de Dieu envers une simple bergère. » 4 mars 1674. (Reproduit dans notre
vol. III, section « Témoignages spirituels »).
2° (Autographe.
Feuillets numérotés de 3 à 15). « Traité du Purgatoire. » (Ce traité figure dans le second volume
des Opuscules spirituels, p. 279 de
l’édition de 1720, reproduite chez Olms, 1978. Le texte du manuscrit,
accompagné de deux textes plus brefs, est édité et présenté par M.-L. Gondal, Le purgatoire, Millon, 1998).
3° (f°16 - 21). « Il me
semble qu’il est aisé de concevoir qu’une personne qui met son bonheur en Dieu
seul, ne peut plus désirer son propre bonheur… ». Il s’agit de la lettre n°164
adressée à Bossuet vers le 10
février 1694 (la copie a une hauteur de 19 cm environ, hauteur plus réduite que
celle de la majorité des autres feuillets ; elle est faite par Bourbon, secrétaire de Tronson).
4° (f°22 - 28).
« Etat apostolique ». (Très beau texte, repris dans les Discours spirituels, vol. 2, n°65 :
« État Apostolique. Appel à enseigner. » Il s’agirait d’une lettre
adressée à Bossuet (car c’est
la suite de la copie de hauteur 19 cm environ, faite par Bourbon, secrétaire de Tronson). La fin de la copie est
marqué au dos par M. Tronson : « Estat Apostolique de MG ».
Nous avons donc reproduit cette lettre à la suite de la précédente, comme ayant
été adressée très probablement à Bossuet peu après le 10 février 1694.
5° (f°32 - 179).
Anonyme. (Ces feuillets de moyen format ne concernent pas Mme Guyon, selon I.
Noye. Effectivement l’esprit ne correspond guère à ce que l’on peut attendre
d’elle. S’agit-il du tout début de sa démarche vers l’intériorité ? L’attribution reste plausible à notre avis
pour les feuillets 48 à 51 :
«Vue d’Esprit et de pure
foi de Notre Seigneur au jardin des olives. » Mais une telle confirmation
d’une partie pose le problème d’attribution pour l’ensemble ; nous avons
omis ce long texte anonyme, qui devrait être divisé en plusieurs sections).
6° (f°179). «Je vins à
la fin de l’année 1696 sur la paroisse de Saint-Sulpice...» (L’attribution reste
incertaine).
7° (f°180 – 185) « Le jour de la
Transfiguration... » (Ce texte est séparé du suivant par
« autre » mais l’ensemble forme un manuscrit écrit de la même
main ; reproduit dans « Témoignages spirituels »).
8° (f°185 –187v)
« Mon état présent… » (« Témoignages spirituels »).
9° (f°187v-190)
« Un chemin fort aride… » (« Témoignages spirituels »).
10° (f°190-193).
« Ces paroles de Job… » (« Témoignages spirituels »).
11° (f°193v-195v).
« Je suis toujours dans le même état… » (« Témoignages
spirituels »).
12° (f°196-197v).
« …Pour purifier… » (« Témoignages spirituels »).
13° (f°197v-200v).
« …Un abîme de misères… » (« Témoignages spirituels »).
14° (f°200v-203).
« …Il me semble que je ne suis que misères. » (« Témoignages
spirituels »).
15° (f°203v – 213). De
la souffrance. (« Témoignages spirituels », début seul).
16° (f°214-216). Pensées
sur le Gloria Patris.
(« Témoignages spirituels »).
17° (f°216v-219v).
« Différentes manières dont Dieu Se sert… » (« Témoignages
spirituels »).
18° (f°219v-223).
« Différentes manières de voir en Esprit les choses… »
(« Témoignages spirituels »).
19° (f°223v-228). «La disposition de mon esprit...»
(« Témoignages spirituels »).
20° (f°228-232).
« Faisant vers vous selon notre pouvoir...» (écrit adressé peut-être à
Ramsay ; « Témoignages spirituels »).
21° (f°233). « Je
prends Monsieur la confiance de vous écrire...» (Lettre de M.G. à M. Tronson du 19
octobre 1696).
22° (f°234-235).
«Devoirs de la créature intelligente envers Dieu son créateur...»
(« Témoignages spirituels », début seul).
23° (f°236 à 239). «Jésus ayez pitié de
moi…»(Tout petit format, de l’écriture d’une fille de Mme Guyon, celle de la
lettre à M. Tronson. Nous avons reproduit des extraits de ces
« cantiques rédigés en prison » dans notre édition de la Vie, p.1041-1042.)
24° (f°253-260v, puis
240 à 241 de petit format de l’écriture d’une fille de Mme Guyon). «Outre le
goût général que j’ai pour votre âme... » (Il s’agit de deux lettres adressées
à Fénelon en
novembre 1688 et le 2 décembre 1688, éditées dans notre premier volume de la
Correspondance.)
25° (f°242-243v). « Des
trois points, savoir l’attention, l’intention et la fidélité... »
(« Témoignages spirituels »).
26° (f°244-260). Trois
textes dévotionnels : « Pour la Circoncision, sainteté de Dieu, la mort
d’un homme-Dieu. »
27° (f°261-263). « J’ai
tâché de me cacher à moi-même... » (Lettre de l’année 1691 sans
destinataire connu. Il ne semble pas qu’elle puisse faire partie de la
direction de Fénelon. Elle figure dans l’édition Dutoit, vol. II,
lettre 36, p. 93, éditée dans notre troisième volume de la correspondance).
28° (f°264-266v). «Moi
qui suis petite avec vous... » Lettre adressée au cercle des disciples.
(« Témoignages spirituels »).
29° (f°267-268).
Lettre : « 1691. Je viens tout présentement de recevoir votre
lettre… » D.2.22 de Dutoit, voir notre volume III.
30° (f°269). « Ne
pouvant vous écrire je me sers de la main du premier et du dernier... (ajout : en janvier 1707). Lettre
publiée dans notre vol. III.
31° (f°270-271).
« Le soir de la Pentecôte... » (« Témoignages
spirituels »).
32° (272-273) Cantiques.
« Venez petits oiseaux sous ce sombre bocage… »
33° (274-) « S’il
est vrai que mon cœur veut toujours… »
repris par Masson comme étant de Fénelon : selon I. Noye, cette pièce assez pauvre
ne serait pas de ce dernier. Nous l’avons cependant reprise comme pièce 313, 16e de Fénelon, dans
notre premier volume.
34° (280r° à 303, un
ensemble de très petit format, écrit très serré, à partir du f°286) Il comporte
plusieurs cantiques : « Que ferais-je Seigneur pour éviter les
coups… », (280v°) « Laissez moi pleurer ma douleur… », (281v°)
« Vous me montrez Seigneur cette gloire future… », etc. Très
intéressant recueil qui présente la « poésie » de Madame Guyon avant
les retouches des éditeurs.)
35° (304v°-305). «Le
dernier de janvier en soupant le soir...» (« Témoignages
spirituels »).
36° (305-307).
(« Sur l’abandon à Dieu / Lettre de
M. de la Verne à son
directeur »)
37° (308-309). « Je suis sur la croix très volontairement quoique
douloureusement. » (Copie d’une lettre écrite par la demoiselle Marc pendant sa
prison…)
38° (310-).
« Abrégé de la vie de Mad. Guyon ». (Ecriture de Chevreuse ; « Témoignages spirituels »,
début seul).
39° (314 à 318v°,
numéroté 739 à 747). «Quelques jours après ma sortie je fus à B[eynes]…» Extrait de la Vie (Ces
folios, ont été détachés de la Vie
lors de sa communication à Bossuet et
rétablis dans notre édition critique, Vie
3.9.10, p. 750. Le cantique intercalé, numéroté 740 à 742, « Que mon cœur
est content auprès de ce que j’aime ! », est reporté dans cette même
édition à la page 1042.
40° Lettre : Mes Chers
enfants (Le ms 2057 se termine sur cette lettre : « Je vous souhaite une
bonne année ; elle sera toujours bonne, si nous nous renouvelons dans la
charité…»).
La chronologie de
la CF établie par Orcibal donne tout
le détail des nombreuses allées et venues de Fénelon entre
Cambrai et Paris, des pressions et des tractations à Rome, aboutissant à la condamnation de l’Explication des Maximes des Saints
(1697) (à ne pas confondre avec l’Explication
des articles d’Issy, inédit jusqu’en 1915). Le 13 décembre 1696 Fénelon quitte
Versailles. Il revient le 9 février. Du 1er au 5 juin, il
est à Versailles; 18 juin : d'après A. Bossuet, « le Roi a parlé
très fortement à M. de Cambrai contre son
livre et son obstination »; Bref papal le 30 juin : selon Bossuet
« le nouveau bref lui donne de l'autorité par sa seule ambiguité »;
26 juillet : « Le Roi a écrit au pape en représentant vivement le danger
que les propositions contenues dans le livre peuvent faire courir à ses
sujets... ». 10 septembre : Bref du Pape. 30 décembre :
« Il est raisonnable ...d'attendre les réponses que fera le prélat [Fénelon]
aux arguments qu'on lui a opposés ... On n'en poursuit pas moins l'examen de la
traduction latine du livre ...à chaque audience Bouillon expose avec vivacité
l'impatience royale... » ; 26 février 1698 : « Les affaires de Rome ne vont
pas bien : elles s'allongent, et les suffrages sont présentement partagés, cinq
contre cinq » (Beaufort à l'évêque de Châlons) ; 27 mars, l'évêque de Saintes à celui de Bazas
: « L'affaire de M. de Cambrai est devenue quelque chose de fort subtil
... Ces livres font aisément perdre l'envie de lire longtemps ».
On se reportera
pour l’Explication des Maximes des Saints
à son édition « définitive » fournie par J. Le Brun dans :
Fénelon, Œuvres I,
Bibl. de la Pléiade, 1983, p. 999-1095, ainsi qu’à sa « notice »,
p. 1530-1549. Par suite de sa condamnation papale, elle « ne figure
pas dans les Œuvres complètes de
Fénelon éditées aux XVIIIe et XIXe siècles », comme
il est indiqué à la fin de la bibliographie donnée dans la
« notice », p. 1546. On passe en effet des éditions de 1698, dont
celle de Poiret, à l’édition de 1911 par Cherel. Une telle anomalie n’est-elle
pas l’une des nombreuses causes de la relative obscurité qui entoura longtemps
la querelle quiétiste ? On notera cependant que le texte fidèle de l’Explication… figure dans l’édition
des « Œuvres de Fénelon », Didot, 1857, t. II, p. 1-39 :
édition certainement « laïque », (reproduite de celle d’Aimé Martin
de 1835), mais qui reprend aussi, fidèlement selon notre vérification faite sur
les lettres, l’édition de 1820 à 1830 (1827-1828 pour les lettres), par
Gosselin, dite « de Versailles ». On sait que, dans sa préface, celui-ci
ne reconnaît pas la correspondance « secrète » avec Mme Guyon
(respect de la mémoire de Fénelon oblige !), mais il prend activement, de
manière toutefois cachée, la défense des quiétistes dans les abondantes
« notices des personnages », imprimées en corps fort petit, tome 11,
p. 279-374, dont nous nous sommes parfois inspiré. Par ailleurs nous avons
vérifié que les lettres de cette excellente édition de Versailles sont, elles,
également reprises à l’identique par l’édition de 1851-1852 dite de Paris ou
« des quatre éditeurs » (cette dernière donne d’ailleurs leur numéro
de 1835 entre parenthèses). L’édition de Paris demeure jusqu’à aujourd’hui la
seule complète (sauf pour les lettres, dont l’édition est rendue caduque par
celle qu’ont procurée J. Orcibal, J. Le Brun, I. Noye) et donc la plus
fréquemment référencée. V. aussi DS,
art. « Fénelon » (par L. Cognet) fasc. 33, col. 169-170, pour une
brève revue, incluant les inédits qui ont vu le jour après 1850.
On reconnaît
aujourd’hui la grandeur de ce frère convers, l’une des rares figures mystiques
majeures de la second moitié du XVIIe siècle.
Mais son « œuvre » est particulièrement mince.
Le Carmel est le
courant mystique auquel se réfère le « réseau quiétiste » constitué
sur la durée du siècle autour de Jean Chrysostome, Bernières, Bertot, Guyon… Le carme déchaux Laurent est connu et
apprécié de Fénelon comme de Mme Guyon ; le grand carme
Maur de l’Enfant-Jésus est en relation avec la jeune Mme Guyon (v. les 21
lettres éditées dans notre précédent vol.) ; le carme aveugle Jean de
Saint-Samson prend une
place majeure dans les Justifications, auprès de Jean de la Croix.
Madame Guyon
apporte sur l’œuvre du frère Laurent une
information (probablement inexploitée, car demeurée jusqu’ici à l’état manuscrit ;
il s’agit des deux « livres de lettres » de Dupuy et La Pialière), à
la fin d’une des lettres de décembre 1697, adressée à la « petite
duchesse » : « On a supprimé tous les livres du
frère Laurent, et il n’y en a plus que six dans tout Paris, possédés par des particuliers. […] ils en ont
fait imprimer un autre en la place, pour surprendre, qui n’a rien de ce
qu’avait l’autre. En voici l’intitulé : Maximes spirituelles et utiles aux âmes pieuses pour acquérir la présence
de Dieu, recueillis de quelques manuscrits de frère Laurent, etc., au Bon Pasteur. » Cet intitulé est-il celui de l’édition
supprimée ou de l’ « autre » ? Une édition « au
Bon Pasteur », de 1692, à Paris, chez Edme Couterot, 188 pages, nous est
parvenue ; suivront à Châlons, en 1694 les Mœurs
et entretiens de 92 pages ; puis il faut attendre l’édition de
Wettstein conseillé par Poiret, de 1699, enfin celle de Poiret seul, de 1710…
qui reprennent les précédentes. (v. Conrad de Meester, Frère Laurent…, Paris, Cerf, 1996, p. 22-27).
Les Maximes spirituelles que nous possédons
sont courtes (25 pages dans l’éd. de Conrad de M.). Nous sont parvenues
aussi des Lettres, des Entretiens, la Pratique de l’exercice de la présence de Dieu, (au total 90 pages
dans la même édition). Mais les Entretiens
sont un « composite Laurent-Beaufort » et la Pratique un « condensé de la doctrine du frère Laurent », nous dit Conrad de Meester. On doit donc
considérer l’ « œuvre » qui nous est parvenue avec
prudence, compte tenu de son éditeur, grand vicaire de M. de Châlons. Quoi qu’il en soit, elle n’en demeure pas moins
un joyau mystique du siècle.
La liste qui suit
est incomplète et parfois incertaine…
b., marquis, bon
marquis = Le M. de Charost
B[on] pa[pa] =
Louis XIV
Ba, bar, Baraquin = le
diable
Ben =
bénédictines.
c[omtesse], bonne
c[omtesse], Lbc, (v. Col) = comtesse de Morstein.
C. de V. = Curé de
Versailles (Hébert).
Cal.= L'abbé de
Beaumont (v. panta) ? Pourrait aussi désigner L’Echelle ?
Chi. = le
« chinois » (non identifié) ou le « chien ».
Christophlets =
adeptes de l’effort, disciples de saint Christophe.
Col, la Col,
Colom, Colombe = comtesse de Morstein.
D de Ch. = d[uchesse]
de Ch[evreuse].
dom, dom al., al =
père Alleaume.
doyenne des
d[uchesses] = duchesse de Béthune ?
Enfants =
disciples du petit maître.
Eud[oxie], (v. Mad. de M.) = Madame de Maintenon.
f[rère] le chantre
f[rère] paquebot
famille = Marie de Lavau, au service de Mme Guyon.
gros enfant, M. de
pihal. = La Pialière, gentilhomme normand (et copiste).
l b c = la bonne
comtesse : Mme de Morstein ?
le M. de C.
L’aumônier =
L’abbé de Charost.
la bonne nonne =
M. de Sassenage.
Le Bon, Lb, le B.,
le bd, mon b., M. de B. = duc de Beauvillier.
Le ch., le grand
ch., le g. Ch. = La duchesse de Charost ?
Le petit ch.
= fille du grand ch.
Le p. arch.
m p d, m b p
d = ma bonne petite duchesse (de
Mortemart, Marie-Anne).
b d = bonne
duchesse (de Mortemart, Marie-Henriette).
mon bon : v. Le Bon
M d B, Madame de
B, M l de B = Madame la duchesse de Béthune, Madame de Béthune.
M. f. = M. de
F[îtes] ?
M. de Ch., M. de
char. = M. l’évêque de Chartres.
M. de cha. = M. l’évêque de Châlons (Noailles).
M. de m., M. de M.
= M. de Meaux (Bossuet).
M. de mors. = M.
de Morstein.
M. de P. = M. de
Paris (Harlay puis
Noailles).
M. de V. =
Hébert ?
M. des ch. =
ecclésiastique qui
demeure à Vaugirard.
M. le curé = curé de
Versailles (Hébert) ou de
Saint-Sulpice (La Chétardie à partir de 1696).
M. le Ch. = le
chevalier de Gramont.
M. tron, M.
tronçon = M. Tronson.
M. B., m.B., m.b.
= M. Boileau et
aussi : « mon bon », Beauvillier.Ma B et Ch. = Ma bonne et chère
[Comtesse].
Mad de B. = Madame
de Beauvillier.
Mad de M. = Madame
de Maintenon.
Mad de Mors. = Mad
de Morstein.
Mad. de cha. = la
duchesse de Charost.
Mad. de Mort. =
Madame de Mortemart.
Mar. = La
Marvalière ? (Il sera secrétaire des Michelins).
marc, petite marc
= Françoise Marc, au service de Mme Guyon.
Michelins = les
disciples de saint Michel.
Mr Thev =
Thevenier.
N. S. , n. s.,
ns, = Notre Seigneur
Nicolas = Nicolas
de Béthune-Charost
No. = Noailles
p. p. ou pp. =
petit prince
d. d. p. = dame du
palais
p a de Ch = père
Abbé de Charost (l’aumonier de l’ordre des Michelins)
p C = petite
Comtesse
p d, la p d,
petite d = la « petite duchesse » de Mortemart
p l c, p l C =
père Lacombe (ou La
Combe)
p m = petit Maître
(très exceptionnellement : petite Marc)
p. de la m. = père
de la Motte (Dominique)
panta[leon] =
Pantaléon de Beaumont.
Put, p = Dupuy
py, M. Pyrot = M.
Pirot
S B, St B., bi, bi bi, G., Général, père général, M. de C.
= Fénelon
sœur de la croix =
sœur Sainte-Croix, la dévote de M.
Boileau = Marie
Dalmeyrac = sœur
Rose
T, Tut[eur] = duc
de Chevreuse
Vin. = prison de
Vincennes
Ces descriptions
détaillées complètent les sources décrites au début du premier volume,
éclairent l’histoire des livres de lettres, et pourraient s’avérer utiles par
la suite pour localiser ces sources.
Les archives, en
possession des A.S.-S. depuis 1802, contenues dans des « cartons »,
furent récemment mises en ordre, montées sous onglets et reliées en volumes.
Chaque pièce fut numérotée : les numéros inférieurs à 6500 furent réservés
au fonds « Fénelon », les numéros suivant 6500 furent réservés au
fonds « quiétistes », les numéros suivant 7000 furent réservés au
fonds « Guyon », etc. Les volumes sont repérés par les numéros de
pièces indiqués sur leurs dos. Un numéro représente un manuscrit d’extension
très variable, allant du billet au cahier de lettres.
Fonds Fénelon, volumes XI1 & 2.
Ces deux volumes
de reliure verte comportent de nombreuses pièces relatives à Madame Guyon, dont
une quinzaine d’autographes de cette dernière : elles ne furent pas
négligées par l’éditeur de la Correspondance
de Fénelon de 1827-1828 : on retrouve en effet, sur la majorité des
pièces, en haut à droite, d’une forte encre noire, l’indication des numéros des lettres de la
« Section VI. Correspondance sur l’affaire du quiétisme » commençant
au tome septième de 1828. (On note que cette édition est soigneuse mais omet
(rarement) des paragraphes importants de lettres de Lacombe). Cette source nous
était inconnue lors des descriptions fournies au début de notre premier volume.
Quelques lettres isolées de Mme Guyon ont été retrouvées dans d’autres
volumes du même « fonds Fénelon ».
Base informatisée :
Nous avons
constitué une base de données, (tenue disponible après accord des A.S.-S),
couvrant la correspondance guyonnienne conservée aux archives de Saint-Sulpice, soit les trois livres de lettres (Dupuy, La
Pialière, le marquis de Fénelon) ainsi que l’ensemble des pièces séparées,
autographes et copies du fonds « Guyon » (augmenté de pièces
guyonniennes du fonds « Fénelon » dont en particulier celles des vol.
XI1 & 2). Cette base, sous sa forme de photos numériques, couvre
deux cdroms soit ~1 Go. Le fonds « Fénelon » fut antérieurement
photographié à la demande de M. J. Orcibal et serait en dépôt à Orléans ; le fonds « Guyon » ne l’a pas
été et se trouve donc sans autre sauvegarde.
Utilisation des Livres de lettres :
L’accord est excellent entre la copie de Dupuy et
celle de La Pialière : nous avons relevé, sur le long texte adressé à la
petite duchesse en mars 1697 (« je ne crains point que le prêtre me
trahisse… »), une seule et légère correction par Dupuy, absente de La
Pialière (v. la variante « b » à cette lettre). Aussi nous relevons
souvent le texte sur La Pialière, ce que l’on observe par les numéros des pages
donnés entre crochets, mais nous vérifions toujours les points obscurs sur
Dupuy. Celui-ci est en effet plus sûr, mais son écriture est difficile. Il a
vérifié La Pialière, ce que montrent quelques annotations portées sur le livre
de ce dernier, outre la table finale des abbréviations de sa main. Bien entendu
Dupuy ou La Pialière ne sont utilisés qu’à défaut de source autographe ou qu’en
cas de grande difficulté de lecture : Dupuy déchiffre mieux que nous les
autographes de Madame Guyon… Enfin le livre du marquis de Fénelon se situe à part et malheureusement constitue
souvent la seule source disponible. Son écriture « de militaire » est
difficile et très serrée.
Livre des lettres de Dupuy : cartonné gris, titre de la tranche :
« Lettres de M. Guyon au duc de Chevreuse » ; dos de couverture : « E. Levesque
/ 6 rue du Regard » ; f° suivant : « A 3me série, n°
7 » ; f° suivant : « Lettres de Madame Guyon à Mr le duc de Chevreuse / Cette copie est de la main de
M. Dupuy / Mme Giac » ; f°2 : début de la première lettre « Il
m'est venu fortement au cœur... » ; suivent les folios numérotés, à
l’encre forte, en bas à droite : 3 à 229 (il existe aussi une numérotation
des pages, au crayon fin, en haut à gauche, que nous n’avons pas
utilisée ; nous signalons ici son existence car une erreur de référence
est possible) ; le f°229v° se termine par une lettre interrompue :
« ...j'espère que le ». Il y a donc des folios manquants et le
livre de La Pialière décrit ci-après va plus loin ; dernier f°:
« Lettres de Me Guyon appart. à la succession de Me de Giac » qui eut
lieu au milieu du XVIIIe s. Livre
des lettres de La Pialière : relié rouge, titre de la tranche :
« Fonds Guyon, pièce 7233 » (c’est une grosse pièce) ; à l'intérieur, au
crayon, en page de garde : « Ms. 2173 » ; en deuxième page de garde
l'ancienne couverture : « 7e carton (cachet : 7233) 10bis / Lettres
de Mde Guyon au duc de Chevreuse 1693 et
suiv. / (quelques mots biffés) Copie » ; ancienne page de garde : « (7233)
(Quelques annotations sont de la main de Mr Dupuy, v. p. 1, 23, 114, 183, etc.)
Copies pas très exactes. » ; feuillet suivant : « XVIe
carton no. 18 / Lettres de Mad. Guyon a m. le duc de chevreuse. années 1693, etc. / originaux »
; enfin première page « i » du premier
feuillet : « Le 2. juillet 1693 (souligné)
/ Il m'est venu fortement au cœur de vous prier M. [surmonté de l'addition par
Dupuy :
« Au tuteur ») d'éclaircir à fond l'affaire... » ;
suivent les pages « ii » à 204 se terminant par la lettre de
« may 1698 [...] ce que j'ai fait. » ; la page 205 porte une utile
liste des abréviations et de leur signification établie par Dupuy.
Livre des lettres du marquis de Fénelon : relié rouge, titre de la tranche :
« Fonds Guyon pièce 7417 » ; « Ms. 2176 » au crayon en
page de garde ; feuillet suivant : « 7e carton
Lettres diverses de Mme Guyon » ; f. suiv. : « XVIe carton
Lettres diverses… » ; f. suiv. : « Copies de lettres de
quelques trans à la mère des enfants
du p. m. avec des réponses de cette bonne mère. » ; écrits de la main
du marquis : les folios 1 à 38, 65 à 75, 77 à 83 (pages de poèmes en deux
colonnes d’une petite écriture), 89 poème de six vers, 93 à 195. Les autres folios sont
vierges.
Plutôt que de
donner une bibliographie extensive, nous signalons des sources venant en
complément des matériaux biographiques livrés par nos éditions de la Vie et de la Correspondance. En se limitant à Madame
Guyon seule - témoignages de ses relations directes, objections qu’elle aura le plus souvent lues - on peut se limiter à quelques
textes d’époque.
Outre les Œuvres et les Correspondances de Fénelon et de
Bossuet, on consultera (les références moins
essentielles sont données entre parenthèses) :
Nicole, Réfutation
des principales erreurs des quiétistes [...], Paris, 1695.
(J. Grancolas, Le Quiétisme contraire à la doctrine des
sacrements [...], Paris, 1695.)
Bossuet, Relation
sur le Quiétisme, Paris, 1698.
Le Masson, Eclaircissements sur la vie de Messire Jean
d'Aranthon d'Alex..., Chambéry, 1699.
(La Bruyère, Dialogues [...] sur le quiétisme, Paris, 1699.)
(Ramsay, Histoire de la vie de Messire François de
Salignac de la Mothe-Fénelon [...], La Haye, 1723.)/ Phelipeaux, Relation..., Paris, 1732./ Dupuy, Relation du différent entre Bossuet et Fénelon, A.S.-S., ms. 2046. / (Hébert, Mémoires...,
Paris, 1927.) / Saint-Simon, Mémoires.
UL,
tome VII, appendice III, section III, « Actes de soumission de
Mme Guyon et attestations à elle données par Bossuet. » contient
les soumissions A, B, et les attestations C, D. Nous avons respecté leur
ordre chronologique, ordre adopté pour les autres documents de notre volume (v.
« Soumission « A ». 15 avril 1695. », etc.). L’étude par
Levesque, bossuétiste, érudit précis, est constituée du début (p. 505) et de la
fin (p. 516) de sa section. Nous en donnons la plus grande partie, dont
certaines de ses notes, placées ici entre crochets. Nos propres remarques et
références aux n° de pièces sont placées entre tirets.
« Retirée à
la Visitation de Meaux, Mme Guyon ne devait recouvrer la liberté
qu’après avoir souscrit des actes témoignant de la pureté de sa foi, dont
Bossuet avait été
constitué juge. Ce n’est qu’au bout de six mois environ, qu’elle parvint à
satisfaire le prélat. […]
« Au cours de
sa réclusion à Meaux, il est question de six ou sept actes de
soumission, dont quatre furent signés par elle et, comme tels, acceptés par son
juge [note : Lettre du 6 juillet 1695, - n° 300 dans ce volume - Ms.
Dupuy, f°190, pour Levesque, qui utilise les numéros portés en haut à gauche du
ms, - f°146 pour nous qui utilisons les numéros portés en bas à droite du même
ms. -]./ « Outre les trois actes de soumission, il y avait une déclaration
du 15 avril, dont Phelipeaux (p. 163) nous a conservé le texte – n°487 - .
Cette déclaration, selon Mme Guyon, aurait été d’abord acceptée par Bossuet, et ensuite rejetée par lui. [note : Il y
a, écrit Mme Guyon, un acte « dont j’envoyai la copie de ma main, et je ne l’ai
plus : c’est celui où il me fait déclarer que je n’ai point vu M. de Grenoble avec le
Prieur de Saint-Robert. Il ne veut plus à présent de cette déclaration » (Lettre du 11
juin 1695 – n° 285 du 2 juin selon nous - , Ms. Dupuy, f°187 - f°143 pour nous
-) ] ; cependant il en a inséré à peu près textuellement la plus grande partie
dans celle qui porte la date du 1er juillet [note : Depuis les mots : « Je
supplie ledit seigneur évêque de Meaux... » jusqu’à : « ...jamais entré dans
l’esprit. » Voici la partie qui fut laissée de côté, sans doute parce
qu’il y est fait allusion à des choses dont on ne voulait plus tenir compte, ou
qu’on avait renoncé à approfondir : « Je déclare en particulier que les lettres
qui courent sous le nom d’un grand prélat (M. de Grenoble), ne peuvent être vraies, puisque je ne l’ai
jamais vu avec le Prieur de Saint-Robert, qui y est nommé, et je suis prête à
jurer sur le saint Évangile que je ne l’ai jamais vu en un même lieu, et
affirmer sous pareil serment les autres choses contenues dans la présente
déclaration. Fait à Meaux, au dit monastère de Sainte-Marie, ce 15 avril I695. » Le même jour, Mme
Guyon écrivit une longue protestation qui fut déposée chez un notaire – n° 485
-]
Enfin, il y avait
une soumission que nous ne possédons plus en son entier, et que Mme Guyon, en
mai 1695, avait souscrite au bas de l’Ordonnance
et Instruction pastorale de
l’évêque de Meaux, en date du 16 avril [note : « Il est venu,
je lui ai témoigné tout le respect possible ; il m’a demandé de signer sa
lettre pastorale, et d’avouer que j’ai eu des erreurs qui y sont condamnées...
Il l’a prise (la soumission) ; mais, ne la pouvant lire, il me l’a rendue. Je
la lui ai lue ; il m’a dit qu’il la trouvait assez bien ; puis, après l’avoir
mise dans sa poche, il m’a dit : « Il ne s’agit pas de cela : tout cela ne dit
point que vous êtes formellement hérétique, et je veux que vous le
déclariez... » (Lettre de mai 1695, ms. Dupuy, f° 180, r° et v°) – n°279
-]. Mal renseigné sur les circonstances dans lesquelles cet acte avait été
donné, et croyant qu’il avait été, comme d’autres actes de Mme Guyon, dressé
par Bossuet, Fénelon, bien qu’il ne fût pas revêtu de la signature de
l’évêque de Meaux, en fit état dans sa Réponse
à la Relation sur le quiétisme : « ... M. de Meaux, dit-il, lui dicta encore ces paroles dans sa
souscription à l’ordonnance où il censurait les livres de cette personne : « Je
n’ai eu aucune des erreurs expliquées dans ladite lettre pastorale, ayant
toujours eu l’intention d’écrire dans un sens très catholique, ne comprenant
pas alors qu’on en pût donner un autre. Je suis dans la dernière douleur que
mon ignorance et le peu de connaissance des termes m’en ait fait mettre de
condamnables. « [note : Réponse à la
Relation, ch. 1.] Bossuet, dans sa
réplique [note : Remarques sur la Réponse, art. II, § v
(Lachat, t. XX, p. 195).], déclara cet endroit « inventé d’un bout à l’autre «,
insinuant que l’invention était de Fénelon lui-même. Pourtant ce prélat ne
faisait que rapporter un acte dont Bossuet pouvait à bon droit nier l’autorité,
puisqu’il ne l’avait pas agréé, mais dont il aurait pu se rappeler l’existence,
puisque c’était un des projets de soumission que Mme Guyon lui avait présentés,
et qu’il l’avait mis dans sa poche [note : Voir la riposte de Fénelon, Réponse aux Remarques, etc., VIII ; v.
Bossuet, Dernicr éclaircissement, art. I (Lachat,t. XX, p. 448 et 449).].
« Mais il y a
des actes dont l’existence ni l’autorité n’ont été niées par personne ; ce sont
ceux que nous allons reproduire. Ces documents ont été publiés d’abord, les
trois premiers par Phelipeaux (t. l, p. 166 et suiv.), et le quatrième par
Fénelon dans sa Réponse à la Relation de Bossuet (ch. I).
Nous les donnons d’après le registre de Bossuet conservé à Saint-Sulpice, cahier in-4, de dix folios, recouvert d’une
reliure du XVIIIe siècle – il s’agit du ms. 2134 -. Les quatre
premiers folios et le recto du cinquième contiennent trente-trois des articles
d’lssy. En haut du folio 5 v°, on lit le trente-quatrième article, avec la
signature autographe de Bossuet ; puis, sans intervalle, commence la première
soumission de Mme Guyon [note : Celle du 15 avril, contenant son adhésion
aux articles d’Issy.], de la main d’un secrétaire, continuée au
recto du folio 6, avec signature autographe. La soumission du 1er
juillet, de la même main que la précédente, est contenue au folio 6, r° et v°.
La première attestation, signée de Bossuet et de Mme Guyon, se lit au folio 7
r°, et d’une autre main que les documents précédents ; la seconde, signée de
Bossuet et contresignée de Ledieu, est au folio 7 v°, et de la même main que la
première. Les folios 8, 9 et 10 sont restés en blanc.
[suivent l’édition des pièces A, B, C, D, puis la
« conclusion » suivante :]
Dans sa Vie (t. III, p. 226 à 229) – Vie, 3.19 - , Mme Guyon a raconté
qu’après lui avoir donné une attestation qui la déchargeait, Bossuet lui en
avait fait tenir une autre, en réclamant la première ; jugeant la seconde
insuffisante, elle ne consentit pas à se dessaisir de la première. Ce point a
été l’objet de discussions assez vives [note : Voir Crouslé, Fénelon et Bossuet, Paris, 1895, in-8, p. 64 et suivantes ; Ch. Urbain, dans
la Revue d’histoire littéraire, 1895
; H. Brémond, Apologie pour Fénelon,
Paris, 1910, in-18, p. 138 à 148, et le compte-rendu de cet ouvrage fait par M.
E. Levesque dans la Revue Bossuet,
juin 1911], et, malgré tout, il est resté obscur. La raison en est que les
témoignages sur lesquels on s’appuie, rendus parfois longtemps après
l’événement, manquent de précision et doivent recéler quelque part d’erreur.
Les documents officiels eux-mêmes ne portent pas leur date véritable, et
celle-ci ne peut plus aujourd’hui être établie avec certitude. La Vie de Mme
Guyon, du moins pour les faits qui nous occupent, a été écrite assez tard, et
l’auteur, à distance, a pu faire des confusions qu’il serait injuste de taxer
de mensonge. Bossuet (Relation, sect.
III) dit que l’attestation délivrée par lui à Mme Guyon était du 1er
juillet 1695, et qu’il partit le lendemain pour Paris, alors que sa présence à
Meaux est
constatée le 3, et qu’une de ses lettres, du 16 juillet, permet de conclure
qu’il n’arriva à Paris que le 8 juillet. Le plus souvent, il parle de «
l’attestation qu’il a donné à Mme Guyon. [note omise]. Quant à Phelipeaux, il
ne mérite pas une foi aveugle, bien que son récit, voisin des événements, ait
reçu en 1701 l’approbation de Bossuet (Ledieu, t. II, p. 214 et suiv.). Ne
dit-il pas (p. 165) que le sacre de
Fénelon eut lieu le 10 juin, et que c’est seulement après cette cérémonie que
Bossuet travailla à en finir avec Mme Guyon, alors que l’archevêque de Cambrai fut sacré
le 10 juillet, et qu’à cette date, les soumissions de Mme Guyon avaient été
acceptées par Bossuet ? A l’en croire, c’est par bonté d’âme que ce prélat,
agissant en simplicité et sans défiance, donna l’attestation où sa signature
précède celle de Mme Guyon (p. 512), et on a vu que la dame se plaignit qu’on
lui eût fait signer cette nouvelle pièce. Il raconte que c’est le 11 juillet,
que, sur la route de Paris, il rencontra les amies de Mme Guyon qui venaient la
chercher à Meaux ; or Mme Guyon avait quitté la Visitation le 9 (v.
p. 503).
« A raisonner
sur des documents si peu exacts, on doit craindre de n’arriver pas à la
certitude sur tous les détails. Nous allons pourtant essayer d’y faire un peu
plus de lumière. Pour cela, nous recourrons aux lettres écrites au jour le jour
par Mme Guyon, avant que son imagination ait eu le temps de dénaturer les
faits. Malheureusement la date de ces lettres n’est pas sûre : tantôt elles
portent celle du jour où elles furent écrites, et tantôt celle de leur
réception. Nous nous aiderons surtout des documents signalés par M. E. Levesque
dans la Revue Bossuet, soit le registre de l’évêque de Meaux et, de
plus, une copie du certificat corrigé, daté du 1er juillet 1695.
Cette copie, conservée aussi à Saint-Sulpice, porte la signature autographe de Bossuet et le
contre-seing de Ledieu.
Pour faciliter la
discussion, nous désignerons par C – n°491 - l’attestation signée à la fois par
Bossuet et par Mme
Guyon (p. 512 et 513), par D – n°490 - le certificat daté du 1er juillet, avant
la rature, soit en premier état, et par D2 ce même certificat après la rature,
ou en second état (p. 514 et 515).
On ne saurait
douter qu’après avoir remis à Mme Guyon un certificat, soit D en son premier
état, Bossuet ne l’ait
réclamé en échange d’un autre. En effet, dès le 3 juillet, Mme Guyon écrivait :
« Il m’est venu dans l’esprit qu’il ne fallait pas rendre à M. de Meaux un papier
que le Petit Maître avait comme forcé
M. de Meaux de me
donner, et je vois que c’est aller contre sa volonté de le lui rendre ; car, si
les autres ne voient pas la différence du dernier au premier, je la sens tout
entière » (Ms. Dupuy, f° 165 v° - n°315 -). Et le lendemain: « S’il n’a
pas la décharge qu’il m’a donnée et qu’il veut ravoir, il n’y a sorte de
persécutions qu’il ne me fasse pour la lui
rendre. « (ibid.) – n° 303 - ; et le 6
(?) : « M. de Meaux vient de
venir quérir la décharge qu’il me donna hier, disant qu’il m’en apportait une
autre », etc. (f° 185 v°) – n° 300 -.
Mais quelle est la
pièce que Bossuet voulut
faire accepter à la place du certificat primitif ? Mme Guyon dit que ce fut C,
et elle transcrit dans sa Vie ce
document, sous le titre de seconde attestation, avec la seule signature de
Bossuet, tandis que, dans le registre officiel, cette pièce est placée avant D
et porte la signature de Mme Guyon au-dessous de celle du prélat, et il en est
de même dans le récit de Phelipeaux.
Faut-il croire que
c’est D2, ou le certificat en second état, après la rature? Cette hypothèse,
malgré sa simplicité, comporte trop de difficultés. D’abord, il faudrait
expliquer comment Mme Guyon s’est méprise à ce point. D’un autre côté, Bossuet n’aurait
pas laissé D2 entre les mains de Mme Guyon, puisqu’elle ne lui rendait pas D.
Dès lors, que faut-il donc entendre par « les attestations » qu’elle avait
de lui et dont il envoyait copie à son neveu (lettre du 14 juillet 1698) ?
Rien, sinon D et C ; d’ailleurs, Phelipeaux dit que ces deux actes furent remis
à Mme Guyon.
D est un
certificat pur et simple, et, comme tel, est signé de Bossuet seul ; C,
au contraire, offre un double caractère : de la part de Mme Guyon, c’est une
nouvelle déclaration de ses sentiments ; voilà pourquoi elle l’a signé de la
part de Bossuet, c’est une sorte de certificat et c’est ce qui explique qu’il
porte aussi la signature du prélat.
Or, voici comment
les choses ont pu se passer. Bossuet, dans les derniers jours de juin, avait soumis à
Mme Guyon le projet de la déclaration datée du 1er juillet. Lorsqu’il vint, le
2 juillet, chercher cette pièce qu’elle avait signée, il lui remit le
certificat D (autrement, elle se serait
plainte à ses amis, comme elle l’avait fait après la signature de sa première
déclaration, voir page 509) ; mais, en même temps, il lui fit signer, après une
simple lecture, la pièce C, qu’il avait préparée le 1er juillet,
ainsi qu’il ressort de sa lettre du même jour à Mme d’Albert [note : «
Vous en dites trop en assurant, sur le sujet de Mme Guyon, que mon discernement
est à l’épreuve de toute dissimulation.
C’est assez de dire que j’y prends garde, et que je tâcherai de prendre des
précautions contre les dissimulations dont on pourrait user » (plus haut,
p. 147).]. Il lui en rapporta une copie quelques jours après : en effet, elle a
eu en sa possession cette copie, puisque Phelipeaux le dit et qu’elle l’a
insérée dans sa Vie, et pourtant, le
jour où elle l’a signée, elle n’en avait pas le texte (Ms. Dupuy, f° 185).
Il faut donc
croire que, malgré la date qu’il porte, C a été fait postérieurement à la
déclaration précédente datée du 1er juillet ; car, s’il en était
autrement, on ne comprendrait pas que, d’une part, tous les détails sur
lesquels on exigeait la soumission de Mme Guyon, et, d’autre part, tous les
points sur lesquels devait porter l’attestation donnée en échange, n’eussent
pas été notés sur un seul et même acte. On ne comprendrait pas davantage
pourquoi il y aurait du même jour deux actes de cette nature.
Et cette hypothèse
est d’autant plus vraisemblable que le texte de C n’est pas de la même main que
tout ce qui précède dans le registre, notamment les deux déclarations de Mme
Guyon du 15 avril et du 1er juillet, textes évidemment transcrits à
l’avance et non au moment même où Mme Guyon les signa. Si la déclaration datée
du 1er juillet, et C (qui est plus court) sont en réalité du même jour, comment
se fait-l qu’ils ne soient pas de la même main?
On conçoit fort
bien, du reste, que D (qui est de la même main que C) ait été transcrit sur le registre à la suite
de C et hors de la présence de Mme Guyon, à qui il avait été délivré au moment
où elle venait de signer cette dernière pièce.
Bien que D fût en
réalité postérieur à C, Mme Guyon, à qui, dans cette hypothèse, il aurait été
remis tout d’abord, a pu le qualifier de première décharge, et ainsi s’explique
la place qu’elle lui a plus tard donnée dans sa Vie. Et voilà aussi pourquoi, dans cet ouvrage, C porte la seule
signature de Bossuet : c’est
que Mme Guyon transcrit purement et simplement la copie qui lui avait été
remise par le prélat, et à laquelle elle n’avait point apposé sa
signature.
Enfin on peut se
demander pourquoi Bossuet a voulu
faire accepter D2 en échange de D, et pourquoi, avant même que l’échange eût
été consenti, il a pratiqué sur son registre une rature de cette importance.
Faut-il voir là un scrupule de lettré désireux d’éviter la répétition des
mots : « nous l’avons trouvée »
[v. le fac-similé, p. 514 [de UL]]
? On pourra dire aussi que Bossuet, s’étant vite repenti d’avoir donné à Mme
Guyon un certificat si avantageux, a voulu en atténuer la portée. Car, outre
que : « il ne nous a pas paru qu’elle fût impliquée » est moins
affirmatif que : « nous ne l’avons pas trouvée impliquée, les mots « en
aucune sorte » et « ou autres condamnées ailleurs » retranchés
en D2 rendaient cette dernière décharge moins favorable à Mme Guyon.
Quoi qu’il en
soit, quand il parle du certificat donné à cette dame, Bossuet [note : Dans une lettre à M. Tronson, le 30 septembre 1695, où encore il fait en même
temps allusion à la première formule : « Je déclare que je n’ai rien trouvé en
elle sur les abominations de Molinos, qu’elle m’a toujours paru détester». (plus haut
p. 217)] fait à peine allusion à D2; c’est à D qu’il se réfère, soit qu’il le
résume dans sa lettre à son neveu, du 14 juillet 1698, soit qu’il le cite dans
sa Relation, art. III, en s’arrêtant,
il est vrai, aux mots : « dans laquelle nous l’avons trouvée »,
c’est-à-dire à l’endroit où D diffère de D2.
Madame Guyon, Correspondance, Tome III Chemins mystiques, Edition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2005, 934 p. [Ce volume qui achève l’édition de la Correspondance reprend l’ensemble de lettres de direction publié en 5 volumes au XVIIIe siècle].
Au
XVIIIe siècle paraissent les Lettres chrétiennes et spirituelles
sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai
christianisme. De cet ensemble, nous avons prélevé les lettres dont
l’identité des destinataires nous est connue grâce à l’Indice que nous
devons à Dutoit, second éditeur des écrits de Madame Guyon. Leur séquence constitue
une partie de notre tome I. Restaient les lettres dont les destinataires et la
date de rédaction demeurent inconnus ou, dans quelques cas, trop imprécis pour
en faire état d’une façon assurée. Le lecteur les trouvera dans ce dernier tome
que nous avons complété par vingt et une lettres nommément attribuées à
Madame Guyon et publiées dans le Directeur Mystique ainsi que par des Témoignages
spirituels. Elle y apparaît nettement comme le successeur de Monsieur
Bertot dans la direction
de leur groupe spirituel.
Nous
avons proposé Chemins mystiques comme titre à ce recueil. Les premiers
éditeurs offraient les expressions Vrai christianisme et Vie
intérieure. La première nous a semblé datée, marquée par son temps. Quant à
la vie intérieure, elle est perçue aujourd’hui comme limitée au seul
domaine de notre psychologie[1].
Pour
qui a lu la Vie et certaines lettres du tome I, le terme mystique
suscite celui d’ineffable, qui implique la difficulté, sinon l’impossibilité,
de décrire l’expérience particulière de qui est touché au profond du cœur.
Révoquant l’approche par la raison d’un état qui la dépasse, l’ineffable,
littéralement, révoquerait toute tentative d’expression intelligible. En fait
l’expérience se dit néanmoins, mais se donnant comme à éprouver pour ainsi dire
par le lecteur lui-même. Le style se permet des approximations, des détours, de
métaphores - et de longues phrases non avares d’anacoluthes, parce que la
correction de la forme, la rigueur, la concision sont peu adaptées à
l’évocation d’états qui ne peuvent qu’être suggérés.
Or
nous allons admirer le style des lettres de ce tome III. Avant de considérer ce
qui est pour nous la cause la plus profonde d’une clarté qui n’a pas toujours
frappé jusqu’ici le lecteur de Madame Guyon, faisons leur place à deux facteurs
objectifs. D’une part le pasteur Poiret est intervenu : fidèle
généralement, il corrige néanmoins des fautes trop criantes envers la syntaxe,
[1] On observe un tel glissement dans les autobiographies par exemple, depuis celles de Thérèse d’Avila et de Madame Guyon, passant par celles de Rousseau, Maine de Biran, Amiel, jusqu’aux introspections modernes.
eut-être
au su de Madame Guyon, tant l’anacoluthe peut occasionner de gêne. Mais la
rédactrice garde un rôle prépondérant. Son âge et la maturité de sa vie
spirituelle expliquent en partie cette intelligibilité nouvelle de son texte.
Elle
s’adresse beaucoup à des commençants. Il faut pour eux s’appliquer à la clarté
et répéter la leçon, l’encouragement, la directive si besoin est - ce qui a
entraîné contre la Dame l’accusation d’être monotone, alors qu’elle est surtout
un bon maître, qui ne méconnaît pas la sévérité et sait donner élan à la
rigoureuse discipline. Son dessein est bien d’accompagner. Elle sait se faire
entendre parce qu’il lui est donné de se faire entendre.
Si
nous voulons replacer Madame Guyon parmi les courants de la spiritualité
occidentale, il s’agit d’une forme sobre où le pur amour est tout à la
fois le moyen et le but. On la nomme souvent mystique affective.
Elle fut particulièrement développée par trois courants qui s’influencèrent
mutuellement : le courant franciscain transmis par Herp ou Harphius (1400-1477), puis
Bernardo de Laredo (1482- v.1540) ; le courant issu de Ruusbroec
(1293-1381), propagé par le même Herp et avec la contribution de cartusiens
tels que Hugues de Balma (13e-14es.) ; enfin le
courant carmélitain illustré par Jean de la Croix (1542-1591). Cette mystique affective
s’opposerait à une mystique spéculative, appelée encore improprement
contemplation intellectuelle, issue de Plotin, Denys, Eckhart
(~1260-1328). Mais les « spéculatifs affirment simplement que l’homme est
un miroir vivant » qui reflète le divin et l’opposition avec la mystique
affective disparaît dès que l’amour de ce modèle divin prend le dessus [2].
Historiquement,
au sein du siècle précédant la naissance de Madame Guyon, le courant spirituel
dans lequel elle s’inscrit fut initié en France par le franciscain du tiers
ordre régulier Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646). Dans une
moindre mesure, Madame Guyon fut influencée par le franciscain capucin Benoît
de Canfield (1562-1610), premier confesseur de la réforme du couvent de
Montmartre auquel fut attaché son père spirituel, Monsieur Bertot (1620-1681). Elle est enfin tributaire des Grands
Carmes illustrés par Jean de Saint-Samson (1571-1636) et par son disciple Maur
de l’Enfant-Jésus (~1617-1690), dont nous avons lu vingt et une lettres
adressées à la jeune femme au début du premier volume de cette correspondance.
Tout
ce contexte de sa formation intérieure nous permet donc, puisqu’on ne trouve
chez elle aucune spéculation, mot pris par nous ici en son sens de
« recherche abstraite », de la rattacher en premier lieu à la
mystique affective
[2] Dict. Spir., art. « Mystique », vol. 10, col. 1633. – Sur le terme affectif, -ive , Littré, 2e sens : « Facultés affectives par opposition à facultés intellectuelles ».
la
plus orthodoxe. Quant à l’influence quiétiste, elle est certaine, transmise par
le Père Lacombe, d’origine italienne, et renforcée par leur séjour commun en
Piémont chez l’évêque Ripa (-1691) lié au cardinal Petrucci (1636-1701), figure
éminente du quiétisme italien. Mais cette influence ne nous paraît pas
dominante par rapport aux courants précédents. Il s’agit plutôt d’un « air
du temps » prévalant chez les mystiques affectifs. Madame Guyon est
d’ailleurs plus tributaire des figures « pré-quiétistes » de Grégoire
Lopez (1542-1596) et de Falconi (1596-1638) que de la Guia espiritual de
Molinos (1628-1696)[3].
Les
éditeurs du XVIIIe siècle avaient pour but de fournir aux disciples
une nourriture préparant à l’oraison[4]. Ils évitent d’indiquer
les noms des correspondants et suppriment toutes les dates et confidences
intimes [5]. Ils effectuent très
probablement un tri dans leurs sources en ne conservant que les lettres qui
traitent de sujets spirituels.
L’éditeur
Poiret adopte la répartition classique des trois voies de purification,
d’illumination, d’union. Cette division tripartite est devenue traditionnelle
dans la voie mystique avant même que Hugues de Balma ne l’adopte comme
plan de sa Théologie mystique. Cette division avait été reprise pour la
correspondance de Jean de Bernières (1602-1659) [6] en « Lettres
pour la vie purgative, lettres pour la vie illuminative, lettres pour la vie
unitive ». Elle convient donc aussi à Madame Guyon, qui s’inscrit
dans le courant issu
[3] Madame Guyon nie avoir connu Molinos pour des raisons évidentes. Nous trouvons toutefois des points communs entre la Guia - vue sous un jour nouveau depuis l’édition et la présentation de J.-I. Tellechea Idigoras, 1976 - et (par exemple) le Moyen court. La Guia elle-même copie parfois trop fidèlement Falconi, dont la célèbre lettre prend place auprès d’écrits de Madame Guyon et du P. Lacombe dans les Opuscules spirituels, édités par Poiret en 1720. Notons que Joseph de Jésus Maria Quiroga (1568-1628), fidèle défenseur de Jean de la Croix, frère Laurent (1614-1691), apprécié de Fénelon, la Mère du Saint-Sacrement ou Catherine de Bar (1614-1698), « une sainte » aux yeux de Madame Guyon, la Mère Bon (1636-1680), furent suspectés de quiétisme.
[4] Ainsi de nombreux exemplaires de la Vie édités par Poiret transitent par l’intermédiaire du Dr. Keith de Londres, figure connue de nombreux intellectuels de l’époque, qui se charge d’en assurer la distribution, tout particulièrement chez les disciples écossais (Henderson, Mystics of the North-East, Aberdeen, 1934).
[5] « Les copies qui nous en sont tombées entre les mains étaient sans noms », affirme Poiret en préface, ce qui ne veut pas dire qu’il les ignorait : un copiste tel que Dupuy lui survivra longtemps.
[6] Bernières, Les Œuvres spirituelles […] seconde partie contenant les lettres…, divisée elle-même en trois parties : « Lettres où les maximes et avis spirituels pour la vie purgative sont mis en pratique » ; « …pour la vie illuminative… », « …pour la vie unitive… » . Les lettres seules couvrent 528 pages dans l’édition de Paris, Veuve Martin, 1675.
de
Bernières par l’intermédiaire de Bertot. Les trois voies sont utilisées comme classement des
lettres au sein de chaque volume de petit format édité par Poiret : un tel
« livre de poche » peut ainsi être médité indépendamment des autres
parce que les lettres qu’il contient couvrent entièrement le chemin mystique.
Nous avons conservé ce modèle tripartite de répartition et les séquences
organisées par Poiret, en les regroupant simplement au sein de chacune des
trois voies puisque nous éditons quatre volumes en un seul.
Les
thèmes de la vie mystique sont seuls présents. Un grand nombre de lettres
furent écrites après l’épreuve des prisons : la « dame directrice »
est maintenant âgée et un certain élan, voire l’exubérance, a disparu chez
elle. Elle assure, pendant les quatorze années qui lui restent à vivre,
une direction auprès de disciples beaucoup plus jeunes, dont les problèmes se
ressemblent. Elle est maintenant très loin des difficultés antérieures et très
enfoncée dans un état mystique immuable. Elle ne peut que répéter
inlassablement ce qui, pour elle, est devenu si évident et si simple :
abandonnez-vous à la grâce, et c’est tout ! Tout ceci explique une
certaine « distance » : elle est passée très au-delà des
problèmes qui agitent ses correspondants et son amour inlassable les aide à les
surmonter avec une grande douceur et une large tolérance.
Demeure
finalement une grande simplicité propre à la vie mystique totalement unifiée.
Cette simplicité se retrouve de même chez Marie de l’Incarnation (1599-1671) à
la fin de sa vie, pour citer un exemple assez proche dans le temps, participant
au même réseau spirituel autour de Bernières.
La plus grande partie
de ce volume reprend les éditions du XVIIIe siècle qui se trouvèrent
être jusqu’à maintenant les seules sources imprimées de lettres de Madame
Guyon, pour les lettres anonymes et non datées : Lettres chrétiennes et
spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, ou l’esprit du
vrai christianisme, Cologne [Amsterdam], [Pierre Poiret], J. de La Pierre,
4 tomes, 1717-1718, reprises très fidèlement en Lettres chrétiennes et
spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, ou l’esprit du
vrai christianisme. Nouvelle éd. enrichie de la correspondance secrète de M. de
Fénelon avec l’auteur, [Jean-Philippe Dutoit], Londres [Lyon], 1767-1768, 5
tomes. Elles ont été présentées au début de notre premier volume,
« Description des sources ».
L’Avertissement
de P. Poiret nous renseigne sur l’élaboration des quatre volumes de Lettres
:
« On ne saurait dire à qui elles ont été écrites,
puisque les copies qui nous en sont tombées entre les mains étaient sans noms.
Cependant ceux qui nous les ont fait tenir, et qui ne se sont point nommés
eux-mêmes, nous ont averti qu'une bonne partie avaient été écrite à des
personnes très considérables [...] Le nom de l'auteur ne s'y trouvait pas non
plus [...] Au reste, elles n'avaient point de dates, excepté quelques-unes, qui
nous font conjecturer en général qu'elles ont été écrites quelques cinq ou six
ans avant et après l'année quatre-vingt et neuvième du dernier siècle.
Comme il y en avait un trop grand nombre pour n'en faire
qu'un seul volume on les a partagées en plusieurs, et pour y observer quelque
sorte d'ordre, on a divisé chaque volume en trois parties, à la première
desquelles on a rangé les lettres dont les sujets ont le plus de rapport à
l'état des commençants ; à la seconde, celles qui regardent un état plus
avancé; et à la troisième, les autres qui désignent un progrès qui va encore
plus loin. [...] [7]. »
On
note la juste prudence de Poiret dans les appellations de ces parties
(« …Un progrès qui va encore plus loin »), que nous reprenons pour
titres. Il n’est pas
judicieux de tenter un regroupement plus fin au sein de chaque sous-ensemble
élémentaire [8] compte tenu de l’existence de courtes
séries que nous rencontrons ici ou là, de lettres qui se suivent, adressées à
un même correspondant inconnu.
[7] Lettres…, tome premier, §7-8, p.XXVI-XXVIII.
[8] Soit par exemple la séquence des lettres de la voie illuminative du second des quatre volumes (le cinquième volume de l’édition Dutoit, consacré à Fénelon, etc. ne présentant pas une telle distribution). Il y a 4 x 3 = 12 tels sous-ensembles.
Cet
ensemble est allégé des lettres dont on connaît les destinataires par l’Indice de Dutoit donné au tome
cinquième de son édition des lettres, ces
dernières ayant été reprises, lorsqu’il n’y avait pas d’autre source
manuscrite, dans les séries de directions spirituelles de notre premier volume.
A
cette ensemble allégé, s’ajoutent les vingt et une lettres publiées en
1726 dans le Directeur Mystique et reprises à la fin du cinquième tome
de Dutoit, quelques lettres étrangères aux éditions de Poiret et de Dutoit,
provenant de manuscrits que nous n’avons pas édités jusqu’ici ; enfin la belle lettre de la « païsane ».
L’édition Dutoit est très fidèle, au point de
respecter la pagination de Poiret malgré son format différent, mais s’avère
plus complète. Une description complète est donnée dans notre premier volume.
Nous indiquons ici ce que nous avons repris ici de ses cinq tomes :
Tome I : « Avertissement [cité ci-dessus] qui était à la tête de l’Édition de Hollande, sous le nom de Cologne », [Poiret], p. XIX-XXVIII. […] Lettres I à CCXL , [classées en trois parties et dans chaque partie par thèmes spirituels] p. 1-694.
Tome II : Lettres I à CC, [classées en trois parties sans subdivision thématique], p.1-614.
Tome III : Lettres I à CLVI, [classées en trois parties], p. 1-694.
Tome IV : Lettres I à CXVI, [classées en trois parties], p. 1-403.
Tome V :
« Lettre accessoire […] d’une païsane de la connaissance de Mad.
G. », p. 169-188. […] « Quelques lettres spirituelles de Madame Guyon
telles qu’elles se trouvent dans le volume IV des œuvres de Mr. Bertot », p. 464-559.
Nous
présentons en premier les lettres dont les destinataires sont connus ou qui
sont datées, ensuite les nombreuses lettres sans dates ni destinataires connus.
Elles formeraient une masse indistincte si nous ne reprenions, comme nous
l’avons déjà indiqué, les trois grandes subdivisions de Poiret. Cela implique
le regroupement au sein de chaque subdivision de contributions provenant tour à
tour de ses quatre premiers tomes.
La
belle « lettre d’une paysanne » ferme la correspondance de Madame
Guyon : elle nous a paru souligner le but qu’elle se proposait, illustré
par son Moyen court, de s’adresser aux humbles comme à ceux de rang plus
élevé dont les noms nous sont parvenus.
Des
Témoignages spirituels complètent ceux, de nature biographique,
qui figuraient à la fin de notre second volume. La plus grande partie est
constituée d’écrits de jeunesse remarquables par la lumière qu’ils jettent sur
les débuts d’un chemin mystique. Le plan du volume est le suivant :
Introduction.
Lettres spirituelles.
Lettres dont les destinataires
sont connus, ou datées :
I. Lettres à Fénelon.
II. Lettres au marquis de Fénelon.
III. Lettres à d’autres correspondants.
IV. Lettres datées.
Lettres sans dates ni
destinataires connus :
I. « L’état des commençants ».
II. « Un état plus avancé ».
III. « Un progrès qui va encore plus loin ».
Lettre d’une paysanne.
Témoignages spirituels.
Annexes et tables.
Index général. - Distribution de l’ensemble de la correspondance. -Table
des illusgtrations. - Table
générale des lettres figurant dans les trois volumes. - Table des matières.
Les
titres des lettres comportent la référence numérique
« [D(utoit).tome.lettre] », en vue de faciliter la recherche d’une
lettre dans les anciennes éditions. A défaut du correspondant et de la date,
nous faisons souvent suivre cette référence du titre courant, le plus souvent
judicieux, donné par les premiers éditeurs. [Parfois nous lui substituons le
nôtre, entre crochets]. Nous omettons en revanche le résumé plus ample qui
figurait en italiques au début de chaque lettre.
La
ponctuation du texte est modernisée ainsi que l’orthographe.
Des membres de phrase,
indiqués entre parenthèses, apparaissent souvent comme des précisions qui ne
s’imposent pas : s’agit-il d’ajout par les éditeurs de parenthèses ou
du texte d’origine ? Madame Guyon utilisait très rarement des
parenthèses et nos premiers éditeurs introduisent rarement des crochets
(que nous reprenons) pour signaler leur intervention ; ainsi le doute
demeure. Nous avons décidé cas par cas.
Les
références bibliques sont reprises des premiers éditeurs qui suivent l’ordre de
la Vulgate. Nous les complétons parfois par la traduction du verset cité si
cela peut aider à éclairer la pertinence de la citation dans le contexte. Nous
utilisons la révision d’Amelote pour le Nouveau Testament et la traduction de
Sacy pour l’Ecriture.
Jeanne-Marie Guyon, Explications de la Bible, L’Ancien
Testament et le Nouveau Testament avec des explications et réflexions qui
regardent la vie intérieure, introduites et annotées par D. Tronc, Paris,
Phénix Editions & hors commerce 2005, 441 p. [tirage limité épuisé ; extraits in
Madame Guyon, Oeuvres mystiques, 355-382]
Nous connaissons bien la vie de madame Guyon grâce à son autobiographie, la
Vie par elle-même, qui nous permet
d’en retracer les différentes étapes.
Née en 1648, la petite fille fut confiée à quatre ans aux bons soins de
religieuses : parmi celles-ci, sa demi-sœur du côté de son père, « si
habile qu’il n’y avait guère de prédicateurs qui composât mieux des sermons
qu’elle », et qui savait le latin, l’éveilla à la vie de l’Esprit. Mais la
jalousie de l’autre demi-sœur religieuse et les réprimandes de confesseurs
assombrirent cette adolescence.
Elle fut mariée à seize ans : « mon mari avait vingt et deux
ans de plus que moi … L’on me tourmentait quelquefois plusieurs jours de suite
sans me donner aucune relâche ». Elle se réfugiait auprès de la Mère Granger :
cette religieuse, belle figure remarquée par l’historien Bremond, fut son
premier guide intérieur. Elle la présenta à Monsieur Bertot (1620-1681), prêtre
et profond mystique, lui-même disciple et confident de monsieur de Bernières
(1602-1659). Puis elle traversa durant sept années une profonde nuit intérieure
dont elle sortit transformée.
Après « douze ans et quatre mois de mariage » son mari meurt avec
courage : « Il me donna des avis sur ce que je devais faire après sa
mort pour ne pas dépendre des gens…» . A trente-deux ans, après avoir
consulté des spirituels, dont le bénédictin Claude Martin, fils de la mystique
Marie de l’Incarnation (du Canada), elle partit “pour Genève” :
« Je donnai dès Paris … tout l'argent que
j'avais … Je n'avais ni cassette fermant à clef, ni bourse. »
A Gex, petite ville proche de la capitale calviniste, on lui proposa d’être
supérieure des Nouvelles Catholiques
qui s’occupaient de petites filles d’origine protestante, mais, dit-elle, « certaines abjurations et certains
détours ne me plaisaient pas ». Elle refusa donc, puis « dépouillée
de tout, sans assurance et sans aucuns papiers, sans peine et sans aucun souci
de l'avenir », elle se rendit à Thonon et composa les Torrents.
Elle fit alors une découverte importante, celle d’« une autre manière de
converser » en union spirituelle
avec d’autres personnes, en particulier avec le P. Lacombe, son
confesseur : « j’apprenais son état tel que je le ressentais, puis
incontinent je sentais qu’il était rentré dans l’état où Dieu le voulait. »
Suivirent des séjours fructueux en Piémont pendant près d’une année, auprès de l’évêque Ripa, qui fut un proche du
cardinal Petrucci, spirituel quiétiste éminent. Elle composa à Verceil
(Vercelli, près de Milan) son commentaire de
l’Apocalypse.
De retour en France à Grenoble, elle recevait de très nombreux
visiteurs, incluant des clercs et des religieuses chartreuses. A leur
intention, elle composa son Moyen court
et ses abondantes Explications… dont
nous présentons un choix dans le présent volume.
A trente-huit ans, en 1686, elle revint à Paris, peu avant que le quiétiste
Molinos ne soit condamné à Rome. Victime de querelles politiques et
religieuses, elle connut bientôt l’épreuve de la prison, ensuite les honneurs
de la Cour, avant d’être de nouveau mise en prison, et cette fois pour de
longues années. Enfin lavée de tout soupçon concernant ses moeurs et libérée,
elle vivra douze années paisibles à Blois, visitée par des disciples français
et étrangers. Elle meurt en 1717, âgée de soixante-neuf ans.
Restée indépendante
vis-à-vis des structures religieuses, elle affirma une autorité spirituelle
auprès de disciples dont le plus célèbre est Fénelon. Bien qu’elle soit devenue
suspecte après les condamnations du « Quiétisme », son influence
spirituelle s’exerça au sein d’un groupe important d’amis mystiques qui lui
restèrent fidèles malgré le danger, tant était grand son rayonnement. Après sa
mort, ses écrits se transmirent, principalement hors de France. Très admirée
chez les protestants, elle ne fut réhabilitée qu’au siècle dernier au sein du
catholicisme [2152].
Madame Guyon témoigne
largement de son expérience personnelle dans sa Vie écrite par elle-même (1682 à 1709) et sa Correspondance. Elle décrit analogiquement le chemin mystique dans
les Torrents (1682), l’indique
simplement dans le Moyen court
(1685), l’analyse plus profondément dans des opuscules écrits tout au long de
sa vie, dont beaucoup furent rassemblés en Discours
chrétiens et spirituels. Enfin son expérience et l’enseignement qu’elle
justifie s’appuient fermement sur la tradition judéo-chrétienne par ses Explications et réflexions qui regardent la
vie intérieure portant sur les deux Testaments (1684), ainsi que sur
l’expérience des principaux auteurs mystiques connus de son temps, dont les extraits
forment le corps de ses Justifications
(1694).
L’ensemble de son œuvre constitue ainsi un solide triptyque qui couvre
un spectre très large : l’expérience, puis la synthèse et la théorie qui en
sont issues, enfin une réflexion fondée sur les deux aspects de la Tradition.
Cette réflexion, formant le troisième volet du triptyque, n’était représentée
jusqu’ici par aucune édition moderne, malgré son volume considérable, couvrant
plus de la moitié de l’œuvre imprimée au XVIIIe siècle. Le choix que
nous présentons pallie cette lacune en ce qui concerne les Explications des deux Testaments.
Les raisons pour
lesquelles elle écrivit ces Explications
ne sont pas explicitées, en dehors d’une injonction intérieure divine, qu’elle
affirme [2153]. Le
récit de sa Vie, seul témoignage
aujourd’hui disponible sur la période grenobloise, relate par contre les
circonstances de leur composition en évoquant parallèlement le « grand
nombre de personnes que Notre-Seigneur » lui faisait aider à cette
époque [2154],
dont « trois religieux fameux […] un grand nombre de
religieuses… » [2155].
Nous supposons donc qu’elle fut amenée à améliorer sa connaissance de
l’Ecriture à la suite de questions qui lui furent posées par des religieux et
des religieuses qui se nourissaient de la parole de Dieu et en cherchaient le
sens intérieur :
Vous ne vous contentâtes pas de me faire parler, mon
Dieu […] Il y avait du temps que je ne lisais plus […] Sitôt que je
commençai de lire l’Ecriture Sainte, il me fut donné d’écrire le passage que je
lisais et aussitôt tout de suite, il m’en était donné l’explication… [2156]
La part la plus
considérable du travail d’écriture eut lieu à Grenoble entre avril 1684 et mars
1685, après un séjour à Thonon et un premier voyage à Turin, mais avant le
second voyage à Verceil, près de Turin, qui fut suivi du retour définitif à Paris en juillet 1686. Elle avait
toutefois rédigé certaines parties auparavant, dont le Commentaire au Cantique [2157] et celui sur l’Apocalypse [2158].
Les circonstances de
la composition de ses Explications
sont décrites dans sa Vie par elle-même,
qui insiste sur leur flux spontané.
Toutefois il ne s’agit pas d’un procédé à la recherche de l’inspiration, telle
que l’écriture automatique des surréalistes : cette rédaction
rapide et sans repentir est liée à un état contemplatif où la justesse d’un
texte et ses multiples implications apparaissent d’autant mieux que l’auteur ne
tente aucune capture volontaire :
…je
voyais que j’écrivais des choses que je n’avais jamais sues […] je ne me
souvenais de quoi que ce soit de ce que j’avais écrit, et il ne m’en restait ni
espèces ni images [2159].
De
cette sorte, Notre Seigneur me fit expliquer toute la Sainte Ecriture. Je
n’avais aucun livre que la Bible, et ne me suis servi que de celui-là, sans
jamais rien chercher [2160].
Vous
me faisiez écrire avec tant de pureté, qu’il me fallait cesser et reprendre
comme vous le vouliez. [...] j’avais la tête si libre qu’elle était dans
un vide entier. J’étais si dégagée de ce que j’écrivais, qu’il m’était comme
étranger. Il me prit une réflexion : j’en fus punie, mon écriture tarit
aussitôt, et je restai comme une bête jusqu’à ce que je fusse éclairée
là-dessus. La moindre joie des grâces que vous me faisiez, était punie très
rigoureusement [2161].
Madame Guyon témoigne
aussi de l’abondance de son inspiration. Car l’agilité intellectuelle et
physique peut certes être ralentie par un état contemplatif, mais l’énergie
vitale d’une femme de trente-six ans lui permettait de transcrire rapidement
une dictée intérieure :
Je
continuais toujours d’écrire, et avec une vitesse inconcevable, car la main ne
pouvait presque suivre l’Esprit qui dictait et, durant un si long ouvrage, je
ne changeai point de conduite, ni me servis d’aucun livre. L’écrivain ne
pouvait, quelque diligence qu’il fît, copier en cinq jours ce que j’écrivais en
une nuit. [...]
Au
commencement, je commis bien des fautes, n’étant pas encore stylée à
l’opération de l’Esprit de Dieu qui me faisait écrire. Car Il me faisait cesser
d’écrire lorsque j’avais le temps d’écrire et que je le pouvais commodément; et
lorsqu’il me semblait avoir un fort grand besoin de dormir, c’était alors qu’Il
me faisait écrire. Lorsque j’écrivais le jour, c’était des interruptions
continuelles, car je n’avais pas le temps de manger, à cause de la grande
quantité de monde qui venait : il fallait tout quitter sitôt que l’on me
demandait ; et j’avais pour surcroît la fille qui me servait dans l’état dont
j’ai parlé, qui sans raison me venait interrompre à tout coup, selon que son
humeur la prenait. Je laissais souvent le sens à moitié fini sans me mettre en
peine si ce que j’écrivais était suivi ou non [2162].
Les pages les plus
belles, certaines interprétations originales et profondes restent enfouies dans
cet ensemble, dont elle explique comme suit le caractère inégal :
Toutes les fautes qui sont dans mes écrits viennent de
ce que, n’étant pas accoutumée à l’opération de Dieu, j’y étais souvent
infidèle, croyant bien faire de continuer d’écrire lorsque j’en avais le temps
sans en avoir le mouvement, parce qu’on m’avait ordonné d’achever
l’ouvrage [2163]
: de sorte qu’il est aisé de voir des endroits qui sont beaux et soutenus, et
d’autres qui n’ont ni goût ni onction [2164].
La presque totalité
des livres des deux Testaments est couverte sans omission à l’exception de
certains versets. Ceux qui sont largement expliqués constituent des
points de départ à l’interprétation de divers aspects pratiques touchant à la
vie intérieure, conformément au titre. Tous les passages font
correspondre les événements rapportés par la Bible au vécu mystique. Le texte sacré devient ainsi une source
d’inspiration pour les « chrétiens intérieurs » qui le réalisent.
Cet ensemble est
demeuré dans l’oubli par suite de son volume considérable et de son utilisation
des textes qui reste dans la ligne traditionnelle des commentaires à visée
spirituelle. En effet, compte tenu du but tout intérieur de Madame Guyon, qui
recherche dans le texte sacré l’expression d’une vie intérieure mystique, les
problématiques modernes d’analyse biblique ouvertes par B. Spinoza [2165] et
R. Simon sont ignorées. Madame Guyon s’inscrit dans la longue tradition des
Pères de l’Eglise aussi bien que des auteurs juifs, tout en privilégiant le
vécu mystique :
Les Saintes Ecritures ont […] beaucoup de sens
différents. Les grands hommes qui ont de la science se sont attachés au sens
littéral et à d’autres sens. Mais personne n’a entrepris, que je sache,
d’expliquer le sens mistique ou intérieur, du moins entièrement [2166].
On sait comment cette
tradition a été remplacée durant ces trois derniers siècles par le travail
critique d’historiens et interprètes modernes qui ont rétabli des textes exacts
et ont éclairé leur genèse. Mais revenir à des interprétations visant au sens intérieur permet de ne pas négliger le
sens profond voulu par des auteurs qui par ailleurs ne recherchaient guère une
exactitude historique et ne peuvent donc faire l’objet d’une interprétation
littérale.
L’interprétation
mystique des textes sacrés chrétiens a disparu de fait très souvent de
l’horizon de traducteurs modernes. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, madame
Guyon commente ainsi l’évangile de Marc, au chapitre I :
…La perfection consiste à connaître que nous avons
Dieu en nous, à L’y chercher et à L’y trouver. Jésus-Christ nous apprend que le royaume de Dieu est en nous [2167].
La traduction TOB de Luc 17, 21 diffère de cette traduction : “…En effet, le Règne de Dieu est
parmi vous”. Elle est accompagnée de
la note explicite suivante, qui traduit une orientation toute extérieure,
mettant en valeur l’assemblée des croyants :
On traduit parfois : en vous, mais cette traduction a l’inconvénient de faire du Règne
de Dieu une réalité seulement intérieure et privée. Pour Jésus, ce Règne qui
concerne tout le peuple de Dieu est présent en fait dans son action de salut
(cf. 11, 20). Il est à votre portée [2168].
Face à cette tendance extravertie et communautaire, le commentaire de
madame Guyon prend le parti-pris obstiné de ne faire apparaître que la
richesse intérieure du texte biblique. A ce titre, il clôt une précieuse
tradition d’interprétations et peut encore alimenter la vie spirituelle de nos
contemporains.
Nous découvrirons dans les textes présentés ici une façon originale de lire
« la Bible » : d’une part, elle diffère de l’interprétation
traditionnelle qui s’attachait au sens littéral, et qui perdure de nos jours au
sein de certaines congrégations protestantes ; d’autre part, elle néglige
totalement l’approche critique scientifique, où le texte est interprété aux
seules lumières des contraintes historiques et sociales.
La primauté de l’expérience sur la croyance est affirmée catégoriquement
par tous les spirituels, mais les livres des deux Testaments demeurent ici des révélations sacrées, comme le pensait
la très grande majorité des hommes au XVIIe siècle et comme
l’imposait la religion chrétienne. Chez madame Guyon, l’interprétation de
l’expérience à l’intérieur de la foi chrétienne apparaît profonde et cohérente.
Les versets bibliques sont compris comme des témoignages de contacts vécus par
leurs rédacteurs avec le Plus grand que soi, l’Inconnaissable, l’Immense,
désigné ici tout au long par le mot « Dieu », et associé pour
elle-même au médiateur Jésus-Christ. Souvent elle interprète ces versets de
façon à décrire la voie mystique, parfois au prix d’une liberté prise dans
l’interprétation analogique. On retrouve rarement une approche similaire chez
les spirituels chrétiens et juifs, pour lesquels le texte est parfois considéré
comme un témoignage, mais presque jamais comme la description d’une échelle
mystique [2169].
Les récits bibliques ne se situent plus dans l’histoire, mais présentent
les étapes du retournement, du cheminement difficile vers le
« cœur », « l’intérieur », le centre où le Divin réside et
Se manifeste à l’homme. La Bible traduit ainsi une expérience intime qui
se renouvelle d’âge en âge et, par là, le commentaire guyonnien garde une
valeur intemporelle.
Madame Guyon, tout en dialoguant librement avec Dieu, écarte toute
manifestation particulière excessive, « mystique » dans le sens que
l’on prête trop souvent à ce terme, lorsqu’il est réifié en un substantif
associé à des phénomènes (visions, sensations…) [2170] qu’elle
considère comme dangereux ou négligeables. Elle n’attache de prix qu’à
l’expérience du grand fond où les âmes mystiques :
...ne peuvent rien distinguer de Lui. C’est comme une
personne qui vit dans l’air et le respire sans penser qu’elle en vit et qu’elle
le respire, à cause qu’elle n’y réfléchit pas. Ces âmes, quoique toutes
pénétrées de Dieu, n’y pensent pas, parce que Dieu leur cache ce qu’elles sont
: c’est pourquoi
on appelle cette voie « mystique », qui veut dire secrète et
imperceptible [2171]…
Elle utilise cependant
avec précision son expérience intime pour comprendre le sens profond du texte
sacré. Elle le fait ainsi revivre, parce qu’il est éclairé par un vécu
personnel similaire à celui que transcrivit le rédacteur dans des formulations
et par des images adaptées à son temps. En ce sens, elle s’approche
probablement de plus près de l’intention de l’écrivain sacré que ne le font des
commentaires modernes, souvent anachroniques par leur orientation
historicisante. On note enfin que madame Guyon ne décrit jamais son vécu
directement, car elle est sobre quant il ne s’agit pas seulement d’elle-même,
et qu’elle se méfie de tendances au prophétisme ou au millénarisme.
Expliquer les divers
écrits sacrés comme des expressions
d’une même vérité humaine d’expérience
intérieure est peut-être devenu la
seule approche acceptable par notre époque : une explication se soumet à ce qui
apparaît comme raisonnable et l’autorité de l’expérience subordonne les
croyances au vécu. Le lecteur trouvera toujours une telle approche chez madame
Guyon.
L’ensemble des Explications et réflexions qui regardent la vie intérieure couvre douze tomes
pour l’Ancien Testament et huit tomes pour le Nouveau Testament, représentant
au total près de huit mille pages et constituant un ensemble textuel de deux
millions de mots.
Les deux éditions du
XVIIIe siècle par les pasteurs Poiret [1714-1715] puis Dutoit
[1790] sont devenues très
rares [2172] ; aucune édition, même
partielle, n’a été faite postérieurement [2173]. Les vingt tomes de l’ensemble des Explications correspondent à la moitié
de l’œuvre de madame Guyon publiée par Pierre Poiret en trente-neuf tomes, puis
rééditée très fidèlement par Dutoit en quarante tomes (par adjonction du tome
de la correspondance « secrète » avec Fénelon). On se reportera
à la description détaillée de l’édition Poiret, que nous avons utilisée,
en fin de ce volume : « Annexe I :
Edition par Poiret de L’Ancien Testament et le Nouveau Testament avec des
explications et réflexions qui regardent la vie intérieure. »
Se pose le problème des sources de la traduction utilisée pour les textes
bibliques. Ce problème technique, qui n’est que partiellement résolu, fait
l’objet de l’ « Annexe
II : Les deux Testaments utilisés dans les Explications. »
Nous n’avons pas introduit d’index : on se reportera aux tables établies
par Poiret et ses collaborateurs : elles accompagnent l’intégrale des Explications dans notre reproduction des
photographies numériques de cet ensemble, en un DVD qui sera disponible
prochainement.
Nous reprenons, à la
suite des éditions du XVIIIe siècle, l’ordre de la Vulgate (repris par exemple par la
traduction de Lemaître de Sacy). Nos extraits sont précédés de la citation du
ou des versets du texte sacré commenté, même si nous omettons parfois un long
développement séparant le dernier verset cité du début de l’extrait.
Le choix présent, qui correspond au
vingtième environ du volume total des Explications,
nous paraît suffisant pour illustrer les principaux thèmes mystiques
constamment repris par madame Guyon.
Certains livres sacrés
ont été favorisés : ainsi nous donnons in-extenso
le commentaire de la Genèse, où
le lecteur trouvera un ensemble complet des commentaires aux premiers versets,
de façon à lui permettre de se faire une idée de la progression habituelle à
madame Guyon et de respirer le parfum ample et tranquille qui caractérise en général
son œuvre. Un parallèle est ici mené de bout en bout entre le vécu dans la voie
mystique et le récit biblique : c’est l’intérêt et l’originalité de ce
commentaire résolument « intérieur ».
A l’inverse, le
commentaire du Cantique, composé
séparément, a été omis, puisqu’il a été réédité récemment [2174]. Pour les autres commentaires apportés aux
livres constituant les deux Testaments,
nous nous limitons en général à des extraits, parfois elliptiques. Nous n’avons
pas cru pouvoir supprimer les crochets entourant les points de suspension qui
signalent toutes les omissions ;
mais la gêne apportée à la lecture demeure limitée par une certaine lenteur
requise pour apprécier un contenu qui demeure toujours expérimenté par la
personne de l’auteur.
L’orthographe est
modernisée. La ponctuation - trop abondante dans l’édition de Poiret, très
certainement absente dans les manuscrits aujourd’hui disparus - est nôtre. Nous
utilisons des majuscules, parfois abondantes, pour éclairer le dialogue
permanent entre Dieu et l’homme de foi. Nous indiquons entre crochets, au début
de chaque nouvelle pagination, les tomes de l’édition Poiret, ses paginations
(qui ne sont pas toujours réinitialisées d’un tome au suivant !), et bien
sûr nos omissions qui rendent ce texte plus lisible pour notre temps [2175].
Enfin nous reproduisons en italiques les versets cités ainsi que leurs reprises
dans les commentaires [2176].
Quelques extraits de
l’Avertissement et de la Préface générale qui éclairent le but
poursuivi, précèdent les premières Explications
relatives à la Genèse.
A la fin de cette
introduction, signalons au lecteur pressé quelques commentaires qui paraissent
remarquables :
Genèse, ch. I, v. 1, Dieu créa le
ciel et la terre, réf. dans le texte [2-3] ; ch. I, v. 18, … pour diviser la lumière d’avec les ténèbres…,
[15-16] ; ch. XXVIII, v. 16, Jacob
étant éveillé de son sommeil… , [165] ;
II Rois, ch. VII, v. 26, … la maison
de votre serviteur David sera établie…, [390-391] ; IV Rois, ch. IV,
v. 4, Entrez au-dedans de votre maison…,
[643] ;
Job, ch. IX, v. 29, Mais si après
cela je suis encore méchant, pourquoi ai-je travaillé en vain ? ,
[118] ; ch. XXXIII, v. 29-30, Dieu
fait toutes ces choses … Pour rappeler leurs âmes de la corruption et pour les
éclairer de la lumière des vivants, [255-256] ;
Psaume 32, v. 2, Car la parole du
Seigneur est droite…, [155];
Evangile de Jean, ch. XI, v. 45, Plusieurs
… crurent en Lui, [334] ;
Evangile de Matthieu, (les Béatitudes), ch. V, v. 3, Bienheureux les pauvres d’esprit… ; [65 et sv.] ;
Epître aux Romains, ch. I, v. 17, …la
justice de Dieu … découverte de foi en foi…, [77].
D. Tronc,
« L’expérience ‘quiétiste’ de Madame Guyon », Mélanges Carmélitains,
Téqui éd., vol. 2 (2004), 349-395. [Florilège].
Dans la présentation orale faite en mars 2003
chez les Grands Carmes de Nantes, nous avons évité toute discussion autour du
« quiétisme » en général, car cette étiquette imprécise amalgame les
figures, des plus discutées aux plus sûres, en Espagne, en Italie, en France,
et ceci sur une durée de plus d’un siècle. Notre but était précis : faire
apprécier la profondeur de l’expérience de madame Guyon (1648-1717) par la
lecture de quelques-uns de ses textes, en évitant toute approche érudite
factuelle.
Le contenu du texte issu d’une telle
présentation reflète cette volonté de laisser la parole à Jeanne-Marie Guyon,
fidèle disciple du « petit maître », Jésus-Christ. Après avoir évoqué
sa biographie et le cadre dans lequel elle prit place, nous présentons son
enseignement qui fut exceptionnellement bien préservé et qui s’appuie, outre
l’expérience personnelle, sur la maîtrise de deux traditions chrétiennes :
biblique et mystique. Ensuite un choix
de textes suggère les beautés et la profondeur d’un témoignage qui traduit une
vie intérieure accomplie.
Nous attirons l’attention du lecteur sensible
désirant « connaître » davantage madame Guyon sur les deux annexes
qui complètent ici cette présentation : une bibliographie veut faciliter
la lecture de cette très grande mystique d’expression française tandis qu‘un
tableau des influences commenté indique les relations - dont celle du
Grand Carme Maur de l’Enfant-Jésus - qui la situent dans le droit fil de la
spiritualité de son siècle.
La vie de Madame Guyon
témoigne d’une existence surmontant des résistances variées au prix de
tourments qui laissèrent peu de place à la quiétude. La timidité et le respect
des conventions de la jeune femme avant et au début de son mariage laissent
place à une volonté de fer et à un esprit de liberté qui affronte la coalition
des structures civiles et religieuses de l’époque avec une intelligence dont
témoignèrent amis et ennemis. Elle passe des honneurs de la Cour à la honte des
interrogatoires policiers. Finalement,
après la tempête, demeure chez la vieille dame une vision paisible et ample qui
associe respect de la tradition et liberté des opinions. Le résumé qui suit
reprend souvent, sous forme de courtes citations entre guillemets, les
expressions utilisées par Madame Guyon dans la Vie écrite par elle-même,
dans le récit des prisons, dans les témoignages de disciples :
La petite fille est
confiée à quatre ans aux bons soins de religieuses. Eveillée, elle sait comment
éviter le simulacre de martyre joué par ces dernières, en leur
objectant : « Il ne m'est pas permis de mourir sans la permission de
mon père ! » Livrée à elle-même lorsqu’elle
retourne dans sa famille, elle va « dans la rue avec d'autres enfants
jouer à des jeux qui n'avaient rien de conforme à sa naissance. » Sa
demi-sœur religieuse du côté de son père, « si habile qu’il n’y avait
guère de prédicateurs qui composât mieux des sermons qu’elle » - et qui
savait le latin - l’éveille à la vie de l’esprit. Mais la jalousie de l’autre
demi-sœur religieuse et les réprimandes de confesseurs assombrissent cette
adolescence.
Elle est mariée à
seize ans : « mon mari avait vingt et deux ans de plus que moi, je
voyais bien qu'il n'y avait pas d'apparence de changer … outrée de douleur, il
n'y avait que six mois que j'étais mariée, je pris un couteau, étant seule,
pour me couper la langue … J'eus quelque temps un faible que je ne pouvais
vaincre qui était de pleurer … L’on me tourmentait quelquefois plusieurs jours
de suite sans me donner aucune relâche … Je m'en plaignais quelquefois à la
Mère Granger [2177] qui me disait : « Comment les contenteriez-vous, puisque
depuis plus de vingt ans je fais ce que je peux pour cela sans en pouvoir venir
à bout » ? »
Après « douze ans
et quatre mois de mariage » son mari meurt avec courage : « Il
me donna des avis sur ce que je devais faire après sa mort pour ne pas dépendre
des gens… ».
A trente-deux ans elle
se libère et part pour Genève : « Je donnai dès Paris … tout l'argent que j'avais … Je n'avais ni
cassette fermant à clef, ni bourse. » A Gex « l’on me proposa
l'engagement et la supériorité » des Nouvelles Catholiques. Mais
« certaines abjurations et certains détours ne me plaisaient pas ».
« Dépouillée de tout, sans assurance et sans aucuns papiers, sans peine et
sans aucun souci de l'avenir », elle compose à Thonon les Torrents :
« Cela coulait comme du fond et ne passait point par ma tête. Je n'étais
pas encore accoutumée à cette manière d'écrire … je passais quelquefois les
jours sans qu'il me fût possible de prononcer une parole... » Mais elle
découvre « une autre manière de converser », en union avec le P. Lacombe :
« j’apprenais son état tel que je le ressentais, puis incontinent je
sentais qu’il était rentré dans l’état où Dieu le voulait … Peu à peu je fus
réduite à ne lui parler qu'en silence. » Suivent des séjours fructueux en
Piémont pendant près d’une année, puis à Grenoble.
A trente-huit ans elle
revient à Paris, au moment où le quiétiste Molinos est condamné à Rome. Des
jalousies entre religieux « firent entendre à Sa Majesté que le père Lacombe était ami de Molinos … [le
roi] ordonna … [qu’il] ne sortirait point de son couvent … ils résolurent de
cacher cet ordre au père…» qui est finalement arrêté. Quant à elle, « l’on
me signifia que l'on ne voulait pas me donner ma fille, ni personne pour me servir; que je serais
prisonnière, enfermée seule dans une chambre … au mois de juillet dans une
chambre surchauffée. » On veut en fait marier sa fille au neveu de
l’archevêque de Paris. Elle se défend vigoureusement lorsqu’on lui
reproche de prendre Dieu à témoin : « Je lui dis que rien au monde n'était
capable de m'empêcher de recourir à Dieu. »
Libérée, elle quitte
le couvent-prison de la Visitation pour habiter « une petite maison éloignée
du monde. » Elle est active auprès d’un cercle de disciples et à Saint-Cyr
où « Madame de Maintenon me marquait alors beaucoup de bontés ; et
pendant trois ou quatre années que cela a duré j'en ai reçu toute sorte de
marques d'estime et de confiance. » Le duc de Chevreuse lui fait connaître
Bossuet, auquel on communique la Vie écrite par elle-même que ce dernier
« trouva si bonne qu'il lui écrivit qu'il y trouvait une onction qu'il ne
trouvait point ailleurs, qu'il avait été trois jours en la lisant sans perdre
la présence de Dieu. »
Cela ne dure pas. Elle
a quarante-sept ans lorsque commence la seconde période d’épreuve. Elle se rend
tout d’abord d’elle-même au couvent de Sainte-Marie de Meaux où elle conquiert
l’estime de la mère Picard et des religieuses tandis qu’elle est fort menacée
par Bossuet, soumis lui-même aux pressions de madame de Maintenon (les causes
du changement d’attitude de l’épouse secrète du Grand Roi ne sont pas encore
clairement établies : se mêlent l’attitude de Fénelon, la crainte du
scandale, une jalousie spirituelle). Madame Guyon est finalement arrêtée et
enfermée par lettre de cachet à Vincennes : « après neuf ou dix
interrogatoires de six, sept et huit heures quelquefois, [M. de La Reynie] jeta les lettres et les papiers sur la table
… Il fit un dixième interrogatoire où il me demanda permission de rire. »
Elle est transférée dans un couvent-prison à Vaugirard constitué spécialement :
« [la gardienne] venait m'insulter, me dire des injures, me mettre le poing
contre le menton, afin que je me misse en colère.» Il est probable qu’on ait
voulu se débarrasser d’elle à l’aide de vin empoisonné. On bascule de la
contrainte à la terreur : « M. le Curé me dit, un jour, un mot qui me parut
effroyable … qui était qu'on ne me mettait pas en justice parce qu'il n'y avait
pas de quoi me faire mourir … défendant, s'il me prenait quelque mal subit
comme apoplexie ou autre de cette nature, de me faire venir un prêtre. »
Après un chantage exercé sur tous ses proches - sans succès - elle est
embastillée.
L’archevêque de Paris
présente une lettre forgée et attribuée au Père Lacombe : « [M. le
Curé] s'approchant me dit tout bas : On vous perdra ». On la sépare de ses
filles de compagnie qui seront maltraitées : « il y en a encore une
dans la peine [tourment] depuis dix ans pour avoir dit l'histoire du vin
empoisonné devant le juge. L’autre dont l'esprit était plus faible le perdit
par l'excès et la longueur de tant de souffrances, sans que dans sa folie on
pût jamais tirer un mot d'elle contre moi … elle vit présentement paisible et
servant Dieu de tout son cœur. » On les remplace par « une demoiselle
qui, étant de condition et sans biens, espérait faire fortune, comme on lui
avait promis, si elle pouvait trouver quelque chose contre moi. » Les
pressions continuent : « M. d'Argenson vint m'interroger. Il était si prévenu et
avait tant de fureur que je n'avais jamais rien vu de pareil. » Elle subit « plus de vingt
interrogatoires, chacun de plusieurs heures. » Un prisonnier tente le
suicide ? « Il n'y a que l'amour de Dieu, l'abandon à sa volonté …
sans quoi les duretés qu'on y éprouve sans consolation jettent dans le
désespoir … Quelquefois, en descendant, on me montrait une porte, et l'on me
disait que c'était là qu'on donnait la question. D'autres fois on me montrait
un cachot, je disais que je le trouvais fort joli … ma vie me quittait. Je
tâchai de gagner mon lit pour mourir dedans … J'aurais toujours caché mon mal,
si l'extrême maigreur, jointe à l'impuissance de me soutenir sur mes jambes, ne
l'eût découvert. On envoya quérir le médecin qui était un très honnête homme.
L’apothicaire me donna un opiat … Je le montrai au médecin qui me dit à
l'oreille de n'en point prendre, que c'était du poison. »
Elle est libérée à
cinquante-quatre ans. Durant ses dernières années actives à Blois, elle forme
des disciples français et étrangers : « elle vivait avec ces Anglais
[écossais] comme une mère avec
ses enfants. … ne leur interdisait aucun amusement permis, et quand ils s’en
occupaient en sa présence et lui en demandait son avis, elle leur répondait :
Oui mes enfants, comme vous voulez. … Bientôt ces jeux leur devenaient
insipides, et ils se sentaient si attirés au-dedans, que laissant tout, ils
demeuraient intérieurement recueillis en la présence de Dieu auprès
d’elle. » Elle meurt en paix à soixante-neuf ans.
Le contexte était
défavorable par suite de la condamnation de Molinos et, post-mortem, de
« pré-quiétistes » par les Inquisitions italienne et espagnole. Ce
qui nous surprend n'est pas tant le désastre final, prévisible compte tenu de
la disparité des forces en présence, que sa date tardive. En effet, plus de dix
années séparent la condamnation romaine de 1687 de Molinos, de l'isolement
complet de Madame Guyon dans une des huit tours de la Bastille : elle est
ainsi réduite au silence pour une durée comparable.
A notre avis il ne
s’agit pas tant d’une querelle d’idées que du trouble créé par une femme dans
l’ordre social masculin : simple laïque, elle refuse l’entrée en religion
mais dirige des religieux ; bourgeoise, elle détourne les grandes familles
du « couvent de la Cour » (Saint-Simon). Bossuet, au début, semble
sous le charme de la grâce mais, soucieux de sa carrière, il se fait
l’exécuteur de l’épouse du roi. Fénelon voudra concilier les extrêmes et
tentera d’expliquer l’expérience mystique ; acculé, il restera fidèle à
l’expérience intérieure révélée par Madame Guyon et choisira le parti de son initiatrice.
D’autres adopteront un profil bas.
Pour comprendre ces
crises et leur conclusion, il faut tenir compte des conditions concrètes de
l’existence et de la mentalité de l’époque : l’adhésion au catholicisme,
religion unique après la révocation de l’
édit de Nantes, et l’obéissance à un roi absolu, oint de Dieu, sont des
évidences pour tous les Français de cette époque. L’individu est mis en échec
par un système d’inquisition dans sa version « douce » : celle
du confesseur, obligatoire pour tout catholique depuis le concile de Trente,
et qui a le droit de connaître le fond des consciences. Pour Madame Guyon,
son état mystique la rend incapable de mentir ou de biaiser par omission, comme
furent obligés de le faire, un demi-siècle plus tôt, les libertins [2178]. De
plus, chaque événement et chaque personne sont envoyés de Dieu, d’où, sur le
point particulier le plus intime, l’obligation torturante d’obéir au confesseur
qui lui est dévolu.
Le statut féminin de
l’époque impose à Mme Guyon d’exercer une « influence » hors cadre,
ce qui est ressenti comme une résistance plus ou moins secrète, donc suspecte,
et comme une concurrence vis-à-vis de la médiation assurée par les clercs
appuyés sur la discrétion sacramentaire. Même les moins combatifs sont agacés
par la « Dame directrice [2179] ». Mais sa fermeté n'est en rien stoïque :
son origine est toute intérieure, trouvant sa source dans la vie mystique, à
laquelle se soumet, consciemment et entièrement, une nature par ailleurs
volontaire.
Il s'agit de se
laisser entièrement conduire par la grâce divine : c'est le sens profond de la
« méthode » quiétiste, au-delà de la nature particulière d'une
oraison dite passive : dans chaque action, dans chaque état de la vie de
tous les jours, il « suffit » de s’ouvrir à l'action de la grâce pour en être
imprégné [2180].
Toute la « querelle » est vécue par Madame Guyon de cette façon. De même
elle donnait sa Vie à lire, non par égotisme, mais pour que ses amis
voient comment, à chaque instant, autant qu'on le peut, on lâche prise sur
soi-même pour laisser Dieu agir.
La vie de madame Guyon
est assombrie par la condamnation du quiétisme dont cette section présente
sommairement sa dernière phase historique [2181].
Plus généralement, le climat d’intolérance est grand depuis la fracture entre
protestants et catholiques, soutenu par le pouvoir civil et par une opinion qui
veut éviter tout risque de retour aux terribles luttes d’origine religieuse si
proches (décennies 1560 en France et 1630 en Allemagne). Il s'agit ici
d’un phénomène de recherche de cohésion sociale plutôt que de véritables
divergences dogmatiques (mais il est facile d’établir des listes de
propositions hétérodoxes).
Le
« quiétisme » est le nom que prend au dix-septième siècle la
résistance de nombreux mystiques dans le monde catholique. Il est symétrique de
« piétisme » dans le monde protestant [2182].
Des liens s’établiront d’ailleurs par la suite entre ces deux tendances vers un
« christianisme intérieur » sans structure humaine bien définie, par
exemple au travers de disciples de Madame Guyon hollandais et suisses.
Nous renvoyons aux
études de J. Le Brun et E. Pacho [2183].
La première trace de « quiétisme » italien est ainsi décrite :
Au début de 1671, l'inquisiteur de Casale Monferato communique au Saint-Office la dénonciation concernant un médecin français, Antoine Girardi (ou Grignon) ; il enseigne ... « une nouvelle manière de faire oraison, qu'il appelle oraison de silence et de quiétude » ... selon la manière que prône la religieuse ursuline Marie Bon du diocèse de Vienne en Dauphiné ... le foyer ne disparut pas ... il s'étendit ... sur la Riviera à l'ouest de Gênes (1675) [2184].
Lorsque le quiétisme
devient une cause controversée, après le succès retentissant de la Guia
espiritual de Molinos dont huit éditions italiennes voient le jour de 1675
à 1685, un équilibre parait encore possible, évitant un
« crépuscule » des mystiques en terre catholique. Innocent XI cherche
d’ailleurs un accord entre
« méditatifs » et « contemplatifs ». Mais la situation
favorable à Molinos se détériore assez brusquement, tout comme avait été rapide
son ascension : il est emprisonné le 18 juillet 1685 tandis que sa Guia
sera condamnée par l’Inquisition espagnole le 24 novembre de la même année [2185].
Ce quiétisme
méditerranéen était connu de Madame Guyon. Elle passe par Marseille et
rencontre Malaval. Elle décrit dans la Vie comment la défunte Mère Bon
lui apparaît en songe avant son départ pour Gex. Plus tard elle séjourne près
d’un an en Piémont, à Turin et dans le diocèse de Verceil, où, en compagnie du
P. Lacombe, ce dernier maniant mieux l’italien que le français, elle se lie
avec l’évêque Ripa : ils entreprennent un apostolat commun [2186].
C’est dans un cadre
international troublé qu’en 1686 Madame Guyon arrive à Paris. En 1687, Molinos
emprisonné depuis deux ans, est officiellement condamné à Rome par la bulle Coelestis
Pastor, comme « quiétiste ». En même temps est condamné post-mortem
Jean de Bernières (1602-1659), dont on n’ignorait pas à l’époque l’influence
déterminante sur le cercle de Montmartre animé par le confesseur Jacques Bertot
(1620-1681), cercle repris par Madame Guyon à son retour de voyages.
Tout ce combat pour
quelles « idées » ? Que recouvre pour les critiques
français l’étiquette de quiétiste ?
« Une
des références de l'antiquiétisme en France est le texte de la bulle Coelestis
Pastor, imprimé en latin et en français dès l'automne 1687 ... la thèse
essentielle des quiétistes serait, d'après la bulle, une définition de la
« voie intérieure », « voie unique », par l'annihilation
des puissances ... ni connaissance, ni souvenir de Dieu, ni de soi, ni rien de
propre, ni images ... la négation ne porte pas sur l'objet (récompense,
châtiment, mort, éternité, salut, etc.) mais sur la démarche du sujet, démarche
d'ordre psychologique, devant l'objet de la foi : il ne doit pas
« penser » à ces objets, ne doit pas en avoir souci ou espérance ...
[ce qui exprimerait] un retour du sujet sur soi-même, une volonté propre, un
amour propre [2187]. »
Les protagonistes de
la querelle ont comme perspectives la question de la cessation des actes, et
celle de l'absence possible de toute pensée pendant l’oraison. C’est alors que
l’inaction prend son sens moderne de perte de temps, alors qu'il s'agit
d'action intérieure mystique, in-action [2188].
Les uns, s’attachent à une représentation intellectuelle, les autres, dans la
tradition transmise par Benoît de
Canfeld, font intervenir la volonté, la fine pointe de l’âme chère à François
de Sales, ou « cœur », siège de la volonté :
« Mme
Guyon met l'oraison du coeur au-dessus de « l'oraison de seule
pensée » (p.5 [du Moyen Court]), car la pensée est discontinue,
l'esprit ne pouvant penser à une chose qu'en cessant de penser à une autre,
tandis que l'oraison du cœur n'est point interrompue [...] tandis que Bossuet
s'oppose, comme Nicole, à une foi nue et à un amour qui ne reposerait sur une
connaissance, tout en refusant à la fois un retour sur soi et un retour sur une
simple présence de Dieu. Les « actes intérieurs » sont produits par
l'attention, et, selon Bossuet, disposent à l'attention [...] conception de
l'abandon comme acte [2189]. »
Ainsi l’opposition
naît de la diversité des expériences intérieures. Certains analystes modernes
s’attachent à distinguer entre les couches successives de conscience atteintes
par des « plongées » plus ou moins profondes – avec le risque de se limiter
à l’humain décrit au niveau conscient ou approché au niveau de
l’« inconscient » des rêves, etc. Pour notre part, nous y voyons des
expériences liées à un lent « progrès » intérieur, rendu possible
lorsque s’exerce une influence qui se situe au-delà de l’humain, la grâce
divine.
Au niveau sémantique,
quiétisme renvoie à « l’oraison de quiétude » qui se distingue de
« l’oraison discursive » : Quiroga, un disciple mystique de Jean
de la Croix, éclaire ces points :
« La
contemplation est parfaite, elle s'exerce non seulement au-dessus de la raison,
mais aussi sans appui sur elle, lorsque l'entendement connaît par la lumière
divine les choses que n'atteint aucune raison humaine […] Beaucoup de
contemplatifs pratiquent le premier point, c'est-à-dire abandonner tous les
actes de la raison, se dépouiller de toutes les similitudes de la connaissance
naturelle, et entrer sans tout cela en l'obscurité de la foi comme Moïse dans
la nuée qui recouvrait le sommet de la montagne ; mais se reposer là comme lui
en totale quiétude d'esprit, bien rares sont ceux qui s'y adonnent : au
contraire, en cette obscurité, l'intention de leur esprit est appliquée à la
connaissance, leur entendement cherchant à toujours reconnaître son propre
acte, quand même serait-ce en cette obscurité de foi. Et cette démangeaison et
ce mouvement qui consiste à vouloir reconnaître toujours son propre acte en y
inclinant l'intention de l'esprit, s'opposent à ce que nous avons vu par
ailleurs de la doctrine de saint Denys : non seulement l'entendement doit
abandonner toutes les choses créées et leurs similitudes, mais il doit aussi
s'abandonner lui-même en se mettant en quiétude quant à toute son opération
active, aussi élevée soit-elle, afin d'être mû par Dieu sans attache ni
résistance de sa part [2190]. »
Il faut aller au-delà
de la distinction entre des types d’oraison. Il s'agit d'inclure toute la vie,
aussi bien extérieure qu’intérieure. Un grand calme déborde peu à peu des temps
d’oraison, signe de l'imprégnation par la grâce, qui est une émanation de l’amour
divin, « sous forme d’énergie » dirions-nous aujourd'hui, par in-action,
attitude d’ouverture à la source intérieure. Alors l’attention au chemin, aux
étapes, aux ruptures, laisse place à l’état de grand large, le vaisseau ayant
atteint l’océan sans rivage. Ainsi madame Guyon décrit « l’état
apostolique » :
« Cet
état néanmoins n’est point une sortie de la créature au dehors pour parler,
agir et produire les effets de la vie apostolique.
L’âme n’y a point de part : elle est morte et très anéantie à toute opération.
Mais Dieu, qui est en elle essentiellement en Unité
très parfaite où toute la Trinité en distinction personnelle Se trouve réunie,
sort Lui-même au-dehors par Ses opérations : sans cesser d’être tout au-dedans et sans quitter l’unité du Centre, Il se
répand sur les puissances, faisant par elles et avec elles [2191]
…»
L’intérêt des écrits
de Jeanne Guyon vient non seulement de leur valeur intrinsèque mais aussi de
leur excellente préservation assurée par l’édition entreprise de son vivant par
le pasteur Poiret et par la sauvegarde des nombreux manuscrits rassemblés à
l’époque de la querelle du quiétisme, en particulier par les évêques juges des
rencontres d’Issy. En fait on possède l’essentiel de ce qu’elle a écrit, ce qui est tout à fait exceptionnel [2192].
L’abondance et la
spontanéité de l’auteur, qui livre des informations ordinairement tenues
cachées parce qu’elle ne prévoyait pas leur publication, ainsi que l’absence
d’une mise en forme par souci de ne pas interférer avec la spontanéité de
l’inspiration, ont nui à leur appréciation. On y ajoutera d’autres causes : vu
du monde catholique, le rôle « détestable » des éditeurs, les
ministres protestants Poiret et Dutoit, la présence parmi les proches de la fin
de sa vie à Blois de nombreux Ecossais, Hollandais, Suisses - qu’elle n’incite
d’ailleurs pas à se convertir au catholicisme mais au « petit
maître » intérieur, Jésus-Christ ; vu du monde protestant, l’équivoque
d’une femme qui s’est occupée au début de sa vie publique de Nouvelles
Catholiques converties après la révocation de l’édit de Nantes, et qui n’a
jamais rejeté les messes et les sacrements ; s’y ajoutent le scandale et
l’ « indiscrétion » d’écrits qui ne sont pas restés
confidentiels, abordant librement des sujets tels que la transmission
silencieuse, le rôle apostolique du mystique, la formation mystique des
« enfants intérieurs », l’absence de fausse humilité. C’est une cause
profonde probable, sinon de la
condamnation, du moins de la discrétion de défenseurs qui éprouvent une
gêne [2193].
S’ajoutent bien entendu une mise en cause de la fonction cléricale [2194],
l’insatisfaction de Madame de Maintenon, la servilité et la brutalité de
Bossuet, la condamnation plus politique que théologique des Explications sur
les maximes des saints [2195].
Un très large spectre
est couvert et offre trois approches de la vie mystique, ce qui constitue un
cas unique à notre connaissance.
1. En premier lieu,
les témoignages de sa vie et de son expérience intérieure. Ils sont
remarquables par une grande acuité psychologique propre au siècle de Racine et
par un fort désir de comprendre ce qui lui arrive, dont elle ne trouve pas
autour d’elle une explication satisfaisante. On note, surtout dans des écrits
de jeunesse, une forte volonté appliquée à ne rien laisser échapper de ce qui
lui arrive, défaut dont elle se corrigera ensuite et que l’on ne retrouve plus
dans les textes édités. Elle demeure, dit-on, « bavarde » : en
fait cette abondance est l’effet d’une irruption toute moderne de la dimension
subjective psychologique [2196].
Elle influera des auteurs qui sont sensibles à la dimension intérieure, tels
que Rousseau, Constant, Amiel.
2. En second lieu, un
enseignement est mis en forme dont témoigne le Moyen court qui a atteint
un large public à l’époque, avant sa condamnation, grâce à la simplification
qui caractérise ce texte direct [2197].
Cette simplification vient de l’affranchissement vis-à-vis de tout moyen
préalable qui apparaît comme une condition humaine mise à l’exercice de la
grâce divine et traduit souvent notre volonté d’appropriation. Acquis théologiques et dogmatiques, méthodes
de prières et exercices, sélections sociales ou culturelles sont écartés ; seul
demeure le recours à l’expérience intérieure faisant appel à la médiation du
« petit maître » Jésus-Christ [2198].
Cette simplification permet une ouverture à tous, car la liberté sauvage des
torrents est préférable aux canaux faits
de mains d’hommes. Ceci pouvait faire peur aux hommes de métier, les religieux
dont la médiation est mise en question. A leur décharge, les événements vécus
dans les convulsions de la Réforme et Contre-réforme étaient encore proches et
peu encourageants. Cette remise en cause
par l’intérieur de l’ordre traditionnel sera d’ailleurs appliquée au siècle des
lumières sous une forme subversive qui conduira à des révolutions politiques et
sociales nécessaires mais douloureuses.
Madame Guyon apparaît
chez ceux qui l’ont étudiée soit comme une mystique arrivant trop tard à
l’époque d’une normalisation centralisatrice despotique (Brémond, Cognet), soit
comme veuve libre et décidée constituant un modèle féministe avant l’heure
(Mallet-Joris, Bruneau, etc.), soit
comme religieuse laïque sans Eglise d’accueil (Gondal), soit comme précurseur
de l’union entre catholiques et protestants (thème qui demeure encore inexploité),
avec une indifférence notoire vers la fin de sa vie pour l’appartenance
extérieure à telle ou telle Eglise (elle n’approuve ni Fénelon dans sa
tentative de conversion de Poiret, ni la conversion catholique de Ramsay) sans
pour cela relâcher la vie sacramentelle référée à « notre petit maître ».
Que choisir parmi toutes ces interprétations ?
On cherchera le moteur
qui lui a permis de tenir le cap pendant sa longue existence : la grâce.
Il est au-delà de l’humain mais induit des manifestations physiques, incluant
les phénomènes de transmission, de souffrance par compassion, des aspects
psychologiques (incluant les rêves). C’est une union intime qui, bien loin
d’être un état stabilisé est caractérisé par sa dynamique active orientée vers
les autres, une nouvelle vie féconde, une résurrection au service d’une motion
divine. On voit ici le risque de méprise si le « prophétique » prend
la place de « l’inspiration » selon la distinction donnée plus tard
par Dutoit, un disciple de la fin du XVIIIe siècle, conscient d’une
telle faiblesse possible chez lui. Ce risque s’est traduit historiquement dans
des débordements (revivals, évangélisme) à la mesure de la sclérose des
structures en place. Contrairement au véritable intérieur, l’activisme prend
alors le pas sur la passiveté, la sensation l’emporte sur l’union, les
effets sont privilégiés au détriment de la source. Tout ceci justifie
l’insistance sur la pierre de touche que constitue une très profonde
tranquillité, quiétude qui accompagne une efficience invisible, au risque
d’être accusée de paresse « quiétiste ».
3. Enfin un recours à
la Tradition par le commentaire ou Explications de l’Ecriture et du
Nouveau Testament confrontés avec l’expérience intérieure. Ce commentaire
constitue la moitié de l’œuvre soit près de huit mille pages. Ce recours à l’Ecriture
interprétée spirituellement fut complété dix ans plus tard par les Justifications,
anthologie de textes mystiques de plus de mille pages assemblée autour de
thèmes constitués par des mots-clefs. Nous laisserons de côté ces deux sources
dans l’anthologie qui suit.
Au delà de la variété
demeure la qualité : si l’absence de tout retour sur soi conduit à de
nombreuses répétitions (elle évitait volontairement tout repentir
littéraire ce dont témoignent ses autographes), la spontanéité assure une
conformité à l’expérience vécue qui n’est pas repensée ou coulée dans un moule
traditionnel ; la finesse d’analyse comme le lyrisme s’appuyant sur des
analogies offertes par la nature annonce
les meilleurs auteurs de l’âge romantique. Surtout, toutes les étapes de la vie
intérieure sont couvertes, dont l’état constant et apostolique qui suit les
degrés de désappropriations et permet la transmission, moyen de formation de disciples. Cet état est certes
décrit antérieurement par des mystiques comme l’achèvement d’union au divin [2199]
mais sans dire l’aide qu’elle permet d’apporter par la communication en silence
et par le partage d’états intérieurs.
On peut distinguer chez Madame Guyon et ses
prédécesseurs Bernières, Bertot, comme chez d’autres mystiques, sans en faire
un système, trois périodes s’étendant chacune sur des années :
(1) découverte de l’intériorité, accompagnée
d’une simplification et d’une pacification progressive. Cette découverte peut s’accompagner
d’événements intimes variés selon les tempéraments et l’environnement, brefs
instants ou états pouvant durer des jours. Leur caractère extra-ordinaire a
toujours attiré une attention exagérée au détriment de la dynamique vitale
qu’ils alimentent, de la part de scrutateurs qui ont vite fait de repérer
divers alliages impurs de la nature à la grâce dans ces phénomènes. Très utiles
pour confirmer le commençant dans sa voie, ils relativisent les jouissances,
très réelles et bonnes, dont notre nature est capable. Ils substituent
l’expérience réelle directe aux croyances.
(2) Longues années de désappropriations, qui
correspondent au stade de purification décrit par tous les auteurs. Le terme de
« purification » est ambigu dans la mesure où il risque de laisser
croire qu’elle conduirait à son terme à un « nous-mêmes » délivré de
ses défauts. Le « nous-mêmes »
ne pourra subsister. Sera-t-il transformé ou fondu dans une
« vastitude », appelant la comparaison classique de la goutte d’eau dans l’océan ? Mais cette fusion
ne voit disparaître ni les capacités, ni les infirmités, ni la structure
individuelle, même si cette dernière s’efface à la mort ; elle permet leur
mise au service de ce qui vient prendre la place centrale au cœur de la
structure, comme l’exprime l’apôtre Paul dans le verset repris très souvent par
madame Guyon : Et je vis, non plus moi-même ; mais c’est
Jésus-Christ qui vit en moi… (Ga, 2, 20).
Les épreuves sans lesquelles l’amour propre ne serait jamais réduit en
cendre pour laisser place à une renaissance dans le pur amour, correspondent à
cette longue période.
(3) Naissance à une vie nouvelle où
s’exerce très exceptionnellement une transmission. Le terme de vie « apostolique » souvent utilisé par
Madame Guyon se réfère directement à la description imagée des Apôtres
lorsqu’ils sont compris par tous leurs « auditeurs » après leur
Pentecôte : ce n’est plus leur discours qui compte - il ne pouvait être entendu
physiquement en diverses langues - mais ce qui passe de cœur à cœur à travers les mots - une forme intense de
l’expérience très courante où l’on est sensible à la véracité de l’orateur - et
qui peut aussi bien être transmis en silence.
Il est prématuré de
structurer ces textes selon un schéma préétabli : madame Guyon s’en était
bien gardée lorsqu’elle rassembla des textes mystiques dans ses Justifications
en 67 « clés » constituant en quelque sorte un glossaire spirituel.
Nous suivons l’ordre chronologique et de leur situation au sein des oeuvres,
dans les Torrents, la Vie par elle-même, plus largement dans les Discours
… qui concernent la vie intérieure rassemblant de nombreux opuscules qui
circulaient à la fin de sa vie dans le cercle des disciples, enfin dans la correspondance
longtemps demeurée inédite, regroupée thématiquement : directions
spirituelles, combats, mystique. Mais en fait sont entremêlés, comme dans une
tresse, événements de la vie concrète, vie intérieure à l’écoute de la grâce,
enseignement mystique, perçus et mis au service du « petit maître »,
le médiateur mystique Jésus-Christ.
(1)
Les Torrents décrivent le parcours
mystique à l’image de la Dranse, petite rivière issue des Alpes, au parcours
parfois irrégulier, qui termine sa course près de Thonon, dans le lac Léman.
Facilement accessible, ce texte le plus connu, composé relativement tôt, vers
la fin 1682, est précis malgré un style souvent lyrique [2200].
Il faut apprécier son contenu comme traduisant une expérience récente - Madame Guyon
est âgée de trente-cinq ans environ lorsqu’elle rédige rapidement le texte - et
non comme une théorie spirituelle.
La
lente purification ou « mort » mystique mène à la vie
divine sans limitation visible :
« Chapitre
7.
« 5.
Ce degré de mort est extrêmement long et dure quelquefois les vingt et trente
années à moins que Dieu n'ait des desseins particuliers sur les âmes. …[2201]
30. Ici Dieu va chercher jusques dans le plus profond de l'âme son impureté [2202].
Il la presse et la fait sortir. Prenez une éponge qui est pleine de saletés,
lavez-la tant qu'il vous plaira : vous nettoierez le dehors mais vous ne la
rendrez pas nette dans le fond, à moins que vous ne pressiez l'éponge pour en
exprimer toute l'ordure et alors vous la pourriez facilement nettoyer. C'est
ainsi que Dieu fait : il serre cette âme d'une manière pénible et douloureuse,
puis il en fait sortir ce qu'il y a de plus caché.
« Chapitre
9.
« 5.
Il faut remarquer que comme elle n'a été dépouillée que très peu à peu et par
degré, elle n'est enrichie et revivifiée que peu à peu. Plus elle se perd en
Dieu, plus sa capacité devient grande : comme plus ce torrent se perd dans la
mer, plus il est élargi et devient immense …
« 6.
Cette vie divine devient toute naturelle à l'âme. Comme l'âme ne se sent plus,
ne se voit plus, ne se connaît plus, elle ne voit rien de Dieu, n'en comprend
rien, n'en distingue rien. Il n'y a plus d'amour, de lumières ni de
connaissances. Dieu ne lui paraît plus comme autrefois quelque chose de
distinct d'elle, mais elle ne sait plus rien sinon que Dieu est et qu'elle
n'est plus, ne subsiste et ne vit plus qu'en lui.
(2) La Vie par
elle-même est rédigée tout au long de son déroulement, en plusieurs
reprises, parfois en prison, entre 1683 et 1709. C’est ce qui explique
certaines répétitions, une modification progressive du style, mais surtout
l’extraordinaire qualité intuitive et vivante du récit. Facilement accessible,
nous en citons ici un seul passage extrait de la conclusion rédigée par la
vieille dame qui a traversé toute les épreuves :
3.21.
L’état simple et invariable [2203].
« Dans
ces derniers temps je ne puis parler que peu ou point de mes dispositions,
c’est que mon état est devenu simple et invariable. … Le fond de cet état
est un anéantissement profond, ne trouvant rien en moi de nominable. Tout ce
que je sais, c'est que Dieu est infiniment saint, juste, bon, heureux ;
qu'il renferme en soi tous les biens, et moi toutes les misères. Je ne vois
rien au-dessous de moi, ni rien de plus indigne que moi. Je reconnais que Dieu
m'a fait des grâces capables de sauver un monde, et que peut-être j'ai tout
payé d'ingratitude. Je dis peut-être, car rien ne subsiste en moi, ni bien, ni
mal. Le bien est en Dieu, je n'ai pour partage que le rien. Que puis-je dire
d'un état toujours le même, sans vue ni variation ? Car la sécheresse, si
j'en ai, est égale pour moi à l'état le plus satisfaisant. Tout est perdu dans
l'immense, et je ne puis ni vouloir, ni penser. … Décembre 1709. »
(3)
Mais Madame Guyon ne va pas s’arrêter sur cette perte dans l’immense :
elle va former des disciples français et étrangers, catholiques et protestants
en proposant des opuscules rassemblant les points communs expérimentaux et en
répondant aux uns et aux autres dans sa correspondance.
Les
opuscules - parfois issus eux-mêmes de lettres – furent rassemblés sous le
titre de Discours chrétiens et spirituels … qui concernent la vie intérieure, publiés en 1716.
L’ouverture est un
appel à gravir le mont qui rassemble à son sommet tous les mystiques [2204] :
« 1.01
De deux sortes d’Écrivains des choses mystiques ou intérieures [2205].
« …comme
une personne qui est sur une montagne élevée, voit les divers chemins qui y
conduisent, le commencement, le progrès, et la fin où tous les chemins doivent
aboutir pour arriver à cette montagne, on voit avec plaisir que ces chemins si
éloignés se rapprochant peu à peu et enfin se joignant en un seul et unique
point, comme des lignes fort éloignées se rejoignent dans un point central, se
rapprochent insensiblement. On voit aussi alors, avec douleur, une infinité
d’âmes arrêtées, les unes pour ne vouloir point quitter l’entrée de leur
chemin, d’autres pour ne vouloir pas franchir certaines barrières qui
traversent de temps en temps leur chemin ; [ on voit] que la plupart
retournent sur leurs pas faute de courage, et enfin que d’autres, plus
courageuses, franchissant tous les obstacles, arrivent au terme tant désiré. On
voit avec quelle bonté Dieu leur tend la main… »
L’amour est le
« moyen » utilisé pour connaître Dieu, dans la tradition de la mystique
« affective » mais non sensible, particulièrement développé chez des
franciscains, des chartreux et des carmes. La belle image d’une balance lie
notre abaissement et l’élévation vers Dieu :
« 1.49
Divers effets de l’amour.
« …
Plus il y a de charité dans une âme, plus il y a d’humilité - de cette humilité
profonde qui, causée par la réelle expérience de ce que nous sommes, fait que,
quand nous le voudrions, nous ne pourrions nous attribuer aucun bien. Car
l’esprit d’amour est aussi un esprit de vérité. En sorte que l’amour fait ces
deux fonctions, qui n’en sont qu’une, qui est de nous mettre en vérité sitôt
que nous sommes en charité, car l’amour est vérité. Plus l’amour devient fort,
pur, étendu, plus il nous fait approfondir notre bassesse. C’est comme une
balance : plus vous la chargez, plus elle s’abaisse et plus elle s’abaisse
d’un côté, plus elle s’élève de l’autre. Plus le poids de l’amour est grand,
plus elle s’abaisse au-dessous de tout et plus l’autre côté de la balance
s’élève vers cet amour-vérité qui fait connaître ce que Dieu est et ce qu’Il
mérite. Tout s’élève pour rendre gloire à Dieu et pour L’aimer au-dessus de
tout, à mesure que nous sommes plus rabaissés.
Cet amour est pur, net et
droit, sans retour sur soi et sans motif intéressé ; sa forme
passive est proprement « mystique », cachée par sa lumière même,
parce qu’elle reçoit tout de Dieu, dépasse tout entendement et ne peut être
décrite ; c’est Dieu lui-même qui agit :
« 1.53
Du repos en Dieu.
« …
Pour aimer Dieu comme Il le mérite … il faut L’aimer d’un Amour pur,
net, droit, qui ne regarde que Lui-même : il faut que cet amour surpasse toutes
choses et soi-même, sans qu’il lui soit permis d’avoir d’autre regard ni retour
sur aucun objet que sur Dieu même en Lui-même, pour Lui-même. Toute autre vue
ou motif est indigne de Dieu et n’est pas le pur amour,
qui est seul proportionné, sans proportion, à ce que Dieu est. Il aime Dieu
dans la totalité de ce qu’Il est : il aime, comme dit saint Denis, le beau
pour le beau [2206]. …
C’est ainsi qu’on aime Dieu dans le ciel, sans retour ni raison d’aimer.
L’amour est la seule raison d’aimer, l’amour est la récompense de l’amour. Et
comme la foi ne discerne rien en Dieu et croit ce qu’Il est dans Sa totalité,
l’amour ne discerne rien, mais il aime Dieu dans Sa totalité.
« …
Ensuite elle devient passive, recevant les pures lumières de l’Esprit de Dieu
sans y rien ajouter, faisant cesser les lumières du propre esprit. Puis la
lumière de Dieu qui devient plus abondante, fait cesser nos propres limites,
les mettant en obscurité, comme la lumière du soleil fait disparaître celle des
étoiles. Et c’est alors que la foi pure et nue, que la lumière de vérité
s’empare de l’esprit, le fait défaillir et mourir à toute lumière et action
propre pour recevoir passivement la vérité telle qu’elle est en elle-même et
non en image. La volonté est ensuite privée de toute action propre, d’amour,
d’affections, de toute action quelle qu’elle soit, pour recevoir purement
l’action de Dieu, soit qu’Il la purifie ou qu’Il la vivifie. Et c’est l’amour
qui fait toutes ces choses, pour être lui-même l’action de la volonté. »
Tous ne sont pas appelés à
la vie mystique et de nombreux grands saints suivent la « voie des
lumières » ; l’image de la cire à cacheter - Madame Guyon possédait
divers cachets dont un comportant deux cœurs accolés et irradiants et un autre
comportant un soleil lointain associé à un héliotrope - est suggestive de la
différence d’apparence pour la même « forme divine » :
« 1.60
Différence de la sainteté propriétaire et de la sainteté en Dieu.
« Vous
me demandez la différence de ceux qui sont saints en eux-mêmes et de ceux en
qui Dieu seul est saint. Quoique j’aie
expliqué diverses fois cette différence, je vous en dirai quelques mots. Les
premiers sentent et connaissent leur sainteté, elle leur sert d’appui et
d’assurance. Leurs œuvres leur paraissent des œuvres de justice, dont ils
attendent des récompenses et des couronnes.
« …
Ceux en qui Dieu est saint, ne sont pas des pierres ou médailles de relief,
mais des pierres gravées profondément, comme celle des cachets. C’est Dieu qui
S’imprime profondément en eux, qui est leur véritable sainteté. Il ne paraît au
dehors de ceux-là qu’une concavité. On n’en peut discerner la beauté qu’en les
imprimant sur la cire, c’est-à-dire qu’on ne les connaît qu’à leur souplesse et
à la perte de toute leur propriété
et de tous les apanages de la volonté propre… »
La voie mystique n’est pas
une voie de facilité, même si elle ne requiert pas un effort volontaire et une
pratique constante des œuvres ; elle inclut parfois la nuit achevant
l’abandon par la perte de soi-même :
«
1.62 De la Foi pure et passive, et de ses effets.
« …
Aussi est-ce la conduite de Dieu que nous pouvons voir pas à pas. Dieu ôte à
l’âme tout appui extérieur pour la perdre dans l’intérieur. Ensuite il lui ôte
la pratique des bonnes choses extérieures pour la perdre davantage. Puis il lui
ôte l’usage des vertus pour l’arracher à elle-même. Il lui fait enfin éprouver
les plus extrêmes faiblesses et misères qui sont des coups de grâce, et par là
Il la perd en Lui. Au commencement de l’expérience des misères, l’âme se perd
dans l’abandon,
dans la confiance et le sacrifice. Mais comme ce sacrifice, cet abandon
etc. sont encore comme des fils subtils, Dieu lui ôte tout abandon
aperçu, tout espoir de salut connu, en sorte qu’elle est contrainte comme
malgré elle de se perdre. Mais où se perdre ? Encore si c’était en Dieu
aperçu, elle serait trop heureuse. C’est dans l’abîme où elle ne voit rien ni
ne connaît rien. Et après enfin elle tombe en Dieu, non pour jouir de Dieu pour
elle, mais elle pour Dieu et Dieu pour Lui-même. »
Mais auparavant un long chemin
aura été parcouru, dont la mémoire est d’ailleurs utile pour ne pas abandonner
lorsque l’espoir de survie se perd ; la comparaison de la tempête et du
naufrage est menée sans concession jusqu’à son terme :
« 2.15
Différence de la foi obscure à la Foi nue.
« Vous
demandez la différence de la foi obscure à la foi nue.
On commence par la foi savoureuse, qui est comme voguer sur mer avec le vent en
poupe, guidé par un excellent pilote. Vous faites beaucoup de chemin avec joie
et en plein jour. Vous vous confiez au pilote, mais tout va si bien que vous
n’avez nulle occasion d’exercer votre confiance.
« La
nuit
vient : vous craignez de vous égarer mais vous vous confiez à votre pilote, qui
vous dit de ne rien craindre. Ensuite les vents deviennent contraires, les
ondes s’élèvent, la mer grossit, votre crainte
augmente ; cependant vous êtes soutenus et par l’excellence du pilote et par la
bonté du vaisseau. La tempête augmente, la nuit
devient plus noire. Il faut jeter les marchandises dans la mer.
On espère le jour et que la bonté du vaisseau résistera aux coups de mer ; mais
le jour ne vient point, la tempête redouble. On espère un sort favorable,
lorsque le vaisseau tout à coup se brise contre les rochers.
« Quelle
transe, quel effroi ! On se sert du débris du naufrage pour arriver au
port. On commence tout de bon à s’abandonner sur une faible planche, on
n’attend plus que la mort,
tout manque, l’espérance est bien faible de se sauver sur une planche. Il vient
un coup de vent qui nous sépare de la planche. On fait de nécessité vertu, on
s’abandonne, on tâche de nager, les forces manquent, on est englouti dans les
flots. On s’abandonne à une mort
qu’on ne peut éviter, on enfonce dans la mer
sans ressource, sans espoir de revivre jamais.
« Mais
qu’on est surpris de trouver dans cette mer une vie infiniment plus heureuse
qu’elle n’était dans le vaisseau … »
Si les hommes diffèrent,
Dieu est un et Il est toujours le premier à nous aimer, comme l’attestent
les mystiques dont le chemin a été ainsi ouvert, parfois par un contact
fort : François d’Assise, Angèle de Foligno, Catherine de Gênes [2207].
« 2.25
Variété et uniformité des opérations de Dieu dans les âmes.
« La
conduite de Dieu sur l’âme est une conduite toujours uniforme. Et ce que nous
appelons foi est proprement une certaine connaissance obscure, secrète et
indistincte de Dieu, qui nous porte à Le laisser opérer en nous parce qu’Il a
droit de le faire.
« …
Son opération est toujours la même. Dès le commencement elle consiste en un
regard d’amour sur l’homme et ce regard le consume et détruit ses impuretés.
Dieu est d’abord occupé à combattre notre activité et tous les obstacles qui
empêchent Son entière pénétration dans notre âme. … Car il faut concevoir que
toutes les opérations de Dieu en Lui-même et hors de Lui-même ne sont qu’un
regard et un amour éclairant et unissant. Ce regard brûle et détruit, comme je
l’ai dit, les obstacles. »
Mais tout ne se passe pas
d’un coup, même si le départ peut se rattacher à un événement marquant. L’image
de la fonte progressive des glaces, de la fluidité de l’eau propre à toute
impression ultérieure est souvent reprise par madame Guyon, soit pour suggérer
une réponse sous la forme d’une analogie au problème posé par l’absence et par
le « péché » qu’elle représente, soit pour figurer la liberté par
conformité au Seigneur qui prend les choses en main et
« recrée » sa créature :
« 3.11
Vie d’une âme renouvelée en Dieu et sa conduite.
« … Il ne faut pas croire que Dieu
endurcisse le cœur
de l’homme autrement que le soleil endurcit la glace : c’est par son absence.
Plus les pays sont éloignés du soleil, plus tout y est glacé. L’homme
s’éloignant de son Dieu et ne s’en rapprochant plus, devient une glace
pétrifiée qui ne peut plus se dissoudre à moins qu’il ne retourne à son Dieu.
Alors il Le retrouve au même lieu où il L’avait laissé, toujours prêt à lui
faire sentir les influences de Sa grâce ; et plus il approche de ce soleil,
plus il se fond peu à peu, en sorte que si après tant de misères il
s’approchait assez près de Dieu, il se fondrait et se liquéfierait entièrement.
Ce qui empêche sa liquéfaction parfaite, c’est la propriété,
qui congèle toujours plusieurs endroits de notre âme, laquelle dès que sa glace
est entièrement fondue et rendue toute fluide, s’écoule nécessairement dans son
être original, où tous les obstacles sont ôtés. C’est le feu de l’Amour pur
qui le fait en cette vie, et ce sera le feu du Purgatoire
qui le fera en l’autre.
« Alors
il ne reste plus à cette eau aucune impression, aucune qualité propre, aucun
vestige. Alors l’âme dans son rien ne peut rien, n’est propre à rien. Il n’y a
que l’Être Créateur qui la rende propre à tout ce qu’il lui plaît, et qui
agisse sans résistance sur ce rien, qui lui a remis le caractère propre de
l’homme, qui est la liberté. Alors l’homme dans son rien, ayant remis à son
Dieu et à son Père cette liberté qu’il lui avait donnée, Dieu le crée de
nouveau : Emitte Spiritum tuum, et
creabuntur ; et renovabis faciem terræ [2208].
« Mais
cette recréation n’est plus au pouvoir de l’homme, ni à son usage, mais au
pouvoir de Dieu et à sa volonté … »
En particulier Madame
Guyon utilise l’image souple de l’eau pour tenter de faire comprendre à Bossuet
la simplicité d’une vie intérieure sans phénomènes extraordinaires, comme ce
dernier les appréciait chez certaines religieuses imaginatives :
« A
Bossuet. Vers le 10 février 1694.
« …
Plus les choses sont simples, plus elles sont pures et plus elles ont
d’étendue. Rien de plus simple que l’eau, rien de plus pur ; mais cette eau a
une étendue admirable à cause de sa fluidité ; elle a aussi une qualité, que,
n’ayant nulle qualité propre, elle prend toutes sortes d’impressions :
elle n’a nul goût et elle prend tous les goûts, elle n’a nulle couleur et elle
prend toutes les couleurs. L’esprit, en cet état, et la volonté sont si purs et
simples que Dieu leur donne telle couleur et tel goût qu’il Lui plaît, comme à
cette eau, qui est tantôt rouge, tantôt bleue, enfin imprimée de telle couleur
et de tel goût que l’on veut lui donner. Il est certain que, quoique l’on donne
à cette eau les diverses couleurs que l’on veut, à cause de sa simplicité et
pureté, il n’est pourtant pas vrai de dire que l’eau en elle-même ait du goût
et de la couleur, puisqu’elle est de sa nature sans goût et sans couleur, et
c’est ce défaut de goût et de couleur qui la rend susceptible de tout goût et
de toute couleur. C’est ce que j’éprouve dans mon âme : elle n’a rien
qu’elle puisse distinguer ni connaître en elle ou comme à elle, et c’est ce qui
fait sa pureté ; mais elle a tout ce qu’on lui donne et comme l’on lui donne,
sans en rien retenir pour elle. Si vous demandiez à cette eau quelle est sa
qualité, elle vous répondrait que c’est de n’en avoir aucune. »
(4) Nous allons maintenant citer des lettres.
Ce fut le moyen second utilisé par Madame Guyon pour animer ses
disciples : l’illustre Fénelon, le fidèle duc de Chevreuse, plus tard
l’éditeur Poiret, le baron de Metternich, les écossais
Duplin et Lord Deskford, ainsi que des figures plus cachées telle la paysanne
qui conclut cet aperçu.
Le
premier moyen utilisé, qui explique la ferme fidélité de Fénelon et d’autres
sur plus de vingt années, malgré la parenthèse du secret durant cinq ans à la
Bastille, est celui de la transmission de la grâce par communication intime de
cœur à cœur dont nous trouvons l’affirmation dans de nombreuses lettres [2209] :
« À
Fénelon. 21 juin (?) 1689
[2210].
« …
Il a permis que je m’en allasse avec vous, pour vous apprendre qu’il y a un
autre langage, lequel Lui seul peut apprendre et opérer, [où] Il n’emplit le
cœur de l’onction
pure de la grâce que pour vider l’esprit, et Il ne donne que pour ôter : c’est
une expérience qui demeure, lorsque la conviction de l’esprit est ôtée. Je vous
demande donc audience de cette sorte, de vouloir bien cesser toute autre action
et même autre prière
que celle du silence. Lorsque l’on a une fois appris ce langage (plus propre
aux enfants qu’aux hommes, qui l’ignorent d’ordinaire), on apprend à être uni
en tout lieu sans espèces et sans impureté, non seulement avec Dieu dans le
profond et toujours éloquent silence du Verbe dans l’âme, mais même avec ceux
qui sont consommés en Lui : c’est la communication
des saints véritable et réelle. C’est la prière de Jésus-Christ : qu’ils
soient un comme nous sommes un [Jn, 17, 22].
Ces communications parurent
extravagantes à la fin du XVIIe siècle cartésien. Elles sont
attestées, mais de façon voilée, par de nombreux spirituels chrétiens. On peut
concevoir qu’il n’y ait point de coupure entre ce monde visible et sa
totalité ; madame Guyon a recours aux hiérarchies de Denys, auteur traditionnellement
invoqué par les mystiques, et aussi, cartésienne et moderne, au mystère de
l’aimant, pour suggérer la plausibilité de telles circulations d’amour divin –
il s’agit simplement de reconnaître l’efficace de la prière :
« Au
duc de Chevreuse. Octobre 1693.
« La
main du Seigneur n’est point raccourcie.
« Il
me semble qu’il n’y aura pas de peine à concevoir les communications
intérieures des purs esprits si nous concevons ce que c’est que la céleste
hiérarchie où Dieu pénètre tous les anges et ces esprits bienheureux se
pénètrent les uns les autres. C’est la même lumière divine qui les pénètre et
qui, faisant une réflexion des uns sur les autres, se communique de cette
sorte. Si nos esprits étaient purs et simples, ils seraient illuminés. Et cette
illumination est telle, à cause de la pureté et simplicité du sujet, que
les cœurs bien disposés qui en approchent, ressentent cette pénétration.
Combien de saints qui s’entendaient sans se parler ! Ce n’est point une
conversation de paroles successives, mais une communication d’onction, de
lumière et d’amour. Le fer frotté d’aimant attire comme l’aimant même. Une âme
désappropriée, dénuée et simple et pleine de Dieu attire les autres âmes à Lui,
comme les hommes déréglés communiquent un certain esprit de dérèglement. C’est
que sa simplicité et pureté est telle que Dieu attire par elle les autres
cœurs. »
Mais
les disciples ont besoin, au début de leur découverte intérieure, de conseils
et non de théorie : comment prier, comment se détacher - sans pour cela
quitter le monde -, comment lâcher intellectuellement prise… Cela était
difficile pour le baron de Metternich, ancêtre non négligeable de l’homme
d’état du XIXe siècle, protestant subtil et questionneur :
« Au
baron de Metternich. Vers 1715.
« Demeurez
simplement exposé à Ses yeux divins comme on s’expose aux rayons du soleil et
au feu pour se réchauffer et, quoiqu’il ne vous paraisse aucune action de votre
part que la simple exposition de vous-même devant Dieu, la chaleur divine de
Son amour ne laissera pas de vous pénétrer imperceptiblement, comme le feu
pénètre insensiblement les corps qui sont à une certaine distance, et leur
donne une chaleur qui s’insinue partout, ce qui n’est pas si sensible. Nous
sommes souples sous Sa main. Je me trouve fort unie à vous en Notre Seigneur.
« Au même. / Ce que vous
devez faire le plus présentement est de vous détacher universellement de toutes
choses et de vous-même, sans quoi la solitude vous serait peu utile … Une
des raisons qui fait que je désire qu’on ne quitte point son état,
quoique je désire qu’on soit parfaitement détaché, c’est que Dieu voulant à
présent et dans les siècles à venir introduire Son Esprit intérieur
dans tous les lieux, parmi toutes les nations, dans tous états et conditions,
je ne crois pas qu’on doive facilement quitter son état à moins d’une vocation
particulière, …
« Au même. / …Vous dites que
vous voulez être abandonné à Dieu, et [cependant] vous voulez qu’à chaque pas
Il vous rende raison des lieux où Il vous mène, et pourquoi Il vous y mène.
Vous ne feriez pas ce tort à un guide que vous croiriez honnête homme :
vous vous laisseriez conduire… »
Madame Guyon doit
parfois mettre un terme à certaines pratiques, que l’on retrouve à toute
époque, et aujourd’hui dans certaines techniques orientales, faisant appel à un effort de concentration
juste à l’opposé de l’abandon à la providence divine :
« …
Ce que vous me dites de la violence que vous vous faites pour rendre votre
esprit abstrait n’est nullement ce que Dieu demande de vous, et ce n’est point
la voie dont il s’agit. Nous tâchons que tout se concentre dans le cœur,
sans nul effort de tête,
car Dieu souvent cache ce qu’Il opère dans l’intime de l’âme sous des
distractions vagues et involontaires, afin de le dérober à la connaissance du
démon et de l’amour propre.
« À Lord Deskford. 15
avril 1715.
« …
Ce que j’ai prétendu, monsieur, a été de vous inspirer une oraison
libre dont l’amour soit le principe, et qui parte plus du cœur que de la
tête : quelques douces affections mêlées de silence. Car comme votre
esprit est accoutumé à agir, à philosopher et à raisonner, j’ai voulu faire
tomber l’activité de l’esprit par une foi
simple de Dieu présent, que vous devez aimer, et auquel vous devez vous unir
par un amour pur et simple, conforme à la simplicité de votre foi. Cela ne se
fait pas par une tension de l’esprit qui nuit à la santé, mais par un amour
seul, excitant la volonté par une tendance de cette volonté vers son divin
Objet. »
Le plus
souvent elle répond aux difficultés rencontrées sur « la voie »,
soulignant son déroulement naturel, à condition d’accepter la destruction du
vieil homme ; on a toujours ici une mystique sobre, bien loin des excès,
visions et révélations :
« Lettre [D.2.1]. Abrégé des voies de Dieu [2211].
« Monsieur,
/ Soyez donc persuadé qu’il n’y a rien de violent dans la conduite de Dieu que
ce que nous y ajoutons, que Sa conduite est douce et suave : s’il y a
quelque violence, c’est ou parce que notre volonté n’est pas encore
parfaitement gagnée, ou parce que notre amour propre la cause … Lors donc
que toutes ces choses sont, la volonté meurt à soi véritablement, non d’un
trépas douloureux et sensible, mais d’un passage doux et tout naturel, qui fait
que cette volonté cessant d’être arrêtée en elle-même par ce qu’il y a même de
plus délicat, passe infailliblement et nécessairement en Dieu. C’est ce que
l’on appelle mort. Elle [la volonté] est morte quant à son propre, mais elle ne
fut jamais plus vivante : elle vit en Dieu, non de la première vie, ou d’une
vie qui lui soit propre, mais d’une vie que Dieu lui communique, qui n’est
autre que Sa propre vie et Sa volonté. … Et c’est alors qu’elle participe aux
qualités de Dieu, qui est de se communiquer aux autres, ou plutôt, c’est comme
une rivière qui, s’étant perdue dans un grand fleuve, suit sa course et n’en
suit point d’autre …
« Ceci,
loin d’être une chose forgée par l’imagination, est toute l’économie de la
Divinité hors d’Elle-même. C’est la fin et de la création, et de toutes
religions, qui n’ont été établies de Dieu que pour conduire l’homme en Dieu
même, comme les lits de chaque fleuve sont pour les perdre dans la mer. C’est tout
le travail de Dieu sur Ses créatures, c’est toute la gloire qu’Il en peut et
doit tirer. Tout ce qui n’est point cela, sont des moyens ou éloignés, ou plus
proches, mais ce n’est point ni notre fin ni notre essentielle béatitude.
« On
m’a lu votre lettre, monsieur. … Il faut devenir enfant après avoir été homme.
Il faut plus, car il faut renaître de nouveau afin de devenir une nouvelle
créature en Jésus-Christ. Mais avant ce temps, il faut que tout ce qui est du
vieil homme soit détruit, savoir la propriété, l’amour de la propre excellence,
enfin tout amour propre, ce qui s’entend de tout ce qui nous concerne et qui a
rapport à nous, quel qu’il soit. Le petit enfant se laisse porter où l’on
veut : si son père le couche sur un fumier, il n’y pense pas, il n’en sait
pas même faire le discernement, il y dort comme dans son [314] berceau,
abandonné qu’il est aux soins de son père. Abandonnez-vous donc en la main de
Dieu avec un grand courage … »
Une mise en garde
vis-à-vis du « sentiment » et surtout des voies extraordinaires
préconisées par le prophétisme de certains jeunes émigrés protestants, -
considérés comme des martyrs après la terrible répression qui suivit la guerre
des Cévennes, et qui firent le tour d’Angleterre et d’Ecosse, inspirés par les
annonces publiques des prophètes de l’Ancien Testament -, confirme le caractère
sobre de Madame Guyon :
« Il
y a deux sortes de goûts, celui du fond et celui du sentiment. Il est de la
dernière conséquence pour vous et pour les autres que vous ne vous conduisiez
pas par le dernier. … N'allez donc jamais par ce que vous sentez ou ne sentez
pas. Mais allez par un je ne sais quoi qui, bien que sec, détermine d'abord et
ne laisse nulle hésitation. Il détermine sans goût et sans lumière de la raison
parce qu'il détermine par la vérité de Dieu. Comme vous n'êtes pas par état
dans la pure lumière de Dieu, et qu'il s'en faut bien, vous ferez souvent des
fautes là-dessus. Mais à force d'en faire, vous vous accoutumerez à la nue opération
de Dieu, non seulement pour être dépouillé, mais pour être agi. Hors de là,
tout est méprise.
« …
Le règne de Dieu ne viendra point par aucun bruit extérieur, mais l’Esprit Saint, étant répandu par tous nos cœurs,
préparera par l’onction de sa grâce le règne de Jésus-Christ. La plupart des
recueillements des personnes agitées comme cela [les jeunes cévenols] ne sont
qu’un bandement et une occupation forte de la tête et du cerveau pour
contraindre leur entendement à la cessation, et ces personnes-là ont un
recueillement plutôt d’assoupissement. Ce que nous appelons vrai recueillement
n'occupe point la tête, mais c'est une tendance du cœur, ou plutôt de la
volonté vers Dieu, qui fait que la volonté étant toute occupée de son Dieu, à L'aimer,
à Le goûter, ne fait plus aucune attention à ce qui se passe dans l'esprit et
en est comme entièrement séparée.
« Vous
pouvez tirer de là, mon cher frère, que toutes ces voies extraordinaires, quand
même elles seraient vraies, ne pourraient nous unir au Souverain Bien,
puisqu'il est bien éloigné de consister en ces choses. L'état de ces prophètes
ne peut donner ce qu'on appelle un véritable silence intérieur. Ce que
j'appelle silence intérieur est quelque chose de si tranquille, de si paisible,
de si un, qu'il ne peut compatir avec aucune agitation corporelle, puisqu'une
personne même qui possède ce silence intérieur dans les plus violentes douleurs
ne donne aucune marque d'agitation, et peut se plaindre comme un enfant, mais
ne s'agitera jamais. Saint Jean dit en l'Apocalypse qu'il se fit un grand
silence au ciel [Ap 3, 1]. Lorsque ce silence est fait dans l'âme, il se
communique jusqu'au dehors. Il y a deux sortes de silence extérieur : 1° l'un,
que nous faisons nous-mêmes par pratique en nous imposant une suppression de
toutes paroles. Ce silence, quoique bon, n'est pas pareil à : 2° l'autre
silence qui vient [du silence intérieur] et qui est opéré par le silence
intérieur. Dans le premier, c'est nous qui nous taisons ; dans le second, c'est
l'amour qui fait taire, et l'âme sent bien que, lorsqu'elle veut parler, elle
s'arrache à un je ne sais quoi qui l'attire au-dedans d'elle-même… »
(5)
Nous terminons cette évocation de la voie mystique servie par Madame Guyon par deux lettres qui ne sont pas d’elle. La
première, « en amont », lui est
adressée par Monsieur Bertot, le prêtre qui la dirigea lorsqu‘elle était
encore mariée ; la suivante, « en aval », provient d’une
« simple paysanne » qui résume l’enseignement de tous, en rapportant
tout à l’amour :
« De Bertot. Avant avril
1681 [2212].
De l’état d’anéantissement parfait en nudité entière, où l’âme est et vit en
Dieu, au-dessus de tout le sensible et perceptible.
« Le dernier état
d’anéantissement de la vie intérieure est pour l’ordinaire précédé d’une paix
et d’un repos de l’âme dans son fond, qui peu à peu se perd et s’anéantit,
allant toujours en diminuant, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de
sensible et de perceptible de Dieu en elle. Au contraire elle reste et demeure
dans une grande nudité et pauvreté intérieure, n’ayant que la seule foi toute nue, ne sentant plus
rien de sensible et de perceptible de Dieu, c’est-à-dire des témoignages
sensibles de Sa présence et de Ses divines opérations, et ne jouissant plus de
la paix sensible dont elle jouissait auparavant dans son fond ; mais elle porte
une disposition qui est très simple, et jouit d’une très grande tranquillité et
sérénité d’esprit, qui est si grande que l’esprit est devenu comme un ciel
serein.
« … Dans cet état ces
âmes vivent toujours à l’abandon et étant abandonnées d’état et de volonté à la
conduite de Dieu sur elles, pour faire d’elles et en elles tout ce qu’Il voudra
pour le temps et pour l’éternité … Enfin dans cet état ces âmes jouissent d’une
grande liberté d’esprit, non seulement pour lire et pour écrire, mais aussi
pour parler dans l’ordre de la volonté de Dieu. Et ces âmes parlent souvent
sans réflexion et comme par un premier mouvement et impulsion qui les y porte
et entraîne.
« Ces âmes ne laissent
pas en cet état si simple et nu de s’acquitter fidèlement des devoirs de leur
état, car Dieu qui est le principe de leurs mouvements et actions, ne permet
pas qu’elles manquent à rien de leurs obligations.
« Lettre d’une paysanne
à Madame Guyon [2213].
« …
L’amour tient lieu de tout, il ne m’apprend autre chose que la vérité, qui est
au- dessus de moi et hors de moi. Oui, Amour, tout ce que l’on me peut dire
regarde l’âme, et vous m’avez chassée hors d’elle. Vous y tenez lieu de tout,
et je ne puis m’arrêter en aucun autre objet qu’en vous seul. O divin Amour !
Vous êtes tellement seul que je ne sais pas si j’ai une âme. Mon unique et pur
Amour a délaissé et oublié l’âme : il n’y a temps et lieu que pour lui. Je
me soucie autant de toi, ô âme, comme d’une paille … Oh ! qu’on ne me
parle plus de l’âme ni de tout ce qui la concerne ! Je ne sais plus autre chose
que mon Amour ; et il me semble que tout y est tellement Lui, qu’il y a une
impossibilité morale de pouvoir plus regarder ni penser à son âme, mais bien à
ce seul et unique Amour, et à cet objet de pureté.
« Mais
de dire ce qui occupe, et comme l’on est occupé, c’est ce qui ne se dira
jamais. Je n’ai rien de distinct ni de particulier : c’est un objet où tout est
un, sans aucune distinction ni discernement. Il n’y a rien en Dieu de
particulier, tout y est un, mais silence à toute expression ! Silence à toute
intelligence ! Silence pour toute parole ! Je commence de rendre compte de la
vérité dont je suis certaine, qui est Dieu, et de Son divin amour, qui est tout
mien et qui est tout moi, en disant que je ne puis rien dire. Et je finis en disant
que je n’en dirai rien. »
Ce tableau rassemble
les influences qui assurèrent la formation spirituelle de madame Guyon. Il
complète et corrige un tableau présenté en préface à notre édition de sa Vie
par elle-même. Loin d’être une « aventurière », Madame Guyon
s’inscrit au cœur de la spiritualité du siècle,
bénéficiant de l’apport de certains de ses plus grands spirituels :
Bernières, Marie de l’Incarnation, Maur de l’Enfant-Jésus, Laurent de la
Résurrection. Domine le noyau de l’école mystique normande, puis parisienne,
autour de la chaîne de transmission Jean-Chrysostome de Saint-Lô – Jean de
Bernières – Jacques Bertot. Les mystiques importants pour Bertot et pour Madame
Guyon sont juxtaposés horizontalement selon leurs affinités, et verticalement
selon leurs dépendances. Tous ne sont pas cités, tels Renty, ami de Bernières,
Jean Eudes, connu de Bertot, etc. Les dates données dans la colonne de gauche
par « générations » de 25 ans correspondent très approximativement
aux pics d’activité des membres situés sur une même rangée.
Une analyse fine de ce
tableau distingue cinq groupes distribués selon les colonnes : (1) les
carmes déchaussés auxquels se rattache
Laurent de la Résurrection, apprécié de madame Guyon et connu de Fénelon. (2)
les carmes de la réforme de Touraine menée spirituellement par Jean de
Saint-Samson, dont est disciple Maur de l’Enfant-Jésus, un des correspondant et
directeur de la jeune madame Guyon ; elle le rencontra probablement. Jean
de Saint-Samson lui-même est cité très abondamment dans les Justifications.
(3) L’abbaye de Montmartre bénéficiaire de la réforme soutenue par le capucin
Benoît de Canfield : Bertot y sera confesseur auprès de F.-R. de Lorraine
qui éditera un de ses ouvrages. (4) Le groupe de l’Ermitage animé par Bernières
au sein de l’école normande et parisienne est mené par Chrysostome de Saint-Lô
du tiers ordre régulier franciscain. Il se subdivise en trois branches : (4a)
six figures féminines présentées en deux colonnes, regroupant, outre Marie des
Vallées et Marie de l’Incarnation du Canada (Madame Guyon demandera conseil à
son fils dom Martin), quatre supérieures conventuelles dont Mechtilde de Bar,
la « Mère du Saint-Sacrement » (« sainte » selon Madame
Guyon, elle fut un temps suspecte de quiétisme), (4b) la « lignée » incluant
Chrysostome, Bernières, Bertot et madame Guyon, enfin (4c) une branche
parallèle passant par Archange Enguerrand, le « pauvre villageois,
vigneron de Monmorency », auteur notable. (5) Le groupe savoyard qui rend
justice à la mère Bon et se rattache au Père Lacombe. Par ce groupe passa
probablement l’influence de quiétistes d’Italie (ainsi que lors d’un séjour en
Piémont chez l’évêque Ripa qui connut le cardinal Petrucci).
François de Fénelon, La Tradition secrète des mystiques ou Le Gnostique de Clément d’Alexandrie, présentation par Dominique et Murielle Tronc, « Les carnets spirituels », Paris, Arfuyen, 2006, 216 p. [Le Gnostique, précédemment publié par Dudon, revu et corrigé sur le ms. des Archives de Saint-Sulpice.]
Eté 1694 : Fénelon a
quarante-trois ans, il est précepteur du Dauphin et protégé de Bossuet. Mais
depuis six ans, il a fait la connaissance de madame Guyon, qui a
bouleversé sa vie en l’introduisant dans la vie mystique. Le groupe dont elle
assume la direction spirituelle, comprend des Grands de la Cour et des filles
de Saint-Cyr[2214].
On les qualifie de «
quiétistes » , comme le mystique Molinos, en prison à Rome. Leur
influence sur le précepteur et leur indépendance intérieure inquiètent les
pouvoirs royal et ecclésiastique. Madame de Maintenon et Bossuet vont remettre
de l’ordre : madame Guyon est soumise à un contrôle concernant ses opinions et
ses mœurs. Les examinateurs, dont Bossuet, se réunissent à Issy dès le mois de
juillet.
Fénelon, fidèle à son
expérience intérieure et au lien mystique qui l’unit à madame Guyon, refuse de
la condamner. Ils passent l’été à chercher dans les écrits reconnus par
l’Eglise la confirmation de leur expérience personnelle, dans l’espoir de « faire taire tous ceux qui osent parler sans expérience d’un don de Dieu[2215] ». Tout le mois d’août, ils
collationnent des milliers de pages de textes, qui conduiront aux Justifications signées par madame Guyon
et à deux mémoires de Fénelon, le premier sur Cassien, le second, rédigé en
septembre, sur Clément d’Alexandrie.
Fénelon veut démontrer
que les « nouveaux mystiques » s’inscrivent dans la tradition
chrétienne, en remontant le plus loin possible dans le temps et retrouvant une
tradition apostolique reliée par filiation à Jésus-Christ. En septembre, il lit
le texte grec des Stromates de saint
Clément d’Alexandrie et s’enthousiasme immédiatement. Il lui semble retrouver
chez cet ancien Père l’expérience vécue par les « nouveaux mystiques ». Il
reconnaît dans sa « gnose », aboutissement mystique suprême chez Clément,
un état identique à l’état passif que décrit madame Guyon dans son Moyen Court.
Clément d’Alexandrie,
né vers 150, disparu avant 215, est une figure vénérable et le premier Père
dont nous puissions lire des ouvrages entiers. Grec converti, il est le maître
d’Origène. Son œuvre se fait l’écho des voix chrétiennes et païennes. Le vieux maître,
dans ses Stromates, transmet à son
tour à ses disciples « la vraie tradition de la bienheureuse doctrine,
qu’ils avaient reçue immédiatement des saints apôtres, de Pierre, de Jacques,
de Jean, et de Paul, chacun comme un fils de son père[2216]. » Il présente et défend aussi le « travail
préparatoire » de la philosophie grecque, dans une vision trop rare de
l’universalité du salut[2217]. Il
possède la fraîcheur et l’enthousiasme qui animaient les enfants de la première
Eglise.
Ecrit dans la fièvre,
le commentaire de Fénelon sur Clément dit
tout son bonheur d’avoir trouvé un frère en expérience dans un passé si
proche du Christ. Son exaltation est telle qu’il va livrer ingénuement toutes
ses pensées pour convaincre Bossuet que l’expérience mystique est bonne, qu’elle
existe identique à toute époque, et que les affirmations de madame Guyon sont
vraies, puisqu’on les retrouve chez Clément. Il martelle ses convictions,
multiplie les citations, s’indigne : « Selon
saint Clément, ce qu’on écrit sur la
gnose est, pour un grand nombre d’hommes, ce que le son de la lyre serait pour
des ânes[2218] » !
Pour Fénelon, il ne s’agit pas de défendre des théories, mais de justifier un
vécu personnel.
Nous possédons le
texte tel que l’a lu Bossuet en 1694, émouvant par sa véracité, sa spontanéité,
sa passion chez un prélat pourtant réputé pour sa froideur. Dans ce manifeste
de la pensée guyonnienne, Fénelon retrouve sous la plume de Clément tous les
thèmes chers à madame Guyon[2219]. Le
pivot en est le pur amour où l’âme se
tient sans cesse sans désir autre, même de son propre salut : « Si quelqu’un, par supposition, demandait au
gnostique ce qu’il choisirait, ou de la gnose de Dieu, ou du salut éternel, et
que ces deux choses, qui sont la même, fussent séparées, il choisirait sans
hésiter la gnose de Dieu[2220] »,
proclamait Clément bien avant le Grand Siècle. Cet amour anéantit l’âme et la
met dans l’état passif, qui donne « une entière souplesse à toutes les volontés
que Dieu imprime[2221] ».
Là, on est « consommé dans l’union inamissible et inaltérable,
ayant passé au-delà des œuvres aussi bien que de toute purification. »
Cette « habitude de contemplation et de
charité perpétuelle » est l’état ultime du chrétien que Clément appelle « gnose ». Celle-ci implique un
abandon total à Dieu : « Sa contemplation
est infuse et passive, car elle attire le gnostique comme l’aimant attire le
fer, ou l’ancre le vaisseau : elle le contraint, elle le violente pour de bon ;
il ne l’est plus par choix mais par nécessité. » Le gnostique n’est mû que
par l’Esprit Saint, sa liberté absolue est proclamée face aux « théologiens rigides » et à tous ceux qui
n’ont aucune expérience mystique : « ...c’est
l’onction qui lui enseigne tout ; et loin de pouvoir être enseigné, il ne peut
être entendu ni compris. » [2222].
Bien que les mystiques partagent la vie commune des
chrétiens, ils se transmettent une « tradition
secrète » qui s’enseigne aux âmes choisies : « Le Seigneur a donné à ses apôtres la tradition non écrite d’une chose
écrite, c’est-à-dire une explication secrète et de vive voix du sens le plus
profond des Ecritures, où le mystère de la gnose se trouve renfermé[2223]». Seul un mystique peut saisir le sens intime
de l’Ecriture et transmettre ce sens à quelqu’un qu’il a choisi : la gnose
« ne
doit pas être ouverte ni populaire, puisqu’il ne s’agit pas d’une voie commune
qu’il faille prêcher sur les toits ; il s’agit de la sagesse la plus profonde
puisqu’elle n’est annoncée qu’entre les parfaits[2224]».
En fait, Fénelon
décrit là le rôle que joue madame Guyon pour lui. La passiveté entraîne un état
apostolique qui permet au mystique de répandre la grâce autour de lui : « Il est dans l’état apostolique, et
suppléant à l’absence des apôtres, non
seulement il enseigne à ses disciples les profondeurs des Ecritures, mais
encore il transporte les montagnes et aplanit les vallées du prochain ; il
souffre intérieurement des tentations pour purifier ses frères[2225]».
Toutes ces
affirmations, d’expérience pour Fénelon et ses amis, étaient scandaleuses pour
leurs juges. Il en avait bien conscience : « Ce Père les surpasse tous dans
ce qui scandalise le plus les docteurs[2226]».
Il comptait beaucoup sur la bienveillance et l’humilité du lecteur : « Que
le lecteur qui lit ces choses n’entreprenne pas de les comprendre s’il n’en a
aucune expérience ; et qu’il croie humblement cette sainte tradition, dont
saint Clément est un témoin si vénérable[2227]. »
Malheureusement,
Bossuet n’était pas ce lecteur de rêve : il pensait que l’expérience mystique
conduisait souvent à des chimères ; il était très attaché à un christianisme
traditionnel pour tous, à la prière discursive, à la recherche du salut par le
mérite ; toutes ces déclarations lui paraissaient manquer de foi, d’humilité et
de simple prudence. Cette liberté de ton, ces certitudes le scandalisaient. Il
était atterré de voir son jeune protégé subjugué par une femme qu’il jugeait
exaltée.
Les juges essayèrent
de ramener Fénelon à leur point de vue et de le tirer hors de l’influence de
madame Guyon. Fénelon prendra conscience des excès de son texte, notamment sur
la perfection impassible du gnostique, la volonté de secret et l’orgueil de se
croire au-dessus du simple chrétien, qui font redouter le sectarisme, etc. Il
écrira plus tard : « Je ne prétends pas
que toutes les expressions puissent être également précautionnées, dans cette
multitude d’écrits si longs que j’ai faits avec tant de hâte … Mais enfin la
suite de mes écrits fait voir clairement ce que j’ai toujours pensé [2228]».
Des discussions de plusieurs années vont user Fénelon. Mais il continuera à
soutenir madame Guyon avec une fidélité absolue, tandis que les membres de leur
groupe resteront indéfectiblement liés.
Le Gnostique fut un premier essai
d’expression par Fénelon de la mystique guyonnienne. Cet affrontement témoigne
de la difficulté pour les mystiques d’exister à l’intérieur de leur Eglise : face à des juges qui n’ont pas
une expérience comparable, ils peinent à trouver un langage qui rende compte de
leur vécu, surtout si celui-ci doit coïncider avec une théologie. Bossuet
rendra son manuscrit à Fénelon, qui ne parlera plus jamais du thème du secret.
Mais il approfondira inlassablement les points qu’il jugeait essentiels : pur
amour et passivité. Il tentera, de façon mesurée et réfléchie, de prouver que
le vocabulaire et l’expérience des mystiques « modernes » se justifient
par les écrits des autorités reconnues de l’Eglise et que l’état passif est
l’essence même du christianisme. Mais sans succès.
Si orgueil il y eut,
il fut laminé par l’épreuve : n’étant qu’une simple femme et laïque, madame
Guyon subira des interrogatoires éprouvants, puis des années de prison, avant
d’être libérée, quittant la Bastille en 1703 sur un brancard, tant elle était
affaiblie. Fénelon sera préservé, nommé archevêque de Cambrai, mais ainsi
éloigné de la Cour. Il se distinguera par l’exercice de la charité lors des
guerres de la fin du règne de Louis XIV. Parallèlement à madame Guyon, qui voyait en lui son successeur, il assumera la
direction mystique de nombreuses personnes qui les considéraient comme leur «
père et mère » spirituels. Mais tout ceci s’accomplira à la fin de leur
vie dans le silence et la discrétion.
§§
Il nous a semblé que
le titre de Gnostique…, qui ne
suggère pas le contenu de l’œuvre, risque également d’induire en erreur le
lecteur d’aujourd’hui sur l’intention de son auteur, car
« gnostique » a pris de nos jours un sens technique étroit, en
désignant surtout des sectaires qui vivaient aux premiers siècles.
Nous fondant sur le
titre du chapitre 16, « La gnose est fondée
sur une tradition secrète », et en
écho au titre de l’ouvrage de Bossuet qui veut apporter une réfutation
doctrinale intitulée La Tradition des
nouveaux mystiques[2229],
nous avons donné un sous-titre au présent texte : La Tradition secrète des mystiques. Il attire l’attention sur deux
thèmes chers à notre auteur.
Le
« christianisme intérieur » n’est secret que par suite d’un voile d’aveuglement et
non par suite de la volonté des mystiques : « … ceux qui ne sont pas gnostiques, voient et ne croient pas, entendent
et ne comprennent pas, et lisent les mystères de la gnose avec un voile sur le
cœur[2230] ». Mais il est offert à tous et ne dépend que de la grâce divine.
Il s’inscrit dans une tradition chrétienne sous la forme d’un
courant mystique qui traverse tous les siècles. Ainsi, le carme historien
Honoré de Sainte-Marie (1651-1729), un contemporain de Fénelon, mit en valeur
ce courant en décrivant siècle après siècle ses principales figures : pour
lui, « Jésus apparaît comme le
premier des mystiques, ayant connu toutes les manières de contempler[2231]
».
Dominique et
Murielle Tronc.
Fénelon mystique, un florilège, par D. Tronc, lulu.com, hors-commerce pour raison de droits, 457 p. [« Une rencontre mystique », bref extraits des « Œuvres et opuscules, » large choix de « Lettres de direction » par destinataires].
FENELON MYSTIQUE, UN FLORILEGE
Fénelon a fait l’objet d’un très grand nombre
d’approches. Mais dès que l’on veut connaître le vécu spirituel de l’homme,
études et choix de textes deviennent rares. Le titre « Fénelon mystique, un
florilège » veut faire connaître l’essentiel de ses directions qui reflètent sa
nature profonde. Le Florilège que je propose est chronologique. Le récit de la
rencontre mystique avec madame Guyon précède des extraits d’écrits titrés dont
se détache le saint Clément. Puis d’abondants témoignages privilégient la
période de maturité où, délivré de toute illusion, Fénelon touche à
l’achèvement mystique.
Je tire parti
de l’édition critique récemment achevée de sa Correspondance. Elle permet de mieux cerner des personnalités
diverses qui, aspirant à la vie intérieure, découvrirent le meilleur directeur
spirituel de leur époque.
Je m’efface
derrière des séries d’extraits regroupés autour de ces destinataires. Les
besoins varient suivant leurs tempéraments. Le connaisseur des âmes se révèle
être un ami patient dans (presque) tous les cas. Par sa profondeur et dans son
exigence, il demeure pour nous un compagnon présent.
François de Fénelon a fait l’objet d’un très grand nombre d’études, dont un bon millier pour le seul dernier demi-siècle[2232]. Mais dès que l’on veut approcher son vécu au plan spirituel en négligeant les controverses, choix de textes et études sont plus rares[2233] et notre titre « Fénelon mystique » demeure original.
On l’a dépouillé de ce qui était essentiel à ses yeux pour le réduire parfois à un « homme de lettres ». Il y a de bonnes raisons à cela. Les autorités religieuses catholiques ou protestantes se méfient de la quiétude mystique. Souvent des critiques préfèrent Bossuet, prélat à la pensée simple et facilement partagée qui occupa une large place dans le canon littéraire français au XIXe siècle. Il succéda à Fénelon dont le rayonnement européen n’est grand qu’au Siècle des Lumières précédent. Les défenseurs de l’archevêque ont caché ses relations avec madame Guyon parce qu’elles étonnent en l’absence d’une sensibilité mystique[2234]. Enfin certains des textes essentiels n’ont été rendus disponibles que fort récemment. Il s’agit de la correspondance complète avec madame Guyon[2235] et de la mise en valeur des fragments de lettres assemblés par les membres du cercle mystique animé par Fénelon. Ces derniers lui ont joué un mauvais tour. Ils ont supprimés des noms et des dates pour protéger les membres des deux cercles quiétistes de Cambrai et de Blois. Cette suppression est préjudiciable à toute édition critique [2236].
Le choix de « bonnes pages » par des proches[2237] avait en effet sauvé l’essentiel mystique, mais ‘trop tôt’ en omettant les dates et les noms des correspondants. Ceci a conduit à minorer leur importance au bénéfice de textes complets signés mais souvent d’intérêt mineur.
Car les aspects visibles et multiformes ont été mis en valeur très tôt - ils intéressaient l’histoire du temps -, mais ils ont perdu depuis leur actualité : il s’agit de multiples opuscules rédigés en défense du quiétisme, de ceux rédigés en réaction à la seconde période janséniste, de textes éducatifs et de conseils politiques qui demeurèrent inutiles à la suite du décès du duc de Bourgogne, un temps dauphin.
L’image un peu molle de l’auteur du Télémaque destiné à un prince adolescent, ou bien celle de l’archevêque ferraillant contre le jansénisme, a caché la grandeur et la fermeté chirurgicale nécessaire du grand directeur spirituel ; il nous apparaît aujourd’hui comme le plus profond des moralistes[2238].
La trajectoire ascendante qui transforme la vie du jeune abbé, poulain de Bossuet promis à un brillant avenir de par ses capacités intellectuelles, conduira à la grandeur de l’archevêque combattant misères personnelles et collectives sans en tirer aucun profit personnel ou familial. Cette évolution n’a pas été suffisamment soulignée car la statue figée, érigée au siècle de sa mort, ne rend pas compte de l’homme cheminant vers son accomplissement intérieur [2239].
Nous privilégions donc ici les écrits mystiques datant surtout de la fin d’une vie qui se déroule dans l’ombre portée par des politiques religieuses et royales contraires. L’image d’un auteur littéraire laisse place à celle du mystique sobre et sans illusion dont l’esprit subtil n’hésite pas lorsque l’essentiel à ses yeux est mis en cause.
Le desengaño[2240] parfois évoqué pour rendre compte d’un « tempérament sec » délivré de toute illusion se rattache souvent aux stades mystiques avancés. Il s’agit d’une vision des phénomènes vécus par qui a dépassé le senti et des interprétations tributaires d’époques et de croyances.
Notre florilège sera chronologique pour souligner la dynamique d’une vie consacrée puis donnée à Dieu. Tout commence par une rencontre improbable où l’attirance naturelle n’a guère de part, entre une ‘Dame directrice’ [2241] et le jeune abbé. Rencontre sans sublime ni amalgame, contrairement à l’expression malicieuse de Saint-Simon. Puis vient la découverte rendue avec élan et fraîcheur par une identification avec les premiers chrétiens d’Alexandrie conduits par saint Clément.
Ensuite, le pasteur compose des essais titrés et ferraille avec finesse, mais sans fautes dans les combats de la ‘querelle quiétiste’. Enfin - condamnation acceptée et silence induit obligent -, le prélat se tait. Mais il s’opposera aux désunions des chrétiens en défendant l’autorité religieuse du pape tandis que sa charge d’âmes lui a fait produire des mandements qu’il jugeait nécessaires à leur conduite.
Plus discrètement il continua à diriger de Cambrai des âmes intérieures - membres du cercle constitué autour de « notre père » - outre la carmélite Charlotte de Saint-Cyprien dont nous reproduisons en premier l’ensemble des rares lettres qui nous sont parvenues – au moment même où madame Guyon, « notre mère », retirée sur les bords de la Loire près de Blois, agissait de même auprès de ses visiteurs. Les deux amis communiquaient par l’intermédiaire de ces derniers, en particulier par le neveu de l’archevêque.
On retiendra de ces aventures d’un passé évanoui la grandeur du moraliste qui traverse les couches superficielles des égoïsmes. Il sait révéler, au sein de ces couches intermédiaires nous séparant du cœur de nous-mêmes, reconnues aujourd’hui de psychologues et de psychanalystes, tous les fils échappatoires. Il les coupe avec une lame dont la précision est illustrée par le récit de Tchoang-tseu[2242]. Son seul but est de mener droitement à Dieu. En même temps son devoir de pasteur archevêque lui fait guerroyer en théologie et philosopher assez intelligemment sur l’existence de Dieu[2243]. L’abondance de ces derniers textes publics a voilé l’essentiel.
Notre florilège mystique est constitué de parties qui se succèdent chronologiquement : la rencontre mystique avec madame Guyon précède des extraits d’écrits titrés dont se détache le saint Clément. Puis une abondante correspondance de direction privilégie la période de maturité où Fénelon atteint le plein achèvement mystique.
Le florilège spirituel revivifie l’image de Fénelon, mais surtout veut être utile aujourd’hui. Aussi notre contribution dans le plein texte est-elle réduite,[2244] car, plutôt que de paraphraser des sources il faut laisser toute la place aux témoignages personnels : seul l’individu reflète une vie mystique.
Pour la chronologie des événements, on se reportera à celles établies par J. Orcibal dans la Correspondance de Fénelon[2245]. Ainsi qu’à un « recueil de textes d’époque, rangés dans un ordre aussi rigoureusement chronologique que possible, reliés par une brève narration » pour approcher madame Guyon[2246].
Le dossier à incidences mystiques que nous proposons demande une certaine patience envers des textes qui ne recherchaient aucune diffusion, mais s’adressaient à tel(le) correspondant(e) ciblé(e). Elle est encouragée par le don d’écrire du directeur.
Son lecteur va commencer l’exploration par un témoignage « brut de décoffrage » provenant de sa « dame directrice », texte de sa Vie par elle-même qui n’était destiné qu’à un confesseur, le P. Lacombe[2247].
Notre but n’est ni historique ni théorique. Nous nous adressons aux chercheurs spirituels.
Toutefois nous mêlons - localement et en corps de caractères réduit - des aspects historiques au florilège proposé, afin de souligner un comportement exemplaire rare chez les prélats du temps, mais constant chez le pasteur et directeur spirituel François de Fénelon, digne successeur de François de Sales.
Prouver le rôle de la « dame directrice » qui l’initia à la vie mystique corrige « l’oubli » de siècles où l’on a dû protéger la figure illustre de l’Archevêque en l’occultant. Après le témoignage intime forcément subjectif de 1688 porté par Mme Guyon - Fénelon n’a jamais eu à exposer par écrit à la requête d’un confesseur la manière dont il a vécu une rencontre décisive - nous proposons quelques échanges entre directrice et dirigé, produisons les questions-réponses de l’échange de mai 1710, seul survivant des relations par questions-réponses rétablies après les prisons. Ensuite des extraits de correspondance témoignent d’une parfaite fidélité fénelonienne.
Les interactions entre Fénelon et ses dirigé(e)s furent éclairées magistralement par J. Orcibal : nous reprenons ses notes en les allégeant seulement de renvois, puisque le présent ouvrage ne prétend pas à érudition. Et de même pour celles par I. Noye dont son [CF 18] a été le moteur de notre travail. Ces reprises seront utiles aux chercheurs car nous ne disposons à ce jour d’aucun outil permettant de les retrouver facilement au sein des volumes impairs des études et notes de la [CF][2248] ! Il en est de même d’une utilité offerte par les Relevés de correspondances figurant en fin des sections par destinataire et concernant les volumes pairs de lettres.
Notre disposition reste chronologique, par et dans les sections propres à chaque dirigé(e). Ceci permet de suivre « à la trace » chaque évolution, souvent de longue durée, pas toujours mystique. C’est le seul moyen de s’approcher d’un vécu intérieur. Nous privilégions l’expérience vécue, donc pas de théologie ! La distribution par destinataires permet d’apprécier la finesse du commun directeur envers des « commençants » ou des « pèlerins », tous considérés comme des « amis ». Fénelon aurait succédé à Mme Guyon s’il eût vécu.
Ce florilège est issu de lectures successives sur une dizaine d’années effectuées à travers mais sans couvrir l’immensité des écrits féneloniens. Il doit tout aux travaux de Gosselin [OC], d’Orcibal et de Noye [CF], de Le Brun [OP]. Table des sigles des sources, infra.
Nous pensons que ce travail met en valeur, outre la profondeur d’une Charlotte de Saint-Cyprien, la ‘Petite Duchesse’ de Mortemart : cette cadette du ‘clan Colbert’ sut s’imposer auprès de son frère et des membres du ‘petit troupeau’ mystique. Elle en prit la direction avec Fénelon au moment des épreuves de la ‘Dame Directrice’. Adoucie par l’expérience, après la disparition de Fénelon en janvier 1715 puis de Mme Guyon en juin 1717, elle continua leur apostolat en couvrant la première moitié du XVIIIe siècle, certes aidée par d’autres membres des deux cercles de spirituels, les un « cis » français, les autres « trans » européens. Nous avons approfondi son portrait placé en tête de la section qui lui est consacrée.
La direction de
Fénelon par Madame Guyon, présentée et éditée par Murielle et Dominique
Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame
Guyon ».
La correspondance entre Madame Guyon et Fénelon est
d’un exceptionnel intérêt : elle constitue à notre connaissance le seul
texte relatant au jour le jour la « mise au monde » d’un mystique par
une autre mystique servant de canal à la grâce. Le lecteur contemporain
imprégné de psychanalyse frémira parfois devant les dérapages sentimentaux de
Madame Guyon. Mais interpréter cette relation comme traduisant un érotisme
frustré réduit à un connu élémentaire ce qui le dépasse visiblement, si l’on se
penche sur ces textes avec respect et honnêteté : ils témoignent de la
découverte expérimentale d’un au-delà du monde corporel et psychologique,
qu’ils ont appelé Dieu. Il faut donc accepter d’entrer avec eux dans le
territoire inconnu dont ils portent témoignage et que Madame Guyon a exploré
seule sans personne pour la guider.
Elle a rencontré Fénelon peu avant le 3 octobre 1688,
après qu’il lui eut été désigné par un rêve :
Après vous avoir vu en songe, je vous cherchais dans toutes les personnes que
je voyais, je ne vous trouvais point : vous ayant trouvé, j’ai été remplie
de joie, parce que je vois que les yeux et le cœur de Dieu sont tout appliqués
sur vous. (Lettre 154 [2249]).
Il fut le disciple préféré, avec qui elle se sentait
en union mystique complète ; il se révèla le seul dont les potentialités
fussent égales aux siennes, ce qui explique son immense joie, le soin extrême
qu’elle prit à le suivre pas à pas et les analyses remarquables qu’elle lui
adressa durant de nombreuses années (dont ne demeurent que le début de leur
relation et quelques vestiges) :
Dieu ne veut faire qu’un seul et
unique tout de vous et de Lui : aussi n’ai-je jamais trouvé avec personne
une si entière correspondance, et je suis certaine que la conduite intérieure
de Dieu sur vous sera la même qu’Il a tenue sur moi, quoique l’extérieur soit
infiniment différent. (Lettre 132).
Le fondement de la relation de Madame Guyon avec ses
enfants spirituels était la communication de la grâce dans le silence d’un cœur
à cœur qui se poursuivait même à distance. Elle eut donc à apprendre à Fénelon
à aller au-delà du langage, à préférer une conversation silencieuse :
Lorsque l’on a une fois appris ce langage [...], on apprend à être uni en
tout lieu sans espèces et sans impureté, non seulement avec Dieu dans le
profond et toujours éloquent silence du Verbe dans l’âme, mais même avec ceux
qui sont consommés en Lui : c’est la communication des saints véritable et
réelle. (L. 157).
Tout au long de ces lettres, elle tente par images
d’exprimer le flux de grâce qui passe à travers elle :
Mon âme fait à présent à votre égard comme la mer qui entre dans le fleuve
pour l’entraîner et comme l’inviter à se perdre en elle » (L. 276). Ou
encore : « Dieu me tient incessamment devant Lui pour vous, comme une
lampe qui se consume sans relâche […] Il me paraissait tantôt que je n’étais
qu’un canal de communication, sans rien prendre. (L. 114).
Sa mission est souvent lourde à supporter :
Dieu m’a associée à votre égard à Sa paternité divine […] Il veut que je
vous aide à y marcher [vers la destruction], que je vous porte même sur mes
bras et dans mon cœur, que je me charge de vos langueurs et que j’en porte la
plus forte charge. (L. 154).
Elle sait combien cela paraît extraordinaire et elle
insiste souvent :
Ceci n’est point imaginaire mais très réel : il se passe dans le plus
intime de mon âme, dans cette noble portion où Dieu habite seul et où rien
n’est reçu que ce qu’Il porte en Lui. (L. 146).
Avec l’autorité que donne l’expérience, elle fonde
ontologiquement la paternité spirituelle dans l’importante lettre 276 :
Le père en Christ ne se sert pas seulement de la force de la parole, mais
de la substance de son âme, qui n’est autre que la communication centrale du
Verbe.
Cette circulation de la grâce se fonde sur le
« flux et reflux » qui a lieu dans la Trinité même. Elle affirme avec
force : « Tout ce qui n’est point cela n’est point sainteté. »
La tâche est immense et ne souffre aucune
relâche :
Je me trouve disposée à vous poursuivre partout dans tous les lieux où vous
pourriez trouver refuge et, quoi qu’il m’en puisse arriver, je ne vous
laisserai point que je ne vous aie conduit où je suis. (L. 220).
Elle va lui faire quitter peu à peu tous ses appuis, à
commencer par le domaine de l’intellect
auquel s’accroche cet homme si raisonnable et scrupuleux :
Vous raisonnez assurément trop sur les choses [...] Je vous plains, par ce
que je conçois de la conduite de Dieu sur vous. Mais vous êtes à Lui, il ne
faut pas reculer. (L. 128).
Il rend les armes et ironise sur lui-même :
Je ménage ma tête, j’amuse mes sens, mon oraison va fort
irrégulièrement ; et quand j’y suis, je ne fais presque que rêver [...]
Enfin je deviens un pauvre homme et je le veux bien. (L. 149).
Elle lui fait abandonner toute ses habitudes
d’ecclésiastique, son bréviaire (L. 231 sq.) et même la confession :
Il faut que (Dieu) soit votre seul appui et votre seule purification. Dans
l’état où vous êtes, toute autre purification vous salirait. Ceci est
fort. (L. 267).
Elle lui fait dépasser toute référence morale
humaine :
Je vous prie donc que, sans vous arrêter à nulles lois, vous suiviez la loi
du cœur et que vous fassiez bonnement là-dessus ce que le Seigneur vous
inspirera. Ce n’est plus la vertu que nous devons envisager en quoi que ce
soit, - cela n’est plus pour nous -, mais la volonté de Dieu, qui est
au-dessus de toutes vertus. (L. 219).
Le but est d’atteindre l’état d’enfance où Dieu seul
est le maître et où nul attachement humain n’a plus cours :
C’est cet état d’enfance qui doit être votre propre caractère : c’est
lui qui vous donnera toutes grâces. Vous ne sauriez être trop petit, ni trop
enfant : c’est pourquoi Dieu vous a choisi une enfant pour vous tenir
compagnie et vous apprendre la route des enfants. (L. 154).
Elle le ramène sans cesse à l’essentiel :
Il faut que nous cessions d’être et
d’agir afin que Dieu seul soit. (L. 263).
On mesure facilement les difficultés de Fénelon :
dans cette société profondément
patriarcale, ce prince de l’Eglise à qui toute femme devait obéissance a dû
s’incliner devant l’envoyée choisie par la grâce. Elle ne s’y trompe pas et lui
dit carrément :
Il me paraît que c’est une conduite
de Dieu rapetissante et humiliante pour vous qu’Il veuille me donner ce qui
vous est propre. Cependant cela est et cela sera, parce qu’Il l’a ainsi voulu.
(L. 124).
Plus tard, elle lui écrit avec humour et
tendresse :
Recevez donc cet esprit qui est en moi pour vous, qui n’est autre que
l’esprit de mon Maître qui S’est caché pour vous non sous la forme d’une
colombe [...], mais sous celle d’une petite femmelette. (L. 292).
Leurs deux tempéraments étaient opposés : il
était un intellectuel sec et raisonnable, un esprit analytique très fin, un
ecclésiastique rempli de scrupules ; elle était passionnée, parfois un peu trop
exaltée, et surtout elle ne pouvait rien contre les « mouvements » de
la grâce, si prompts qu’elle agissait et écrivait sans y pouvoir rien (L. 253).
Elle s’excuse souvent de ce qu’elle est :
Dieu m’a choisie telle que je suis pour vous, afin de détruire par ma folie
votre sagesse, non en me faisant rien, mais en me supportant telle que je suis.
(L. 171).
Mais avec tendresse et rigueur, elle le bouscule pour
lui faire lâcher ses attachements personnels et le ramener à tout prix vers
l’essentiel. On le voit peu à peu abandonner ses préjugés et ses peurs, il la
rassure :
Rien ne me scandalise en vous et je ne suis jamais importuné de vos
expressions. Je suis convaincu que Dieu vous les donne selon mes besoins.
Et il termine en souriant sur lui-même :
Rien n’égale mon attachement froid et sec pour vous. » (L. 172).
Surtout il accède à l’essence même de la relation
spirituelle :
Je ne saurais penser à vous que cette pensée ne m’enfonce davantage dans
cet inconnu de Dieu, où je veux me perdre à jamais. (L. 195).
Il règne entre eux deux un rapport complexe d’autorité
réciproque : bien qu’elle lui laisse son entière liberté, il sait bien que
sa parole est vérité et avertissement divin (L. 220). Quand elle manque de
mourir, il lui écrit, éperdu :
Si vous veniez à manquer, de qui prendrais-je avis ? Ou bien serais-je
à l’avenir sans guide ? Vous savez ce que je ne sais point et les états où
je puis passer. (L. 249).
Inversement,
elle le considère comme signe de Dieu pour elle et lui affirme toujours
sa soumission en tout :
Il n’y a rien au monde que je ne condamnasse au feu de ce qui m’appartient,
sitôt que vous me le diriez [...] Comptez, monsieur, que je vous obéirai
toujours en enfant. (L. 169).
Avec une totale confiance et une grande estime, elle
se confie à lui car elle est dans un état d’enfance, d’abandon trop profond à
la volonté divine pour vouloir encore réfléchir ou décider par elle-même :
Notre Seigneur m’a fait entendre que vous êtes mon père et mon fils, et
qu’en ces qualités vous me devez conduire et me faire faire ce que vous jugerez
à propos, à cause de mon enfance qui ne me laisse du tout rien voir, ni bien ni
mal, que ce qu’on me montre dans le moment actuel. (L. 280).
Il lui répondra toujours avec une déférence et une
délicatesse extrêmes : sans oser lui donner d’ordres, il lui suggère des
solutions dans des problèmes délicats ou familiaux.
Si Madame Guyon a été source de souffrances
purificatrices pour Fénelon, il a été pour elle le support de projections
psychologiques intenses, qui elles aussi ont été détruites par la Providence.
Fénelon fut précepteur du duc de Bourgogne de 1689 à 1697 et aurait pu devenir
son premier ministre après la mort de Louis XIV : Madame Guyon et son
entourage ont rêvé d’une France enfin gouvernée par un prince bien entouré et
imprégné de spiritualité, au point que Madame Guyon s’est laissée aller à des prédictions à
propos de ce prince :
Il redressera ce qui est presque détruit [...] par le vrai esprit de la
foi. » (L. 184).
On sait que le Dauphin mourut en 1712. De même, Madame
Guyon vit en Fénelon son successeur après sa mort. En avril 1690, croyant
mourir, elle lui confia sa charge spirituelle :
Je vous laisse l’Esprit directeur que Dieu m’a donné [...] Je vous fais
l’héritier universel de ce que Dieu m’a confié. » (L. 248).
Malheureusement Fénelon est mort avant elle en janvier
1715. Si Fénelon n’a pas pu
continuer après elle, il a été d’une
grande aide puisqu’il a pris en charge ceux qui se trouvaient autour de lui.
Petit à petit, on voit Madame Guyon lui donner des conseils pour diriger
certains amis, et il expérimente à son tour la communication de la grâce cœur à
cœur avec ses propres disciples :
Je me sens un très grand goût à me taire et à causer avec Ma. Il me semble
que son âme entre dans la mienne et que nous ne sommes tous deux qu’un avec
vous en Dieu. Nous sommes assez souvent le soir comme des petits enfants
ensemble, et vous y êtes aussi quoique vous soyez loin de nous. (L. 266).
Ceci ne peut exister que dans son union avec elle, lui
explique Madame Guyon :
Vous ne ferez rien sans celle qui est comme votre racine, vous enté
[enraciné] en elle comme elle l’est en Jésus-Christ [...] Elle est comme la
sève qui vous donne la vie. (L. 289).
Comme on le voit très clairement dans les lettres aux
autres disciples, il s’est formé autour
de Fénelon un cercle spirituel équivalent à celui de Madame Guyon à Blois, au
point que tous les appelaient « père » et « mère ».
Tout au long de ces années, Madame Guyon s’émerveilla
de leur union si totale en Dieu :
Vous ne pourriez en sortir [de Dieu] sans être désuni d’avec moi, ni être
désuni d’avec moi sans sortir de Dieu. » (L. 271).
Elle célèbre la liberté absolue de cette union au-delà
de l’humain « au-dessus de ce que le monde renferme de cérémonies et de
lois » :
Les enfants de l’éternité […] se sentent dégagés de tous liens bons et
mauvais, leur pays est celui du parfait repos et de l’entière liberté. »
(L. 271).
Même la mort ne pouvait les désunir :
Le jour qu’il tomba malade, je me sentis pénétrée, quoique assez éloignée
de lui, d’une douleur profonde mais suave. Toute douleur cessa à sa mort et
nous sommes tous, sans exception, trouvés plus unis à lui que pendant sa vie.
(L. 385 à Poiret).
Quelques précisions peuvent être utiles au lecteur
soucieux de mieux connaître les conditions dans lesquelles se déroulèrent les
relations entre madame Guyon et Fénelon [2250] :
L’ensemble du volume présent couvre environ le sixième
de la correspondance de madame Guyon : c’est la plus importante série
de lettres de directions qui nous soit parvenue ; encore avons-nous perdu la
moitié des lettres échangées entre madame Guyon et Fénelon qui aurait constitué
la suite de ce que l’on va lire.
On sait que le premier de quatre recueils manuscrits
fut utilisé par Dutoit en 1767-1768 mais il ne nous est pas parvenu. Les
lettres éditées par Dutoit furent reconnues comme authentiques et publiées en
majeure partie tardivement par Masson [2251].
Il ouvre cette correspondance. Le second
recueil, un anonyme découvert par I. Noye à la B.N.F., est édité dans notre complément de l’année 1690. L’existence
de deux derniers recueils perdus a été établie [2252].
Nous éditons ici cette correspondance en quatre
sections :
I. La
« Correspondance secrète » de l’année 1689, premier volume publié
au XVIIIe siècle, reconnue authentique et publié en majeure partie
par Masson en 1907, couvre les quatorze premiers mois de la
rencontre (octobre 1688 à décembre 1689).
II. Le
complément de l’année 1690 couvre presque la même durée (fin décembre 1689
à la fin de l’année 1690). Cet apport du recueil découvert par I. Noye a été
édité pour la première fois en 2003 en ce qui concerne les lettres écrites
par Madame Guyon [2253].
III. Lettres
écrites après 1690 reprend les rares témoignages qui nous sont parvenus de
la correspondance ultérieure. Une pièce importante et révélatrice est daté de mai 1710 et a fait le
voyage de Cambrai à Blois et inversement, probablement portée par le marquis de
Fénelon ou par le « chevalier » Ramsay. Écrite sur deux colonnes
comportant d’un côté des questions posées par l’archevêque et de l’autre les réponses de Madame Guyon, procédé assez
souvent rencontré ailleurs, elle est édité de façon compréhensible en faisant
suivre les réponses aux questions [2254].
Ce précieux témoin éclaire sur le type de relations qui perdura après 1703
jusqu’à la mort de Fénelon en janvier 1715 grâce à des lettres portées par
des amis sûrs entre Blois et Cambrai (il en fut de même vers l’étranger, en
particulier vers l’Écosse et la Hollande).
IV. Lettres non
datées ou d’attributions incertaines.
Des lettres de
datation inconnue ou d’attribution douteuse ont été en outre proposées dans le
présent volume : il s’agit de notre collecte basée sur des indices ténus. Elle
est faite sur l’ensemble nettoyé de toutes précisions de noms ou de dates par
les disciples. Il s’agit des cinq volumes publiés au XVIIIe siècle
et regroupés dans notre dernier tome de correspondance [2255].
[V.] Il faudrait tenir
compte de lettres qui, par l’intermédiaire du duc de Chevreuse ou de la petite
duchesse de Mortemart, furent connues de Fénelon. À l’époque ce dernier ne
pouvait apparaître comme destinataire : l’abbé promu bientôt archevêque
devait être protégé d’attaques menées contre le cercle quiétiste animé par sa
« Dame directrice ». On passe d’une conduite à fin mystique à celle
de l’histoire d’un combat inégal [2256].
Cette cinquième partie s’écarte d’une direction mystique de Fénelon : on
peut donc l’omettre entièrement.
On omet aussi un échange de poésies
spirituelles d’origine douteuse [2257]
qui n’apporte guère de compléments utiles aux relations épistolaires en prose.
On consultera deux éditions critiques pour les sources publiées ou manuscrites,
les événements et les personnages, etc. [2258].
Outre quelques ajouts et corrections, l’ordre des
lettres a parfois été déplacé depuis notre précédente édition [2259].
Il demeure toujours incertain.
§
L’essentiel de ce qui nous a été conservé couvre six
trimestres (janvier 1689 – Juin 1690) et présente une répartition uniforme dans
sa partie centrale. La moyenne relative à la correspondance totale, pour cette
année et demie, atteint trente lettres par mois, soit une lettre par jour - la
correspondance passive issue de Fénelon y contribuant en moyenne pour neuf
lettres par mois, soit une lettre tous les trois jours.
On pense que des lettres de Madame Guyon furent
adressées à Fénelon longtemps auparavant [2260]. On
sait que la correspondance continua après 1690, indirectement relayée par le
duc de Chevreuse ; elle fut interrompue par l’emprisonnement à la Bastille
de Madame Guyon, pour reprendre ensuite : les courriers entre Cambrai et
Blois étant assurés par le marquis neveu de Fénelon et le
« chevalier » Ramsay comme déjà indiqué, mais aussi par d’autres
(Écossais, Dupuy ?, …) les deux « cahiers de lettres » de ce qui
suit le corpus des années 1689-1690
resterait à découvrir ?
Il est enfin éclairant de noter la distribution des
lettres écrites par Fénelon à divers correspondants pendant ses deux
années de premières relations avec madame Guyon :
Pour l’année 1689, les 49 lettres de Fénelon, éditées
par Orcibal, sont adressées à : Madame Guyon (36), Chevalier Colbert (5),
Mme de Maintenon (3), autres (4).
Pour l’année 1690, les 54 lettres de Fénelon, éditées
par Orcibal, sont adressées à : Madame Guyon (19), Mme de Maintenon (7),
la comtesse de Gramont (9), Seignelay (6), d’autres (13).
Plus de la moitié du total des lettres sont ainsi adressées à Madame Guyon. Madame de Maintenon
vient en seconde place. Elle est suivie de près par les autres dirigé(e)s de
l’abbé.
Il est éclairant d’évoquer les événements couvrant
vingt-huit mois de correspondance intense : chronologie courte car nous avons peu de renseignements
précis sur une période assez heureuse [2261] :
13 septembre 1688 : Madame Guyon sort de la
prison de la Visitation du Faubourg
Saint-Antoine, suite aux interventions de Mme de Miramion et d’une
abbesse parente de Mme de Maintenon.
« Un peu avant le 3 octobre 1688 » a
lieu la rencontre décisive avec l’abbé de Fénelon au château de Beynes [2262].
Mme Guyon est malade durant trois mois avec un abcès à l’œil.
Elle réside chez les Miramionnes. Mme de Miramion découvre les
calomnies du P. la Mothe [2263].
2 décembre 1688 : Fénelon écrit à Mme Guyon.
Fénelon prêche successivement à des religieuses (28 novembre, 1er dimanche
de l’Avent), aux Nouvelles Catholiques (12 décembre, 3e dimanche de
l’Avent), à la maison professe des jésuites (1er jour de l’an 1689.)
Entre le 10 et le 14 avril 1689 a lieu une
entrevue entre Fénelon et Mme Guyon, puis à partir du 22 au 30
avril 1689 Mme Guyon séjourne à la campagne [2264].
20 juin 1689 : rencontre à Saint-Jacques de la
Boucherie [2265].
17 juillet 1689 : Fénelon écrit : « Je
reviens de la campagne [Germigny ?] où j’ai demeuré cinq jours [2266] ».
24 et sans doute 28 août 1689 : Rencontres.
25 août 1689 : Armand-Jacques, le fils aîné de
Madame Guyon, est blessé à l’engagement de Valcourt. Il restera estropié [2267].
26 août 1689 : sa fille Jeanne-Marie épouse
Louis-Nicolas Fouquet, comte de Vaux.
29 août 1689 : Fénelon, prête serment devant le
roi comme précepteur du duc de Bourgogne. Il commence son enseignement le 3
septembre et réside désormais à Versailles.
Début octobre 1689 : Fénelon « n’a pas assez
de foi ». Crise de novembre [2268].
Janvier 1690 ? : Lettre de Fénelon à Mme de
Maintenon [2269]
« sur ses défauts. »
Février 1690 : « Pour ma santé, elle est
bien détruite…[2270] »
L’année 1690 est très mal documentée en ce qui
concerne Madame Guyon : « Ayant quitté ma fille, je pris une petite
maison éloignée du monde…[2271] »
Longue période sans événements datés de Mme Guyon.
Jean-Baptiste Colbert, marquis de Seignelay, fils aîné
du ministre, est assisté par Fénelon et meurt le 3 novembre 1690. (Les filles
Colbert ont épousé les ducs de Beauvillier et de Chevreuse, disciples de Madame
Guyon).
8 novembre 1690 : Fénelon va à Issy remettre une
lettre à M. Tronson, son ancien confesseur, à la demande de Mme
de Maintenon.
29 novembre 1690 : mise à l’index du Moyen court.
11 décembre 1690 : Fénelon participe à un conseil
des directeurs de Saint-Cyr qui décide de la vocation de Mme de la
Maisonfort.
Nous allégeons l’apparat critique. On le trouvera complet dans nos éditions critiques de Madame Guyon, Correspondance…, Tomes I à III, op.cit. Les numéros de ces pièces suivaient une reprise propre à chaque tome : ils sont placés ici entre crochets après la numérotation continue adoptée dans le présent ensemble.
Les lettres écrites par Fénelon bénéficient d’une mise en relief par l’usage d’italiques. On se reportera à la Correspondance de Fénelon, I à IV, Klinksieck, 1972 à 1976, pour bénéficier de précieuses notes établies par Jean Orcibal, comme souligné précédemment. Les corrections reportées en errata dans Madame Guyon, Correspondance III, 923 sq., ont été intégrées ; de nouvelles ont été introduites.
François Lacombe (1640-1715), Vie, Œuvres, Epreuves du Père Confesseur de Madame Guyon, Sources assemblées par D.Tronc, coll. « Chemins mystiques », lulu.com, 648 p.
Quatrième de Couverture
FRANÇOIS LA COMBE (1640-1715)
Vie, Œuvres, Epreuves du Père Confesseur de Madame
Guyon
Sources présentées par Dominique Tronc
François La Combe ou Lacombe (1640-1715) fut le
compagnon aîné confesseur de madame Guyon. Il est resté dans l’ombre lorsqu’il
ne fut pas simplement et sommairement mis en cause.
Nous l’approchons sérieusement ici pour la première
fois en rassemblant l’essentiel de ce qui le fait mieux connaître et apprécier.
Nous disposons de nombreux documents : une Vie
décrite d’après des témoignages provenant principalement de Madame Guyon, des Œuvres qui ne sont pas médiocres, des Epreuves dont témoignent d’amples lettres
qu’il put faire parvenir de la prison de Lourdes.
Ce dossier est établi par recours à nos éditions des
œuvres de madame Guyon (Vie,
Correspondance, Années d’épreuves). Ses écrits rédigés ou traduits en
Français sont réédités ici pour la première fois depuis le XVIIIe
siècle.
Le confesseur dans tous les sens du terme, incluant de
lourdes épreuves qui demeurent cachées et vécues sans répit jusqu’à la mort,
est profondément mystique. Il est digne de l’attachement d’une dirigée devenue
rapidement son inspiratrice.
Le barnabite François
Lacombe ou La Combe (1640-1715) devint le compagnon aîné confesseur de madame
Guyon (1647-1717).
Il est resté dans
l’ombre lorsqu’il ne fut pas simplement, sommairement et fort bassement mis en
cause. Nous voulions donc mieux le connaître. Nous disposons pour cela de
nombreux documents :
Des témoignages livrés
par Madame Guyon dans sa Vie par elle-même.
Près de cinquante
lettres figurent dans nos éditions des écrits de madame Guyon (Vie par
elle-même, Correspondance I & II, Années d’épreuves).
S’y ajoutent des
écrits traduisant son expérience. Ils ne sont pas médiocres. Ils furent
publiées indépendamment à trois dates : une œuvre en deux parties fut
incluse dans les Opuscules spirituels, tome II édité par Pierre Poiret en
1720 pour mettre à disposition les écrits de madame Guyon qu’il jugeait
essentiels ; une œuvre traduite du latin fut publiée en 1795
par le groupe des fidèles suisses ; une défense demeura manuscrite jusqu’à
sa publication en 1910.
Les pièces du dossier
ainsi constitué sont données intégralement. Nous les distribuons en suivant
l’ordre chronologique :
1. La vie du
confesseur en liberté dont témoigne surtout madame Guyon.
2. Des écrits du
mystique directeur rédigés peu avant son enfermement.
3. Le témoignage
des prisons porté par ses lettres.
L’ensemble textuel que
nous venons d’établir pour la première fois autour du Confesseur le révèle
comme bon directeur mystique. Une fragilité humaine est associée à la
profondeur mystique. La tâche au départ entreprise pour mieux connaître le compagnon de Madame Guyon s’est
révélée fructueuse et utile pour nous-même. Aussi est-ce à juste titre qu’il
fut révéré dans les cercles quiétistes européens du XVIIIe siècle
comme martyr témoignant de la vie mystique en foi.
À quarant-six années
d’apostolat succédèrent vingt-sept années d’enfermements, terrible sort.
Contrairement à madame Guyon, qui après huit années d’emprisonnements devint de
nouveau une active directrice mystique, le simple confesseur abandonné par son
Ordre ne fut jamais libéré.
VG, CG,
EG :
Madame Guyon, La vie par elle-même […], Honoré Champion (2001) [VG]
Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles (2003), II Années
de combats (2004), III Chemins mystiques (2005) Honoré Champion
[CG 1 à 3].
Les années d’épreuves de Madame Guyon, Emprisonnements et
interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Honoré Champion, 2009 [EG].
[O.] :
« LA COMBE (François), barnabite, 1640-1715. 1. Vie. — 2. Œuvres. — 3. Spiritualité. » Contribution de Jean Orcibal au Dictionnaire de Spiritualité Ascétique et Mystique, fascicules LIX-LX, col. 35, Beauchesne, Paris, 1975.
L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon,
Desclée, 1958.
Nous n’avons pas fait
de recherche personnelle portant sur la biographie du Père La Combe avant sa
première rencontre avec la jeune Madame Guyon. Mais Jean Orcibal expose les
heureux débuts du religieux exemplaire et prometteur dans sa contribution au
Dictionnaire de Spiritualité [2272]puis
résume en fin de sa contribution les sources qui lui étaient disponibles [2273]. Voici ses utiles « données de
base » :
Né à
Thonon (Savoie) en 1640, François La Combe reçut l’habit des barnabites au
collège de cette ville qui était tenu par ces religieux (1655) ; il fut sans doute profès le
9 juillet 1656. Sous-diacre le 17 décembre 1661, il est ordonné prêtre le 19
mai 1663 par Jean d’Arenthon d’Alex, évêque de Genève.
Au
collège d’Annecy, il enseigna avec grand succès la grammaire, la rhétorique, la
philosophie et la théologie (ses Disputationes
sabbatinae furent particulièrement remarquées) ; il prêcha et collabora aux
missions du Chablais.
À la
fin de 1667, il fut appelé au collège Saint-Éloi de Paris avec le titre de
consulteur du provincial. En 1669 et 1670, il prit une part notable aux
missions du diocèse d’Autun[2274].
En mai-juin 1671 a lieu une première
chaleureusee mais brève rencontre entre La Combe et la jeune Madame Guyon. Mais
la « grande rencontre » mystique débutant leur collaboration ne se produira que dix ans plus
tard, suivant de peu la mort du directeur Bertot en 1681 (Madame Guyon ne perd
pas de temps lorsqu’une recherche de direction mystique s’impose).
Ce premier « croisement »
se produit parce que le frère consanguin de Madame Guyon, Dominique de La Mothe
était du même ordre barnabite que La Combe. Il précède de peu la rencontre
mystique décisive de Madame Guyon et de Monsieur Bertot qui va la diriger
jusqu’à sa mort. Cettte rencontre décisive est décrite au chapitre suivant 1.19
de la Vie par elle-même. Elle est datée du 21 septembre de la même année 1671
(ici déjà, aucune « perte de temps »).
Voici le début du
chapitre relatant le « croisement » entre les futurs « associés ».
On note l’effet que provoque la jeune madame Guyon dont un visage lumineux rend
probablement compte de sa découverte de la vie mystique très bien décrite au §
2 que nous livrons en partie pour cette raison ; nous nous écarterons
parfois de ce qui intéresse directement les rapports avec La Combe si le texte
peut les éclairer. Ce dernier est très sensible
à une « voie des lumières » qu’il lui faudra par la suite
quitter.
Nous faisons précéder tout début du texte
principal d’un chapitre de la Vie par son résumé livré en petit corps[2275].
1. Rencontre du P. La Combe après ‘huit ou neuf mois que j'avais eu la petite vérole’. ‘Dieu lui fit tant de grâces par ce misérable canal qu'il m'a avoué depuis qu'il s'en alla changé en un autre homme.’ 2. Oraison continuelle, alternances du goût de la présence et de la peine de l’absence. 3-5. Croix désirées mais sensibles ! 6. Promptitudes. 7. Grandes charités / pour les pauvres et malades. / 8. La vertu lui devient pesante / ‘dès la seconde année de mon mariage, Dieu éloigna … mon cœur de tous les plaisirs sensuels.’
[1.] [2277]
Il y avait huit ou neuf mois que j’avais eu la petite vérole [2278]
lorsque le père La Combe passa par le lieu de ma demeure. Il vint au logis pour
m’apporter une lettre du père de la Mothe,
qui me priait de le voir, et qu’il était fort de ses amis. J’hésitai beaucoup
si je le verrais, parce que je craignais fort les nouvelles connaissances,
cependant la crainte de fâcher le père de La Mothe me porta à le faire.
Cette
conversation, qui fut courte, lui fit désirer de me voir encore une fois. Je
sentis la même envie de mon côté ; car je croyais ou qu’il
aimait Dieu ou qu’il était tout propre à l’aimer ; et je voulais que tout le
monde l’aimât. Il y avait là trois religieux. Dieu s’était servi de moi pour
les gagner à lui. L’empressement que le Père La Combe eut de me revoir le porta
à venir à notre maison de campagne qui n’était qu’à une demi-lieue de la ville.
La providence se servit d’un petit accident qui lui arriva pour me donner le
moyen de lui parler : car comme mon mari,
qui goûta fort son esprit, lui parlait, il se trouva mal étant allé dans le
jardin. Mon mari me dit de l’aller trouver de peur qu’il ne lui fût arrivé
quelque chose. J’y allai. Ce père dit qu’il avait remarqué un recueillement et
une présence de Dieu sur mon visage si extraordinaire, qu’il se disait à
lui-même : « Je n’ai jamais vu de femme
comme celle-là », et c’est ce qui lui fit
naître l’envie de me revoir. Nous nous entretînmes un peu, et vous permîtes, ô
mon Dieu, que je lui disse des choses qui lui ouvrirent la voie de l’intérieur.
Dieu lui fit tant de grâces par ce misérable canal, qu’il m’a avoué depuis
qu’il s’en alla changé en un autre homme. Je conservai un fonds d’estime pour
lui, car il me [74][2279]
parut qu’il serait à Dieu[2280],
mais j’étais bien éloignée de prévoir que je dusse jamais aller à un lieu où il
serait.
[2.]
Mes dispositions dans ce temps étaient une oraison continuelle, comme je l’ai
dit, sans la connaître. Tout ce qu’il y avait, c’est que je sentais un grand
repos et grand goût de la présence de Dieu, qui me paraissait si intime qu’il
était plus en moi que moi-même. Les sentiments en étaient quelquefois plus
forts, et si pénétrants que je ne pouvais y résister, et l’amour m’ôtait toute
liberté. D’autres fois il était si sec, que je ne ressentais que la peine de
l’absence, qui m’était d’autant plus rude que la présence m’avait été plus
sensible. Je croyais avoir perdu l’amour, car dans des alternatives, lorsque
l’amour était présent, j’oubliais tellement mes douleurs, qu’elles ne me
paraissaient que comme un songe ; et dans les absences de
l’amour, il me semblait qu’il ne devait jamais revenir, car il me paraissait
toujours que c’était par ma faute qu’il s’était retiré de moi, et c’est ce qui
me rendait inconsolable. Si j’avais pu me persuader que c’eut été un état par où
il fallait passer, je n’en aurais eu aucune peine, car l’amour de la volonté de
Dieu m’aurait rendu toutes choses faciles, le propre de cette oraison étant de
donner un grand amour de l’ordre de Dieu, une foi sublime et une confiance si
parfaite que l’on ne saurait plus rien craindre, ni périls, ni dangers, ni
mort, ni vie, ni esprit, ni tonnerre ; au contraire, il réjouit,
il donne encore un grand délaissement de soi, de ses intérêts, de sa
réputation, un oubli de toutes choses. […] [2281].
Pendant dix ans la
direction mystique est assurée par Monsieur Bertot[2282]. À
sa mort, sa dirigée cherche une aide spirituelle : elle entre en communication
épistolaire avec le Grand Carme Maur de l’Enfant-Jésus (mais il vit éloigné à
Bordeaux)[2283]
puis de nouveau elle se rapproche du P. La Combe. Avant de le retrouver
poursuivons la biographie résumée par Orcibal :
[La
Combe] fut ensuite envoyé enseigner la théologie à Bologne (7 septembre
1671), où on le chargea aussi des exercices spirituels. De Bologne, La Combe
passa à Rome, également en qualité de lecteur (12 septembre 1672-6 mars
1674).
Le
18 avril 1674, il fut, avec le titre de vice-provincial, chargé de la visite
des collèges de Savoie, mais la maladie le contraignit à se retirer à Thonon le
27 mars 1675. Nommé supérieur de la maison d’études et du noviciat de Thonon
(1677-1683), La Combe s’en absenta souvent pour prêcher, diriger des
religieuses, etc. Il jouissait alors d’une excellente réputation.
Il
ne semble pas [DS col.36] avoir à ce moment-là subi l’influence de
Madame Guyon, dont il n’aurait reçu que deux lettres avant 1680, ou de
Molinos qu’il ne rencontra jamais[2284].
À Rome, c’était au contraire le jésuite Honoré Fabri qui le regardait comme son
disciple.
Nous rattachons ici,
malgré sa date postérieure à la période couverte dans le chapitre de la Vie par
elle-même que nous venons de citer [2285], la lettre adressée par La Combe à son vieux « maître »
Fabri jésuite qui fut probablement son confesseur : c’est le seul
témoignage dont nous disposons en l’absence d’une recherche de sources
italienne qui reste à faire.
Elle traduit en termes
heurtés l’ombre et la lumière vécues tour à tour par le sensible Lacombe. Il
est animé d’un lyrisme italien d’outre-monts[2286].
L'année de cette lettre au père Fabry, Madame Guyon est à Thonon où elle
fait retraite avec La Combe et écrit les Torrents, Vie 2.11.1-5. En juillet la sœur de Madame
Guyon arrive de Sens, Vie 2.9.1-9. A l'automne commencera « la grande maladie
», une crise religieuse suivi d'un état d'enfance et de la découverte du «
pouvoir sur les âmes », Vie 2.12.6-7.
C'est donc une période
« d'apprentissage sur le tas » et de crise spirituelle partagée par
les deux mystiques que reflète la lettre suivante qui est la plus ancienne de
notre dossier La Combe. Elle
illustre un climat intérieur agité qui précède de peu le rétablissement de
Madame Guyon comme rédactrice des Torrens.
Puis Madame Guyon
exercera une influence bénéfique sur son confesseur. Elle sera interrrompue
cinq années plus tard par leurs deux emprisonnements de 1687. Pour La Combe les
prisons furent certainement durement éprouvées et sans autre fin qu’une mort
mentale et physique attestée par le responsable gardien en 1715 :
1. Du P. LACOMBE AU P. FABRY. 12 juillet 1682.
À Rome, ce 12 juillet 1682.
Mon révérend et très cher père,
Je suis toujours le même, c’est-à-dire le plus pauvre et le plus riche du monde, le plus persécuté bien qu’invisiblement, mais le plus protégé, le plus accablé de troubles et d’angoisses, mais le plus tranquille, et le plus consolé qui soit au reste des hommes, en un mot je me vois autant que jamais le sujet du plus grand et mystérieux assemblage des deux souverains [f°1v°] contraires, le paradis et l’enfer, le tout et le néant, en telle sorte que je puis assurer que l’expérience dans laquelle je me trouve me fait toucher au [du] bout du doigt que l’âme de l’homme est un être correspondant en puissance à l’acte immense de l’amour éternel, et que, si Dieu, pendant une éternité, la voulait faire croître en amour, pendant une éternité elle croîtrait, et n’arriverait jamais à un tel point d’amour qu’elle ne restât toujours capable d’un amour infiniment [f°2] plus grand que celui dont elle se trouverait enflammée. Et c’est là justement la raison pour laquelle je ne vois point de fin aux cuisantes douleurs que me fait souffrir le combat inconcevable des deux contraires qui résident en moi, parce que l’amour qui s’augmente sans cesse dans mon cœur, ne peut recevoir d’accroissement qu’au milieu de la division que causent la grâce et le péché.
J’aurais bien des choses à vous dire sur ce sujet, mais elles conviennent plutôt à un [f°2v°] livre qu’à une lettre. Je vous dirais seulement que les progrès que je fais sont si cachés aux yeux de la raison que je ne vois pour l’ordinaire que des apparences de triomphe pour le péché, et une défaite si universelle du parti de la grâce qu’il ne reste plus en moi, je ne dirais pas, une étincelle de vigueur pour entreprendre la moindre chose contre les ennemis de mon salut, mais pas même le moindre désir de leur faire la guerre. Mais, ô Dieu, que ces [f°3] apparences sont fausses, que la réalité qu’elles couvrent est différente de l’éclat trompeur par lequel l’enfer s’efforce de me séduire, et qu’enfin il est doux de se croire perdu pour jamais et sans ressources, tandis qu’on jouit effectivement de la plus haute liberté des enfants de Dieu ! Ô mon père, qu’il est doux d’aimer Dieu sans en jouir, qu’il est glorieux de préférer aux splendeurs de la gloire même, l’obscurité de la foi ! Restez, restez dans les délices [f°3v°] et tabernacles sacrés, habitants fortunés de l’empyrée, soyez paisibles possesseurs des plaisirs immenses que nous cause l’extase perpétuelle de la lumière de la gloire, et que rien n’interrompe dans toute l’éternité le désir amoureux que nous fait souffrir l’ardeur inconcevable de l’amour éternel ! Mais ne pensez pas, ô membre glorieux du corps mystique de mon adorable Maître, que je vous puisse céder l’avantage d’être plus heureux que moi : Non, non, [f°4] je ne vous saurais céder, et je veux me flatter, dans les privations que je souffre, d’être aussi heureux que vous. Je veux même croire que si, dans l’état où vous êtes, il vous était possible de former des désirs, vous n’en pourriez avoir d’autre que celui de vous substituer en ma place pour pouvoir au moins aimer plus que vous ne faites. Brûlons, mon cœur, brûlons, abandonnons-nous entièrement à la plus haute ambition dont tu es capable, et n’en ayons pas moins que Lucifer [f°4v°] même, conscendam et similis ero altissimo[2287] : je monterai et serai semblable au Très Haut.
Oui mon Dieu, puisque je ne puis Vous aimer autant que Vous m’aimez, je veux au moins en avoir le désir et souhaiter que tout ce qu’il y a de pures créatures sur la terre et dans le ciel cèdent au désir que j’ai de Vous aimer moi seul, plus qu’elles ne vous aiment toutes ensemble. Pardonnez-moi, mon père, je ne sais ce que je dis, car je parle d’aimer [f°5] Dieu sans mesure dans un temps que je ne sens pas même le moindre désir de L’aimer. Ô Majesté incompréhensible, Vous m’environnez de toutes parts, et une seule goutte de pluie dans le vaste océan y devient bien moins l’eau de la mer même que ma pauvre âme abîmée dans votre sacré sein y est changée en Vous-même, et cependant je ne Vous vois ni ne Vous sens, ne Vous connais ni ne Vous aime. Que ferai-je ? Que dirai-je ? Je meurs parce que je n’expire pas, et je peux dire que je ne vis plus que [f°5v°] parce que je suis plein de vie.
Il y a ici des personnes de toutes les conditions et de tout sexe, qui me donnent de l’admiration, et je ne saurais les voir sans me souvenir de ces paroles du Sauveur : novissimi erunt primi in regno Dei, et les derniers seront les premiers dans le royaume de Dieu[2288]. En effet, il semble que dans ce siècle, et surtout dans le temps où nous vivons, l’éternelle Sagesse travaille plus que jamais à remplir les sièges des Séraphins, des Trônes, et il n’est pas [f ° 6] plus possible d’admirer la sainteté des plus grands saints des siècles passés lorsque je suis avec ces sortes de gens, qu’il est en soi difficile de voir les étoiles en plein midi.
Je ne sais comme cela se fait, car je ne vois dans ces sortes de gens ni actions héroïques, ni prodiges, ni rien de tout ce qui fait paraître les hommes saints. Ce sont des âmes qui marchent par les voies scabreuses de la vie intérieure, et sur lesquelles Dieu permet [f°6v°] à l’enfer d’exercer ces [ses] abominations, mais l’on peut dire d’elles qu’elles sont les enfants les plus délicats de la Sagesse éternelle, qui en rend ce témoignage elle-même dans le prophète Baruc, chap. 4 : Delicati mei ambulaverunt vias asperas ; ducti sunt enim ut grex direptus ab inimicis[2289]. Ce sont des âmes qui ne vont plus chercher dans les préceptes de la loi étroite les règles de leur conduite, car elles sont si intimement unies à l’éternelle Vérité, qui est la souveraine loi, qui leur prescrit [f°7] intérieurement, et d’un ton de voix efficace, tout ce qu’il [faut] qu’elles fassent pour demeurer en Dieu, qu’elles ne sont plus en état de mettre en peine d’autre chose que de Lui obéir en tout et partout. Aussi est-ce pour cela qu’elles ne se mettent nullement en peine des violences secrètes que le démon fait à leurs puissances extérieures, animales ou sensitives, qui sont tout un, encore que le diable les manie avec tant de délicatesse, qu’elles aient sujet de croire qu’elles se portent d’elles-mêmes aux [f°7v°] transgressions et abominations qu’il leur fait commettre, et qu’elles vont contre la lumière de la raison qui est le fondement de toute la loi. Cette même lumière les rend certaines de leur innocence et du peu de part qu’elles ont dans toutes ses misères, qu’elles n’y font pas même de réflexion[2290].
Au contraire, il semble que parfois elles ne veuillent pas
même se flatter de l’intime connaissance qu’elles ont de leur pureté, et que,
pour demeurer plus perdues en Dieu, [f°8] elles se font un plaisir de sembler à
elles-mêmes criminelles. Ô qu’heureux sont ceux qui marchent par ces voies, et
qu’il y a de sûreté à aller contre la raison pour mieux obéir à la raison ! Hic liber mandatorum Dei, et lex quæ est in
aeternum. Convertere Jacob, et apprehende eam, ambula in
[per] viam et [ad] splendorem eius contra lumen eius.[2291]
§
Reprenons le fil
conducteur proposé par Orcibal faisant intervenir une autre figure féminine
mystique :
Il est en revanche certain
que La Combe doit beaucoup à Marie de l’Incarnation Bon, supérieure des
ursulines de Saint-Marcellin en Dauphiné (1636-1680 ; DS, t. 1, col. 1762). Bien que La Combe dise
ne l’avoir vue qu’une fois, il était déjà assez attaché aux idées mystiques d’abandon
et de total délaissement à Dieu pour s’être laissé entraîner par trois
religieuses à ce qu’il appellera « un
coup de fanatisme »
(16 juin 1680) : il assura à Arenthon d’Alex qu’il était envoyé par Dieu
pour le guérir de sa « propre
suffisance »[2292].
La Combe y perdit
l’estime qu’on avait pour lui en Savoie et un religieux assura même à l’évêque
que « dans six mois il serait fou ». C’est cependant à La Combe qu’Arenthon
d’Alex confie Mme Guyon l’année suivante lorsqu’elle vient à Gex avec le
projet de fonder une maison de Nouvelles Catholiques. »
Nous étudions
indépendemment la remarquable figure de la Mère Bon (1636-1680), contemplative
ursuline qui témoigne de son expérience mystique[2293].
Elle pourrait avoir été aussi influente que celle de l’évêque Ripa connu (ou
probablement retrouvé par le Père La Combe) lors du séjour italien à venir du
Père et de madame Guyon. Nous renvoyons en fin de volume, section
« Sources associées », aux notices qui leur sont consacrées.
Abordons maintenant la
« rencontre mystique » qui ouvre une collaboration de cinq
années avant une séparation définitive qui voit Fénelon prendre relai :
Dix ans passent depuis
leur premier « croisement » raconté précédemment par madame Guyon. Ils
sont remplis par la direction de monsieur Bertot. Mais il meurt en
1681 tandis que Maur de l’Enfant-Jésus vit en ermite éloigné à Bordeaux.
La Combe est devenu le
supérieur de la maison d’études et du noviciat en Savoie à Thonon depuis 1677
(il le sera jusqu’en 1683).
Madame Guyon sort
d’une nuit mystique et cherche un nouveau confesseur. Dans le récit de sa Vie
elle évoque cette épreuve puis saisit l’occasion qui s’offre de se « recommander à ses prières. » Ce qui réussit : « il me répondit d’une manière comme s’il eût
connu par une lumière surnaturelle, malgré l’effroyable portrait que je lui
faisais de moi-même, que mon état était de grâce » au [§6] :
La « petite duchesse » en relation avec
Madame Guyon,
Fénelon et son neveu
Marie-Anne de Mortemart 1665-1750, La « Petite Duchesse » en relation avec Madame Guyon, Fénelon et son neveu, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », 270 p. [Esquisse biographique, Lettres des deux directeurs : madame Guyon et Fénelon ; Lettres au marquis de Fénelon]
La « petite
duchesse » Marie-anne de Mortemart (1665-1750), aide dévouée auprès
de Madame Guyon [2294] puis
« secrétaire » et confidente
appréciée [2295], prit sa relève au sein du cercle des
disciples lorsque cette dernière fut emprisonnée puis assignée à résidence à
Blois. La cadette du « clan Colbert » avait un fort tempérament [2296], ce qui semble avoir été prévisible et fut
utile pour prendre sa juste place dans la grande famille Colbert [2297]. Ce tempérament lui fut par ailleurs reproché.
Après 1717, date du décès de la ‘Dame
directrice’, la duchesse corrigée de défauts de (relative) jeunesse atteindra
quatre-vingt-cinq ans et l’année centrale du demi-siècle des Lumières.
Elle aura ainsi
peut-être [2298] succédé
à Madame Guyon et du moins partagé la direction des disciples lorsque
« notre mère » disparut peu après la disparition prématurée de
« notre père » Fénelon.
Nous explorons sa
biographie dans ses grandes lignes dans ce premier texte courant en
l’accompagnant d’amples notes. Celles très précieuses de l’éditeur I. Noye
accompagnent et authentifie ce qui s’avère constituer la plus longue série de
lettres rapportée en [CF 18] pour une même correspondante. De nature plus
éditoriale que biographique elles ne sont pas toutes reprises dans le premier
choix que l’on va lire, mais leurs attributions et leurs datations assurent la
séquence du regroupement.
Pour notre chance ! Car l’attribution à
la duchesse de Mortemart de lettres nettoyées des renseignements sur leur
provenance de membres du cercle « quiétiste » afin de permettre
l’édition sans risques de 1718 n’a été établie qu’assez tardivement [2299]
tandis que l’édition critique de la série de lettres spiritueles
« LSP * » est récente [2300] : la filiation mystique fut ainsi très -- trop, peut-être
volontairement -- préservée.
Nous donnerons, après
cette esquisse biographique et le premier choix annoncé, la série reconstituée
complète des lettres dont seuls quelques passages seront omis au fil du texte
principal.
Mais qui était cette
« petite duchesse » ? Nous alternons ici Orcibal avec le duc de
Saint-Simon, sans oublier en notes Boislisle, regroupant ainsi l’admirable
écrivain observateur avec les deux plus grands érudits qui précédèrent le plus
récent éditeur de lettres Irénée Noye :
« La
‘Petite Duchesse’ de Mortemart, fille du ministre Colbert et sœur cadette des
dames de Chevreuse et de Beauvillier, épousa en 1679 Louis de Rochechouart[2301].
« Ce
dernier, né en 1663, « donnait les plus grandes espérances (en 1686 il
avait forcé les pirates de Tripoli à se soumettre), mais sa santé, minée par la
phtisie, provoquait dès l'été 1687 de vives inquiétudes. » Il mourut jeune
en 1688. En 1689 et en 1690, on voit
souvent le nom de sa veuve dans les listes des invitées du Roi et du Dauphin [2302]. »
Cela peut avoir été
facilité et facile pour une jeune veuve de vingt-trois ans dont Saint-Simon
décrit un charme qu’il considère digne de « l’esprit
Mortemart » [2303]. Le duc de Saint-Simon use ensuite de son
piquant propre en rapportant une dévotion peu jusfifiée à ses yeux :
« La
duchesse de Mortemart, fort jeune, assez piquante, fort au gré du monde, et qui
l'aimait fort aussi, et de tout à la Cour, la quitta subitement de dépit des
romancines[2304] de ses soeurs, et se jeta à Paris dans une solitude et dans une
dévotion plus forte qu'elle, mais où pourtant elle persévéra. Le genre de
dévotion de Mme Guyon l'éblouit, M. de Cambrai la charma. Elle trouva dans
l'exemple de ses deux sages beaux-frères [les ducs] à se confirmer dans son
goût, et dans sa liaison avec tout ce petit troupeau séparé, de saints
amusements pour s'occuper…[2305].
Nous relevons du même
duc de Saint-Simon une note complémentaire du fil principal de ses
Mémoires. Elle est bien informée sur l’origine et sur la permanence du
« petit troupeau » après la mort de Louis XIV. Elle pose ensuite la
duchesse comme « pilier femelle [2306] » lorsque Mme Guyon, sortie de la
Bastille, est en résidence surveillée à Blois. Nous indiquons les dates des
figures car plusieurs établissent le réseau du « petit troupeau »
mystique :
« Mme Guyon a trop fait de bruit, et par elle, et par ses trop illustres amis, et par le petit troupeau qu'elle s'est formé à part, qui dure encore, et qui, depuis la mort du Roi [en 1715], a repris vigueur, pour qu’il soit nécessaire de s’y étendre. Il suffira d'en dire un mot d’éclaircissement, qui ne se trouve ni dans sa vie ni dans celle de ses amis et ennemis, ni dans les ouvrages écrits pour et contre elle, où tout le reste se rencontre amplement.
« Elle ne fit que suivre les errements d'un prêtre nommé Bertaut [Jacques Bertot, 1620-1681], qui, bien des années avant elle [Jeanne Guyon, 1648-1717], faisoit des discours à l'abbaye de Montmartre, où se rassemblaient des disciples […] M. de Beauvillier [1648_1714] fut averti plus d'une fois que ces conventicules obscurs, qui se tenaient pour la plupart chez lui, étoient sus et déplaisaient ; mais sa droiture, qui ne cherchait que le bien pour le bien, et qui croyait le trouver là, ne s'en mit pas en peine. La duchesse de Béthune [1641 ?-1716], celle-là même qui allait à Montmartre avec M. de Noailles, y tenait la seconde place. Pour ce maréchal, il sentait trop d'où venait [415] le vent, et d'ailleurs il avait pris d'autres routes qui l'avaient affranchi de ce qui ne lui était pas utile. La duchesse de Mortemart [‘petite duchesse’], belle-soeur des deux ducs, qui, d'une vie très-répandue à la cour, s'était tout à coup jetée, à Paris, dans la dévotion la plus solitaire, devançait ses soeurs et ses beaux-frères de bien loin dans celle-ci, et y était, pour le moins, suivie de la jeune comtesse de Guiche, depuis maréchale de Gramont [‘la Colombe’, 1672-1748], fille de Noailles. Tels étaient les piliers mâles et femelles de cette école, quand la maîtresse [Guyon] fut éloignée d'eux et de Paris, avec une douleur, de leur part, qui ne fit que redoubler leur fascination pour elle…[2307]. »
Par la suite,
« La
duchesse vécut ensuite en liaison étroite avec ses beaux-frères, les ducs de
Beauvillier et de Chevreuse. « Plusieurs lettres du
P. Lami, bénédictin, nous apprennent que la duchesse
faisait de fréquentes retraites au couvent de la Visitation de Saint-Denis, où l’une de ses filles avait fait
profession[2308], et qu’elle y occupa même assez
longtemps une cellule […] Elle y mourut le 13 février 1750 [2309]».
« La
duchesse de Mortemart étoit, après la duchesse de Béthune, la grande Ame du
petit troupeau, et avec qui, uniquement pour cela, on avait forcé la duchesse
[la comtesse] de Guiche, sa meilleure et plus ancienne amie, de rompre
entièrement et tout d'un coup. La duchesse de Mortemart, franche, droite,
retirée, ne gardait aucun ménagement sur son attachement pour M. de Cambrai.
Elle allait à Cambrai, et y avait passé souvent plusieurs mois de suite.
C'était donc une femme que Mme de Maintenon ne haïssoit guère moins que
l'archevêque; ou ne le pouvait même ignorer[2310]. »
Doit-on la considérer
comme assurant suite dans la lignée mystique ?
Déjà dans une lettre
de septembre 1697, Madame Guyon lui écrivait:
« …Cependant,
lorsqu'elle veut être en silence avec vous, faites-le par petitesse et ne vous
prévenez pas contre. Dieu pourrait accorder à votre petitesse ce qu'Il ne
donnerait pas pour la personne. Lorsque Dieu s'est servi autrefois de moi pour
ces sortes de choses, j'ai toujours cru qu'Il l'accordait à l'humilité et à la
petitesse des autres plutôt qu’à moi… »
La petite duchesse
pouvait donc transmettre la grâce dans un cœur à cœur silencieux.
Nous pensons que la
« suppléante de Mme Guyon » lui a très probablement
succédé : Fénelon meurt trop tôt. Elle intègre la « lignée » qui
passe de sources franciscaines au sieur de la Forest ( ?) et au Père
Chrysostome de Saint-Lô, à Jean de Bernières, à Jacques Bertot, à Jeanne Guyon.
Cette solide duchesse
de Mortemart qui vécut longtemps (†1750) fut probablement secondée par les deux
duchesses de Chevreuse (†1732) et de Beauvillier (†1733), par Du Puy
(† après 1737), par le marquis de Fénelon (†1745), par ‘la colombe’ qui
désigne la duchesse de Gramont (†1748). Ensuite nous relevons des figures
mystiques en Écosse dont 16th Forbes (†1761) & Deskford (†1764) ;
ainsi qu’en Suisse, qu’en Hollande et dans l’Empire[2311].
Nous avons quelques
lettres à des tiers où Fénelon exprime son appréciation de la Petite
Duchesse :
Au moment où
le duc de Montfort leur fils des Chevreuse est grièvement blessé, Dieu
« vous met sur la croix avec son Fils; je vous avoue que, malgré toute la
tristesse que vous m'avez causée, j'ai senti une espèce de joie lorsque j'ai vu
Mme la duchesse de Mortemart partir avec tant d'empressement et de
bon naturel pour aller partager avec vous vos peines. » (L.168 à la duchesse du
7 avril 1691).
A la comtesse
de Gramont : « Je suis ravi de ce que vous êtes touchée du progrès de
Mad. de Mortemart (1); elle est véritablement bonne, et désire l'être de plus
en plus. La vertu lui coûte autant qu'à un autre, et en cela elle est très
propre à vous encourager. » (L.300 du 22 juin 1695)
A la comtesse
de Montberon : « A mon retour, j'espère que nous aurons ici Mad. la
d[uchesse] de Mortemart, qui viendra aux eaux. Je serai ravi que vous puissiez
faire connaissance. Vous en serez bien contente, et bien édifiée. »
(L. entre le 2 et le 6 juillet 1702)
Le duc de Chevreuse
écrit à Fénelon :
« Je suis
plus content que jamais de la B.P.D. [de Mortemart]. J'y trouve le même esprit
de conduite qu'elle a reçu de vous, avec une simplicité et une lumière
merveilleuse. Rien de ce qui devrait la toucher ou peiner ne semble aller à son
fond. » (L.913A du 16 mai 1703).
Nous trouvons dans les
Mémoires de Saint-Simon deux passages qui éclairent la duchesse cadette à
l’occasion de deux décisions importantes dont la première discutée. Elle les
prit non sans relief et vigueur dont témoigne ces deux extraits que l’on va
retrouver bintôt insérés dans leur contexte :
« La
duchesse de Mortemart, fort jeune, assez piquante, fort au gré du monde, et qui
l'aimait fort aussi, et de tout à la cour, la quitta subitement de dépit des
romancines de ses soeurs, et se jeta à Paris dans une solitude et dans une
dévotion plus forte qu'elle, mais où pourtant elle persévéra. »
« La
duchesse de Mortemart, franche, droite, retirée, ne gardoit aucun ménagement
sur son attachement pour M. de Cambrai. Elle alloit à Cambrai, et y avoit passé
souvent plusieurs mois de suite. C'étoit donc une femme que Mme de
Maintenon ne haïssoit guère moins que l'archevêque… »
Tome 4 ch.12
1703 pp. 213-214 La duchesse de Mortemart quitte la cour et marie un
fils difficile…
M.
de Beauvilliers qui avoit deux fils fort jeunes, et dont toutes les filles
s'étaient faites religieuses à Montargis, excepté une seule, la maria tout à la
fin de cette année au duc de Mortemart qui n'avoit ni les moeurs ni la conduite
d'un homme à devenir son gendre. Il étoit fils de la soeur cadette des
duchesses de Chevreuse et de Beauvilliers [notre « petite
duchesse »]. Le désir d'éviter de mettre un étranger dans son intrinsèque
entra pour beaucoup dans ce choix; mais une raison plus forte le détermina. La
duchesse de Mortemart, fort jeune, assez piquante, fort au gré du monde, et qui
l'aimait fort aussi, et de tout à la cour, la quitta subitement de dépit des
romancines de ses soeurs, et se jeta à Paris dans une solitude et dans une
dévotion plus forte qu'elle, mais où pourtant elle persévéra. Le genre de
dévotion de Mme Guyon l'éblouit, M. de Cambrai la charma. Elle
trouva dans l'exemple de ses deux sages beaux-frères à se confirmer dans son
goût, et dans sa liaison avec tout ce petit troupeau séparé, de saints
amusements pour s'occuper. Mais ce qu'elle y rencontra de plus solide fut le
mariage de son fils. [oh, féroce Duc!]
L'unisson des sentiments dans cet élixir à part d'une dévotion
persécutée où elle figuroit sur le pied d'une grande âme, de ces âmes d'élite
et de choix, imposa à l'archevêque de Cambrai, dont les conseils déterminèrent
contre ce que toute la France voyoit, qui demeura surprise d'un choix si
bizarre, et qui ne répondit que trop à ce que le public en prévit. Ce fut sous
de tels auspices que des personnes qui ne perdoient jamais la présence de Dieu
au milieu de la cour et des affaires, et qui par leurs biens et leur situation
brillante avoient à choisir sur toute la France, prirent un gendre qui n'y
croyoit point et qui se piqua toujours de le montrer, qui ne se contraignit, ni
devant ni après, d'aucun de ses caprices ni de son obscurité, qui joua et but
plus qu'il n'avoit et qu'il ne pouvoit , et qui s'étant avisé sur le tard d'un
héroïsme de probité et de vertu , n'en prit que le fanatisme sans en avoir
jamais eu la moindre veine en réalité. Ce fléau de sa famille et de soi-même se
retrouvera ailleurs. […]
Tome 6 ch.8 1708 pp.
154, 162-166 Mariage de la fille Mortemart & aperçus
sur sa mère et des membres du cercle guyonnien.
[…]
Enfin les liens secrets qui attachoient ensemble Mme la duchesse de Bourgogne
et les jeunes Noailles, ses dames du palais, répondoient de cette princesse
pour le présent et pour le futur ; et par eux-mêmes auprès de Mgr le
duc de Bourgogne ils étoient sûrs des ducs de Chevreuse et de Beauvilliers. Ils
y gagnoient encore la duchesse de Guiche, dont l'esprit, le manège et la
conduite avoit tant de poids dans sa famille, chez Mme de Maintenon,
et auprès du roi même, et qui imposoit tant à la cour et au monde. Je n'avois
avec aucun des Noailles nulle sorte de liaison, sinon assez superficiellement
avec la maréchale, qui ne m'en avoit jamais parlé. Mais je croyois voir tout là
pour les Chamillart, et c'étoit ce qui m'engageoit y exhorter les filles, et
ceux de leur plus intime famille qui pouvoient être consultés.
Le duc de Beauvilliers étoit ami intime de
Chamillart. Il pouvoit beaucoup sur lui, mais non assez pour le ramener sur des
choses qu'il estimoit capitales au bien de l'État. Il espéra vaincre cette
opiniâtreté en se l'attachant de plus en plus par les liens d'une proche
alliance. Je n'entreprendrai pas de justifier la justesse de la pensée, mais la
pureté de l'intention, parce qu'elle m'a été parfaitement connue. Lui et la
duchesse, sa femme, qui ne pensèrent jamais différemment l'un de l'autre,
prirent donc le dessein de faire le mariage de la fille de la duchesse de
Mortemart, qui n'avoit aucun bien, qui étoit auprès de sa mère et ne vouloit
point être religieuse. Au premier mot qu'ils en touchèrent à la duchesse de
Mortemart, elle bondit de colère, et sa fille y sentit tant d'aversion, que
plus d'une année avant qu'il se fit, la marquise de Charost, fort initiée avec
eux, lui ayant demandé sa protection en riant lorsqu'elle seroit dans la
faveur, pour la sonder là-dessus: « Et moi la vôtre, lui répondit-elle, lorsque
par quelque revers je serai redevenue bourgeoise de Paris. » M. et Mme
de Chevreuse, quoique si intimement uns avec M. et Mme de
Beauvilliers, car unis est trop peu dire, rejetèrent tellement cette idée
qu'ils ne furent plus consultés. J'ai su d'eux-mêmes et de la duchesse de
Mortemart, que, si sa fille l'eût voulu croire, jamais ce mariage ne se seroit
fait.
De tout cela je compris que M. et Mme
de Beauvilliers, résolus d'en venir à bout, gagnèrent enfin leur nièce, et que,
sûrs de leur autorité sur Mme de Mortemart et sur le duc et la
duchesse de Chevreuse, ils poussèrent leur pointe vers les Chamillart, qui, peu
enclins aux Noailles, ne trouvant point ailleurs de quoi se satisfaire, saisirent
avidement les suggestions qui leur furent faites. Une haute naissance avec des
alliances si proches de gens si grandement établis flatta leur vanité. Un goût
naturel d'union qu'ils voyoient si grande dans toute cette parenté les toucha
fort aussi. Une raison secrète fut peut-être la plus puissante à déterminer
Chamillart; en effet, elle étoit très-spécieuse à qui n'envisageoit point les
contredits. Personne ne sentoit mieux que lui-même l'essentielle
incompatibilité de ses deux charges et l'impossibilité de les conserver toutes
deux. Il périssoit sous le faix, et avec lui toutes les affaires. Il ne vouloit
ni ne pouvoit quitter celle de la guerre; mais, étant redevable du sommet de
son élévation aux finances, il comprenoit mieux que personne qu'elles
emporteroient avec elles toute la faveur et la confiance, et combien il lui
importoit en les quittant de se faire [de son successeur] une 164 créature
reconnoissante qui l'aidât, non un ennemi qui cherchât à le perdre, et qui en
auroit bientôt tout le crédit. Le comble de la politique lui parut donc
consister dans la justesse de ce choix, et il crut faire un chef-d'oeuvre en
faisant tomber les finances sur un sujet de soi-même peu agréable au roi, et
par là peu à portée de lui nuire de longtemps ; il se le lia encore par des
chaînes si fortes, qu'il lui en ôta le vouloir et le pouvoir.
La personne de Desmarets lui parut faite
exprès pour remplir toutes ces vues. Proscrit avec ignominie à la mort de
Colbert son oncle, revenu à Paris à grande peine après vingt ans d'exil,
suspect jusque par sa capacité et ses lumières, silence imposé sur lui à
Pontchartrain, contrôleur général, qui n'obtint qu'à peine de s'en servir
tacitement dans l'obscurité et comme sans aveu ni permission; la bouche fermée
sur lui à tous ses parents en place qui l'aimoient ; poulié à force de bras et
de besoins par Chamillart, mais par degrés, jusqu'à celui de directeur des
finances , mal reçu même alors du roi, qui ne put s'accoutumer à lui tant qu'il
fut dans cette place, redevable de tout à Chamillart, c'étoit bien l'homme tout
tel que Chamillart pouvoit désirer. Restoit de l'enchaîner à lui par d'autres
liens encore que ceux de la reconnoissance, si souvent trop foibles pour les
hommes ; et c'est ce qu'opéroit le mariage de Mlle de Mortemart, qui rendroit
encore les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers témoins et modérateurs de la
conduite de Desmarets si proche de tous les trois , et si étroitement uni et
attaché aux deux ducs. Tant de vues si sages et si difficiles à concilier, remplies
avec tant de justesse, parurent à Chamillart un coup de maître ; mais il en
falloit peser les contredits et comparer le tout ensemble.
Il ne tint pas à moi de les faire tous
sentir, et je prévis aisément, par la connoissance de la cour et des personnages,
le mécompte du duc de Beauvilliers et de Chamillart. Celui-ci étoit trop
prévenu de soi, trop plein de ses lumières, trop attaché à son sens, trop
confiant pour être capable de prendre en rien les impressions d'autrui. Je ne
crus donc pas un moment que l'alliance acquit sur lui au duc de Beauvilliers le
plus petit grain de déférence ni d'autorité nouvelle; je ne crus pas un instant
que Mme de Maintenon, indépendamment même de son désir pour les
Noailles, pût jamais s'accommoder de ce mariage. Sa haine pour M. de Cambrai
étoit aussi vive que dans le fort de son affaire. Son esprit et ses appuis le
faisoient tellement redouter à ceux qui l'avoient renversé, et qui possédoient
Mme de Maintenon tout entière, que, dans la frayeur d'un retour, ils tenoient sans
cesse sa haine en haleine. Maulevrier, aumônier du roi, perdu pour son commerce
avec lui, avoit eu besoin des longs efforts du P. de La Chaise, son ami intime,
pour obtenir une audience du roi, afin de s'en justifier, il n'y avoit que peu
de jours. La duchesse de Mortemart étoit, après la duchesse de Béthune, la
grande Ûme du petit troupeau, et avec qui, uniquement pour cela, on avoit forcé
la duchesse de Guiche, sa meilleure et plus ancienne amie, de rompre
entièrement et tout d'un coup. La duchesse de Mortemart, franche, droite,
retirée, ne gardoit aucun ménagement sur son attachement pour M. de Cambrai.
Elle alloit à Cambrai, et y avoit passé souvent plusieurs mois de suite.
C'étoit donc une femme que Mme de Maintenon ne haïssoit guère moins que l'archevêque;
ou ne le pouvoit même ignorer.
J'étois de plus effrayé du dépit certain
qu'elle concevroit de voir Chamillart, sa créature et son favori , lui déserter
pour ainsi dire, et passer du côté de ses ennemis, comme il lui échappoit
quelquefois de les appeler, je veux dire, dans la famille des ducs de Chevreuse
et de Beauvilliers, qu'elle 166 rugissait encore en secret de n'avoir pu
réussir à perdre. Je n'étois pas moins alarmé sur son intérêt que sur son goût.
Elle en avoit un puissant d'avoir un des ministres au moins dans son entière
dépendance, et sur le dévouement sans réserve duquel elle pût s'assurer. On
voit comme elle étoit avec les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers. Elle
n'aimoit guère mieux Torcy, et par lui-même et comme leur cousin germain, qui
s'étoit toujours dextrement soustrait à sa dépendance, et ne s'en maintenoit
pas moins bien avec le roi. Elle étoit tellement mal avec le chancelier dès le
temps qu'il avoit les finances, qu'elle contribua, pour s'en défaire dans cette
place, à lui faire donner les sceaux; et depuis qu'il les eut, ses démêlés avec
M. de Chartres, et par lui avec les évêques pour leurs impressions et leurs
prétentions à cet égard, avoient de plus en plus aigri Mme de Maintenon contre
lui. […]
Ce qui nous permet de
mieux connaître la « petite duchesse » chère à madame Guyon se réduit
presque aux nombreuses lettres que « n m » et
« n p » lui adressèrent. Car elle eut la chance d’être
« formée mystiquement » conjointement par madame Guyon et par
Fénelon.
Madame Guyon lui
écrivit de juin 1695 à mai 1698 : lorsqu’il faut protéger le duc de
Chevreuse, tout passe par la « petite duchesse » qui devint la
« secrétaire » bientôt chère confidente. Ce qui nous surprend le plus
c’est que le flux de lettres ne fut pas interrompu par l’arrestation de Mme
Guyon à la fin décembre 1695. Cette abondante correspondance couvre la plus
grande partie du présent dossier. Il ne concerne qu’incidemment ce qui est
personnel à la petite duchesse[2312].
Fénelon lui écrivit
avant et après cette période critique, et même très tardivement. Ne nous sont
parvenues de lui que 28 lettres mais elles portent sur la longue durée :
les premières seraient de 1693, la dernière est datée de la fin juillet 1711 (totuefois
la majorité de cette correspondance est non datée tandis que le nom de la
destinataire fut longtemps inconnu).
Enfin dans la
correspondance de madame Guyon dont les pièces autographes ou copies furent
assemblées et reliées en volumes par I. Noye, le grand connaisseur et ami des
membres de cercles quiétistes auquel nous devons d’avoir souvent levé
l’identité de la destinataire de Fénelon, figurent d’assez nombreuses lettres
échangée entre les Amis membres des cercles de Blois et de Cambrai, dont une série
de 16 lettres de la large écriture très particulière à la « petite
duchesse ». Elle écrit au marquis de Fénelon depuis sa blessure de 1711
mais avant la mort de Fénelon qui survint en janvier 1715.
Les lettres adressées
à la petite duchesse de Mortemart furent jusqu’aujourd’hui négligées : il
fallait attendre que I. Noye en rétablisse le plus grand nombre dans le volume
[CF 18] et la révèle comme destinataire par de solides présomptions. Ce dernier
volume de la Correspondance de Fénelon n’a été publié en 2007. Malgré un titre
bien peu porteur [2313], il permet enfin de révéler Fénelon comme
essentiellement mystique et conforte l’attribution d’un rôle directeur à la
« petite duchesse ».
Les figures
très importantes sont en gras et importantes figurent en italiques.
1712
Charles-Honoré de Chevreuse 1656-1712
1714 Paul de
Beauvillier 1648-1714
1715 François
Lacombe 1640-1715
1715 François de Fénelon 1652-1715
1716 Duch.de
Béthune-Charost [née Marie Fouquet] 1641?-1716
1717 Madame Guyon (1648-1717)
1719 Pierre
Poiret (1646-1719)
1726 Le Dr. James Keith (-1726)
1726 James Garden (1645-1726)
1731 Wolf von Metternich (-1731).
1732 Duch.de
Chevreuse, -1732 [née Colbert]
1733 Georges Garden (1649-1733).
1733 Duch.de
Beauvillier 1655-1733 [née Colbert]
1737+Isaac
Dupuy >1737
1740 Pétronille d’Echweiler (1682-1740)
1743 Le « chevalier » Ramsay (1686-1743)
1746 Marquis de
Fénelon 1688-1746
1748 Marie-Christine de Noailles, duch.de Gramont ‘la
colombe’ 1672-1748
1750 Marie-Anne de Mortemart -1750 [née Colbert]
1752 Jean-François Monod (1674-1752)
1761 James 16th Lord Forbes 1689-1761
1764 Lord Deskford 1690-1764
1764 James Ogilvie, Lord Deskford (1690-1764).
1769 Gerhard Tersteegen (1697-1769)
1774 Frédéric
de Fleischbein (1700-1774)
1774 Klinckowström (apr.1700?-1774), gentilhomme
danois.
1793
Jean-Philippe Dutoit-Membrini (1721-1793)
1710+ 7
1720+ 2
1730+ 5
1740+ 4
1750+ 2
1760+ 4
1770+ 2
1780+
1790+ 1
1800+
27 figures au total dont nous considérons 26 de 1710 à
1780 soit une densité 3.7 proche de 4 figure / décennie
Selon Saint-Simon, « la duchesse de Mortemart [‘la petite duchesse’], belle-soeur des deux ducs, qui, d'une vie très-répandue à la cour, s'était tout à coup jetée, à Paris, dans la dévotion la plus solitaire, devançait ses soeurs et ses beaux-frères de bien loin dans celle-ci, et y était, pour le moins, suivie de la jeune comtesse de Guiche, depuis maréchale de Gramont [‘la Colombe’, 1672-1748], fille de Noailles. »
D’où une hésitation
entre Mortemart et « la Colombe » car le nom de la seconde figure
circule aussi auprès de disciples écossais : nous relevons in Henderson, Mystics of the Nort-East, lettre XLVIII from Dr. James Keith to
lord Deskford, London, nov?. 15th, 1758, la note 11 de son éditeur : « Cf.
Cherel, Fénelon au XVIIIe siècle en France, p. 163,
quoting a letter which says " priez pour moi, et obtenez les prières des
personnes les plus intérieures de votre connaissance, surtout celles de Madame
de Guiche." It is pointed out that the Maréchale de Grammont " avait
succedé à Mme Guion dans l'état apostolique," her letters to pious
correspondents are mentioned, and a letter from her is transcribed. This is the
same person : le duc de Guiche took the title duc de Gramont in 1720 on the
death of his father. He was maréchal de France. V. Biographie universelle, xxi, pp. 626 f. » (fin de la note
d’Henderson).
Il faut aussi tenir
compte d’apports « parallèles » des deux duchesses veuves de
Chevreuse et de Beauvillier, sans oublier le fidèle Dupuy ni le marquis de
Fénelon
On a affaire à une
« équipe » : Mortemart, « la Colombe », les deux
veuves des Ducs, Dupuy et le marquis de Fénelon… Sans qu’une de ces cinq
figures ne s’impose exclusivement.
Les enfants Colbert
Le 13 décembre 1648, Jean-Baptiste COLBERT épouse Marie Charron, fille d’un membre du conseil royal. Ensemble, ils auront neuf enfants. En étroite correspondance avec Fénelon et avec madame Guyon certains d’entre eux sont directement ou en relation par mariage avec les principaux destinataires de Lettres spirituelles .
Il s’agit de BLAINVILLE, des duchesses de CHEVREUSE et de BEAUVILLIER, de « la petite duchesse » de MORTEMART. Le marquis de Seignelay et l’archevêque de Rouen furent également en relation avec Fénelon.
On peut dire que presque toute la famille fut en correspondances.
Voici la liste des neuf enfants :
1.Jeanne-Marie (1650-1732)
mariée à Charles-Honoré d’Albert de Luynes duc de CHEVREUSE (1656-1712) ;
2.Jean-Baptiste (1651-1690), marquis de Seignelay ;
3.Jacques-Nicolas (1654-1707), archevêque de Rouen ;
4.Henriette-Louise (1657-1733)
mariée à Paul de BEAUVILLIER (1648-1714), marquis de Saint-Aignan puis duc.
5.Antoine-Martin (1659-1689) ;
6.Jean-Jules-Armand (1664-1704), marquis de BLAINVILLE ;
7.Marie-Anne (1665-1750) « la petite duchesse » pour Mme Guyon
Cette cadette (l’adjectif « petite ») ‘reprend le flambeau’ au sein du cercle des disciples après à la mort de Mme Guyon.
mariée à Louis de Rochechouart, duc de MORTEMART (neveu de Madame de Montespan) ; postérité dont notamment Talleyrand ;
8.Louis (1667-1745), comte de Linières, garde de la Bibliothèque du roi et militaire ;
9.Charles-Édouard (1670-1690), comte de Sceaux.
Relevé Wikipedia :
Marie-Anne Colbert, née en 1665 et morte en 1750, est la troisième fille de Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), contrôleur général des finances de France, secrétaire d'État de la Maison du Roi et Secrétaire d'État de la Marine, ainsi que de Marie Colbert, cousine par alliance avec Alexandre Bontemps (né en 1666).
Elle s'est mariée le 14 février 1679 à Louis de Rochechouart, duc de Mortemart d'où 5 enfants :
- Louis II de Rochechouart (1681-1746), duc de Mortemart marié en 1703 avec Marie Henriette de Beauvilliers puis en 1732 avec Marie Élisabeth de Nicolay.
- Jean-Baptiste I de Rochechouart (1682-1757), duc de Mortemart marié en 1706 avec Marie Madeleine Colbert, sa cousine.
- Marie-Anne de Rochechouart de Mortemart (1683-avant 1750), religieuse.
- Louise-Gabrielle de Rochechouart de Mortemart (1684-1750), religieuse.
- Marie-Françoise de Rochechouart de Mortemart (1686-1771) mariée en 1708 avec Michel Chamillart, marquis de Cany puis en 1722 avec Jean-Charles de Talleyrand, prince de Chalais .
Mémoires
de Saint-Simon concernant Fénelon, Madame Guyon et leurs proches, dossier
assemblé par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », 363 p. [Extraits
des tome 1 à 13 des Mémoires concernant Mme Guyon, Fénelon, Chevreuse &
Beauvilliers, le Dauphin & la Dauphine, Mme de Maintenon.]
Ce dossier contient les principaux extraits des Mémoires du duc de Saint-Simon relatifs aux membres des cercles animés par Madame Guyon et par Fénelon. Il donne des précisions biographiques et historiques portant sur les membres des cercles de la quiétude. Tel savoureux paragraphe sorti de la plume du duc de Saint-Simon réveillera l’attrait du lecteur sur une figure mineure.
Les Mémoires sont un admirable témoignage de la vie de Cour de la dernière décennie du Grand siècle aux trois premières du siècle des Lumières. En outre, malgré la relative jeunesse de leur auteur à l’époque de la « querelle », ils nous apparaissent bien informés et à nos yeux équilibrés : Saint-Simon était l’ami des ducs. Probablement l’intelligence la mieux située pour évoquer les longs parcours des ami(e)s de la quiétude.
Notre relevé fut établi sur l’édition Chéruel dont nous reprenons les chapitres et leurs paginations dans sa réédition récente. S’y ajoutent quelques « Additions au Journal de Dangeau » reprises de l’édition Boislisle [2314] et certaines de ses notes choisies dans cette édition « définitive ». On les retrouvera facilement sur un fichier *.docx, comme attachées aux premières occurrences de noms propres (Guyon, Fénelon, Dupuy,…) ou de thèmes (quiétiste,…). Il n’a heureusement pas été nécessaire de recourir à l’édition « définitive » en 42 volumes pour accéder au plein texte de Saint-Simon, car l’édition dirigée par Chéruel [2315] s’avère exacte (mais les notes ainsi que les additions propres à Boislisle restent incontournables).
D. Tronc, Ecoles
du Cœur au siècle des Lumières, Disciples de madame Guyon & Influences,
coll. « Chemins mystiques », lulu.com, 260 p. [Présentation,
Filiations de la quiétude : Française, Ecossaise, Hollandaise, Suisse et
germanique, & Influences en terres catholiques, en terres protestantes,
Echos au XIXe siècle, Reconnaissance au XXe siècle, Synthèse.]
PRÉSENTATION
FILIATIONS DE LA QUIÉTUDE
FILIATION FRANÇAISE
FILIATION ÉCOSSAISE
FILIATION HOLLANDAISE
LES FILIATIONS SUISSE ET GERMANIQUE
INFLUENCES
INFLUENCES EN TERRES CATHOLIQUES
INFLUENCES EN TERRES PROTESTANTES
ÉCHOS AU XIXe SIÈCLE
RECONNAISSANCE AU XXe SIÈCLE
SYNTHÈSE
Contrairement à l’appellation
d’inventeurs malicieux de la fin du XVIIe siècle qui traitaient de ‘nouveaux mystiques’ les membres
quiétistes de l’École du Cœur, leur filiation prend racine au sein d’une
tradition franciscaine vénérable [2316].
Le P. Jean-Chrysostome de
Saint-Lô de son Tiers Ordre Régulier anime un courant mystique qui prend place
au sein de l’Ermitage fondé par son dirigé monsieur
de Bernières au début du siècle en Normandie à Caen[2317].
Il s’étendra en Nouvelle-France à Québec[2318].
Une autre dirigée d’origine lorraine, Mectilde-Catherine de Bar fonde et anime
les bénédictines du Saint-Sacrement qui s’étendront jusqu’en Pologne. Un
troisième courant prend place au cœur du Royaume dans puis autour du couvent de Montmartre pour s’élargir en cercles mystiques animés par madame Guyon et Fénelon.
Il s’agit d’un courant intérieur fort et abondant qui donne naissance à un
“delta mystique”. Nous le représentons page suivante par un schéma de
Réseaux des Amis des Ermitages et
filiation spirituelles. Il conduit à
un Cercle de la Quiétude animé par
Madame Guyon à Blois sur lequel nous avons des informations écrites et par
Fénelon devenu archevêque de Cambrai resté très discret.
Ces Réseaux précèdent les Filiations européennes dont nous allons
tenter de restituer la vie intérieure en les regroupant pour la première fois,
à partir d’études publiées mettant en valeur certaines figures spirituelles
(figures écossaises, Poiret, Dutoit…) et de manuscrits (lettres de Fleischbein
à Klinkowström…).
La page de droite résume pour le Grand Siècle
une histoire de liberté qui relie religieux et laïcs dans une tradition commune
et propre aux Tiers ordres franciscains. Elle se prolongera en terres
catholiques et protestantes au siècle des Lumières.
Le
schéma récapitule ce qui précéda le « Cercle
de la Quiétude » animé par Madame Guyon et Fénelon. Il est le pendant
de filiations européennes (tableau de la figure suivante). Les réseaux des Amis
de deux Ermitages - l’un situé à
Caen, l’autre à Québec – ainsi que d’un Cercle
de la Quiétude et de bénédictines,
présentent des figures fondatrices autour desquelles s’assemblèrent de nombreux
spirituels en « Écoles du Cœur ».
Trois
branches d’un « delta spirituel » se formèrent à partir de l’Ermitage animé par Jean de Bernières
sous la direction de « notre bon père Chrysostome ». En Nouvelle
France, animée par Mgr de Laval ; dans le Cercle de la Quiétude
créé par Monsieur Bertot pour être repris par Madame Guyon et par
Fénelon ; chez les Bénédictines du Saint-Sacrement, ordre contemplatif
fondé par Mère Mectilde toujours vivant de nos jours.
Elles couvriront plusieurs
pays d’Europe à partir du cercle créé à Paris par monsieur Bertot puis animé
par madame Guyon. La “Dame Directrice” reprend l’esprit et des membres du
cercle spirituel constitué autour du monastère des bénédictines de Montmartre
par leur confesseur et poursuit sa tâche: elle s’inscrit au milieu d’une
filiation qui s’étend sur au moins deux siècles.
À la fin du Grand siècle, on
connaît bien les événements publics de la ‘querelle’ [2319] et l’on possède des témoignages d’épreuves surmontées par l’animatrice du
cercle quiétiste [2320].
Au Siècle des Lumières, son
rayonnement se poursuit à Blois auprès de disciples ‘cis’ - français - et ‘trans’
- étrangers [2321]. Car après sa libération en 1703, et pendant quatorze années
qui lui restent à vivre, madame Guyon prépare une renaissance spirituelle.
Ses disciples peupleront l’Europe du XVIIIe siècle après la disparition de Fénelon en 1715 et la sienne en 1717. Le courant mystique
semble se tarir dans la première moitié du XIXe siècle, mais son
influence demeure dans des milieux culturels variés.
La diversité des filiations de
la Quiétude s’explique par le contexte culturel qui voit un affaiblissement des
dépendances religieuses. Lorsque la culture religieuse cède place à la culture
laïque, se produit un éclatement ou étoilement des expressions de
l’expérience mystique. Le vécu mystique, dispersé dans ses expressions, sera
alors facilement circonscrit à l’humain, réduction facilitée par
l’approfondissement de nos approches psychologiques.
Mais l’essentiel repose sur des mystiques qui assurent de génération en
génération le renouveau d’un même élan intérieur.
La page de
droite résume pour le Siècle des Lumières l’extension de multiples cercles qui
prennent la suite de ceux de madame Guyon à Blois et de Fénelon à Cambrai.
Madame Guyon & Fénelon
1647-1717
1651-1715
| | | |
« Cis » « Trans » « Trans » « Trans »
France Écosse Hollande Suisse Allemagne
| | | |
Chevreuse/s J
& G Garden Poiret Pé.d’Echweiler
-1712 & -1732 -1699
& -1733 1646-1719 1682-1740
Beauvillier/s Ramsay Metternich Fleischbein
-1714 & -1733 1686-1743 -1731 1700-1774
Dupuy Forbes
16th Tersteegen Klinckow.
- >1737 1689-1761 1697-1769
-1774
Marquis de F. Deskford Dutoit
1688-1746 1690-1764 1721-1793
Mortemart Fabr. de Zelle
1665-1750 -1793
Pétillet
Langalerie
Constant -1837
Les disciples « cis » et « trans » sont distribués verticalement suivant leur chronologie, horizontalement selon quatre zones. Les relations croisées sont omises. Pour des couples ou des frères, les dates de décès sont séparées par ‘&’.
Le tableau précédent Des Filiations européennes résume un pan
rare de l’histoire des spirituels et mystiques en Occident. Leur influence
croît avec la distance géographique qui les sépare de leur source historique,
le centre du royaume de France.
Elle est en effet
réprimée politiquement et religieusement en France et donc n’exerce qu’une
influence cachée sur Milley ou sur Caussade ou sur Grou, trois mystiques
proches par leur Abandon à la Providence
divine.
Mais les disciples
catholiques « cis » se mêlèrent aux visiteurs protestants étrangers,
ou influencèrent ceux qui ne pouvaient prendre le risque de venir en France,
tel le pasteur Poiret, ainsi que plus tard des rénovateurs religieux anglais,
tel Wesley.
Nous commençons par
les « cis » qui furent des proches de madame Guyon et de Fénelon en
appartenant au cercle quiétiste parisien. Les familles des deux ducs sont
présentes au premier tiers du siècle des Lumières par leurs femmes. La
« petite duchesse » de Mortemart, confidente aimée de madame Guyon,
lui succéda très probablement spirituellement. Dupuy est l’homme de confiance
qui instruira le marquis de Fénelon sur l’histoire de la ‘querelle’. Ce
dernier, jeune neveu de l’archevêque blessé à la guerre en 1711, fut le
« cher boiteux » aimé de madame Guyon.
Ensuite nous
aborderons l’Écosse par les frères Garden, héritiers de la mystique
épiscopalienne devenus disciples puis par le Chevalier Ramsay qui servit
un temps de secrétaire à la « dame directrice ». Plusieurs membres de
grandes familles écossaises et disciples étaient présents en juin 1717 à son
agonie. Ils poursuivirent une vie intérieure profonde tout en assumant
pleinement fonctions et responsabilités.
L’éditeur de l’œuvre
guyonienne Pierre Poiret et son groupe exercèrent une influence déterminante
sur Metternich et sur le futur théologien Tersteegen. Enfin une cohorte que
nous n’avons pas pu ni voulu dissocier, l’une vaudoise de langue française,
l’autre germanique, mais pratiquant l’une et l’autre langue, nous acheminera
jusqu’au premier tiers du XIXe siècle.
Nous privilégions le florilège mystique à
l’aide d’extraits choisis. Ils seront parfois longs : une lettre entière
pourra ainsi témoigner de la forme comme du fond d’une correspondance peut-être
encore manuscrite. Nous renvoyons précisément à des études par figure, afin de
ne pas alourdir le flux de lecture par une multiplicité d’événements divers
appartenant à l’histoire du passé.
48 [2016] D. Henderson, Mystics of the North-east, coll. « Chemins mystiques », lulu.com, 390 p. [réédition de l’ouvrage « introuvable » publié en 1934 à Aberdeen. Outre le grand intérêt offert par l’Introduction et par l’exceptionnelle qualité de ce travail érudit, l’ouvrage comporte des lettres de disciples adressés à Mme Guyon et échangés entre eux]
MYSTICS OF THE NORTH-EAST Cette belle étude irremplaçable est difficile d’accès : il nous a fallu la retrouver à l'Université d'Aberdeen. Elle approche avec grande autorité et bienveillance les disciples écossais de madame Guyon dont certains l’entouraient à Blois et assistèrent à sa mort.
preface 7 contents 10 introduction. 13 i. forerunners. 13 ii. madame guyon, pierre poiret, etc. 18 iii. religious conditions in the north-east after the revolution. 26 iv. jacobite sympathies. 35 v. dr. george garden. 41 vi. lord deskford. 50 vii. alexander, 4th lord forbes of pitsligo. 57 viii. william, 14th lord forbes, and james, 16th lord forbes. 61 ix. chevalier ramsay. 68 x. james keith, m.d. 74 xi. the garden case. 81 xii. some minor characters. 86 xiii. the letters. 93 letters of james keith, m.d., and others, to lord deskford. 99 [...] correspondence between james cunningham of barns and dr. george garden. [...] index 379
INCLUDING
I. LETTERS OF JAMES KEITH,
M.D., AND OTHERS TO LORD DESKFORD
II. CORRESPONDENCE BETWEEN
DR. GEORGE GARDEN AND JAMES CUNNINGHAM
EDITED, WITH INTRODUCTION
AND NOTES, BY G. D. HENDERSON, B.D., D.LITT.
REGIUS PROFESSOR OF CHURCH
HISTORY IN THE UNIVERSITY OF ABERDEEN
ABERDEEN PRINTED FOR THE
THIRD SPALDING CLUB MCMXXXIV
Réédition hors commerce, 2017. S’adresser au webmaster de www.cheminsmystiques.com
Traduction du moyen-néerlandais par Fr. J.-B. M. P., Claude Martingay, Genève, 1972
Voici l’ouvrage épuisé des Lettres d’HADEWIJCH, accompagné d’un court traité par une autre béguine et de comparaisons avec d’autres spirituels. Il s’agit d’admirables traductions et de présentations érudites par Fr. dom Porion.
L’ouvrage livre le cœur de cette mystique qui vivait au treizième siècle et fut très influente sur Ruusbroec et bien d’autres mystiques. Je ne l’ai pas retrouvé disponible sur le Net, ce qui me conduit à l’éditer en ligne hors commerce pour des amis.
La belle traduction réalisée antérieurement de Poèmes d’Hadewich par le même Fr. dom Porion s’impose aussi. Elle est très accessible à faible coût dans la collection de poche « Sagesses », mais se prête moins aisément à l’usage spirituel.
On trouvera sur le net de nombreux ouvrages relatifs à Hadewijch, moindres à mes yeux. En anglais on aura recours à Hadewijch, The complete works, “The Classics of Western spirituality”, Mother Columba Hart, préface by Paul Mommaers, Paulist press, 1980.
J’adjoins en fin d’ouvrage un relevé de lecture par Lilian Silburn et mon bref florilège extrait d’une « Chronologie mystique » en préparation.
§
Pour abréger le travail opéré sur la reconnaissance de caractères de mes photos de l’ouvrage original devenu rare, je limite sa mise en forme.
En gardant -- parfois ! et pour toute la préface du traducteur dom Porion à fin de rendre possible une référence érudite -- l’en-tête et le pied de page (le titre de section et la pagination). Ensuite, pour les lettres, j’améliore la mise en forme puisqu’une lecture directe d’Hadewich est très recommandée.
En gardant -- toujours ! -- les notes au fil du texte principal afin de ne pas avoir à les reporter sous Word. Elles sont formatées en petit corps ce qui permet au lecteur de les « sauter » facilement.
Il en est de même pour les études de dom Porion, remarquables d’un point de vue érudit, mais décevant spirituellement car tel n’était pas leur objet. Parfois j’ajoute entre crochets au fil du texte des Lettres, un « résumé de note » lorsqu’il permet de mieux apprécier le texte (c’est le cas de quelques « mots à mots » donnés par le traducteur).
La mise en forme des Études de dom Porion et de ses notes est moins affinée -- mises en italiques incomplètes, etc. -- puisque le but de cette réédition hors commerce est de faire lire… Hadewijch.
Le Nuage d’Inconnaissance / The Cloud of Unknowing & Epitre de la Direction divine, dossier
Dossier assemblé par D. Tronc, lulu.com, coll.
« Chemins mystiques » [« Florilège de poche » :
reprise du Nuage en traduction par A. Guerne et en éd. anglais modernisée par E.Undrehill,
ainsi que de l’Epitre de la direction intime par D.M. Noetinger]
Je propose, à l’usage
d’amis en édition Hors Commerce, ces écrits du quatorzième siècle.
Quelques pages par Lilian Silburn[2322] ouvrent à la lecture de « l'un des plus profonds [textes] de la mystique chrétienne ».
Suit la belle version
de ce Nuage d’Inconnaissance par
Armel Guerne[2323].
Elle est complétée par
le Cloud of Unknowing dans l’anglais
moderne proposé par Evelyn Underhill[2324].
L’ensemble s’achève
sur la « mise en pratique » offerte dans l’Epître de la direction intime. Cette dernière fut traduite par dom
Noetinger[2325].
L’auteur de ces textes serait peut-être Adam Horsley de la chartreuse de Beauvale dans le South Nottinghamshire. On ne sait rien de plus[2326]. Son œuvre comporte cinq titres : The Cloud of Unknowing, le plus célèbre et le plus long ; The Epistle of prayer, admirable Épître de la direction intime ; Dionysius mystical Teaching; Benjamen, une traduction libre de Richard de Saint Victor ; The Epistle of Discretion in the Stirrings of the Soul ; The Treatise of the discerning of Spirits[2327].
Le titre du Nuage d’Inconnaissance est tiré du
début du texte : « Here
bygynnith a book of contemplacyon, the whiche is clepyd the clowde of
unknowyng, in the whiche a soule is onyd with god ». Rien n’est à faire,
sinon par élan ! On ne saurait surestimer l’importance de ce texte qui
forme, avec les Noces de Ruusbroec et les chefs-d’œuvre de Jean de la
Croix (Cantique A, Vive
flamme…), une trilogie à laquelle se réfèrent les mystiques
d’Occident.
José de Jésus Maria Quiroga 1562-1628, Historia de la Vida y Virtudes del Venerable
P. F. Juan de la Cruz & Etudes, dossier assemblé par D. Tronc, lulu.com,
coll. « Chemins mystiques », 338 p. [Sections françaises sur les
épreuves à Tolède et en fin de vie avec leurs originaux espagnols augmentés
d’un choix de chapitres, notices et études sur Quiroga.]
José de Jésus Maria Quiroga (1562-1628), carme, est un des
disciples de la première génération qui succède à celle de Jean de la Croix
(1542-1591). Il fut nommé dès 1597 premier archiviste “historiador” de l’Ordre
naissant des Déchaussés. Chargé d’écrire une relation de la vie de leur
fondateur, il débute rapidement son enquête.
Lorsqu’il publie sans autorisation en 1628 son grand travail,
une Vida y virtudes del Venerable P.F.
Juan de la Cruz achevée depuis quelques années, mais qui met en cause le renom de l’Ordre, Quiroga est
destitué. “Exilé” à Cuenca[2328],
il meurt la même année. Des confrères carmes seront chargés à leur tour de
rendre compte à nouveau de la vie de San Juan de la Cruz.
Quiroga quant à lui se veut véridique, visite les lieux
d’épreuves, enquête, n’omet aucun des faits vécus par son héros. Formé lui-même
par des novices eux-même formés par Jean de la Croix, il eut accès à tous ces
témoins et à toutes les carmélites, au-delà de leurs dépositions signées. Il
les utilise généralement deux par deux pour confirmer leur force.
Enfin l’historien passionné illustre et défend l’approche
mystique de son Maître. Mais elle ne pouvait être partagée par la majorité des
membres de communautés carmes élargies et diverses[2329].
Au mieux, des dirigeants carmes s’abstenaient à juste raison d’imposer les conditions permettant
d’épanouir une vocation mystique. Au pire ils s’y opposaient. Lorsque le Père Jean de la Croix entra en résistance,
ils diligentèrent une enquête sur lui. Il reçut en même temps l’ordre, établi
par décision collective, de quitter l’Espagne pour le Mexique. Mais il
entreprit un voyage rendant son éloignement plus certain.
Quiroga se gardera de condamner ceux-là mêmes qui l’auront
fait tant fait souffrir. En milieu de vie, il s’agissait des étrangers à la
Réforme des Déchaussés, les carmes de l’Observance ancienne qui
s'emparèrent de lui et l’enfermèrent dans la prison conventuelle de leur
couvent à Tolède en Castille[2330].
Ensuite il s’agit de plus proches et précisément de deux carmes de la Réforme des Déchaussés : un jeune enquêteur
furent diligenté en Andalousie et devint la terreur des carmélites tandis que
le prieur d’Úbeda fut de son côté un homme sans pitié assurant une vengeance
personnelle. Mais ces deux méchants ne pouvaient agir sans l’aval des autorités[2331].
Toute cette histoire confirme le bien-fondé du silence comme
la condition indispensable à “l’exercice” de l’homme intérieur car aucune
protection des incompréhensions et jalousies des hommes “extérieurs” n’est
acquise au sein d’institutions larges régies par les seules Règles. Le jeune Jean de Yepes songeait
bien à se faire ermite chez les chartreux, mais il fut convaincu par Teresa
(1515-1582) d’étendre la réforme des femmes aux hommes.
Il s’y consacra sans répit et lui succédera auprès de ses
filles récalcitrantes au contrôle de l’Ordre des Déchaussés assuré par le biais
de confesseurs imposés. C’est la source de ses épreuves les plus lourdes.
Quiroga en rend compte avec précision et “là où ça fait mal”,
respectant la pleine vérité. Sa Vida y
virtudes tranche sur celles qui suivront par le soin méticuleux avec lequel
il rend compte d’épreuves très concrètes vécues héroïquement. Mais toute vérité
n’est pas bonne à dire lorsqu’elle rend évidente une faiblesse collective, même
si l’historien évite la mise en cause du plus haut gardien de son Ordre.
Et il publie sa rédaction sans l’autorisation requise par ses
supérieurs, en 1628 en Flandre espagnole à Bruxelles. On avance qu’elle était
achevée depuis plusieurs années. Des exemplaires envoyés en Espagne par une
carmélite, peut-être responsable et certainement très satisfaite de ce travail,
mettent le doigt sur une plaie ouverte (entre Quiroga et une autorisationglnon
obtenue, entre ces carmélites de Bruxelles et les carmes d’Espagne qui voulaient
sûrement en assurer la direction[2332])
S’ensuit le feu aux poudres, la colère en Espagne et une brutale disgrâce :
Quiroga meurt “exilé” à Cuenca à la fin de sa même année.
On trouvera de rares études le concernant en dernière partie
du présent volume[2333].
Car une omerta semble avoir été
pratiquée jusqu’à l’intervention au
siècle dernier de dom Chevallier[2334]
suivi d’autres ni n’étaient ni carmes ni Espagnols[2335].
Certains étrangers oeuvraient déjà au XVIIe siècle
en contradiction avec les supérieurs espagnols qui avaient ordonné la rédaction
de deux autres Vidas. Ces dernières
demeurèrent espagnoles mais les traducteurs français et italiens choisirent à
juste titre la source primitive par Quiroga.
La “Vida y virtudes”
ainsi lue au XVIIe siècle en français fait apparaître tout le vécu
des épreuves. Cette traduction française mériterait une pleine réédition qui
n’eut jamais lieu.
Je me limite ici à deux “zooms” centrés sur Tolède (1578)
puis sur Úbeda (1591), deux sections comportant chacune une dizaine de
chapitres respectant et leur succession et leur intégralité. On y trouvera des
enquêtes menées avec le plus grands soin et clarté, citant des témoins,
incluant tous détails utiles. Ils sont indispensables pour expliquer sans les
excuser comment prirent place deux grandes “méchancetés” qui semblent à
première vue incompréhensibles.
Quiroga nous expose clairement et froidement deux
enchaînements catastrophiques. En homme contemporain de tueries religieuses
européennes ou esclavagistes hispano-américaines, il accepte sans difficulté
l’ordre établi de prisons religieuses (épisode de 1578). Ensuite il expose dans
les détails les plus corporels les effets et le règne d’une souffrance
incontournable à l’époque où un érysipèle d’origine bactérienne conduit souvent
à la mort par gangrène lorsqu’il n’est pas traité par un antibiotique (automne
1591).
Au-delà de précisions qui nous font partager les angoisses
portées par un prisonnier silencieux dans le noir ; puis dix ans plus tard en
une terrible fin de vie, nous comprenons non seulement le comment, mais surtout le pourquoi
d’oppositions. Peut-être Jean de la Croix dans son élan et sa jeunesse
n’était-il guère sensible aux effets d’une règle du jeu propre à l’exercice
mystique appliquée à tous, donc souvent insupportable à ceux qui n’y sont pas
appelés sinon par touches espacées.
Cette histoire menée passionnément, mais sans haine explique
celle de non-mystiques (à la vie irréprochable) qui se retrouvent enfermés
derrière les murailles de couvents lorsque leur nature se retrouve brimée par
des Règles. Il n’en est heureusement
pas plus de même : l’on admet aujourd’hui que l’on puisse vivre comme laïcs une
profonde vie mystique en échappant à de telles contraintes.
Trois parties à mon dossier :
Sections françaises consacrées aux épreuves, rééditées pour
la première fois,
Leurs originaux espagnols augmentés d’un choix de chapitres issus de l’imprimé (ici imprimé en petit corps),
enfin les notices et des études sur l’historien Quiroga. Son oeuvre écrite est importante et méconnue, car l’orientation prise par les carmes espagnols sous l’influence de Thomas de Jésus s’écarteront, dans une voie de méditation matinée d’ascèse, de la voie contemplative que Jean de la Croix enseignait pour conduire à une vie mystique [2336]. Au sein de larges structures l’élan des fondateurs est converti en règle.
À défaut d’avoir pour le moment recours à des manuscrits qui demeurent toujours inexploités[2337], j’assemble des sources accessibles, dont celles qui ont été imprimées au XVIIe siècle.
Quelques informations situant la première des nombreuses “Vies” de Jean de la Croix composée par l’historien de l’Ordre naissant:
Elle fut éditée (sauvée?) en 1628 en Flandre espagnole? Peut-être grâce à une intervention de la carmélite qui succéda à Anne de Jésus (1545-1621), mystique dédicataire du Cantico qui connaissait bien la Cour de Bruxelles (alors capitale de la Flandre espagnole). Peut-être par suite d’un auteur qui ne veut pas laisser perdre la défense de son saint maître et prend tous les risques en se croyant protégé par cette Cour.
La Vida y virtudes […] con declaracion de los grados de la vida contemplativa por don de N.S. le levanto a una rara perfecion en estado de destierro. Y del singular don que tuvo para enseñar la sabiduria divina que transforma las almas en Dios, présente le grand intérêt de mêler les faits biographiques à l’évolution intérieure mystique. Ce ne sera plus le cas des très nombreuses biographies qui séparent cette première présentation de 1628 de l’excellente biographie offerte par Crisogono vers ~1938, rééditée en 1974, traduite en français en 1998.
De taille très importante, la Vida y Virtudes ne peut être entièrement reprise ici. J’ai choisi de reproduire les ensembles très précis décrivant deux grandes épreuves vécues par Jean de la Croix. Deux blocs de textes livrent les informations les plus précises sur la prison puis la mort de Jean de la Croix : Libro segundo, capitulos 1 - 10 sur l’emprisonnement à Tolède (suivi du cap. 14) ; Libro tercero, cap. 15 – 23 sur la mort, (précédé du cap. 3 expliquant pourquoi un si mauvais traitement fut réservé au saint). Soit : 21 chapitres sur 131 de l’ouvrage complet (auquel on ajoutera 14 chapitres dans la section espagnole).
Pour souligner combien il faudrait recourir aux manuscrits, je livre les fragments publiés anciennement en bilingue dans la revue Études carmélitaines par Ph. Chevallier, moine de Solesmes, section réservée à des « Textes anciens ».
Ce premier dossier laisse de côté, réservé à deux autres dossiers toujours assemblés à partir des imprimés, en espérant un gros travail sur les manuscrits :
La “Subida del alma a Dios que aspira a la divina Union…” qui couvre deux tomes. Cette oeuvre centrale du point de vue mystique est reprise ici. Dans sa seconde partie qui traite de l’Union, De la entrada del alma al Parayso Espiritual, Quiroga complémente ce qui nous est parvenu de Jean de la Croix (on sait que de nombreux écrits de son Maître ont disparu : son oeuvre nous est livrée tronquée et sa correspondance fut détruite).Un Don que tuvo san Juan de la Cruz para guiar las almas a Dios fut publié en complément à l’une des éditions intégrales de l’oeuvre de Juan de la Cruz en 1914 [2338]. Elle fut adaptée par la traductrice carmélite Marie du Saint-Sacrement [2339].
L’Apologia mística en defensa de la Contemplación divina constitue une vigoureuse défense de la vie intérieure. Aussi elle a été traduite deux fois. L’apport du plus fidèle des disciples de Jean de la Croix sur le plan du vécu mystique s’impose à tous.
§
On devine l’intention globale de Quiroga : donner aux novices des réponses aux difficultés rencontrées. Il constate que ses confrères s’écartent de la vie mystique en mettant en avant la méditation, ce qui deviendra le vécu de la majorité des carmes par la suite [2340].
Aussi n’a t-il pas hésité à donner à sa Subida del alma un titre rappelant la Subida del monte de son Maître. C’est un exposé organisé de la vie mystique « vue de l’intérieur » : il faut aider les jeunes carmes à passer rapidement de la méditation (un à trois mois suffiraient) à la contemplation. Il faut sauter le pas!
§
Avant de fermer le dossier au risque d’oublier les
implications de son contenu, voici une appréciation personnelle rédigée sans précaution. Elle est née du travail de
lecture lente, à fin de reconnaissance vocale, des deux traductions de
« crises vécues ». Deux épreuves subies par Jean de la Croix,
mystique chrétien universellement reconnu, car s’appuyant sur un Rien commun à
tous, tiennent en moins de cent pages.
Le lecteur sera récompensé à
tous niveaux :
Il s’agit d’un concentré
excellemment rédigé par l’enquêteur-historien chargé du travail et qui s’est
rendu sur place pour mesurer dimensions et fenêtre ; attentif et précis à
situer un modèle utilisable par tous, de l’isolement à la fin de vie.
Il s’agit d’un exposé
mystique « par l’exemple » et non par les mots : sans
échafaudage ni appui connexe joint à la Grâce. Un seul exemple parallèle est
offert : la vie et l’épreuve du Seigneur.
Il s’agit d’établir sur la
foi nue une vie mystique véritable extrêmement sobre. Elle s’oppose à des
détracteurs de bonne foi, mais attachés aux croyances.
Quiroga ne nous livre pas
seulement le comment par son exposé
des faits bruts, mais aussi le pourquoi.
Sans y mêler de condamnation,
sinon celle d’une perversité propre aux deux bourreaux qu’il suppose -- ou veut
nous faire supposer – des isolés. L’historien de l’Ordre -- il l‘est encore au
moment de sa rédaction – accepte des conditions admises à l’époque, tel
l’enfermement des récalcitrants en prisons privées au sein de tous Ordres
religieux[2341].
Clairement, le Père fondateur
Jean de la Croix est devenu inacceptable dans son Ordre maintenant normalisé,
peuplé par de « braves types » non mystiques, même si certains
d’entre eux ont connu (certains connaissent toujours aujourd’hui)
l’« instant » qui les a fait choisir une voie abrupte. Mais on ne
doit ni ne peut raisonnablement maintenir derrière des murs de jeunes hommes
actifs qui pensent, avec pleine raison aux yeux du monde, avoir mieux à faire
que de s’isoler « égoïstement », par exemple en convertissant par la
parole de sermons et retraites et en assurant le rôle de confesseur, tous
moyens humains développés dans une culture religieuse.
Or, contrainte inacceptable
aux yeux de Définiteurs qui se réunissent en tant que responsables élus pour
prendre des décisions relatives aux orientations de l’Ordre nouveau (à défendre
contre l’Ordre ancien non réformé et en compétition avec bien d’autres
associations religieuses), Jean de la Croix leur retire un monde féminin
nombreux et soumis. Teresa voulait laisser le libre choix du confesseur aux
carmélites ? Elles choisissent « notre vénérable Père » Jean de
la Croix au moment même où l’on veut se débarrasser d’une influence
devenue hors saison !
Les Carmes Déchaussés n’ont
plus aucune fonction reconnue si on leur retire celle d’être les confesseurs de
leurs sœurs. C’est la clé, là se situe le noeud de l’affrontement[2342],
le choix des Religieuses de prendre Jean de la Croix comme leur directeur
général sans en référer aux responsables carmes Déchaussés. Elles sont
intéressées par la vie mystique, « planche de salut » des femmes à
toutes époques, depuis l’époque des béguines au XIIIe siècle, alors
que les hommes ont plein d’occupations possibles : prêcher, convertir
,étudier…
Aussi il est compréhensible
que l’on envoie Jean le fondateur fonder au Mexique. Cela ne va peut-être pas
suffire s’il guérit de son érysipèle[2343].
D’où l’enquête menée pendant sa maladie. Le décès prévisible compte tenu d’une
triste santé règle au mieux la situation. Quiroga essaie bien de préserver à
nos yeux le grand responsable de l’Ordre (le fameux Doria), mais sa défense en
mettant tout sur le dos d’un jeune enquêteur (certes ignoble) ne paraît pas
concluante. Surtout son exposé met à nu une médiocrité humaine allant jusqu’à
la perversité que l’on ne peut mettre sur le compte du Diable.
Sa rédaction qu’on lui avait
confiée est terminée depuis probablement 1626, mais ne doit pas être éditée et
exposer à tous des turpitudes. Quiroga vieillissant franchit enfin le
Rubicon : en 1628 il se croit peut-être à l’abri comme un protégé par la
cour de Bruxelles animée par la sœur du puissant Charles-Quint. Les carmélites
-- nos sœurs, toujours elles -- envoient quelques exemplaires en Espagne.
Chiffons rouges ! L’auteur qui n’a respecté la Règle est aussitôt cassé et expédié au fin fond de la
province : à Cuenca qui est une
belle cité perchée à mille mètres et bien loin de
Madrid (deux cents kilomètres d’aujourd’hui), à
mi-route de Valence, accessible par de fort mauvais chemins venteux. Il y neige
en ce moment même de ma très libre rédaction de novembre 2016). Le vieil
historien prend peut-être froid et y meurt (décembre 1628).
La « folie » de son
héros, qui l’aveugle si l’on se place du point de vue des défenseurs de la
Réforma, est d’avoir voulu construire un Ordre des mystiques. On n’a pas le
droit d’imposer à la majorité un comportement adapté à quelques-uns. Tout au
plus peut-on fédérer de modestes groupes ne comportant chacun guère plus de
douze personnes.
José de Jésus Maria [Quiroga] 1562-1628, L’Oraison
(adaptation par la Mère Marie du Saint-Sacrement) & Réponse à un doute,
Apologie mystique en défense de la Contemplation divine (traductions par le
Père Max de Longchamp), coll. « Chemins mystiques », 440 p.
José de Jésus Maria [Quiroga] 1562-1628, Subida del
alma a Dios que aspira a la divina Union (1656) Segunda parte: De la entrada
del alma al Parayso Espiritual (1659),
Don que tuvo sans Juan de la Cruz, Repuestas, Apología mística en
defensa de la Contemplación divina, 2016, transcriptions des éditions
primitives par D.Tronc, coll.
« Chemins mystiques », 604 p.
Subida del alma a Dios que aspira a la divina Union (1656)
Segunda parte: De la entrada del alma al Parayso Espiritual (1659)
Don que tuvo sans Juan de la Cruz
Repuestas
Apología mística en defensa de la Contemplación divina
Œuvre spirituelle et mystique assemblée par le Père Donatien de
Saint-Nicolas.
Sources manuscrites. Édition critique présentée par Dominique
Tronc. Avec une étude par le Père Max Huot de
Longchamp.
D. Tronc, « Un mystique réformateur des carmes, Jean de SaintSamson (1571-1636) », Carmel, n°112, juin 2004, 71-83. [Florilège]. [repris dans « le Vrai esprit du Carmel :]
Jean de Saint-Samson, Le vrai esprit du Carmel, Œuvre assemblée par le P. Donatien de S. Nicolas. Sources manuscrites, Edition critique présentée par D. Tronc avec une étude par Max Huot de Longchamp, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2012, 607 p.
Jean de Saint-Samson
(1571-1636) anima la réforme des Grands Carmes en France. Il eut de nombreux
dirigés, dont Maur de l’Enfant-Jésus, déjà édité dans la présente collection Sources Mystiques. Très grand spirituel,
Jean a fait l’objet de belles études et quelques ouvrages issus de ses dictées
— il devint aveugle dès la prime enfance — ont été édités. Cependant il demeure
révéré plutôt que lu, par suite de la difficulté de lecture des sources brutes,
inégales copies de saisies d’élans inspirés du maître des novices.
Nous présentons en
première partie un texte sobre mais dont le titre ambitieux recouvre
l’orientation toute mystique chère à Jean de Saint-Samson, qui la défendra
vaillamment : Le Vrai Esprit du Carmel.
C’est le portique d’entrée composé par le P. Donatien de Saint-Nicolas et placé
en tête de ses deux in-folio reprenant les œuvres de Jean, édités à Rennes[2344]. Donatien conclut ainsi près d’une décennie de
son travail d’édition des œuvres de son maître[2345]. Ce Vrai
Esprit résume l’essentiel du corpus qui est présenté ensuite, en évoluant
du général (livre I du Vrai Esprit et
livre II du Cabinet mystique) au
particulier, abordant alors des sujets dont la majorité sont imposés par la vie
conventuelle de l’époque (livres III à XVI, suivi de quelques poèmes qui
concluent le second in-folio).
En seconde partie du
volume, nous présentons des transcriptions de dictées manuscrites qui servirent
de sources à Donatien. Ce sont des « pièces colorées » à l’origine du
tableau que ce dernier construisit en demi-teintes. Un peu plus de vingt pièces
du puzzle, retrouvées dans huit manuscrits du vaste fonds manuscrit d’archives
préservé à Rennes, sont ainsi proposées pour apprécier l’inspiration directe du
mystique aveugle. L’un des manuscrits est très largement utilisé, ce qui incite
à le lire de façon continue, rétablissant ainsi le fil du discours ; les autres
ne sont repris que ponctuellement.
Il est aisé d’aller et
de revenir du Vrai Esprit (première
partie) à ses sources manuscrites (seconde partie), grâce aux indications des
folios de ces manuscrits. Nous les avons reportées entre crochets au fil des
textes dans les deux parties. Ce procédé tient lieu d’une commune pagination et
permet une lecture alternée. Une table des correspondances (édition vers
manuscrits et inversement) décrit l’état du puzzle.
Donatien de
Saint-Nicolas était imprégné de l’esprit de Jean de Saint-Samson grâce à sa
fréquentation de membres du cercle qui entourèrent ce dernier. Il respecte
selon nous le sens profond mystique sans trop le gauchir par prudence ou par
incompréhension, affaiblissant toutefois l’élan lié à l’oralité de dictées.
Donatien pouvait se
permettre de regrouper et d’adapter largement ses sources selon un usage très
couramment pratiqué en son siècle. Si l’usage n’avait souvent pas de réelle
justification chez d’autres auteurs, il n’était ici pas possible pour ce
disciple de reproduire telles quelles des dictées très incertaines[2346]. Donatien a donc usé de cette liberté permise
à l’époque — et nous lui en savons gré !
Si la claire
construction de Donatien rend ainsi Jean lisible, c’est cependant au prix d’une
grande souplesse prise vis-à-vis des sources : il en modifie allègrement
l’ordre et il les résume souvent au sécateur ; il retouche le style au
risque de perdre l’expression directe et variée du vécu mystique. Se reporter
aux dictées nous transforme en auditeurs de cet aveugle qui parle vrai et prend
fréquemment des risques lorsqu’il est saisi par l’inspiration mystique. Le
couplage est une solution qui assure au mieux un accès à l’œuvre de Jean de
Saint-Samson ainsi « étalonnée » par recours aux manuscrits.
L’ensemble livre une
perspective ascendante propre au chemin de foi nue. Notre contribution présente
Jean, décrit les sources et suggère quelques thèmes à l’aide d’un court
florilège. Elle est suivie d’une présentation approfondie de l’enseignement
propre au Vrai Esprit, par le Père
Max Huot de Longchamp. Ce dernier a précédemment œuvré à nous faire connaître
Jean de Saint-Samson[2347] ; il souligne ici la continuité que Jean
maintient avec la tradition spirituelle remontant jusques au grand Ruusbroec
(vers 1293-1381). Nous remercions le Père Bruno, o.s.b., qui a participé à la
saisie du texte. Le travail d’édition a été mené en collaboration étroite avec
notre épouse Murielle.
Un volume à venir sera
consacré au Cabinet mystique, dont la
première partie constitue l’achèvement du Vrai
Esprit, ainsi qu’à un choix privilégiant une remarquable correspondance de
direction.
En France, à la sortie
des guerres de religion, la plupart des couvents ont une fois de plus besoin
d'être réformés. En ce qui concerne les carmels, deux réformes font suite aux
nombreuses rénovations qui ponctuent leur histoire[2348]. Elles sont simultanées, l’une se détache de
l’ancien ordre du Carmel ce qui facilitera son essor, l’autre demeure en son
sein ce qui limitera ultérieurement son influence.
La première réforme
est féminine. Elle est mise en place sous l’impulsion de Madame Acarie (Marie
de l’Incarnation, 1566-1618). Par l’intermédiaire d’Anne de Saint-Barthélémy
(1549-1626), la sœur converse qui accompagnait Teresa dans ses voyages, par celui
d’Anne de Jésus (1545-1621), la dédicataire du Cantique spirituel de Jean de la Croix, qui veille au respect de la
règle élaborée par Teresa, par celui de quatre compagnes espagnoles, cette
réforme prend son essor dans le royaume de France alors ennemi. Le séjour des
étrangères sera bref, sauf dans le cas d’Isabelle des Anges, mais étonnamment
fructueux. Car la vie intérieure ne dépend guère de la langue parlée et ne
connaît pas de frontière. Le relais est assuré par l’élan de la première
génération française, à laquelle appartiennent Madeleine de Saint-Joseph
(1578-1637) — maîtresse profondément intérieure de novices qui assurèrent de
nombreuses fondations —, Marie de Bréauté son amie, etc.
La seconde réforme est
masculine. Elle naît en Bretagne, où Philippe Thibault réforme dans un esprit
ascétique le couvent de Rennes, rattaché à la province qui lui donne son
nom : « réforme de Touraine ». Le renouveau s’étendra mais ne se
séparera pas de l’ancien ordre malgré des tensions que l’on relève à Angers, à
Ploërmel, etc. Cette réforme des « grands carmes » est indépendante
de celle des carmes « déchaussés », même si une influence de ces
derniers est prouvée en ce qui concerne des pratiques[2349].
L’actif Philippe
Thibault fait venir en Bretagne la future « âme de la réforme de
Touraine », le contemplatif Jean de Saint-Samson (1571-1636). Ce dernier
associe une intense vie mystique à l’ascèse régnante (qui restera apparente
dans son œuvre : peut-être est-elle imposée par les conditions locales de
grande pauvreté). Il forme les novices (et scribes auxquels nous devons l’œuvre
du maître aveugle). Ces derniers continueront son œuvre toute intérieure, dans
certains couvents carmes ou en ermitage dans le cas de Maur de l’Enfant-Jésus.
Jean de Saint-Samson apparaît comme le symétrique masculin presque
exactement contemporain de Madeleine de Saint-Joseph.
Puis on oublie ce
maître spirituel, pour plusieurs raisons : dès les années 1640 naît une
méfiance qui provoquera le « crépuscule des mystiques[2350] » à la fin du XVIIe siècle, l’in-action mystique perdant son sens
originel et les mystiques étant très souvent soupçonnés de quiétisme. Un
affadissement de l’élan intérieur accompagne alors la fusion de la réforme dans
le corps des « grands carmes », qui disparaît de France à la fin du
dix-huitième siècle.
Par chance, de très
nombreux manuscrits, copies des dictées de l’aveugle à ses novices, ont
survécu. La renaissance de l’intérêt pour la mystique d’expression française
depuis Bremond[2351] s’est accompagnée plus récemment de la
redécouverte, puis d’un début de l’édition de l’important corpus de
« dictées » de Jean à ses disciples.
Ce que Jean a dicté
n’est pas d’une lecture très facile mais « le plus profond des mystiques
français[2352] » mérite l’effort requis. Sa découverte
est possible aujourd’hui parce que notre pratique des formes modernes
d’écriture, s’écartant de la belle langue telle qu’elle fut pratiquée sinon
imposée depuis la seconde moitié du XVIIe siècle, facilite l’abord
direct des textes.
Nous n’avons pas
besoin de reprendre ce qui a été fort bien exposé dans le travail fondateur de
S. Bouchereaux[2353], conforté par celui de H. Blommestijn[2354]. Leur source principale est d’ailleurs un
travail de notre P. Donatien[2355] qui exploite un ensemble de documents d’une
manière comparable à celle qui aboutira au Vrai
Esprit. Une brève évocation suffira ici :
Jean du Moulin, fils
d’un contrôleur des tailles, fut baptisé le 30 décembre 1571. Une intervention
malheureuse causa sa cécité, suite à la maladie de la variole contractée à
l’âge de trois ans. Aussi :
on
lui fit apprendre la musique et le jeu des instruments en perfection,
spécialement celui de l'orgue, qu'il touchait fort adroitement dès l'âge de
douze ans. Il fit quelques années cet office en l'église de saint-Dominique de
Sens et était toujours appelé aux concerts de musique qui se faisaient aux
solennités extraordinaires.[2356]
Quittant Sens pour
Paris, en 1593 ou 1594, il alla demeurer chez son frère marié Jean-Baptiste
pendant quatre ou cinq ans, près de Saint-Eustache. Mais après la
mort de ses proches vint la misère :
Le serviteur
de Dieu demeurait cependant dans une église toujours à genoux, et en oraison
devant le très Saint Sacrement de l'autel, et souffrait beaucoup de faim, de
soif et autres incommodités.[2357]
On dispose d’une
abondance de faits très vivants illustrant la dureté de la vie de l’infirme,
que nous ne pouvons rapporter ici[2358].
L’église de
Saint-Eustache était attachée au grand couvent des carmes de la place Maubert :
un certain jour, en la fête de sainte Agnès de l’année 1604, Jean demanda la
permission au jeune frère Mathieu Pinault « de toucher l’orgue » à la grand-messe. Cette rencontre fut
le début d’une amitié profonde et durable.
Depuis
je le conviais de venir à l’orgue avec moi toutes les fois que je jouais de
l’orgue. En devisant avec moi il me demandait si j’avais des livres spirituels,
et lui ayant dit qu’entre autres j’avais les œuvres de Nervèze, il me persuada
de les quitter et m’en rendit d’autres comme Arias, Grenade[2359], et me pria de lui donner
quelque temps pour lui lire des livres qu’il m’apportait, comme les divines
institutions de Tauler, la Théologie
mystique de Harphius, Ruusbroec, La
Perle évangélique, le Jardin spirituel des contemplatifs de
Mr. Deschamps.[2360]
La lecture journalière
était devenue très vite une rencontre de prière et de méditation et un cercle
spirituel se constitua au couvent de la place Maubert. Jean
exhorta
lors pareillement le Père Philippe Thibault, religieux de la même province à se
mettre de la partie [en vue d’établir la réforme] ; l'assurant qu'il y pouvait
beaucoup. […] Il lui dit ces paroles avec tant d'énergie et d'efficace,
qu'elles frappèrent au cœur du Père Thibault comme un coup de foudre, et y
demeurèrent désormais très profondément gravées, comme il a depuis souvent
avisé au Père Mathieu [Pinault][2361].
Finalement, en 1606,
alors que Jean parlait avec Mathieu Pinault des desseins de celui‑ci, il
lui dit au dépourvu : « Dieu m’appelle efficacement pour être religieux en
votre convent de Dol [2362]. » Le jeune frère Mathieu n’y voyait que
toutes sortes de difficultés, mais ce couvent l’accepta quoique âgé de
trente-cinq ans et malgré sa cécité, mais dans la situation la plus humble
de frère lai.
Les épreuves furent
abondantes dans la vie du nouveau carme. Jean était souvent malade. Le bâtiment
était fort misérable et délabré, il n’y avait pas d’infirmerie, les cloisons
des cellules du dortoir n’étaient faites que « d’ais fort mal assemblez,
où les vents entraient de toutes parts. » Jean préférait la solitude et le
recueillement de la prière : « Dans l’hiver on l’a vu souvent à l’abri de
quelque muraille, et aux rayons du soleil, trembler sa fièvre assis sur un buis
du jardin[2363]. » Jean de Saint-Samson avait appris une
prière pour guérir les fiévreux. Cette pratique le mit en relation avec
l’évêque de Dol qui, après une enquête, fut acquis à la cause du frère et le
fréquenta régulièrement jusques à la fin de sa vie. Un événement nous révèle la
pleine grandeur du frère :
La
ville de Dol et le couvent des carmes furent atteints de la peste. Un carme
mourut en peu de jours et un novice fut atteint par la contagion. Pris de
panique, la communauté entière et le prieur s’enfuirent hors du couvent. Le
soin du malade fut confié au jeune frère Olivier et à un séculier. Jean de Saint-Samson
s’était déterminé à tenir ferme et à s’engager, pour si peu que cela lui serait
possible. Malgré son infirmité et son peu d’expérience, il se mit à leur
service pour soigner le malade. Un jour, celui‑ci fut atteint d’un accès
de folie furieuse et voulut se précipiter par la fenêtre du dortoir. Alerté par
un pressentiment, ou par une lumière divine selon l’interprétation du Père
Donatien, Jean « sort à même temps de sa chambre, va directement vers ce
frénétique au lieu du précipice, le saisit et l’empêche de se jeter. Le tenant,
il appelle les deux autres, qui pour la crainte du mal s’écartaient au bas du
jardin, fit remettre ce pauvre malade en son lit, et demeura toujours auprès de
lui, sans aucune appréhension de la
maladie, priant Dieu qu’il lui rendît son bon sens, afin de pouvoir mourir dans
les dispositions de sa grâce. Notre-Seigneur octroya 1’un et l’autre à ses
prières. Car au même instant l’usage de la raison lui revint… » Jean de
Saint-Samson finit par contracter lui-même la maladie à laquelle il s’était
exposé volontairement pour l’amour de ses frères malades et agonisants. Les
conséquences en demeurèrent limitées, quoiqu’il ait été transféré pendant
quelque temps « au champ Saint-Jammes, lieu destiné pour la retraite et
pour le défairement des pestiférés. » Jean y continuait sans relâche ses
œuvres charitables. Ces expériences pénibles face à un mal impitoyable, à la
défaillance totale de la médecine et à la peur obsédante de la contagion,
l’amenèrent à un dépouillement entier de son intérêt propre et à une
disponibilité sans réserve[2364].
Jean de Saint-Samson
fit profession, âgé de plus de trente-cinq ans, le 26 juin 1607. Philippe
Thibault et Mathieu Pinault, les deux réformateurs, dès leur arrivée définitive
à Rennes en novembre 1608, essayèrent d’obtenir du Père provincial le transfert
du frère Jean à leur couvent, mais il leur fallut attendre quatre années, la
communauté de Dol s’y opposant. Puis :
les
supérieurs de Rennes[2365] s’efforcèrent d’inventer de
rudes épreuves pour mesurer la trempe de son âme et découvrir le fond de son
cœur. […] Jean ne pouvait littéralement plus suivre les prescriptions de la
méditation méthodique. […] Philippe l’invita à exposer par écrit son exercice
d’entière élévation d’esprit. […] Etant donné que le contenu de ces quelques
pages, de l’avis de tous, était bon et admirable, les chefs de file de la
réforme n’hésitèrent plus à destiner le simple frère au rôle important de
maître spirituel de plusieurs générations de jeunes carmes.
[…]
Mathieu Pinault, le maître des novices, qui devait, après tout, sa formation
spirituelle aux entretiens quotidiens avec Jean, prit l’initiative quelque peu
curieuse d’envoyer chez lui les jeunes gens les plus doués pour une courte
visite.[2366]
Jean donnait
probablement un « enseignement » par la prière (comme il en avait été
de même par exemple pour les proches d’un Philippe de Néri). De la sorte, Jean
devenait le maître spirituel de la réforme …sans méditation méthodique. Jean
demeura alors à Rennes (à l’exception d’une année passée à Dol) jusques à sa
mort, qui arriva alors qu’il avait atteint un âge assez avancé, près de
soixante-cinq ans :
Pendant
ces longues années, il n’aimait guère franchir le seuil du couvent, à moins que
ce ne fût pour rendre visite à une personne malade ou agonisante… A la fin de
sa vie, il demanda même son transfert […] pour y être en solitude totale. Il
tenait pourtant sa fenêtre grande ouverte pour les oiseaux qui passaient la
nuit dans sa chambre.
Il mourut le dimanche
14 septembre 1636
en
la fête de l’Exaltation de la Croix, jour anniversaire de la mort de Catherine
de Gênes, la mystique italienne fort estimée de Jean de Saint-Samson à cause de
la ressemblance de leur expérience mystique[2367].
Il faut en premier
lieu aller à la recherche du trésor mystique. Le titre d’une œuvre connue de
Jean de Saint-Samson[2368] souligne le caractère imprévisible et
contraignant du chemin mystique, dont le parcours dure de nombreuses années, la
vie étant donnée pour cela. Trouver l’entrée du sentier, puis le suivre,
suppose en premier lieu de perdre ses certitudes pour se laisser conduire. Mais
l’homme
ne
se sert de sa raison que pour les choses sensibles. […] S’il monte plus haut
que les sens, il ne veut concevoir les choses divines que par voie d’entendement,
et croit que toute sa sainteté doit consister en la forte élévation et dans le
lustre de son entendement illuminé de Dieu pour le connaître et le goûter. […]
Il ne veut point aller là où il ne sait pas, ni s’exposer à se perdre et
s’abandonner à la conduite de Dieu[2369].
Jean appelle donc à
une vie surnaturelle, seule capable de franchir le pas :
Voyez
donc derechef, mon frère, si vous voulez être profane ou divin, puisque cela
est en votre libre pouvoir et vouloir. Ce n'est pas assez que d'avoir quelque
lumière et connaissance naturelle de Dieu et des choses qui lui appartiennent,
mais il faut être soi-même surnaturel, en ses
habitudes, en sa vie, en ses connaissances, en ses continuelles actions,
en ses paroles, et cela tant dehors que dedans. Et ce qui en trompe plusieurs,
c'est qu'ils se contentent des connaissances et des touches divines acquises
par spéculation ou autrement et en nature […].
Elle suppose une
adhésion ou conformité dont
le
chemin le plus court pour vous est le dedans de l'esprit, […] activité
amoureuse par laquelle, comme le poisson se plonge et replonge en l’eau
coulante, son propre élément, centre et repos, vous vous plairez uniquement de
fluer et d’adhérer continuellement à Dieu […][2370].
Mais
quand à vous, il faut que vous vous résolviez de devenir éternel, tant en
vérité pratique qu'en vue et science expérimentale de l'éternité en la même
éternité. Or, pour parvenir là, il faut fluer activement sans cesse de toute
l'action de vos puissances, par lesquelles vous soyez tiré et ravi totalement
après elle en cette étendue éternelle en laquelle vous soyez rendu simple et
immobile sans réflexion ni division quelconque […][2371].
Cette conformité
suppose un amour pur de toute contamination :
Il
faut, et il veut, que nous soyons perdus, et totalement transfus en toute son
étendue éternelle pour demeurer morts ainsi à nous-mêmes, […] vous excitant […]
à un tout raisonnable amour, qui doit être raisonnablement exercé de vous
par-dessus toute raison, appréhension et discrétion[…][2372].
Je
dis que où il y a de la raison en amour pour aimer, l'amour n'est point ;
d'autant qu'amour est suffisant de soi et par soi-même de tirer et de ravir
tout le sujet qu'il anime et qui l’agite, de le tirer totalement en unité
d'esprit sans le concours et l'aide de raison réflexe […][2373].
Le chemin est pénible
parce que la nature cherche toujours un objet :
Si
on lui ôte un objet sensible, elle [la nature] a recours à un objet de
l’esprit. Si on lui ôte ceux de l’esprit, elle cherchera sa propre satisfaction
en Dieu même […][2374].
Tour à tour sont
éprouvés amour divin :
Combien
de fois, ô mon amour, ai-je eu sujet dans l'abondance de vos communications
divines, de vous prier de vous enfuir hâtivement de moi si vous ne vouliez me
voir mourir de joie et d'amour, présentement à vos yeux ?[2375]
…ou cheminement
obscur :
« Notre-Seigneur
lui voulant faire goûter l'amertume de sa croix, le priva de toutes ces grâces
sensibles. Et afin d'éprouver, épurer et affermir sa vertu et sa fidélité, le
mit en un état très nu, très délaissé, très obscur et très misérable selon le
sens, qui lui dura même plusieurs années sans autre consolation. De sorte qu'il
lui semblait pendant tout ce temps-là être abandonné et réprouvé de Dieu[2376]. »
Ces états sont
éprouvés tour à tour et cassent le rigide amour-propre. Enfin « nos voies
doivent être si perdues que personne n’en voient ni trace ni sentier[2377] ».
Seul est nécessaire
l’élan de tout l’être pour atteindre un état d’union simple. L’appétit, le
désir, l’élan, exprimés par « Tout ou rien ! », par un souhait, « Que
tout le vieil homme meure en nous », sont essentiels dans la voie
mystique. C’est le grand message de Jean, ce qui le rend spécifique parmi ses
pairs à la lecture. Aussi n’avait-il souvent rien autre chose à dire en
confession, sinon « qu’il n’avait pas tendu à Dieu à l’infini et de toutes
ses forces en son attention », donnant pour précision :
L’infini
[…] c’est l’arrêt et fermeté de toutes les puissances recueillies, fondues,
réduites et entièrement perdues en l’unité divine, par dessus tout esprit et
fond[2378].
La
« religion » prend alors le nouveau sens dynamique d’une
« totale perte de soi-même et des choses créées, par une entière
transfusion et résolution de tout soi en Dieu[2379]. »
L’action divine à
travers l’homme peut alors prendre place : « Aimer sans amour, aimer
au-dessus de l’amour [sensible][2380] ! » Avant d’y atteindre, par une
continuelle et attentive mort de lui-même, le mystique aspirant plonge de plus
en plus en son fond, « sans grand effort du sens », seulement du plus
profond du cœur et du plus intime de l’esprit[2381]. Qu’il ne se satisfasse point d’un désir de
posséder Dieu ! En fait, plus le sujet « s’abîme et se perd au total de
son infinie vastité[2382], tant moins il s’aperçoit de cette opération
simple et cachée[2383]. » Il ne lui reste qu’à
s’armer
de force de patience et de constance pour ne varier jamais ni à droite ni à
gauche […], se sentir toute vide et destituée de lui [l’Époux] et totalement
insipide en ses sentiments. C’est en ceci que consiste la fidélité […] et non
dans les grandes connaissances, réplétions, goûts, dilatations,
simplifications, révélations, visions et ravissements de l’entendement humain.
[…] Cela [se sentir vide] n’arrive qu’afin que les âmes ne se satisfassent
point elles-mêmes d’un désir glouton et affamé de posséder Dieu plus pour elles
que pour Lui-même[2384].
Voilà comment on monte
l’escalier d’amour divin, car « celui qui a tout reçu doit toujours tout,
à chaque moment[2385]. » Ses voies sont la solitude, la totale
impuissance, mais aussi satisfaire pleinement à Dieu avec joie, en abhorrant la
tristesse.
Tout
cela est aisé à dire, malaisé à faire, difficile à endurer, très difficile à
surmonter. Car il faut demeurer stable, ferme et immobile au dedans de
l’esprit, en simple repos, par dessus l’action et l’intention. Par dessus le
flux sensible présent et essentiel de l’Époux ; et cela éternellement,
parce que l’on croit ne devoir jamais vivre autrement et que cet aimable Époux
ne doit jamais retourner… C’est ici que l’industrie humaine est épuisée[2386].
Pour un abandon véritable, nous devons être « totalement
reçus et fondus[2387] » :
Être
enseveli comme mort, c’est encore un tout autre état, et puis être pourri et
corrompu, et de la pourriture être rédigé[2388] en cendre, ce sont encore
d’autres états plus proches du rien.
Mais le même rien n’est rien. Il faut
que le mystique avise soigneusement lequel de tous ces états lui convient, afin
que sans s’arrêter, il tende toujours à plus, non selon la pure spéculation, ce
qui serait tôt fait, mais en véritable pratique dans les occasions, qui ne lui
manqueront jamais, et avec ordre et discrétion. C’est un[2389] œuvre d’un siècle, à dire la
vérité[2390].
Soyons
« circonspects à ne se point chercher finement, en faisant sa proie de la
mort du sens. [L’âme] doit vivre là toute perdue à elle-même, sans science ni
vue de ce que nous sommes[2391]. »
Or
les excellents mystiques nous disent ce qui est vrai, à savoir que trois choses
conviennent à l'homme mort : on l'ensevelit, on l'inhume, et puis on
marche dessus jusques au jour du jugement. On [ne] saurait mieux exprimer
l'insensibilité des morts que par semblable chose. Si bien que on verra si nous
sommes morts entièrement en la nature, si toutes ces choses se trouvent
pleinement et de tout point véritables[2392].
Aussi pour le
mystique,
son
plaisir en son infini amour, est que Dieu soit ce qu'il est, qu'il ait ce qu'il
a, et qu'il se bienheure [qu’il soit bienheureux] présentement soi-même en sa
présente éternité, qui n'est autre que lui-même ; c'est cela qui réjouit les
anges en la gloire, et les hommes en la voie, en quelque condition prospère ou
adverse qui se puisse rencontrer. C'est ainsi que le bonheur de Dieu et la
félicité de Dieu dans les hommes en leur félicité en la terre, et que le
paradis de Dieu, est dans ces hommes-là. Toutefois, comme l'homme est composé de
plusieurs parties en soi-même, il se peut faire qu'il puisse pleurer en
demeurant joyeux au dedans[2393].
Toutefois la
« subtile et perdue théorie et pratique des mystiques est inconnue à tout
autre qu’à eux-mêmes et cependant ils voient tout, du fond de leur abîme[2394] » :
Pour
arriver heureusement à cette transfusion en Dieu, il faut que toute la créature
soit perdue à son vivre, à son sentir, à son savoir, à son pouvoir et à son
mourir. […] Il n'y a plus en cet état d'acte de réflexion, et […] l'âme est
hors de puissance de le faire. Toutefois le franc-arbitre demeure en sa pleine
et entière vigueur. En ceci il y a infiniment de quoi s'émerveiller et admirer
la force de l'amoureuse activité de Dieu à fondre et convertir totalement en
soi ceux qui lui ont voulu sans réserve répondre de tout soi, tant en la vie
qu'en la mort[2395].
Au
reste dans cet abîme on ne voit ni fond ni déité : tout y est englouti
sans ressource et il ravit incessamment tout l’homme sans distinction ni
différence. C’est ici qu’il n’y a ni amour, ni vertu, ni charité. Et toutefois
c’est d’ici que la charité, l’amour et les vertus sortent à leurs effets quand
et autant qu’il le faut, sans perception ni distinction. Ce qui n’est point ne
peut avoir de nom ; non par privation d’être, mais parce qu’on est
englouti dans l’unique et suréminent être qui va remplissant tout être du sien[2396].
Les vertus ne doivent
jamais être distinguées ni séparées de l’amour, sinon dans leur action qui sort
et paraît aux hommes. Il s’agit de parvenir au feu de l’amour divin, lequel les
dévorera et les engloutira, pour les transformer en soi :
L’amour
et l’humilité leur ôtent [aux mystiques] toute réflexion, les occupant et les
perdant toujours de plus en plus en Dieu, où ils sont et vivent sans
distinction ni discernement de ce qu’ils font ou ne font pas. Ainsi ils vaquent
incessamment au devoir de l’amour réciproque, sans croire ni penser qu’ils y
satisfassent, sinon de fort loin et chétivement[2397].
Le
divin Soleil de justice ne manque point de produire les effets de son amour dans
les hommes, aux uns plus tard et aux autres plus tôt et en un différent degré,
selon qu’il trouve la terre de leur cœur diversement disposé à cela par la
grâce ; la saveur et l’expérience que nous avons de cette vérité nous est très
délicieuse ; en cette manière nous pénétrons tous les effets de cet amour
produit dans les hommes, leur découvrant sa beauté et ses vives splendeurs afin
de les rendre parfaitement amoureux de lui-même[2398].
[…]
Élevé de la terre et de vous par-dessus vous, entièrement perdu par plongement
vigoureux et amoureux en l'immense mer et son infinie divinité, où tous les
esprits créés, se surpassant soi-même, se sont perdus, et où ils se sont
consommés en amour comme dedans un très vif brasier qui les rend jouissant de
l'infini amour, et des infinis délices de Dieu même, le voyant être ce qu'il
est digne de son seul amour, pour être pleinement bienheuré, et bienheureux par
soi-même[2399].
Ainsi le seul amour
demeurera maître de la place[2400] :
Cet
état consiste en une élévation d’esprit par-dessus tout objet sensible et créé,
par laquelle on est fixement arrêté au dedans de soi, regardant stablement
Dieu, qui tire l’âme en simple unité et nudité d’esprit […] La constitution de
celui qui est en cet état, est simple, nue, obscure et sans science de Dieu
même […] Car là, tout ce qui est sensible, spécifique, et créé est fondu en
unité d’esprit, ou plutôt en simplicité […] Alors les puissances sont fixement
arrêtées au-dedans, toutes attentives à fixement regarder Dieu […] Et plus cela
est ignoré du patient, tant mieux pour la profondeur et l’excellence de cet
état. […] ni créé ni créature, ni science ni ignorance, ni tout ni rien, ni
terme ni nom […] ni différence de temps […] tout cela est perdu et fondu en cet
obscur brouillard, lequel Dieu fait lui-même, se complaisant ainsi dans les
âmes […] Là elle doit continuellement être attentive à ne se point laisser
occuper des objets naturels et spirituels, qui sourdent presque
continuellement, quoique très simplement, de la puissance raisonnable, et à n’écouter
point la nature, qui la sollicite continuellement à connaître et à sentir son
état et à réfléchir sur ce qu’elle voit et ce qu’elle est. Car la nature veut
toujours secrètement avoir quelque objet à quoi elle s’attache […] qu’elle
réponde uniquement et toujours […] par la simple et totale attention, en
l’essence abyssale de Dieu[2401]. »
Mais on ne voit ni
terme ni nom pour répondre à ce dont on se sent et on se voit tout embrasé,
aussi on se réduit et on s’exprime comme on peut[2402] ! Celui qui à force de mourir et fluer
continuellement en Dieu est devenu simple, demeure comme impuissant à
réfléchir. Il demeure stable et arrêté en son repos, ne désirant sortir de là
sinon lorsque Dieu l’en tire. Et lors il sort sans sortir, pratiquant ce qu’il
doit faire, libre et sans empêchement, afin de rentrer selon son total au plus
profond de son désert solitaire.
Ces personnes sont
vues comme fleuve regorgeant d’amour, de lumière, de saveur et de délices
ineffables[2403]. Mais les formes et le vocable même d’amour
s’anéantissent. Car alors le sujet se trouve heureusement transformé au feu de
Dieu[2404]. Rien de ceci ne rejaillit plus dans les
sens ; et il est de nécessité que l’âme soit établie et confirmée en une
très grande et très simple force d’esprit, qui l’arrête et constitue fermement
et « immobilement » en son objet ; afin que Dieu vive en elle
comme sans elle[2405].
Alors
l’amour n’a plus d’être, de vie, ni d’opération comme pour elle, mais désormais
son infini objet qui est Dieu, vit, agit, et pâtit en elle en tout sens et
manière, et en tous événements. L’âme dis-je, en cet état ne vit que de la vie,
et en la propre vie de Dieu. Elle a atteint sa similitude avec Dieu par-dessus
la même similitude ; elle a atteint son image et son exemplaire en son
propre fond originaire, et elle est entièrement transfuse en son immense
amplitude, par dessus toute démonstration possible. […] Pour donc faire vivre
Dieu en nous, il faut que nous mourions totalement ; et comme cela ne doit
et ne peut être naturellement devant le temps de notre dissolution, il faut que
nous mourions en la foi et la créance du rien de toutes choses, et de nous-mêmes
au respect de Dieu[2406]. […] Celui donc qui affecte
seulement les formes et intelligences du haut et du profond, si mystique qu’il
puisse être, n’est pas capable de notre présent flux et écoulement et ne sait
ce que nous disons[2407].
« Ni haut ni
profond » : aucune progression linéaire dont on puisse saisir des
étapes. Jean pratique un mouvement circulaire, déterminé et finalement aspiré
par le puissant Attracteur divin :
Si
bien qu'à mesure qu'on reçoit les splendeurs divines en ses divins et profonds
attouchements, qui font et contiennent diverses manifestations de plusieurs et
divines notions, tant en la grandeur et la beauté de Dieu, en sa largeur et
profondeur, qu’en la connaissance en science expérimentale de son rien, l'âme
se trouve plus désireuse, plus enflammée, plus active sans labeur, et plus
intérieure que jamais, se sentant et voyant perdue, fondue et réduite dedans
l'immensité de ce divin feu tout dévorant, savoir le créé, pour, là-dedans
surpassée et perdue d'elle-même en son éminente élévation et constitution, ne
vivre plus d'autre vie que de la vie de Dieu, qui l'anime et l'agite de son
enflammé esprit[2408].
L'homme
qui voit et goûte Dieu par son flux lumineux, voit aussi, par même moyen et
sens, quant et quant la vérité de son rien. Si qu’il ne peut assez s'étonner de
voir un amour si excessif et démesuré de la majesté de Dieu en son endroit. En
la vue et sentiment de quoi, il s'étonne infiniment de se voir si abondamment
et si libéralement prévenu de l'amour merveilleux de sa Majesté, lui qui voyant
en cette immense lumière la laideur du péché. […] Et de vrai, si sa Majesté ne
le préservait de mourir en cette vue, il mourrait à l’instant[2409].
Or
c’est par l’amour en soi-même, que l’âme touchée vivement d’amour, désire se
conjoindre étroitement à l’amour même incréé, qui est Dieu, et c'est ce que
nous entendons par la concision et réduction de l'aspiration enflammée sous peu
de paroles et de forme, qui n'est quasi que le vocal d'amour. […] C'est là que
l'âme jouit des ineffables embrassements à pur et à plein, de la grandeur, de
la beauté et des secrets ineffables du même Dieu d'amour, qui l'entraîne en son
abîme par cette fidèle activité de la créature à lui répondre selon son total. [2410].
…Ils
portent partout leur solitude d'esprit, comme ayant atteint par la pureté de
cœur le doux et secret silence en le repos intérieur de l'esprit, diligemment
attentifs et actifs qu'ils sont au continuel culte de leur fond, qu'ils ne
laissent dépeindre d’aucune espèce, image ou figure. Ceux-ci ne pensent ni à
sainteté ni à pureté, de quoi néanmoins faisant continuellement de mieux en
mieux les exercices, d’une continuelle et entière tendue de tout eux-mêmes en
Dieu, ils acquièrent très excellemment par cela même, la pureté et la sainteté
dont ils sont revêtus comme d'un très précieux ornement au plaisir et à la
gloire de Dieu, […] ils ne savent réfléchir ni sur les autres ni sur leurs
œuvres.[2411].
Mais
qu'il avise bien de ne se faire ni rendre propriétaire d'aucun exercice
d'esprit quand Dieu le tirera ailleurs et autrement. Et encore qu'il doive
grandement chérir la solitude, si se doit-il bien garder de s'en rendre
propriétaire, pour ce que nous devons suivre Dieu, non pas nous-mêmes. C'est
pourquoi il faut laisser Dieu pour Dieu, spécialement quand on voit fort expressément
ce que Dieu veut de nous[2412].
Et
vivant à Dieu et en Dieu de toutes tes forces et de tout ton appétit, tu es
bienheureux en ta misère. Car observant continuellement toi-même en sa
présence, nature n'a ni effet ni pouvoir dessus toi, encore même que tu ressentes
ses importunités, d'autant que lui faisant bonne et due guerre à la faveur de
Dieu et de sa gloire en toi, si tu es faible et infirme en toi-même, tu es
d'autant plus fort en Dieu, en qui ta fidèle renonciation d'esprit et de sens
te fait mourir et te perd irrécupérablement. Vois donc que ta pauvreté est pour
ta richesse, et pour tout dire, que ta misère universelle est pour ta pleine
félicité, non en toi pour cette heure, mais en Dieu infini, en l'immensité
duquel tu te perds de plus en plus nûment. En l'abîme duquel tu es jouissant de
lui en sa continuelle vue et contemplation. Et tant moins tu as de science et
sentiment de cela, tant plus et tant mieux. Tu es cette mer même où ta
jouissance et contemplation est ineffable au plus profond de la solitude de ton
désert[2413].
Nous achevons ce
collier de beaux extraits par celui d’un manuscrit qui ne fait pas double
emploi avec les textes du Vrai Esprit
:
Le
flux de la créature en Dieu procède de son industrie pure plus ou moins
vivement touchée de Dieu, pour pouvoir appréhender Dieu petit à petit et le
connaître en ses effets, tant en la créature que dehors d’elle aux autres. […]
La créature se sent outrée et ponctuée des vifs attraits de Dieu, à la suite
desquels elle sort par divers degrés et par diverse succession d’ordre et de
temps d’elle-même et des choses créées et entre par amour et dépouillement de
soi plus ou moins avant en Dieu. […] Mais il est tout au contraire de ceux qui
tirent Dieu à eux à la manière des écoliers, lesquels par efforts de spéculation
naturelle l’accommodent à leurs sens et leurs goûts, duquel se sentant
sensiblement et naturellement délectés, il leur semble par cela s’approcher
grandement de Lui, et avoir sous grande connaissance et grand goût de lui, ce
qui n’est qu’affection et sentiment purement naturel. Lesquels se trouvant
doctes par la science acquise, ils étendent le discours et leurs voies en cela
le plus largement et le plus loin qu’ils peuvent, de sorte que leur ponctuation
n’est que pure théologie d’école, étudiée, plus ou moins facilement digérée par
spéculation, purement humaine. Et comme ils ont lu quelques mystiques, ils en
mêlent quelquefois des mots en leur digestion ; si qu’à cette occasion on peut
dire que leurs discours en délivre plus ou moins appuyée, mélangée et ornée de
quelques petits filets d’or, ou si on veut, frotté d’un peu de miel. […]
[Au
contraire] la sapience est infuse de Dieu dans les cœurs simples qui s’occupent
simplement en des sujets affectueux, laquelle les unit et les recueille en
vérité par-dessus toutes multiplicités de recherches d’école, les pénétrant
d’une saveur divine qui ne convient qu’à Dieu, qui la verse expressément pour
rendre semblables [les] âmes amoureuses de lui par l’infusion de ses lumières
et de ses goûts. À quoi l’âme étant fidèle, elle continue de poursuivre Dieu
par son attrayant rayon délicieux par-dessus tout ce qui se peut penser,
quoique cela se fasse par diversités de voies, en toutes lesquelles Dieu tient
nécessairement cet ordre. Ce que se continuant ainsi, les âmes font progrès en
la connaissance de Dieu, d’elles-mêmes, […] elles en deviennent doctes en l’art
de la science d’aimer Dieu, auquel le très saint Esprit les instruit d’une
ineffable manière pour étendre, pour pénétrer et pour surpasser toutes choses
créées en elles-mêmes. Tels sont les vrais et solides effets de la divine
sapience abondamment infuse aux âmes assez saintes. C’est pourquoi toutes leurs
études et leurs soins n’est que de se rendre de plus en plus simples et uniques
en leur occupation continuelle autour de Dieu[2414].
Là
le vide est tout plein[2415].
Sources manuscrites
Archives d’Ille-et-Vilaine à Rennes, description en
fin du présent volume, annexe, section « Les manuscrits de Rennes ».
Les boites 9H6 à 9H47 contiennent d'une part des traités, hymnes et poésies du
mystique aveugle (9H39 à 9H44, près de quatre mille pages) ainsi que des
lettres et sa biographie, et d'autre part des textes relatifs aux disciples
ainsi qu’une correspondance nourrie avec les maisons de la province de Touraine
au moment de la réforme (les autres boites). Il existe d’autres archives
d’importance secondaire[2416].
[1651] La Vie, les Maximes et partie des œuvres du très excellent contemplatif, le vénérable Fr. Ian de S. Samson, aveugle dès le berceau, et religieux laïc de l’Ordre des Carmes réformés, par le R.P. Donatien de S. Nicolas, Religieux du même ordre, Paris, Denys Thierry, 1651, Ière Partie, 1-198, suivie de IIe Partie, « Règles et Maximes spirituelles […] », 201-357, suivie de IIIe Partie, « Contenant trois traités » (Le Miroir et les Flammes de l’Amour divin…, De l’amour aspiratif…, De la souveraine consommation d’amour), 363-532.
[1654] Les Contemplations et les divins soliloques du vénérable F. Iean de S. Samson religieux laïc de l’Ordre des Carmes réformés, livre très propre et très utile pour les âmes plus touchées de Dieu, qui veulent faire des retraites spirituelles ou exercices des dix jours, (pas de référence à Saint-Samson), Paris, Denys Thierry, 1654, Au lecteur, Préface, permissions et approbations, Table, (38 Contemplations), 1-453, « Soliloques » 454-569, « L’Épithalame… », 570-600.
[1655] Le Cabinet mystique, contenant les règles de la conduite des âmes religieuses, divisé en deux parties… par le vénérable Fr. Ian de S. Samson…, Rennes, veuve Yvon, 1655, Avis… Table, « Première partie contenant la conduite des Novices », 1-384, « Seconde partie adressée aux directeurs plus illuminés… », Rennes, veuve Yvon, 1655, 1-274.
[1655] Méditations pour les retraites ou exercices de dix jours par le V.F. Ian de S. Samson…, Rennes, veuve Yvon, 1655, Avis etc., suivi de Les Pieux Sentimens et sentences spirituelles… 1-229.
[1655] Le Vray Esprit du Carmel, réduit en forme d’exercice pour les âmes qui tendent à la perfection chrétienne et religieuse, Par le Ven. F. Jean… Avec un recueil de ses lettres spirituelles, Rennes, Jean Durand, 1655, Frontispice (l’œil droit spirituel ouvert, l’œil gauche terrestre de l’aveugle fermé !), Aux vrais chrétiens…, Aux âmes religieuses, Table, Le Vray esprit, 1-360, Recueil de plusieurs lettres…, 1-180.
[1656] La Vie … du même ordre (reprise exacte du titre de 1651), Paris, Denis Thierry, 1656, Épitre à Monseigneur Messire Henry de Bourg-Neuf…, Préface, Table, (même contenu et pagination qu’en 1651).
[1657] La Mort des saincts précieuse devant Dieu ou l’art de pâtir et mourir… par le V. Frère Jean de S. Samson, Paris, Anthoine Pas-de-Loup, 1657, en deux parties, 1-188, 1-284.
[1658-1659] Les Œuvres spirituelles et mystiques du
divin contemplatif F. Jean de S. Samson, religieux carme de la réforme et
observance de Rennes, en la province de Touraine. Divisées en deux tomes. Avec
un abrégé de sa vie. Recueilly et composé par le P. Donatien de S. Nicolas,
religieux de la même province. A Rennes, Par Pierre Coupard, 1658 t. I et 1659
t. II. Tome I comprend : Titre, « À Jésus-Christ crucifié", 2
p., Abrégé de la vie… par Donatien, p. 1-60, Eloges et approbations, p. 61-66,
Table des titres tome I, p. 67-70, Avis au lecteur, p. 71-72, Les Œuvres du
Vénérable F. Jean de S. Samson, livre I, Le vrai esprit du Carmel…, p. 1-
Nous nous appuyons sur cette édition « définitive ». Elle diffère quelque peu des précédentes. On observe que le Vrai Esprit repris dans le présent volume couvre 133 pages sur un total de 1060 pages, soit le huitième du corpus. Et les autres textes bénéficiant de rééditions modernes suivantes sont encore plus réduits comparés au corpus.
Rééditions modernes :
Jérôme de la Mère de Dieu, La Doctrine du Vénérable Frère Jean de Saint-Samson, Éd. de la Vie spirituelle, Saint-Maximin, 1925[2417].
Directions pour la vie intérieure, par Jean de Saint-Samson, choix établi et présenté par S. M. Bouchereaux, La Vigne du Carmel, Seuil, 1947[2418].
Jean de Saint-Samson, Œuvres mystiques, texte établi et présenté par H. Blommestijn et M. Huot de Longchamp, Paris, Ô.E.I.L., 1984[2419].
H. Blommestijn, Jean de Saint-Samson. L’éguillon, les flammes, les flèches et le miroir de l’amour de Dieu, propres pour enamourer l’âme de Dieu en Dieu même, édition du manuscrit de Rennes, Introduction et commentaire, Doctorat, Pontificiae Universitatis Gregorianae, Rome, 1987[2420].
Jean de Saint-Samson, La Pratique essentielle de l’amour, Coll. « Sagesses chrétiennes », Cerf, 1989 (texte établi et présenté par H. Blommestijn et M. Huot de Longchamp)[2421].
Jean de Saint-Samson, Œuvres complètes 1, L’Aiguillon, FAC, 1992, Œuvres complètes 2, Méditations et Soliloques 1, FAC, 1993, Œuvres complètes 3, Méditations et Soliloques 2, FAC, 2000[2422].
[1950] S.-M. Bouchereaux, La Réforme des carmes en France et Jean de Saint-Samson, Vrin, 1950.
[1963] C. Janssen, Les Origines de la réforme des carmes en France au XVIIe siècle, Martinus Nijhoff, s’Gravenhage, 1963.
[1987] H. Blommestijn, Jean de Saint-Samson, L’éguillon, les flammes, les flèches et le miroir de l’amour de Dieu…, Pontificiae Universitatis Gregorianae, Rome, 1987.
Le Vrai Esprit du Carmel est le portique d’entrée composé par le P. Donatien de Saint-Nicolas et placé en tête des deux in-folios reprenant les œuvres du maître, « édition définitive » de 1658-1659[2423].
Nous livrons cet état final du travail de Donatien suivi de la transcription de manuscrits qui, découpés et distribués, servirent à composer l’ouvrage.
Il est aisé d’aller et de revenir du Vrai Esprit à ses Sources manuscrites regroupées dans la seconde partie du volume, grâce aux indications de leurs folios, reportées identiquement de part et d’autre entre crochets au fil des deux textes. Cela tient lieu d’une commune pagination.
La table des correspondances (édition vers manuscrits
et inversement) qui suit immédiatement décrit l’état actuel d’un puzzle
partiellement reconstitué. Des explications techniques complémentaires figurent
dans l’Avertissement qui suit l’étude du P. de Longchamp et qui précède notre
édition du Vrai Esprit. Rappelons enfin que le fonds manuscrit de Rennes est
décrit en annexe en fin de volume.
Jeanne de Chantal, Recueil des bonnes choses & Extraits de Lettres, D. Tronc et Béatrice Bernard, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame de Chantal ». 2015, 256 p. [« Les Entretiens du manuscrit de Turin-Verceil » transcrit par Béatrice Bernard ; Introduction et extraits de la Correspondance par D. Tronc.]
Quatrième de
couverture :
JEANNE DE
CHANTAL, RECUEIL DES BONNES CHOSES & EXTRAITS DE LETTRES
Introduction et extraits de la Correspondance
par Dominique Tronc
Les Entretiens du manuscrit de Turin-Verceil transcrit
par Béatrice Bernard
Le lecteur
trouvera ici un condensé en deux parties qui met en valeur l’esprit mystique de
la fondatrice des Visitations Jeanne
de Chantal (1572-1641).
La Mère de
Chantal livre sa direction mystique autant qu’ascétique dans près de cinquante Entretiens. Ils proviennent du manuscrit
de Turin-Verceil conservé à Annecy. Il a été reconnu par la première éditrice
comme la plus excellente des sources dont elles disposaient. Nous l’éditons ici
sous sa forme primitive.
On peut tirer
le meilleur parti des milliers de pages de « lettres d’affaires » qui
répondaient aux multiples besoins des couvents de visitandines. Quatre-vingts
extraits sélectionnés dans la Correspondance mettent
en valeur l’orientation mystique de leur fondatrice. Tel paragraphe inséré dans
une lettre adressée à une nouvelle fondation s’adresse particulièrement à une sœur éloignée où la Mère tient son
rôle de conseillère et de directrice. Parfois Jeanne se livre à une confidente
proche ce qui nous ouvre son vécu mystique.
Jeanne de Chantal (1572-1641) remplissait au jour le jour la tâche
harassante de fonder des Visitations.
Elle n’a laissé aucun écrit structuré pouvant justifier un intérêt littéraire.
Ses écrits recèlent pourtant des passages qui témoignent d’un
accomplissement mené à terme par la mystique fondatrice. Il suffit d’extraire
ces diamants de leur gangue.
Nous disposons d’une récente édition critique de sa correspondance, mais
ce n’est pas le cas pour les autres écrits [2424].
Un vaste fonds manuscrit reste disponible.
Le manuscrit de Turin-Verceil signalé par l’éditeur de 1875 comme la
plus excellente des sources des Entretiens
a été transcrit sur l’original par Béatrice Bernard au Centre
Jean-de-la-Croix.
À cet ensemble de conversations où la Mère de Chantal livre une
direction mystique autant qu’ascétique, nous adjoignons des extraits choisis
dans la Correspondance. Il s’agit
d’attirer le lecteur confronté aux milliers de pages de « lettres
d’affaires » qui répondaient aux besoins de multiples fondations.
On regrette souvent la disparition voulue par la fondatrice de ses
lettres à François de Sales sans pour autant lire la masse de celles qui
suivirent la disparition de cet ami.
Nous perdons alors les diamants enchâssés dans les réponses à des
problèmes journaliers. Il s’agit de tel paragraphe destiné à une sœur éloignée
pour une nouvelle fondation où en trois mots la Mère de Chantal tient son
rôle de conseillère et de directrice mystique. Il s’agit aussi parfois d’un
aperçu intime livré à une confidente aimée.
Le lecteur trouvera donc un condensé en deux parties qui souligne
l’esprit mystique de la fondatrice des Visitations
: près de cinquante Entretiens et pièces
diverses qui leur sont associés dans une source excellente, suivis de
quatre-vingts extraits sélectionnés en florilège de la Correspondance.
Le fonds préservé à Annecy fait l’objet d’un bref aperçu [2425].
Citons enfin la mise à disposition en un volume de la correspondance qui lia
Jeanne et François [2426].
Présentons maintenant madame de Chantal qui va devenir la Mère veillant
sur l’esprit nouveau des Visitations :
Jeanne Frémyot, née à Dijon en 1572 dans une
famille de noblesse de robe, reçut une
excellente éducation [2427].
Elle fut mariée en 1592 à Christophe de Rabutin, baron de Chantal. La jeune
femme fut heureuse en mariage et eut six enfants (mais deux mort-nés). En 1601,
son mari, blessé au cours d’une partie de chasse, mourut neuf jours après en
lui demandant de pardonner à son meurtrier involontaire. Un chagrin immense la
submerge, elle songe au suicide, puis se sentant attirée vers l’intériorité,
elle fait vœu de ne pas se remarier et de se consacrer à la charité.
Cherchant désespérément un bon guide, elle
rencontre François de Sales à Dijon, le 5 mars 1604. Dans le récit qu’elle en
fait, on notera la résistance de François qui attend un signe divin pour
prendre la décision de la diriger, puis sa perplexité :
Dans mes
perplexités et tourments, j'étais sans secours ni assistance spirituelle […] je
suppliai son infinie Bonté avec abondance de larmes qu'il lui plaise me donner
un homme qui fut vraiment saint et vraiment son serviteur, qu'il m'enseignasse
tout ce qu'il désirait de moi et je lui promettais en sa Face que je ferais
tout ce qu'il me dirait de sa part […J
[Elle le
rencontre :] Je le priais deux ou trois jours avant son départ de Dijon de
m'ouïr en confession, ce qu'il me refusa d'abord croyant que ce fut par
curiosité, et me l'accorda après. Or en cette petite confession, Dieu me logea
dans son cœur d'une manière extraordinaire, ainsi qu'il me dit après, et de
même, je me sentis portée à ses avis incroyablement, mais il me dit que je
demeurasse sous la conduite de mon premier directeur et qu'il ne lairrait [continuerait]
de m'assister. Je demeurais fort contente de cela.
Le jour qu'il
partit, un peu auparavant, il me dit que, me parlant du mouvement intérieur
qu'il ressentait pour mon bien, que dès lors qu'il avait le visage tourné du
côté de l'autel qu'il n'avait plus de distractions, mais que, dès quelques
jours, je lui revenais continuellement autour de l'imagination, non pas,
dit-il, pour me distraire, car je n'en reçois point de divertissement […] et
par d'autres paroles qu'il ajouta lui donnait à entendre qu'il regardait cela
comme chose extraordinaire, par laquelle Dieu le mouvait et incitait à son
bien, pour en prendre un soin spécial. Et lui dit pour conclusion, "Je ne
sais ce que Dieu veut par là". Ensuite de cela au partir de Dijon il lui écrivit
un billet où il n'y avait rien plus que ces paroles: « Dieu ce me semble
m'a donné à vous, je m'en assure toutes les heures plus fort, c'est tout ce que
je vous puis dire maintenant » [2428].
Il devint donc son directeur. Dans leur
correspondance des années 1608-1610, on les voit concevoir le projet d’un
nouvel ordre religieux, mais il lui demanda de remplir d’abord ses obligations
familiales. Après avoir établi ses enfants, elle le rejoignit pour créer le 6
juin 1610, à Annecy, une nouvelle forme de vie religieuse sans vœux solennels
ni clôture : les filles de la
Visitation, dont le modèle était Marie qui, visitant Élisabeth, lui apporta
la joie qui était en elle par son Fils.
Le développement des fondations obligea la Mère de
Chantal à une activité permanente : l’extension des Visitations fut très rapide dans toute la France.
Elle déploya une énergie comparable à celle de Thérèse d’Avila. On suivra les
péripéties de cette vie épuisante dans la chronologie commentée par l’éditrice
de sa Correspondance en fin de chacun de ses six volumes [2429].
Des merveilles se découvrent au milieu de
multiples affaires courantes que la fondatrice doit régler : on faisait
appel à elle sur le comportement à avoir en temps de peste comme sur des points
de direction spirituelle. On relève aussi, dans divers écrits non épistolaires,
rassemblés dans ses Œuvres, des « dits » admirables dans leur
concision et des aperçus profonds sur une vie mystique vécue dans la sobriété,
au cœur même d’une intense activité.
Son influence fut très grande : certainement
d’abord sur François de Sales, bien qu’il soit difficile de dire qui influença
l’autre[2430]. Elle
marqua tout le siècle, en particulier grâce au récit de sa vie rédigé par la
mère de Chaugy[2431]. La très
jeune Jeanne-Marie Guyon témoignera ainsi du mimétisme exagéré qu’elle
inspira chez ses lectrices :
Tout ce que je voyais écrit dans la vie de
Madame de Chantal me charmait, et j’étais si enfant que je croyais devoir faire
tout ce que j’y voyais. Tous les vœux qu’elle avait faits [2432]
je les faisais aussi, comme celui de tendre toujours au plus parfait et de
faire la volonté de Dieu en toutes choses. Je n’avais pas encore douze ans, je
prenais néanmoins la discipline selon ma force. Un jour que je lus qu’elle
avait mis le nom de Jésus sur son cœur pour suivre le conseil de l’Époux :
“Mets-moi comme un cachet sur ton cœur” [2433],
et qu’elle avait pris un fer rouge où était gravé ce saint Nom, je restai fort
affligée de ne pouvoir faire de même. Je m’avisai d’écrire ce nom sacré et adorable
en gros caractères sur un morceau de papier et avec des rubans et une grosse
aiguille je l’attachai à ma peau en quatre endroits, il resta longtemps attaché
en cette manière [2434].
Par rapport
au style prolixe et volontiers poétique de François de Sales, le dépouillement
et la sobriété sont les caractéristiques de la Mère de Chantal. Elle a dépassé les expériences
extraordinaires du début de la vie mystique
et veut attirer ses correspondantes vers la nudité de l’union avec Dieu.
C’est l’aspect circonstanciel de ses écrits qui a
empêché sa reconnaissance comme une des immenses figures intérieures du siècle.
Il est aussi regrettable qu’elle ait détruit la plupart de ses lettres
adressées à François de Sales. Nous ne pouvons donner que quelques extraits de
son abondante correspondance par ailleurs et de ses opuscules.
Les papiers précieux retrouvés après sa mort
livrent la transcription de paroles que François de Sales lui avait adressées
après une retraite :
Notre Seigneur
vous aime, ma chère Mère, il vous veut toute sienne […] Tenez votre volonté si
simplement unie à la sienne en tout ce qui lui plaira faire, de vous, en vous,
par vous, et pour vous, et en toutes choses qui seront hors de vous, que rien
ne soit entre-deux. Ne pensez plus à chose quelconque de tout ce qui vous
regarde, tant pour la vie que pour la mort, car vous vous êtes toute abandonnée
et remise aux soins de l'amour éternel que la divine Providence a pour vous;
demeurez là en repos, en esprit de très simple et amoureuse confiance, et ceci
se doit pratiquer non seulement à l'oraison, où il faut aller avec une grande
douceur d'esprit, sans dessein d'y faire chose quelconque, ains [mais]
seulement pour être à la vue de Dieu, dans cette simples remise et repos en
lui, et comme il lui plaira, se contenter d'être à sa présence, encore que vous
ne le voyiez, ni sentiez, ni sauriez représenter, et ne vous enquérez de lui,
de chose quelconque, sinon à mesure qu'il vous excitera. Ne retournez nullement
sur vous-même, ains soyez là près de lui; non seulement, dis-je, il faut
pratiquer cette simplicité et abandonnement en l'oraison, mais en la conduite
de toute la vie, rejetant et délaissant toute votre âme, vos actions, vos
succès, vos affaires au bon plaisir de Dieu et à la merci de son soin : il faut
tenir l'âme ferme dans ce train. (II, p. 62-63) [2435].
Elle suivra ces instructions à la lettre, parfois
avec difficulté comme elle l’écrit en 1637 à la mère Angélique Arnauld, se
tourmentant de n’avoir pas accès à un état stable :
[…] nonobstant
ce peu de calme, la croix est toujours là, si je la voulais regarder elle ne me
donnerait guère de trêve. Depuis ma dernière lettre, j'en ai eu de rudes
atteintes et des pensées qui sont autant de dards qui me transpercent le coeur,
et suis si fort liée quelquefois que je regarde cela, que je ne puis aller ni
avant ni arrière.
Cependant j’ai
grande expérience et souvent une claire lumière que Dieu ne veut de moi que ce
seul unique et très simple regard en Lui, mais sans aucun mélange d’aucun acte
ni discours quelconques, sinon qu’Il m’y excite […] [Et pourtant] je ne vois ni
ne peux rien voir ni regarder des choses de Dieu ni en avoir goût, sinon
quelquefois en certaines lectures.
Dans la même lettre, elle dit son admiration
envers la sœur Anne-Marie Rosset et son regret d’être engloutie par les
occupations :
Nous avons une
sœur céans qu’il y a bien vingt-quatre ans qu’elle chemine dans une voie de si
grand dénuement que jamais elle n’a ni lumières ni pensées sur aucun mystère ni
sur choses quelconques, et, s’il lui en venait, elle dit qu’elle pense qu’elle
s’en détournerait pour tenir, comme elle fait, son esprit très simplement
arrêté en Dieu. Et est si fidèle en cet exercice
qu'elle est toujours là, ou du moins, rarement et courtement est-elle
distraite, que sitôt qu'elle s'en aperçoit elle se remet là. Jamais non plus,
elle n'est portée à rien demander à Notre Seigneur, ni rien désirer ni s'unir
ni faire aucun acte de quoi que ce soit, ni ne pense à en faire ni si elle en
doit faire, seulement, elle se prosterne le matin comme pour faire un acte
d'adoration que notre Bienheureux Père lui a dit de faire, avec quelque oraison
jaculatoire, pendant les octaves des grands mystères. Elle le fait sans goût ni
se divertir de sa simple attention et, de même, entend les sermons et ses
lectures sans autre attention que de retenir quelque chose pour l'entretien
d'après vêpres. Au bout, c'est une âme totalement fidèle
à la suite du bien et exacte à la moindre plus petite observance.
Feu notre
bonne Mère supérieure [Péronne-Marie de Châtel]
me disait que Notre Seigneur faisait cheminer cette fille devant moi
pour me donner lumière à ce qu'il m'attirait et voulait de moi. Certes, il m'a
toujours été impossible d'avoir cette continuelle attention parmi les
occupations, j'en ai de tant de sortes et si continuelles, que je ne puis
m'empêcher d'y mettre mon attention ; Notre Seigneur me laissant tout l'esprit
fort libre pour m'y appliquer nonobstant toutes mes peines intérieures. Et vais
toujours mon train pour l'extérieur, sans voir comment, pour ce qui est de mes
exercices spirituels… (L. 2040)
Elle avoue pourtant être dans l’oraison
passive depuis fort longtemps :
Vous m'avez
donné un bon sujet de confusion de m'avoir demandé mon oraison. Hélas ! ma
fille, ce n'est que distraction et un peu de souffrance pour l'ordinaire; car
que peut faire un pauvre chétif esprit rempli de mille sortes d'affaires, que
cela ? Et je vous dis confidemment et simplement que, il y a environ vingt ans,
Dieu m'ôta tout pouvoir de rien faire à l'oraison avec l'entendement et la
considération ou méditation, et que tout mon faire est de souffrir et d'arrêter
très simplement mon esprit en Dieu, adhérant à son opération par une entière
remise, sans en faire les actes, sinon que j'y sois excitée par son mouvement,
attendant là ce qu'il plaît à sa Bonté de me donner. Voilà comme je satisfais à
votre désir, mais à vous seule ces trois dernières lignes; quand nous nous
verrons, nous dirons le reste, si Dieu le veut. (L. 2602)
J’ai eu cette
vue que Dieu veut que j’aille à Lui de toutes choses, très simplement et
droitement sans entremise de chose quelconque, et que je me contente de ce très
simple regard en Lui, sans aucun acte, mais par un absolu et entier
abandonnement de tout ce que je suis et de toutes choses à sa sainte volonté,
demeurant dans un repos d’amoureuse confiance en son soin paternel pour tout ce
qui me concerne, sans réserve, lui laissant vouloir pour moi, et faire tout ce
qu'il lui plaira et de toutes choses, sans que jamais je me veuille arrêter volontairement
à regarder ce qui se passe en moi, ni à chose quelconque. Mais je me tiendrai
en lui, le regardant et le laissant faire, acquiesçant simplement à tout ce
qu’il lui plaira, avec l’aide de sa grâce… (II, p. 24).
Elle ne se lassera pas d’appeler ses filles au
dépouillement total, à la simplicité du regard en Dieu et à la passivité
absolue devant l’action de la grâce :
Ma très chère
fille, ne vous détournez jamais de cette très solide et très utile voie de la
sainte simplicité en laquelle Dieu vous a mise. Et je remercie sa Bonté d’avoir
voulu, avec sa divine lumière, confirmer ce que je vous en avais écrit.
Demeurez donc invariable en cette résolution, quoique vous entendiez dire des
merveilles des autres voies. Laissez-les suivre à qui Dieu les donne, et suivez
toujours la vôtre. Car cette unique simplicité et très simple unité de présence
et abandonnement en Dieu les comprend toutes et d’une manière très excellente
[…]
Dieu vous a
soustrait les vues et sentiments de ses richesses pour un temps, à ce que je
vois. J’en suis consolée, car c’est chose très utile et même nécessaire, de
passer par cette étamine[2436].
Vous en avez expérimenté les fruits qui sont la connaissance de votre
impuissance et misère, une plus grande pureté et nudité d’esprit. Dieu, par un amour très grand, vous
dépouillant des affections et sentiments plus désirables et spirituels, afin
que Ses dons n’occupent pas nos cœurs, mais lui seul et son bon plaisir. […] Je
crois donc que l’âme qui est réduite dans cette extrême impuissance, ténèbres
et insensibilité, se doit contenter de se laisser très simplement à la merci de
la miséricorde de Dieu par un très simple acquiescement à tout ce qu’il lui
plaira faire d’elle, sans le vouloir
même sentir, ni en faire l’acte ; mais par un simple regard en Dieu, de la
suprême pointe de l’esprit, qui ne veut résister en rien à Dieu, mais consent à
tout ce qu’il lui plaît. Et faut se contenter du même simple regard à la
rencontre du mal, ne lui résistant qu’en lui déniant le consentement de l’acte.
Or sus, ma très chère fille, il faut absolument retrancher toutes sortes de
réflexions sur ce qui se passe en vous… (L. 1599)
Il ne
s’agit pas d’ascétisme : ce serait tourner en soi-même. On ne livre pas
bataille, ce serait rester dans l’horizontalité du moi. La solution est
toujours d’appeler la grâce en préférant
l’amour à tout :
Le remède que
je vous donne pour toutes sortes de tentations, peines, afflictions,
sécheresses et contradictions, c’est les actes d’amour, retournant promptement
et simplement votre cœur à Dieu […] Ne vous efforcez point de vaincre les
tentations, car cet effort les fortifierait … (L. 1421)
Loin d’une voie héroïque, c’est une voie de
douceur, réaliste et modérée. Jeanne se sert d’une comparaison avec une tempête
sur le lac d’Annecy pour expliquer comment on traverse les difficultés
intérieures :
[…] il nous
faut faire comme nos grangers ont fait aujourd'hui sur leur bateau qui
conduisait notre blé sur le lac. Ils se sont trouvés subitement en un très
grand péril ; dans un instant ils ont vu s'élever une violente tempête qui
allait sans doute les submerger avec le bateau et tout ce qui était dessus.
Hélas ! qu'ont-ils fait ? Ils ne se sont pas opiniâtrés de vouloir prendre le
droit fil de l'eau en traversant ces grosses ondes ; non, ils se seraient
perdus faisant de la sorte ; mais ils ont très sagement conduit leur barque,
tout doucement, au rivage, et ont suivi les petites ondes ; par ce moyen ils
sont arrivés, en évitant l'orage et non en le combattant. (II, p. 237, Entretien
VI)
Demeurez en
une très simple unité et unique simplicité de la présence de Dieu, par un
entier abandonnement de vous-même en sa très sainte volonté ; et toutes
les fois que vous trouverez votre esprit hors de là, ramenez-l’y doucement,
sans faire pour cela des actes sensibles de l’entendement ni de la volonté. (I,
p. 63)
Nue et sans
vertu je suis venue au monde, et sans vertu quelconque je me remets, mon Dieu,
entre vos mains. Dites cela, ma fille, et quand vous verrez que votre esprit se
voudra revêtir de ce qu’il s’est dépouillé, ne faites autre chose que de le
retourner simplement à son Dieu, ne voulant que lui seul … (L. 2615)
Il faut passer au-delà de tous les états et de la multiplicité des expériences, dans la simplicité sans « goût », s’oublier soi-même dans un abandon total à la « divine bonté » :
… il ne faut
faire aucune réflexion sur ce qui se passe en vous, pour voir ou connaître ce
que c’est. Soyez, mon cher enfant, comme un vaisseau vide devant Sa divine
bonté, pour recevoir ce qu’il Lui plaira de vous donner, et ne permettez jamais
à votre esprit aucun retour ni réflexion sur vous-même ni sur ce qui se passe
en vous.
… cette
véritable humilité […] ne veut aucune excellence que d’être sans excellence,
que celle […] de dépendre totalement du bon plaisir de son Dieu, ne recherchant
en toutes choses que sa seule gloire ; car c’est le caractère des filles
de la Visitation. (L. 903)
Oh ! Que nous serons heureuses, ma vraie fille,
quand nous nous serons entièrement oubliées. (L. 1255)
Jetez-vous et
toutes vos misères et vos intérêts et affections, dans le sein de la bonté de
Dieu, vous laissant gouverner à sa Providence et à l’obéissance, et cela à yeux clos, sans permettre à votre esprit de
regarder où il va ; mais allez toujours, ne regardant que Dieu et la
besogne qu’Il vous présente dans chaque occasion et moment, pour la faire
fidèlement avec la pointe de l’esprit sans vous amuser à vos sentiments ou
dissentiments et répugnances … (L.1271)
Ma très chère
fille, vivez au-dessus de vous-même et toute en Dieu. (L. 2454)
En cela, elle suit le conseil donné par François
de Sales :
Nous ne devons
jamais vouloir autre chose, sinon ce qui nous advient de moment en moment,
recevant tout de la pure ordonnance et disposition divine. (II, p. 47,
Questions)
Tout converge sur l’amour, à bien distinguer d’un
sentiment ou d’un « goût » humain :
Toujours en
cette nudité et simplicité ; il n’y a rien au-delà... « Aime et fais
tout ce que tu voudras », dit Saint Augustin. Aimons donc... toute la
perfection est là. (L. 2565)
S’il était en
mon pouvoir d’avoir des sentiments, je sais bien que je brûlerais toute de
l’amour de Dieu et de l’amour du prochain ; or Notre Seigneur ne les
a pas mis en notre pouvoir. Les
sentiments ne sont pas nécessaires à la perfection et à notre salut ; sa
divine Majesté les donne à qui il lui plaît. C'est le Maître qui fait ce qu'il
veut. (II, p. 233, Entretien V).
Jamais nous ne
savourerons les douceurs de la familiarité de l'âme avec son Dieu, que lorsque
nous serons déterminées à suivre et que nous suivrons au péril de toutes nos
inclinations, affections, habitudes et propensions, tout ce qui nous est
marqué, qui n'est autre que l'amortissement de la nature, le mépris du monde et
la vraie fidélité à Dieu. Ce ne sera pas sans peine, mais là où il y a de
l'amour, il n'y a point de travail ; et d'ailleurs un moment de la jouissance
intérieure de Dieu vaut plus que tous les plaisirs que la propre volonté nous
ferait jamais goûter ensuite de nos inclinations. (II, p. 197-8, Exhortation
XIV).
Le renoncement est total entre les mains de Dieu
et elle est très radicale quand elle affirme ce chemin court et direct :
[…] ma très
chère fille, il faut passer à la totale résignation et remise de nous-mêmes
entre les mains de notre bon Dieu, rendant votre chère âme et celles que vous
conduisez, en tant qu'il vous sera possible, indépendantes de tout ce qui n'est
point Dieu, afin que les esprits aient une prétention si pure et si droite
qu'ils ne s'amusent point à tracasser autour des créatures, de leurs amitiés,
de leurs contenances, de leurs paroles, mais sans s'arrêter à rien de tout cela
ni à chose quelconque que l'on puisse rencontrer en chemin, l'on passe outre en
la voie de cette perfection dans l'exacte observance de l'Institut, ne
regardant en toutes choses que le sacré visage de Dieu, c'est-à-dire son divin
bon plaisir. Ce chemin est fort droit, ma très chère fille, mais il est solide,
court, simple et assuré, et fait bientôt arriver l'âme à sa fin qui est l'union
très unique avec son Dieu. Suivons cette voie fidèlement […] (L. 966)
Ayant tout laissé derrière elle, elle ne désirait
plus depuis longtemps que s’abandonner à la Présence silencieuse. Voici un
extrait des papiers intimes que l’on a retrouvés sur elle à sa mort et
qu’elle ordonna de mettre dans son cercueil :
Dieu m’a fait
voir, ce matin, en l’oraison, que je ne me dois plus du tout voir ni regarder,
mais lui seul, cheminant à yeux clos, appuyée sur mon Bien-Aimé Jésus, sans
vouloir voir ni savoir le chemin par où il me conduira, ni non plus avoir aucun
soin de chose quelconque, non pas même de lui rien demander, mais demeurer
simplement toute perdue et reposée en lui, en ce très pur regard, sans mélange
d’autre chose. (II, p. 65, 6e papier).
Dans une enveloppe se trouvaient deux papiers,
l’un écrit par François de Sales, l’autre par elle-même et dont nous tirons ce
court passage :
N'exceptant ni
réservant aucune chose, rien, rien, rien du tout, ains de toutes mes forces, de
toutes mes affections, de toute mon âme et de tout mon cœur, je m'abandonne, je
me consacre et sacrifie, absolument, entièrement, et irrévocablement à votre
très sainte, très-adorable et très-aimable volonté, afin que tout ainsi qu'il
lui plaira elle fasse de moi, pour moi, et en moi, son bon plaisir… (II, p. 51,
Papiers intimes, 1er Papier de notre bienheureuse Mère).
La mère Françoise-Madeleine de Chaugy[2437] fut
l’historienne de l’Ordre naissant et nous est fort précieuse pour décrire
l’esprit qui animait Jeanne de Chantal et François de Sales dans la fondation
de la Visitation. Elle raconte combien la nouvelle forme de vie instituée le 6
juin 1610 « est marquée par la
simplicité. La clôture est modérée. Les sœurs peuvent sortir pour visiter des
malades… les femmes peuvent entrer en clôture pour faire quelques jours de
retraite… » Malheureusement, contre l’esprit des fondateurs, à partir
de 1618, l’ordre devint cloîtré par ordre du Pape. Jeanne se battit lors de la
transformation de ce premier projet, car « il
fâchait à notre Bienheureux Père [François] de changer la simplicité de sa
petite congrégation ». Elle veilla donc à consolider l’œuvre par des Constitutions et un Coutumier. Le problème était important, car à sa mort en
1641, 87 monastères avaient été fondés.
Y régnait, avant toute influence du dernier
jansénisme, une vie mystique où « l’amour est le commencement, le moyen et
la fin de la vie spirituelle », où « les vertus ne sont que des
modalités de l’Amour »[2438], où les
décisions ne sont prises qu’en écoutant les mouvements de la grâce :
L’esprit de
sagesse et de prudence humaine doit être tout à fait banni de la Congrégation
de la Visitation, car il la détruirait, et particulièrement en ce qui est de
l’élection des Supérieures, et des Sœurs aux principales charges du Monastère[2439].
L’abbé Boudon (1624-1702), lui-même mystique,
résume bien la voie simple et directe, sans ascèse corporelle, recommandée par
la Mère de Chantal :
L’attrait
quasi universel des filles de la Visitation est d’une très simple présence de
Dieu, avec un don et transport en lui de tout ce qu’elles sont, sans aucune
exception, et un entier abandonnement d’elles-mêmes à sa sainte providence, et
je pourrais bien dire sans quasi, car vraiment j’ai reconnu que toutes celles
qui dès le commencement s’appliquent à l’oraison comme il faut sont attirées
d’abord. Enfin je tiens que cette manière d’oraison est essentielle à notre
petite congrégation, ce qui est un très grand don de Dieu, et qui requiert de
nous comme une reconnaissance infinie. ». […] [elle] estimait que la contemplation […]
était une chose fort ordinaire […] qu’on la devait conseiller presque
généralement […] que l’attrait que Dieu en donne y est quasi universel [2440].
La direction de Jeanne, à la fois ferme et
encourageante, s’appuyait sur l’amour :
Dieu vous
a logée dans mon cœur, ma fille : rien ne vous en saurait déplacer. (L. 931)
Mon cœur
est invariable en l’amour qu’il a pour le vôtre, duquel je connais très
distinctement la voie où Dieu l’a mis depuis le commencement. Elle est si
solide, et tellement de Dieu, que jamais il ne faut recevoir aucun avis
contraire ; et vous faites bien de n’en guère parler. (L.2715)
Ses filles devenues mères supérieures des
nouvelles fondations devaient agir dans ce même esprit :
Ayez un
soin tout maternel de vos filles. En toutes leurs nécessités, penchez du côté
de la douceur et du support ; tenez leurs esprits joyeux, et, pour cela, conservez-leur
une sainte liberté aux récréations, ne les y reprenant ni leur disant rien qui
les mortifie, sinon qu'il fût bien nécessaire. (L. 2518)
Les
supérieures doivent veiller à ce que l’amour de charité lie les soeurs entre
elles dans la communauté, et non une amitié d’origine humaine :
Vous devez
par tous les moyens que vous pourrez tenir vos filles fort unies à vous, mais
d’une union qui soit de pure charité […] Tenez-les fort unies par ensemble et
avec estime l’une de l’autre, ce que vous ferez efficacement par l’amour et
l’estime que vous témoignerez d’en avoir vous-même par vos paroles et
actions ; mais amour général envers toutes, les aimant également, sans
qu’il paraisse aucune particularité. (L.1247)
Dans ses Réponses[2441] à ses
dirigées, le ton est fort pratique. Il s’agit
de
remettre fréquemment notre esprit en Dieu ; et quand nous y manquerons, il
s’en faut humilier, et de l’humilité aller à Dieu, et de Dieu à
l’humilité ; et surtout nous devons toujours aller à Dieu et nous confier
en lui, comme un enfant fait à sa mère. [37]
Il y en a qui ne peuvent souffrir qu’on dise que
les tentations viennent d’elles-mêmes, et de leur amour-propre ; ains
[mais] voudraient que l’on jetât la faute sur le diable, lequel bien souvent n’y
pense pas. [128]
Oui, c’est
contre cet article, de s’empresser à ce que l’on fait. Cela suffoque l’esprit
d’oraison, empêche de retourner fréquemment son esprit à Dieu, et de nous tenir
en sa présence… [177]
Non, je
vous assure, ma très chère Fille, qu’il ne se faut point porter de soi-même à
ces oraisons d’admiration, de complaisance et de bienveillance. Il faut
attendre que Dieu nous excite à cela, et alors suivre son attrait avec humilité
et fidélité. Nous pouvons bien faire fort simplement et doucement des actes de
confiance, d’admiration, et d’union de notre âme avec Dieu ; mais d’en
avoir l’oraison, c’est à Dieu seul de nous la donner. [480]
… plus je
vais en avant, et plus clairement je reconnais que Notre Seigneur conduit quasi
toutes les Filles de la Visitation à l’oraison d’une très simple unité, et
unique simplicité de présence de Dieu, par un entier abandonnement
d’elles-mêmes à sa sainte volonté, et au soin de sa divine providence. [517]
Marchez
donc dorénavant, mes très chères sœurs, avec une très humble assurance, dans
cette voie divine ; et n’y apportez aucune façon ni industrie, que de
suivre très simplement et fidèlement l’attrait de Dieu […] retranchant toute réflexion sur le passé, sur
le présent, et sur l’avenir […] unissant leur esprit à sa bonté, en tout ce qui
arrive de moment en moment, et cela fort simplement. Il faut que je dise encore
ceci.
C’est
qu’il arrive souvent que les âmes qui sont en cette voie, sont travaillées
[521] de beaucoup de distractions, et qu’elles demeurent sans appui sensible
[…] de sorte qu’elles demeurent dans une totale impuissance et insensibilité,
bien que quelquefois moins. Cela étonne un peu les âmes qui ne sont pas encore
bien expérimentées : mais elles doivent demeurer fermes et se reposer en
Dieu par dessus toute vue et sentiment […] sans voir ni vouloir voir ce
qu’elles font ni doivent faire : mais par-dessus toute leur voie et propre
connaissance, elles doivent avec la pointe suprême de leur esprit se joindre à
Dieu, et se perdre toutes en lui, trouvant par ce moyen la paix au milieu de la
guerre, et le repos dans le travail. Bref, il se faut tenir en l’état où Dieu
nous met.
Dans une lettre, elle résume l’esprit de la
Visitation :
L'esprit
de sa[2442]
petite Congrégation est un esprit de douceur, de petitesse, de simplicité et
pauvreté, et ne s’en faut point départir, ains [mais] y assujettir tellement
nos inclinations qu'elles nous portent même au mépris du monde et de nos
propres intérêts, et que la douceur et l'humilité surnagent toujours en nos
paroles et actions. (L.740 A une supérieure, Chambéry, 8 décembre 1624)
Jeanne de Chantal, Écrits mystiques relevés dans l’édition de 1875 par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame de Chantal », 664 p. [environ la moitié des tomes II & III de l’édition de 1875].
Quatrième de couverture :
JEANNE DE
CHANTAL, ÉCRITS RELEVÉS DANS L’ÉDITION DE 1875 Par Dominique Tronc
Des « Œuvres diverses » couvrent les tomes II et III de l’ « Édition en huit tomes publiée par les soins
des religieuses du premier monastère de la Visitation Sainte-Marie d'Annecy ».
Ces ‘joyaux de famille’ sont précédés d’une bonne biographie d’époque, puis
associés à des textes tributaires de normes religieuses, enfin suivis par une
très abondante ‘correspondance d’affaires’ - celles liées aux multiples
fondations de couvents. Tout ceci explique que les huit volumes composites d’un
vaste ensemble composite aient été rarement explorés à cœur et que les Œuvres diverses n’aient pas été
rééditées depuis 1875.
Elles recèlent des diamants qui
témoignent de l’accomplissement mystique mené à terme par la Mère de Chantal
(1572-1641). Leurs éclats brillent dans telle conversation orale avec ses sœurs
souvent d’origine simple ou au sein d’un fragment qui nous livre la vie intime
de Jeanne. Tout lecteur sensible en recherche spirituelle appréciera ce que ces
témoins sortis de leur gangue reflètent de l’Essentiel.
Il n’est pas inutile de ‘préparer le
terrain’ en omettant les écrits marqués par leur époque. En un volume qui reste
maniable le lecteur trouvera ici un peu plus de la moitié du contenu des deux
tomes cités. Leur étude nous a incité à consulter les sources manuscrites
préservées au couvent d’Annecy, ce qui nous a été généreusement accordé. Le
présent choix opéré sur une édition non critique mais fidèle ouvre la série
« Jeanne de Chantal ».
Un choix dans l’édition par Michel de Certeau
de la Correspondance
Suivi d’une brève présentation de leur auteur
Par Dominique Tronc pour ses Amis
Jean-Joseph SURIN Lettres, Un choix dans l’édition par Michel de Certeau de la Correspondance, Suivi d’une brève présentation de leur auteur, Par Dominique Tronc, coll. « Chemins mystiques », lulu.com, 212 p.
L’édition de la Correspondance de Jean-Joseph Surin (1600-1665) [2443] livre le cœur qui l’anima. Il suffit de relever un « essentiel mystique » dans le texte admirablement établi, présenté et annoté par Michel de Certeau.
Je propose un florilège. Il représente un quatorzième de l’imprimé devenu d’accès limité car paru il y a plus de cinquante ans. Il veut aider à entreprendre un effort de lecture requis pour extraire la moëlle spirituelle d’une terrible mécanique, celle de « l’aventure » ou drame de Loudun [2444].
J’y adjoins en fin de ce court volume une présentation de Surin suivie de quelques extraits hors correspondance[2445].
Sur le drame lui-même, rien à ajouter aux fascinants compte-rendus tels qu’ils sont relayés par Michel de Certeau. C’est le volet événementiel que je regroupe ici très partiellement sous les titres « Loudun ! », « délaissement », « Ma chute de Saint-Macaire », etc. En ce début du dix-septième siècle, on est en plein Vaudou ! Mais cet « amusement » n’est pas notre objet [2446].
Grand serait l’intérêt d’un travail élargi à l’ensemble de l’œuvre de Surin du point de vue d’une vie mystique portée à son accomplissement malgré la folie momentanée. J’en donne aperçu par la « notice » qui lui est consacré en fin de volume. La folie momentanée (? dix ans !) demeure pour tous très encourageante.
Mais une tel travail élargi semble hors de portée. Car l’édition critique des traces écrites manque. Un tel projet semble sans achèvement possible suite de la perte des sources et du désordre de multiples éditions posthumes anciennes [2447]. On dispose de bornes milliaires dont encore une fois l’apport de Certeau [2448].
Pour le moment voici un collier. De même que toute récolte minérale se concentre en quelques lieux géographiques, cette récolte spirituelle dépend de rares destinataires.
Se détachent Anne Buignon et Madame du Houx. Jeanne de Anges demeure une figure ambigüe peut-être simulatrice mais capable du fort attachement mystique qu’elle imprégna en Surin. Il sut magnifiquement s’en servir pour exprimer son propre essentiel [2449].
Anne d’Arrérac 31 & Loudun
Anne Buignon 122 125 130 141 184 244 248 284 295 306 363
445 557 (13)
Angélique de St François 140 142
Certeau [explications de-] 18 45 52 56 332 400 …
Madame du Houx 179 278 318 406 572 (5)
Jeanne des Anges 214 215 243 248 318 356 387
404 446 481 510 535 551 559 580 (15)
Madame de Pontac 432 448 575
Armelle Nicolas
Témoin du Pur Amour, Le Triomphe de l’Amour divin dans la vie d’une grande
servante de Dieu, Texte présenté par Dominique et Murielle Tronc, Ed. du
Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2011, 519
p.
Quatrième
de couverture :
Armelle Nicolas (1606-1671),
servante rustique et illettrée, expérimenta l'envahissement de l'Amour divin,
auquel elle répondit par le don absolu d'elle-même. Au coeur d'une Bretagne où
oeuvraient les missionnaires jésuites, Armelle bénéficia notamment de l'aide
spirituelle des Pères Jean Rigoleuc et Vincent Huby.
Son amie ursuline Jeanne de la
Nativité nota soigneusement les actions et les dits de celle qui appelait Dieu
« son divin Amour », et avait fait de la fidélité à cet amour l'axe de sa vie
rude et simple de domestique. Le lecteur est frappé d'emblée par l'ampleur de
vue et l'optimisme d'Armelle, basés sur une confiance inconditionnelle en la
grâce, par une persévérance opiniâtre qui dépasse tous les obstacles, courant à
l'union avec Dieu avec intensité et ardeur.
Le Triomphe nous donne avec une
exactitude remarquable le récit d'une vie mystique achevée : on suit Armelle
dans cet itinéraire surprenant depuis la passion de ses débuts, jusqu'à
l'insondable paix de l'unité divine de son achèvement, au fil d'un abandon de
plus en plus profond.
L'influence de l'ouvrage fut très
grande au-delà des frontières françaises, jusqu'en Hollande, en Allemagne, en
Angleterre et en Écosse. Une mystique à redécouvrir.
La vie et la très profonde expérience mystique d’Armelle Nicolas nous ont été transmises par son amie religieuse, l’ursuline Jeanne de la Nativité, rédactrice du texte édité sous le titre : Le Triomphe de l'Amour divin dans la vie d'une grande servante de Dieu nommée Armelle Nicolas... par une religieuse du monastère de Sainte-Ursule de Vennes…[2450].
Comme autant de diamants enchâssés dans le récit, les « dits » sont rapportés très probablement avec exactitude, puisqu’ils sont soigneusement mis entre guillemets dans l’édition. Alors qu’on a l’habitude de parler de la « bonne Armelle », on s’aperçoit rapidement que ces dits traduisent une liberté de ton et une fermeté souveraine qui ne s’accordent guère avec l’image d’une « pauvre servante » bretonne, naïve et illettrée, dont l’histoire est là pour nous enchanter. Ils sont remarquables par leur ampleur et leur optimisme, basé sur une confiance envers la grâce divine qui rejoint celui d’un Ruusbroec, dont elle n’a certainement jamais entendu parler. Mais c’est surtout à Catherine de Gênes qu’on peut la comparer : elles sont sœurs dans leur intensité, l’ardeur de leur amour pour Dieu, leur don absolu d’elles-mêmes. Armelle le reconnut d’ailleurs lors d’une lecture de la vie de Catherine : « Il me souvient qu'elle me raconta qu'un jour une personne de ses familiers lui lut dans la vie de sainte Catherine de Gênes[2451], les chapitres qui traitent de son grand amour ; et qu'entendant cette lecture, il lui semblait que ce même amour avait parfaitement accompli en elle ce qu'autrefois il avait exercé dans le cœur de cette grande sainte ; d'où elle entra dans un si grand sentiment de reconnaissance et d'amour qu’elle fut contrainte de prier de cesser cette lecture… »[2452].
Trop intense, Armelle « manque de charme » pour l’abbé Bremond[2453], qui la compare « à une pierre de lave » : Armelle le dérange par « la crise obscure et laborieuse de sa vocation », la purification « d’une servante longtemps bornée ». Mais justement, l’intérêt du Triomphe ne réside pas dans la description d’une âme parfaite dès le début, mais, et c’est tant mieux, dans sa dynamique opiniâtre qui dépasse tous les obstacles pour courir à l’union avec l’Amour-Dieu.
La relation que l’on va lire transcende aussi de nombreux témoignages parallèles contemporains, parce qu’elle reflète la rencontre exceptionnelle entre quatre mystiques : Armelle, son amie rédactrice et ses deux principaux confesseurs. Par ailleurs, leur cadre de vie, certes rude, s’avéra plutôt favorable.
La Bretagne connut en effet une période prospère avant que la politique d’une France tournée vers les aventures continentales et sa défense contre les puissances maritimes ne l’appauvrisse. En témoignent de nos jours les très nombreuses églises et calvaires construits avant le milieu du XVIIe siècle avec l’argent d’une bourgeoisie enrichie du commerce des draps et de la broderie.
Les missionnaires, qui arrivèrent du Royaume de France après l’Union entre la Bretagne et la France, - non sans quelque retard lié aux luttes civiles entre catholiques et protestants, - n’eurent donc pas à apporter la civilisation dans un pays qui n’était pas plus arriéré que l’ensemble des autres provinces françaises – il avait d’ailleurs été épargné des feux les plus violents provoqués par ces luttes.
On voit d’ailleurs que, bien avant de rencontrer des jésuites, Armelle vit dès son enfance un christianisme ardent comme tout son entourage. Dans son village, elle assiste aux messes, aux processions, aux sacrements. Chez les maîtres de la ville voisine où elle est bonne, elle bénéficie de lectures pieuses faites en commun[2454]. Elle rentre en contact avec les ursulines de Ploërmel, la petite cité voisine du « pays » où s’est déroulée son enfance.
Les missionnaires étaient censés en premier lieu seconder les pouvoirs civils d’un Royaume centralisé, en unifiant et en confortant des pratiques religieuses déjà largement présentes. Mais particulièrement dans le pays vannetais où la ferveur était grande, certains d’entre eux furent des directeurs spirituels accomplis, qui comprirent, encouragèrent et dirigèrent les nombreux témoins d’une vie mystique née « aux champs ».[2455] La chance d’Armelle fut d’être reconnue par un père carme, un parent dominicain et l’amie ursuline qui deviendra l’intelligente rédactrice du Triomphe de l’Amour divin : elle fut donc en contact quasi permanent avec de remarquables spirituels qui la comprenaient même s’ils n’avaient pas la profondeur de son expérience. Ils ont respecté et accompagné la grâce qui agissait librement en elle.
Ses confesseurs furent en effet formés par le mystique Louis Lallemant (1588-1635). Ce jésuite, qui « ne cherchant que Dieu seul… exerçait sur lui-même une continuelle surveillance », fut maître des novices à Rouen puis à Bourges. Heureusement, sa santé ne lui permit pas de partager l’héroïsme de son temps[2456] : ce n’était pas sa voie. Il appelait l’oraison « sa félicité sur la terre » et « y passait même quelquefois la nuit plusieurs heures qu’il dérobait au sommeil ». Il insistait sur la pureté de cœur plutôt que sur les pratiques ascétiques : « La voie la plus courte et la plus sûre pour arriver à la perfection, c'est de nous étudier à la pureté de cœur, plutôt qu'à l'exercice des vertus, parce que Dieu est prêt à nous faire toutes sortes de grâces, pourvu que nous n'y mettions point d'obstacle. » Tout doit être orienté vers Dieu seul : « Les personnes éclairées des vraies lumières ne portent leur affection qu'à Dieu, ne s'attachant pas même aux choses les plus saintes. » [2457].
Du groupe des jésuites basés à Vannes[2458] se détache Jean Rigoleuc, qui connut Louis Lallemant. Il sera épaulé par Vincent Huby (qui suivit l’enseignement de Jean Rigoleuc). Leurs vies et leurs écrits nous sont parvenus grâce à Pierre Champion[2459], leur historien à tous. Cette lignée constitue la grande filiation mystique jésuite du XVIIe siècle.
Jean Rigoleuc (1596-1658), breton de naissance, d’éducation et de tempérament, fut formé par Lallemant à Rouen puis à Bourges, où « il fut mis dans cet état que les mystiques appellent passif ». Il passa une grande partie de sa vie à Vannes, d’où il rayonna en collaborant aux missions populaires bretonnes du bienheureux Julien Maunoir (1606-1683). Il intervint dans les couvents d’ursulines (dont celui où résida quelques années Armelle), puis à Quimper, où il forma des prêtres. Pierre Champion nous dit que « Dieu permit qu’il fut moins considéré que les autres »[2460]. Il ne fut jamais supérieur et « peut-être sa rude franchise faisait-elle peur »[2461].
Vincent Huby (1608-1693) occupe une place privilégiée dans Le Triomphe de l’Amour divin. Il révisa très probablement l’écrit de la sœur Jeanne de la Nativité, auquel il contribue directement par son « Témoignage »[2462]. Il n’est toutefois pas directement nommé par la rédactrice, sinon comme « le Père », probablement par discrétion, puisqu’il était en pleine activité à l’époque. Il eut Vannes pour point d’attache : de 1631 à 1635, de 1639 à 1641 comme professeur, de 1646 à 1649 comme père spirituel et prédicateur, de 1654 à 1693 comme missionnaire. Premier supérieur de la maison de retraite jusqu’à sa mort en 1693 (sauf en 1675-1676), il fut le directeur spirituel de prêtres, de notables … et de simple servantes, dont Armelle[2463]. Il fut le premier à établir une maison de retraite ouverte aux laïcs (ce qui était promis à un grand avenir dans l’histoire de l’apostolat jésuite) ; il composa « des livres, cahiers et feuilles » à l’usage de ses retraitants, donnait des Exercices aux religieuses dans leurs couvents, prenait largement la plume[2464]. « Tout ne respirait en lui que l’amour de Dieu », nous dit Champion[2465].
Quant à la rédactrice du Triomphe de l’Amour divin, sœur Jeanne [Le Corvaisier Pelaine] de la Nativité, elle fut deux fois supérieure des ursulines de Vannes (1666-1672, 1684-1690), et dirigea les retraites créées au couvent en 1672 par Catherine de Francheville[2466].
En fait on connaît peu de chose d’Armelle Nicolas (1606-1671), en dehors de ce qui est rapporté dans Le Triomphe de l’Amour divin et qui fournit la matière reprise par ses biographes[2467]. Comme on va lire ce texte dans son intégralité, nous ne donnerons qu’une courte chronologie de sa vie.
Elle naît le 19 septembre 1606 en Bretagne, au village de Quelneuc, près de Campénéac, petit bourg distant de sept kilomètres de Ploërmel. Il est probable que sa vie spirituelle commence très tôt puisque, toute jeune, elle aime prier seule dans la lande où elle garde les troupeaux de son père ; son entourage apprécie sa bonté et sa douceur. Elle refuse qu’on la marie et préfère devenir servante : après quelques essais qui ne lui conviennent pas, elle est placée chez des bienfaiteurs des ursulines, la famille Charpentier du Tertre à Ploërmel. Une quarantaine de kilomètres à vol d’oiseau sépareront Ploërmel de Vannes, où elle vivra par la suite : voilà le petit « pays » où se dérouleront les soixante-cinq années de sa vie.
Armelle mène la dure vie des domestiques de bas rang à l’époque. Toutefois la fille de la maison a de l’amitié pour elle et lui lit l’Imitation : le récit de la Passion la jette dans un amour violent pour le Seigneur. Elle parcourt son chemin intérieur dans une grande solitude[2468]. Comme elle cache ses états mystiques, qui la rendent languissante, sa maîtresse la prend pour une idiote et une paresseuse : elle l’accable de travail (chercher l’eau à la fontaine, ramasser le fumier…) et Armelle tombe malade pendant six mois ; puis Mme du Tertre comprend enfin la nature de sa servante et cesse de la tourmenter.
En 1636, Armelle accompagne la fille de sa maîtresse, qui se marie avec Gabriel du Bois de la Salle, et va habiter à Arradon, à sept kilomètres de Vannes. Elle sera attachée au couple trente-cinq ans, si l’on excepte une courte période de trois années au service des ursulines de Vannes.
Après des purifications très difficiles de deux ans sans personne à qui se confier, elle est délivrée : Amour divin, larmes, feu… Mais sa santé s’altère, car parallèlement à la mystique, elle travaille très dur pour sa patronne : « L’amour la transportait... Sitôt qu’elle avait la moindre santé, elle travaillait infatigablement... [et] retombait malade » ; « Elle passa de la sorte les trois ou quatre premières années après sa délivrance de l’état des tentations dont nous avons parlé, tant devant qu’après cette fièvre de huit mois » [2469]. Elle fait la connaissance d’un confesseur dont on ignore l’identité, mais qui lui fait connaître le Père Rigoleuc et le Père Huby, jésuites : ces profonds spirituels reconnaissent son état intérieur et la rassurent. Ils l’accompagneront désormais de leur appui.
Après cette période de presque dix années, elle approche maintenant des quarante ans. Son bon confesseur s’inquiète pour sa santé et l’envoie se reposer chez les ursulines (1642-1645), où elle rencontre la sœur Jeanne de la Nativité, qui comprend ses états, la soutient et écrira sa vie. Au poste de tourière, elle se « fortifie » ; puis les sœurs, qui l’aiment beaucoup et veulent la garder, la mettent au service des pensionnaires : elle déploie alors toute sa douceur et sa tendresse pour les petites filles. Après un songe et sous l’influence d’un proche parent dominicain, elle préfère sortir du couvent, où elle trouve sa situation trop confortable pour sa vie intérieure : elle retrouve son ancienne maîtresse, mais garde cependant contact avec la communauté. Ses maîtres lui font entièrement confiance pour tenir leur manoir et élever les enfants, dont elle est très aimée. Cependant la vie n’est pas facile, car ses maîtres se mettent facilement en colère, et les serviteurs méprisent cette bigote : elle supporte tout avec grande patience, prie pour eux et les soigne.
En 1649, Huby et Rigoleuc sont nommés à Quimper : ils la quittent en la confiant à la sœur Jeanne. Dans cette épreuve, il lui est donné d’entrer dans le Cœur du Seigneur. En 1649 aussi, le Seigneur lui dit : « Ma fille, cède-moi la place » (Tr. I. 15). En 1650 est attesté un vœu d’obéissance et chasteté.
Elle devient connue : tous viennent la voir pour lui demander conseils et prières. En janvier 1655, elle fait vœu de pauvreté, ce qui se réalise sous la forme d’un état de profonde pauvreté spirituelle. Après un état de plénitude d’un mois, puis une longue maladie de dix-huit mois, elle soigne attentivement sa maîtresse : celle-ci meurt en octobre 1656.
A soixante et un ans, une de ses jambes est brisée par un cheval, ce qui lui occasionne de grandes douleurs et l’immobilise quinze mois, passés au lit ou sur une chaise ; elle s’aidera dorénavant de béquilles. Elle recouvre miraculeusement la marche deux ans plus tard, pour mourir à la suite d’une fièvre, à l’âge de soixante-cinq ans, le 24 octobre 1671.
La merveille du Triomphe de l’Amour est qu’il nous donne le récit d’une vie mystique achevée : sa progression depuis les débuts passionnés, la traversée des difficultés, l’abandon de plus en plus profond jusqu’à l’unité divine et la paix insondable. Cette biographie mêle intimement vie concrète et accomplissement spirituel, de sorte qu’Armelle devient très vivante et présente à nos yeux.
Ce qui frappe tout de suite chez elle, c’est la force de son appel vers Dieu et du don total d’elle-même qu’elle lui fait jusqu’à la fin de sa vie : elle ne déviera jamais. Tout est orienté vers et par l’Amour. Elle est de ces âmes que Mme Guyon compare aux « torrents qui sortent des hautes montagnes » : « …Elles n’ont pas un instant de repos qu’elles ne soient perdue en Lui. Rien ne les arrête. Aussi ne sont-elles chargées de rien. Elles sont toutes nues et vont avec une rapidité qui fait peur aux plus assurées. »[2470]
Armelle n’est conduite que par la foi : « …Elle fuyait comme la mort toutes expériences et raisonnements humains, même toute vision ou révélation, […] et par la force de son esprit, elle passait par-dessus tout cela, se portant de toutes ses forces à ce qu'elle ne savait ni ne connaissait. ‘ Parce, disait-elle, que tout ce que nous concevons ou expérimentons, pour haut et relevé qu'il puisse être, n'est pas Dieu, et partant nous devons passer outre et ne nous y arrêter, de crainte de nous attacher à autre chose qu'à Dieu » (Tr. II. 1).
Sa confiance en Dieu est absolue ; elle le considère comme un Père qui prend soin d’elle, à qui elle demande avec simplicité tout ce dont elle a besoin. Il est son compagnon intime : « …Je m'entretenais confidemment avec lui, je lui racontais toutes mes peines, tous mes besoins et nécessités, je me consolais avec lui, je me réjouissais de ses divines perfections, je lui demandais ce qui m'était nécessaire et à mon prochain… » (Tr. I 7). Si on lui demandait conseil, le plus souvent elle « ne pouvait dire autre chose que ces mots : « Confiance, confiance infinie en une bonté infinie, qui ne délaisse et n'abandonne jamais ceux qui espèrent en elle » (Tr. II 2).
Lors d’un récit fait devant elle de la Passion du Christ, elle est foudroyée par l’amour dont fait preuve Jésus : elle se jette toute entière vers l’Amour et lui donne sa vie. Les débuts sont chaotiques, car elle traverse seule des alternances bouleversantes entre des états merveilleux où « il lui semblait n’être, tant dedans que dehors, que feu et flamme » (Tr. I 4), et des tentations insupportables où elle se voit comme une criminelle et dont elle est délivrée brusquement. La purification la plus intense dure deux ans, deux ans de désert où elle perd jusqu’au souvenir des grâces qu’elle a eues et où se déploie la « rage du démon d’impureté » : elle tient le coup grâce à sa soumission totale à Dieu ; mais un jour où elle est si désespérée qu’elle demande de mourir plutôt que de rester dans cet état, elle est délivrée dans l’instant : « Les chaînes, qui jusqu’alors m’avaient tenue en si grande captivité, furent entièrement rompues et brisées pour jamais, me trouvant au-dedans de moi-même en une telle liberté que je ne me connaissais plus » (Tr. I 9). Elle était allée au plus profond de « l’amour désordonné de la créature », et la délivrance fut si complète qu’elle ne ressentit plus « jamais la moindre étincelle d’affection pour aucune créature qu’autant que Dieu le lui ordonnait » (Tr. I 9). Après ce tournant capital, « jamais son cœur ne fut assailli de la moindre tentation, difficulté ou répugnance qui l’eût tant soit peu détournée de l’ardeur et de la véhémence avec laquelle elle se portait continuellement vers son unique bien, qui était Dieu » (Tr. I 10). D’où ce beau passage : « …Elle n'eut plus d'yeux que pour contempler son Amour, plus d'oreilles que pour entendre sa voix, plus de langue que pour le bénir et raconter ses louanges, plus de bras que pour travailler pour lui, plus de pieds que pour marcher en la voie de ses divins conseils, plus de corps que pour l'emporter toute à son service, plus de désirs que pour accroître sa gloire, plus de volonté que pour lui obéir, enfin plus de cœur que pour être consumée de ses flammes » (Tr. II 3).
C’est alors qu’elle chercha un confesseur, car elle avait depuis toujours « dans l’esprit que pourvu qu’elle ne fît point sa volonté, il n’y avait rien à craindre pour elle » (Tr. I 10). Toute sa vie, elle refusera d’agir par décision personnelle, s’en remettant à la volonté de Dieu, exprimée intérieurement ou par des personnes extérieures : « Il n’y avait chétive créature au monde à laquelle, en cette considération, je ne me fusse aussi volontiers soumise qu'aux plus grands saints du paradis, car jamais je n'envisageais la personne à qui j'obéissais, mais celui pour l'amour duquel je le faisais » (Tr. II 12).
Elle rencontra le Père Huby : elle le supplia « à chaudes larmes de ne rien épargner de tout ce qu’il verrait être requis afin que Dieu fût absolument le maître de son cœur, et qu’il n’eût égard ni à vie, ni à santé, ni à commodité, ni à son honneur, ni à sa satisfaction, ni à quoi que ce fût au monde, et elle disait ceci avec tant d’ardeur et de véhémence qu’il semblait qu’elle fût hors d’elle-même » (Tr. I 10). Cette rencontre fut capitale : cet homme de grande expérience intérieure lui assura que tout ce qui se passait en elle était de Dieu, lui enlevant tous ses doutes (son confesseur précédent préférait ne rien lui dire). Il la présenta à Rigoleuc, et tous deux aimaient venir l’entendre parler de Dieu : « Nous ne sommes que froideurs et glaces auprès de son ardeur à aimer Dieu », dira Rigoleuc (Tr. II 22).
Huby eut la délicatesse de ne rien superposer d’humain à l’œuvre de Dieu, se contentant d’accompagner l’œuvre de la grâce et de dépouiller Armelle de ses imperfections : son action est le parfait exemple du bien que peut faire un véritable confesseur à un mystique. Compétent par son expérience personnelle et sa connaissance des textes, il sut reconnaître le travail de la grâce et se contenter de le favoriser : « entendre et approuver ce que Dieu opérait au-dedans d’elle-même ». « Il la portait à agir le plus simplement qu’il lui était possible au-dedans d’elle-même, sans réfléchir beaucoup sur ses vues et ses sentiments » et surtout il « la laissait agir selon les mouvements de l’Esprit, se contentant de sa part de la disposer, tout de loin, à ce qu’il prévoyait que Dieu voulait opérer en elle » (Tr. I 15). Il va la guider vers l’abandon total.
Quant à elle, l’obéissance qu’elle lui voue est absolue : « J’avais la croyance si certaine dans mon esprit que mes directeurs me tenaient la place de Dieu en terre, que je n'en pouvais aucunement douter ; et cette pensée me saisit dès le premier moment que Dieu me donna le mouvement de me laisser conduire, et jamais depuis ne m’a quittée ; ce qui faisait qu’en toutes choses je m'adressais à eux comme j'eusse fait à Dieu même, ne faisant aucune distinction entre ce qu'ils me commandaient et ce que Dieu m'eût dit de sa propre bouche » (Tr. II 12).
Huby s’inquiète de la santé d’Armelle, dont le corps est anéanti sous le feu divin. Il a peur qu’elle n’en meure : « La douleur qu’elle ressentait [au cœur] était une douleur vive et ardente, accompagnée d’une force et d’une véhémence si grandes qu’il lui était avis qu’elle avait au-dedans d’elle-même un feu cuisant et dévorant, qui la détruisait et consommait toute, de sorte qu’elle était contrainte par la violence du feu et de la douleur qu’elle ressentait de faire des actions extraordinaires, et comme d’une personne hors du sens. » Terrassée de « fièvre », elle tombe de faiblesse. Huby la fait transporter chez une veuve, mais on ne peut la soigner. Elle lui dit : « Mon Père, je suis dans une fournaise, mais c’est la fournaise de l’Amour » (Tr. I 11).
La modération de ses confesseurs au sujet de l’ascétisme est à souligner, car remarquable : ils lui interdisent la discipline et toute macération, probablement parce qu’ils sentent chez elle une hantise trop forte de vaincre le corps. Ce masochisme est pourtant très courant à l’époque : il suscitait une admiration dont on voit encore des traces dans le Triomphe. Par contre, Armelle gardera un grand amour pour les souffrances involontaires, qu’elle considérait comme « des messagers exprès envoyés de [son] divin Amour » et qu’elle demandait volontiers à Dieu : elles servent à purifier « la rouille des péchés ». Les fuir l’aurait empêchée de ressentir des douleurs comme le Christ : « Fuir la Croix, c’est s’éloigner de la source et du principe de tous biens, puisque Dieu y est attaché et que c’est là où seulement où il se trouve. » Enfin, la souffrance fait partie de la réalité : elle doit donc être intégrée au vécu mystique sans la fuir et sans que le fond ne bouge : « …La vertu qui y est plus expressément requise, c'est la patience, qui fait que l'âme se possède en paix au milieu des peines et travaux qu'il faut endurer pour se rendre semblable à Jésus-Christ » (Tr. II 13). Cette patience concerne également les « grandes caresses » d’amour divin difficiles à supporter : « Il faut avoir patience, et le laisser faire tout ce que bon lui semblera », avait-elle coutume de dire (Tr. II 13). Ce feu qui n’épargnait rien exauçait sa prière « qu’il brulât et consommât tout au feu de son divin Amour, sans rien épargner, jusqu'à la plus petite racine ; et c'est ce que, par sa grande bonté, il a fait en moi, sa chétive créature » (Tr. II 14).
Soucieux de l’épuisement d’Armelle, Huby la fait entrer chez les ursulines pour recouvrer la santé : elle y est très bien et est très aimée. La sœur Jeanne prend soin d’elle et protège ses états mystiques. Sa santé s’améliore, mais Armelle se sent trop à son aise dans cet endroit si amical et paisible. Elle sent « un certain mouvement qui lui faisait connaître que ce n’était pas le lieu où Dieu la voulait » (Tr. I 13). Alors qu’elle aurait pu finir ses jours au couvent, elle va obéir à cette impulsion intérieure et retourner travailler chez Mme de la Salle.
C’est une constante chez elle que de fuir les situations confortables. (Déjà, au moment où Mme du Tertre la traitait mieux, elle avait préféré partir chez sa fille.) Sa voie se situe au milieu de la vie de tous les jours, dans le travail et les difficultés avec l’entourage. Être responsable du ménage, de la cuisine, des approvisionnements pour toute une famille dans un manoir implique beaucoup de travail. Elle est objet de mépris pour les domestiques, parce que les forces lui manquent quand l’Amour l’envahit et parce que sa vie est sans reproche. Ses maîtres la houspillent, mais elle leur obéit comme à Dieu. Elle se réjouit de n’être qu’une simple servante : « …Tout le monde a le pouvoir de la reprendre et mépriser, et trouver à redire sur tout ce qu'elle fait ou dit. Hé ! cela n'est-il pas aimable ? Cela n'apprend-il pas bien à se tenir en humilité, à mettre tout son appui et sa confiance en Dieu, et ne chercher qu'à plaire à lui seul ? » (Tr. II 10.) Elle observe avec humour que le Seigneur la laisse tranquille quand elle a du travail, pour revenir dès qu’elle a achevé sa tâche ; ou bien elle s’acquitte de ses courses sans en avoir conscience, et pourtant tout est fait parfaitement. De toute façon, elle remarquait que « plus elle travaillait et s'employait pour son Amour en tous les embarras de son ménage, et plus il se communiquait à elle ; qu'elle eût cru commettre une grande infidélité de quitter son travail pour chercher le repos… » (Tr. II 10.)
Son cas est particulièrement intéressant pour nous modernes, puisqu’elle vit la vie mystique totalement, tout en accomplissant les charges d’une vie ordinaire de laïque. Selon le conseil de Rigoleuc, elle était dans le monde « ferme et inébranlable, comme un rocher au milieu de la mer qui, pour être battu de divers flots et attaqué des vents, ne remue et ne penche de côté ni d’autre » (Tr. I 13).
C’est pourquoi elle fait de la fidélité l’axe de la vie en Dieu : la seule chose qui importe est de suivre les mouvements de la grâce à chaque instant. C’est une « fidélité qui s’étend sur toutes choses, grandes et petites, sans rien excepter ». Ce n’est pas facile : Je « me suis portée avec une vigilance non pareille à tout ce que j'ai reconnu être de sa sainte volonté, quelque peine ou répugnance que je ressente en moi, je ne le pouvais différer d'un moment à les accomplir, quoique souvent j'eusse bien voulu remettre à un autre temps sous prétexte de maladie ou de travail, ou de mille autres raisons que me produisait l'amour-propre pour s'exempter de ce grand assujettissement à toutes choses, tant grandes que petites » (Tr. II 9).
En 1649, Huby et Rigoleuc sont nommés à Quimper et elle doit les quitter. En réponse à son inquiétude, le Seigneur lui dit qu’il la retire des bras de ses nourrices : « Je veux te loger en ma maison » (Tr. I 15), et il la fait entrer dans son Cœur « d’une si grande étendue que mille mondes entiers n’eussent pas été suffisants pour le remplir » (Tr. I 21). Après ces années de transports et de langueurs dans un amour brûlant, où « jusqu’alors Lui et elle avaient travaillé ensemble » (Tr. II 3), elle passe à une autre étape, où le Seigneur règne seul, dans le repos de tous les sens et des puissances. Elle s’aperçoit à peine du départ des deux jésuites car, bien qu’elle paraisse comme d’habitude, elle est inconsciente, dans un repos « où il n’y a rien de distinct ni de particulier ». Elle en sort dans un état de silence et de cessation complète de toutes les opérations intérieures. Le jour de la Saint Thomas, le Seigneur lui dit : « Ma fille, cède-moi la place. » Tout ce qui a précédé n’avait existé que pour préparer cet état. Elle comprend tout ce qu’Huby lui avait dit sur l’abandon, et que ce sera désormais sa voie. Elle obéira à l’ordre du Seigneur : quand elle lui demandait ce qu’elle pouvait faire, il répond : « Rien, rien du tout, sinon t’abandonner et me laisser faire » (Tr. I 20). De 1650 à sa mort, la sœur Jeanne considère qu’il ne reste plus chez Armelle que l’action divine (Tr. I 17).
A la Toussaint 1650, le Seigneur lui dit : Ma fille, tu es la fille de l’Amour (Tr. I 16).
Elle rêve d’un combat entre le corps et l’esprit où l’esprit l’emporte et les deux se rangent dans un même lieu : alors que, jusqu’à cette époque, elle avait le corps brisé de douleurs par les états d’amour, elle ne ressentira plus de douleurs. Son corps souffrait quand les puissances, seulement calmées, résistaient encore ; mais les vingt dernières années, le corps et tous les sentiments étaient spiritualisés, tant l’abandon était total. Plus tard, elle dira qu’il « lui semblait être devenue comme dans l’état d’innocence, de sorte que, quand bien elle aurait lâché la bride à tous ses appétits naturels, ils n’auraient recherché autre chose que Dieu, vers qui ils se portaient d’eux-mêmes comme ils faisaient naturellement auparavant vers les choses de ce monde » (Tr. I 17). Son corps est très faible : « Entre Dieu et moi, il n'y a plus que la fragilité de ce pauvre corps, qui est devenu si miné à force d'aimer qu'il ne faut plus qu'un petit souffle pour le casser et le rompre tout à fait » (Tr. I 17).
Son état s’approfondit, la grande unité avec le Divin s’accomplit : « Tu n’es plus. Tu es plus perdue dans l’océan de ma Divinité que le poisson ne l’est dans la mer » (Tr. I 20). Elle dit à sœur Jeanne : « Je n’ai plus aucune pensée, ni rien qui m’arrête, ni m’occupe comme de coutume ; il y a un seul objet, qui est l’être et l’immensité de Dieu, qui pénètre et consume mon âme d’une manière inconcevable, et la rend, en la consumant, d’une si grande étendue que je n’en puis plus savoir les bornes. Autrefois je voulais tout faire et tout embrasser, mais maintenant il n’en va pas ainsi, car rien n’approche plus de moi. Je comprends tout et ne suis comprise de rien ; mon âme est seule, simple et pure ; et quand je la vois ainsi, c’est comme une merveille que je ne meure à chaque moment ; et si cela continue encore quelque temps en moi, je crois qu’il en faudra mourir. Je vais et j’agis à mon ordinaire, pour le dehors, sans que je perde cette vue, mais mon Dieu me l’ôte parfois, permettant qu’il passe quelques pensées par mon esprit qui m’en détournent ; autrement je serais déjà morte. L’amour qui me consume ne se peut exprimer ni concevoir, il est comme infini et tous les jours il croît davantage » (Tr. I 20).
La mystique la plus profonde est vécue au milieu de la vie quotidienne la plus ordinaire : elle n’avait pas « besoin de travailler à se recueillir ni rentrer en elle-même, pour rechercher quelque lieu à l'écart pour s'occuper avec son Dieu ; tout cela ne lui était point nécessaire, car au milieu des rues, en plein marché, dans l'embarras d'un grand ménage, elle était aussi attentive à contempler les perfections de son Bien-Aimé que si elle eût été dans un désert ; d'autant que partout où elle allait, elle portait toujours son feu et son amour au-dedans de soi, et ainsi quelque part qu'elle fût, elle en recevait la lumière et la chaleur ». Et pourtant tout son travail était parfait : « …Elle ne manquait à rien, son Amour lui fournissant si à propos le souvenir des choses qu'il fallait, dans le temps qu'il les fallait accomplir, qu'elle ne s'en pouvait aucunement mettre en peine, lui laissant tout ce soin, afin de se pouvoir toute employer à l'aimer » (Tr. II section unique).
Cet amour infini va se répandre autour d’elle puisque, dès l651, elle demande à Dieu « affectueusement de décharger sur elle toutes les peines qu’il lui plairait, afin d’empêcher qu’il ne fût point offensé » (Tr. I 17). Elle est immédiatement accablée de douleurs qui l’obligent à se coucher, mais sœur Jeanne atteste que le Carnaval de cette année-là fut beaucoup plus tranquille, à l’étonnement de tous ! En 1652, le Seigneur lui imprime son Nom au cœur, ce nom qui a le pouvoir de sauver les hommes. Elle prie donc pour tous et connaît leur état à distance. Nombreux seront les témoignages de ceux qu’elle a aidés. Les gens l’abordent pour lui raconter leurs peines ou leurs péchés, et elle souffre beaucoup de leurs douleurs. Cependant le centre reste inaltérable : « Cela n’empêchait aucunement les joies ineffables qu’elle recevait de la douce union de son âme avec son Bien-Aimé, dont elle jouissait à souhait, dans un calme et une tranquillité si admirables qu’on l’eût plutôt prise pour être le crayon d’une âme bienheureuse que d’une âme revêtue de chair mortelle » (Tr. I 22).
Son rôle sur terre est d’empêcher par ses prières que Dieu ne soit offensé : « Il semble […] que mon divin Amour ne me laisse plus en ce monde que pour être la procureuse de son honneur, et que je n’ai autre chose à faire qu’à voir si sa gloire est accrue et augmentée : c’est là tout mon emploi et mon office […] Pour dire le vrai, je ne me regarde point moi-même en cela, mais Dieu seul, dans lequel je suis si perdue et abîmée que, la plupart du temps, je crois n’avoir plus d’âme, de vie, d’esprit, mais qu’ils se sont tout fondus et perdus en lui, qui seul me tient lieu de tout cela. Et ainsi son honneur est mon honneur, sa gloire est ma gloire, ses mépris sont mes mépris, tout ce qui le touche me touche, enfin il est tout mien comme je suis toute sienne » (Tr. I 19). Et en effet, à l’ouverture du jubilé de 1652, « la dévotion et le concours du peuple à s’approcher des saints sacrements et à entendre la parole de Dieu était si grand que les églises avaient peine de les contenir ; et les confesseurs ne pouvaient suffire à entendre ceux qui se présentaient pour recevoir l’absolution de leurs péchés » (Tr. I 19).
En 1657, son état devient si nu, si profond qu’elle ne peut plus en parler : « Ce qu’il opérait au plus intime de son âme était si divin et relevé qu’elle ne le comprenait pas » (Tr. I 26). « Son âme était si perdue et abîmée dans ce divin regard qu’elle ne se comprenait pas elle-même ; et nonobstant cela, elle était aussi libre pour agir au-dehors, comme si rien ne se fût passé au-dedans ; et même elle avait la santé assez bonne pour s’acquitter de tout ce qui était nécessaire dans le ménage » (Tr. I 25). Même après avoir été estropiée par un cheval en 1666, elle continue à se rendre utile dans la cuisine : « Elle demeurait dans un petit coin de la cuisine à donner ordre au ménage, et à faire quelque occupation pour l’utilité de la maison, n’étant jamais oisive. Plusieurs personnes de toutes sortes de conditions l’allaient voir pour se consoler avec elle et jouir de la douceur de son entretien » (Tr. I 27). Un très grand nombre de personnes avouaient qu’ils sortaient d’avec elle « tout changé[s] et renouvelé[s] » (Tr. II 16).
Pendant les trois jours précédant sa mort, la chambre était pleine d’une foule qui la vénérait. On se disputa ses reliques et les bouts de tissu qui l’avaient touchée ; une procession énorme escorta son corps… Tout ceci l’aurait bien étonnée : « Jamais... je n’ai su ce que c’était que vanité... Il me semblait qu’à moins de perdre l’esprit je ne pouvais entrer en aucune estime de moi, car je voyais si clairement que tout ce qui était en moi venait de Dieu » (Tr. II 10).
L’édition du Triomphe de l’Amour divin ne traîna pas, puisqu’il parut dès l’année suivant la mort d’Armelle. Les événements domestiques et intérieurs en forment la trame. Il est divisé en deux parties : Vie puis Vertus, en conformité avec le genre hagiographique obligatoire à l’époque. De mauvais esprits se demanderont donc quelle est la vérité de ce récit : le Père Huby rédigea le Témoignage associé au récit et supervisa certainement l’ensemble. La mission de Vannes est trop heureuse d’avoir un grand exemple à montrer. Les lecteurs bretons demandent des exemples de sainteté et de dévotion ? Leurs attentes sont ici (trop ?) largement satisfaites par le récit d’une héroïcité ascétique en accord avec le canon classique du genre. Les comptes-rendus des conversations sont forcément traduits du breton et sont bien écrits : sont-ils fidèles au style et au vécu d’une simple servante ?
Cependant on sera tenté d’accorder foi à l’honnêteté et à la véracité du récit quand on lit la Préface en forme d’épître rédigée par la sœur Jeanne de la Nativité : ce texte que l’on pourrait être tenté de sauter, mérite en fait une lecture attentive. Pleine de noblesse et de rectitude, Jeanne y rend compte de la genèse du Triomphe et nous fait part de sa volonté d’exactitude avec une humilité qui émeut : « Je me suis rendue la plus exacte qu’il m’a été possible à décrire toutes les opérations du divin Amour […] J’ai cru que plus les termes seraient simples et naïfs, et plus ils auraient de force pour toucher les cœurs. » Elle nous dit qu’elle a fait contrôler ce qu’elle écrivait par Armelle elle-même et a pris soin de mettre ses paroles entre guillemets. Armelle a eu cette chance incomparable de rencontrer une amie attentive et intelligente, des jésuites eux-mêmes mystiques, qui tous ont protégé la liberté de la grâce en elle. La beauté de ce texte résulte de leur rencontre : la qualité de l’entourage d’Armelle permet de penser que ce qu’ils ont écrit sur elle a respecté sa vérité.
A priori très improbable hors de la province bretonne, l’influence du Triomphe fut très grande et se répandit hors des frontières du royaume. A la fin du siècle, l’ouvrage fut redécouvert par Pierre Poiret (1646-1719) : ce pasteur piétiste d’origine française établi en Hollande à Rijnsburg était un grand éditeur de textes mystiques et devint un disciple aimé de madame Guyon[2471]. Qui se ressemble (intérieurement) s’assemble : certes, « la pauvre servante bretonne était aussi différente que possible de Mme Guyon : pourtant leurs expériences, indépendantes l’une de l’autre, ne sont pas sans analogie et ont enchanté les mêmes âmes[2472] ».
L’influence de la servante bretonne s’exerça alors en Hollande et en Allemagne[2473]. Elle franchit les mers, car les éditions de Poiret et de ses amis étaient distribuées au-delà du Channel dès le début du XVIIIe siècle par l’intermédiaire du docteur James Keyth de Londres[2474]. Le texte se répandit chez des piétistes et des réformateurs protestants, dont certains étaient des intellectuels (proches de Londres) ou des voyageurs (tel Wesley) d’expériences très différentes de celle d’Armelle. La simple fille est en effet admirée en Angleterre et en Ecosse, où on la voit figurer dans les bibliothèques des disciples écossais de madame Guyon, Lords Deskford et Forbes. De même en Amérique, où John Wesley, fondateur du méthodisme, insère en 1778 des extraits de The life of Armelle Nicolas dans sa revue l’Arminian magazine ; pour lui, « her deep, solid, unaffected piety has recommended her to those of all denominations who regarded not mere opinions, but the genuine work of God… » [2475]. Le récit attirera les spirituels du siècle des Lumières, accompagnant ainsi deux autres textes : ceux de l’ermite Grégoire Lopez[2476], et ceux du frère carme convers Laurent de la Résurrection (1614-1691), qui lui ressemble par sa concision, sa simplicité et sa netteté.
A nous modernes, il reste à redécouvrir aujourd’hui Le Triomphe de l’Amour divin comme une perle qui a toute sa place dans une bibliothèque des grands témoignages mystiques rédigés en notre langue.
Le texte du Triomphe de l’Amour [2477] a été ici reproduit intégralement. Nous avons modernisé l’orthographe et la ponctuation pour en faciliter la lecture.
La pagination de la deuxième édition de 1676 à Vannes dont nous avons disposé, est chiffrée dans le fil du texte (elle est absente de la « Préface en forme d’épître »).
Les notes expliquent certains mots vieillis ou fournissent de brèves précisions contextuelles portant sur les personnes et sur les lieux.
« Des sources, tant orales qu’écrites, auxquelles
j’ai pu avoir accès, un homme de lettres eut aisément tiré la matière homogène
d’un récit […] Mais en réalité, cet ouvrage est né du récit, soigneusement
retranscrit après enregistrement, que me fit de sa vie un ancien patron de
pêche de Groix, Louis-Joseph Gourronc, [… qui] de son œil bleu clair et de sa
mémoire infaillible, jugeait, commentait, orientait, biffait avec une patience
équanime. Peu à peu, un portrait est apparu, avec ses traits saillants, son
caractère difficile, mais jamais indifférent : celui d’une île naguère encore
vouée tout entière à la pêche hauturière. Trop d’écrivains ont donné du monde
maritime français une image littéraire, romancée, poétisée, et somme toute
imaginaire. Avec ma façon de penser d’intellectuel, mon inexpérience
fondamentale des métiers de la mer, comment aurai-je osé raconter à ma façon la vie d’hommes
appartenant à une autre culture, à un autre âge ? [2478] »
Maria Petyt (1623-1677) est une figure flamande qui égale les plus grandes mystiques françaises de son siècle. Elle vécut peu après Marie de l’Incarnation du Canada (1599-1672) et avant Madame Guyon (1648-1717). Maria témoigne comme ces dernières d’une expérience mystique menée à terme, partage leur indépendance et connut parfois la solitude propre aux spirituels. Moins célèbre que ses compagnes à cause du rayonnement moindre de la langue flamande et par une vie cachée au sein d’une des nombreuses petites communautés béguinales qui restaient indépendantes des grands Ordres (même si Maria se rattacha au carmel sous l’influence du confesseur).
En attendant que paraisse un jour une traduction complète de ses témoignages écrits en flamand, j’assemble un dossier de celles qui, rendues disponible en français depuis longtemps, sont pourtant devenues pratiquement inaccessible. Les publications de son premier traducteur furent en effet disséminées dans des revues spécialisées en diverses contributions.
L’intérêt du dossier dépasse celui d’un assemblage de traductions de la mystique Maria grâce à la valeur du pénétrant et profond spirituel Albert Deblaere[2479]. De larges citations bien choisies de Maria parsèment déjà ses études. Elles sont complétées par les traductions antérieures de Louis van den Bossche[2480]. S’en distingue par son caractère suivei une autobiographie de valeur tout à la fois intérieure et littéraire.
Ces textes livrent une expérience mystique menée à terme sur toute la durée d’une vie en suivant un chemin ascendant parfois difficile.Une intériorité vécue ‘jusqu’à la moelle des os’ est associée au rendu très vivant d’une existence concrète qui prit place au sein d’un monde bourgeois flamand déjà moderne.
Les écrits sur et de l’auteure rédigés ou traduits en français - et il n’existe pas d’autres traductions substantielles faites en d’autres langues - sont rassemblés ici pour la première fois. Bien des points concernant la vie mystique profonde s’éclairent par les précieuses études du premier tome associé à Albert Deblaere. Le cadre de vie - guerres à l’extérieur, vie d’une petite communauté béguinale pour l’intérieur - est suggéré à la fin du second tome associé au premier traducteur Louis van den Bossche.
En premier, je restitue une prise de contact par deux notices (relativement) récentes rédigées par A. Derville et par P. Mommaers. J’y adjoins deux florilèges.
Après cet « hors d’œuvre » les études du P. Deblaere couvrent la plus grnade grande partie du présent tome, en commençant par sa dernière, brève et synthétique ; en continuant par sa thèse beaucoup plus ample, mystiquement profonde et libre. Premier écrit dans la vie de son auteur, elle tente d’aborder la richesse mystique en respectant la théologie catholique.
Ici s’achève le tome I consacré à Maria Petyt. Il couvre quatre cent pages.
§
Le tome II d’égale importance en intérêt comme en volume présente le principal des traductions d’écrits de Marie Petyt. Louis Van der Bossche les publia dans les Suppléments à la Vie Spirituelle puis dans la Vie Spirituelle, enfin dans la Revue carmélitaine. Il s’agit de multiples contributions que j’ai rassemblées avec quelque difficulté. Elles se concluent sur ma transcription d’une copie carbone aujourd’hui presque effacée livrant la tradcution du récit continu autobiographique des « débuts » de notre mystique.
Tout cet ensemble demeure irremplaçable mais risquait d’être perdu du moins au lecteur non spécialiste [2481] ! Il rétablit la vie intime d’une très grande figure digne héritière des grandes béguines du Nord Hadewijch I et II. Elle nous est plus proche que ces dernières par ce que l’on doit considérer comme un journal intime livré à un autre mystique. Car elle a eu la chance d’avoir pour directeur Michel de Saint-Augustin que l’on appréciera indépendamment ailleurs[2482].
Les écrits de Marie Petyt ne séparent jamais la vie intérieure de la vie concrète. Elle vivra encore plus de dix années, aussi avons-nous droit de suggérer un inachèvement spirituel à l’époque de sa rédaction d’une autobiographie suggérée par un nouveau directeur.
Il reste à souhaiter que ce « dossier » en deux parties - prises de contact et études puis des écrits (partiels) – suggère à l’un des rares connaisseurs de la langue flamande intéressé par la vie intérieure mystique d’entreprendre un travail neuf. C’est en partie pour cette raison que j’ai reconstitué un tel dossier-florilège. Faut-il encore une autre raison ? Le tome suivant s’achève sur un contrepoint unique à la Vie par elle-même de madame Guyon, autobiographie d’une autre grande « dame directrice[2483] » presque sa contemporaine. Une étude comparative serait à faire.
1621
Naissance de Michel de Saint-Augustin
1623
Naissance de Maria Petyt
À
Gand, Chanoinesse de Saint-Augustin puis béguine.
Peremier
médiocre confesseur pendant quatre années.
1647 Rencontre entre Maria et
Michel.
Sa direction éclairée prend la
relève de la précédente. Elle dure seize mois puis sera poursuivie par
correspondance.
1657
Communauté naissante à Malines
Son
père naturel meurt en 1663.
1667
Achèvement de sa relation biographique
1677
Décès de Maria Petyt
1684
Décès de Michel de Saint-Augustin
Deux notices publiées en 1984 du Dictionnaire de Spitualité présentent Maria Petyt. Rédigées par deux des meilleurs connaisseurs récents de la mystique française et flamande, elles sont postérieures aux études et traductions reprises dans ce volume infra.
André Derville assura l’achèvement du Dictionnaire de Spiritualité — c’est l’ami qui m’introduisit à la mystique française du XVIIe siècle, aujourd’hui encore très présent par ses « Tables Générales » (1995). Outre la clarté d’une brève synthèse, sa bibliographie couvre l’essentiel des traductions disponibles en notre langue[2484] et reprises en anglais. Elle est à compléter par un récent ouvrage collectif publié en 2015 [2485].
Paul Mommaers assura dans le même DS une grande partie de la vaste entrée « Pays-Bas ». Il l’achève en présentant « les thèmes caractéristiques de la mystique du 17e siècle » incarnés par Michel de Saint-Augustin et surtout par Maria Petyt [2486].
J’y joins deux entrées figurant dans Expériences mystiques
t. II et t. III [2487].
Ces florilèges mystiques incitaient à la découverte des deux mystiques :
la dirigée est approfondie dans le présent dossier.
Dossier
rassemblant des contributions de Lilian Silburn dont celles parues dans la
revue Hermès. Etabli sur des publications des Editions de Deux
Océans [2488].
Hors Commerce.
62
[Réédition] Méthode claire et facile pour bien faire Oraison Mentale. Et pour
s’exercer avec fruict en la Presence de Dieu. Faisant le quatrième Traité de la
Conduite spirituelle des Novices. Par le R. P. Marc de la Nativité de la
Vierge. (1650), pdf, 610 p.
63
[Réédition] Traité de la componction. Faisant le cinquièmre Tome de la Conduite
des Novices de la Province de Touraine. Par le R.P. Marc de la Nativité de la
Vierge. (1696), pdf, 447 p.
60
[En préparation] Dominique Tronc, Cercles de la Quiétude au Grand Siècle,
Disciples et proches de Mme Guyon, à partir du dossier : Le
cercle des Amis de la Quiétude animé par Madame Guyon, [I. Origine, II. Madame
Guyon & Fénelon, III. Des « cis » et des « trans », IV. Directions
mystiques, V. Relevé de liens, VI. Documents.]
58
[En préparation] Catherine de Bar 1614-1698 Mère Mectilde du Saint-Sacrement,
Itinéraire spirituel par V. Andral suivi des Entretiens familiers par M.-C.
Castel, réédition hors-commerce.
[En
préparation] Charles-Honoré Duc De Chevreuse (1656-1712), 556 p. [Notices,
témoignages de Saint-Simon, Correspondance avec Mme Guyon.]
[En
cours de saisie] Madame Guyon & François de Fénelon, Florilège mystique,
[Les Justifications préparées en 1694 à l’occasion du « procès »
d’Issy.]
[En
préparation et en saisie de lettres] Jean de Saint-Samson, Le Cabinet mistique
et un choix de lettres.
[En
saisie l’œuvre intégrale de] Monsieur Bertot, Le Directeur mistique.
En
projets : Agaesse, Cambry, Enguerrand, Harphius, MariaPetyt, Quiroga,
Surin, bénédictines, P.Joseph, vocabulaire mystique XVIIes.,
interlinéaire Jn de la X…
[1] Jean Baruzi, un des maîtres de Jean Orcibal, explique que l'intention fondatrice de la mystique ne s'atteignait qu'à travers « l'analyse exhaustive d'un exemple », car elle devait être scrutée en des individus où elle s'exprime » ; « Jean Orcibal s'interrogera sur quelques grandes figures ... le travail est désappropriation de soi et redécouverte de soi en une union avec l'autre qui est de l'ordre du sentiment, de l' ‘intérieur’. Cette approche de l'autre ne peut que s'attacher à l'individuel » (Etudes d'histoire et de littérature religieuse, Présentation par Jacques Le Brun).
[2] Certains sur demande au webmaster de www.cheminsmystiques.com
[3] L’ensemble CARMELS aurait comporté : le carme Maur de l’Enfant-Jésus (deux ouvrages), Jean de Saint-Samson Le vrai esprit du carmel, Maria Petyt I & II (rattachée aux Carmes par son directeur), le hors liste Marc de la Nativité Directoire des novices, le hors liste Carmélites françaises à l’âge classique, etc.
[4] Les jésuites mystiques sont considérables mais constituent des cercles isolés au sein même de leur Ordre : le cercle breton est abordé dans Armelle Nicolas Le Triomphe de l’Amour divin ; le grand Surin est présent par Jean-Joseph Surin Lettres. (v. (7) Mystiques de France...) Monsieur de Bernières et Madame Guyon estimaient de préférence les jésuites.
François de Sales et madame de Chantal influent sur tous les mystiques du siècle mais je n’ai pas retrouvé au sein de la Visitation une suite mystique attestée. Ils sont ici présents sous Jeanne de Chantal I & II (v. (7) Mystiques de France...) qui fut influente sur la jeune madame Guyon au moins par imitation après lecture.
[5] On voit très bien la différence entre une approche « spirituelle » large et une approche « mystique » accomplie serrée : par exemple en comparant les noms d’auteurs cités par Benedikt Mertens, Histoire et enjeux des exercices spirituels chez les franciscains (XVIIe -XVIIIe siècles), éd. franciscaines, 2017, avec ceux qui nous citons dans La vie mystique chez les franciscains du XVIIe siècle I à III, 2014 : deux mondes totalement distinct, admettant un seul nom en commun, certes important, celui de Séverin Rubéric.
[6] La liste couvre donc le présent volume et les deux suivants à paraître (ce qui implique la consultation de trois index des noms pour retrouver toutes ces figures).
[7] John C.Eccles, Évolution du cerveau et création de la conscience, 1989 ; Jared Diamond : Le troisième chimpanzé, De l’inégalité parmi les sociétés, Effondrement, 2005 ; The world until yesterday, 2012 ; Richard Feynman, Lectures on physics, 1969, et son bref QED, The strange theory of light and matter, 1985 ; Benoît Mandelbrot, The fractal geometry of Nature, 1977; Stephen Wolfram, A new kind of science, 2002; Brian Greene, The fabric of the cosmos, 2004; Frank Wilczek, The lighness of being, 2008. Etc.
2 Je privilégie la date de disparition de leur auteur s’il est connu pour être le rédacteur original, plutôt que la date de composition souvent inconnue ou de publication parfois fort décalée par rapport à la circulation de manuscrits. Les auteurs composent dans leur maturité et vivaient souvent moins longtemps que ce n’est aujourd’hui le cas.
Je cite parfois des œuvres pour assurer la présence de traditions qui font fi des signatures (c’est le cas de traditions extrême-orientales par exemple bouddhique). L’incertitude de datation est alors plus grande, soulignée par un voire deux tilde.
[9] Entrées « 1111 al-Ghazali » et, tome IV, « 1941 Des avocats » citant Les deux sources de la morale et de la religion.
Les religions seraient issues de fondateurs mystiques et souvent à leur insu. Observez le passage de l’usage central du terme Apostolus chez Tertullien au second siècle (dans le De praescriptione haereticorum qui remonte par une chaîne humaine aux premiers apôtres) à celui du terme Deus observé chez Ambroise de Milan au quatrième siècle (dans le De Interpellatione Job et David). La comparaison quantifiée et figurée « chimiquement » souligne une dérive menant de l’individu porteur de vérité vers un corps de doctrine. (Nuevas formas de analisi de textos con cerbros electronicos, A. Barcala, J. de Montgolfier, D.Tronc, Univ. Comillas Madrid, 1976, 36, 120.)
[10] Dans le Dictionnaire de Spiritualité, 95 % des entrées individuelles présentent des membres d’ordres religieux : la turba magna des témoignages écrits de mystiques anonymes laïcs a disparue. Diverses raisons peuvent être avancées dont au simple plan matériel la survie des seuls fonds non privés d’archives et de bibliothèques.
[11] Honoré de Sainte-Marie (1651-1729), Tradition des Pères et des Auteurs ecclésiastiques sur la Contemplation, tome I, 1708.
[12] Benoît de Canfield, Règle de perfection III, 7, éd. Arfuyen, 2008.
[13] Lilian Silburn, « Le Vide, le Rien, l’Abîme”, Coll. Hermès n° 6, 1969.
[14] Entrée : « ~1370 Le Nuage d’Inconnaissance ».
[15] Galates 2, 20.
[16] On trouve un parallèle dans les historiographies composés de notices par figures, littérature des Tabaqât développée et couronnée par Sulami (Entrée 1021 Sulami »).
[17] Grâce au fils avisé de Marie de l’Incarnation ou à l’éditeur protestant de madame Guyon.
[18] Théologie mise en valeur par Syméon « le Nouveau Théologien » ou dans la Théologie mystique d’Hugues de Balma.
[19] Expériences mystiques en Occident, I , 17 sq.
[20] Choix très personnel établi par rencontres et lectures ; donc à compléter.
[21] Date elle-même charnière au-delà d’un changement de siècle, car précipitant un crépuscule des mystiques ou plutôt des formes religieuses caduques qui ne renvoient plus à la vie intérieure. Les miracles, visions, révélations et pèlerinages prennent alors toute la place tandis que les « chétiens intérieurs » se cachent.
.Nous omettrons de nombreux porteurs visibles de telles manifestations « matérialistes ». L’apport de sciences humaines émergentes au XVIIIe siècle ne peut par contre être négligé (Henri F. Ellenberger : The discovery of the unconscious. The history and evolution of dynamic psychiatry, 1970).
Enfin rappelons que nous consacrons par figure un espace qui sera réduit aux chapitres suivants.
[22] Lilian Silburn, « Le vide, le rien, l’abîme » in Le Vide, Expérience spirituelle en Occident et en Orient, Hermès 2, Nouvelle série, Éditions des Deux Océans, 1981.
[23] Yolande Duran-Serrano, Le silence qui guérit, Paris, 2010, p. 16.
[24] Évangile de Jean 3, 8.
[25] Benoît de Canfield, La Règle de Perfection, Arfuyen, 2008, [partie III, chap.] 7, p. 70.
[26] Lilian Silburn, « Le Vide, le Rien, l’Abîme », op.cit., souligne son dynamisme puis analyse ses degrés.
[27] Ruusbroec l’Admirable, La Pierre brillante, traduction et commentaire par Max Huot de Longchamp, « Sources mystiques », suivi de L’Ornement des Noces spirituelles, Traduction de 1606 par un chartreux de Paris, Centre St-Jean-de-la-Croix /Éditions du Carmel, 2010, 42.
[28] Galates 2, 20.
[29] Benoît de Canfield, op.cit.., III, 7, 72-73.
[30] La section suivante « Opinions de quelques-uns » cite des auteurs érudits. Elle peut être omise par un lecteur peu tenté par l’exercice.
[31] Benoît de Canfield, op.cit.., III, 2, Ed. Arfuyen, 33.
[32] Œuvres complètes du Pseudo-Denys, traduction Gandillac, Aubier, [1943], 1980, « Les noms divins », 146. [872D-873A].
[33] Jean Baruzi, Préface [1924] à la première édition de Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, 1931, XXIV. - Échappant à l’influence récente de l’école historique des Annales, J. Le Brun maintient cette approche : « …pour l’historien de la religion, le travail est désappropriation de soi et redécouverte de soi en une union avec l’autre qui est de l’ordre du sentiment, de l’ « intérieur ». Cette approche de l’autre ne peut que s’attacher à l’individuel… » (Introduction à J. Orcibal, Études…, 1997, 21).
[34] Nous avons cherché un meilleur synonyme à « mystique » : « spiritualité » est large et mou, « vie intérieure » conviendrait peut-être mieux, comme le reconnaissaient les « chrétiens intérieurs » quiétistes ou piétistes, ainsi que les quakers ouverts à la « lumière intérieure ».
[35] Nous présenterons une autre liste de douze compagnons choisis dans les trois volumes suivants.
[36] Nous n’évoquons guère le Mystère de la Trinité sinon comme circulation de l’Amour, les aspects cultuels … Par contre nous savons combien le recours à Jésus-Christ, médiateur, le « petit maître » de Mme Guyon, est essentiel à tout mystique chrétien.
[37] Les deux sources de la morale et de la religion, in Henri Bergson, Œuvres, P.U.F., 1959, 1177.
[38] Et commet le péché d’anachronisme si l’on tente de l’appliquer au x interprétations du passé.
[39] L. Kolakowski, Chrétiens sans Église, [Varsovie, 1965], Paris, Gallimard, 1969, 35 . Marxiste puis catholique à la fin de sa vie, le philosophe devint le critique sans concession de Main currents of Marxism, 1978.
[40] Le mot récurrent « Dieu » que le lecteur va constamment retrouver dans cette citation et par la suite, peut lasser certains ; on le dissociera de toute représentation anthropocentrique, retrouvant sinon l’apophatisme du moins la « grandeur divine » chère à l’école française. Mais cette grandeur est aussi éprouvée comme amour personnel, d’où l’usage très justifié et commode du substantif.
[41]
L. Kolakowski, op.cit., p. 36 ,
fait appel à sa note 16, p. 67, qui cite in extenso -- nous en tirons ici des extraits -- [Pierre
Poiret], Lettre sur les principes et les Caractères des principaux Auteurs
mystiques et spirituels des derniers siècles., Bibliothèque de l'Université
de la ville d'Amsterdam, ms. Bd
[42] Henri Bremond, Histoire du sentiment religieux (11 vol., Paris, 1916-1933 ; rééd. avec études, d’importants compléments de l’auteur, l’indispensable Index, Grenoble, Millon, 5 vol., 2006). - On y adjoindra les autres ouvrages du même spirituel (les deux sens du terme conviennent à Bremond !) : il aborde Madame de Chantal (l’ouvrage fut mis à l’Index de par la grande influence qui lui est attribuée sur François de Sales), Fénelon (défendu avec flamme), la prière (traitée avec émotion et justesse). – La “querelle du modernisme” explique certains “excès” de ce défenseur des mystiques (voir : E. Goichot, Henri Bremond, historien du sentiment religieux, Paris, Ophrys, 1982).
[43] A. Tanquerey, Précis de Théologie ascétique et mystique, 5° éd., 1925. - Balma, qui vivait peu avant 1300, est l’auteur vénérable d’une Théologie mystique (Sources Chrétiennes [SC] 409/410, 1995) que nous citerons.
[44] Max Huot de Longchamp, Prier à l’école des saints, guide complet de la vie spirituelle, Centre Saint-Jean-de-la-Croix (Courtioux 36230 Mers-sur-Indre), 2008.
[45] Le Dictionnaire de Spiritualité Ascétique et Mystique, Doctrine et Histoire [DS] sera très fréquemment cité. Nous avons eu la chance de commencer à travailler juste à l’achèvement de cette immense et dernière entreprise de cette envergure dans le domaine de la tradition chrétienne catholique. Elle a été conduite de A à Z sur plus d’un demi-siècle. Il n’y manquait qu’une synthèse triée mystiquement : nous avons bénéficié à Chantilly de l’aide irremplaçable de son dernier éditeur, bienfaiteur et ami André Derville, S.J.
[46] Voir l’article “Mystique” du Dictionnaire de Spiritualité, tome 10, (1980), colonnes 1889 à 1984, [dénoté dorénavant : DS 10.1889/1984]. Il couvre donc près de cent colonnes ( !) dont se détachent « II A. La littérature mystique au Moyen Âge » par A. Deblaere ainsi que « III. La vie mystique chrétienne » par P. Agaësse et M. Sales. - Voir aussi d’autres renvois fournis aux Tables générales, ouverture “mystique”, DS 17.487/8.
[47] Le choix effectué avant 1925 par A. Tanquerey Précis de Théologie ascétique et mystique, op. cit., s’avère filtré par le critère étroit d’orthodoxie propre à l’époque (on n’y trouvera évidemment pas Mme Guyon !), mais reste juste. -- La permanence doit satisfaire dans la longue durée au critère de stabilité essentiel validant tout travail tel que le nôtre : ce qui est vérifié si l’on considère les solides autorités du carme historien Honoré de Sainte-Marie, Tradition … sur la contemplation, t. I, 1708 ; de Mme Guyon et Fénelon, Justifications [1694], 1720 ; de Pierre Poiret (ouvert à l’univers protestant), Écrits sur la Théologie mystique…, 1700 (rééd. M. Chevallier, Millon, 2005).
[48] On reprochera à Pierre Janet de généraliser une approche faite à partir de la seule (et folle) Madeleine ; la même erreur méthodologique – une courbe n’est pas définie par un point – affecte d’autres théoriciens abordant le champ mystique. Michel de Certeau, si attachant par ailleurs, établit sa Fable mystique sur la figure (fragile) de Surin.
[49] A. Poulain, Des grâces d’oraison, (1901, 10e éd. 1922).
[50] Voir : G. Mursell, English spirituality, 2 vol., S.P.C.K, London, & Westminster John Knox Press, Louisville, USA, 2001, pour un tableau très complet couvrant la spiritualité propre aux Iles Britanniques ; grande bibliographie répartie par chapitres, complémentaire de la nôtre qui favorise le monde latin catholique.
[51] Un univers en soi ! Un choix ? La Philocalie (reprise des 11 vol. de l’éd. de Bellefontaine en 2 vol. : Desclée/Lattès, 1995) qui couvre les principaux auteurs jusqu’à la chute de Byzance). Pour la Russie : DS , art. “monachisme”& “Nil Sorskij” (E. Behr-Sigel) ; Vieux-croyants au XVIIe siècle & Avvakum (P. Pascal) ; renaissance au XIXe et début du XXe siècle : Séraphim de Sarov, starets d’Optino, Pèlerin russe, Spiridon, Chariton, Silouane ; modernes accessibles en français : L. Chestov (-1938), S. Boulgakov (-1944), S. Frank (-1950), V. Lossky (-1958), P. Evdokimov (-1970), Un moine de l’église d’Orient [Lev Gillet](-1980) ; la revue « Contacts » ouverte sur l’Occident.
[52] Sainte-Beuve, Port-Royal (1840-1867 ; rééd. Laffont, 2004) - H. Bremond, Histoire du sentiment religieux, op.cit.
[53] Il a été abordé par C. Belin, La Conversation intérieure, La méditation en France au XVIIe siècle, Honoré Champion, 2002.
[54] L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée, 1958.
[55] Henry F. Ellenberger, The discovery of the unconscious … the history and evolution of dynamic psychiatry, London, 1970, trad. française 1994, présente dans toute sa variété le domaine psychologique (et lui seul) depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle.
[56] Expériences mystiques en Occident I Des origines à la Renaissance, Les Deux Océans, 2012. [Expériences I].
[57] De telles concentrations statistiquement anormales sur de courtes durées et des localisations étroites se produisent par quelque alchimie discrète dans de nombreux domaines : philosophes du ~IVe siècle AC à Athènes, spirituels en terres d’islam au ~XIIe siècle (Ibn ‘Arabî, Ghazâli, Rûmî…), spirituels rhéno-flamands au ~XIVe siècle (Eckhart, Tauler, Ruusbroec…) ; dans un tout autre domaine l’on peut citer au XXe siècle les dizaines de scientifiques nobélisés pour la seule petite ville de Cambridge.
[58] Henri Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, tome II. L’Invasion mystique. Cette expression promise à un succès qui dépassa probablement la visée de son auteur a été discutée (Sophie Houdard, Les invasions mystiques, Paris, 2008).
[59] Dante présente cette représentation d’un « outre-tombe » (v. Masseron, La Divine Comédie, Paris, 1973, « carte » de la page 27) ; à ce monde ancien convient la procession dionysienne.
[60] Elles ont été présentées à la fin du volume I. Des origines à la Renaissance sous la forme d’un tableau : « Synthèse des filiations et influences du XIIe au XVIIe siècle », 320 sq. Nous nous limiterons ici aux deux derniers siècles couvrant « le jeu des influences de 1381 à 1594 ».
[61] « Troubles, Tradition et traducteurs » : cette section met particulièrement en valeur l’activité des chartreux (qui ne seront donc plus présentés par la suite).
[62] Des figures qui « connurent » le XVIIe siècle naquirent avant ou moururent après lui : on dépasse ainsi sa durée d’une demi-génération précédant puis succédant au siècle.
[63] Les entrées par noms d’auteurs sont attachées à une présentation chronologique élargie à d’autres traditions.
[64] La possibilité d’accéder aux éditions anciennes (via Google books par exemple) interdira probablement des éditions critiques dans le proche futur : « Pourquoi imprimer puisque l’on trouve tout sur internet ? » disent déjà certains.
Le problème se pose en premier lieu au niveau de la forme. Les érudits sont habitués à la lecture de fontes, orthographes, ponctuations anciennes. Mais les « amateurs », ceux qui aiment, seront-ils rebutés ? Heureusement l’étrangeté apparente (fontes anciennes, confusion des f et des s, etc.) ne résiste pas à quelques heures de pratique ; et une lecture ralentie est très favorable à l’abord des témoignages mystiques.
[65] Le Roi de France « Très Chrétien » résiste au Roi « Très Catholique » d’Espagne, avant de le dominer : résumé de l’évolution politique des deux premiers tiers du XVIIe siècle.
[66] La première « Grande Peste » se produit en 1348, la seconde en 1362 : la population est alors réduite à sa moitié ; les effets des épidémies suivantes seront moins dramatiques, mais elles se reproduiront jusqu’à 1720, dernière manifestation à Marseille, où elle provoque la mort du dévoué mystique François-Claude Milley (1668-1720) auquel nous consacrerons ultérieurement une section.
[67] Débuts vers 1338 ; 1346 Crécy ; 1453 reconquête du Bordelais.
[68] Grégoire XII (1406-1416) à Rome, Benoit XIII (1394-1423) à Avignon.
[69] « Cologne entre 1530 et 1580 connut sans doute l’une des plus fortes concentrations de talents spirituels et littéraires de l’histoire de l’Église catholique, dans les années même où son archevêque adhérait à la Réforme ! » (Louis de Blois, Institution spirituelle, édition bilingue, Éd. du Carmel – Centre Saint-Jean-de-la-Croix, 2004, Introduction, 13 note).
[70] Expériences I, « Institutions… », 124 sq., « Louis de Blois (Blosius) », 239 sq.
[71] v. DS 12.1519/25.
[72] Jean-Marie Gueullette, Eckhart en France, La lecture des Institutions spirituelles attribuées à Tauler, 1548-1699, Jérôme Millon, 2012 (outre l’étude très attendue, l’ouvrage contient la bonne traduction par le P. Noël des Institutions parue en 1913 comme tome VIII des Œuvres complètes de Tauler, Tralin, Paris). – Signalons ici la toute récente réédition de l’Imitations de la vie pauvre de N.S.J.C. (présentée dans notre précédent tome : Expériences I, 125 sq.) sous le titre : Jean Tauler, Le Livre de la pauvreté spirituelle, Arfuyen, septembre 2012.
[73] Institution spirituelle, éd. bilingue, 2004, op. cit. ; La Perle évangélique, traduction de 1602 par des chartreux, Millon, Grenoble, 1997.
[74] DS 12.735. – On les retrouvera largement exposées dans nos extraits de sa Reigle.
[75] DS 12.738/9 : Paul Mommaers éclaire (entre guillemets) puis traduit (italiques) l’ouvrage rédigé en flamand de Pelgrim Pullen.
[76] Nous consacrons bientôt une section à dom Augustin Baker en « 2. Traditions…, Permanence de l’Ordre bénédictin. »
[77] Expériences I, « Le cercle génois ; influences… », 218 sq.
[78] J. Orcibal, La rencontre du Carmel thérésien avec les mystiques du Nord, 1959.
[79] Expériences I, « Anne de Jésus », 295-296.
[80] Histoire du Christianisme, tome 8, « Le temps des Confessions », 432 sq. ; D. Crouzet, Les Guerriers de Dieu, 2 tomes, Champ Vallon, 1990, illustre par de nombreux textes d’époque les horreurs perpétrées par nos ancêtres intégristes.
[81] DS 5.899.
[82] Coutumes, Chapitre 28, n°3/4, v. DS 2.753.
[83] DS 2.758. Sur les éditions et traductions de Thérèse, v. C. Renoux, “Madame Acarie ‘lit’ Thérèse d’Avila…”, Carmes et carmélites en France…, Actes du colloque de Lyon en 1997, 117 sq.
[84] DS 1.1314/5.
[85] DS 1.1314/5 (art. Beaucousin par l’érudit M. Viller).
[86] Les références des œuvres de chartreux français, allemands, espagnols, italiens, couvrent environ quatre colonnes pour le XVIIe siècle, pour environ sept pour les autres siècles (sans compter les anonymes), dans « III. Travaux des chartreux sur la spiritualité », DS 2.760 sq.
[87] Hadewijch d’Anvers, Écrits mystiques des béguines [poèmes d’Hadewijch I et d’Hadewijch II], Seuil, 1954 (réédité); Hadewijch Lettres spirituelles, Béatrice de Nazareth Sept degrés de l’Amour, Ad Solem, 1972.
[88] Un chartreux, Écoles de silence, Parole et Silence, 2001 ; Le fil à plomb du monde, Aspects du taoïsme primitif (non publié) ; Dom Jean-Baptiste Porion, Amour et Silence et autres textes, documents inédits rassemblés et présentés par Nathalie Nabert, Paris, Beauchesne, 2012.
[89] Il se publie au total un même nombre d’ouvrages en latin et en français au XVIIe siècle, la proportion s’inversant progressivement au fil du temps en faveur du français. – Sur ces deux Institutions (à prendre au sens de fondements de la vie spirituelle) v. Expériences I, 124 (I. Taulériennes) & 239 (Louis de Blois).
[90] Erreur est au masculin au XVIIe siècle.
[91] La Perle évangélique, 1602, Édition établie et présentée par Daniel Vidal, Jérôme Millon, 1997, 587/8 (330v°-331r°).
[92] Luis de la Puente (1554-1624), jésuite castillan, théologien plutôt que mystique, auteur de Méditations sur les Mystères de notre sainte foi, ouvrage qui fut très largement lu.
[93] DS 6. 145/6. Traduction en 1602 de Pierre d’Alcantara, franciscain très influent sur Teresa, des principales œuvres de Jean de la Croix en 1621 (suivant de peu l’édition d’Alcala de 1618), du Cantique (A) en 1622 quelques mois après la mort d’Anne de Jésus, de l’Echelle de Jean Climaque en 1621…
[94] Les traductions de l’ensemble de l’œuvre de Jean de la Croix par Cyprien de la Nativité, éditées en 1641, seront certes plus belles, en particulier pour la traduction des poèmes (des vers « de mirliton » ont nui à l’appréciation du sensible travail de Gaultier). Mais Cyprien est déjà influencé par l’école de Port-Royal sinon par un esprit janséniste qui fait appel aux mérites d’où quelques contresens de sa traduction. Plus tard, en 1680, le « Général des chartreux » dom Le Masson installera certes une imprimerie à la Grande Chartreuse reconstruite après un incendie, mais à part les ouvrages ascétiques ou de controverses de ce dernier, « on n’y imprima guère que les Statuts de l’ordre, le Directoire des Novices et les livres liturgiques ».
[95] Réédition : Jean de la Croix, Œuvres complètes, Cerf, 2000 – Ce partage devient parfois explicite quand elle ajoute un membre de phrase précisant le sens, mais absent de l’original espagnol.
[96] Ruusbroec l’Admirable, L’Ornement des Noces spirituelles, Traduction de 1606 par un chartreux de Paris, in : « La Pierre brillante, Traduction et commentaire par Max Huot de Longchamp, Sources mystiques », Centre Saint Jean-de-la-Croix / Éditions du Carmel, 2010, 276/7.
[97] Harphius, Théologie mystique…, traduction [sur l’édition postérieure à la censure romaine] par J.-B. de Machault, Paris, 1616 (dont le « Livre troisième intitulé … Paradis des Contemplatifs » [l’Eden], 622-847). Citation : 631.
[98] Date tardive par discrétion envers Anne de Jésus morte en 1621 ; en 1627 le Cantico paraît enfin à Bruxelles - il ne figurait pas dans la première édition d’œuvres de Jean de la Croix (Alcalà, 1618). On lira cette belle traduction, reflet précieux de la version A, dans Saint Jean de la Croix, Cantique d’Amour divin traduit par René Gaultier (1622), texte établi et présenté par M. Huot de Longchamp, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, 1998.
[99] Saint Jean de la Croix, Cantique d’Amour … (1622), op. cit., 15 : traduction dédiée « Au Révérend Père Archange, Gardien du couvent des pères capucins de Saint-Honoré, Près Paris. » Le manuscrit apporté par Anne de Jésus circulait donc ! Gaultier avait déjà traduit l’édition espagnole de 1618 (qui ne contenait pas le Cantique). Les critiques envers les mystiques étaient déjà fort vives, comme en témoignent les péripéties d’éditions de la Reigle de Benoit de Canfield (1608 pour sa troisième partie) qui s’abstiendra de toute édition d’écrits postérieurs…
[100] L’importance du fond précède celle de la forme quand il s’agit de mystique. En fait, très peu de pratique suffit pour apprécier une langue rocailleuse mais savoureuse, riche et par là précise. Un glossaire est toutefois utile, tel que ceux fournis par J. Orcibal pour la Reigle de Benoît de Canfield, ou par D. Vidal pour la Perle. Le Lexique de l’Ancien Français de F. Godefroy, réédition Champion Classiques (poche), 2003, s’avère très utile.
[101] « Quinze procès par an en moyenne entre 1615 et 1700 à Saragosse, contre soixante-quinze de 1560 à 1615. Vingt-trois contre quarante-deux à Tolède ». Trente-deux mille « brûlés » sur un grand total de trois cent quarante mille condamnations « sérieuses » en Espagne de 1481 à 1808 ? (B. Bennassar, L’Inquisition espagnole, XVe-XIXe siècles, Hachette, 2001, cit. page 29 & relevé page 15) - Sur le théâtre et le rôle de la terreur, voir l’ouvrage célèbre de M. Bataillon, Erasme et l’Espagne, 745, 753, 770 sq.
[102] Vida, ch. 32, 1-3, « vision » du début du mois de septembre 1560. – Les grands autos de Valladolid et de Séville ont lieu en 1559 et 1561 - Le thème de l’enfer se présente 84 fois dans ses écrits (Diccionario de Santa Teresa de Jesus, Monte Carmelo, 2000, 801).
[103] Les mystiquesles célèbres rencontrés au tome I étaient Bernard et Guillaume de Saint-Thierry, François d’Assise, Ruusbroec, Teresa et Juan de la Cruz.
[104] Mystiques accomplis comme ceux de la note précédente : des réformatrices bénédictines, les carmélites Marie de l’Incarnation et Madeleine de Saint-Joseph, le grand carme Jean de Saint-Samson, le capucin Benoît de Canfield, le franciscain Jean Chrysostome de Saint-Lô…
[105] Pour exemple citons l’excellent livre d’Yves Krumenacker, L’école française de spiritualité. Des mystiques, des fondateurs, des courants et leurs interprètes, Cerf, 1998. Rempli de respect pour Bérulle, l’ouvrage n’aborde que rarement certains spirituels que nous présentons longuement.
[106] Une liste de Figures remarquables présentées par ordre chronologique conclut notre enterprise et constitue un outil de référencement (v. tome V). Son analyse confirme la réalité d’un essor exceptionnel concentré sur la première moitié du Grand Siècle.
[107] Thomas d’Aquin, De veritate, q. 27 a. 1 : « Voluntas ejus est efectrix boni et non causata a bono sicut nostra », DS 3.1428 (art. « Divinisation »). – Nous livrons en italiques les citations d’époques anciennes ; ou en caractères romain avec retrait les citations longues d’auteurs récents. Cela facilite l’alternative histoire ou florilège, lecture continue ou saisie en liberté à fin spirituelle.
[108] Histoire du christianisme, tome IX, « L’âge de raison… », Desclée, 1997, 932-933. - Voir aussi « Quatrième partie », chap. II & V par F. Laplanche, 931sq. & 1089 sq.
[109] Denis Crouzet, Les guerriers de Dieu, La violence au temps des troubles de religion, vers 1525 – vers 1610, Champ Vallon, 1990, t. I et II. [ l’angoisse et la peur sont sources de violence].
[110] J. Rohou, Le XVIIe siècle, une révolution de la condition humaine, Seuil, 2002, 14-15.
[111] Le Shinto fut intrumentalisé dans un sens nationaliste ; l’umma musulmane est invoqué par des intégristes très semblables aux guerriers de Dieu si bien présentés par D. Crouzet, op. cit.
[112] J. Rohou, op.cit. , 20 et 21.
[113] La science ne laissera pas le temps de reprendre son souffle, comme le soulignent les décès proches de Galilée (-1642), de Descartes (-1650), de Pascal (-1662) ; en attendant une ‘seconde vague’ qui achèvera ‘ l’École ’ et ses tenants : Leibniz (-1716), Newton (-1727)…
[114] L’existence du vide, le jeu et son approche statistique, l’arithmétique mise en machine.
[115] Dans le Tractatus theologico-politicus (1670), Traité des autorités théologique et politique. Première traduction française ‘huguenote’ en 1678. La même année 1678, l’oratorien Richard Simon reproche aux théologiens de n’avoir « pas fait assez de réflexion sur les différentes manières de parler de l’Ecriture ». Il ouvrira des débats avec les réformés et sera critiqué par Bossuet.
[116] Première république des Provinces-Unies (1588-1621) : Oldenbarnevelt est exécuté, Grotius parvient à fuir ; deuxième république (1650-1672) : les frères De Witt sont assassinés. Première révolution anglaise (1640-1660), illustrée par Cromwell, J. Milton ; deuxième révolution (1688), illustrée par Locke et la rule of law. Puis Déclaration d’Indépendance américaine (1776) (P. Nemo, Histoire des idées politiques…, P.U.F., 2002, 213 sq. ). - Enfin en France vint la « Grande Révolution » ! Mais elle sera suivie de retours de toutes formes politiques possibles (cf. J. Julliard, Les Gauches françaises 1762-2012, Flammarion, 2012).
[117] P. Nemo, op. cit., 115 sq. – Respect moral guère possible pour le Grand Turc, le Grand Soufi ou le Grand Moghol, car l’Etat de droit n’existe pas dans les despotismes purs où la lutte pour la prise du pouvoir n’est plus canalisée : effet pervers imprévu d’une séparation à priori souhaitable entre pouvoirs civils et religieux en terres d’Islam (le vizir assassin est proclamé calife dans la grande mosquée le vendredi qui suit sa prise de pouvoir).
[118] Ibid., 135.
[119] Ibid., 131. « Les lettres « de cachet » sont une variante des lettres « closes » (par opposition à «patentes »). Elles sont des « ordres du roi ». Or nul tribunal n’a le droit de connaître de ces ordres. Le 26 juin 1759, Louis XV dit aux représentants du Parlement de Paris : « Par des considérations ou des raisons d’État dont les magistrats ne peuvent être juges, le roi peut, sans donner atteinte aux lois, user du pouvoir qui réside en sa personne par des voies d’administration dont qui que ce soit ne doit se dire exempt dans son royaume. »
[120] P. Nemo, page 132, se réfère à Olivier Martin, Les Parlements contre l’absolutisme traditionnel au xviiie siècle, 463-465 .
[121] D. Crouzet, op.cit.
[122] M. Bataillon, Erasme et l’Espagne, 1937, évoque les épreuves vécues par les réformé(e)s du Carmel espagnol ; voir sur un autre aspect mondial mais souvent oublié : Histoire du christianisme, tome IX, L’âge de raison…, Desclée, 1997, 615-664 décrivant la colonisation du Nouveau Monde ; C. G. Calloway, One vast winter count, Nebraska, 2003, quantifie le terrible sort des Indiens à l’âge des conquistadors (et des épidémies ; ce dernier point à compléter par Jared Diamond, Guns, germs and steel […], 1997, trad. De l’inégalité parmi les sociétés, 2000.
[123] L. Kolakowski, Chrétiens sans Eglises, la conscience religieuse et le lien confessionnel au XVIIe siècle, 1969, 29-30.
[124] Ce qui eût été positif sans le contrôle théologique scolastique. Notons l’apport : des relations ordonnées par les confesseurs ; de centaines de Vies imitées de la Vida offerte par sainte Thérèse contrôlée par ses confesseurs jésuites ouverts ; les relations par et sur Marie des Vallées, Armelle Nicolas, Marie de l’Incarnation, Maria Petyt, madame Guyon, dont nous allons tirer grands partis ; les tentatives d’explicitation de vocabulaire publiées par les mystiques catholiques (Sandaeus, Civoré, Guyon, Honoré de Sainte-Marie).
[125] J.Rohou, op.cit., 118.
[126] Cité par J. Orcibal, “Les spirituels…”, Etudes d’histoire et de littérature religieuse, Klinsieck, 1997, 219 - et repris dans “John Wesley”, 533.
[127] Tarissement jugé d’après les seuls imprimés. Une immense masse de manuscrits spirituels furent toujours créés et abrités au sein de clôtures. Mais elles sont aujourd’hui en voie de disparition rapide : tous les efforts possibles de ‘sauvegarde du patrimoine’ sont requis ! Nous avons pour notre part assisté au transfert de la bibliothèque jésuite de Chantilly puis du fond issu du Grand carmel de Paris : un monde disparaît, non physiquement, mais en repérage possible dans des ensembles à dimension humaine abritant tel connoisseur amoureux.
[128] Louis Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée, 1958 (réédition 1991). La plus grande partie de cette célèbre étude porte sur madame Guyon.
[129] Jacques Le Brun, dans le cours magistral qui acheva ses séminaires dispensés à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, insista sur une nécessaire recherche de continuité. Il s’agit de dépasser des querelles que l’on espère caduques pour retrouver le fil qui en occident relie l’antique chrétienté aux philosophes et aux créateurs de nouvelles sciences.
[130] Pour Madame Guyon, Louis Cognet, Jean Orcibal, Louise Gondal ; pour Fénelon, les chercheurs sont trop nombreux pour leur rendre justice.
[131] Le groupe suisse de Morges-Lausanne étudié par Chavannes, le groupe écossais d’Aberdeen étudié par Henderson.
[132] Cependant Bernières « prit l’habit de notre ordre » (Jean-Marie de Vernon) et se plaignit de ne pouvoir vivre la pauvreté ; des vœux de pauvreté sont attestés chez madame Guyon (tous deux appartenaient à de riches familles).
[133] Bremond, Sentiment religieux, VII, 321 sq. Le prêtre breton et le “vigneron de Montmorency” sont deux personnages excentrés, et parfois excentriques, dont les images naïves plaisent au conteur de beaux récits illustrés.
[134] Catherine de Bar.
[135] Note explicative d’une mystique inconnue, ms. N 249, Catherine de Bar, Documents historiques, Bénédictines du Saint-Sacrement, Rouen, 1973, 143-144. Voir Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, Un florilège établi par D. Tronc avec l’aide de moniales de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, coll. « Chemins mystiques », Série « Mectilde », HC
[136] La position centrale occupée par le mot « apostolus » dans le De Praescriptione haereticorum de Tertullien laisse place au mot « Deus » dans le De interpellatione Job and David d’Ambroise de Milan lorsque toute référence apostolique a disparue (ces deux compositions littéraires sont traduites « scientifiquement » in A. Barcala, J. de Montgolfier, D. Tronc, Nuevas formas de analisis de textos con cerebros electronicos, Universidad Pontifica Comillas, Madrid, 1976 [sic] : une première révélation où les rapports interpersonnels précèdent une croyance établie).
[137] Les noms cités dans D. Tronc, “Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon”, XVIIe siècle, n° 218, n° 1-2003, 95-116.
[138] V. infra le procès-verbal des rares livres saisis dans la chambre du pasteur Dutoit à Lausanne à la fin du XVIIIe siècle. Les auteurs sont : Bernières, Bertot, Guyon, Poiret (qui édita Guyon et Bertot).
[139] Son fils, dom Martin, était mystique : il préserva l’œuvre de sa mère et prit la défense du Moyen court de madame Guyon.
[140] Théologie mise en valeur par Syméon « le Nouveau Théologien » ou dans la Théologie mystique d’Hugues de Balma.
[141] Expériences mystiques en Occident, I , 17 sq.
[142] Choix très personnel établi par rencontres et lectures ; donc à compléter.
[143] Pagination du Totum ; appels de notes livrées au fil du texte principal en indentation et petit corps ; chapitres en petites majuscules.
[144] Outre l’achat recommandé de cette édition française, je suggère l’intérêt d’acquérir les « Fonti Francescane » en « édizione tascabile » (ce qui n’est guère possible pour le Totum français couvrant deux fort volumes). Le « FF » livre de nombreux textes italiens allant de François (Cantico di Frate Sole...) aux « Fioretti » (omises dans le Totum au profit des « Actes »). C’est une « bible de voyage » de 2363 pages, €32, volume relié solide et compact. Il comporte « en prime » les écrits de et sur sainte Claire. Son italien est facile et très lisible...
[145] Il s’agit de Marie des Vallées (-1656), simple paysanne influente sur le groupe mystique normand auquel appartenait saint Jean Eudes, l’auteur du Manuscrit de Québec cité ici (partie 9, chapitre 6, « De la contemplation »).
[146] Frères mineurs réformés au début du XVIe siècle pour se conformer au programme de vie pratiqué par François : place importante de la vie de prière (double méditation quotidienne), emprunts aux pratiques des ermites, pauvreté, pénitence, charité, prédication. Certains d’entre eux ouvraient les âmes à la vie mystique. Avant de franchir les Alpes en 1574 pour venir en France, ils étaient plus de trois mille Italiens répartis en trois cents couvents.
[147] Véritable et miraculeuse conversion du R. P. Benoist de Canfeld... par le sieur de Nantilly, 1608, p. 126.
[148] Piquer d’aiguilles était un moyen utilisé pour révéler une possible « possession diabolique » : le test fut appliqué par la célèbre Inquisition de Rouen sur Marie des Vallées.
[149] J. Brousse, La Vie du R.P. Benoît de Canfeld, Paris, 1621, p. 575.
[150] H. Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, Tome II, « L’invasion mystique », chapitre III.
[151] Madame Acarie (1566-1618), future Marie de l’Incarnation, la plus illustre de ses nombreuses dirigées.
[152] Marie de Beauvilliers (1574-1657) exposera à l’intention de ses « filles » religieuses la doctrine de Benoît dans son bel Exercice divin, ou pratique de la conformité de notre volonté à celle de Dieu.
[153] Justifications, [dernière clé] LXVII « Volonté de Dieu », pages 254-255 du tome III de l’édition de 1790.
[154] Lettre du 10 août 1593 dont nous donnons en fin de ce volume quelques extraits éclairant la « volonté de Dieu ».
[155] Benoît s’oppose à tout intellectualisme, comme à toute sensibilité imaginative.
[156] Benoît de Canfield, La Règle de Perfection – The rule of
Perfection, J. Orcibal, P.U.F., 1982, “Introduction”, p. 23.
[157] Reigle, III, 4. Même dans l’édition revue de la version « officielle » de 1610, Benoît continuera à affirmer : « Encore que nous ayons la représentation d’un crucifix, l’immensité de la foi l’absorbe et l’anéantit. » (Reigle, III, 17).
[158] Une « abstraction » non pas au sens intellectuel, mais où toutes les facultés sont suspendues dans l’extase.
[159] Canfield, Exercice , Seconde Partye, Chap. I, in J. Orcibal, op.cit., p. 66. – Ce texte préfigurant la Reigle fut rédigé autour de 1590.
[160] « Te voici aujourd’hui arrivé riant, arrivé telle la clé d’une prison. / Tu es venu chez les pauvres comme une aumône… » (Rumi, Odes mystiques, Klincksieck, 1973, Ode 1, p. 17).
[161] L'histoire du village est celle de la famille de Barbançon. Il reste des vestiges du château seigneurial. Situé tout près de la frontière, côté belge, près de Beaumont, au S.-W. de Charleroi, Barbençon fut élevé au rang de principauté en 1614 et fut acquis par la France en même temps que Maubeuge en 1678. - Barbençon disposait déjà de forges et d’une verrerie au XVIe siècle.
[162] On sait que les capucins reçoivent un nouveau prénom (l’entrée dans les bibliographies), suivi de la ville de naissance : ici Beaumont, ville voisine du village de Barbençon.
[163] P. Hildebrand, « Le P. Constantin de Barbençon », Etudes franciscaines, 1930, 586-594. Cet article est une étude solide sur notre auteur. On y trouvera en notes les sources détaillées justifiant les informations biographiques. Nous lui empruntons largement comme le fît en lui rendant hommage l’éditeur bénédictin des Secrets sentiers publiée à Solesmes en 1932.
[164] Tota provincia spiritualizata : multi patiebantur extases et raptus.
[165] Les secrets sentiers de l’amour divin…, Noettinger éditeur, Desclée et Cie, 1932, dorénavant cité [ Secrets Sentiers, éd. 1932 ], « Préface des éditeurs », xj. – Le vivant Nécrologe des capucins de la province de Paris, folio 109r°, note qu’un Père « Simphorien fut trouvé mort dans les champs … il allait prêcher… ». Souvent les capucins meurent courageusement au service de pestiférés. On se reportera à notre présentation de ce Nécrologe qui témoigne de l’élan qui animait la jeune réforme capucine dans le tome III de La vie mystique chez les franciscains du dix-septième siècle, Coll. « Sources mystiques », 2014.
[166] Francis Nugent entre chez les capucins en 1589 à 20 ans et meurt à Charleville en 1635.
[167] « Préface des éditeurs », xij, in Secrets Sentiers, éd. 1932.
[168] Secrets sentiers, éd. 1932, page 397.
[169] « Les secrets sentiers de l’esprit divin », manuscrit 2367 réserve de la Bibl. Franciscaine de Paris - Le manuscrit précède l’édition de 1623 en français. Voir P. Willibrord de Paris, « Note sur un ms. des Secrets sentiers… », Etudes Franciscaines, 1950, pages 97-102. Cette note décrit physiquement ce ms. puis après avoir souligné combien les deux textes divergent rapidement, conclut : « pas de doute, semble t-il, que notre manuscrit ne soit un des premiers états » des Secrets sentiers publiés. Ceci nous a incité à déchiffrer un manuscrit difficile (nous en reproduisons une double page infra) puis, devant sa fraîcheur et l’élan qu’il veut communiquer aux moniales, à le transcrire autont qu’il a été possible pour le livrer ici.
[170] [Secrets sentiers, éd. 1932), reproduit en fin de volume deux lettres du P. Constantin à Florence de Werquignoel : la première, sans intérêt pour nous, détaille le don de reliques ; la seconde du 3 mai 1613, évoque un Traité de l’oraison : en provient cette citation, page 403. – Cette lettre fait dire à l’éditeur de 1932 qu’« il appert qu’au moins une première rédaction des Secrets sentiers était déjà faite en 1613… » - ce qui sera confirmé par la découverte ultérieure du manuscrit des Secrets sentiers de l’Esprit divin.
[171] P. Hildebrand, op.cit., 589.
[172] [Apollinaire de Valence], Histoire des capucines de Flandre écrite au XVIIIe siècle par une religieuse de cet ordre, Paris, Poussielgue, 1878, 3 tomes.
[173] [Apollinaire de Valence], Histoire des capucines de Flandres… op.cit, III, 529 ; P. Hildebrand, op.cit., 590 ; [Secrets sentiers, éd. 1932], « Préface des éditeurs », xviij-xix.
[174] Anatomie de l’âme et des opérations divines en icelle, qui est une addition au livre des Secrets sentiers de l’amour divin enseignant en quoy consiste l'avancement spirituel de l'âme dévote et le vray état de la perfection… par le R. Père Constantin de Barbanson, Prédicateur Capucin, Définiteur de la province de Cologne et gardien du couvent de Bonne, à Liège, 1635. - Il venait d’envoyer le volume aux censeurs de l’université de Douai (et non à ceux de Cologne ! P.Hildebrand, op.cit., 594).
[175] Date discutée par Hildebrand, op.cit., 592.
[176] Dictionnaire de Spiritualité [DS] 2.1635 (voir bref art. « I. Constantin de Barbanson » par Candide de Néant, col. 1634-1641) et Secrets sentiers, éd. 1932.
[177] Archives de l'ancienne province Flandro-belge citées dans : [Apollinaire de Valence], Histoire des capucines de Flandre…, op.cit., tome I, 319, note ; P. Hildebrand, op.cit., 591.
[178] « La formation de la légende montre au moins la haute idée qu’on avait de la sainteté éminente de notre mystique », ajoute P. Hildebrand, op.cit., 592.
[179] Hugues de Balma, chartreux qui vivait autour de 1300, est l’auteur d’une Théologie mystique, heureusement disponible et traduite : coll. Sources Chrétiennes, n° 408-409.
[180] On dispose pour ce dernier en traduction française de “La Sainte Sapience ou les voies de la prière contemplative”, Plon, 1954 pour le tomeI, 1956 pour le tome II (recommandé).
[181] “…petit et excellent traité des Sentiers secrets de l’amour divin … et qui en effet est une espèce de système mystique … Je n’ai pas vu son Anatomie de l’âme. Cet auteur est expert, pénétrant, court et fructueux.” (“Lettre sur les principes et les caractères des principaux auteurs mystiques et spirituels des derniers siècles”, notice n° 14, in Ecrits sur la Théologie mystique… de Poiret, présentés par Marjolaine Chevallier, 2005, 143).
[182] Théotime de ‘s Hertogenbosche, « Le Père Constantin de Barbanson et le Préquiétisme », Collectanea franciscana, Assisi, juillet 1940, 338-382 & P. Théotime de Bois-le-duc, « La doctrine mystique du P. Constantin de Barbanson », Etudes franciscaines, 1951, 261-270, 411-425.
Nous pouvons oublier le plus ancien des deux articles ; 340 : « Toute l’Anatomie …n’est qu’une polémique …contre …des abus préquiétistes » [?] ce qui permet de reprendre le refrain anti-quiétiste traditionnel, dont les accusations contre la secte des Guérinets ; 346 : ils « ont livres affectés outre ceux du P. Benoît, qu’ils indiquent et interprètent et recommandent à leurs affidés, particulièrement Rusbrochius, Taulère, sainte Catherine de Gênes, Jean de la Croix et autres… » [en fait un excellent choix mystique !]. La conclusion de Théotime qui porte sur la collusion entre protestants et quiétistes est datée (on se situe encore tôt, peu après la « querelle du modernisme » du début du XXe siècle). Les pages 351-355 offrent par contre un utile travail de mise en correspondance avec Benoît de Canfield et avec un traité du Père Joseph de Tremblay « l’éminence grise de Richelieu ».
Par contre le second article du P. Théotime est un travail accompli dix ans plus tard en pleine maturité. Il souligne très utilement des points clefs. Nous avons la chance que cet article néerlandais ait été traduit par le P. Willibrord de Paris, capucin qui a signalé l’intérêt du manuscrit source de l’Esprit divin, érudit auquel nous sommes donc redevable par deux fois.
[183] Dictionnaire de Spiritualité, 2.1634-1641.
[184] Le Lexique de l’ancien français de Godefroy (Champion Classiques, 2003) nous servira de guide.
[185] Secrets sentiers, éd. 1932, 407, l’éditeur définit ainsi l’Anatomie dont il donne un résumé.
[186] P. Hildebrand, Les premiers capucins belges et la mystique, Revue d'Ascétique et de Mystique, 1938, 245-294. – v. les études par Orcibal.
[187] Benoît né en 1562 rédigea sa Reigle avant 1593, probablement avant d’avoir trente ans.
[188] Ce point assez perceptible dans son dernier ouvrage a probablement échappé à la vigilance inquisitoriale. Surtout le capucin Constantin était protégé par son Ordre prestigieux ; sa vie fut exemplaire ; enfin l’édition post-mortem de l’Anatomie passa probablement inaperçue et demeura la seule, devenue très rare.
[189]
Jugement tranchant et probablement hâtif : Dominique avait-il lu la troisième
partie de la Reigle ? et Benoît se
limitait dans son ouvrage à la pratique de l’oraison (Tours, B.M., ms.
[190] « Note sur un manuscrit des secrets sentiers du P. Constantin de Barbanson (B.F.P. 2367 Rés.) », Etudes franciscaines, 1950, 97-102.
[191] La description des cinq premiers opuscules est suivie de leur analyse pages 98 et 99.
[192] Notre requête au fond d’archives de Douai n’a livré aucune découverte. Nous ne nous sommes pas adressé à d’autres fonds.
[193] Notre enquête auprès de fonds de Douai n’a rien livrée comme autre source. Nous n’avons pas poursuivi de recherche en pays Rhénans.
[194] Citation de l’envoi “A Dieu tout-puissant souverain roi du ciel & de la terre”.
[195] Première partie, chapitre 1, avec citation de l’Apocalypse, 3, 20.
[196] Amour 429 occurrences (Dieu 624, cœur 252). – Citations des “Moyens pour acquérir la vraie humilité”.
[197] Moyens pour acquérir cet amour divin. Chapitre 6.
[198] Seconde partie, « Chapitre 4, …de la vraie élévation d’esprit.” (m160).
[199] “Moyens pour acquérir cet amour divin”. Chapitre 6. – Les énergies données par grâce “transforment l’intelligence en certitude à l’égard de l’indifférencié. Elles purifient également l’identification erronée du Soi au différencié…” (Spandakarika, trad. Lilian Silburn, 1990, 52-53).
[200] “Aucuns advis touchant le chemin de la perfection et oraison mentale”. (les deux citations).
[201] Seconde partie. “Sommaire et abbrégé de tout le chemin de l’oraison mentale”. Chapitre 1. – Début du chemin de tous les mystiques : “Je ne laissai pas de lui parler, et de lui dire en peu de mots mes difficultés sur l’oraison. Il me répliqua aussitôt : C’est, Madame, que vous cherchez au-dehors ce que vous avez au-dedans. Accoutumez-vous à chercher Dieu dans votre coeur et vous l’y trouverez.” (Madame Guyon, Vie par elle-même, 1.8.6 : sa rencontre avec le ‘bon franciscain’.).
[202] “D’une autre façon de Méditation propre à ceux qui déjà quelque temps se sont exercés en la précédente”. Chapitre 3.
[203] Ibid.
[204] Il s’agit d’une “prière brève, qui part d’un cœur brûlant dans un élan très intense […] préparation à […] une prière sans forme et sans paroles dans la contemplation de Dieu et l’union avec lui” par ceux qui ont soif d’une “élévation de l’esprit en Dieu […] comme une étincelle qui sort du brasier ardent de l’amour de Dieu”. (voir D.Tronc, Expériences mystiques en Occident, II, 148, citant C.Janssen, « L’oraison aspirative… », puis les Directoires des novices de 1650-1651).
[205] “De la montagne de la vraie oraison mentale ou bien de la vraie élévation d'esprit”. Chapitre 4.
[206] bord coupé comme pour les mots reconstitués qui suivent.
[207] accoisement : apaisement
[208] presencialité : état de celui qui est présent – le fait de la présence réelle dans l’Eucharistie.
[209] Constantin tourne et retourne sur l’Union indescriptible.
[210] Sublimer : élever, exalter.
[211] “De la présence de Dieu ou bien de la région déiforme”. Chapitre V.
[212] rencontre : combat (3e et 4e sens Littré)
[213] De l’état de privation ou soustraction des grâces divines, qui est la disposition immédiate pour le dernier état de la perfection. Chapitre 6.
[214] Affirmation abrupte …et par là discutée mais très bien expliquée par ce qui suit dans ce paragraphe. Il n’y a pas de second !
[215] Assemblage d’objets divers sans grande valeur (Littré 2e sens).
[216] Pourpris : enceinte, habitation.
[217] Toutes les citations proviennent du même chapitre 6.
[218] “Du dernier état de la perfection qui est la jouissance du vrai Esprit de Dieu, ou bien de la vie superessentielle”. Chapitre sept.
[219] Constantin a soin de souligner les périodes vécues assez longues de va-et-viens ou alternance d’états, par des aller-retours entre les « élèvements » et des états de « pauvreté ». Ceci sera constamment repris et souligné dans son Anatomie de l’âme (c’est l’une de ses précieuses originalitées). L’état mystique n’est pas ressenti comme permanent (au plan psychologique) mais par contre le mystique a une certitude de bonne fin par ses expériences répétées.
[220] Ce travail, Les secrets sentiers de l’amour divin…, Desclée et Cie, 1932, s’inscrit dans la grande tradition des rééditions et études de textes mystiques conduits par des bénédictins de l’abbaye de Solesmes (il s’agit de l’œuvre de Marie de l’Incarnation du Canada par dom Jamet et dom Oury, du Nuage d’Inconnaissance ainsi que de L’Echelle de la perfection traduits par dom Noetinger ; plus récemment, de la mise en valeur par dom Thierry Barbeau des écrits propres à dom Claude Martin, le fils de Marie de l’Incarnation). - Le beau travail de mise en valeur de Constantin fut critiqué assez durement par le capucin Hildebrand, Etudes franciscaines, 1933, 236-237.
[221] Constantin de Barbanson I Les secrets sentiers de l’Esprit divin, manuscrit précédant Les Secrets Sentiers de l’Amour divin, « Etudes » [ dont « La doctrine mystique… » ], 325-372.
[222] Expériences mystiques en Occident II L’invasion mystique des Ordres anciens, Les Deux Océans, Paris, 2012, « Constantin de Barbanson, capucin rhénan », 291-304 [suite à un oubli de niveau de titre du nom, sa référence a disparue de la table des matières placée en tête de volume] - La vie mystique chez les franciscains du dix-septième siècle, Tome II, Florilège de figures mystiques de la réforme capucine, coll. « Sources mystiques », Centre Saint-Jean-de-la-Croix, 2014, 183-233 [un choix de textes abondant porte sur les deux Sentiers, dont celui de l’Amour divin couvre les pages 193 à 233].
[223] Anatomie de l’âme et des opérations divines en icelle, qui est une addition au livre des Secrets sentiers de l’amour divin enseignant en quoy consiste l'avancement spirituel de l'âme dévote et le vray état de la perfection… par le R. Père Constantin de Barbanson, Prédicateur Capucin, Définiteur de la province de Cologne et gardien du couvent de Bonne, à Liège, 1635. - Il venait d’envoyer le volume aux censeurs de l’université de Douai (et non à ceux de Cologne : voir P. Hildebrand, « Le P. Constantin de Barbançon », Etudes franciscaines, 1930, 586-594). Un bref résumé de l’Anatomie est donné en annexe à Secrets sentiers édité par Noettinger, Desclée et Cie, 1932. - Au sens figuré Anatomie signifie : analyse, examen : « Le prédicateur a fait une analyse des passions du cœur humain qui égale les maximes de M. de la Rochefoucauld » (Fénelon, cité par Littré).
[224] P. Hildebrand, « Les premiers capucins belges et la mystique », Revue d'Ascétique et de Mystique, 1938, 245-294.
[225] Cet ordre de présentation est favorable pour un Jean de Saint-Samson (1571-1636) où ses développements mystiques s’imposent avant d’entrer dans les particularités propres à la formation des novices (règle, etc.) ou au temps (démonologie) ; il l’est moins dans les innombrables traités spirituels qui commencent par les débuts de toute vie intérieure que l’on suppose assez largement partagés.
[226] Dict. de Spir., 2.1634/41.
[227] Anatomie de l’âme et des opérations divines en icelle, qui est une addition au livre des Secrets sentiers de l’amour divin enseignant en quoy consiste l'avancement spirituel de l'âme dévote et le vray état de la perfection… par le R. Père Constantin de Barbanson, Prédicateur Capucin, Définiteur de la province de Cologne et gardien du couvent de Bonne, à Liège, 1635. - L’exemplaire issu de la bibliothèque jésuite de Chantilly, aujourd’hui en dépôt à la bibliothèque municipale de Lyon, est accessible sous Google books : Anatomie_de_l_âme_et_des_opérations_di.pdf
Constantin venait d’envoyer le volume aux censeurs de l’université de Douai (et non à ceux de Cologne ! voir P. Hildebrand, « Le P. Constantin de Barbançon », Études franciscaines, 1930, 586-594. Cet article est la plus solide étude disponible). - Un bref résumé de l’Anatomie est donné en annexe à Secrets sentiers, Noettinger éditeur, Desclée et Cie, 1932. - Au sens figuré « Anatomie » signifie : analyse, examen comme illustré par la citation suivante : « Le prédicateur a fait une analyse des passions du cœur humain qui égale les maximes de M. de la Rochefoucauld » (Fénelon, cit. Littré).
[228] Constantin de Barbanson, I Les Secrets sentiers de l’Esprit divin, « Un mystique spéculatif flamand d’expression française », 15-31.
[229] P. Hildebrand, « Les premiers capucins belges et la mystique », Revue d'Ascétique et de Mystique, 1938, 245-294.
[230] Dict. de Spiritualité, 2.1634/41.
[231]
Secrets sentiers de l'Amour divin
esquels est cachee la vraye sapience celeste & le royaume de Dieu en nos
ames. divisez en deux parties. la premiere, contenante aucuns poincts
necessairs d’estre sceus, & exercés par celui qui veut qui veut s’avancer
au chemin de la perfection. la seconde, contenant une entiere description &
poursuite de tout le chemin d’oraison mentale, par lequel on parvient à la
jouissance du divin amour. A Coulogne, chez Iean Kinckius Libraire, 1623
- A Douay, chez Balthasar Bellere du
compas d’or, 1629.
[232] Nous les regroupons en fin de cette édition de la dernière partie de l’Anatomie en utilisant un petit corps convenant à des développements très oratoires.
[233] A cette expression d’Henri Bremond auteur d’une « Invasion mystique », tome II de l’Histoire littéraire du sentiment religieux en France, on peut préférer le titre de « Conquête mystique » attachée aux tomes III à VI. En effet de nombreuses réformes s’effectuèrent dans le même temps « sur place ».
[234] La Theologia mystica d’Harphius (1400-1477), franciscain et « héraut » de Ruusbroec, fut traduit par J.-B. de Machault en 1617 sur l’édition corrigée latine (Cologne, 1538, 1545, 1556…). Le texte latin ou sa savoureuse traduction furent lus tout le long du siècle.
[235] En témoigne la place exceptionnelle qui lui est accordée dans le Catalogue de tous les Religieux Capucins qui sont morts en la Province de Paris..., nécrologe essentiel pour connaître les membres de l’ordre et notre Martial (ms. du château du Titre). – Bremond a parcouru rapidement les textes du « panmysticisme franciscain » et ne cite qu’en passant Martial (tome VII, 267) ; ce dernier est donc presque ignoré de nos jours.
[236] Louis Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet – Fénelon, 1958.
[237] Histoire de la Fondation et de l’évolution de l’Ordre des Frères mineurs au XIIIe siècle du P. Gratien, 1928 ; L. Iriarte, Histoire du franciscanisme, Cerf, 2004 ; G.G. Merlo, Au nom de saint François, histoire des frères mineurs et du franciscanisme jusqu’au début du XVIIe siècle, Cerf, 2006.
[238] Le terme « opposition » résume trop brutalement la complexité du réel : des réformes se feront au sein des conventuels et certains de leurs couvents deviendront observants (de même, pour les carmels, la réforme espagnole finalement « externalisée » des déchaussés n’exclue pas la réforme interne française des grands carmes, dite de Touraine). Il faut y ajouter la circulation des personnes.
[239] DS 5.1304/14 (art. « Frères mineurs. II. Fondations et réformes franciscaines »).
[240] A l’apogée (en nombre) du milieu du XVIIIe siècle, l’ordre comptera trente-cinq mille membres. Plus récemment, au milieu du XXe siècle, les capucins compteront encore seize mille religieux (dont l’abbé Pierre qui fut l’un d’entre eux avant de quitter l’ordre pour raison de santé).
[241] DS 5.1313/14.
[242] L. Iriarte, Histoire du franciscanisme, Cerf, 2004, p. 263 ; et p. 254 : « les capucins ont reçu : de Matthieu de Bascio l'habit, de Louis de Fossombrone la barbe et de Bernardin d'Asti l'âme et l'esprit ».
[243] Nécrologe [de divers capucins], ms. au château du Titre [en 1964], microfilm aux Archives des Capucins de Paris, Bibliothèque franciscaine capucine, rue Boissonade. Ce microfilm est peu lisible. Nous avons toutefois déchiffré des passages pour vérifier la pertinence du choix opéré par Raoul de Sceaux : il n’omet pas de passages intimement révélateurs.
[244] P. Raoul de Sceaux, “Lettres inédites du P. Martial d'Etampes”, Etudes franciscaines, XIV, n°32, juin 1964, pages 89-102. – Nous reproduisons les pages 89, 90-95, au parfum délicat même s’il est parfois désuet, en incluant leurs notes précieuses car les sources citées pourraient servir dans le cadre de toute étude qui se voudrait exhaustive.
[245] P. Raoul de Sceaux [Jean Mauzaize], Histoire des frères mineurs capucins de la province de Paris (1601-1660), Blois, 1965 ; J. Mauzaize, Le rôle et l’action des capucins de la province de Paris dans la France religieuse du XVIIe siècle, Thèse E.P.H.E. (dont de nombreuses notes sont absentes du volume publié).
[246] [Note de Raoul de Sceaux ; il en est de même pour le choix de notes suivantes]. Nécrologe du Titre, p. 71. – Ce Catalogue de tous les Religieux Capucins qui sont morts en la Province de Paris depuis son établissement jusques a maintenant s'arrête à 1679, après avoir mentionné non seulement les religieux décédés au couvent parisien de l'Assomption, mais encore d'autres capucins morts ailleurs qu'à Paris, mais dont l'importance et le rôle dans la Province explique l'insertion de leur nom dans le nécrologe parisien. – Le P. Sylvestre, déjà chargé par le P. Léonard de recueillir les témoignages et les guérisons obtenues par l'intercession du P. Honoré de Paris, décédé au couvent de Chaumont le 26 septembre 1624, est le troisième rédacteur du nécrologe, succédant, en ce travail, aux PP. Philippe et Antoine de Paris. C'est en 1640 que le P. Sylvestre continua l’oeuvre de ses prédécesseurs et, de sa petite écriture aux formes encore très gothiques que l'on retrouve dans les procès-verbaux de dépositions en faveur de la cause du P. Honoré, aux Archives départementales de la Haute-Marne (réf. 37 H 7), consacra aux religieux dont il inscrivit le nom dans son nécrologe, une notice plus au moins longue sur la vie, les travaux, la maladie, les circonstances de mort de chacun d'eux. / L'édition du Traité très facile pour apprendre. à faire l'oraison mentale (Paris, 1722) comporte également un Sommaire de la vie du P. Martial d'Etampes (p. 352-369), lequel n'apporte guère de renseignements précis.
[247] Nécrologe, p. 73.
[248] Le P. Henri de La Grange-Palaiseau fut gardien du couvent du faubourg Saint-Jacques en 1617 et de 1621 à 1623.
[249] Nécrologe, p. 74.
[250] Capitula Capuccinorum, Bibliothèque du séminaire Saint-Sulpice, ms. non coté, fol. 115.
[251] Capitula..., fol. 117.
[252] L'Exercice des trois clous, publié sans nom d'auteur, est bien de la plume du P. Martial d'Etampes. Une lettre adressée par un capucin au P. Sylvestre de Paris peu de temps après la mort du P. Martial, en fournit la preuve. Faisant l'éloge du défunt, ce religieux ajoute : “Grand homme d'oraison et de pratique spirituelle, comme il a bien fait paroistre... ès livres et escripts.... réduisant toute sa doctrine en pratique par imitation des exemples de la vie de Notre Seigneur... et particulièrement... au livre intitulé les trois cloux, ou j'admire une chose que, quoy qu'il n'ayt pas une grande science acquise par les livres, y traitant quelque point de doctrine, il le déclaroit si bien qu'on diroit qu'il étoit un grand théologien” (Nécrologe du Titre, p. 73). [...]
[253] Nécrologe, p. 74-75.
[254]
Nécrologe, p. 75-
[255] Capitula Capuccinorum..., fol. 122, 125 vo-126.
[256] Nécrologe, p. 78.
[257] Nécrologe, p. 94.
[258] « Sommaire de la vie du R.P. Martial”, dans le Traité très facile pour apprendre a faire l'oraison mentale, édit, de 1722, p. 357. La Bibliothèque Franciscaine Provinciale possède également ce texte à l’état de manuscrit (ms. 966).
[259] Nécrologe, p.80 ; Bib. nat. f.fr. 25 045 et 25046, p.199.
[260] Nécrologe, p.71.
[261] Exercice des trois clous…, p. 25.
[262] Ibid., p. 50.
[263] P. Raoul de Sceaux, “Lettres inédites…”, op. cit., Lettre 8.
[264] Traité facile…, « Traité second de l’oraison mentale », Paris, Coignard, 1722, 68.
[265] Traité facile…, « Traité sixième de l’oraison mentale », Paris, Coignard, 1722, 176-177.
[266] Ibid., 183-184.
[267] Ibid., 187.
[268] Traité facile…, « Traité onzième de l’exercice du Silence”, Paris, Coignard, 1722, 310 sv.
[269] Ibid., 320 sv.
[270] Exercice des trois clous…, 641. - Les paginations sont indiquées entre crochets pour les citations qui suivent extraites du même exercice.
[271] Toutes les citations sont extraites de l’Exercice des trois clous.
[272] [1630] Saint-Omer : Traité facile pour apprendre à faire oraison Mentale, divisé en trois parties principales, à savoir, Préparation, Méditation et Affection, avec un Traité de Confession pour les âmes dévotes, le tout fait par un R. P. de l’Ordre de S. François Capucin, A S. Omer, chez la veuve Charles Boscart, MDCXXX ; [comporte:] : Epistre aux âmes dévotes…, Advis au dévot Lecteur, Approbation (de 1628), Traité de l’oraison mentale [en trois parties], 1-130, Traité de la confession, 130-157, Traité de la croix spirituelle, 158-164, Traité pour les âmes religieuses qui sont tirées par quelque trait extraordinaire, 1-19.
[273] [1639] Paris, Fremiot : même titre [dont la fin est modifiée comme suit :] …le tout fait par le R.P. Martial d’Etampes P.R. Capucin et maître des novices, Revu et augmenté de l’Exercice du Silence, en cette quatrième édition, A Paris, chez Nicolas Fremiot, rue S. Iacques, à la Félicité, MDCXXXIX ; [comporte:] : Epistre…, Advis, Traité de l’oraison mentale, 1-163, Traité pour les âmes religieuses…, 164-194, Similitude…, 195-209, Pratique journalière, 210-246, Traité de la confession, 246-286, T. de la croix spirituelle, 287-298, Extr. du Privilège du roi, Exercice du Silence…, 1-38, Abrégé, Litaniae…, 41-45, Approbation.
[274] [1722] Paris, Coignard : Traité très facile pour apprendre à faire l’oraison Mentale, divisé en trois parties principales ; à savoir, Préparation, Méditation et Affection, Avec plusieurs petits traités propres aux Ames devotes qui désirent s’avancer dans la Vie intérieure et spirituelle, par le R.P. Martial d’Etampes, prêtre Capucin et maître des novices, A Paris, chez Jean Baptiste Coignard, MDCCXXII ; [comporte:] : Aux Ames dévotes…, 3-5, Avis…, 6-11, Traité Premier. De l’Oraison mentale, 13-24, T. second…, 25-80, T. troisième…, 81-108, […], T. dixième De la Croix spirituelle…, 285-304, T. onzième de l’Exercice du Silence…, 305-337, T. douzième Des Indulgences…, 339-352, Sommaire de la vie du R.P. Martial, 352-369, Tables.
[275] Cloux selon l’orthographe d’époque, clous aujourd’hui (et dans notre texte). Il y eut de cet ouvrage majeur une seule très rare édition, l’année de la mort de Martial, peut-être à la demande des capucines et pour un usage « interne » : L’EXERCICE DES TROIS CLOUX AMOUREUX ET DOULOUREUX, Pour imiter Jésus-Christ, attaché sur la Croix au Calvaire et pour nous unir à Lui, A Paris, Chez Jean Camusat, rue saint Jacques, à la Toison d’or, MDCXXXV. – Notre exemplaire de la Bibliothèque Franciscaine Provinciale porte en écriture d’époque sur la page de titre « Capucins de Rennes », « Par le P. Martial d’Estampes capucin ou par le P. Charles Boulanger Aussi Capucin » et en écriture moderne « Par le P. Martial d’Etampes »
[276] L’intégrale numérique de l’opus sous forme transcrite ainsi que trois éditions photographiées [1630, 1639, 1722] sont disponibles sur demande (CDrom). On y trouvera le complément constitué par les textes précédant l’Exercice du silence, ainsi que l’article paru dans les Etudes franciscaines reproduisant quelques lettres. Ce supplément ne grossirait que modérément le présent volume, mais nous n’avons pas cru bon de lasser le lecteur avant même qu’il n’aborde le meilleur de l’œuvre dans sa présentation chronologique… Outre les titres et paginations donnés dans les notes qui précèdent, nous en avons cité quelques brefs passages (dans l’aperçu de l’enseignement). [Cette note est reprise sous des aspects pratiques en fin de volume : « Mise à disposition du corpus »]
[277] Mettre des variantes rendrait l’une des deux formes pratiquement inaccessible à la lecture et elles seraient trop nombreuses - même en se limitant à celles qui modifient parfois subtilement l’invitation à l’expérience mystique. Nous pouvons suivre ici, pour un texte court, l’exemple des éditions espagnoles des œuvres de saint Jean de la Croix ; l’idéal est offert par la présentation parallèle des deux formes proches de la Llama de amor viva dans l’édition de la Biblioteca de Autores Cristianos, mais en 1722 certains long paragraphes ont disparu tandis qu’un découpage en chapitres a été jugé utile. L’édition dernière de lecture aisée précède ici la forme primitive.
[278] La Vie écrite par elle-même et autres textes biographiques, éd. par D. Tronc, Champion, coll. « Sources classiques », Paris-Genève, 2001 ; Correspondance : vol. I Directions spirituelles, vol. II Combats, vol. III Mystique, éd. par D. Tronc, Champion, coll. « Bibliothèque des Correspondances », à paraître. – Autres textes, v. La Vie…, op. cit., Bibliographie de Madame Guyon, pp. 1103-1113, dont Les Opuscules spirituels, Georg Olms, 1978 [qui incluent Le Moien court et Les Torrens] ; Madame Guyon : la passion de croire, choix de textes par M.-L. Gondal, 1990 ; Le Moyen court et autres récits…, éd. par M.-L. Gondal, Millon, Grenoble, 1995 ; De la Vie intérieure, choix de quatre-vingts Discours spirituels […], éd. par D. Tronc, Phénix - La Procure, Paris, 2000.
[279] Brèves informations sur cette filiation au sein de « l’école des mystiques normands » dans : Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913 ; P. Pourrat, Dictionnaire de Spiritualité (Dict. Spir.), tome I, col. 1537-1538, art. « Bertot » (1937) et du même auteur, La Spiritualité Chrétienne, IV Les temps modernes, Lecoffre, Paris, p. 183 (1940, pub. 1947) ; R. Heurtevent, L’œuvre spirituelle de Jean de Bernières, Beauchesne, Paris, 1938, p. 63 ; I. Noye, article « Enfance de Jésus », Dict. Spir., vol. 4, col. 676 (1959) ; J. Le Brun , article « France », Dict. Spir., vol. 5, col. 948 (1962) ; il faut y adjoindre les notes rassemblées par le P. Berthelot du Chesnay qui préparait une grande étude sur Bernières (Fonds du Chesnay, Archives Eudistes).
[280] Voir E. Goichot, Henri Bremond historien du sentiment religieux, Ophrys, Paris, 1982, p. 275.
[281] L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée, 1958, p. 7. On dispose toutefois de sa contribution au Dict. Spir., art. « Guyon », ainsi que de l’ouvrage de M.-L. Gondal, Madame Guyon, un nouveau visage, Beauchesne, Paris, 1989.
[282] Histoire Générale et particulière du Tiers Ordre de S. François d’Assize, par le R.P. Jean Marie de Vernon, Religieux pénitent du tiers ordre de saint François, Paris, 1667, tome troisième, p. 76.
[283] Id., p. 118.
[284] Id., p.141.
[285] Nous avons repérés sept exemplaires des écrits « composés par un Religieux [le P. Chrysostome] d’une vertu éminente et de grande expérience en la direction des âmes » : un des trois ex. de la B. M. de Valognes comporte son portrait gravé (réf. C4837) ; un ex. est à la B.N.F. ; trois ex., consultés à Chantilly, sont actuellement à Lyon. Ils se ramènent - l’ordre des matières peut varier - à deux titres : Divers traités spirituels et méditatifs à Paris, 1651 ; Divers exercices de piété et de perfection, composés par un religieux d’une vertu éminente et de grande expérience en la direction des âmes, à la plus grande gloire de Dieu et de NSJC, à Paris, 1655. De nombreux autres titres, que nous n’avons pu localiser, sont donné par Boudon, Œuvres II, Migne, col. 1320 ss.
[286] Divers traités…, « Pensées d’éternité… », chap. V, pp. 85-89.
[287] Id., traité second, « De la Sainte désoccupation… »p. 179.
[288] Id., p. 178.
[289] L’homme intérieur ou la vie du vénérable père Jean Chrysostome, religieux pénitent du troisième ordre de S.François, [par Henri-Marie Boudon], à Paris, 1684, extraits des pp. 337, 340, 372, 377, 378.
[290] Bernières, Œuvres Spirituelles II, 282 (lettre du 15 février 1647 probablement adressée à Mectilde du Saint-Sacrement). Voir aussi Œuvres Spirituelles II, 121 : lettre du 25 août 1653 : « Vous savez [...] que le Père Chrysostome avait réglé ma conduite, et que la vie pauvre et contemplative devait être mon occupation. » Il existe deux belles correspondances : brève entre Catherine de Bar et Chrysostome, abondante entre Catherine et Bernières (transcriptions rassemblées au monastère de Rouen à partir des mss. 101, 115, Dumfries13, Paris160).
[291] Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913 ; R. Heurtevent, L’œuvre Spirituelle de Jean de Bernières, Beauchesne, 1938 ; L. Luypaert, « La doctrine spirituelle de Bernières et le Quiétisme », Revue d’Histoire Ecclésiastique, 1940, pp. 19-130.
[292] Etablir une édition critique proche des liasses manuscrites perdues paraît illusoire. Notre projet d’un choix de textes utilise les Œuvres spirituelles en deux volumes (Maximes puis Lettres), réunies par monsieur de Saint-Gilles, frère de Michelle Mangon, la fille spirituelle de Jean de Bernières, puis accessoirement Le Chrétien intérieur en huit livres, en privilégiant les textes datés des Pensées. L’édition tardive du Chrétien intérieur en deux livres est inutilisable, le P.d’Argentan ayant eu tout le temps de défigurer sa source. Nous pensons que les lettres ont constitué la principale source des Chrétiens... De précieuses sources manuscrites existent pour les lettres (Rouen, Dumfries,Tourcoing).
[293] Souriau, Deux mystiques…, p. 92 ; Boudon, Œuvres I, Migne, p. 77.
[294] Renty précède Pascal (1623 - 1662) auquel – au génie près – il fait penser : Voir Gaston de Renty, Correspondance, éd. par R. Triboulet, Desclée de Brouwer, 1978.
[295] Souriau, Deux mystiques…, p. 112 ; Boudon, Œuvres II, Migne, p.1311.
[296] Souriau, Deux mystiques…, p. 196.
[297] Bernières, Chrétien Intérieur, p. 565.
[298] Bernières, Œuvres Spirituelles, II, p. 122.
[299] Lettre au marquis de Fénelon de mars 1717 : « …vous serez dans la maison du petit Maître tant que vous le voudrez et pourrez. Si les bons Ecossais viennent, vous pourrez découcher et descendre dans le bas, car je fais de vous comme des choux de mon jardin. »
[300] Bernières, Œuvres Spirituelles, II, p. 364.
[301] Dom Oury, Marie de l’Incarnation, Mémoires de la Société Archéologique de Touraine, tome LVIII, 1973, pp. 280 et suivantes.
[302] Dom Oury, Marie de l’Incarnation, op. cit., p. 320 ; v. aussi Dict. Spir., vol. 10, col. 490.
[303] Souriau, Deux mystiques…, op. cit., p. 376.
[304] Lettre au duc de Chevreuse du 10 janvier 1693 : « La Mère du Saint-Sacrement est celle dont je vous ai parlé, qui est l’Ins[ti]tutrice de cet ordre, fut de mes amies et [est] une s[ain]te. » - Fénelon écrira à l’occasion de sa mort : « Conservez la simplicité […] que notre chère Mère vous a enseignée. »
[305] Daoust, Catherine de Bar…, Paris, Téqui, 1979 - de Catherine de Bar : Documents historiques, par les bénédictines du Saint-Sacrement, Rouen, 1973 ; […] ; Catherine de Bar 1614-1698, Téqui, 1998 [v. la revue bibliogr. par Dom J. Letellier, p. 11-96].
[306] Conférence de L. Cognet, pp. 26-27, dans Catherine de Bar : Documents historiques, op. cit.
[307] Œuvres spirituelles , II, « Voie illuminative » : lettres 25, 30 à 32, et « Voie unitive » : lettres 43 à 48, 50, 51, 59, 6. Les lettres de Bernières furent publiées en suivant l’ordre classique des trois voies.
[308] Lettre 43. Les indices sont ténus par suite du nettoyage éditorial auquel n’échappe que des éléments fondus dans le texte tels que la prêtrise de Bertot, son éloignement à Paris, l’envoi d’un écrit… Nous ne pouvons entreprendre ici de prouver l’id.entification qui pose quelque problème si l’on prend en compte la jeunesse de Bertot : il n’est toutefois pas impossible à quelques uns de commencer tôt la vie mystique. Du point de vue du fond, Bertot répète Bernières comme Guyon répétera Bertot. (v. Dict. Spir., art. « Bertot » où Heurtevent suppose un aménagement du style de ce dernier par Madame Guyon).
[309] Œuvres spirituelles, II, « Voie illuminative », lettre 30 (1652) - Bertot écrira à Madame Guyon : « Puisque vous voulez bien que je vous nomme ma Fille […] je vous traite en cette qualité, vous donnant ce que j’estime le plus, qui est un profond silence. » (Le Directeur Mystique, vol. IV, lettre 71.)
[310] Œuvres spirituelles , II, « Voie unitive », lettre 61.
[311] Lettre de M. du Houël à P.-D. Huet, BNF, F. Fr. 11 911, f°. 34-35 : « ...il s’appelait Jacques Bertot natif de St Sauveur de Caen, fils de Louis Bertot et de Judith Le Mière […] Louis Bertot était m[archan]d drappier de profession à Caen. Il quitta le négoce environ l’année 1640 vivant de son bien qui est scis en la paroisse de Tracy proche Villers » - Dans les archives notariales du couvent des ursulines fondé par Jourdaine de Bernières une « liasse à 24 pièces » est relatives aux ventes de parcelles de terres de la paroisse de Tracy à Louis et Philippe Berthot, des années 1495 à 1601(Arch. Départ. de Caen, 2H249), témoignage silencieux d’un don de Bertot.
[312] En fait Caen.
[313] Notre Bertot, que nous trouvons orthographié Bertaut par Saint-Simon, Berthod par Bremond etc., porte un nom normand courant. L’on trouve ainsi parmi les bienfaiteurs des missions de Jean Eudes : Bertaut (Bertin), un prêtre originaire de Valognes, Bertout (Claude), chanoine de la cathédrale de Coutances mêlé aux affaires relatives à Marie des Vallées… (du Chesnay, Les missions de Saint Jean Eudes…,1967, Procure des Eudistes, app. I, p. 326.)
[314] Page 126 des « Annales de ce monastère de Ste Ursule de Caen établi en 1624 le 26 février et on vint en cette maison le 13 juillet 1636 / Sous le gouvernement de la Rnde Mère Jourdaine de Bernières de Louvigny dite de Ste Ursule première supérieure de cette maison, en charge pour lors / tout ceci recueilli par la mère Madeleine de Ste Ursule de Bernières Louvigny sa nièce. En l'année 1714 qu'elle était zélatrice et secrétaire du chapitre. » Ce manuscrit, trésor des ursulines du Pensionnat Saint Pierre de Caen, porte quelques traces de brûlures : il fut sauvé en 1944 d’un bombardement où deux des trois sœurs du couvent des ursulines descendant de celui fondé par Jourdaine de Bernières trouvèrent la mort. Paginé de 1 à 598, il retrace jusqu'en 1738 les événements marquants de la communauté ; seule une copie tardive, peu fidèle, fut utilisée par Souriau. Rédigées avec intelligence, ces Annales mériteraient une édition.
[315] Id., p.156.
[316] Annales…, op. cit., pp. 209 et 212. Nous omettons les intéressantes péripéties de ce qui fut perçu comme un affrontement par les sœurs du monastère.
[317]
L’Addition de la fin du vol. II du Directeur Mystique rapportant les Conseils d’une grande servante de Dieu…
Marie des Valées [sic], renvoie aux
deux lettres que nous citons : 40 et 64 du même vol. II ; on connaît par
ailleurs les liens étroits entre Marie des Vallées, Jean Eudes, Bernières,
Renty.
[318] Le Directeur Mystique, vol. II, lettre 64, p. 349 ; voir Madame Guyon, Torrents, Chapitre 3, §1 : « ...ces grandes rivières qui vont à pas lents et grave... » qui contrastent avec le torrent impropre aux charges. – v. aussi du même Bertot : « Et remarquez bien une belle parole que m’a dite autrefois une âme très unie à sa Divine Majesté, savoir, que les montagnes recevaient bien les pluies, mais que les seules vallées les gardent, fructifient et en deviennent fertiles. » (DM, vol. II, lettre 40, p. 234.).
[319] Directeur Mystique, vol. III, page 506 : une lettre est écrite en 1674 à un dirigé canadien.
[320] Catherine de Bar, Lettres inédites, Bénédictines du Saint Sacrement, Rouen, 1976, pp. 183-184 puis p. 192.
[321] Archives du monastère de Dumfries, Ecosse, pièce D 13, p. 51-53. (Le monastère des Bénédictines de Rouen possède une copie de ces archives).
[322] Annales…, op. cit., p. 261.
[323] Le Denys des mystiques que la légende fait venir à Paris – l’auteur ancien le plus souvent cité par Madame Guyon dans ses Justifications.
[324] E. de Barthélemy, Recueil des Chartes de l’abbaye royale de Montmartre, Champion, 1883, p. 16. Cette description de la tumultueuse réforme est donnée dans l’ Introduction.
[325] « Madame de Beauvilliers mourut dans son abbaye le 21 avril 1657, à 83 ans, après 60 années d’abbatiat », E . de Barthélemy, Introduction au Recueil..., p. 19. Voir la mère de Blémur, Eloges de plusieurs personnes illustres en piété de l’ordre de St Benoît, 1679, 143-184.
[326] Exercice divin, ou pratique de la conformité de notre volonté à celle de Dieu, par R[évérende] M[ère] M[arie] D[e] B[eauvilliers]. A Paris, chez Fiacre Dehors, 1631, chapitre X p. 65 ; J. Orcibal, Benoît de Canfield, La règle de perfection, PUF, 1982, souligne, p. 16, la reprise par Marie de Beauvilliers de l’Abrégé de la Règle.
[327] Françoise-Renée de Lorraine (1629 – 1682), abbesse de Montmartre ; fille de Charles de Lorraine, duc de Guise, de Joyeuse, pair de France... - Bertot est en relation avec deux membres de la famille de Guise, l’abbesse et l’altesse [Mademoiselle de Guise] : « Il fut confesseur et Directeur des Ursulines […] envoyé à Paris pour leurs affaires, il y fut arrêté par Madame l’Abbesse de Montmartre et par Mademoiselle de Guise, touchées de son élévation dans les voyes de Dieu… » Huet, Origines… op. cit. ; v. aussi Lettre de M. du Houël à P.-D. Huet, op. cit.
[328] E. de Barthélemy, Introduction au Recueil..., p. 22.
[329] Incluant Mgr Pallu, qui demande l’avis de Bertot en 1667 sur un projet de congrégation apostolique, puis de Surate en 1672 sur un auteur spirituel portugais. Mgr Pallu s’était embarqué avec le neveu du père de Mme Guyon, Philippe de Chamesson-Foissy, dont la rencontre en 1661 avec cette dernière, encore toute jeune, fut importante (Vie par elle-même… 1.4.6).
[330] Dont nous trouvons cité seulement quelques figures illustres : M. de Noailles : il s’agit d’Anne, marié en 1645 à Louise Boyer très pieuse, 1er duc de Noailles en 1663, mort en 1678 ; M. le duc de St Aignan : il s’agit de François de Beauvilliers et de St Aignan, 1er duc de Saint-Aignan en 1663 (v. 1608 - 1687) ; M. de duc de Beauvilliers : il s’agit de Paul de Beauvilliers, duc de St Aignan, dit de Beauvilliers (1648 – 1714) qui épouse en 1671 Henriette-Louise Colbert (+ 1733) couple en relation étroite avec Madame Guyon comme celui de Chevreuse. On comprend comment cette dernière « reprit » la direction du cercle à son retour de voyages. Nous nous reportons à Ch . Levantal, Ducs et Pairs et duchés-pairies laïques à l’époque moderne (1519-1790), Maisonneuve et Larose, 1996.
[331] Annotation relevée sur l’exemplaire (unique) de Chantilly.
[332] Orcibal, note 1 à la lettre no. 78, p. 200, de l’édition de la Correspondance de Fénelon, tome III.
[333] On se reportera pour Le Directeur Mystique aux exemplaires des éditions de Poiret repérés par M. Chevallier, Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, tome V, Koerner, Baden-Baden, 1985 ; pour les autres titres, nous indiquons dans les notes qui suivent les exemplaires que nous avons repérés.
[334] On trouve ce titre dans la correspondance de Huet à F.Martin : « Il y a eu un nommé M. Bertot, prestre, natif de Froide-Rue, parent de M. Le Myère [de Basly], qui a écrit de la Contemplation, et qui a esté abbé de Saint-Gildas. » (Rev. Cath. de Normandie, t. V, 15 sept. 1895, p.107 citée par du Chesnay.) - Une allusion à un livre inconnu est faite page 170 de la Conclusion des Retraites : « Nous avons déjà parlé un peu de cela en un autre livre… » Il ne peut ici s’agir des deux livres de Retraites désavoués en préface - Mais il pourrait s’agir du cinquième traité publié dans le premier volume du Directeur Mystique sous le titre « Degrés de l’oraison… ».
[335] Diverses Retraites où une âme après avoir connu son désordre par la lumière du Saint Esprit, se résoud à le quitter, et embrasser le chemin de la sainte perfection, A Paris, pour Madame l’Abesse (sic) de Montmartre, in-16, Avertissement, Trois dispositions, approbations: 60 pages non numérotées ; suivies de quatre retraites : pages 1 à 384 - Nous avons retrouvé un second exemplaire des Diverses retraites… à Valogne, Bibl. Municipale, C 6785 (signalé par du Chesnay).
[336] Continuation des Retraites dans lesquelles l’âme puisera des lumières pour travailler solid.ement à sa perfection, seconde partie, Paris, pour Madame l’Abesse (sic) de Montmartre, in-16, table suivie de cinq retraites : pages 375 (sic) à 855. (cotes A 401/677-678 des Fontaines de Chantilly ; maintenant à Lyon);
[337] Conclusion des Retraites où il est traité des degrés et des états différens de l’Oraison, et des moyens de s’y perfectionner, A Paris, chez Jean-François Dubois, rue Saint-Jacques, à la Reyne du Clergé & à l’Image S. Denis, vis-à-vis S. Yves, 1684, [in-16, 210 pages. Une annotation moderne en vis-à-vis de la page de titre rectifie comme suit une autre annotation moderne elle aussi portée sur la page de titre elle-même : « Le livre de Jacques Bertot est écrit pour Françoise-Renée de Lorraine et non par elle... »].
[338]
Le P. A. Derville, S.J., nous écrivait en 1997 : « De Bertot [...] nous
avons aussi 3 petits livres (dont l’unique exemplaire connu de La conclusion…) donnant des retraites
aux religieuses bénédictines de Montmartre en 1660 et 1680 ; ces livres sont
anonymes… »
[339] Le directeur MISTIQUE [sic], ou les œuvres spirituelles de monsr. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Made. Guion, avec un recueil de Lettres Spirituelles tant de plusieurs Auteurs anonime, que du R.P. Maur de l’Enfant Jésus, Religieux Carme, & de Madame Guion, qui n’avaient point encore vu le jour. Divisé en Quatre volumes, A Cologne, Chez Jean de la Pierre. 1726. [respectivement de 453pp., 430pp., 526pp., 368pp., disponibles à Paris aux A.S.-S. et à la B.N.F.].
[340] Le Directeur Mistique ou Extrait des oeuvres Spirituelles de Monsr. Bertot. Ami intime de feu Mr Bernières et directeur de Mad. Guyon, tiré des quatre volumes de ces mêmes oeuvres de Mr. Bertot imprimé à Cologne 1726. A Berlebourg, imprimé par Christoffle Michel Regelein, 1742.
[341] Ainsi Madame Guyon écrivant au baron de Metternich lui joint la longue lettre de Bertot publiée aussi dans Le directeur Mistique, vol. III, p. 438 : Lettre d’un grand Serviteur de Dieu, dont il a été fait mention dans la précédente, sur la même matière, et de l’état où l’on trouve que Dieu est toutes choses en tout, s’achevant par : « Allez, allez, à la bonne heure ; et soyez forte et constante… » (Mme Guyon, Lettres chrétiennes et spirituelles. Nouvelle édition [par J. Ph. Dutoit-Mambrini], Londres [Lyon], 1768, t. IV, Lettre 121 et suivante).
[342] Incipit : "Il est de la dernière conséquence..." Copie Isaac du Puy (Dupuy). Archives Saint Sulpice, ms. 2174 , pièce 7248.
[343] Les sources se contredisent et Orcibal lui-même n’a pu la déterminer. La vraie date du décès est bien celle donnée par le Directeur mistique et par Madame Guyon, dans La Vie 1.30.13 (Première partie, chapitre 30, § 13) ; confirmations : « Dans Gall. Christ. XIV, 963 : succédant à Michel Ferrand +24.12.1676 : Jacobus Bertot occubuit penultima die Aprilis 1681 » et « 11e septembre 1684, Transaction devant les notaires de Caen au sujet du testament du sieur abbé Bertot […] on célébrera tous les ans à perpétuité un service solennel le jour de son décès arrivé le 28 avril 1681…(Fonds du Chesnay, Arch. Eudistes).
[344] « ...quand Il les émeut, tous les êtres deviennent pour lui comme un jeu d’anches. Les monts, les bois, les rochers, les arbres, toutes les aspérités, toutes les anfractuosités, résonnent comme autant de bouches ... » Tchoang-tzeu, trad. Wieger.
[345] Le Directeur Mystique, vol II, lettre 6 p. 26.
[346] Directeur Mystique, vol II, lettre 11, p. 44
[347] DM, vol II, Lettre 16 p. 74 ; Canfeld avait joué un rôle important dans la réforme de à Montmartre.
[348] Orcibal, note 1..., op. cit.
[349] Orcibal, note 15 à la lettre no. 44, p. 155 de l’édition de la Correspondance de Fénelon, tome II
[350] Addition 127 au Journal de Dangeau dans Boislisle, t. II, p. 413, citée par Orcibal ; du Chesnay mentionne la note de Saint Simon, Boislisle, t. XXI, p. 302 : « Dans ce petit troupeau était une disciple des premiers temps [la duchesse de Béthune], formée par M. Bertau qui tenait des assemblées à l’abbaye de Montmartre, où elle avait été instruite », ainsi que la note associée 2 de Boislisle : « …c’est lui qui fut donné par Mme Granger [la Mère Geneviève Granger] à Mme Guyon et fut son premier initiateur. Saint-Simon parlera encore de lui, toujours à propos de Mme de Béthune, en 1716 » ; enfin au t. XXX,71 : « …entendre un M. Bertau à Montmartre, qui était le chef du petit troupeau qui s’y assemblait et qu’il dirigeait. ».
[351] A. S.-S., pièce manuscrite 2072 du fonds Fénelon, intitulée : Mémoire sur le Quiétisme adressé à Madame de Maintenon. Auteur inconnu. – Ce précieux mémoire informe sur toutes les relations de Madame Guyon, incluant les personnes humbles qu’elle côtoyait. Il indique également la façon « de s’y prendre », en commençant par interroger des témoins défavorables à la dame quiétiste, afin de pourvoir faire pression sur les autres… Il est souligné, à la lecture, de la même main (de Mme de Maintenon ?) que celle qui lut les interrogatoires de 1696 de Madame Guyon (v. B.N.F., ms. 5250, dossier La Reynie.).
[352] La Vie…3.2.4.
[353]Arch. Saint-Sulpice., 6e carton, n° 10, f. 39 v°. (Orcibal).
[354] « Mme Guyon était sous la direction de M. Bertot, disciple de Jean de Bernières, que la mère Garnier faisait prêcher aux Nouvelles Catholiques de Paris… » Orcibal, Etudes…, Klincksieck, 1997, « Le Cardinal Le Camus », p. 800.
[355] Dont il était le directeur en titre ; nous pensons, vu les âges respectifs, Geneviève Granger étant née en 1600 soit environ vingt ans avant Bertot, que les rapports étaient plutôt d’échange entre membres du groupe animé par la triade Jean-Chrysostome, Jean de Bernières, Michelle Mangon (religieuse du couvent de Jourdaine).
[356] La Vie par elle-même…, op. cit., 1.8.6 à 1.8.9 ; on note qu’Archange Enguerrand a lui-même rencontré Jean Aumont, « le pauvre villageois », disciple de Bernières ; c’est une deuxième filière reliant Madame Guyon au groupe de l’Ermitage, mais cette fois à travers deux intermédiaires ; voir A. Derville, Un Récollet Français méconnu : Archange Enguerrand, Archivum Franciscanum Historicum, 1997, 177- 203 ; L’ouvrage de J. Aumont, L’ouverture intérieure du royaume de l’agneau occis..., Paris, 1660, ainsi que sa correspondance, actuellement à l’état de manuscrits, sont notables.
[357] La Vie… 1.12.7 ; sur Geneviève Granger, nous relevons des éléments biographiques très édifiants dans Eloges... tome second (édités par J. Bouette de Blémur, Paris, 1679, pp. 417- 455). On sait que la mère de Blémur a été bénédictine à la Trinité de Caen de 1630 à 1678. Voir notre présentation de la mère Granger dans J.-M. Guyon, La Vie par elle-même…, op. cit. pp. 28-29.
[358] La Vie… 1.8.3.
[359] La Vie… 1.13.3, 1.14.5, 1.17.6, 1.17.7, 1.19.9, 1.19.10 (contrat de mariage à Notre Seigneur enfant, le jour de la Madeleine), 1.23.3 (« Quoi! Vous n’aimez plus Dieu ? » ). Lorsqu’elle meurt (1.20.7) Jeanne-Marie Guyon est terriblement seule (1.20.6) même si la mère se manifeste par rêve (1.22.7).
[360] La Vie… 1.19.1 (prenant le ms. d’Oxford pour leçon ; 1.19.2 chez Poiret)
[361] Nous esquissons cette direction dans J.-M. Guyon, La Vie par elle-même…, Paris, Champion, 2001, « Introduction », pp. 36 à 42 ; elle sera approfondie par sa Correspondance, vol. I, et dans une monographie : Jacques Bertot, directeur mystique de Madame Guyon, Phénix – La Procure (à paraître).
[362] Le P. Derville, son biographe, nous disait un jour « qu’il était fou » de diriger aussi durement une religieuse éprouvée.
[363] Une carmélite nous déclara, à la lecture de la correspondance de Madame Guyon, qu’elle lui semblait « terrible » dans son exigence spirituelle.
[364] Ceci n’est pas vrai seulement chez des mystiques chrétiens : on retrouve une « dureté » comparable chez des maîtres sufis.
[365] Le Directeur Mystique, vol. IV, lettre 75, p. 247.
[366] Ibid., p.248.
[367] Ce qu’atteste « la donation faite par Monsieur l’Abbé Bertot dont 3000 L[ivres] t[ournois] étaient destinées pour amortir 150 Lt de rente aux petits pauvres renfermés et aux nouvelles Catholiques » (Arch. Eudistes, Fonds du Chesnay).
[368] E. Aegerter, Madame Guyon, une aventurière mystique, Paris, 1941.
[369] Guyon, « Discours spirituel » 2.68. (éd. dans Guyon, La vie intérieure…, op. cit.).
[370] Guyon, La Vie par elle-même…, op. cit. : 2.11, 2.13, 2.17 à 2.20, 2.22, 3.8, 3.10.
[371] v. Le Saint Evangile de Jésus-Christ selon Saint Matthieu avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure,Tome II, chap. XVIII, versets 19 & 20.
[372] « Supplément à la vie de Madame Guyon… », édité dans La Vie…, éd. citée, p. 1006.
[373] Lettre à Fénelon écrite en avril 1690, B. N. F., ms. Nouv. acq. fr. 11 010, f°. 72v°.
[374] Lettre de Fénelon du 11 avril 1690, B. N. F., ms. Nouv. acq. fr. 11 010, f°. 74 v°, publiée par J. Orcibal, Correspondance de Fénelon, tome II, Paris, Klincksieck, 1972, Lettre 111.
[375] Lettre à Fénelon écrite en avril 1690, B. N. F., ms. Nouv. acq. fr. 11 010, f°. 72v°. Madame Guyon était alors malade. Elle vivra jusqu’en 1717, plus longtemps que Fénelon (1651-1715).
[376] Correspondance ( I Directions spirituelles), op. cit. (à paraître). Nous éditons ces lettres par destinataire, ce qui permettra de comparer directions reçues (de Bertot et de Maur de l’Enfant-Jésus) et directions données (aux deux Fénelons, etc.).
[377] A. Favre, Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911, « Inventaire et Verbal de la saisie des livres et écrits de M. Dutoit » pp. 115-118.
[378] M. D’Istria, Le Père de Caussade et la querelle du pur amour, Aubier, 1964, p.12 ; J. Gagey, L’abandon à la providence divine d’une dame de Lorraine au XVIIIe siècle, Millon, 2001 - Nous pensons que Madame Guyon est directement impliquée dans l’Abandon à la Provid.ence divine, même si le texte a pu être retravaillé ensuite pour lui donner un très beau style classique. Voir Olphe-Galliard, Introduction au Traité sur l’Oraison du cœur, note 17, p. 44, et une présomption possible tenant compte du séjour de Madame Guyon chez les visitandines de Meaux dont Madame de Bassompierre fut supérieure. Une étude fine comparative de textes devra confirmer notre supposition.
[379] Voir J. Orcibal, « L’originalité théologique de John Wesley et les spiritualités du continent », Etudes…, Klincksieck, 1997, p. 527 ; P. Ward, Rencontres…, « Madame Guyon et l’influence quiétiste aux Etats-Unis », Millon, Grenoble, 1997, p. 131.
[380] Tradition des Pères et des auteurs ecclésiastiques sur la contemplation, par le R.P. Honoré de Sainte-Marie, carme déchaussé, tomes I et II à Paris, 1708 ; tome III, 1714.
[381] L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée,1958.
[382]« Le P. Chrysostome dit de Saint-Lô [sic] naquit à Saint-Fremond, Basse-Normandie, diocèse de Bayeux, et fut nommé Joachim au baptême. Un de ses frères fut capucin et une sœur a été clarisse à Rouen de l’étroite observance. Joachim étudia à Rouen et y eut pour maître le P. Caussin, jésuite. Étant encore écolier, il écrivit de Rouen à M. de la Forest pour le consulter sur sa vocation. Étant venu à Paris, il prit l’habit à Picpus. Son père fit ce qu’il put pour le faire sortir du cloître et y employa à cet effet un magistrat considérable du parlement de Normandie. Le jeune homme tint ferme » (P. Claude Prévôt, bibliothécaire de l’abbaye de Sainte Geneviève à Paris, Bibl. Ste Gen., ms. 3030, f ° 21r °, Arch. eudistes, dossier du Chesnay VIII Bernières).
[383]Jean-Marie de VERNON, Histoire générale et particulière du Tiers Ordre de saint François d’Assize. Tome second. La vie des personnes illustres qui ont fleuri dans les siècles quinze, seize et dix-sept. Paris, 1667, 527 sv. : « La vie d’Antoine le Clerc, sieur de la Forest ».
[384]DS 5. 1645 (art. “Spiritualité franciscaine”).
[385][Henri-Marie Boudon], L’Homme intérieur ou La Vie du vénérable Père Jean Chrysostome, religieux pénitent du Troisième Ordre de saint François, à Paris chez Estienne Michallet, 1684.
[386]SOURIAU, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913.
[387]DS 2. 881 sv. (art. “Chrysostome de Saint-Lô”).
[388]Analecta TOR, vol. XXIII, 152, 1992, Raffaelle PAZZELLI, “Bibliografia del Terz' Ordine Regolare di San Francisco in Francia ”, notice “8. Jean Chrysostome de Saint-Lô ”, 76–79.
[389]Boudon, L’homme intérieur…, op.cit., p. 88.
[390]Ibid., p. 178, 198.
[391]Ibid., p. 200.
[392]Ibid., p. 284, 316.
[393]Ibid., p. 337.
[394]Ibid., p. 372 à 378.
[395]Compte tenu de leur caractère de sources jamais décrites et surtout du rôle de leur auteur franciscain comme fondateur de l’école de l’Amour pur, nous relevons les contenus différemment ordonnés des trois exemplaires relevés de Divers exercices de piété et de perfection composés par un religieux d’une vertu éminente et de grande expérience en la direction des âmes, à la plus grande gloire de Dieu et de N. S. J. C.
(A) Exemplaire édité à Caen, chez Adam Cavelier, 1654. Bibl. municipale de Valognes, réf. C4837, contient : image en frontispice (elle est reprise en tête de ce chapitre) : « Le Reverend Père I. Chrysostome de Sainct Lo... », page de titre avec vignette de Jésus représenté de profil, Approbations (Fr. Louis Quinet, Abbé de Barbery, Claude de Nyau, Henry Marie Boudon, Archidiacre d’Évreux),
(1) première numérotation 1-212 : « Premier exercice traictant de la sainte vertu d’abjection », divisé en : (a) « De la sainte Abjection. La société spirituelle de la sainte Abjection », 1-11 — (b) « États différents […] de la sainte Abjection », 12-56 — (c) « Méditations brièfves pour adorer et imiter Jésus… », 57-138 – (d) « Méditations d’abjections en la vue de la Divinité », 139-212, suivis de : Advis « Ce traicté n’a pu être achevé par l’autheur, qui fut prévenu de la mort… » et d’une « Table des divers traictés contenus en ce troisième [?] Exercice » ;
(2) seconde numérotation 3-240 : « La Dévotion de la sainte Agonie de Jésus… », divisé en (a) « Brèves méditations sur la sainte Agonie », 3-18 — (b) « La Solitude des cinq jours », 19-132 — (c) « Exercice méditatif des dix jours », 133-229 — (d) « Oraisons à la Sainte Vierge », 229-240 ;
(3) troisième numérotation 1-136 : « Cinquième et dernier traité, contenant un recueil de plusieurs diversités spirituelles du même auteur », contient des lettres de directions, dont certaines adressées à Bernières, d’où le grand intérêt de ce troisième ensemble.
(B) Exemplaire sans date, ni éditeur, ni lieu, ni approbations, Bibl. municipale de Valognes, réf. C4839. Il contient : « Advis », 1-2 ; (2) « La Dévotion de la saincte Agonie de Jésus… », 1 à 18 — « La Solitude des cinq jours… », 19 à 131 — « Exercice méditatif des dix jours », 133 à 240 ; (1) « Troisième Exercice, traictant de la sainte vertu d’abjection », 1-212, suivi d’un « Advis… » ; (3) « … diversités spirituelles… » (il y a donc modification de l’ordre ; contenu presque identique à A).
(C) Exemplaire édité à Paris, 1655, réf. Chantilly A409/452 (maintenant à la Bibl. de Lyon). Il contient : « Advis », 1-2 ; (2) « La Dévotion de la sainte Agonie de Jésus… », 3-236 ; (1) Premier [troisième] exercice de la sainte vertu d’Abjection », 1-212 et table ; (3) « … diversités spirituelles… », 1-136.
[396]Voir le Dictionnaire de Port-Royal, 2004, p. 724 sur Claude Martin (vision moqueuse à corriger par Dom Claude Martin, Les Voies de la prière contemplative, Solesmes, 2005), puis p. 696a sur le duc de Luynes (vision étonnante à lire).
[397]On est là bien loin du propos initial du fameux ouvrage de Thomas a Kempis.
[398] Divers exercices de piété et de perfection, Composés par un Religieux d’une vertu éminente et de grande expérience en la direction des Ames, à Caen, Chez Adam Cavelier, 1654. Ouvrage très rare dont le seul exemplaire complet (c’est-à-dire ayant conservé le feuillet du beau portrait gravé du Père Jean-Chrysostome de Saint-Lô) se trouve à la B. M. de Valognes (Cotentin) sous la référence C4837 (un ex. en provenance de Chantilly/Lyon est accessible sur Google books sous « Divers exercices de piété et de perfection » : il s’agit d’un exemplaire incomplet [paperolle : « … il manque à l’Exercice méditatif les pages 237-240/et aux Diversités spirituelles les pages 1-14 »]. Sa référence A409/451 est accompagnée de l’annotation : « l’auteur est le P. Jean-Chrysostome de S.Lo du tiers ordre de S Fr. »).
Le P. du Chesnay a étudié profondément la seconde partie en préparation d’un grand travail sur Bernières qu’il n’eut pas le temps d’achever (archives Eudistes, « Dossier VIII Bernières. Son directeur spirituel »).
[399] La pagination des « Diversités spirituelles » propre à la seconde partie (v. note précédente) est reprise de 1 à 138 (elle succède à des écrits normatifs de Chrysostome paginés de 1 à 240). B. a certainement assuré financièrement l’édition. Il a compris combien le dialogue entretenu entre ses « Propositions » et leurs « Réponses » serait utile à d’autres. Le dialogue s’ouvre sous le sous-titre « Autres Advis de conduit à divers [?] personnes… » Du Chesnay et nous-mêmes attribuons l’ensemble de la suite au seul Bernières.
[400] Jean de Bernières, Œuvres Mystiques II Correspondance, Lettres et Maximes introduites et annotées par dom Eric de Reviers, o. s.b., A paraître.
[401] Divers exercices de piété et de perfection, Composés par un Religieux d’une vertu éminente et de grande expérience en la direction des Âmes, à Caen, Chez Adam Cavelier, 1654. Ouvrage très rare dont le seul exemplaire complet (c’est-à-dire ayant conservé le feuillet du beau portrait gravé du Père Jean-Chrysostome de Saint-Lô) se trouve à la B. M. de Valognes (Cotentin) sous la référence C4837 (un ex. en provenance de Chantilly/Lyon est accessible sur Google books sous « Divers exercices de piété et de perfection » : il s’agit d’un exemplaire incomplet [paperolle : « … il manque à l’Exercice méditatif les pages 237-240/et aux Diversités spirituelles les pages 1-14 »]. Sa référence A409/451 est accompagnée de l’annotation : « l’auteur est le P. Jean-Chrysostome de S.Lo du tiers ordre de S Fr. »).
Le P. du Chesnay a étudié profondément la seconde partie en préparation d’un grand travail sur Bernières qu’il n’eut pas le temps d’achever (archives Eudistes, « Dossier VIII Bernières. Son directeur spirituel »).
[402] La pagination des « Diversités spirituelles » propre à la seconde partie (v. note précédente) est reprise de 1 à 138 (elle succède à des écrits normatifs de Chrysostome paginés de 1 à 240). Nous livrons intégralement la direction de Bernières (page 77 à la dernière page 138). B. a certainement assuré financièrement l’édition. Il a compris combien le dialogue entretenu entre ses « Propositions » et leurs « Réponses » serait utile à d’autres. Le dialogue s’ouvre sous le sous-titre « Autres Advis de conduit à divers [?] personnes… » Du Chesnay et nous-mêmes attribuons l’ensemble de la suite au seul Bernières.
[403] Des extraits sont repris en notes lorsqu’ils éclairent le grand corpus chronologique.
[404] Page de la source.
[405] [sic] : « 1. » manque.
[406] Exemplaire de la bibliothèque de l’ancien couvent proche de Valogne indiqué par cachet relié pleine peau intitulé Exercices de piété et de perfection cote C 4837, actuellement conservés dans la bibliothèque municipale de Valogne.
[407] Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement (1614-1698), Un Florilège établi par Dominique Tronc avec l’aide de moniales de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, A paraître.
[408] Lettre à
Bernières du 30 juin 1643. T4, p. 69 ; P 101,
p. 136. — Les mystiques sont discrets ; leur
rencontre est souvent le fait d’une introduction par un de leurs
dirigés qui aimerait partager sa chance lorsqu’il rencontre un ami
éprouvé.
[409] P160, p. 228 ; T4, p. 617 sq. –
Chrysostome répond aux questions posées dans ce mémoire. (Transcription
dactylographiée de ce ms. au couvent des bénédictines de Rouen, dossier
intitulé « Père Jean
Chrysostome de Saint-Lô ».
Ce
dialogue entre dirigée et directeur mystique nous apparaît si important que
nous l’avons comparé et corrigé par la source T4.
[410] T4, p. 619 (au
lieu de « qu’elle
[reçoit] de Dieu ».
[411] T4, p. 633.
[412] T4, p. 637.
[413] P 160, p. 241a; T4,
p. 649; P 101, p. 180.
[414] “ce divin”: P 101, p. 182.
[415] “Bien avare à qui Dieu ne suffit”: la célèbre devise de madame Acarie. Il faut, dit saint Augustin « qu’une âme soit bien avare, à qui Dieu ne suffit pas » (Enarratio III in Ps. XXX, n.4).
Elle est souvent reprise par Mectilde avec des variantes : « Celui-là est bien avare à qui Dieu ne suffit » en réponse du P. Chrysostome, P 101, p. 183 ; « Trop est avare à qui Dieu ne suffit », lettre à Madame de Châteauvieux, Documents Historiques D. H.], p. 191, 5e lettre, 1576 FC ; « ô que trop est avare à qui Jésus ne suffit pas dans la sacrée Eucharistie », Retraite de 1662, D. H., p. 128 ; « Véritable Esprit », I, p. 26, édition de 1864 ; « Le langage des mystiques... » in N 249 [et non N 248], p. 200.
[416] Les
additions sont mises entre crochets.
[417]
P 101, p. 189, fin de la réponse du Père Jean Chrysostome.
[418] Extraits de la Correspondance de Bernières en préparation.
[419]
S’agirait-il d’une première forme brève qui conduira à « Divers
exercices de piété et de perfection,/Composés
par un religieux d’une vertu éminente & de grande expérience en la
direction des Âmes. /A la plus grande gloire de Dieu et
de notre Seigneur Jésus-Christ » ? Son
auteur Jean-Chrysostome de Saint-Lô va mourir en 1646 soit deux ans plus tard.
L’édition officielle paraîtra beaucoup plus tard en 1654. — Mais un
tirage, réf. C 4839 de la B.M. de Valognes, cachet « Bibliothèque
de Valognes », n’est pas daté et ne comporte aucune
approbation tandis que son « Advis » p. 2
déclare : « Ces
petits traités n’ont été imprimés que pour satisfaire à quelques personnes
particulières, & pour épargner la peine trop grande de les transcrire… ». Les
pages 3 à 240 sont de la même impression que
celles de l’édition officielle de 1654 parue à Caen chez Adam Cavelier, qui les
a donc reprises telles quelles (on note l’absence de pages 1 et 2 !).
[420] Monsieur
de Bernières ?
[421] Mot omis
au saut de page : côté ?
[422] D13
p.102. Fichier Central n° 794.
[423] D13
p.97. Fichier Central n° 1061.
[424] Saint
Benoît dont le trépas est célébré le 21 mars.
[425] Grégoire
Lopez (1542-1596), ermite mystique au Mexique. Voir D.Tronc, Expériences mystiques II,
39-44.
[426] Lettre
adressée à Henri-Marie Boudon (1624-1702), archidiacre d’Évreux, « fond du
Chesnay. »
[427] J.M. de Vernon, Histoire générale et particulière du Tiers Ordre de saint François d’Assise (1667), t. II, p. 587.
[428] Maurice Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle : M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913, 112 ; Boudon, Œuvres II, Migne, col. 1311.
[429] Chrétien Intérieur, Livre VII, Chapitre 15.
[430] Boudon, Œuvres II, Migne, col. 1313.
[431]Chrétien Intérieur, Livre IV, Chapitre 7. (« Solitude de dix jours, Troisième jour. Jésus pauvre et abject », point II).
[432] Bernières, Chrétien Intérieur, VI, 11.
[433] Bernières, Les Œuvres spirituelles […] Seconde partie contenant les lettres qui font voir la pratique des Maximes [que nous citerons Œuvres spirituelles, II], 122, (Lettre du 25 août 1653).
[434] Boudon, Migne, II, col. 1314.
[435] Souriau, Deux mystiques normands…, op.cit., p. 196 puis 203.
[436] Catherine de Bar, Lettres inédites, Rouen, 1976, 165.
[437] Bernières, Œuvres Spirituelles, II, 364-365 (Lettre du 18 mai 1654). – « notre bon Père » désigne probablement le P. Chrysostome de Saint-Lô.
[438] Œuvres Spirituelles II, 61. ( Lettre « sur la maladie de son valet » du 13 octobre 1645 )
[439] Œuvres spirituelles, II, 256. ( Lettre du 7 septembre 1653 ).
[440] Œuvres spirituelles, II, 263. ( Lettre du 8 septembre 1653)
[441] Jacques Bertot Directeur Mystique, textes présentés par Dominique Tronc, Editions du Carmel, 2005.
[442] Œuvres spirituelles, II, 469-470 ( Lettre du 11 novembre 1654 ).
[443] Chrétien Intérieur, VII, 2.
[444] Œuvres spirituelles., II, 244 & 245-246 (Lettre du 20 octobre 1654).
[445] Chrétien Intérieur, VII, 5.
[446] Chrétien Intérieur, III, 1.
[447] Un échange de tels « bijoux » a eu lieu au départ de Marie de l’Incarnation pour le Canada : elle la portera dorénavant sur elle.
[448] Œuvres spirituelles., II, 282 ( Lettre du 15 février 1647 adressée à une religieuse : Jourdaine de Bernières ou Catherine de Bar).
[449] Abjection : révérence devant la grandeur divine.
[450] Chrétien Intérieur, VII, 5.
[451] Lettre à une supérieure du 2 février 1655.
[452]
Chrétien Intérieur, VII,
16.
[453] Chrétien Intérieur, VII, 6.
[454] Chrétien Intérieur, VII, 5.
[455] Lettres à l’Ami intime 18.
[456] Souriau, Deux mystiques normands…, op.cit., p. 119.
[457] Colloque Jean de Bernières, mystique de l’abandon et de la quiétude, Caen, samedi 13 juin 2009.
[458] En 1662 paraîtront [de M. Bertot, disciple de Bernières] « Diverses retraites où une âme après avoir connu son désordre par la lumière du Saint-Esprit se résout à le quitter, et embrasser le chemin de la sainte perfection ». Textes comparables à ceux de « Divers exercices de piété et de perfection », incluant une « solitude des cinq jours », composés par Chrysostome de Saint-Lô, directeur de Bernières, et édités par ce dernier à Caen en 1654. Ces textes témoignent du réseau très actif de l’Ermitage. Ils sont malheureusement trop denses et secs pour être lus de nos jours. Leur succèderont d’interminables sermons…
[459] Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle, Droz (2 tomes à pagination unique), 1969, 1999, p. 785, citant Souriau, 247 sq.
[460] La famille Helyot est remarquable : apparentés à la veuve de Pierre, Marie (1644-1682) et Claude Hélyot (1628-1686) forment un couple mystique dont le P. Crasset nous livre les beaux témoignages.
[461] Henri-Jean Martin, op. cit., 951.
[462] Les principaux travaux disponibles sur Bernières auxquels nous renvoyons fréquemment - ils nous dispensent d’accroître démesurément cette étude en nous étendant sur les aspects biographiques - sont les suivants : Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913 (& 1923 sous un autre titre : Le mysticisme en Normandie au XVIIe siècle) ; R. Heurtevent, L’œuvre Spirituelle de Jean de Bernières, Beauchesne, 1938 [de lecture très agréable, étudie soigneusement l’environnement et présente les amis de B.] ; L. Luypaert, « La doctrine spirituelle de Bernières et le Quiétisme », profonde contribution parue dans la Revue d’Histoire Ecclésiastique, 1940, pp. 19-130 [elle corrige Heurtevent qui néglige les lettres] ; le grand travail des années 1950-1960 accompli par le Père Charles du Chesnay malheureusement inachevé par suite d’une mort précoce, est disponible aux Archives Eudistes, rue Jean Dolent, Paris.
[463] Voir Souriau, qui lui consacre son chap. II, et les Annales du couvent. Ces dernières restent à transcrire.
[464] Voir Annamaria Valli, « Louis-François d’Argentan, Le Chrétien intérieur e l’Ermitage di Jean de Bernières », Collectanea franciscana vol. 79, Fasc. 3-4, 2009, 573-602. – Cette étude documentée complète notre introduction sur plusieurs points (sur Michelle Mangon, sur Nicolas Charpy que nous venons de citer, sur le travail éditorial de d’Argentan, la condamnation du Chrétien intérieur du 26 juillet 1689…).
[465] P. Lefèvre, « L'œuvre du père Louis François d'Argentan, capucin [1615-1680] », Etudes Franciscaines XLIX (1937), 675-695 : 675-676.
[466] Contrairement à l’opinion positive de l’érudit Ubald d’Alençon qui défend un confrère capucin : « Nous ne savons pas bien la part de chacun… », Heurtevent (p. 163) termine ainsi son chapitre IX « La critique de l’œuvre » : « Où commence d'Argentan ? Où finit Bernières? Le premier a tellement voulu agrandir et embellir l'appartement du second qu'il l'a transformé au point qu'il est délicat d'en vouloir retrouver présentement les cloisons et la superficie primitive. » Embellissement non dénué d’enflure.
[467] Les exercices du chrétien intérieur, où sont enseignées les pratiques pour conformer en toutes choses notre intérieur avec celui de JC et vivre de sa vie, par le R.P. Louis François d’Argentan, capucin, 2 t. in-12, I & II, Paris. - Réf. des citations entre crochets.
[468] Les minimes, assez proches des franciscains, s’illustreront dans le siècle par leur qualité intellectuelle, comme en témoigne la figure de Mersenne.
[469] Heurtevent, op. cit., p. 7.
[470] La redécouverte, à la suite de quelque heureuse rencontre faite par un chercheur éclairé, n’apparaîssait pas impossible aux yeux d’A. Derville, S.J., éditeur du Dict. de Spir. : lecteur, soyez attentif !
[471] Huet, Origines de Caen, 372 (Souriau, 123).
[472] Lettre de Huet (Souriau, 248). Citation complète : Heurtevent, 162.
[473] Henri-Jean Martin, op. cit., 2e partie, 2e section, chap. III, « L’industrie parisienne du livre », 362 sq.
[474] Pages (non numérotées) 9-10 de l’« Avertissement » au Chrétien intérieur « tardif », édité en deux tomes & dix livres (dans une éd. de 1687).
[475] Ibid., 16e & 19e page de l’ « Avertissement ».
[476] B. Pitaud, v. Deus absconditus, 1998/3-4, 57-82., a préparé sur une édition de lettres avec la collaboration de sœur V. Andral; reprise en cours par dom Joel Letellier ; les lettres de Bernières seront reprises dans sa Correspondance.
[477] Les saisies photographiques que nous avons faites sont intégrées dans notre base numérique disponible sur demande. – Les photographies n’ont pu être faites sur certaines premières éditions (à cause des restrictions imposées par de rares bibliothèques dont la B.N.F.).
[478] Luypaert, op.cit., p. 51, émet toutefois un doute sur les Maximes.
[479] Luypaert, op. cit., p. 37 (en supposant, comme le fait son prédécesseur Heurtevent, que le même fonds est utilisé pour les Chrétiens ou pour les Œuvres : « on néglige … 523 pages de lettres ») et p. 39 (Luypaert n’a trouvé aucune lettre postérieure à 1648 dans le Chrétien en deux livres).
[480] Tout travail approfondi sur Bernières doit, outre la connaissance de Souriau, Heurtevent, Luypaert, consulter aux Archives Eudistes les notes fort bien rédigées de Charles du Chesnay qui préparait ‘une thèse’ sur Bernières. Elle eut couronné son œuvre érudite (dont Les missions de saint Jean Eudes) avant que la mort ne l’emporte trop tôt : restent, entre autres documents, douze dossiers abordant la chronologie, la correspondance avec la mère Mectilde [Catherine de Bar], avec Boudon, le mémoire de Huet, des exploitations des registres du « bureau des pauvres » à Caen, la famille de Bernières, Bernières Trésorier, B. et le Canada, B. et la Compagnie du Saint-Sacrement, B. et son directeur Chrysostome, etc. Un gros travail de relevés de documents en Cotentin (Valognes) et Basse Normandie fut accompli. – Détails du dossier « Influences » (c’est le sujet de notre étude) : sur son neveu Henri de B., Gavrus, Marguerite-Marie Alacoque, les bénédictines de Montmartre et Charlotte le Sergent (elle dirige B. !), Bertot, lettres reçues du P. Chrysostome (v. dossier numérisé « fonds du Chesnay (2) dans notre base de données, à disposition après accord des Archives Eudistes).
[481] Nous avons concentré jusqu’ici nos efforts sur la « Dame directrice » et ses écrits.
[482] Vie et influence : voir DS 10.885/8 ; Documents historiques, par les bénédictines du Saint-Sacrement, Rouen, 1973 ; Daoust, Catherine de Bar…, Paris, Téqui, 1979 ; C. de Bar 1614-1698, Téqui, 1998 [revue bibliogr. par Dom J. Letellier, p. 11-96] ; deux études de qualité : Véronique Andral, Catherine de Bar… Itinéraire spirituel, Monastère de Rouen, 1997, puis Yves Poutet, en collaboration avec les bénédictines…, Catherine de Bar…, texte non édité, 2008. - Ecrits : Documents historiques, op. cit. ; Lettres inédites, Rouen, 1976 ; Fondation de Rouen, Rouen, 1977 ; En Pologne…, Téqui 1984 ; Une amitié … Lettres à Marie de Châteauvieux, Téqui, 1989 ; A l’écoute de saint Benoît, Téqui, 1988 [beaux « dits » intérieurs] ; Adorer et adhérer, Cerf, 1994 ; Il existe de nombreuses lettres non éditées entre C. de Bar, J. de Bernières, le P. Chrysostome de Saint-Lô, etc. Enfin la Bibliographia Mechtildiana, Benediktinerinnen, Köln, 2001, nous livre 994 références…
[483]Histoire générale et particulière du Tiers Ordre de saint François d'Assise... Tome Second. Les Vies des Personnes Illustres qui ont fleury dans les siècles XV, XVI et XVII, 1667, Chapitre « Autres illustres Tertiaires », p. 587. - Jean de Bernières succède, dans une brève liste qui traverse les siècles et les pays, à : 1. B. Angéline de Corbare ; 2. Grégoire IX ; 3. Jean, aumônier de Clément V ; 4. Cal Gaspar Borgia (“sainteté de son exemple”) ; 5. Cal Gabriel de Treio ; 6. l’Abbé Olier [le fondateur de Saint-Sulpice]. Le septième est donc particulièrement mis à l’honneur en compagnie des prélats ! J.-M. de Vernon est un auteur assez sûr qui n’a pas tendance à annexer tout le monde.
[484] Luypaert, op. cit., en a déjà l’intuition, p. 29 note 1 : « La couleur « capucine » de ce groupe pourrait suggérer une hypothèse de recherches pour la filiation… » Quelques éléments dans : D. Tronc, “Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon”, XVIIe siècle, n° 218, n° 1-2003, 95-116. – Intéressante notice relative à Antoine le Clerc, sieur de la Forest (1563-1628), laïc influent sur Jean-Chrysostome et donc « grand-père » spirituel de Bernières dans : Jean-Marie de Vernon, Histoire générale et particulière du Tiers Ordre…, op. cit. – Sur le TOR, voir les présentations de leurs auteurs mystiques, exceptionnellement nombreux rapporté à l’effectif réduit de l’ordre, dans La Vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siècle, Anthologie de leurs écrits présentée par D. Tronc, étude historique par P. Moracchini, 2 t., Ed. du Carmel, à paraître.
[485] Divers exercices de piété et de perfection composés par un religieux d’une vertu éminente et de grande expérience en la direction des âmes…, Caen, chez Adam Cavelier, 1654, |Troisième partie des] « Diversités spirituelles » p. 93 sq.
[486] Du Chesnay indique un texte parallèle dans Oeuvres spirituelles, II, pp. 13 et 16, lettre du 15 août 1643.
[487] Divers exercices… « Diversités spirituelles » p. 102 sq.
[488] Divers exercices… « Diversités spirituelles » p. 130.
[489] Il est ici nécessaire d’évoquer et d’illustrer, à l’intention d’un lecteur qui sera certainement mal à l’aise en abordant dans notre édition intégrale tel passage « masochiste », les peurs et leur usage oratoire qui entouraient le jeune Bernières et son « co-auteur » d’Argentan. La crainte d’être damné fut largement vécue dans la génération qui les précède et à laquelle appartenait le « bon Père Chrysostome ». En témoignent, outre la possession de la proche Marie des Vallées, les crises de conscience du jeune François de Sales ou de l’anglais Benoît de Canfield... La crainte du jugement est alors universelle. Elle déborde le cadre catholique continental si l’on en juge par l’effet prévisible des sermons du grand poète John Donne (1572-1631), par ailleurs Doyen de Saint-Paul à Londres : « ... Que, de cette providence de Dieu qui observe la vie de chaque herbe, de chaque ver, fourmi, araignée, crapaud et vipère, jamais, jamais, un rayon ne vienne m'inonder : que ce Dieu, qui déjà jetait les yeux sur moi quand je n'étais encore rien, qui, alors que je n'existais pas, m'appelait, comme si j'avais existé, du sein des ténèbres profondes, ne me regarde pas maintenant que, tout indigne que je sois, banni, condamné, je suis pourtant toujours sa créature et contribue quelque peu à Sa gloire, même dans ma damnation […] Quelle Géhenne ne serait pas un Paradis, quelle pluie de soufre ne serait pas de l'ambre, quelle douleur poignante ne serait pas un réconfort, quel rongement de vers ne serait pas une caresse, quelle torture ne serait pas un lit de noces si on les comparait à cette damnation, à cette privation, pendant l'éternité, l'éternité, l'éternité des siècles, de la contemplation de Dieu ?» (« A l’Earl de Carlisle et à sa Compagnie, à Sion »).
[490] Boudon, L’homme intérieur ou vie du vénérable père Jean Chrysostome..., p. 339 sq.
[491] Bernières, Œuvres Spirituelles II, 282 (lettre du 15 février 1647 probablement adressée à Catherine de Bar, la Mère du Saint-Sacrement).
[492] Lettre 2. 40, §2 : « Et remarquez bien une belle parole que m’a dite autrefois une âme [sœur Marie des Vallées] très unie à Sa divine Majesté, savoir que les montagnes recevaient bien les pluies, mais que les seules vallées les gardent, fructifient et en deviennent fertiles. »
[493] Lettre 2. 64, §6 : « Quand une fois l’âme a trouvé le sentier de la divine Justice, elle ne marche plus, mais elle vole. Et sur ce sujet il faut que je vous dise ce que Dieu fit connaître à une personne qui est morte à présent, qui était un miracle de grâce, et qui avait pour partage la divine Justice dans un très grand degré de pureté dont les effets ont été surprenants en elle. Elle me disait que la Miséricorde allait fort lentement à Dieu, parce qu’elle était chargée de dons et de présents, de faveurs et de grâces de Dieu, qu’ainsi son marcher était grave et lent, mais que l’amour divin qui était conduit par la divine Justice, allant sans être chargé de tout cela, marche d’un point si vite que c’est plutôt voler. »
[494] Bernières probablement, peut-être Renty ; Jean Eudes qui relate les faits, utilise la première personne, comme l’indique la suite : « 3. Elle m’a dit… »
[495] Le Directeur mystique ou les œuvres spirituelles de Monsr. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Made Guion…, 4 vol., A Cologne [Amsterdam], 1726 : les « Conseils d’une grande servante de Dieu » figurent en annexe à la fin du vol. II, 407-430. L’ouvrage est consacré à Jacques Bertot à l’exception de ces Conseils, de 21 lettres de Maur de l’Enfant-Jésus et de 21 lettres de Mme Guyon, ce qui souligne l’importance exceptionnelle de Marie des Vallées aux yeux de ces successeurs du cercle mystique normand.
[496] [Jean Eudes,] Manuscrit de Québec, Livre VIII, chapitre 8.
[497] Lettres, éd. de 1681, préface de dom Claude Martin, cité par dom Oury, Marie de l’Incarnation, 1973, 311.
[498] Dom Claude Martin, La Vie de la Vénérable Mère Marie de l’Incarnation, 1677 (Solesmes 1981), 753.
[499] « Sixième état d’oraison …Années 1625 et 1626 », p. 35, & « Dixième état d’oraison (1639) », p. 39 de l’introduction par P. Renaudin à Marie de l’Incarnation ursuline, Aubier, 1942.
[500] Bremond, Sentiment religieux…, II, 467-484 : « Bernières-Louvigny fut un des disciples de Charlotte », 480.
[501] Mère de Blémur, Abrégé de la vie de la V. M. Charlotte le Sergent…, 138, 146.
[502] Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913 (& 1923 sous un autre titre : Le mysticisme en Normandie au XVIIe siècle. - Art. du Dict. de Spir. par Heurtevent, 1, 1522/1527 et op. cit. précédemment. – Communications à paraître du premier Colloque organisé autour de la figure de Bernières, Caen, juin 2009.
[503] Dossier par du Chesnay, « Bernières Trésorier de France à Caen (1631-1653) », Archives Eudistes.
[504] « Caen à l’époque de Jean de Bernières et de François de Laval », communication de John Dickinson au Colloque Jean de Bernières, Caen, 2009.
[505] Souriau, Deux mystiques…,1913.
[506] Aucune trace matérielle ne subsiste de nos jours dans « l’île » du quartier Saint Jean de Caen, totalement rasé en 1944 à l’exception de l’église, sinon une photo du bâtiment fonctionnel de l’Ermitage prise avant guerre (fonds du Chesnay). Une banque recouvre la localisation du couvent (sur terrain parfaitement plat, « au pied » devant être interprété au sens spirituel). Des restes de Jourdaine, de Jean et de son neveu sont scellés dans un pilier de l’église saint Jean, recouverts presque totalement par la structure en bois supportant l’excellent orgue moderne. Comme il convient, aux mystiques accomplis, aucun vestige ne demeure des membres de l’école. Il en sera de même pour Bertot et pour Mme Guyon.
[507] Bernières, Chrétien Intérieur, 565.
[508] Bernières, Œuvres Spirituelles, II, 122.
[509] Œuvres de Boudon II, 1313.
[510] Souriau, 115 ; Chrétien Intérieur, 380.
[511] Souriau, Deux mystiques…, 93 ; Œuvres Spirituelles II, 61.
[512] Souriau, Deux mystiques…, 112 ; Boudon, Œuvres II, Migne, 1311.
[513] Dom Oury, Marie de l’Incarnation, Mémoires de la Société Archéologique de Touraine, tome LVIII, 1973, pages 280 sq.
[514] Dom Oury, op. cit., 297-299. - Suivront des procès entre Mme de la Peltrie, aidée par Bernières, et sa famille qui tentait de la faire frapper d’interdiction comme prodigue de son bien.
[515] Dom Oury, op. cit., 320 ; v. aussi Dict. Spir., vol. 10, col. 490.
[516] Souriau, op. cit., deuxième partie , chap. II ; et surtout : Annales de ce monastère de Ste Ursule de Caen établi en 1624 […].
[517] Conférence de L. Cognet, pp. 26-27, dans Catherine de Bar : Documents historiques, op. cit. (dans une note précédente donnant les références essentielles portant sur sa vie puis ses écrits).
[518] Jean-Marc Vaillant, Mystique et homme d’action, Epiphane Louys, abbé Prémontré d’Etival (1614-1682), Averbode, 2008.
[519] Fonds Du Chesnay, dossier « Bénédictines du St Sacrement ».
[520] Ses textes, issus d’un corpus enfin reconstitué, précédés de notre étude, ont été édités en ouverture de la collection « Sources mystiques » aux Editions du Carmel : Jacques Bertot, Directeur Mystique, 2005.
[521] Jean de Bernières, Œuvres spirituelles, II, « Lettres à l’ami intime » [au nombre de 18, reprises chez Arfuyen, op. cit.]. - Luypaert, op. cit., p. 27 note 2 : « Monsieur Bertot … l’ami intime de B. et l’un de ses commensaux à l’Ermitage ».
[522] Œuvres spirituelles, II, « Voie illuminative », lettre 30 (1652).
[523] Souriau, Deux mystiques…, chap. VIII, « Monseigneur de Laval premier évêque de Québec ».
[524] Souriau, ibid., 376.
[525] Souriau, ibid., 92 ; Boudon, Œuvres I, Migne, 77.
[526] Souriau, 119.
[527] Annales des Ursulines de Caen citées par Charles du Chesnay, « La mort de M. de Bernières à Caen et l’arrivée de Mgr de Laval à Québec au printemps de 1659 », Notre Vie [revue eudiste], 1959.
[528] Ibid., 271, citant une lettre de Catherine de Bar.
[529] Œuvres spirituelles, II, 469-470 (Lettre du 11 novembre 1654).
[530] Chrétien Intérieur, VII, 2.
[531] Œuvres spirituelles, II, 244 & 245-246 (Lettre du 20 octobre 1654).
[532] Chrétien Intérieur, VII, 5.
[533] Ibid., VII, 5.
[534] Ibid., VII, 6.
[535] Chrétien Intérieur, VII, 5.
[536] Jean de Bernières, Œuvres spirituelles, II, « Lettres à l’ami intime » [au nombre de 18, reprises chez l’éditeur Arfuyen, op. cit.] Nous pensons pouvoir identifier leur destinataire non cité avec Bertot, grâce à quelques indices tels que celui-ci : « Je connais aussi que vous êtes encore utile et nécessaire aux B[énédictines] et à M[ontmartre] (lettre 3.43, n° 17 dans l’édition chronologique chez Arfuyen). Les indices sont ténus par suite du nettoyage éditorial auquel n’échappent que des éléments fondus dans le texte tels que la prêtrise de Bertot, son éloignement à Paris, l’envoi d’un écrit. « L’ami intime » pourrait éventuellement couvrir des destinataires (dont Renty ?).
[537] « Lettres à l’Ami intime » n°18.
[538] Chap. 13 du 3e livre du Chrétien intérieur (selon l’édition reproduite ici qui en comporte huit).
[539] Bremond, Sentiment religieux, VII, 321 sq.
[540] Cette liste débute le grand mouvement mystique de la quiétude qui couvrira deux siècles et qui suscitera la suspicion des pouvoirs politique et ecclésiastique (voir Bremond, tome XI, Le procès des mystiques, deuxième partie, « De la quiétude »). Il y aura de fait condamnation de quelques figures connues, mais peu lues par des juges indisponibles ou soumis à la pression politique de Louis XIV, le « Roi Très Chrétien » : elles incluent Bernières (post-mortem en 1687), puis Mme Guyon et Fénelon en 1699 (le pape adressera par compensation une lettre bienveillante à ce dernier).
[541] La Vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siècle, Anthologie de leurs écrits, op. cit., consacre un chapitre à chacun d’entre eux.
[542] Copie dite « manuscrit de Québec » qui traversa l’Atlantique deux fois : vers l’Amérique au XVIIe siècle sur un bateau en bois, car il fut confié à François de Montmorency-Laval, ce qui indique toute l’importance accordée par les « Canadiens » à l’humble servante ; de retour en France sur un bateau en fer au XIXe siècle… Il sera prochainement publié.
[543] Ecrits abondants. Bon choix dans le Lectionnaire propre à la congrégation de Jésus et Marie édité à Paris, 1977.
[544] Belle Correspondance éditée par R. Triboulet, Desclée de Brouwer, 1978.
[545] Dont L’homme intérieur ou la vie du Vénérable Père Jean Chrysostome, [par Boudon], Paris, 1684.
[546]
Un premier tableau général de l’école du Pur
Amour ou de la quiétude présente une constellation de figures mystiques
assemblées autour de Bernières : GENERATIONS AUTOUR DE JEAN DE BERNIERES.
Il est placé en fin de volume (modifié à partir de : Jacques Bertot Directeur Mystique, Ed. du Carmel, 2005, 554-555).
[547] D. Tronc, Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon, op. cit. – Voir nos présentations approfondies dans : Madame Guyon, Oeuvres mystiques, Honoré Champion, Coll. « Sources Classiques », 2008.
[548] Nous avons relevé des indices précis sur ses liens avec le cercle normand comme avec la mouvance franciscaine : outre sa direction par M. Bertot disciple direct de Bernières, elle fut ouverte à la vie intérieure par “le bon franciscain” Enguerrand, lui-même en relation avec Jean Aumont (c’est une deuxième « chaîne » reliant Mme Guyon à Bernières) ; présence d’un remarquable mémoire sur Marie des Vallées dans le Directeur mistique (1726) accompagnant les écrits de Bertot préparés par elle, édités par Poiret ; appréciation de la “sainte” Mère du Saint-Sacrement. - Pour la seule mouvance franciscaine : elle cite fréquemment un contemporain capucin récent, “l’auteur du Jour mystique”, Pierre de Poitiers ; autorité de la Reigle de Benoît de Canfield ; chaîne de transmission des papiers de Bertot déposés au couvent de Nazareth incluant le Père Paulin d’Aumale du Tiers Ordre Régulier ; etc.
[549] Lettre au Baron de Metternich, Correspondance I Directions spirituelles, pièce 425. – Madame Guyon s’appuie par contre sur une autorité du début du siècle jamais mise en cause, celle du grand carme mystique aveugle Jean de Saint-Samson (1571-1636).
[550] Lettre au duc de Chevreuse du 16 mars 1693 (Madame Guyon, Correspondance II Années de Combat, Paris, Champion, 2003, pièce 35, 103).
[551] Editions et études par Orcibal, Le Brun, Noye (pour Fénelon), Olphe-Galliard et successeurs (pour Caussade). L’œuvre de Mme Guyon est maintenant éditée par Mme Gondal chez Millon, Grenoble ; par nous-même chez Champion et Arfuyen, Paris ; l’essentiel est présenté dans Madame Guyon, Oeuvres mystiques, Champion, 2008, 1-796.
[552] On relève par ailleurs d’autres associations entre bénédictins et capucins qui se produisent au cours du même siècle : la réforme de Montmartre aidée par Canfield, l’influence du capucin Constantin de Barbanson sur dom Augustin Baker en sont des exemples illustres.
[553] En témoignent les études d’Eulogio Pacho et de Jacques Le Brun dans le Dict. Spir., art. « Quiétisme », t. XII, col. 2756-2842, un « article » fort long équivalent à un volume. – En témoigne notre relevé des assemblages rarement innocents de fragments textuels parfois largement séparés dans le Moyen court de Mme Guyon, issus de l’ Ordonnance « contre les erreurs du quiétisme » de Noailles, évêque de Châlons, bientôt promu archevêque de Paris.
[554] Madame Guyon Correspondance, II, Années de combat, 2004, pièce 504, 815-816 ; notre étude, « Une filiation mystique… », XVIIe siècle, Janvier-mars 2003, 95-116.
[555] Lettre au duc de Chevreuse du 11 septembre 1694.
[556] Eléments distribués dans notre édition des œuvres de Mme Guyon chez Champion : Vie par elle-même…, Correspondance structurée en trois volumes, Oeuvres mystiques, enfin : Les années d’épreuves... (ce dernier volume structure chronologiquement les témoignages de prisons, les interrogatoires). Il manque encore une étude d’ensemble du milieu et de son devenir, dont la présente section préliminaire propose des pistes de recherches.
[557] J.P. de Caussade, Traité…, coll. Christus, 1979, Introduction par M. Olphe-Galliard, 38. – v. du même M. Olphe-Galliard, La Théologie mystique en France au XVIIe siècle, 1983.
[558] J. Bremond, Le courant mystique au XVIIIe siècle, l’abandon dans les lettres du P. Milley, 1943, p. 183, « A la mère de Siry », 29 juillet 1708 ; v. aussi p. 354.
[559] L’Abandon à la Providence divine, coll. « Christus », 2005, « Introduction », pp. 15 et 19-20. Dominique Salin, S. J., prend partie dans un long débat en connaissance de cause, s’appuyant sur les travaux d’Olphe-Galliard et de Jacques Le Brun, et doutant de l’attribution « à une dame de Nancy » proposée par J. Gagey.
[560] Les œuvres de Mme Guyon furent donc éditées deux fois, au début du siècle par le pasteur Pierre Poiret, à la fin du siècle par Dutoit. Sur ce dernier et son milieu, voir J. Chavannes, Jean-Philippe Dutoit, Lausanne,1865, ouvrage toujours utile à compléter par A. Favre, Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911 ; il existe de nombreux manuscrits inexploités en langue allemande au fond d’archives de l’université de Lausanne.
[561] A. Favre, Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911, 115-118 : « Inventaire et Verbal de la saisie des livres et écrits de M. Dutoit ».
[562] V. notice dans notre édition de la Vie par elle-même… de Madame Guyon, Champion, 2001, p. 1008.
[563]
M. Chevallier, Pierre Poiret, du
Protestantisme à la mystique, Labor et Fides, 1994.
[564] G. Tersteegen, Traités spirituels, Labor et Fides, 2005, « Préface » par M. Cornuz, 10.
[565]
Notice 33 de son Catalogue, in Ecrits sur
la Théologie mystique, publié par M. Chevallier, Millon, 2005, p.152.
[566] Madame Guyon, Correspondance Tome I Directions Spirituelles, Honoré Champion, 2003 : la notice pp. 679 sq. résume G. D. Henderson, Mystics of the North-East, Aberdeen, 1934 (ouvrage aussi admirable que rare).
[567] H. Scougal, Life of God in the soul of man, 1677.
[568] J.Garden, Comparative Theology, 1699.
[569] Jean Orcibal, Etudes…, « John Wesley et les spiritualités du Continent », Klincksieck, 1997, 527 sq. Wesley devint un disciple mais trop tardivement pour influer profondément sur le Méthodisme.
[570] G. D. Henderson, Chevalier Ramsay, Aberdeen, Nelson, 1952 (préférable à Cherel, Un aventurier religieux…, Paris, 1926). Ramsay, Les Principes philosophiques de la religion naturelle et révélée…, et Les voyages de Cyrus, Paris, Champion, 2002.
[571] Dict. Spir., art. « Russie, IV période synodale », t. XIII, col. 1177.
[572] Maine de Biran, Etre et penser, Neuchâtel, La Baconnière, 1957.
[573] Le monde comme volonté et comme représentation, P.U.F., 1956, p. 483 sq.
[574] Apologie de Fénelon, 1910 ; Histoire du Sentiment Religieux… qui devait s’appeler « Histoire de la mystique » selon E. Goichot, Henri Bremond…, Paris, Ophrys, 1982, p. 70.
[576] Il faudra également tenir compte de rares manuscrits et de ce qui fut publié de Chrysostome de Saint-Lô (dont l’importance, sans commune mesure avec son volume limité, a été soulignée précédemment). Charles du Chesnay a déblayé partiellement la voie. L’analyse de ces apports sera présentée au tome II.
[577] Pour les traductions et les éditions tardives du XIXe siècle, v. Heurtevent, op. cit., 128-130, et Luypaert, op. cit., p. 21 note 3.
[578] V. à cette fin le catalogue B.N.F. pour exemple d’une telle liste « sans fin » - Le seul fond des jésuites, anciennement à Chantilly (aujourd’hui à Lyon), comportait plusieurs mètres de Chrétiens en rayons - Nous avons recouru aux accueillantes Archives Saint-Sulpice et bibliothèque franciscaine de Paris, ainsi qu’au Carmel de Clamart (fonds du premier couvent de Paris).
[579] Table détaillée : Livre I de 3 chapitres suivi du Traité premier de 21 chapitres, Traité second de 18 chapitres, Traité troisième de 18 chapitres, Livre II de 3 chapitres suivi du Traité premier de 20 chapitres, Traité second de 18 chapitres, Traité troisième de 18 chapitres.
[580] Table détaillée : Livre I de 3 chapitres […] Traité premier de 20 chapitres, Traité second de 27 chapitres, Livre III de 17 chapitres.
[581] Table détaillée : Livre I Où il est traité… de 16 chapitres, II de 16 chapitres, III de 18 chapitres, IV de 7 chapitres, V de 11 chapitres, VI de 21 chapitres, VII de 7 chapitres.
[582]
Le presbytère de la paroisse possède un reliquaire de cuivre dans lequel ont
été recueillies après le bombardement de 1944, les restes des cendres de Jean
de Bernières, de Jourdaine, sa sœur et de Jean de Bernières de Gavrus, un neveu
membre de l’Ermitage.
[583] H. Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux, op.cit. VI, p. 233.
[584] Ces textes se détachent par l’usage d’italiques afin de faciliter un double usage du présent volume : une lecture à fin érudite et/ou une lecture à fin spirituelle de l’anthologie à plusieurs voix constituée par les écrits de Jean de Bernières cités dans les contributions.
[585] Jean de Bernières, Œuvres mystiques I L’intérieur Chrétien suivi du Chrétien Intérieur et des Pensées, Edité avec une étude sur l’auteur et son école par Dominique Tronc, collection « Sources mystiques », Editions du Carmel, 2011 : l’ « Etude » des pages 11 à 48 est complétée par les « Annexes » des pages 501 à 507 (« Générations autour de Jean de Bernières » en deux tableaux ; « Description des éditions anciennes »).
[586] A fin de rendre le présent volume collectif relativement « complet » pouvant être utilisé lors d’une reprise du « dossier Bernières » qui permettrait de répondre à des thèmes tels que ceux suggérés en tête de volume (« Redécouvrir Jean de Bernières »). Ce volume collectif atteindra en effet un lectorat distinct de celui visé par la collection « Sources mystiques ».
[587] Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe
siècle, Droz, 2 tomes, 1969, 1999, p. 785, citant Souriau, 247sv.
[588] Seule réédition récente partielle : Jean de Bernières, Le Chrétien intérieur, textes choisis [il s’agit du Livre VII] suivis des Lettres à l’Ami intime, Arfuyen, 2009.
[589] La famille Helyot est remarquable : Marie Hélyot (1644-1682) et Claude Hélyot (1628-1686) constituent un couple mystique dont le P. Crasset nous livre le témoignage.
[590] Henri-Jean Martin, op.cit., 951.
[591] Rappelons les principaux travaux disponibles sur Bernières : Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913 (& 1923 sous un autre titre : Le mysticisme en Normandie au XVIIe siècle) ; R. Heurtevent, L’œuvre Spirituelle de Jean de Bernières, Beauchesne, 1938 [cet ouvrage étudie soigneusement l’environnement et présente les amis de Bernières] ; L. Luypaert, « La doctrine spirituelle de Bernières et le Quiétisme », large contribution parue dans la Revue d’Histoire Ecclésiastique, 1940, pp. 19-130 [complémente Heurtevent qui négligea les lettres] ; signalons le grand travail des années 1950-1960 accompli par le père Charles du Chesnay [malheureusement inachevé par suite d’une mort précoce, préservé aux Archives Eudistes].
[592] Voir Souriau, qui lui consacre son chap. II, et les Annales du couvent. Ces dernières qui apparaîtront trop peu dans cette communication sont essentielles et restent à transcrire. Reproduction numérisée par nos soins disponible.
[593] Anna-Maria Valli, Tesi [sur Bernières, travail important récent qui reste à publier], cap.VII, n.82, cite P. Lefèvre, L'œuvre du père Louis François d'Argentan, capucin [1615-1680].
[594] Contrairement à l’opinion de l’érudit Ubald d’Alençon qui défend un confrère : « Nous ne savons pas bien la part de chacun… », Heurtevent, 163, termine ainsi son Chap. IX « La critique de l’œuvre » : « Où commence d'Argentan ? où finit Bernières? Le premier a tellement voulu agrandir et embellir l'appartement du second qu'il l'a transformé au point qu'il est délicat d'en vouloir retrouver présentement les cloisons et la superficie primitive. » - Nous pensons qu’il est toutefois possible d’opérer une sélection, par exemple en préservant avant tout les livres III et VII [récemment réédité] du Chrétien en VIII livres : ils tranchent si nettement sur les autres !
[595] Les exercices du chrétien intérieur, où sont enseignées les pratiques pour conformer en toutes choses notre intérieur avec celui de JC et vivre de sa vie, par le R.P.Louis François d’Argentan, capucin, 2 t. in-12, I & II, Paris. (Réf. de citation entre crochets).
[596] Ordre assez proche des franciscains, il s’illustre au Grand siècle par la qualité intellectuelle de certains de ses membres : en témoigne la figure de Mersenne.
[597] Il ne faut pas exclure une redécouverte majeure, selon l’opinion du P. André Derville, S.J., responsable de l’achèvement du Dict. Spir. Mais elle ne peut être que le fruit d’un heureux hasard.
[598] Huet, Origines de Caen, 372. (Souriau, 123).
[599] Lettre de Huet (Souriau, 248). Citation complète : Heurtevent, 162.
[600] Parution prochaine de : Jean de Bernières, Œuvres mystiques II Correspondance, avec une étude par le P. Eric de Reviers o.s.b., collection « Sources mystiques », Editions du Centre Jean de la Croix. Le corpus de tous les écrits attribués à Jean sera ainsi rendu disponible en deux volumes : Œuvres mystiques I & II.
[601] Henri-Jean Martin, op.cit., chapitre III de la deuxième section de la deuxième partie, « L’industrie parisienne du livre », 362sv.
[602] Jean de Bernières, Œuvres mystiques I L’intérieur Chrétien suivi du Chrétien Intérieur et des Pensées, op.cit., Annexe II.
[603] On passe de ~170 000 caractères (évaluation brute, espaces compris) pour (1) L’Intérieur Chrétien de 1659 signé Charpy « assisté » très probablement par d’Argentan, à ~770 000 pour (2) Le Chrétien Intérieur « primitif » en huit livres (1660) signé « Un Solitaire » qui n’est autre que d’Argentan, enfin à ~1 200 000 pour (3) Le Chrétien Intérieur « tardif » en deux tomes et dix livres de 1676 signé nommément par d’Argentan.
[604] Pages (non numérotées) 9-10 de l’« Avertissement » au Chrétien intérieur « tardif », édité en deux tomes & dix livres (dans une éd. de 1687).
[605] Ibid., 16e & 19e page de l’ « Avertissement ».
[606] Luypaert, op.cit., p.51, émet toutefois un doute sur les Maximes.
[607] Luypaert, op.cit., p.37 (en supposant que le même fonds est utilisé pour les Chrétiens ou pour les Œuvres « on néglige … 523 pages de lettres ») et p. 39 (L. n’a trouvé aucune lettre postérieure à 1648 dans le Chrétien en deux livres).
[608] Nous en avons retrouvé certaines. Heurtevent enseignait à l’Institut Catholique, piste qui reste à explorer, outre le fonds des sœurs bénédictines de Rouen qui nous fut généreusement partagé au début de notre intérêt pour Bernières.
[609] A côté de la branche des Bénédictines du Saint-Sacrement, Ordre fondé par Catherine / Mectilde ; de l’Eglise canadienne marquée par Mgr de Laval et Marie de l’Incarnation… Nous y revenons en IIIe partie.
[610] Tout travail approfondi sur Bernières devra, outre la connaissance de Souriau, Heurtevent, Luypaert, consulter aux Archives Eudistes les notes fort bien rédigées de Charles du Chesnay qui préparait ‘une thèse’ sur Bernières. Elle eut couronné son œuvre érudite (dont Les missions de saint Jean Eudes) avant que la mort ne l’emporte trop tôt : restent, entre autres documents, douze dossiers abordant la chronologie, la correspondance avec la mère Mectilde, avec Boudon, le mémoire de Huet, des exploitations des registres du « bureau des pauvres » à Caen, la famille de Bernières, Bernières Trésorier, B. et le Canada, B. et la Compagnie du Saint-Sacrement, B. et son directeur Chrysostome, etc. Un gros travail de relevés de documents en Cotentin (Valognes) et Basse Normandie fut accompli avant destructions. – Détails du dossier « Influences » (c’est le sujet de la présente contribution) : sur son neveu Henri de B., Gavrus, Marguerite-Marie Alacoque, les bénédictines de Montmartre et Charlotte le Sergent (elle dirige B. !), Bertot, lettres reçues du P. Chrysostome ( v. dossier numérisé « fonds du Chesnay (2) dans notre base de données, à disposition après accord des Archives Eudistes).
[611] Histoire générale et particulière du Tiers Ordre de saint François d'Assize... Tome Second. Les Vies des Personnes Illustres qui ont fleury dans les siècles XV, XVI et XVII, 1667, Chapitre « Autres illustres Tertiaires », p. 587. - Jean de Bernières succède, dans une brève liste qui traverse les siècles et les pays, à : 1. B. Angéline de Corbare, 2. Grégoire IX, 3. Jean aumônier de Clément V, 4. Cal Gaspar Borgia (“sainteté de son exemple”), 5. Cal Gabriel de Treio, 6. l’Abbé Olier [le fondateur de Saint-Sulpice]. Il est donc particulièrement mis à l’honneur en compagnie des prélats ! J.-M. de Vernon est un auteur assez sûr qui n’a pas tendance à annexer le tout-venant.
[612] Luypaert, op.cit., en a a déjà l’intuition, p.29 note 1 : « La couleur « capucine » de ce groupe pourrait suggérer une hypothèse de recherches pour la filiation… »
[613] Extrait d’un dossier établi par Charles du Chesnay : « Bernières et son directeur Chrysostome », voir note ci-dessus consacrée à du Chesnay.
[614] Du Chesnay indique un texte parallèle dans Oeuvres spirituelles, II, p.13 et 16, lettre du 15.8.1643.
[615] Bernières, Œuvres Spirituelles II, 282 (lettre du 15 février 1647 probablement
adressée à Mectilde de Bar, la Mère du Saint-Sacrement).
[616] Boudon, L’homme intérieur ou vie du vénérable Père Jean-Chrysostome..., p. 339 sq.
[617] Bernières probablement, peut-être Renty, saint Jean Eudes utilisant la première personne, comme l’indique la suite : « 3. Elle m’a dit… »
[618] Le Directeur mystique ou les œuvres spirituelles de Monsr. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Made Guion…, 4 vol., A Cologne [Amsterdam], 1726 : les « Conseils d’une grande servante de Dieu » figurent en annexe à la fin du vol. II, 407-430. L’ouvrage est consacré à Jacques Bertot à l’exception de ces Conseils, de 21 lettres de Maur de l’Enfant-Jésus et de 21 lettres de Mme Guyon, ce qui souligne l’importance exceptionnelle de Marie des Vallées aux yeux des successeurs du cercle mystique normand.
[619] [Jean Eudes], Manuscrit de Québec, Livre VIII, chapitre 8.
[620] Lettres, éd. de 1681, préface de Dom Claude Martin, cité par Dom Oury, Marie de l’Incarnation, 1973, 311.
[621] Dom Claude Martin, La Vie de la Vénérable Mère Marie de l’Incarnation, 1677 (Solesmes 1981), 753.
[622] « Sixième état d’oraison …Années 1625 et 1626 », p.35, & « Dixième état d’oraison (1639) », p.39 de l’introduction par P. Renaudin à Marie de l’Incarnation ursuline, Aubier, 1942.
[623] Bremond, Sentiment religieux…, II, 467-484. « Bernières-Louvigny fut un des disciples de Charlotte », 480.
[624] Mère de Blémur, Abrégé de la vie de la V. M. Charlotte le Sergent…, 138, 146 (relevés par du Chesnay).
[625] Souriau, Deux mystiques…, 112 ; Boudon, Œuvres II, Migne, 1311.
[626] Dom Oury, Marie de l’Incarnation, Mémoires de la Société Archéologique de Touraine, tome LVIII, 1973, pages 280 sv.
[627] Dom Oury, op.cit., 297-299. - Suivront des procès entre Mme de la Peltrie, aidée par Bernières, et sa famille qui tentait de la faire frapper d’interdiction comme prodigue de son bien parce qu’elle avait un peu trop rapidement réglé ses affaires françaises.
[628] Dom Oury, op. cit., 320 ; v. aussi Dict. Spir., vol. 10, col. 490.
[629] Souriau, Deux mystiques…, Deuxième partie , chap. II ; et Annales de ce monastère de Ste Ursule de Caen établi en 1624… qui mériteraient d’être éditées.
[630] Souriau, 196.
[631] Bernières, Chrétien Intérieur, 565.
[632] Bernières, Œuvres Spirituelles, II, 122.
[633] Dossier par du Chesnay,
« Bernières Trésorier de France à Caen (1631-1653) », Archives Eudistes.
[634] Œuvres de Boudon II, 1313.
[635] Souriau, 115 ; Chrétien Intérieur, 380.
[636] Souriau, 93 ; Œuvres Spirituelles II, 61.
[637] Œuvres spirituelles, II, 469-470 ( Lettre du 11 novembre 1654 ).
[638] Chrétien Intérieur, VII, 2.
[639] Œuvres spirituelles., II, 244 & 245-246 (Lettre du 20 octobre 1654).
[640] Chrétien Intérieur, VII, 5.
[641] Chrétien Intérieur, VII, 6.
[642] Chrétien Intérieur, VII, 5.
[643] Jean de Bernières, Œuvres spirituelles, II, « Lettres à l’ami intime » [au nombre de 18, reprises chez l’éditeur Arfuyen, op.cit.] Nous pensons pouvoir identifier leur destinataire non cité avec Bertot, grâce à quelques indices tels que : « Je connais aussi que vous êtes encore utile et nécessaire aux B[énédictines] et à M[ontmartre] (lettre 43). Les indices sont ténus par suite du nettoyage éditorial auquel n’échappent que des éléments fondus dans le texte tels que la prêtrise de Bertot, son éloignement à Paris, l’envoi d’un écrit.
[644] Lettre à l’Ami intime n°18.
[645] Chapitre 13 du 3e livre du Chrétien intérieur en huit livres.
[646] Conférence de L. Cognet, pp. 26-27, dans Catherine [Mectilde] de Bar : Documents historiques, op. cit. à la notre suivante.
[647] Fonds Du Chesnay, dossier « Bénédictines du St Sacrement ».
[648] Ses textes, issus d’un corpus reconstitué, précédé d’une étude, ont été édités en ouverture de la collection « Sources mystiques » aux Editions du Carmel : Jacques Bertot, Directeur Mystique, 2005.
[649] Jean de Bernières, Œuvres spirituelles, II, « Lettres à l’ami intime » [au nombre de 18, reprises chez Arfuyen, op.cit.]. - v. Luypaert, op.cit., p. 27 note 2 : « Monsieur Bertot … l’ami intime de B. et l’un de ses commensaux à l’ermitage ».
[650] Œuvres spirituelles, II, « Voie illuminative », lettre 30 (1652).
[651] Souriau, Deux mystiques…, chapitre VIII « Monseigneur de Laval premier évêque de Québec » ; Surtout contribution dans le présent collectif : « Un disciple méconnu de Jean de Bernières : le bienheureux François de Laval, premier évêque de Québec (1623-1708). »
[652] Souriau, Deux mystiques…, op.cit., 92 ; Boudon, Œuvres I, Migne, 77.
[653] Jean Aumont est l’auteur du remarquable ouvrage : L’ouverture intérieure du Royaume de l’Agneau occis dans nos cœurs avec le total assujetissement de l’âme à son divin empire … par un pauvre Villageois, sans autre science ny estude que celle de Jésus crucifié, Paris, Billaine, 1660. – Le « pauvre Villageois » n’était pas sans culture ni profondeur.
[654] Souriau, Deux mystiques…, op.cit., 119.
[655] Annales des Ursulines de Caen citées par Charles du Chesnay, « La mort de M. de Bernières à Caen et l’arrivée de Mgr de Laval à Québec au printemps de 1659 », Notre Vie [revue Eudiste], 1959.
[656] Ibid., 271, citant une lettre de Mectilde du Saint-Sacrement.
[657] Liens avec le cercle normand comme avec la mouvance franciscaine : ouverture à la vie intérieure par “le bon franciscain” Enguerrand, lui-même en relation avec Jean Aumont (c’est une deuxième « chaîne » reliant Mme Guyon à Bernières) ; présence d’un remarquable mémoire sur Marie des Vallées dans le Directeur mistique (1726) accompagnant les écrits de Bertot préparés par elle, édités par Poiret ; appréciation de la “sainte” Mère du Saint-Sacrement. - Pour la seule mouvance franciscaine : très nombreuses citations d’un contemporain capucin récent, “l’auteur du Jour mystique” Pierre de Poitiers ; autorité de la Reigle de Benoît de Canfield ; chaîne de transmission des papiers de Bertot déposés au couvent de Nazareth incluant le père Paulin d’Aumale du Tiers Ordre Régulier ; etc.
[658] Sinon indirectement, s’adressant à un étranger : « Je vous envoie une lettre d’un grand serviteur de Dieu [Bertot], qui est mort il y a plusieurs années : il était ami de monsieur de Bernières, et il a été mon directeur dans ma jeunesse. » (Lettre au Baron de Metternich, Correspondance I Directions spirituelles, pièce 425). – Mme Guyon s’appuie par contre sur une autorité du début du siècle jamais mise en cause, celle du grand carme mystique aveugle Jean de Saint-Samson (1571-1636).
[659] Lettre au duc de Chevreuse du 10 janvier 1693 (Mme Guyon, Correspondance II Années de Combat, Paris, Champion, 2003, pièce 22, 85).
[660] Lettre au duc de Chevreuse du 16 mars 1693 (Mme Guyon, Correspondance II Années de Combat, Paris, Champion, 2003, pièce 35, 103).
[661] L’œuvre de Mme Guyon est maintenant éditée (Mme Gondal chez Millon, Grenoble ; nous-même chez Champion et Arfuyen, Paris : l’essentiel est présenté dans Mme Guyon, Oeuvres mystiques, Champion, 2008, 1-796).
[662] On relève par ailleurs d’autres associations entre bénédictins et capucins au cours du même siècle : la réforme de Montmartre aidée par Canfield, l’influence du capucin Constantin de Barbanson sur Dom Augustin Baker…
[663] D.Tronc, “Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon”, op.cit. – Voir nos présentations approfondies dans : Mme Guyon, Oeuvres mystiques, Honoré Champion, Coll. « Sources Classiques », 2008.
[664] Les études de Pacho et de J. Le Brun parues dans le tome XII du Dictionnaire de Spiritualité, art. « Quiétisme », col. 2756-2842, forment l’équivalent d’un plein volume et règlent le compte de ces usages abusifs du mot « quiétisme ».
[665] Mme Guyon Correspondance, II, Années de combat, 2004, pièce 504, 815-816 ; notre étude, « Une filiation mystique… », XVIIe siècle, Janvier-mars 2003, 95-116.
[666] Antoine le Clerc, sieur de la Forest, fut le conseiller de jeunesse de Chrysostome de Saint-Lô et l’orienta vers l’entrée dans le Tiers Ordre Régulier. Notre « bon Pèrère Chrysostome » rapporte : « Un autre serviteur de Dieu [il s’agit d’Antoine : par recoupement avec l’Histoire générale et particulière du tiers ordre…, 1667, Tome second, « La vie des personnes illustres qui ont fleuri dans les siècles quinze seize et dix-sept », 527-544] a été conduit à une très haute perfection par les vues pensées de l’Eternité. Il était de maison et façonné aux armes. Voici que environ à l’âge de vingt-trois ans, comme il banquetait avec ses camarades mondains, il entrouvrit un livre, où lisant le seul mot d’Eternité, il fut si fort pénétré d’une forte pensée de la chose qu’il tomba par terre comme évanoui, et y demeura six heures en cet état couché sur un lit, sans dire son secret… » [Jean-Chrysostome de Saint-Lô], Traités spirituels et méditatifs (1651), « Traité premier, Le Temps, la mort et l’éternité ». – Nous ne pouvons ici évoquer plus longuement cette figure vigoureuse.
[667] Lettre
au duc de Chevreuse du 11 septembre 1694.
[668] J. Chavannes, Jean-Philippe Dutoit, Lausanne,1865 (ouvrage toujours utile qui couvre également l’environnement de Dutoit), à compléter par A. Favre, Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911 ; manuscrits inexploités du fond d’archive de l’université de Lausanne.
[669] A. Favre, Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911, 36.
[670]A.
Favre, Jean-Philippe Dutoit,
op.cit. : « Inventaire et Verbal de la saisie des livres et
écrits de M. Dutoit », 115-118.
[671] V. la notice dans notre
édition de la Vie par elle-même… de
Mme Guyon, Champion, 2001, p. 1008.
[672] Objet d’une description critique par Karl Philipp Moritz dans son roman autobiographique Anton Reiser (datant de la fin du XVIIIe siècle). En contraste avec l’atmosphère mortifère du cercle piétiste rigoriste du vieux châtelain, les lectures de Fénelon et de Mme Guyon apportent ouverture et paix à l’adolescent.
[673] M. Chevallier, Pierre Poiret, du Protestantisme à la mystique, Labor et Fides, 1994. – Poiret apprécie les écrits de Bernières (notice 33 de son Catalogue, in Ecrits sur la Théologie mystique, Millon, 2005, entre les notices 32. S. François d’Assise et 34. Suso).
[674] Cf. G. Tersteegen, Traités spirituels, Labor et Fides, 2005, « Préface » par M. Cornuz, 10.
[675] Mme Guyon, Correspondance Tome I Directions Spirituelles, Honoré Champion, 2003, 679 sq.
[676] G. D. Henderson, Mystics of the North-East, Aberdeen, 1934, ouvrage aussi admirable que dificile à se procurer. Nous contacter.
[677]
Celle entreprise contre Cromwell sera suivi de révoltes contre la domination
par l’Angleterre. Ainsi l’Union de
1707 fut suivie d’un soulèvement inefficace en 1715 en faveur du
prétendant catholique James VIII (the Old
Pretender), qui s’enfuira finalement à Rome. Il n’y eut pas alors de
lourdes sanctions - mais ce sera le cas lors du second soulèvement de 1745 en
faveur de son fils (the Young Pretender).
Certains disciples guyoniens prendront part aux deux soulèvements.
[678] Scougal, Life of God in the soul of man, 1677, Christian Heritage, 1996.
[679] Henderson, op. cit., « Correspondance between James Cunningham of Bairns and Dr. Georges Garden”, 211 (en anglais que nous traduisons ici). - On est à l’époque où de jeunes réfugiés cévenols entreprennent ce que nous serions tenté de nommer une « tournée publicitaire » en Ecosse dont certains aspects tumultueux provoquent la demande de conseils de la part du correpondant.
[680] Henderson, op.cit., 61.
[681] Bonne présentation par Emile G. Léonard, Histoire générale du Protestantisme, t. III, 105-116.
[682] J. Orcibal, « Les spirituels français et espagnols chez John Wesley et ses contemporains », Etudes…, op. cit., 220.
[683] J. Orcibal, Etudes…, 551-552 (et v. la suite, sur les affinités avec Mme Guyon et sa “voie de foi”, 553-554.)
[684] J. Orcibal, Etudes…, 542.
[685] Ibid., 201.
[686] 247. Colman
Diaries, XVI, p. 118. En outre John HAMPSON (Memories of the late
Rev. J. Wesley, Sunderland, 1791, t. III, p. 24) affirme qu'à Oxford « he was a
profound student in Madam Guion and W. Law... nearly Split»]
[687] Ibid., 204. En note : Journal, t. V, pp. 382-383.
[688] Ibid., 205-206.
[689] Ibid., 254 bis. Noter que Ralph Mather donnait en novembre 1775 à Brooke une liste de gens disposés à subir l'influence du Moyen Court que son correspondant venait de traduire : la plupart étaient des méthodistes de Bristol.
[690] Ibid., 534.
[691] Ibid., 535.
[692] J. Orcibal, Etudes…, 202 dont la n. 242.
[693] J. Orcibal, Etudes…, 532.
[694] J. Orcibal, Etudes…, n. 254 : A
Tour through Holland, Flanders and part of France, 2e éd., Leeds, 1777, pp.
39, 91-95. La première édition
porte la date du 25 juin 1773. A cette époque on voit d'ailleurs se multiplier
les preuves du renouveau guyonien. En 1755 parut (à Bristol également) The worship of God in spirit and in truth. Short
and easy method of prayer :
deux lettres sur le même sujet adressées par Mme Guyon à des Londoniens (Mr. B.
et Mrs. T.) y sont jointes. La même année Th. D. BROOKE (cf. supra, n.
160 et infra, n. 260) publia à Dublin The exemplary life of the pious lady Guion... to which is added a new
translation of her Short and easy method of prayer. […] D. LI. GILBERT et
R. POPE, The Cowper translation of Mme
Guyon's poems, P. M. I. A., décembre 1939, t. 54, pp. 1077-1098; L.
HARTLEY, Cowper and Mme Guyon, Additional
notes, ibid., juin 1941, t. 56, pp. 585-587.
[695] J. Orcibal, Etudes…, 202. - Cite R. M. Jones (The later periods of Quakerism, Londres, 1921, t. I, pp. xxv, 57, 58, 73, 75, 83, 87-89, 238, t. II, p. 813) et insiste sur le rôle que jouèrent après Martin, les ouvrages de Gough et surtout A Guide to true Peace (Stockton, 1813) où W. Backhouse et J. Janson groupèrent des extraits de Fénelon, de Mme Guyon et de Molinos.
[696]
J. Orcibal, « L’originalité théologique de John Wesley et les
spiritualités du continent », Etudes…,
op. cit., 527-559. - Et citation page
530 : « Dans son Treatise on Christian perfection (1726)
et dans le Serious Call to a holy Life
(1728), il enseigne avec une logique pressante que Dieu doit être le seul objet
des actions humaines. […] Il annota aussi avec grand soin les livres « du grand
Fénelon et de l'illuminée Mme Guyon », dont il approuvait les idées sur l'Amour
pur, mais il leur préférait Tauler et la Théologie
germanique où il trouvait plus de vigueur philosophique.: ces tendances firent
de lui après 1737 le disciple de plus en plus exclusif de J. Boehme. En
revanche, il fut toujours sévère pour Antoinette Bourignon et pour
Marsay. »
[697]
J. Orcibal, Etudes…, 202, note 244 : « Sa bibliothèque
[de Law], conservée à King's Cliffe, renferme encore des exemplaires des Discours chrétiens et spirituels (1716,
2 vol.) et du Moyen Court (5e éd., «
The Gift of Mr. H[eylin?], August 10th, 1722 »), […] A noter que le fils de
lord Pitsligo était en 1741 en correspondance avec lui (Henderson, op. cit., 44-46) et que son disciple
Langcake faisait vers octobre 1782 de grands éloges de Mme Guyon.
[698] Eléments distribués dans notre édition des œuvres de Mme Guyon chez Champion : Vie par elle-même…, Correspondance structurée en trois volumes, Oeuvres mystiques, enfin : Les années d’épreuves...
[699] J.P. de Caussade, Traité…, coll. Christus, 1979, Introduction par M. Olphe-Galliard, 38. – v. du même M. Olphe-Galliard, La Théologie mystique en France au XVIIe siècle, 1983.
[700] J. Bremond, Le courant mystique au XVIIIe siècle, l’abandon dans les lettres du P. Milley, 1943, p. 183, « A la mère de Siry », 29 juillet 1708 ; v. aussi p. 354.
[701] L’Abandon à la Providence divine, coll. « Christus », 2005, « Introduction », pp. 15 et 19. Dominique Salin, S. J., prend partie dans un long débat en connaissance de cause, s’appuyant sur les travaux d’Olphe-Galliard et de Jacques Le Brun, et doutant de l’attribution « à une dame de Nancy » proposée par J. Gagey.
[702] L’abandon de la Providence divine, ouvrage posthume du P. J.-P. De Caussade…, par le P. H. Ramière : recommandation de l’évêque du Puy en 1867, permis d’imprimer en 1879.
[703] L’Abandon à la Providence divine, « Introduction » de D. Salin, op.cit., 19-20.
[704] Dominique Tronc, Filiations mystiques du Pur Amour, Du franciscain Chrysostome de Saint-Lô aux disciples de Mme Guyon, 1590 à 1837, monographie en préparation à l’intention de la collection « Mystica » des Editions Honoré Champion.
[705] Apologie de Fénelon, 1910 ; Histoire du Sentiment Religieux… qui devait s’appeler Histoire de la mystique, selon Goichot.
[706] Dont la plus grande part nous conte les « aventures » de Mme Guyon.
[707] Editions et études par Orcibal, Le Brun, Noye (Fénelon), Olphe-Galliard (Caussade), Madame Gondal et nous-même (Guyon).
[708] Luypaert, op.cit., p. 52sq. sur la « Méthode », suggère l’intérêt d’une mise en ordre chronologique tout en attirant l’attention sur des niveaux qui peuvent être différents selon les destinataires mais rédigés à une même époque.
[709] Julien Green, Oeuvres complètes, IV, Pléiade, 20, journal rédigé à la lecture d’Emile Dermenghem, La vie admirable et les révélations de Marie des Vallées d'après des textes inédits, Paris, 1926.
[710] Lettre au duc de Chevreuse du 16 mars 1693 (Madame Guyon, Correspondance II Années de Combat, Paris, Champion, 2003, pièce 35, 103).
[711] J.-J. Surin, Correspondance, Desclée de B., 1966. Dans ses précieuses notices, M. de Certeau décrit comment Surin tente une approche humaine au milieu du théâtre fou de Loudun - et ce qui s’ensuivit. L’analyse comparée de deux figures si différentes (homme-femme ; intellectuel-servante), malades de la folie de leur époque, devrait permettre de trier le grain spirituel de l’ivraie d’origine psychologique.
[712] Le Directeur mystique ou les œuvres spirituelles de Monsr. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Made Guion…, 4 vol., A Cologne [Amsterdam], 1726 : les « Conseils d’une grande servante de Dieu » figurent en annexe du vol. II., 407-430.
[713] « Où est votre cœur ? - Je n’en sais rien, dit-elle, et je ne sais pas même si j’en ai un - Je m’en vais vous le faire voir … Voilà votre cœur - Non, dit-elle, ce n’est point le mien, c’est le vôtre. » A rapprocher du dialogue soufi : « Le croyant n’a plus d’âme, car elle a disparu - Et où s’en est-elle allée ? - Elle est partie lors du pacte conclu avec Dieu… », (Sulamî, La lucidité implacable, Arlea, 1991, 75).
[714] Vie admirable, Livre 1, citations des chapitres 3 et 5.
[715] DS 16.207, art. « Marie des Vallées » (Milcent). – Voir aussi : Gaston de Renty, Correspondance, Desclée de Brouwer, 1978, 926.
[716] Le côté excessif des possessions et du désespoir a-t-il été exagéré dans les comptes-rendus de témoins crédules ? C’est notre hypothèse.
[717] Vie admirable, Livre 2, Chap. 4.
[718] Vie admirable, Livre 9, Chap. 6.
[719] Julien Green, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. IV, 1975, p. 20. Il lit : Émile Dermenghem, La vie admirable et les révélations de Marie des Vallées d’après des textes inédits, Paris, Plon-Nourry, 1926.
[720]
Les jésuites Pierre Coton (confesseur d’Henri IV, bon spirituel) et Jean-Baptiste
Saint-Jure (directeur de Renty, par lequel Pascal a connu et apprécié ce
dernier), la future Marie-Catherine de Saint-Augustin, (religieuse
hospitalière, tourmentée – elle aussi – par des obsessions sataniques, qui
vécut de 1648 à sa mort à l’hôtel-Dieu de Québec).
[721] Lettre au duc de Chevreuse du 16 mars 1693 (Madame Guyon, Correspondance, t. II Années de Combat, Paris, Champion, 2003, pièce 35, p. 103).
[722] J.-J. Surin, Correspondance, Paris, Desclée de Brouwer, 1966. Dans ses précieuses notices à cette édition, Michel de Certeau décrit comment le jésuite J.-J. Surin tente une approche humaine au milieu du théâtre fou de Loudun – et ce qui s’ensuivit. L’analyse comparée de deux figures si différentes (Surin et Marie des Vallées : homme et femme, intellectuel et servante), atteints de la folie de leur époque – on aurait brûlé en Europe sorcières et sorciers par milliers en quelques dizaines d’années –, devrait permettre de trier d’une manière sûre le grain spirituel de l’ivraie psychologique en analysant deux cas au lieu d’un seul (car Michel de Certeau généralise le cas posé par Surin dans sa période malheureuse à l’interprétation de la mystique dans son ensemble, comme auparavant Pierre Janet étendait ses concepts de psychologie religieuse exposés dans De l’Angoisse à l’Extase à partir de l’observation de la seule Madeleine de la Salpêtrière). Le présent dossier fournit la source féminine alternative contemporaine du jésuite Surin.
[723] Le témoignage de fidélité que nous éditons ne figure pas dans les Œuvres complètes du Vénérable Jean Eudes, introd. et notes de J. Dauphin et C. Lebrun, 12 vol., Vannes et Paris, 1905-1911.
[724] Le Directeur mystique ou les œuvres spirituelles de Monsr. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Made Guion…, 4 vol., A Cologne [Amsterdam], 1726 : les « Conseils d’une grande servante de Dieu » figurent en annexe à la fin du vol. II., p. 407-430.
[725] Comme l’indique une notice biographique attachée en note au début de notre édition des Conseils.
[726] Passiveté, état d’une âme contemplative sous l’opération de Dieu, ne se confond pas avec la passivité prise au sens habituel d’inertie.
[727] « Où est votre cœur ? – Je n’en sais rien, dit-elle, et je ne sais pas même si j’en ai un – Je m’en vais vous le faire voir … Voilà votre cœur – Non, dit-elle, ce n’est point le mien, c’est le vôtre. » (Vie admirable, dialogue entre Jésus-Christ et sœur Marie, f°166) ; témoignage mystique que l’on peut rapprocher du suivant : « Le croyant n’a plus d’âme, car elle a disparu – Et où s’en est-elle allée ? – Elle est partie lors du pacte conclu avec Dieu… » (Sulamî, La lucidité implacable, Arlea, 1991, p. 75)
[728] Vie admirable, livre 1, ch. 3 et ch. 5, désormais abrégé Vie 1.3 & 1.5 ; lorsqu’un chapitre est divisé en plusieurs sections, nous faisons figurer le numéro de la section contenant le texte référencé à la suite du numéro de chapitre (exemple : Vie 4.9.19 pour livre 4, chapitre 9, section 19).
[729] De « forces inconscientes » disons-nous aujourd’hui. En substituant « inconscient » à « diable » on découvre souvent toute la pertinence de certaines interprétations de l’époque.
[730] Paul Milcent, article « Marie des Vallées » du Dictionnaire de Spiritualité, Paris, Beauchesne, tome XVI, 1992, colonne 207 = DS 16.207, art. « Marie des Vallées » (Paul Milcent). Voir aussi : Gaston de Renty, Correspondance, Paris, Desclée de Brouwer, 1978, p. 926.
[731] Les dates varient légèrement avec les auteurs. Nous retenons celles fournies par Dermenghem, chartiste qui a consulté les manuscrits qu’il cite.
[732] « L’an 1653, le 29 de juillet », Vie 9.3.1.
[733] Thomas Deschamps ( ?-1629) est l’auteur d’un traité complet de la vie spirituelle dans la ligne des écoles du Nord (Ruusbroec, Harphius…) : Le Jardin des Contemplatifs.
[734] Memoriale beneficiorum Dei, n. 34.
[735] Renty, Correspondance, (par R. Triboulet), Desclée de Brouwer, 1978, lettre 286, p. 670. - Envoi du même papier à Saint-Jure, lettre 305, p.706.
[736] La Vie admirable de Marie des Vallées et son Abrégé rédigés par saint Jean Eudes suivis des Conseils d’une grande servante de Dieu, collection Sources mystiques, Centre Saint-Jean-dela-Croix, avril 2013.
[737] Signalons la parution très prochaine de « Rencontres autour de Jean de Bernières » rassemblant dix contributeurs qui éclairent le milieu au sein duquel vécut Marie des Vallées, aux éditions Parole et Silence ; ainsi que l’achèvement prochain du tome II des Oeuvres du même Bernières assemblant chronologiquement sa correspondance (par dom Eric de Reviers, bénédictin qui participa à la rencontre de Caen en 2009).
[738] Vie, Livre 9, Chap. 6, section 2 « Elle résout des difficultés qu’on lui propose sur la contemplation, et donne des avis fort utiles sur ce sujet ».
[739] Vie, Livre 8, Chap. 8 « Contre la gourmandise… »
[740] En 1919, ses restes furent exhumés et inhumés dans la cathédrale de Coutances, près de l’autel de Notre-Dame du Puits.
[741] Notre édition de la Vie.
[742] Communication mystique.
[743] “Conseils d’une grande Servante de Dieu appelée Sœur Marie des Vallées”, notre édition de la Vie. Les numéros sont ceux des paragraphes de l’édition originale du Directeur mystique.
[744] Lettre au duc de Chevreuse du 16 mars 1693 (Madame Guyon, Correspondance, t. II Années de Combat, Paris, Champion, 2003, pièce 35, p. 103).
[745] Références des diverses éditions du Pasteur Poiret par M. Chevallier et nos éditions des œuvres de madame Guyon, Paris, Champion, 2001-2009. – Nous venons de citer trois extraits supra de ces Conseils.
[746] Émile Dermenghem, La vie admirable et les révélations de Marie des Vallées d’après des textes inédits, Paris, Plon-Nourry, 1926.
[747] Julien Green, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. IV, 1975, p. 20.
[748] Julien Green se réfère à la Vie, “Livre sixième. Contenant ce qui appartient aux divins attributs, à Notre Seigneur Jésus-Christ, à sa sainte Passion, au Saint-Sacrement, à la communion et à la confession”, Chapitre 2. “L’amour de la sœur Marie vers la divine volonté. Elle l’honore comme sa mère, etc.” . Section 1. Elle regarde et suit en toutes choses la divine volonté. Les créatures nous montrent cette leçon : elle doit être suivie au préjudice de la raison. Voici le dialogue plus complet auquel se réfère Julien Green :
“Se plaignant un jour à Notre Seigneur de l’état où elle était, Il lui dit : « Si j’étais à votre place que feriez-vous ?
“– Attendez, dit-elle, je vous assure que je vous ferais tout ce que l’adorable volonté de Dieu voudrait que je vous fisse.
“– Mais si l’adorable volonté de Dieu voulait que vous me crucifiassiez ?
“– Oui, je vous assure, je vous crucifierais et je frapperais à grands coups de marteau sur les clous pour vous crucifier.
“– Et si elle voulait que vous me missiez en enfer avec les diables, m’y mettriez-vous ?
“– Je vous assure que oui.
“– Et si elle voulait que vous m’y laissassiez plusieurs années parmi des tourments rigoureux, m’y laisseriez-vous ? – Oui, je vous y laisserais!
[749] J.-J. Surin, Correspondance, Paris, Desclée de Brouwer, 1966.
[750] L’analyse comparée de deux figures si différentes (Surin et Marie des Vallées : homme et femme, intellectuel et servante), atteints de la folie de leur époque – on aurait brûlé en Europe sorcières et sorciers par milliers en quelques dizaines d’années –, devrait permettre de trier d’une manière sûre le grain spirituel de l’ivraie psychologique en analysant deux cas au lieu d’un seul (car Michel de Certeau généralise le cas posé par Surin dans sa période malheureuse à l’interprétation de la mystique dans son ensemble, comme auparavant Pierre Janet étendait ses concepts de psychologie religieuse exposés dans De l’Angoisse à l’Extase à partir de l’observation de la seule Madeleine de la Salpêtrière). M des V constitue la meilleure source féminine alternative contemporaine du jésuite Surin.
[751] Livre 4. Contenant plusieurs choses qui font voir l’excellence de cette œuvre. Chapitre 10. Plusieurs autres choses qui font voir son état. Le Fils de Dieu la demande en mariage. Section 11. Abbaye de perfection et règles des excès de l’Amour divin qu’il a fait garder à la sœur Marie.
[752]
Livre 5. Contenant plusieurs autres choses qui font voir la
sublimité, la vérité, la fin et les fruits de l’œuvre admirable que Dieu a
opérée en la sœur Marie. Chapitre 2. La vérité des choses qui se passent en la sœur
Marie. Section 4. Les aveugles font le procès au soleil. Le
procès d’entre les sens de la sœur Marie et quelques particuliers.
[753] Chapitre 6. Ce qui se passe en elle sera manifesté en son temps. Section 5. Notre Seigneur lui promet de lui faire connaître la vérité et à tout le monde. Confirmation de la vérité.
[754] Livre 9. Qui contient des choses très excellentes touchant la grâce et plusieurs des principales vertus chrétiennes. Chapitre 3. De l’amour de Dieu. Colloque entre Notre Seigneur et la sœur Marie, qui fait voir le grand amour qu’elle lui porte. Section 1. Elle aime Dieu purement et ne veut point de récompense. Son amour déiforme au regard de Dieu.
[755]
- Livre sixième. Contenant ce qui appartient aux divins attributs, à Notre
Seigneur Jésus-Christ, à sa sainte Passion, au Saint-Sacrement, à la communion
et à la confession. Chapitre 2. L’amour de la sœur Marie vers la divine
volonté. Elle l’honore comme sa mère, etc. Section 4.
Elle est animée de la divine Volonté. Estriveries[755]
qui font voir que la divine Volonté est régnante en elle. - De même
Bertot : « …mon âme est comme un instrument dont on joue, ou si vous
voulez comme un luth qui ne dit ni ne peut dire mot que par le mouvement de
Celui qui l’anime. » (Directeur
Mystique, t. 2, lettre 6, p. 26)
[756] Livre 7. Qui contient ce qui regarde la mère de Dieu, les anges et les saints, l’Église militante et souffrante. Section 3. Elle est la grande basse de la Sainte Vierge.
[757] Livre 9. Chapitre 6. De la contemplation. La sœur Marie a été élevée dès le commencement au plus haut degré de la contemplation. Section 2. Trois sortes de contemplations. Elle résout des difficultés qu’on lui propose sur la contemplation, et donne des avis fort utiles sur ce sujet.
[758] Livre 9. Chapitre 11. De sa charité vers les âmes et du zèle de leur salut. La sœur Marie voit la beauté des âmes et est embrasée de zèle pour leur salut.
[759] Livre 9. Chapitre 6. De la contemplation. La sœur Marie a été élevée dès le commencement au plus haut degré de la contemplation. Section 2. Trois sortes de contemplations. Elle résout des difficultés qu’on lui propose sur la contemplation, et donne des avis fort utiles sur ce sujet.
[760]
Livre 9. Chapitre 6. De la contemplation. La sœur
Marie a été élevée dès le commencement au plus haut degré de la contemplation.
Section 1. La manière avec laquelle Notre Seigneur lui parle et comme elle
connaît la vérité des choses qui lui sont proposées.
[761] Livre 10. Contenant beaucoup de choses très utiles touchant l’humilité et plusieurs autres vertus. De la perfection. Du don de prophétie et des miracles. Chapitre 3. De plusieurs autres choses qui montrent l’humilité, en quoi elle consiste et qu’elle a une infinité de degrés. Section 4. Plusieurs motifs d’humilité. Le portrait de la vraie et parfaite humilité.
[762] Livre 10. Chapitre 10. Communion, union, transformation et déification. Section 1. La goutte de rosée qui demande de se perdre dans la mer de la Divinité.
[763] Commentaire apporté par une bénédictine de l’Institut du Saint-Sacrement demeurée inconnue. Il provient du ms. N 249 p. 200. (Marguerite de l’Escale est l’auteure du ms. N 248). – Citations et extraits du florilège figurent en caractères romains (et dorénavant sans mise entre guillemets), liens et présentations en italiques.
[764] Une amitié spirituelle au Grand Siècle, lettres de Mère Mectilde de Bar à Marie de Châteauvieux…, Téqui, 1989, est d'ailleurs le titre choisi pour l’édition de lettres adressées par Mère Mectilde à son amie. Leur correspondance met la barre haute, n’hésitant pas à proposer l’oraison du simple regard aux « débutants » (voir l’Introduction par Michel Dupuy, 36).
[765] Environ un tiers de cette correspondance a été sélectionné par les moniales de l'Institut. Nous citerons souvent par des titres réduits les ouvrages édités, par exemple « Lettres inédites » pour Catherine de Bar / Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698 / Lettres inédites, Rouen, 1976. Les références complètes figurent en fin de volume, annexe CHOIX BIBLIOGRAPHIQUE, 1. Ouvrages fréquemment cités ».
[766] On en trouve des listes dans Lettres inédites, 392 ; Fondation de Rouen, 13-15 ; Documents historiques, 34.
[767] Le Fichier central [cité « F.C. »] et son Complément recensent au total 3767 lettres et pièces (entretiens, conférences, chapitres, fragments). Voir LE FICHIER CENTRAL, Annexe en fin de volume.
[768] Amitié spirituelle, Fondation de Rouen, Lettres inédites, En Pologne... Les relations avec Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Epiphane Louys, etc., sont transcrites à partir d’autres sources.
[769] Tout commence avec Mère Monique des Anges de Beauvais (1653-1723) qui fut secrétaire particulière de Mère Mectilde… v. HISTOIRE DE TRANSMISSIONS, annexe établie grâce aux travaux de sœur Marie-Hélène Rozec.
[770] v. Âme offerte, Dom Joël Letellier, 22.
[771] Pour exemple, l’édition devenue rare des Lettres de Jean de Bernières publiée en seconde partie des Œuvres spirituelles (1670) est préférable aux très nombreuses impressions du Chrétien intérieur, « œuvre » reconstruite librement à partir de fragments de lettres.
[772] Son nom a été orthographié
Mechtilde à partir du latin Mechtildis ;
sur les premiers portraits est écrit en bas Mecthilde (Mathilde en
allemand) ; enfin elle-même signe Mectilde.
[s. M.-H.] - orthographe adoptée en accord
avec la majorité des auteurs récents. Mectilde est connue à la fin du XVIIe
siècle, par exemple par madame Guyon et Fénelon, comme « La Mère du
Saint-Sacrement » ; tandis qu'elle apparaît généralement
dans
des éditions anciennes sous son nom de naissance
Catherine de Bar.
[773] v. « Annexe « CHOIX
BIBLIOGRAPHIQUE ».
[774] Ame offerte, Letellier, 55. - Dom Jean Leclercq souligne justement
qu’il s’agit ici d’une « union plutôt qu’immolation », ibid., 36, même si la spiritualité de
son époque parle souvent de « réparation ».
[775] Ce désir de fuite en une solitude
se heurte à la réponse ferme donnée par Bernières (v. infra ; et Lettres
inédites, 142).
[776] Joël Letellier, « Catherine
de Bar (1614-1698), Annonciade et bénédictine. Une même aspiration à travers
les vicissitudes de l’histoire », 329-384, in Jeanne de France et l’Annonciade, Cerf, 2004.
[777] Lettres inédites, 122, appréciation - Fondation de Rouen, 299, mort de Mme de Montmartre.
[778] Documents historiques, Itinéraire spirituel, Âme offerte.
[779] Tableau en fin de section :
« Chronologie
et durée des états de vie ». En 1641,
la guerre de Trente Ans provoque le refuge à Paris ; en 1642, séjours près
de Caen ; en 1643, venue à Saint-Maur près Paris ; en 1647, priorat
du Bon-Secours à
Caen ; en 1650, priorat à Rambervillers ; en 1651, la guerre entre la
France et le Saint-Empire provoque un second refuge à Paris : « Le
Bon
ami », rue St Dominique,
aujourd'hui Bd Saint-Germain ; en 1652, maison Pinon, rue du Bac ; en
1654, rue Férou ; en 1659, rue Cassette.
[780] Fondation de Rouen. Attachants récits de quatre voyages de la
« digne Mère » menés pour cette fondation difficile (essais multiples
d’implantation enfin réalisée …mais le plancher s’effondre et une sœur
devient folle. La chronique qui couvre les pages 25 à 135 évoque les conditions
de nombreuses fondations à l’époque, ce qui donne au récit haut en couleur une
valeur exemplaire. Un autre récit de fondation - cette fois sans Mectilde -
mérite pleine attention : En Pologne, 46 sq., la fondation très bien annotée suivie de l’histoire
des monastères polonais et de l’Holocauste.
[781] Ce couvent formait un domaine
considérable, disposant d’un grand jardin de forme triangulaire. Il verra
passer bien du monde, dont madame Guyon et Fénelon. Le grand ensemble formé par
le couvent des Carmes, les Bénédictines et N.D. de Consolation, recouvrait
l’actuel quadrilatère délimité par la rue de Vaugirard, la rue Cassette, la rue
du Cherche-Midi, la rue de Rennes, la rue
du Regard… Plan dans Conrad de Meester, Frère
Laurent de la Résurrection, Cerf, 1996, annexe I ; mais Le plan
Turgot de 1734 est plus complet. [s.M.-H.].
[782] Amitié spirituelle, 113-117, « C’est par la foi que l’on
connaît Dieu », F.C.1391. – Explicitation par Véronique Andral, « De
la voie du rien à la petite voie » in Carmel,
1963 - Allusions à Jean de la Croix dans : lettre
du 7 septembre 1648 à Bernières ; Andral, Itinéraire spirituel, 58 ; Valli, p. 199 note 32.
[783] Nous rencontrons dans les écrits
publiés : Teresa (Lettres
inédites, 336 & Fondation de
Rouen, 169), Guilloré (Lettres
inédites, 303 & Fondation de
Rouen, 224), Saint Jure (Lettres
inédites, 240), indirectement Suso : « Mon âme me fut représentée
comme une chiffe… » (Andral, 186).
[784] J. Daoust, Catherine de Bar…, Tequi, 1979, « Conférence sur l’appel
à la sainteté », 90-91. – pagination entre crochets.
[785] Ibid., 97-98. Conférences du Corpus de Bayeux. (Conférence de la
veille des Rois de l’année 1694 ‘Sur la vocation d’adoratrice’. Ms. R.7 p. 275
et quelques corrections du ms. B 510 p. 7 ; annexe LE
FICHIER CENTRAL F.C. 2338.
[786] Autres chronologies
dans : Ame offerte, Letellier,
18sq. – Andral, 231sq. que nous utilisons – Documents
historiques, 325sq. – Valli, 313sq. - Yves Poutet, Catherine de Bar, p. 17sq.
[787] Le contact ne fut qu’indirect, Bernières assurant le relais, mais il fut poursuivi en prière après 1656 comme l’atteste infra Mectilde.
[788] On trouve une richesse semblable auprès de Madame Guyon – Ce n’est pas étonnant puisqu’il s’agit d’une nouvelle branche du grand réseau mystique qui inclut celle que nous allons illustrer. Toutefois les relations entre membres de cercles spirituels « quiétistes » devenus discrets sont perdues ou dispersées.
[789] En général deux figures se rencontrent (par exemple François de Sales avec la future Mère de Chantal) ou bien une figure rayonne au sein d’un cercle (Catherine de Gênes ou Madame Guyon). Ici s’épaulent plusieurs figures mystiques accomplies de la première branche de l’ « école de cœur » (et l’on n’a pas inclus les noms qui succèdent à « l’ancienne génération » des directeurs de Mectilde).
[790] D. Tronc, Expériences mystiques
en Occident, IV. Une école du cœur, à paraître.
[791] Bernières, Œuvres Spirituelles
II, 282 (lettre du 15 février 1647).
[792] Il en est de même pour l’autre
« passeur » de la génération suivante, Monsieur Bertot (1620-1671).
Il accompagne Bernières en fidèle coopérateur avant
de prendre relais.
[793] Nous l’explorons ici partiellement
en
nous appuyant sur le travail de sauvegarde assuré par les Bénédictines du
Saint-Sacrement. Un océan de textes manuscrits est concentré
depuis peu au monastère de Rouen. Nous avons mis en valeur la branche de la
quiétude autour de Madame Guyon, de Monsieur Bertot et de Monsieur de Bernières,
avant de réaliser leur origine franciscaine par Jean-Chrysostome.
Les
pièces du puzzle s’assemblent. Le ‘delta spirituel’
s’étendra du Canada à la Pologne du côté catholique, en Europe centrale, Îles
britanniques, États-Unis du côté protestant.
[794] Pierre Moracchini, « Un
Grand Siècle franciscain à Paris (1574-1689), 3) La réforme du
Tiers-Ordre Régulier », in D. Tronc, La
vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siècle. […] Tome III, Centre
Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2014.
[795] Histoire Générale et particulière du Tiers Ordre de S. François
d’Assize, par le R.P. Jean Marie de Vernon, Religieux pénitent du tiers
ordre de saint François, Paris, 1667, tome troisième, 76.
[796] Histoire générale..., op. cit., 118.
[797] Denys le chartreux
(1402/3-1471).
[798] Henri-Marie Boudon, L’homme intérieur ou la vie du vénérable
père Jean Chrysostome, religieux pénitent du troisième ordre de S. François,
à Paris chez Estienne Michallet, 1684, 337 sq. (Migne, Œuvres complètes de Boudon, col. 1310/12), 88.
[799] Ibid., 178, 198.
[800] Ibid., 200.
[801] Ibid., 284, 316.
[802] DS 5.1645 (art.
« Spiritualité franciscaine »).
[803] Boudon, L’homme intérieur…, 337 sq.
[804] Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de
Bernières, Paris, 1913.
[805] DS 2.881 sq. (art. “Chrysostome
de Saint-Lô”) ; Heurtevent, L’œuvre
spirituelle de Jean de Bernières, Beauchesne, 1938 .
[806] Boudon, L’homme intérieur…, 372 à 378.
[807] Parmi sept exemplaires repérés
des écrits « composés par un Religieux d’une vertu éminente et de grande
expérience en la direction des âmes » [le P. Chrysostome], ils se ramènent
tous - l’ordre des matières peut varier - à deux titres : Divers traités spirituels et méditatifs à
Paris, 1651 ; Divers exercices de
piété et de perfection, composés par un religieux d’une vertu éminente et de
grande expérience en la direction des âmes, à la plus grande gloire de Dieu et
de N.S.J.C., à Paris, 1655. De nombreux autres titres, que nous n’avons pu
localiser, sont donnés par Boudon, Œuvres
II, Migne, colonnes 1320 sq.
[808] Le second « de maison et
façonné aux armes » (citation ci-dessous) serait Antoine le Clerc, le
conseiller de jeunesse de Jean-Chrysostome : « À vingt ans il prit
les armes, où il vécut à la mode des autres guerriers, dans un grand
libertinage. La guerre étant finie, il entra dans les études… » (« La
vie d’Antoine le Clerc, sieur de la Forest » rapportée par Jean-Marie de
Vernon, Histoire Générale…, op. cit.,
527).
[809] Cf. Jean de la Croix :
« Chez le basilic, c’est la force du poison qui tue. Lorsqu’il s’agit de
Dieu, c’est l’immensité du bonheur et de la gloire qui donne la mort. » (Cantique Spirituel B, 11, 7).
[810] Divers traités…, 108, 130.
Voir Gilles d’Assise ( ?-1262) : « Il n’a plus ni foi ni
espérance, car il connaît et aime. »
(DS 6.379).
[811]
Ibid., 140/1, 178/9.
[812]
Ibid., 179/180.
[813] Divers exercices…, partie paginée 1 à 136 : « …diversités spirituelles… »,
56 sq.
[814] Divers exercices…, partie paginée 1 à 212.
[815] Selon le récit légendaire de la
fin de vie du maître assisté par un mystérieux laïque (E.-P. Noël, Œuvres complètes de Jean Tauler, tome I,
1911, 16).
[816] Lettre à Bernières du 30 juin
1643. T4, p. 69 ; P 101, p. 136. – Les mystiques sont discrets ; leur
rencontre est souvent le fait d’une introduction par un de leurs
dirigés qui aimerait partager sa chance lorsqu’il rencontre un ami
éprouvé.
[817] P160, p. 228 ; T4, p. 617 sq. -
Chrysostome répond aux questions posées dans ce mémoire. (Transcription
dactylographiée de ce ms. au couvent des bénédictines de Rouen, dossier
intitulé « Père Jean Chrysostome de Saint-Lô ». Ce
dialogue entre dirigée et directeur mystique nous apparaît si important que
nous l'avons comparé et corrigé par la source T4.
[818] T4, p. 619 (au lieu de
« qu'elle [reçoit] de Dieu ».
[819] T4, p. 633.
[820] T4, p. 637.
[821] P160, p.
241a ; T4, p. 649 ; P 101, p. 180.
[822] « ce divin » : P
101, p. 182.
[823] « Bien avare à qui Dieu ne
suffit » : la célèbre devise de madame Acarie. Il faut, dit saint
Augustin « qu'une âme soit bien avare, à qui Dieu ne suffit pas » (Enarratio III in Ps. XXX, n.4).
Elle est souvent reprise par Mectilde avec des variantes : « Celui-là
est bien avare à qui Dieu ne suffit » en réponse du P. Chrysostome, P 101,
p. 183 ; « Trop est avare à qui Dieu ne suffit »,
lettre à Madame de Châteauvieux, Documents
Historiques D.H.], p. 191, 5e lettre, F.C. 1576 ; « ô
que trop est avare à qui Jésus ne suffit
pas dans la sacrée Eucharistie », Retraite de 1662, D. H., p. 128 ;
« Véritable Esprit », I, p. 26, édition de 1864 ; « Le
langage des mystiques... » in N 249 [et non N 248], p. 200.
[824] Les additions sont mises entre
crochets.
[825]
P 101, p. 189, fin de la réponse du Père Jean Chrysostome.
[826] La Vie Admirable de Marie des Vallées et son Abrégé rédigés par saint
Jean Eudes suivis des Conseils d’une grande servante de Dieu, Textes
présentés et édités par Dominique Tronc et Joseph Racapé, cjm, Éd. du Centre
Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2013 ;
Marie des Vallées, Le Jardin de l’Amour
divin, Textes choisis et présentés par Dominique et Murielle Tronc,
Arfuyen, 2013 ; Marie des Vallées, la « sainte de Coutances », Actes
du colloque tenu au centre diocésain des Unelles, à Coutances, le samedi 1er
juin 2013, réunis par le P. Daniel Doré, cjm, Vie Eudiste, Hors-série, 2013 (notre choix de
« dits » dans « Influence mystique et postérité de Marie des
Vallées » 39-48).
[827] Lettres inédites, 346 ; Fondation
de Rouen, 63/4, 362, 354/5, 371.
[828] Vie, Livre 9, Chap. 6, section 2
« Elle résout des difficultés qu’on lui propose sur la contemplation, et
donne des avis fort utiles sur ce sujet ».
[829] Communication mystique.
[830] “Conseils d’une grande Servante
de Dieu appelée Sœur Marie des Vallées”, notre édition de sa Vie admirable. Les numéros sont ceux des
paragraphes de l’édition originale dans le Directeur
mystique (1726) où furent rassemblés les écrits de Bertot.
[831] Le Chapitre IV est précédé de feuillets blancs ; un nouveau copiste prend le relais : de beaux et profonds passages succèdent à bien des diableries mises en valeur par Dermenghem et d’autres modernes.
[832] Livre 4. Contenant plusieurs
choses qui font voir l’excellence de cette œuvre. Chapitre 10. Plusieurs
autres choses qui font voir son état. Le Fils de Dieu la demande en mariage.
Section 11. Abbaye de perfection et règles des excès de l’Amour divin
qu’il a fait garder à la sœur Marie.
[833] Livre 5. Contenant plusieurs
autres choses qui font voir la sublimité, la vérité, la fin et les fruits de
l’œuvre admirable que Dieu a opérée en la sœur Marie. Chapitre 2. La
vérité des choses qui se passent en la sœur Marie. Section 4. Les aveugles
font le procès au soleil.
[834] « Je (le) suis partout où il va. »
[835] Livre 7. Qui contient ce qui
regarde la Mère de Dieu, les anges et les saints, l’Église militante et
souffrante. Section 3. Elle est la grande basse de la Sainte Vierge.
[836] Il s’agit de purifier l’Église de Dieu « affligée par un
poison anti-mystique ». Boudon (1624-1702) sera persécuté ; en 1670,
sera jeté l’interdit sur le couvent de Jourdaine de Bernières par un Official
janséniste ; à l’instant où elle écrit à Boudon, les
« messieurs du Port-Royal » s’opposent au projet de fondation (elle
le rapporte plus bas). « L’affaire » aboutira avec obtention
des Lettres Patentes en 1653. La
« bonne âme » désigne Marie des Vallées. Purgation et saignée se
réfèrent aux dits rapportés au chapitre 6, section 3, de la Vie admirable : « l’Église
n’est pas malade à la mort, mon Fils lui donnera une saignée et une purgation
et elle sera guérie… ».
[837] Le Frère Luc de Bray, religieux
cordelier, de l’ordre de saint François d’Assise a été en relation avec Mère
Mectilde pendant plus de vingt-cinq ans. Elle l’avait connu par leur ami
commun, Jean de Bernières-Louvigny. Il semble que le Père de Bray, en résidence
à Rome, se soit employé à obtenir la bulle d’érection de notre
observance [Bénédictines du Saint-Sacrement] en congrégation, en décembre 1676. (NDE)
[838] Fondation de Rouen, 353-356.
[839] La pose de croix rue Férou
se fera
en présence de la Reine le 12 mars 1654.
[840] La Sainte Vierge est proclamée
Abbesse perpétuelle le 22 août 1654.
[841] Fondation de Rouen, 361-362, F.C. 1810, C 403.
[842] Saint Jean Eudes (1601-1680),
l’ami de Bernières. - Berthelot du Chesnay, « Saint Jean Eudes et Mère
Mectilde », Notre Vie (revue
eudiste) juillet 1952, novembre 1954, janvier et mai 1955.
[843] Monsieur Jacques Bertot, fidèle
de Jean de Bernières.
[844] Sur les rapports délicats avec le
Père Lejeune v. Rencontres..., op.cit.,
contribution de B. Pitaud, 206 sq.
[845] Futur Mgr de Laval (1623-1708),
qui va passer trois années à l’Ermitage
avant de partir au Canada en 1659. « Ce serait à l’invitation de Catherine
de Bar, au moins, que François de Laval se serait rendu à l’Ermitage de Caen. Et c’est
vraisemblablement sa sœur, Mère Anne de Saint-Joseph Laval-Montigny, une des
toutes premières moniales de l’Institut du Saint-Sacrement naissant, ou encore
son grand ami Henri-Marie Boudon, qui aurait fait connaître l’abbé de Montigny
à la Mère Mectilde. » (« Un disciple méconnu… » par Dom Thierry
Barbeau, Rencontres..., op.cit.,
133-171, citation : 144-145.)
[846] Lettre du 21 août à
Jean de Bernières, Fondation de Rouen,
371-372, F.C. 1249, P 160.
[847] Fondation de Rouen, 63-64.
[848] « Magicienne » ?
pour des jansénistes, et l’autre
fondateur saint Jean Eudes souffre à l’époque de traverses liées à sa supposée
dépendance vis-à-vis de la « possédée ». – Noter la forme au
présent : la magicienne morte depuis plus de vingt ans opère au présent
‘d’en haut’ pour soutenir Mectilde !
[849] Lettres
inédites, 346, « Lettre à une religieuse de
Toul », 1683, F.C .442, N 267.
[850] Comprendre : « que vous avez de la vanité de n’avoir pas eu de vanité. »
[851] Corpus de Bayeux C.B., Conférence
134, 1691, Tenez-vous dans votre néant ; N. 261 / 3 p. 56 ; F.C.
2801.
[852] « Lettre au duc de Chevreuse
du 16 mars 1693 » Madame Guyon, Correspondance
II Années de Combat, Champion, 2003,
pièce 35, 103.
[853] Les Conseils
d’une Grande Servante de Dieu furent publiés
à la fin du tome II du Directeur mystique
de Monsieur Bertot, 1726 . Pour suivre des influences mystiques
nées à l’Ermitage voir Rencontres
autour de Jean de Bernières, « …Sources et influences… »,
381-421, où j’aborde « l’autre moitié chrétienne » : membres de
confessions protestantes, quakers, etc.
[854] « J’ai été nommée Marie par Marie des Vallées et par Messire Jean de Bernières.»
[855] Puis exhumée
et inhumée en 1919 à droite du transept de la cathédrale de Coutances, près de
l’autel de Notre-Dame du Puits.
[856] Vie de la Vénérable Mère de S. Jean l’Évangéliste, religieuse de
l’Abbaye royale de Montmartre. Par la Mère Jacqueline Bouette de Blémur,
religieuse bénédictine de l’Abbaye de la Ste Trinité de Caen. À Paris, chez
Nicolas Le Clerc, 1689, 108.
[857] Vie de la Vénérable Mère…, 56.
[858] Ibid., 73-76.
[859] Ibid., 105.
[860] Ibid., 109-111.
[861] Ibid., 142.
[862] Ibid., 138-141.
[863] Ibid., 146-148. Cette longue lettre dont nous ne
reproduisons que quelques phrases couvre les pages 143 à 149.
[864] Lettre de Mectilde à Rocquelay,
secrétaire de Bernières, 15 mars 1643, F.C. 908 ; Itinéraire spirituel, 31.
[865] P 108bis, 43. – Nous rencontrerons d’autres occasions permettant de citer V. Andral, archiviste auteure d’une approche mystique de Mectilde dans son Itinéraire spirituel (2e éd. 1997 ; en cours de réédition).
[866] L’abbé Berrant, aumônier de la Visitation de Melun vers 1700, n’est pas toujours sûr [s. M.-H.] ; la réputation de dureté attachée au Père Chrysostome a probablement été exagérée ; les ceintures de fer sont fort admirées à l’époque ce dont témoigne dom Claude Martin, La vie de la Vénérable Mère Marie de l’Incarnation (1677), 623.
[867] Histoire littéraire du sentiment religieux en France, tome II,
467-484, où Bremond renvoie à l’Abrégé de
sa vie par la Mère de Blémur (481-483) ; repris dans Itinéraire spirituel, 46.
[868] Vie de la Vénérable Mère de S. Jean l’Évangéliste…, 117 & 127.
[869] Jean de la Croix sera béatifié…
en
1675, enfin canonisé en 1726 (apprécié très tôt
par les mystiques, Jean demeurait critiqué par d’autres).
[870] Itinéraire spirituel, 58.
[871] Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de
Bernières, Paris, 1913 (& 1923 sous un autre titre : Le mysticisme en Normandie au XVIIe siècle) ;
R. Heurtevent, L’œuvre Spirituelle de
Jean de Bernières, Beauchesne, 1938 ; L. Luypaert, « La
doctrine spirituelle de Bernières et le Quiétisme », Revue d’Histoire Ecclésiastique, 1940, 19-130 ; Rencontres
autour de Jean de Bernières,
mystique de l’abandon et de la quiétude, 2013.
[872] Jean de Bernières, Le Chrétien intérieur [livre VII]. Textes choisis suivis des lettres à l’Ami
intime […] par Dominique et Murielle Tronc, Arfuyen, Paris, 2009 ;
Jean de Bernières, Œuvres Mystiques I, L’Intérieur chrétien suivi du Chrétien
intérieur augmenté des Pensées, Edition critique avec une étude sur
l’auteur et son école par Dominique Tronc, Ed. du Carmel, coll. « Sources
mystiques », 2011 ; les contributions de Rencontres…, op. cit.,
proposent de nombreuses citations constituant un florilège mystique.
[873] Dom G. Oury, Marie de l’Incarnation, Mémoires de la Société Archéologique de
Touraine, tome LVIII, 1973, pages 280 sq. (que nous citons) & Les
presses de l’Université Laval, Québec / Abbaye Saint-Pierre, Solesmes, 1973.
[874] Dom Oury, Marie de l’Incarnation…, 297-299.
[875] Dom Oury, Ibid., 320 ; v.
Dict. Spir. 10.490.
[876] Boudon, Œuvres II, 1313.
[877] Souriau, Deux mystiques…, 115 ; Chrétien
Intérieur, 380.
[878] Œuvres Spirituelles II, 61. – Son serviteur Roberge ira plus tard
en Nouvelle-France.
[879] Souriau, Deux mystiques…, 119.
[880] Annales des Ursulines de Caen
citées par Charles du Chesnay, « La mort de M. de Bernières à Caen et
l’arrivée de Mgr de Laval à Québec au printemps de 1659 », Notre Vie [revue eudiste], 1959.
[881] Citée par Souriau, Deux mystiques…., 271.
[882] Jean de Bernières, Œuvres spirituelles II, 469-470 (Lettre
du 11 novembre 1654).
[883] Œuvres spirituelles, II, 244 & 245-246 (Lettre du 20 octobre
1654).
[884] Chrétien Intérieur VII, 5.
[885] Ibid. VII, 6.
[886] Ibid. VII, 5.
[887] Jean de Bernières, Œuvres spirituelles, II,
« Lettres à l’Ami intime » : au nombre de 18, leur destinataire
non cité est probablement Jacques Bertot. Voir notre édition, Le Chrétien intérieur…, Arfuyen, 2009,
151 sq.
[888] « Lettre à
l’Ami intime » n°18.
[889] Chapitre 13 du 3e livre du Chrétien intérieur [dans l’édition en
huit livres].
[890] Souriau, Deux mystiques…,196.
[891] Bernières, Chrétien Intérieur, VI, 11.
[892] Bernières, Œuvres Spirituelles, II, 122.
[893] Rencontres
autour de Jean de Bernières…, op. cit.
« La correspondance spirituelle entre Jean de Bernières et Mère Mectilde
du Saint-Sacrement », 173-269, comporte deux parties, analytique
(par années), puis synthétique (l’évolution spirituelle).
[894] Rencontres..., « La filiazione Bernières – Bertot - Catherine
Mectilde de Bar », 271-310. – De la même sœur Annamaria : Il Libretto di Catherine Mectilde de Bar per
le sue Benedittine, Le véritable Esprit des religieuses Adoratrices
perpétuelles du Très-saint Sacrement de l’Autel (1684-1689), Facoltà
Teologica dell’Italia settentrionale, Milano, 2011 (le titre neutre de cette « Dissertazione » cache
une étude de la mystique Mectildienne vécue par ses filles d’hier et
d’aujourd’hui).
[895] Itinéraire, 73 ; F.C. 2158 ; T4, p. 383.
[896] Prieure à Rambervillers (situé
dans les Vosges) depuis la fin août de l’année précédente elle sera chassée
avec ses sœurs par la guerre entre la France et le Saint-Empire, pour arriver à
Paris le 24 mars 1651.
[897] Itinéraire…, 73, cite cette lettre de Bernières du 14 février 1651
qui figure dans la biographie de Vienville (1701), ms. P. 101, 320.
[898] La suivante du 26 juillet 1652
adressée à Boudon a été citée supra à propos de Marie des Vallées.
[899] Itinéraire, 80 ; Inédites,
145 ; L. à B. du 7 septembre 1652 ; F.C. 799 & 946.
[900] Itinéraire, 82 sq. ; L à B. du 23 novembre 1652 ; F.C.
830. – Le livre de « La sainte abjection » correspond
certainement à celui qui sera édité à Caen par les bons soins de Bernières.
[901] F.C. 830.
[902] François de Laval-Montigny qui
deviendra Mgr Laval en Nouvelle-France.
[903] Le P. Paulin sera supérieur du
Tiers Ordre Régulier franciscain et connaîtra madame Guyon. - Auteur du
Discours de Dieu seul (nos extraits dans : La vie mystique chez les franciscains…
I, 204-210).
[904] Le P. Lejeune, confesseur
de Mectilde ; les rapports ne furent pas simples : v. l’étude par le
P. Pitaud, Rencontres…, 206 sq.
[905] L. à B. du 9 août 1653 ;
F.C. 1747 ; P 160.
[906] La Correspondance de Bernières incluera un choix dans l’abondante
correspondance passive issue de Mectilde. Nous utilisons l’état
actuel du travail en cours par Dom Éric de Reviers, en constituant un choix
orienté « vers l’intérieur ». On se reportera au « Portrait
spirituel » proposé par le Père Éric, Rencontres…,
425-569.
[907] T4, p. 519 ; F.C. 878.
[908] P 101, p. 632/680.
[909] P 101, p. 633/681.
[910] Itinéraire, 99 sq. ; P.C. 878 ; P 101, p.
633/681-634/682. Et Véronique Andral, Itinéraire,
101, ajoute : « Nous pouvons placer ici un petit épisode qui fut
soigneusement caviardé dans le [ms.] P 101, p. 643/689, où, à une certaine
époque, on a tâché d’effacer ce qui regardait les relations de Mère Mectilde
avec Bernières (probablement au moment où Rome a mis à l’index le
"Chrétien intérieur" ?). Bref, voici, en résumé, ce que nous avons pu
déchiffrer : Bernières est venu voir Mère Mectilde à Paris, les voilà tous
deux au parloir, perdus en Dieu. Cet entretien dura plusieurs heures, si bien
qu’ils en oublient de prendre leur repas, au grand désespoir de la Sœur
tourière et de la Communauté. »
[911] L. de Bernières
à Mectilde (non datée) P 105,
p. 481 ; Itinéraire, 77.
[912] A l’est et au nord l’emportent les réformés, au sud la contre-réforme est menée par l’Espagne à la fin de son Siècle d’Or et par Rome. Pris en étau, on a douté que le royaume de France puisse résister aux offensives venant de tous côtés dont surtout les Flandres espagnoles. Sous la conduite intelligente du cardinal Richelieu l’étau sera desserré. Après une nouvelle période de luttes intestines connues sous le nom de la « Fronde », le jeune Louis XIV renversera le jeu. De la défense du royaume on passera à une phase hégémonique avant de se heurter à toute l’Europe unie et de manquer tout perdre au début du XVIIIe siècle. Puis de nouveau un mouvement de balancier, victoire des révolutionnaires…
[913] La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siècle. Tome I. Introductions, Florilège issu de Traditions franciscaines (Observants, Tiers Ordres, Récollets) – Tome II. Florilège de figures mystiques de la réforme Capucine. Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », Tome III. Figures féminines, minimes et héritiers. Études historiques. Dominique Tronc, Pierre Moracchini, Jean-Marie Gourvil.
[914] L’histoire de cette fondation est rapportée par l’historien Pierre Moracchini : La vie mystique chez les Franciscains du Dix-septième siècle, Tome III, « Un grand siècle franciscain à Paris », 100-107.
[915] Nous citons : Histoire générale et particulière du tiers ordre de S. François d’Assize, par le R.P. Jean Marie de Vernon, 1667, Tome second, « La vie des personnes illustres qui ont fleuri dans les siècles quinze seize et dix-sept » : « La vie d'Antoine le Clerc, sieur de la Forest », 527-544. – Antoine le Clerc est contemporain de Vincent Mussart (1570-1637). Ce dernier, que nous venons de rencontrer aux mains des mercenaires suisses, commença par approfondir ses liens avec le mouvement franciscain en la personne d’une « demoiselle flamande », une tertiaire mentionnée par le même historien Jean-Marie de Vernon, avant de cofonder le Tiers Ordre franciscain français.
[916] [Jean-Chrysostome de Saint-Lô], Traités spirituels et méditatifs (1651), « Traité premier, Le Temps, la mort et l’éternité ».
[917] P. Claude Prévôt, bibliothécaire de l'abbaye de Sainte Geneviève à Paris, Bibl. Ste Geneviève, ms. 3030, f° 21r°, Archives eudistes (dossier Du Chesnay ‘VIII Bernières’).
[918] Aucun lien ne nous est pas attesté entre Vincent Mussart et Antoine le Clerc mais le rôle central de Mussart comme cofondateur créant le premier couvent de Picpus rend probable une relation entre eux, car le jeune Jean-Chrysostome se rend de Normandie à ce couvent parisien.
[919] [Henri-Marie Boudon], L’homme intérieur ou la vie du vénérable père Jean Chrysostome, religieux pénitent du troisième ordre de S. François, à Paris chez Estienne Michallet, 1684.
[920] Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913. – Heurtevent in DS 2.881 sq. - Raffaelle Pazzelli, “Bibliografia del Terz' Ordine Regolare di San Francisco in Francia”, notice “8. Jean Chrysostome de Saint-Lô”, 76-79 in Analecta TOR, vol. XXIII, 152, 1992.
[921] Nicolas Caussin (1583-1651), humaniste et confesseur de Louis XIII.
[922] Citation relevée par le P. du Chesnay : Bibl. Ste Geneviève, ms. 3030, f° 21r° (Archives Eudistes, dossier du Chesnay « VIII Bernières »).
[923] Expériences II, « 4. Franciscains, Jean-Chrysostome… » , 361 sq.
[924] Boudon, L’homme intérieur…, op. cit., 378.
[925] D. Tronc, “Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon”, XVIIe siècle, op.cit.
[926] Bremond, Sentiment religieux, VII, 321 sq.
[927] Des traces de brûlures datent du bombardement de Caen en août 1944 : sur trois religieuses, seule celle qui transportait le précieux trésor du couvent survécut… (comm. lors de notre saisie photographique réalisée à Caen en 2002).
[928] Pagination double des feuillets du ms.
[929] Souriau, op. cit., deuxième partie, chap. II consacré à Jourdaine.
[930] Souriau, Deux mystiques…, 112 ; Boudon, Œuvres II, Migne, 1311.
[931] Jean de Bernières, , Le Chrétien intérieur textes choisis suivis des Lettres à l’Ami intime, Arfuyen, 2009.
[932] Lettre à l’Ami intime n°18.
[933] Souriau, Deux mystiques…,196.
[934] Au sens spirituel, car le couvent (disparu, proche de l’actuelle église Saint Jean) donnait sur la « Grande Rue de St Jean », dans « l’île » de Caen, zone plate de « Prairies » entre l’Orne et son bras (Plan de de la Ville et du Château de Caën, 1718).
[935] Bernières, Chrétien Intérieur, 565.
[936] Bernières, Œuvres Spirituelles, II, 122.
[937] Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle, Droz, 2 tomes, 1969, 1999, 785, citant Souriau, 247.
[938] La famille Helyot est remarquable : Marie Hélyot (1644-1682) et Claude Hélyot (1628-1686) constituent un couple mystique dont le P. Crasset nous a livré le témoignage.
[939] Henri-Jean Martin, op.cit., 951.
[940] Survient un procès prévisible entre éditeurs, dû à un succès inattendu. Les deux titres étaient trop proches même si les contenus différaient largement : 531 pages pleines succédaient à 165 pages aérées ! L’éditeur rouennais Grivet est condamné (sans amende) et l’éditeur parisien Cramoisy devient propriétaire des deux titres avec une exclusivité de neuf ans. Ce dernier est le grand gagnant, car il va rééditer de nombreuses fois le Chrétien : non pas selon sa forme courte initiale mais selon la version ample en huit livres compilée par d’Argentan et publiée chez le perdant ! Le même titre sort donc successivement chez deux éditeurs ennemis. – On trouvera le récit circonstancié de l’histoire des éditions dans Bernières, Œuvres Mystiques I , cit.infra.
[941] Jean de Bernières, Le Chrétien intérieur, textes choisis suivis des lettres à l’Ami intime, op.cit. ; Jean de Bernières, Œuvres Mystiques I, L’Intérieur chrétien suivi du Chrétien intérieur augmenté des Pensées, Edition critique avec une étude sur l’auteur et son école par Dominique Tronc, Ed. du Carmel, coll. « Sources mystiques », 2011 ; Œuvres Mystiques II, Correspondance, Edition critique présentée par le P. Éric de Reviers, bénédictin de l’abbaye de Kergonan, même collection, à paraître.
[942] Rencontres autour de Monsieur de Bernières mystique de l’abandon et de la quiétude (Thierry Barbeau, John Dickinson, Jean-Marie Gourvil, Isabelle Landy, Joël Letellier, Bernard Pitaud, Éric de Reviers, Dominique Tronc, Annamaria Valli, textes de Jean de Bernières), coll. « Mectildiana », Editions Parole et Silence, sous presse.
[943] Réduction de la copie du XIXe siècle : Il ne faut pas oublier ici la maison nommée l’Hermitage que (p.86) Monsieur de Bernières frère de notre révérende Mère Fondatrice fit bâtir dans l'avenue qui conduit à notre cours du dehors. Ce bâtiment fut commencé en 1646 et achevé en 1649. La Communauté ayant acheté le fonds, Mr de Bernières donna 2130 livres, demandant le logement pendant sa vie. Il y reçut plusieurs ecclésiastiques, parmi lesquels Mr de la Boissière qui fut évêque dans les pays étrangers, Mr Louis de Laval évêque de Québec et Mr Bertot, qui a été notre supérieur. / Le 27 décembre 1651, les Habitants de Saint-Lô…
[944] P. Milcent, Saint Jean Eudes, Un artisan du renouveau chrétien au XVIIe siècle, Cerf, 1992, 44. Cit. suivante : 43.
[945] Ch. Berthelot du Chesnay, Les Missions de Saint Jean Eudes…, Procure des Eudistes, 1967.
[946] J. Eudes, La vie et le royaume de Jésus dans les âmes chrétiennes, Lethielleux, 1947.
[947] DS 1.1136/38 ; art. « Chrysostome de Saint-Lô » par R. Heurtevent, excellent connaisseur du groupe ; DS 2.884 et l’étude antérieure de Bremond, Histoire…, VII, Chapitre V, « Le vigneron de Montmorency et l’école de l’oraison cordiale », [321-373] ; DS 4.1609 résume bien une vie mouvementée.
[948] Jean Aumont, L’ouverture intérieure du royaume de L’AGNEAU OCCIS dans nos coeurs avec le total assujettissement de l’âme à son divin empire, où il sera brièvement traité de la vraie et sainte oraison et récollection intérieure... y faisant voir premièrement les sept sortes de captivités et enchaînements du péché et du propre amour, qui scellent et captivent notre âme, la tiennent et retiennent à elle-même... par un PAUVRE VILLAGEOIS..., Paris, Denys Bechet et Louis Billaine, 1660. [606 pages ; suivi de] Abrégé pratique de l’oraison de recueillement intérieur en Jésus crucifié [104 pages] ; Table des matières [par sujets].
[949] Auteur de L’oratoire du cœur, Paris, 1679.
[950] Madame Guyon connaissait le livre sans l’apprécier : « L’Agneau occis est un livre où il y a du bon, mais il y a aussi bien des choses que vous ne devez pas approuver. Le bonhomme qui l’a fait est un saint homme, mais comme sa lumière n’était pas étendue, c’est un galimatias ; de plus, il veut qu’on se forme une image de Jésus-Christ avec les armes de la Passion dans le cœur . Ces sortes d’images dans la suite rendent imaginaire et sujet aux visions et représentations, ce qui nuit à l’intérieur. » (Correspondance, III Chemins mystiques, lettre 160). – A distance de trois siècles et demi, le « galimatias » a pris du charme tandis que les « armes de la Passion » ont rouillé.
[951] Bremond, op. cit., VII, [331].
[952] En italiques dans l’imprimé, comme de nombreux passages qui suivront.
[953] Nous citons l’édition de 1660 (Bremond, VII, [332], cite en partie ce même passage).
[954] Titre de la section. Nous omettons ensuite de nombreux soulignements en italiques dans l’imprimé.
[955] Gaston de Renty a été présenté dans Expériences… III, 3. « Spirituels dans le monde, Pratique de la charité, Gaston de Renty (1611-1649) ».
[956] DS 13.363/9 (art. Renty, par R. Triboulet).
[957] La Vie de Monsieur de Renty par Saint-Jure (1651) est traduite et publiée à Londres dès 1658 puis adapté par Poiret et diffusé dans toute l’Europe sous le titre Le chrétien réel (1701). Voir sur l’influence du marquis les pages 166-170 par J. Orcibal, “Les spirituels français et espagnols … chez John Wesley et ses contemporains”, Études…, op. cit.
[958] Nous sommes par contre surpris de son attachement à la visionnaire carmélite de Beaune Marguerite du Saint-Sacrement qui devait avoir une qualité humaine que l’on ne retrouve pas dans sa biographie ni dans les témoignages rapportés par Amelote.
[959] Renty, Correspondance, éd. par R.Triboulet, Desclée de Brouwer, 1978, Lettre 16.
[960] Lettre 315 à Mère Élisabeth de la Trinité, prieure de Beaune, 721.
[961] Lettre 339 à St Jure, 754.
[962] Lettre 387 à St Jure, p.818-819.
[963] Expériences… II, « 2. Traditions…, Une succession de bénédictines réformatrices, La Mère du Saint-Sacrement et ses bénédictines », 115 sq. – Belle étude de sa spiritualité dans : Il Libretto di Catherine Mectilde de Bar per se sue benedettine, Le Véritable esprit des religieuses adoratrices perpétuelles du très saint sacrement de l’autel (1684-1689), Milano, 2011. - Ici nous privilégions les rapports avec le père Chrysostome, Bernières, Charlotte de Sergent.
[964] Conférence de L. Cognet, pp. 26-27, dans Catherine [Mectilde] de Bar : Documents historiques, par les bénédictines du Saint-Sacrement, Rouen, 1973.
[965] Fonds Du Chesnay, dossier « Bénédictines du St Sacrement ».
[966] Véronique
Andral, Catherine de Bar, Mère Mectilde
du Saint-Sacrement 1614-1698, Itinéraire
spirituel, Monastère des Bénédictines, Rouen, 1990, 1997 (2e éd.
revue).
[967] Entretien avec se filles en 1694, V. Andral, Itinéraire…, op.cit., 186.
[968] Entretien en 1697, Ibid., 206.
[969] La Mère de Blémur entra vers 1678 au monastère de la rue Cassette qui connut de nombreux visiteurs dont madame Guyon et Fénelon…
[970] Autographe reproduit par V. Andral, Itinéraire…, op.cit., 176 sq..
[971] V. Andral, Itinéraire…, op.cit., 213.
[972] J. Daoust, Catherine de Bar Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Tequi, 1979, 22-36.
[973] Par de nombreuses publications citées en deux notes (études sur sa vie, publications de ses écrits) de ce chapitre. - La Bibliographia Mechtildiana, Benediktinerinnen, Köln, 2001, cite 994 références de travaux.
[974] Lettre au duc de Chevreuse du 10 janvier 1693.
[975] Catherine de Bar, Documents historiques, op. cit., 31.
[976] « Le 7 mai 1630, à l'âge de 15 ans, Jean Yver fût admis au noviciat des capucins et c'est alors que, selon l'usage, il prit le nom de Louis François d'Argentan. Un an après, il fit profession et ses supérieurs l'envoyèrent au couvent de Falaise. Il y demeura jusqu'en 1638 et, à cette date, revient au couvent d'Argentan. [...] En 1641, le père Louis-François était lecteur de philosophie au couvent de Caen, tout en prenant part aux missions prêchées dans la contrée.[...] De 1653 jusqu'à sa mort, nous le voyons occuper les plus hautes charges : deux fois provincial, deux fois définiteur, commissaire général, gardien de plusieurs couvents et, malgré tout, s'adonnant à une prédication ininterrompue » ( Anna-Maria Valli, Tesi, cap. VII, n. 82, cite P. Lefèvre, L'œuvre du père Louis François d'Argentan, capucin ).
[977] Son travail de réécriture, regretté depuis l’évêque d’Avranches Huet, a aidé au rayonnement de l’œuvre en adaptant les écrits « trop mystiques » de son maître à l’esprit ascétique et pieux du temps.
[978] Contrairement à l’opinion de l’érudit Ubald d’Alençon qui le défend (« Nous ne savons pas bien la part de chacun… »), Heurtevent, op. cit., 163, termine ainsi son Chap. IX « La critique de l’œuvre » : « Où commence d'Argentan ? Où finit Bernières? Le premier a tellement voulu agrandir et embellir l'appartement du second qu'il l'a transformé au point qu'il est délicat d'en vouloir retrouver présentement les cloisons et la superficie primitive. »
[979] Les exercices du chrétien intérieur, où sont enseignées les pratiques pour conformer en toutes choses notre intérieur avec celui de JC et vivre de sa vie, par le R.P.Louis François d’Argentan, capucin, tomes I & II, Paris, chez la veuve d’Edme Martin, 1692 & 1697.
[980] « Avertissement » au Chrétien intérieur « tardif », édité en deux tomes & dix livres (1687).
[981] Ibid., 16e & 19e page de l’ « Avertissement ». Citation précédée par :« Il y a beaucoup de redites [de la part de Bernières] … étant vrai que les lumières et les affections que la grâce répand dans une âme, sont bien souvent les mêmes, sinon qu’elles se perfectionnent toujours dans la suite, et qu’elles la font passer dans des états bien plus purs et plus élevés. Mais on n’y voit pas cette variété de pensées, de matières, ni de sujets qui divertit dans les autres livres, et qui empêche que la lecture n’en soit ennuyeuse. Il a fallu débrouiller tout cela avec assez de fatigue et mettre quelque ordre où il n’y en avait aucun. Et après tout, il s’y trouvera encore peut-être, un peu trop de répétitions… N’attendez pas… »
[982] Réédité dans La vie admirable de Marie des Vallées et son abrégé suivis des Conseils d’une grande servante de Dieu, Sources mystiques, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, 2013, 645 sq.
[983] Sinon indirectement, s’adressant à un étranger : « Je vous envoie une lettre d’un grand serviteur de Dieu [Bertot], qui est mort il y a plusieurs années : il était ami de monsieur de Bernières, et il a été mon directeur dans ma jeunesse. » (Lettre au Baron de Metternich, Correspondance I Directions spirituelles, pièce 425). – Madame Guyon s’appuie par contre sur une autorité du début du siècle jamais mise en cause, celle du grand carme mystique aveugle Jean de Saint-Samson (1571-1636).
[984] A. Favre, Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911, 115-118 : « Inventaire et Verbal de la saisie des livres et écrits de M. Dutoit ».
[985] DS 1.1887-1893.
[986] Boudon, Œuvres I, Migne, 77 ; Souriau, Deux mystiques…, 92.
[987] Dont l’unique biographie du P. Jean-Chrysostome.
[988] Titre d’un livre mis vingt-six ans après sa parution à l’Index en 1688 comme « pouvant servir d’occasion aux erreurs quiétistes. »
[989] Souriau, Deux mystiques…, 203, citant Gosselin.
[990] DS 2.939-2.942.
[991] Annales 40 & 41. La lettre est reproduite dans l'appendice à la Correspondance de Marie de l'Incarnation, édition Oury 1971, 949 & 950.
[992] Dom Thierry B. : « Un disciple méconnu de Jean de Bernières… », op.cit.
[993] Souriau, op.cit., 239-240 & 381 sur sa brouille avec Mgr de Laval. – Nous omettons ici les notes de Souriau.
[994] Dom Thierry B. : « Un disciple méconnu de Jean de Bernières : le bienheureux François de Laval, premier évêque de Québec (1623-1708) », Rencontres autour de Monsieur de Bernières., 2012.
[995] Souriau, op.cit., 216 sq.
[996] Gosselin I, II (nous renvoyons au notes Souriau).
[997] Dom Thierry B. : « Un disciple méconnu de Jean de Bernières… », op.cit.
[998] Souriau, op.cit., 219 – Gosselin II, 237-238.
[999] Dom Thierry B. : « Un disciple méconnu de Jean de Bernières… », op.cit.
[1000] Souriau, op.cit., 229sq.
[1001] Gosselin, II, 180.
[1002] Gosselin, II, 231-232.
[1003] Gosselin, II, 227.
[1004] Gosselin, II, 382.
[1005] Gosselin, II, 226-227.
[1006] Gosselin, II, 566.
[1007] François de Laval a été présenté à la suite de Bernières, Expériences…, III.
[1008] Lettre de l’automne 1689 de François de Laval à l’abbé Milon, prêtre du Séminaire des Missions Étrangères de Paris, Ibid., p. 452.
[1009] µ cit Aumont
[1010] interdiction : trouble, étonnement, surprise.
[1011] Vie 1.8.6-7.
[1012] Vie 4.1 (notre éd. critique) [3.20.6. (anciennes éd.)].
[1013] André Derville, « Un Récollet Français méconnu : Archange Enguerrand », Archivum Franciscanum Historicum, 1997, p.177-203, (seul article de fond sur ce mystique).
[1014] Nom donné par Bremond, op.cit., VII [321sv.].
[1015] Instruction pour les personnes qui se sont unies à l'esprit et au dessein de la dévotion de l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement établie dans la congrégation des religieuses bénédictines... qui est de faire réparation d'honneur et amende honorable à Jésus-Christ, Paris, 1673. (La 4e édition, 1702, est augmentée d'une Pratique de piété pour honorer et adorer le Saint-Sacrement...).
[1016] A. Derville, op. cit., 184.
[1017] Auteurs de la revue des frères mineurs : « B. Observants, récollets, tiercelins », DS 5.1639/40 (qui constitue la « suite de la col. 1380 du tome 5 »).
[1018] L’autre est Pascal Rapine, auteur d’un « immense discours sur l’histoire universelle » (Bremond).
[1019] Description fouillée par A. Derville, op. cit., 179-181. Outre l’Instruction… déjà référencée et une oraison funèbre de la reine de France prononcée à Arras (Arras, 1683 ; Paris,1684) , l’œuvre manuscrite est conservée à la Mazarine de Paris, ms. 1213(2262) et 1224(2298), à Lyon (anciennement à Chantilly), ms. 214 et 259, à Vitry-le-François, ms.104, ce dernier à comparer au ms. 2120 de la bibl. de l’Arsenal de Paris ; ces manuscrits très amples mériteraient une étude approfondie.
[1020] Qui répond à Enguerrand : « La contrition ne consiste pas seulement à beaucoup pleurer ses péchés […) C’est une joyeuse tristesse, une consolation … un paradis … C’est pourquoi il ne faut point de précepteur au Saint-Esprit. Tous les langages des hommes ne vous peuvent pas beaucoup profiter suivant la conduite de Dieu sur vous. » (ms. 214, [454] cité par A. Derville, op. cit., p.191.).
[1021] « …un si grand amour que volontiers, durant vingt-quatre heures que cela me dura, je n’eusse vaqué à autre chose … [par la suite] j’appréhendais la consolation sensible de peur d’être trompé. … je demeurai six jours dans cet amour… » (À. Derville, op. cit., 187-188). Autre point intéressant sur la prière : « Mais les esprits, quoiqu’éloignés, sont capables de s’unir. », etc. (ibid., 194).
[1022] J’utilise la transcription d’André Derville, S.J. qui m’a offert ses deux cahiers manuscrits « de jeunesse » avec une grande générosité. Ils sont ici enfin pleinement transcrits (une précédente transcription partielle figure dans La vie mystique chez les franciscains du dix-septième siècle, tome I, 265s.)
Ils ont été constitués à partir du ms. 4° 259, Bibl. de Lyon ; anciennement bibl. de Chantilly, Fonds Jersey. Le texte suit ceux de et sur Jean de Saint-Samson : « Lettres spirituelles du R.P. Archange, Recollet, à la sœur Marguerite-Angélique, Rse de la Visitation ».
[1023] Une notice reproduite en fin de volume donne l’ambiance d’un couvent de la seconde moitié du siècle. Elle éclaire sur les angoisses et les « peines excessives » d’une communauté, même assistée par un Enguerrand. (v. infra la note attachée à l’étude d’A. Derville qui précise cette notice).
[1024] v. A. Derville, op. cit., 185.
[1025] Voir aussi Dict. de spiritualité, aux Tables générales établies par A. Derville, Beauchesne 1995 (ce fascicule est le plus utile et consulté de tous mes « outils »).
[1026] Jeanne-Marie Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques…, Honoré Champion, 2001, 2014.
[1027] Titre ajouté.
[1028] [note reprise de l’édition Champion, 2001:] On rencontre ici le ‘réseau’ mystique auquel se rattachent les principales personnes qui ont influencé sur la jeune Madame Guyon : ce franciscain l’introduira à la Mère Granger [Vie 1.12.7] qui lui donnera pour directeur Jacques Bertot... Voir notre préface qui s’appuie sur les sources suivantes : « Ce Franciscain, dont Mme Guyon ne révèle pas le nom, pourrait être le récollet Archange Enguerrant [ou Enguerrand], si l'on en croit le témoignage de Hébert, qui, au cours d'un voyage à Montargis [où il y avait effectivement un couvent de récollets], rencontra le frère de Mme Guyon et n'entendit alors sur celle-ci que louanges. [Cf. Mémoires du curé de Versailles, François Hébert [1686-1704], publiés par G. Girard, préface de H. Bremond, Editions de France, 1927, p. 213.] En passant par Corbeil en juillet 1681 Mme Guyon devait revoir le même religieux [voir Vie 2.1.6] : or, le Père Enguerrant a été gardien du couvent des récollets de cette ville en 1682. [Cf. H. Lefebvre : Histoire chronologique de la province des Récollets de Paris, 1677-88, 1ere addition, p. XVIII]... » BRUNO, Vie… - Archange Enguerrand a lui-même rencontré Jean Aumont, ‘le pauvre villageois’, disciple de Bernières ; c’est une filière secondaire reliant Madame Guyon au groupe de l’Ermitage, la première passant par son maître mystique Jacques Bertot associé à la Mère Granger ; la direction spirituelle de religieuses par Enguerrand est intéressante - tout comme l’ouvrage d’Aumont, L’ouverture intérieure du royaume de l’agneau occis..., 1660 ; sur Enguerrand voir : A. Derville, “Un Récollet Français méconnu : Archange Enguerrand”, Archivum Franciscanum Historicum, 1997, 177- 203.
[1029] Le « désert » de l’Alverne, près d’Assise.
[1030] Trouble, étonnement, surprise (qui le fait quitter la jeune femme sous le prétexte d’aller chercher des écrits).
[1031] Luc 17, 21.
[1032] Hebr. 10, 7.
[1033] Cant. 1,2.
[1034] Dans ce qui suit les notes originelles « /n » figurent en petit corps au fil du texte principal.
[1035] Page impaire de l’original couvrant la ligne, séparateur utile pour situer les notes « /n » données au fil du texte principal.
[1036] Notice reproduite en fin de volume. Car, même s’il ne s’agit pas de la destinataire des 70 lettres reproduites infra, cette notice donne l’ambiance d’un couvent de la seconde moitié du siècle. Elle éclaire sur les angoisses et les « peines excessives » endurées par de nombreuses religieuses de la communauté, sur « un fond caché de mélancolie ».
[1037] Le directeur Mistique ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guion...., 4 vol., 1726, que nous citerons dorénavant sous l’abréviation Directeur Mystique ou DM.
[1038] Madame Guyon, Correspondance, I Directions spirituelles, Edition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2003, « Lettres de Monsieur Bertot », 75-177. [soit vingt-huit lettres de Bertot constituant la correspondance dite passive pour six pièces de Madame Guyon].
[1039] Condamnation de « quiétistes » français, dont, parmi d’autres, Bernières post-mortem en 1687, puis Fénelon par le Bref Cum Alias de 1699 qui met le point d’orgue à la mise au pas des mystiques en milieu catholique.
[1040] Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913 ; Bremond, Histoire du sentiment religieux, tome VI, « Autour de Jean de Bernières » ; P. Pourrat, Dictionnaire de Spiritualité (Dict. Spir.), tome I, col. 1537-1538, art. « Bertot » (1937) et du même auteur, La Spiritualité Chrétienne, IV Les temps modernes, Lecoffre, Paris, p. 183 (1940, pub. 1947) ; R. Heurtevent, L’œuvre spirituelle de Jean de Bernières, Beauchesne, Paris, 1938, p. 63 ; I. Noye, article « Enfance de Jésus », Dict. Spir., vol. 4, col. 676 (1959) ; J. Le Brun , article « France », Dict. Spir., vol. 5, col. 948 (1962) ; il faut y adjoindre les notes rassemblées par le P. Berthelot du Chesnay qui préparait une grande étude sur Bernières (Fonds du Chesnay, Archives Eudistes).
[1041] D. Tronc, « Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon », XVIIe siècle, n°1-2003, 95-116.
[1042] Bernières, Œuvres Spirituelles II, 282 (lettre du 15 février 1647 probablement adressée à Mectilde de Bar, la Mère du Saint-Sacrement). Voir aussi Œuvres Spirituelles II, 121 : lettre du 25 août 1653 : « Vous savez [...] que le Père Chrysostome avait réglé ma conduite, et que la vie pauvre et contemplative devait être mon occupation. » Il existe deux belles correspondances : brève entre Catherine de Bar et Chrysostome, abondante entre Catherine et Bernières (transcriptions au monastère de Rouen à partir des mss. 101, 115, Dumfries 13, Paris 160).
[1043] Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913, p. 92 ; Boudon, Œuvres I, Migne, p. 77.
[1044] Voir Gaston de Renty, Correspondance, éd. par R. Triboulet, Desclée de Brouwer, 1978.
[1045] Souriau, Deux mystiques…, p. 112 ; Boudon, Œuvres II, Migne, p.1311.
[1046] Bernières, Chrétien Intérieur, p. 565.
[1047] Bernières, Œuvres Spirituelles, II, p. 122.
[1048] Bernières, Œuvres Spirituelles, II, p. 364.
[1049] Lettre au duc de Chevreuse du 10 janvier 1693 : « La Mère du Saint-Sacrement est celle dont je vous ai parlé, qui est l’Ins[ti]tutrice de cet ordre, fut de mes amies et [est] une s[ain]te. » - Fénelon écrira à l’occasion de sa mort : « Conservez la simplicité […] que notre chère Mère vous a enseignée. »
[1050] Daoust, Catherine de Bar…, Paris, Téqui, 1979 - de Catherine de Bar : Documents historiques, par les bénédictines du Saint-Sacrement, Rouen, 1973 ; […] ; Catherine de Bar 1614-1698, Téqui, 1998 (voir la revue bibliographique par Dom J. Letellier, p. 11-96).
[1051] Conférence de L. Cognet, pp. 26-27, dans Catherine de Bar : Documents historiques, op. cit.
[1052] Cf. Annexe III, Notes à Monsieur Bertot, Directeur Mystique, Identité, baptême, décès.
[1053] Le directeur Mistique [sic] ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guion...., 4 vol., 1726, que nous citerons dorénavant sous l’abréviation Directeur Mystique ou (DM). Ici : vol. I, « Avertissement » - Les points de suspension représentent des coupures permettant de ne conserver que les rares passages apportant une précision biographique ; ils sont distribués sur quatre pages, [4] à [7].
[1054] En fait natif de Caen selon la lettre de M. du Houël que nous allons bientôt citer. Il a pu se glisser une confusion avec le lieu de naissance de Marie des Vallées, qui appartient au même « réseau spirituel » et est présentée par une Relation dans le même DM. Par ailleurs un Bertout (Claude) fut chanoine de la cathédrale de Coutances.
[1055] Cf. Annexe III, Notes à Monsieur Bertot, Directeur Mystique, Sources utiles à l’approche biographique.
[1056] Cf. Annexe III, Notes à Monsieur Bertot, Directeur Mystique, Identité, baptême, décès.
[1057] Lettre de M. du Houël à P.-D. Huet, BN, F. Fr. 11 911, f. 34-35 : « A Caen ce 17e d’avril 1699 / Monseigneur, / Puisque vous voulez bien savoir la naissance et la famille de feu Mr Bertot, prêtre abbé de St Gildast de Ruye en Bretagne, il s’appelait... » (suite citée dans le texte principal). Huet la reprend dans Les origines de la ville de Caen, 2e éd., Rouen, 1706, pp. 398-399. Archives Eudistes, dossier ‘Bernières’.
[1058] C’est l’unique exemple de pièces provenant d’une personne étrangère au couvent ; les autres liasses qui vont jusqu’en 1780 sont relatives à des tractations concernant le seul couvent et ses dépendances (Archives Départementales, Caen : « 19. Ursulines fondées par Bernières : 2H249, 2H250/1, 2H250/2, 4 vol imprimés non cotés. » La liasse appartient à la boite 2H249).
[1059] Jean de Bernières, Œuvres spirituelles , II, « Voie purgative » : lettre 57, « Voie illuminative » : lettres 25, 30 à 32, et « Voie unitive » : lettres 43 à 48, 50, 51, 59, 61. Les lettres de Bernières furent publiées en suivant l’ordre, devenu classique depuis Hugues de Balma, des « trois voies » purgative, illuminative, unitive, en reprenant chaque fois leur numérotation, ce qui souligne l’importance accordée à un cheminement mystique progressif, comme chez Bertot.
[1060] Nous pensons pouvoir identifier le destinataire non cité avec Bertot, grâce à quelques indices tels que : « Je connais aussi que vous êtes encore utile et nécessaire aux B[énédictines] et à M[ontmartre] (lettre 43). Les indices sont ténus par suite du nettoyage éditorial auquel n’échappent que des éléments fondus dans le texte tels que la prêtrise de Bertot, son éloignement à Paris, l’envoi d’un écrit.
[1061] Œuvres spirituelles, II, « Voie illuminative », lettre 30 (1652).
[1062] Œuvres spirituelles , II, « Voie unitive », lettre 61.
[1063] « Annales de ce monastère de Ste Ursule de Caen établi en 1624 le 26 février et on vint en cette maison le 13 juillet 1636 / Sous le gouvernement de la Rnde Mère Jourdaine de Bernières de Louvigny dite de Ste Ursule première supérieure de cette maison, en charge pour lors / tout ceci recueilli par la mère Madeleine de Ste Ursule de Bernières Louvigny sa nièce. En l’année 1714 qu’elle était zélatrice et secrétaire du chapitre. » Le ms. porte quelques traces de brûlures : il fut sauvé en 1944 d’un bombardement où deux des trois sœurs de ce couvent des ursulines trouvèrent la mort. Paginé de 1 à 598, il retrace jusqu’en 1738 les événements marquants de la communauté ; il en existe aussi une copie tardive, assez peu fidèle. La Mère supérieure de la communauté nous a permis de consulter et de photographier ce témoignage rare. Très objectif, comme le fit remarquer en 1913 Souriau, qui ne disposa cependant que de sa copie, ce récit mériterait d’être publié.
[1064] Annales…, p. 126.
[1065] Annales…, p. 156.
[1066] Voir par ex. : Cognet, L., La Réforme de Port-Royal, Flammarion, 1950.
[1067] Annales…, p. 209 ss. La dernière phrase ne lève pas toute responsabilité de la part de Jourdaine.
[1068] Heurtevent, L’œuvre spirituelle de Jean de Bernières, Beauchesne, 1938, p. 63 & 83.
[1069] Annales, op. cit, p. 261.
[1070] L’Addition de la fin du vol. II du Directeur Mistique rapportant les Conseils d’une grande servante de Dieu ... Marie des Valées, renvoit aux deux lettres que nous citons : 40 et 64 du DM, vol. II. ; on connaît par ailleurs les liens étroits entre Marie des Vallées, Jean Eudes, Bernières, Renty. - Par contre, si l’on relève dans Dermenghem, Marie des Vallées, p. 55 : « Bazire ... délégua pour l’étudier le prêtre Ameline, assisté du chanoine Bertout et accessoirement du capucin L.F. d’Argentan ... ils (l’) accablèrent de questions insidieuses... », il s’avère que le chanoine n’est pas Jacques Bertot, mais Claude Bertout, bienfaiteur des missions évoqué en note précédemment, v. Annexe III.
[1071] DM, vol. II, lettre 40, p. 234.
[1072] DM, vol. II, lettre 64, p. 349 ; voir Madame Guyon, Torrents, Chapitre 3, §1 : « ...ces grandes rivières qui vont à pas lents et grave... » contrastent avec le torrent impropre aux charges ; mais c’est le torrent qui conduit le plus vite à terme.
[1073] A. Launay, Lettres de Mgr Pallu, [Paris, 1904], t. I, p. 58 (nous modernisons l’orthographe). Mgr Pallu s’était embarqué longtemps auparavant avec le neveu du père de Mme Guyon, Philippe de Chamesson-Foissy, dont la rencontre en 1661 avec cette dernière, encore toute jeune, fut importante (v. Vie par elle-même…, 1.4.6). C’est une autre rencontre de membres du milieu spirituel dans lequel Bertot était actif ; elle contribua à orienter Mme Guyon.
[1074] « Il s’agit de MM. Desportes et Cornet ; de [Joseph ?] de Beaufort, des Incurables, de M. Bertrand, qui est à Montmartre [erreur de lecture pour Bertaud = Bertot], du R.P. Cotereau, capucin. » ( Id. Lettres, t. I, p. 144-146 et 157-158). On note que le P. G. Alleaume (1641-1706), qui fut un jésuite proche de Madame Guyon, traduisit l’ouvrage Souffrances de Notre Seigneur Jésus-Christ... du P. Thomas de Jésus (de Andrade), portugais de l’ordre des Ermites de Saint-Augustin. Suspect de quiétisme, il fut exilé de Paris en 1698 (voir Urbain Levesque, Corr. de Bossuet vol. VIII, p. 469, & Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, C. Sommervogel, réimpr. 1960, p.179). S’agirait-il d’une édition de cette traduction après la mort de Pallu en 1684 ?
[1075] DM, vol. III, lettres 69 et 70, éditées dans ce volume : lettres 3.68B (« lettre à l’auteur » non numérotée dans l’original), 3.69, 3.69B, 3.70.
[1076] Fonds du Chesnay, dossier R5-8 relevant des archives du monastère de Dumfries, Ecosse, pièce D 13 (une reproduction complète de ces archives existe au couvent des bénédictines de Rouen). On ne possède malheureusement pas les réponses de Jean à Catherine.
[1077] Lettre écrite par Catherine de Bar, de la rue Cassette, le 27 juin 1659.
[1078] Catherine de Bar, Lettres inédites, op. cit., p. 183-184.
[1079] Id., p. 190.
[1080] Id., p.192.
[1081] Id., p. 206.
[1082] Voici ces passages : « ...M. Bertaut [ailleurs Bertout] dit hier la messe céans, mais comme nous chantâmes aussitôt après la grand messe, je ne le pus voir; il me fit dire qu’il reviendrait. » (monastère de Tourcoing, Recueil des lettres de la R.M.M., t IV, Bernières, p. 497). -
« ...Je vous reproche votre infidélité de n’être point venu à Paris avec M. Bertout [Bertot]. ... » (même source, 21 août 1654, p.499).
« J’ai eu deux fois la joie de voir les deux amies de Timothée; mais la Providence ne m’a pas rendue si heureuse pour M. Bertot, car je n’ai eu le bonheur que de le voir un moment hier avec le Père Bertelot... »
Le manuscrit Tournefort (du nom de la rue à Paris où existait jusqu’à une date récente un couvent de l’ordre), p.637, Vienville , Vie : il expose les « ...motifs qui lui avait fait désirer la venue à Paris de Mr de Bernières, qui y arriva après Pâques de cette même année 1655 avec M. Bertaut très digne ecclésiastique qui fit alors une connaissance particulière avec notre vénérable institutrice [la mère Mectilde]. »
[1083] Le Denys des mystiques que la légende fait venir à Paris – l’auteur ancien le plus souvent cité par Madame Guyon dans ses Justifications.
[1084] L’église Saint Pierre de Montmartre, entre la place du Tertre et la Basilique du Sacré-Cœur ; l’abbaye a disparu.
[1085] Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, par M. l’Abbé Expilly, Paris, 1762.
[1086] Dictionnaire..., op. cit. Expilly est contemporain de Buffon : un siècle nous sépare de Bertot ! Mais nous pouvons recourir à cette description car les grands bouleversements n’eurent lieu que plus tard, à la Révolution où le monastère disparaît à l’exception de l’église Saint-Pierre où se trouverait la tombe de Bertot (à droite en entrant, près d’une colonne ancienne), puis par suite de l’urbanisation propre aux siècles suivants. Le lieu demeurera cependant relativement isolé, avec ses moulins, dont celui de la « fine blute », jusqu’à l’époque des peintres impressionnistes et de Van Gogh.
[1087] E. de Barthélemy, Recueil des Chartes de l’abbaye royale de Montmartre, Champion, 1883. Cette description de la tumultueuse réforme est donnée dans l’Introduction.
[1088] « Madame de Beauvilliers mourut dans son abbaye le 21 avril 1657, à 83 ans, après 60 années d’abbatiat », E . de Barthélemy, Introduction au Recueil..., p. 19. Voir sur elle : Mère de Blémur, Eloges de plusieurs personnes illustres en piété de l’ordre de St Benoît, 1679, 143-184.
[1089] Exercice divin, ou pratique de la conformité de notre volonté à celle de Dieu, par R[évérende] M[ère] M[arie] D[e] B[eauvilliers]. A Paris, chez Fiacre Dehors, 1631, chapitre X p. 65. L’exemplaire unique de ce texte qui contient un résumé spirituel dans la droite tradition de Canfield est conservé à l’abbaye de Maredsous (copie disponible aux Archives Saint-Sulpice) ; J. Orcibal, Benoît de Canfield, La règle de perfection, PUF, 1982, souligne, p. 16, la reprise par Marie de Beauvilliers de l’Abrégé de la Règle.
[1090] Françoise-Renée de Lorraine, abbesse de Montmartre née le 10 janvier 1629, morte le 4 décembre 1682 ; fille de Charles de Lorraine, duc de Guise, de Joyeuse, pair de France... - Bertot était en relation avec deux membres de la famille de Guise : l’abbesse et l’altesse : voir Milcent, P., Saint Jean Eudes, Un artisan du renouveau chrétien au XVIIe siècle, Cerf, 1992, p. 552, tableau généalogique.
[1091] E. de Barthélemy, Introduction au Recueil..., p. 22.
[1092] Mademoiselle de Guise : S.A.R. Elisabeth d’Orléans (née à Paris en 1646, morte à Versailles en 1696) mariée en 1667 avec Louis-Joseph de Lorraine.
[1093] Lettre de M. du Houël à P.-D. Huet, op.cit., reprise par ce dernier : « Il fut confesseur et Directeur des Ursulines, qui l’ayant envoyé à Paris pour leurs affaires, il y fut arrêté par Madame l’Abbesse de Montmartre et par Mademoiselle de Guise, touchées de son élévation dans les voyes de Dieu… »
[1094] Ch. Berthelot du Chesnay, Les missions de Saint Jean Eudes, contribution à l’histoire des missions de France au XVIIe siècle, 1967, Procure des Eudistes, préface page XII ; P. Milcent, Saint Jean Eudes, op.cit., p.490. Le pamphlet date de décembre 1674.
[1095] Directeur mistique, vol II, p. 374, lettre non datée. Sur l’activité de Jean Eudes, autour du séminaire de Caen, etc., v. Milcent, P. Saint Jean Eudes.
[1096] Suite de la Lettre de M. du Houël à P.-D. Huet, op.cit.
[1097] Cf. Annexe III, Notes à Monsieur Bertot, Directeur Mystique, Figures amies.
[1098] Comme Bertot l’indique au début de la Conclusion... On ne trouvera pas d’extraits de ces deux volumes dans notre anthologie.
[1099] « Le mot Retraite se retrouve dans le titre de divers ouvrages imprimés avant cette date, en particulier ceux de J.-P. Camus [1638], du P. Pennequin [1644], du P. Nouët [1674], de Godeau [1677], de la Retraite de Vennes [1681], de Marie de l’Incarnation [1682], du P. Piny [1684]. Un peu plus bas, Fénelon précise que cet ouvrage avait déjà nourri ceux dont Colbert « pouvait tirer plus de secours spirituels ». / On pourrait donc penser à la Retraite ecclésiastique de M. Tronson dont des copies manuscrites circulèrent bien avant sa publication [1823] ou aux Méditations pour la retraite de dix jours du P. Le Valois [ms. de l’Hôpital de Caen, cf. Hillenaar, p. 35]. Mais étant donné que Fénelon emploie constamment le mot au pluriel, nous penserions plutôt au « livre des Retraites que Jacques Bertot fit en 1662 pour l’abbesse de Montmartre » (Orcibal, note 1 à la lettre no. 78, p. 200, de l’édition de la Correspondance de Fénelon, tome III).
[1100] Dict. Spir. vol. 1, col.1537-1538, article « Bertot » par Pourrat.
[1101] Orcibal, note 1 ..., op. cit.
[1102] Addition 127 au Journal de Dangeau dans Boislisle, t. II, p. 413.
[1103] Saint-Simon, Mémoires…, Boislisle, t. XXI, p. 302. Note associée 2 de Boislisle : « …c’est lui [Bertau] qui fut donné par Mme Granger [Geneviève Granger] à Mme Guyon et fut son premier initiateur. Saint-Simon parlera encore de lui, toujours à propos de Mme de Béthune, en 1716. »
[1104] Boislisle, t. XXX, p. 71.
[1105] Ce dont atteste « la donation faite par Monsieur l’Abbé Bertot dont 3000 L[ivres] t[ournois] étaient destinées pour amortir 150 Lt de rente aux petits pauvres renfermés et aux nouvelles Catholiques [notre soulignement], deubs [dûes] par cet hôpital, ce qui a été fait et la donation faite par Alexandre Girot, sieur de Bretheuil… » 11e paquet à 2 liasses, Cane, Hotel-Dieu, ms., Invent… Saint Louis p. 62-63 » Archives Eudistes, Fonds du Chesnay, Bernières.
[1106] A.S.-S., pièce manuscrite 2072 du fonds Fénelon, intitulée : Mémoire sur le Quiétisme adressé à Madame de Maintenon. Auteur inconnu. Ce précieux mémoire informe sur toutes les relations de Madame Guyon, en l’an 1695, incluant les personnes du peuple. Il indique également la façon de s’y prendre, en commençant par les témoins défavorables, afin de pourvoir faire pression sur les autres… Il est édité dans : Madame Guyon, Correspondance II Combats, Champion-Slatkine, 2003, pièce 504.
[1107] Cf. Annexe III, Notes à Monsieur Bertot, Directeur Mystique, Identité, baptême, décès.
[1108] 11e paquet à 2 liasses, Cane, Hotel-Dieu, ms., Inventaire St Louis p. 62-63 ; également, dans Gall. Christ. XIV, 963, succédant à Michel Ferrand décédé 24 décembre 1676 : « Jacobus Bertot occubuit penultima die Aprilis 1681 » (Arch. Eudistes, Fonds du Chesnay, Bernières).
[1109] Vie, 1.30.13 (Vie par elle-même…, Champion, 2001, première partie, chapitre 30, § 13) ; ce départ la conduisit rapidement à Gex où elle arrive le 22 juillet 1681.
[1110] Fin de la lettre : « ...Voilà ce que peut vous faire savoir de Mr l’abbé Bertot celui qui vous est avec un profond [respect] /Monseigneur / Votre très humble et très obéissant serviteur /Du Houël Leroux. » Lettre de M. du Houël à P.-D. Huet, BN, F. Fr. 11 911, f. 34-35, transcrite par du Chesnay, dossier Bernières, Fonds du Chesnay. « … Bertot eut pour successeur Henri-Emmanuel de Roquette, docteur en Sorbonne, voir J.-M. Le Mené, Histoire du diocèse de Vannes, Vannes, 1889, t. II, p.125 et 128 », même source.
[1111] « Jacques Bertot, mort à Montmartre à soixante ans le 27 avril 1683 [en fait 1681], désigna de son côté le duc de Beauvillier pour exécuteur testamentaire (cf. P. D. Huet, Les origines de la ville de Caen, 2e éd., Rouen, 1706, p. 399). (Orcibal, note 15 à la lettre no. 44, p. 155 de l’édition de la Correspondance de Fénelon, tome II).
[1112] Madame Guyon, Correspondance II Années de combat, pièce 478, p.742, « Du P. Paulin d’Aumale ».
[1113] Tous les traits personnels sont éliminés de la correspondance de Madame Guyon établie par le même éditeur Poiret : leur rareté était donc prévisible pour Bertot.
[1114] DM, vol III, lettre 28, p. 94.
[1115]
Le Directeur Mistique [sic] ou extrait
des œuvres spirituelles de Mons. Bertot, tiré des Quatre volumes de ces mêmes
oeuvres ..., Berlebourg, 1742.
[1116] Jean-Philippe Dutoit-Membrini (1721-1793) devint à Lausanne un pasteur aimé par un public qui goûtait ses exhortations pleines de flamme, à l’opposé des discours académiques du temps : « Quand il arrivait au temple, les avenues étaient si remplies de monde qu’il disait plaisamment : « Si je ne trouve pas de place, il faudra que je m’en retourne ». À trente-neuf ans, des ennuis de santé le firent renoncer à prêcher. Il commença à correspondre avec beaucoup de frères spirituels, dont Fleischbein qui l’inspira ; il passa deux années à Genève et publia en 1767-1768 la Correspondance de Madame Guyon (augmentée de celle avec Fénelon). Des fidèles s’attachèrent à « la doctrine de l’intérieur ». Informés de l’existence à Lausanne d’un groupe suspect de piétisme, les autorités protestantes bernoises firent une saisie des quelques livres et écrits de Dutoit, dont la liste citée nous prouve la conscience qu’il avait de la filiation Bernière-Bertot-Guyon. Cette saisie se produisit le 6 janvier 1769. Il publia à ses frais les quarante volumes de la réédition des Oeuvres de Madame Guyon entre 1789 et 1791.
[1117] Voir : Jean-Philippe Dutoit, par A. Favre, (thèse), Genève, 1911, p. 115. Le Chrétien intérieur désigne le très célèbre ouvrage de Bernières, objet de nombreuses éditions sous divers noms ; La Théologie du Coeur est un recueil édité par Poiret et contenant divers traités dont le Breve Compendio de Gagliardi inspiré par I. Bellinzaga. La liste des livres saisis se limite aux titres de notre citation : il s’agit bien de quelques livres de chevet.
[1118] Lettre 10 à Mr de Klinckowström, 1764, ms. TS 1019A Bibl. Cantonale de Lausanne.
[1119] Histoire du sentiment religieux, Tome XI et index.
[1120] Dict. Spir. art. « Bertot » ; La Spiritualité Chrétienne, Lecoffre, 1947, tome IV, p. 183-195.
[1121] Voir le Dict. Spir., art. « Quiétisme. I. Italie et Espagne. – II. France », vol. 12, 1986, col. 2756-2842 ; en plus bref, v. les notices à Fénelon, Œuvres, I, bibl. de la Pléiade, Gallimard, 1983, p. 1530-1545.
[1122] On trouve ce titre dans la correspondance de Huet à F. Martin : « Il y a eu un nommé M. Bertot, prestre, natif de Froide-Rue, parent de M. Le Myère [de Basly], qui a écrit de la Contemplation, et qui a esté abbé de Saint-Gildas. », Rev. Cath. de Normandie, t. V, 15 sept. 1895, p.107 citée par du Chesnay. Et surtout une allusion à un livre inconnu est faite page 170 de la Conclusion des Retraites : « Nous avons déjà parlé un peu de cela en un autre livre… » Il ne peut ici s’agir des deux livres de Retraites désavoués en préface. Mais il pourrait aussi bien s’agir du cinquième opuscule - en fait un petit traité - édité dans le premier volume du Directeur Mystique sous le titre « Degrés de l’oraison… », p. 50 à 117, que l’on trouvera reproduit ici presque intégralement. L’ensemble de l’œuvre publiée de Bertot serait alors couvert par les sept volumes répertoriés dans cette section 3.
[1123] Cf. Annexe III, Le corpus. Diverses retraites… & Continuation…
[1124]
Aussi, exceptionnellement, nous indiquons nos découvertes dans l’Annexe III, Ecrits du P. Chrysostome. Le rôle de
Chrysostome est en effet déterminant et justifiera une étude approfondie de son
œuvre.
[1125] Cf. Annexe III, Le corpus. Conclusion des retraites…
[1126] Madame Guyon ne s’est guère impliquée dans d’autres travaux d’édition de spirituels, si l’on excepte quatre cas : les textes de mystiques reconnus rassemblés par nécessité dans les Justifications au cours du procès qui lui est fait ; sa volonté d’insérer des lettres de La Combe et d’une servante qui l’a accompagnée en prison à la fin de la Vie ; l’entretien avec Marie des Vallées et 21 lettres du P. Maur de l’Enfant Jésus, qui figurent dans le même Directeur mistique.
[1127] Cf. Annexe III, Le corpus. Le directeur Mistique…
[1128] Elles contrastent avec de nombreuses lettres anonymes réparties dans les volumes II à IV, constituant les questions de la jeune Madame Guyon suscitant des réponses de J. Bertot.
[1129] Première page de l’Avertissement.
[1130] Tels que : Degrés de l’oraison, comparés aux eaux qui arrosent un jardin, p. 50, Voie de la perfection sous l’emblème d’un nautonnier, p.117, L’Oiseau ou De l’oraison de Foi, sous la figure d’un petit Oiseau, p.178. - « Mme Guyon […] imitera jusqu’au plagiat le style de l’abbé Bertot » avance Agnès de la Gorce, Le vrai visage de Fénelon, 1958, p.93. - Nous pensons cependant que ces opuscules sont issus de la propre main de Bertot. Il n’en demeure pas moins que l’édition du Directeur mystique est postérieure de neuf ans à la mort de Madame Guyon et de sept ans à celle de Pierre Poiret : les disciples pouvaient être moins assurés dans leurs attributions à Bertot ou à Guyon.
[1131] Le contenu du Directeur mistique, qui par son abondance représente la plus grande partie des œuvres que l’on peut attribuer à Bertot, est détaillé en fin de volume dans l’Annexe III : Le Corpus. Le Directeur mystique… Cette annexe porte sur les deux seules éditions (complète en quatre volumes par Poiret, puis sous forme d’un choix en un volume à Berlebourg) et donne leur contenu détaillé. Pour accéder aux très rares exemplaires connus de l’édition complète, on se reportera à : M. Chevallier : Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, tome V, Koerner, Baden-Baden, 1985. A Paris, le DM n’est disponible dans son intégralité qu’aux Archives Saint-Sulpice et qu’à la B.N.F. – Nous proposerons prochainement la reproduction sur CDrom de l’exemplaire des A.S.-S.
[1132] Ainsi la lettre 121 au baron de Metternich est suivie de la longue lettre de Bertot publiée (avec quelques variations) dans le Directeur Mystique, vol. III p. 438, Lettre 67. Elle est intitulée dans la Correspondance de Madame Guyon : « Lettre d’un grand Serviteur de Dieu, dont il a été fait mention dans la précédente, sur la même matière, et de l’état où l’on trouve que Dieu est toutes choses en tout. » On trouve en sa fin : « Allez, allez, à la bonne heure ; et soyez forte et constante… ». (Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, Champion-Slatkine, 2003, lettre 22, p. 75-88.)
[1133] Incipit : Il est de la dernière conséquence... Copie Isaac du Puy (Dupuy). Archives Saint Sulpice, ms. 2174, pièce 7248 ; Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, op.cit., pièce 33, p. 115-117.
[1134] DM, vol II, lettre 11, p. 44
[1135] DM, vol II, Lettre 16 p. 74 ; Canfeld avait joué un rôle important dans la réforme de à Montmartre.
[1136] Bernières, Oeuvres Spirituelles I, Paris, 1677.
[1137] Mère de Blémur, Eloges de plusieurs personnes illustres en piété de l’ordre de St Benoît, 1679, tome second, p. 417-455. L’éditrice, J. Bouette de Blémur, fut bénédictine à la Trinité de Caen de 1630 à 1678, donc informée sur Bernières et son groupe.
[1138] Vie, 1.19.1 (prenant le ms. d’Oxford pour leçon ; 1.19.2 chez Poiret)
[1139] Ce qui est reconnu par Orcibal, v. Le Cardinal Le Camus in Etudes d’Histoire et de Littérature Religieuses, Klincksieck, 1997, page 800.
[1140] Lettres Chrétiennes et spirituelles de Madame Guyon, éd. Dutoit, tome IV, lettre 121, p. 274-296, avec l’annotation reproduite dans le texte principal. La même lettre, qui constitue un véritable petit traité, est éditée dans le vol. III du DM, sous le no 67. (v. Correspondance I Directions spirituelles, 2003, lettres 22 & 425) – Autres témoignages relevés chez Madame Guyon : « La conformité de ces avis à ceux de M. Bertot devrait vous assurer. » (11e des 21 lettres de Mme Guyon éditées dans le DM ; Correspondance III Chemins mystiques, 2005, …, lettre 11, p. 36 ) ; « Deux choses arrêtent ici cette personne : l’une, la bonté de la voie qu’il a tenue, qui l’a possédé et qui lui a fait faire toutes choses ; l’autre, certaines maximes de Monsieur B[ertot] , qui étaient pour lors de saison, et que Mr. B[ertot] changerait assurément lui-même s’il était vivant. (Dutoit, vol. I, lettre 192 ; Correspondance III…, lettre 454, p. 559). - Dans une lettre adressée à Homfeld, compagnon du pasteur Poiret, Mme Guyon explique les coutumes catholiques : « Les lettres que vous avez vues de M. Bertot ne doivent point vous étonner. Il y en a beaucoup pour des religieuses… » (Correspondance I Directions spirituelles, lettre 391) ;
[1141] Pour les relations entre eux : Vie, 1.8.3, 1.24.3, 1.20.7.
[1142] Tout s’évapore en présence du maître parce qu’un flux intérieur sans paroles suffit.
[1143] Vie, 1.19.2.
[1144] Vie, 1,24,3.
[1145] Vie, 1,23,10-11.
[1146] Vie, 1.21.9.
[1147] Vie, 1.28.4.
[1148] Vie, 1.21.12.
[1149] DM, vol. I.
[1150] Vie, 1.19.13.
[1151] Vie, 1.20.7.
[1152] Vie, 1.24. 2.
[1153] Vie, 1.29.6.
[1154] DM, vol. II, lettre 31, p. 170 ; Correspondance I Directions spirituelles, lettre n° 29.
[1155] DM, vol. II, lettre 6, p. 29 ; dans ce vol. : « Correspondance avec Madame Guyon, 2.06 Chemin pour trouver Dieu. » ; Correspondance I Directions spirituelles, Champion-Slatkine, 2003, lettre no 23.
[1156] Dans ce vol. : « Correspondance sans destinataire identifié, 2.31 Aller à Dieu par ce qu’on a. »
[1158] Dans ce vol. : « Correspondance avec Madame Guyon, 2.06 Chemin pour trouver Dieu. »
[1159] Dans ce vol. : « Correspondance avec Madame Guyon, 4.71 Silence devant Dieu. »
[1161] Dans ce vol. : « 3.32 Se voir en Dieu. Arriver à la vie par la mort. »
[1162] Dans ce vol. : « 4.72 Béatitude en cette vie. »
[1164] A.-E. Steinmann, La nuit et la flamme, chemins du Carmel, Paris-Fribourg, 1982 ; J. Smet, The Carmelites ; A history…, 4 vol., Carmelite spiritual center, Darien, Illinois, 1982. (traduction : I Carmelitani…, 4 vol., Edizioni carmelitane, Roma, 1989).
[1165] C. Janssen, dans Les origines de la réforme des Carmes en France au XVIIe siècle, Martinus Nijhoff, s’Gravenhage, 1963, p. 225, souligne l’influence des déchaux sur les pratiques ; S.-M. Morgain, dans Pierre de Bérulle et les Carmélites de France, Cerf, 1995, p. 69, souligne le rôle du chartreux dom Beaucousin en relation avec les deux groupes réformateurs.
[1166] H. Bremond, Histoire littéraire du Sentiment religieux en France… II L’Invasion mystique (chap. V sur Jean de Saint-Samson), 1930, 2006 ; S.-M. Bouchereaux, La réforme des Carmes en France et Jean de Saint-Samson, Vrin, 1950 ; H. Blommestijn, Jean de Saint-Samson, L’éguillon, les flammes, les flèches et le miroir de l’amour de Dieu…, Pontificiae Universitatis Gregorianae, Rome, 1987.
[1167] Corpus aux Archives d’Ille-et-Vilaine à Rennes, 9H39 à 9H44 ; disponibles en version modernisée : Jean de Saint-Samson, Œuvres mystiques, Paris, O.E.I.L., 1984 & La pratique essentielle de l’amour, Coll. « Sagesses chrétiennes », Cerf, 1989.
[1168] D. Tronc, Un mystique réformateur des Carmes, Jean de Saint-Samson (1571-1636), Carmel, n°112, juin 2004, 71-82, (art. repris partiellement ici).
[1169] C. Janssen, Les origines…, op. cit., p. 83.
[1170] C.Janssen, « L’oraison aspirative chez Jean de Saint-Samson », Carmelus, 1956, vol. II, p. 211, présente en parallèle les textes de Harphius [van Herp] et de Jean.
[1171] R.P. Donatien de S.Nicolas, La Vie, les Maximes et partie des œuvres du très excellent contemplatif, le Vénérable frère Ian de S.Samson…, Paris, 1651, [source que nous citons : P], p. 92.
[1172] Œuvres spirituelles et mystiques du divin contemplatif f. Iean de S.Samson […] avec un abrégé de sa vie, recueilly et composé par le P. Donatien de S. Nicolas, Pierre Coupard, Rennes, 1658-1659, [source que nous citons : R], p. 62, colonne de gauche, à la hauteur repérée « B » [que nous notons b pour indiquer la col. de gauche ; la majuscule serait conservée pour indiquer la col. de droite].
[1173] R 762A.
[1174] R 79 A.
[1175] R 773e.
[1176] R 79 a.
[1177] R 760A.
[1178] R 78B.
[1179] R 309b
[1180] P 495-497.
[1181] R 683c, R 683B.
[1182] R 754a.
[1183] R 145a.
[1184] Archives d’Ille-et-Vilaine, 9H42, folio 2 sv.
[1185] R 169D.
[1186] Blommestijn, op.cit., p.86-87. Catherine de Gênes, Jean de Saint-Samson et Jean de la Croix, seront les trois mystiques cités bien avant tous les autres dans les Justifications établies en 1695 en vue des entretiens d’Issy par madame Guyon avec l’aide de Fénelon.
[1187] Dict. Spir., 3.1542/3 (tome III, col. 1542 et 1543) ; Y. Durand, Un couvent dans la ville. Les grands carmes de Nantes, Rome, 1996, p. 209.
[1188] M. de Certeau, « Le Père Maur de l’Enfant-Jésus, Textes inédits », R.A.M. n° 139, 1959, 266 sv., p. 268.
[1189] Voir C. Janssen, « L’oraison aspirative chez Herp… », op. cit., vol. III, p. 19 à 216, dont p. 21, la « prière brève, qui part d’un coeur brûlant dans un élan très intense … préparation à … une prière sans forme et sans paroles dans la contemplation de Dieu et l’union avec lui. »
[1190] Les quatre volumes des Directoires des novices (Paris, Cottereau, 1650-1651) ont intéressé des carmes des deux réformes : étude par K. J. Healy, Methods of prayer in the Directory of the Carmelite reform of Touraine, Institutum Carmelitanum, Rome, 1956 ; réédition du dernier volume par le P. Innocent de Marie Immaculée, Méthode claire et facile pour bien faire l’oraison mentale et pour s’exercer avec fruit en la présence de Dieu, éd. Beyaert, Bruges, 1962. Enfin il existe un cinquième volume (non compris sous le Directoire) : le Traité de la componction. Voir DS 10.284/7, où l’article « Marc de la Nativité de la Vierge » est consacré en grande partie au Directoire. Nous rééditerons un choix dans notre second volume consacré à Maur.
[1191] Méthode claire et facile…, p. 217-219.
[1192] Pour cette présentation biographique nous sommes redevables à : M. de Certeau, Le Père Maur de l’Enfant-Jésus, Textes inédits, R.A.M. n° 139, 1959, 266 sv. ; F. Lemoing, Ermites et reclus du diocèse de Bordeaux, Bordeaux, 1953 ; D. Di Domizio, Maur de l’Enfant-Jésus (+1690), a study of his life and works, Institut Catholique, réf. 9099, Thèse 254 (qui fut dirigée par Louis Cognet). L’étude de Michel de Certeau [1955] est la plus solide, D. Di Domizio [1969] apporte des compléments compte tenu de son exploitation des archives carmes et de son souci de présenter un résumé de chaque œuvre ; enfin Blommestijn [1978] résume dans Dict. Spir., 10.826/831, les événements attestés.
[1193] Dict. Spir., 3.1542, art. « Dominique de Saint-Albert ».
[1194] Di Domizio, op. cit., p. 3.
[1195] Les cheveux qui servirent à la confection des personnages d’une crèche lors de l’emprisonnement de madame Guyon à la Bastille, nous sont parvenus ! (B.N.F., papiers La Reynie, ms. N. Acq. Française 5250).
[1196] Dict. Spir., 10.284, art. « Marc de la Nativité de la Vierge ».
[1197] Di Domizio, op. cit., p. 3 qui traduit sa source : Arch. Ord., II, 42, f°70.
[1198] Di Domizio, op. cit., p. 6 ; v. p. 10, note 43.
[1199] Di Domizio, op. cit., p. 16 ; v. p. 21, note 26.
[1200] C. Janssen, Les origines de la réforme des carmes en France au XVIIe siècle, op.cit. , chapitre IV, pages 166, 180.
[1201] M. de Certeau, op. cit., p. 269.
[1202] J.-J. Surin, Guide Spirituel, Desclée de Brouwer, 1963. Voir sur la « campagne » de Chéron, l’Introduction par M. de Certeau, p. 1 - 61, au-delà de l’exécution rapide par Bremond, XI, [325], « La bombe Chéron ».
[1203] « Nicolas de Jésus-Marie avait édité la Phrasium mysticae theologiae R.P.F. Joannis a Cruce elucidatio [Cologne, 1639], bientôt traduite par le Père Cyprien de la Nativité et publiée en appendice aux Œuvres spirituelles du B. Père Jean de la Croix [Paris, 1641] : Eclaircissement théologique des phrases et propositions de la théologie mystique contenues ès livres dit Bienheureux Père Jean de la Croix [figure dans le tome II, p. 1-270, avec un supplément de 71 pages: Notes et remarques en trois discours... ] ». (M. de Certeau, op. cit., p. 271).
[1204] M. de Certeau poursuit (op. cit., p. 272) : « …Surin écrivait en effet le 2 mai 1660 à la Mère Angélique de Saint-François, encore prieure des Ursulines de Loudun pour un mois : « Je crois que vous aurez vu, ou que vous verrez bientôt à Loudun le Père Maur de l’Enfant-Jésus, qui est un Père Carme de cette ville. Il vous dira de nos nouvelles: il est fort mon ami ». L'année suivante, il écrivait à Mme du Houx [qui met en relation le groupe jésuite breton et Bordeaux], qui se trouvait alors à la Visitation de Rennes : « Je ne puis laisser partir le R.P. Maur de l'Enfant-Jésus sans vous écrire un mot, Madame ma très chère fille. Le Père vous dira de nos nouvelles. C'est un bon serviteur de Dieu; vous pouvez prendre en lui toute confiance » [28 mai 1661]… ». Plus bas, à propos de la célèbre Jeanne des Anges, M. de Certeau nous informe que « …le Père Maur se montre un sage : il n'a pas l'air d'apprécier beaucoup les révélations que Jeanne prétendait tenir de son Ange gardien et qui lui permettaient de donner des consultations sur les questions les plus diverses. Le Carme fait ici preuve de plus de prudence que Surin. Il était bon juge en matière de spiritualité ; aussi la Mère de Saint-Eli, carmélite de Bordeaux, lui fait-elle lire les Questions importantes à la vie spirituelle sur l'Amour de Dieu, ouvrage que Surin venait d'écrire et qu'il prêtait à ses Philothées. » On se reportera au grand œuvre de M. de Certeau : J.-J. Surin, Correspondance, Desclée de Brouwer, 1966, où figure une brève notice élogieuse sur Maur, p. 945.
[1205] F.Lemoing, Ermites et reclus du diocèse de Bordeaux, Bordeaux, 1953, « XII. Ermitage Sainte-Catherine de Lormont », p. 69-81 (avec reproduction de la gravure citée, issue de l’album : « Bordeaux au temps de Louis XIII »). Voir aussi l’Inventaire, donné en annexe, p.144-148.
[1206] « Le supérieur prétendit alors que le bénéfice était indépendant du couvent de Bordeaux, ce qui occasionna une nouvelle affaire : on en référa au Général et au Pape ; l'évêque de Bazas et le Parlement de Bordeaux, sollicités d'intervenir, se montrèrent favorables au Père André ; en 1677, appel fut fait à l'archevêque de Bordeaux, Henri de Béthune, que les Carmes [dont le Père Maur] priaient de défendre les droits du couvent... » F. Lemoing, Ermites…, op.cit., p. 75-76. On trouvera tous les détails dans Di Domizio, chap. V. Nous avons ici préféré allonger les notes - comme pour l’afffaire Chéron - pour éviter de donner trop d’importance à ces chicanes : elles constituent souvent les seules traces accessibles aux biographes, mais induisent un déséquilibre, pour des figures discrètes, quant aux aspects profonds de leur vie, dont le vrai caractère paisible reste alors voilé.
[1207] M. de Certeau, op. cit., p. 10-11, établit les éditions du XVIIe siècle qui constituaient cette modeste « bibliothèque ». - Voir aussi, F. Lemoing, op.cit., « Inventaire… », p. 146-147, pour les deux bibliothèques des chambres du P. André et du P. Maur.
[1208] M. de Certeau, op. cit., p. 274.
[1209] F. Vial, « Une correspondance inédite de l’abbé de Brion (1700-1703) », R.A.M. 47, 1971, p. 296-297.
[1210] Sur l’abbé de Brion, le disciple de Maur dont l’approche déborde notre cadre, outre l’étude de Darricau, « De la cour de Louis XIV à l’Ermitage de Lormont, L’abbé de Brion (1647-1728) », Revue Historique de Bordeaux, 1955, on se reportera à F. Vial, « Une correspondance… », op. cit., 291-316, et surtout aux œuvres, dont : Considérations et entretiens spirituels pour une retraite de dix jours avec un petit traité de la perfection chrétienne, Paris, 1717 ; La vie de la très sublime contemplative sœur Marie de Sainte Thérèse, carmélite de Bordeaux…, Paris, 1720 ; Lettre spirituelles… [de la même], Paris, 1720, 2 tomes [comportant quelques belles lettres au tome II, p. 366 sq. & 612 sq. ; sur sœur Marie, voir F. Vial et Bremond, VI, 435-439] ; Traité de la vraie et de la fausse spiritualité, Paris, 1728, 2 tomes.
[1211] Traité …, op. cit., tome II, Supplément, p. 295 sq. [la critique ne dépasse guère le niveau rhétorique propre au style des controverses de « l’après-quiétisme »].
[1212] Méthode claire et facile pour bien faire l’oraison mentale et pour s’exercer avec fruit en la présence de Dieu, éd. Beyaert, Bruges, [1962].
[1213] Réimpression de l’éd. de 1655 : L’entrée à la divine sagesse composés par le R. P. Maur…, Bibl. Mystique du Carmel, 4 vol., Soignies [Belgique], 1921-1933. La distribution des opuscules est la suivante : vol. I, « Les trois Portes… », p. 30-141 ; vol. II, « Montée spirituelle, Traité de la fidélité », p. 1-78 ; vol. III, « Théologie chrétienne et mystique », p. 1-175 ; vol. IV, « Sanctuaire… », p. 1-77, « Exposition… », p. 80-156. Le texte est modernisé mais s’avère fidèle.
[1214] Madame Guyon, Correspondance, tome I, Directions Spirituelles, Honoré Champion, 2003, p. 50-74.
[1215] M. de Certeau, op. cit., « Lettres I à XXII à une religieuse de la Visitation », p. 289-303.
[1216] Maur de l’Enfant-Jésus, Ecrits de la maturité 1664-1689, coll. « Sources mystiques », Editions du Carmel, janvier 2007, dont la présentation comporte une biographie complète de Maur, ici complétée par un aperçu du chemin intérieur.
[1217] Cet ouvrage en quatre tomes fera ultérieurement l’objet d’un volume dans cette même collection, qui livrera un choix des textes encore vivants pour des moines d’aujourd’hui.
[1218] L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Desclée, 1958.
[1219] L’entrée à la divine sagesse composés par le R. P. Maur…, Bibl. Mystique du Carmel, 4 vol., Soignies [Belgique], 1921-1933.
[1220] Sigles : MS pour la « Montée spirituelle contenant huit degrés… », SS pour le « Sanctuaire de la divine Sapience », TM pour la « Théologie chrétienne et mystique ». Lorsque plusieurs extraits appartiennent à une même section d’un traité (titre ou chapitre), sa référence est donnée en fin de séquence.
[1221] Terme propre aux auteurs spirituels du siècle : Bernières, Bertot, Mme Guyon …
[1222] « O âmes qui sortez du sépulcre, vous sentez en vous un germe de vie qui vient peu à peu. Vous êtes tout étonnées qu'une force secrète s'empare de vous. Ces cendres se raniment. Vous vous trouvez dans un pays nouveau. Cette pauvre âme, qui ne pensait plus qu'à demeurer en paix dans le sépulcre, reçoit une agréable surprise. Elle ne sait que croire et que penser. Elle croit que le soleil a dardé pour un peu ses rayons par quelque fente et ouverture, mais que ce n'est que pour quelque moment. Elle est bien plus étonnée lorsque elle sent cette vigueur secrète s'emparer plus fortement de toute elle-même et que peu à peu elle reçoit une nouvelle vie… ». (Guyon, les Torrents, I, chap. IX, 3).
[1223] “L’esprit trépasse ici dans la jouissance, il s’écoule pour se jeter dans la nudité essentielle [...] dans la Simplicité sans nom, dans l’indétermination où nulle raison n’a prise. Or dans ce gouffre sans fond [...] il n’y a ici qu’un éternel repos dans l’embrassement exultant où tout s’écoule dans l’amour...” (Ruusbroec, Les Noces spirituelles, conclusion, trad. Bizet).
[1224] « Dieu a d’abord créé le monde comme une chose amorphe et dépourvue de grâce, et semblable à un miroir qui n’a pas encore été poli ; or c’est une règle de l’Activité divine de ne préparer aucun lieu sans que celui-ci ne reçoive un esprit divin […] effusion inépuisable […] Il n’y a donc qu’un pur réceptacle… » (Ibn Arabi, La Sagesse des prophètes, Adam, trad. Burckhardt).
[1225] “L'âme au sortir du tombeau […] est surprise que, sans avoir réfléchi sur les états de Jésus-Christ ni sur ses inclinations depuis les dix, les vingt, les trente dernières années, elle les trouve imprimées en elle par état. Ces inclinations de Jésus-Christ sont la petitesse, la pauvreté, la soumission… ». (Guyon, les Torrents, I, chap. IX, 20).
[1226] Les références figurant dans notre étude « Maur de l’Enfant-Jésus, Grand Carme », section « L’œuvre », qui ouvre le volume Maur de l’Enfant-Jésus, Ecrits de la maturité 1664-1689, 2006, sont ici complétées dans leurs descriptions.
[1227] Référence absente du Catalogue Collectif de France ; l’exemplaire que nous avons consulté aux archives du Carmel de Clamart ne comporte plus sa page de titre ; s’agit-il d’une édition bordelaise comme c’est le cas de la Théologie de l’année précédente (également absente du CCFR) ?
[1228] V. Histoire et dictionnaire de la police du Moyen Age à nos jours, Laffont, coll. « Bouquins », Paris, 2005.
[1229]
J. Bruno, La vie de Mme Guyon, La
Tour Saint-Jacques, 1962 ; F. Mallet-Joris, Jeanne Guyon, Paris, Flammarion, 1978 ; M.-L. Gondal, Mme Guyon (1648-1717), un nouveau visage, Paris, Beauchesne, 1989 ; Jean
Orcibal, « Le Cardinal Le Camus témoin au procès de Mme Guyon » (1974),
p. 799-818, & « Mme Guyon devant ses juges » (1975), p.
819-834, dans Etudes d’Histoire et
de Littérature Religieuse, Paris, Klincksieck, 1997 ; nos
contributions dans les éditions de la Vie
par elle-même et de la Correspondance,
Paris, Honoré Champion, 2001-2005.
[1230] L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée, 1958. Dorénavant cité Cm. - Plus de la moitié de cet ouvrage traite directement de Mme Guyon, ce que n’indiquait pas le titre de l’ouvrage.
[1231] Auquels s’ajoutent quatre confrontations vécues antérieurement, conduites par l’official Chéron.
[1232] M.-L. Gondal, « L’autobiographie de Mme Guyon (1648-1717) : La découverte et l’apport de deux nouveaux manuscrits », XVIIe Siècle, juillet-septembre 1989, no. 164, p. 307-323 ; Récit de captivité, Grenoble, Millon, 1992.
[1233] On touche ici à la raison profonde de sa recherche intense de la Tradition dans les deux Testaments et chez les auteurs mystiques. Loin d’être « une pauvre femme sans culture », grâce à un effort amorcé dès son enfance par une demi-sœur aînée religieuse (« il n’y avait guère de prédicateurs qui composât mieux des sermons qu’elle », Vie 1.3), puis mené sur la longue durée de façon autodidacte, elle unira une connaissance exceptionnelle de la Bible (son commentaire immense par la taille n’est en rien négligeable, grâce à des interprétations allégoriques inspirées par son vécu mystique : il sera repris dans le monde protestant piétiste) à celle des auteurs mystiques (son recueil des Justifications reste la meilleure des anthologies thématiques portant sur près de 70 auteurs).
[1234] J. et B. Massin, Ludwig van Beethoven, Fayard, 1967. Citation de l’avant-propos (non paginé) de leur dossier biographique constitué par assemblage de textes d’époque.
[1235] Mme Guyon, Correspondance : Tome I Directions spirituelles, Tome II Combats, Tome III Chemins mystiques, Honoré Champion, 2001-2005. Dorénavant cité CG I, CG II, CG III. S’ajoutent quelques lettres qui ne nous sont connues que par la Vie par elle-même.
[1236] Edité en quatrième partie ajoutée aux trois parties traditionnelles de l’autobiographie guyonnienne dans : Mme Guyon, La vie par elle-même et autres écrits biographiques, Honoré Champion, 2001, p.881 sv. Dorénavant citée : Vie.
[1237] I Pierre 4, 8.
[1238] Début de l’avant-dernier chapitre de la troisième partie de la Vie par elle-même (le chapitre de conclusion met en avant le but tout intérieur poursuivi en décrivant un état mystique simple et invariable). (Vie 3.20.1). En fait il s’agit également de respecter l’engagement au secret exigé de tout interné à la Bastille.
[1239] L. Kolakowski dans sa première période marxiste (époque où il rédige en Pologne son magistral Chrétiens sans église, 1965, trad. fr. 1969) représente la tradition rationnelle. De très nombreux critiques ont des approches sous-tendues par les écoles psychanalytiques, dont récemment M.-F. Bruneau (Women mystics confront the modern world, 1998), J. Le Brun (Le pur amour de Platon à Lacan, 2002 ; La jouissance et le trouble, 2004), etc.
[1240] On n’observe aucun passage biffé ni ajout au sein de ses autographes qui courent d’une seule traite et sont souvent formatés par l’espace papier disponible.
[1241] René Pintard, Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Paris, 1943, Genève, 2000.
[1242] Ce qui se traduit par un premier « autodafé » des exemplaires du Moyen Court en 1690, à Prémol près de Grenoble, précédant celui opéré plus tard à Saint-Cyr en 1695.
[1243] Lettre à Tronson du 11 mai 1696, etc. Voir “Le procès des mœurs”, analyse détaillée donnée en annexe.
[1244]« Je n’étais donc, comme je vous dis, ni endormie ni éveillée, lorsqu’il me parut que le désir que j’ai d’être au plus tôt une véritable épouse du céleste Epoux, échauffa si fort mon cœur que je devins toute en feu […] Le doux murmure de ces ruisseaux et le bruit confus d’une grande quantité de zéphirs, rendait ce séjour le plus agréable du monde […] je fus menée dans une épaisse forêt […] on y découvrait de loin une montagne enchantée, qui paraissait être celle des aromates du Cantique… Mon âme […] osa d’abord, pour première faveur, demander le saint baiser : et loin d’être rebutée, l’Epoux le lui accorda […] j’arrivai presque au haut de cette montagne […] l’Epoux se reposait pendant le midi ; car je l’y trouvai comme endormi : ce fut là où, tombant de fatigue et embrasée d’un amour violent… » (Correspondance de Bossuet par Levesque, lettre 1122bis de Mme Cornuau à Bossuet, oct. 1694).
[1245] L. Devillairs, Fénelon, une philosophie de l’infini, Cerf, 2007.
[1246] Le siège de Meaux, assez voisin et de Paris et de la Cour, était considéré comme une étape vers une ascension plus haute.
[1247] Louis-Antoine de Noailles (1651-1729), second fils du duc de Noailles, fut évêque de Cahors puis transféré à Châlons (il est signataire le 10 mars 1695 des « 34 articles d’Issy » avec Bossuet, Fénelon, Tronson). Il prit possession du siège de Paris, après la mort de Harlay, l’été suivant. L’épisode de la fausse lettre où l’archevêque se rend à la Bastille ( !), se situe en 1698. Il fut créé cardinal en 1700.
[1248] En ce qui concerne Bossuet s’ajoute peut-être l’effet de l’appartenance à un milieu assez modeste : il accomplit une ascension sociale par le mérite et dans un effort qu’il ne peut « jouer » en prenant des risques. Fénelon, de grande famille noble sinon riche, se sent libre vis-à-vis de ceux qu’il perçoit comme des pairs.
[1249] On trouvera en annexe la lettre de La Combe adressée à l’évêque de Tarbes.
[1250] Avant qu’une dépression ne l’envahisse, contre laquelle luttait déjà sa correspondante ; quand on connaît le traitement administré à la dame relativement protégée par sa célébrité et par son origine, par un passé proche où elle faisait partie des petits dîners de Mme de Maintenon, on imagine facilement, parmi des causes probables de dépression ou peut-être de folie, le traitement extrême administré à un prêtre obscur pratiquement abandonné par son ordre.
[1251] Sur la Reynie, que nous avons déjà cité trois fois et que nous allons retrouver constamment, ainsi que sur le fonctionnement de la police qui avait été réformée par Louis XIV récemment, voir en fin de volume un rappel dans l’annexe : « La Reynie et la police d’un grand roi ».
[1252] Au vu des détails rapportés par elle-même et très certainement commentés voire « améliorés » par le demi-frère ennemi Dominique de la Mothe, fort bien informé puisqu’il appartenait au même ordre des barnabites que le confesseur La Combe : « J'étais dans ce couvent, et je n'avais vu le Père La Combe que ce que j'ai marqué. Cependant on ne laissait pas de faire courir le bruit que je courais avec lui, qu'il m'avait promenée en carrosse dans Genève, que le carrosse avait versé et cent folies malicieuses. […]. Le Père La Mothe débita de plus que j'avais été en croupe à cheval derrière le Père La Combe, ce qui était d'autant plus faux que je n'ai jamais été de cette manière. » (Vie, 2.7.3).
[1253] Au début du septième interrogatoire : « …il paraît que cette petite Église, est une Église de secte particulière, et le Roi (qui est protecteur de la vraie et seule Église catholique), a droit et intérêt de savoir quel est cette petite Église dans son Royaume, et quelle est la secte qui l’a établie et qui la reconnaît… ».
[1254] « Si elle croit qu'il soit de la piété chrétienne et qu'il puisse être promis être quelque édification pour l'Église et pour la Religion de supposer une Épître de l'archange Saint-Michel, de la faire lire aux simples et de la leur distribuer comme on donne à lire les Épîtres canoniques, dont il paraît qu'on a en celle-ci imité le style et rejeté l'esprit. - A dit qu'elle ne trouve dans ladite pièce qu'un esprit de simplicité et que des gens ont fait cela pour se divertir sans aucun dessein. » (Septième interrogatoire).
[1255] « Le 16 octobre 1696. Le sieur Desgrez a été averti par M. le curé de Saint-Sulpice à qui il a donné un billet pour monseigneur l'archevêque de se rendre ce matin même à sept heures à l'archevêché pour y recevoir par les mains de monseigneur l'archevêque les ordres du roi pour transférer Mme Guyon du donjon de Vincennes au lieu qui lui serait marqué par monseigneur l'archevêque… » (début d’une pièce reproduite ci-dessous).
[1256] v. Histoire du Quillotisme ou de ce qui s’est passé à Dijon au sujet du quiétisme…, 1701 (réf. complète du long titre et extrait : v. l’annexe « procès des moeurs »).
[1257] Une place importante aux écrits de la maturité est accordée aux côtés du Moyen court, des Torrents, etc., les œuvres connues de relative jeunesse, dans : Mme Guyon, Œuvres mystiques, Champion, 2008.
[1258] « Cette dame fut mise aux filles de Sainte-Marie de la rue Saint-Antoine dans le temps que le père la Combe était [enfermé] aux pères de la Doctrine. Elle y fut interrogée à la grille neuf ou dix séances par monsieur Chéron, monsieur Pirot présent. On l'interrogea sur sa conduite, sur ses voyages de Savoie, de Piémont, de Provence, de Dauphiné et autres, et sur la doctrine et ses livres… » (Mémoire de Pirot, 1696, reproduit dans ce volume). – Au cas où Pirot aurait exagéré son zèle en considérant toute comparution à la grille comme interrogatoire distinct, nous retenons le chiffre de quatre, décrits par l’intéressée dans sa Vie. Le même Mémoire nous informe sur 14 à 16 interrogatoires de La Combe, le confesseur lié à Mme Guyon, avant même son placement en prison d’état à Oléron. Tous les acteurs sont donc très bien informés lors de la reprise par La Reynie en 1696. Pirot reprend alors du service comme confesseur imposé.
[1259] Vie, 3.18.9 (Pâques & Annonciation), 3.19.1-2 (deux visites consécutives « à quelques jours de là ») & 3 (« à quelque temps de là »), fin juin et début juillet. Pièces (CG II) : Soumission « A » du 15 avril, « B » du 1er juillet, Attestation « C » ou « D » début juillet.
[1260] « Il lui rendit visite à Vincennes, le mercredi saint 18 avril. Il fut avec elle tout l'après-dîner pendant cinq heures, lui parlant toujours d'elle. [...] il ne put rien obtenir d'elle. Il y retourna le vendredi saint après dîner, et passa avec elle tout autant de temps, sans rien avancer de plus. » (Mémoire de Pirot, 1696, parlant de lui-même à la troisième personne).
[1261] Madame Guyon mentionne favorablement les Jésuites, connaît l’un d’entre eux, le P. Alleaume, qui sera d’ailleurs suspecté de quiétisme, enfin ses écrits seront appréciés par J.-P. de Caussade qui reprendra l’Abandon à la Providence divine. Elle fait par ailleurs confiance à Monsieur Tronson, supérieur de Saint-Sulpice et ancien directeur de Fénelon. Enfin Jean Eudes était proche de Marie des Valées, de Bernières, et très probablement en relation avec Monsieur Bertot.
[1262] «…homo circumferens mortalitatem suam, circumferens testimonium peccati sui », saint AUGUSTIN, Confessions, Desclée de Brouwer, 1962, Prélude, p. 272 ; «…dijera mis grandes pecados y ruin vida », santa TERESA, Obras completas, B.A.C., Madrid, 1974, Libro de la vida, Prologo, p. 28.
[1263] A Mme Acarie, à Jeanne Françoise Frémyot baronne de Chantal, à Marie Guyart (Marie de l’Incarnation du Canada), à Mme Scarron (Mme de Maintenon)...
[1264] Dont elle parle peu : Peut-être doit-on prendre en compte l’influence du modèle fourni par les Actes des apôtres. Après la condamnation de Molinos elle a sûrement le souci de ne pas insister sur sa période italienne.
[1265] Ce que rapporte la Vie à ce sujet est confirmé par les enquêtes faites au moment de son procès.
[1266] Dont post-mortem le grand spirituel français Bernières auquel elle se rattache par Bertot et d’autres.
[1267] Ce qui est très rare : la durée moyenne d’enfermement à la Bastille ne dépassant pas quelques mois. Son emprisonnement est quasi simultané avec celui du célèbre homme au masque. Au milieu de son épreuve ses amis la croient morte.
[1268] On trouvera les dates et des précisions factuelles dans notre biographie chronologique placée en fin d’ouvrage.
[1269] Son soutien et premier guide intérieur, présenté ci-après.
[1270] Cette maladroite tentative est décrite très précisément dans sa correspondance avec la duchesse de Mortemart.
[1271] De même le Père La Combe mourra fou (ou sénile ?).
[1272] Dont témoignent surtout la correspondance des dernières années (1714-1717 alors que la dernière rédaction de la Vie est de 1709) ainsi que les Suppléments à la Vie.
[1273] MALLET-JORIS, Françoise, Jeanne Guyon, Flammarion, 1978.
[1274] GONDAL, Marie-Louise, Madame Guyon (1648-1717), un nouveau visage, Beauchesne, 1989.
[1275] La comparaison est moins critique dans CHEVALLIER, Marjolaine, Mme Guyon et Pierre Poiret, contribution à Madame Guyon, Rencontres autour de la vie et l’œuvre, Millon, 1997, Millon 1997 pp . 45-46. Antoinette Bourignon fut éditée par le jeune Poiret, bien avant qu’il ne connaîsse Madame Guyon. L’étude comparative entre les deux femmes reste à faire.
[1276] Lettre à Fénelon, automne 1690, B. N. ms. Nouv. acq. fr. 11 010, f°. 163 r°. L’édition de la correspondance dite secrète de Madame Guyon avec Fénelon est à reprendre et à compléter par ce manuscrit.
[1277] Réponse de Fénelon, B. N. ms. Nouv. acq. fr. 11 010, f°. 167 r° - FENELON, Correspondance, tome II, Klincksieck, 1972, Lettre 123.
[1278] Refus de prendre la direction des Nouvelles Catholiques de Gex malgré les pressions de M. de Genève. Cependant elle fit des vœux secrets : « J'avais fait cinq voeux en ce pays-là. Le premier de chasteté que j'avais déjà fait sitôt que je fus veuve, [le second] celui de pauvreté, c'est pourquoi je me suis dépouillée de tous mes biens, je n'ai jamais confié ceci à qui que ce soit. Le troisième d'une obéissance aveugle à l'extérieur à toutes les providences ou à ce qui me serait marqué par mes supérieurs ou directeurs, et au-dedans d'une totale dépendance de la grâce. Le quatrième d'un attachement inviolable à la sainte Eglise. Le cinquième était un culte particulier à l'enfance de Jésus-Christ plus intérieur qu'extérieur. » Lettre au duc de Chevreuse, 11 septembre 1694.
[1279] Elle sera suspecte de “protestantisme” au moment de son procès. En fait quiétistes ou piétistes feront face à des difficultés semblables.
[1280] Son Histoire du sentiment religieux devait s’appeler Histoire littéraire du mysticisme français au XVIIe siècle et approfondir la quiétude. Voir GOICHOT, Emile, Henri Bremond…, p. 74 et pp. 293-294.
[1281] Deux sources témoignent de l’appréciation par Bergson de Madame Guyon. Du Bos rapporte dans son Journal, 1923 : « Que celle-ci doit être unique d"après tous les témoignages … que je recueille depuis des années, et que je voudrais … lire sa Vie par elle-même dont Bergson me disait avant la guerre qu"à sa connaissance l"on ne rencontrait dans aucun ouvrage l"état mystique sous une forme aussi pure et aussi évidente ». J. Chevalier rapporte de son côté une conversation du 2 mars 1938 selon ses notes prises sous la dictée de Bergson : « Je lus d"abord Madame Guyon : et ce fut heureux, parce qu"elle est plus proche de nous, et me prépara à la vraie mystique… » J. Chevalier, (CHEVALIER, Jacques, Cadences II, Plon, 1951, p. 79).
[1282] BERGSON, Les Deux sources de la morale et de la religion (1932), Œuvres, PUF, 1959. V. Chapitre III, p. 1152.
[1283] Pour approcher les phénomènes mystiques dans leurs sources psychophysiologiques (Maréchal, Leuba, Bruno). Plus récemment en appliquant les grilles interprétatives de diverses écoles psychanalytiques (Certeau, Bruneau...).
[1284] Ces derniers sont devenus rares (disciples au XVIIIe s., Bremond, Bergson).
[1285] Cette apparente contradiction entre l’abondance sur elle-même et la réserve quant à l’essentiel mystique qui doit demeurer tel c'est-à-dire caché explique l’insatisfaction de Bergson ; la citation donné précédemment se poursuit ainsi : «[Madame Guyon] me prépara à la vraie mystique par ses qualités et par ses manques : elle ne me satisfit pas complètement, je trouvais qu"elle pensait trop à elle-même dans son union avec Dieu… » J. Chevalier, Cadences II, Plon, 1951, p.79.
[1286] Le risque d’une analyse est de décomposer la tresse de la Vie en ses fils et d’en revenir au schéma plus accessible mais moins révélateur de la Vida de Thérèse qui glisse des événements de la jeunesse à la description des états mystiques (chapitres X à XXII) pour revenir aux rapports avec ses directeurs et aux fondations avant de conclure (chapitres XXXVIII à XL).
[1287] La recherche d’invariants humains sous les formes de déterminations “scientifiques”, sociobiologiques ou socioéconomiques, n’excluant pas une progression historique par prises de consciences progressives, le fait souvent oublier.
[1288] Le divin peut répondre à une grande urgence en favorisant l’ouverture à la grâce, tel que le témoigne HILLESUM, Etty, Une vie bouleversée…, Seuil, 1995.
[1289] Termes ambigus – comme celui d’amour. P. Agaësse insiste au moins sur l’accueil à une présence agissante « au point qu’il n’y a pas …d’autre béatitude que de consentir à se laisser diviniser pour pouvoir un jour suivre ce conseil de Jean de la Croix : ‘Là où il n’y a pas d’amour, mettez de l’amour et vous recueillerez de l’amour’ » (article Mystique, DS, col. 1952 & 1984).
[1290] On peut se demander si le terme convient alors qu’il est réservé aux enseignements normatifs, par exemple théologiques. Filiation paraît un terme plus convenable mais trop restrictif car il ne rend pas compte du milieu humain dans lequel prennent place plusieurs échanges conscients d’une commune référence (ici entre notre auteur et au moins Enguerrand, Granger, Bertot).
[1291] Certaines figures sont connues par suite de leur don naturel, qui ne sont pas plus exemplaires que d’autres appartenant à la turba magna mystique entrevue par Brémond. . Ceci laisse penser que nous bâtissons l’histoire de la mystique sur des exceptions à la règle du silence. Souvent il a fallu l’intervention providentielle d’un tiers pour que leur témoignage parvienne jusqu’à nous : que connaîtrions-nous de Marie de l’Incarnation sans l’activité d’éditeur de son fils Dom Claude Martin ? Et l’oeuvre de Madame Guyon serait singulièrement amputée sans l’intervention improbable du pasteur Pierre Poiret. Ainsi la même eau de la grâce coule par des canaux visibles ou non et l’on peut ici recourir aux comparaisons imagées du torrent soit souterrain soit apparent, de la route visible de très loin lorsqu’elle franchit un col mais le plus souvent cachée dans la vallée.
[1292] Directeur Mistique, vol. III, lettre 32 ; Le Directeur Mistique (sic) rétabli en Directeur Mystique, désigne J. Bertot dont Madame Guyon a rassemblé les textes ainsi publiés sous ce titre en quatre volumes. Ils furent publiés en 1726, par les compagnons de Poiret. Nous utiliserons dorénavant l’abbréviation DM.
[1293] DM, vol. IV, lettre 72
[1294]L’existence d’une transmission chez François d’Assise, Ruysbroeck, Catherine de Gênes, Jean de la Croix est possible et expliquerait leur fertilité. Elle est attestée chez des spirituels orthodoxes tels que Syméon le Nouveau Théologien ; Nil ; Séraphim de Sarov, Entretien avec Motovilov ; la lignée des staretz d’Optino ; Silouane. Voir BEHR-SIEGEL, Elisabeth : article « Monachisme » & article « Nil Sorskij », Dictionnaire de Spiritualité ; Prière et sainteté dans l’église russe, Cerf, 1950 & Bellefontaine, 1982 ; Le lieu du Cœur, Cerf, 1989. Voir aussi LOSSKY, V. & ARSENIEV, N., La Paternité spirituelle en Russie aux XVIII° et XIX° siècles, Bellefontaine, 1977. On pourrait évoquer d’autres traditions influentes dans nos cultures dont les générations hassidiques d’Europe orientale, des sufis d’origine andalouse etc.
[1295] Voir notre Bibliographie III.
[1296]La reprise des mêmes termes et des mêmes comparaisons rendent difficile, sans une pratique approfondie, la distinction entre des textes attribués à Bernières, Bertot ou Guyon (celle-ci aurait réécrit Bertot ! selon Heurtevent), Caussade (qui a édité Guyon dans L’abandon à la Providence divine).
[1297] Ici s’imposerait l’études précise de vocabulaire, qui grossirait indûement cette préface à la Vie.
[1298] La Vie ne fait pas exception : le récit de sa troisième partie est tributaire de la correspondance qui, adressée au duc de Chevreuse ou à la duchesse de Mortemart, fut conservée et vue par Madame Guyon et présente une vivacité que nous ne pouvons qu’évoquer par quelques extraits parallèles au récit, donnés en notes.
[1299] Les états sont plus importants que les transitions mais ces dernières sont perçues immédiatement comme des phénomènes ou des fractures, avant que le paysage d’ensemble ne soit clairement formé : ce qu’illustre les relations de Marie de l’Incarnation de 1633 puis de 1654 qui portent un regard différent sur le même vécu.
[1300] A la différence de Marie des Vallées, Madame Guyon privilégie l’expérience intérieure mystique dans ses Explications des deux Testaments en évitant les aspects messianiques et eschatologiques : ainsi dans son interprétation de la parabole de l’ivraie qui s’avère plus sobre que celle de l’Evangile (LE BRUN, Jacques, « Madame Guyon et la Bible », p. 81, Rencontres…, Millon 1997). A la différence d’Antoinette Bourignon, Madame Guyon se méfie d’interprétations prophétiques hasardeuses des événements intérieurs.
[1301] Mme de Charost : Marie Foucquet, fille unique du Surintendant, qui s’était mariée en 1657, fut exilée à Ancenis après la condamnation de son père en 1664, puis autorisée à se rapprocher de la capitale (elle s’établit alors à Montargis). Elle put revenir en 1680 à Paris.
[1302] ORCIBAL, Jean, « Madame Guyon devant ses juges », Etudes d’Histoire et de Littérature Religieuses, Klincksieck, 1997, page 821.
[1303] Vie 1.8.2 p.000. On fait ainsi référence au texte de la Vie, première partie, chapitre VIII, § 2, en reprenant la numérotation introduite par Poiret, et en la faisant suivre de la pagination propre à notre édition.
[1304] Vie 1.8.7 p.000.
[1305] Vie 1.8.6 à 1.8.9, p. 000. Archange Enguerrand a lui-même, étant jeune, rencontré Jean Aumont, ‘le pauvre villageois’, disciple de Bernières ; c’est une filière secondaire reliant Madame Guyon au groupe de l’Ermitage par deux intermédiaires (au lieu de la filière centrale par le seul Bertot). Enguerrand a laissé d’intéressantes correspondances de direction de religieuses ; voir AUMONT, Jean, L’ouverture intérieure du royaume de l’agneau occis dans nos coeurs avec le total assujetissement de l’âme à son divin empire… par un pauvre villageois... Paris, 1660. Voir DERVILLE, André, « Un Récollet Français méconnu : Archange Enguerrand », Archivum Franciscanum Historicum, 1997, 177 – 203.
[1306] Vie 1.12.7 p.000.
[1307] Vie 1.13.3, 1.14.5, 1.17.6, 1.17.7, 1.19.9 pp. 000.
[1308]Vie 1.19.10 (contrat de mariage à Notre Seigneur enfant, le jour de la Madeleine), Vie 1.23.3 (Quoi! Vous n’aimez plus Dieu? ).
[1309] Vie 1.8.3 p.000.
[1310] BLEMUR, Mère Jacqueline Bouëtte de, « Eloge de feue la révérende mère Geneviève Granger de Saint Benoist, supérieure du monastère des bénédictines de Montargis », pp. 417 à 455 du tome second des Eloges de plusieurs personnes illustres en piété de l’ordre de St Benoist décédées en ces derniers siècles, Paris, 1679.
[1311] On peut penser, Geneviève Granger étant née en 1600 (soit vingt ans avant Bertot !) qu’il s’agissait plutôt d’échanges entre disciples appartenant au même groupe animé par Jean-Chrysostome, les deux Bernières, Michelle Mangon… Il est fort possible que nous n’estimions pas à sa valeur le rôle de la Mère Granger, dont on ne possède pas d’écrit.
[1312] Vie 1.19.1 p. 000. (prenant le ms. d’Oxford pour leçon ; 1.19.2 chez Poiret)
[1313] On doit à Jean Bruno ces importantes précisions sur cet épisode essentiel de la vie de Madame Guyon (BRUNO, Jean, « La Vie de Madame Guyon écrite par elle-même, extraits choisis et présentés par Jean Bruno I 1648-1681 » pub. dans Les Cahiers de La Tour Saint Jacques, VI, 1962, note 38 p. 72).
[1314] Le titre insiste sur la continuité de la filiation : Le Directeur Mistique ou les Oeuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guyon...., 4 volumes, 1726 ; cité par DM ; l’ensemble forme un corpus de près de deux mille pages denses et profondes, répondant parfaitement à ce que laisse entrendre le titre.
[1315] HEURTEVENT, L’œuvre spirituelle de Jean de Bernières, Beauchesne, 1938. Paginations données entre parenthèses.
[1316] L’Addition de la fin du vol. II du DM rapporte les Conseils d’une grande servante de Dieu ... Marie des Valées (sic) et renvoie aux deux lettres que nous citons : 40 et 64, DM, vol. II. ; on connaît par ailleurs les liens étroits entre Marie des Vallées, Jean Eudes, Renty, Bernières.
[1317] DM, vol. II, lettre 64, p. 349
[1318] Torrents, Chapitre 3, §1 : « ces grandes rivières qui vont à pas lents et grave... » par opposition au torrent impropre aux charges mais image de l’élan mystique.
[1319] DM, vol. III, page 506 : lettre écrite en 1674 à un dirigé canadien.
[1320] CATHERINE DE BAR [Mère Mectilde du Saint-Sacrement], Lettres inédites, Bénédictines du Saint Sacrement, Rouen, 1976. Cette célèbre figure fondatrice est par ailleurs en relation avec Archange Enguerrand (Derville p. 178). On devine tout un réseau de relations croisées.
[1321]
Le Denys des mystiques que la légende fait venir à Paris – l’auteur ancien
le plus souvent cité par Madame Guyon dans ses Justifications.
[1322] FENELON, Correspondance établie par Jean ORCIBAL, puis Jean ORCIBAL, Jacques Le BRUN & Irénée NOYE, Klincksieck, 1972ss., puis Droz : Tome III, note 1 par ORCIBAL à la lettre no. 78, page 200 (ce tome III contient les notes aux lettres constituant le tome II, voir nos explications dans l’Index des sources donné en fin de volume).
[1323] On peut en effet douter de la nécessité d’une intervention de Fénelon compte tenu de l’assistance antérieure des ducs et de leurs femmes aux conférences de Bertot.
[1324] FENELON, Correspondance…, tome III, note 15 par ORCIBAL à la lettre no. 44, p. 155.
[1325] Addition 127 au Journal de Dangeau dans SAINT-SIMON, Mémoires, édités par A. de BOISLISLE, t. II, p. 413. Noter l’utilisation du terme école.
[1326] FENELON, Correspondance…, tome III, note 15 à la lettre n° 44 déjà citée (la note fait plus d’une page…)
[1327] Appréciant les mêmes auteurs dont Catherine de Gênes citée ailleurs par Bertot. Sa spiritualité est mieux cernée ci-après lorsque nous présentons un aperçu de son chemin spirituel.
[1328] DM, vol II, lettre 11, p. 44
[1329] DM, vol II, Lettre 16 p. 74 ; Canfeld avait joué un rôle important dans la réforme de à Montmartre.
[1330] On note le choix de Bertot pour régler (probablement en 1674) une affaire compliquée où Jean Eudes est attaqué par ses anciens confrères Oratoriens qui tentent de le discréditer en ridiculisant son attachement à Marie des Vallées.
[1331] DM, vol III, lettre 34, p. 143
[1332] DM, vol III, lettre 28 p. 94
[1333] A l’époque Maur de l’Enfant-Jésus vivait dans le sud-ouest de la France, comme un ermite, accueillant toutefois des visiteurs. Voir de CERTEAU, M., « Le père Maur de l’Enfant-Jésus, textes inédits », Revue d’Ascétique et de Mystique, 1959, 266-303 ; 21 lettres de Maur sont éditées “en parallèle” à celles de Madame Guyon dans le quatrième volume du DM.
[1334] DM, vol. II, lettre 6, p. 29
[1335] DM, vol. II , lettre 11, p. 40 ; dénuer : priver de tout bien spirituel sensible.
[1336] DM, vol. II , lettre de Madame Guyon et lettre 29 en réponse, p. 155
[1337] Vie 1.10.9
[1338] Vie 1.11.5
[1339] Vie 1.13.9
[1340] Vie 1.28.10
[1341] Vie 2.4
[1342] Vie 1.23 & 1.24
[1343] DM, vol. II, lettre 31, p. 170
[1344] Lettre au marquis de Fénelon, 1er juin 1716.
[1345] Vie 1.28
[1346] Lettre au duc de Chevreuse, le 20 avril 1693.
[1347] DM, vol. IV, Lettre no. 81 (= 3 x 3 x 3 x 3).
[1348] Dutoit vol II, lettre 196.
[1349] Lettres issues du DM de Bertot, puis des Correspondances des directions de Fénelon (partiellement réééditée), de Chevreuse, des disciples cis et trans.
[1350] Affirmation et vécu judaïques repris par les chétiens.
[1351] Le Tiers Ordre Régulier franciscain est lié à l’école de Madame Guyon par la figure méconnue mais essentielle du P. Chrysostome de Saint-Lô, confesseur de Bernières (et d’autres).
[1352] Depuis l’initiation : Accoutumez-vous à chercher Dieu dans votre coeur et vous l'y trouverez Vie § 1.8.6, reprise forte du Connais-toi toi-même de Delphes, plus généralement appel au retour à l’intériorité commun à tous les mystiques.
[1353] Les épithètes enthousiastes et inspirés, très négatifs pour les catholiques comme pour les protestants, étaient distribués largement par les théologiens orthodoxes. Ils évoquent en effet le goût pour la controverse, pour le millénarisme et le prophétisme.
[1354] GONDAL, Marie-Louise, “Madame Guyon à Thonon”, pub. dans Madame Guyon, Rencontres…, Millon 1997, p. 23.
[1355] La belle analogie offerte par les Torrents peut s’étendre à celle de l’être vivant analogue à l’eau qui s’écoule, qui est un don dépendant du ciel. En saison sèche, il ne reste que le lit pierreux et fixe, la forme sans contenu, qui ne permet pas de connaître la nature et le goût de l’eau, mais seulement ses effets indirects d’usure. L’être est-il comparable à l’eau (impermanente mais vivante) ou bien au lit pierreux (permanent mais mort) ? Il y a mille torrents car mille vallées pour une seule eau océane.
[1356] Valère NOVARINA, “Ouverture”, dans Rencontres…, Millon 1997, p.12
[1357] Une abondante correspondance couvre les toutes dernières années 1714 à 1717 et complète ce témoignage.
[1358] PACHET, P., “Mme Guyon et l’individu moderne”, Madame Guyon, Rencontres…, Millon, 1997, pp. 208-209 ; Influence possible sur Amiel ; Voir aussi : CHAVANNES, J.-Ph. Dutoit, sa vie, son caractère et ses doctrines, Lausanne, 1865 ; MASSON, Fénelon et Madame Guyon, Paris, 1907 ; FAVRE, J.-Ph. Dutoit, Genève, 1911 ; Fonds manuscrit important à exploiter à Lausanne.
[1359] CARIOU, Marie, Bergson entre Mme Guyon et Rousseau, Rencontres…, Millon 1997, p. 195
[1360] SCHRADER, H.-J., « Mme Guyon et le Piétisme allemand », dans Madame Guyon, Rencontres…, Millon 1997 : nous reprenons ici cette étude qui propose la richesse de recherches menées en milieu germanophone. V. aussi CHEVALLIER, Marjolaine, Pierre Poiret…
[1361] SCHRADER, H.-J., « Mme Guyon… : sur Goethe pp. 89, 125-126 ; citations de Jean-Paul pp. 92-93
[1362] id., pp. 100, 118
[1363] id., pp. 128.
[1364] Sur Wesley, ORCIBAL, Jean, “L’originalité théologique de John Wesley et les spiritualités du continent”, Etudes d’Histoire et de Littérature Religieuses, Klincksieck, 1997 ; sur l’influence outre atlantique, WARD, P. A., “Le Quiétisme aux Etats-Unis”, dans Rencontres…, Millon 1997, 131-143 - T. UPHAM, Life and Religious Opinions and Experiences of Madame de la Mothe Guyon, 1847, constitue un choix substantiel de passages de la Vie, documentés et intelligemment conçus.
[1365] Probablement par le chevalier de Klinckowström disciple de Dutoit et en relation avec Fleischbein.
[1366] DS, Article “Russie”, section intitulée « Du Mysticisme vague à la mystique du cœur », col. 1177.
[1367] CHEREL, Albert, Un aventurier Religieux … André-Michel Ramsay, Paris 1926.
[1368] L’Abandon à la Providence divine est ‘d’une plume apparentée à celle de Madame Guyon’ (M. OLPHE-GALLIARD, Introduction au Traité sur l’Oraison du coeur, note 17 p. 44 ) - De même pour la Manière courte… (A. RAYEZ : P. de CLORIVIERE, Prière et Oraison, par coll. Christus, n° 7, DDB, Paris, 1961, note 2 p.148 & J. LE BRUN cité par M. Olphe-Galliard). Ceci s’explique factuellement très simplement (hors d’une comparaison textuelle qui à nos yeux ne laisse aucun doute) : on connaît d’une part le séjour de Madame Guyon au couvent des Visitandines de Meaux et l’estime étonnante dont elle avait reçu les témoignages écrits de la part de la supérieure et des religieuses ; d’autre part, on sait, selon l’éditeur moderne de L’Abandon à la Providence divine, que : « Le P. de Caussade est en rapport à l’automne 1729 avec la Mère Françoise-Ignace de Bassompierre, ancienne supérieure de la Visitation de Meaux de 1718 à 1734... C’est par elle que la bibliothèque du monastère nancéien s’était enrichie d’un recueil d’opuscules spirituels manuscrits…”
[1369] GOICHOT, Emile, “Bremond et Madame Guyon”, dans Rencontres…, Millon 1997 pp. 174 & 179. Sur les difficultés d’aborder la mystique au début du siècle, v. du même auteur : Henri Bremond historien du sentiment religieux, Ophrys, 1982.
[1370] Communauté dont les membres prennent parfois des initiatives risquées par exemple à Grenoble par l’édition du Moyen Court.
[1371] La « grande » Thérèse réformatrice du Carmel (1515 – 1582), ordre qui abritera Thérèse de l’Enfant-Jésus (1873 - 1897).
[1372] Ursuline, dite du Canada (1599 – 1672), à ne pas confondre avec Mme Acarie, devenue sœur Marie de l’Incarnation (1566 – 1618).
[1373] A l’exception de Maine de Biran, v. son Journal, Ed. de la Baconnière, 1957 : par ex. vol. III, p.200 : “Le principe de la 3e vie (celle de la grâce) consiste dans la présence d’un esprit supérieur à celui de l’homme, qui … remplit son âme d’une joie, d’une paix ineffable…”
[1374] Les conditions de conservation documentaires ainsi que les critères retenus pour l’exemplarité, favorisent les appartenances institutionnelles : les notices du Dictionnaire de Spiritualité indique une proportion de dix-neuf clercs, religieux et religieuses (qui ne représentent pourtant “que” 2% environ de la population totale française au XVII° siècle) ayant fait l’objet d’une notice historique …pour un laïc.
[1375] Lettre au duc de Chevreuse, Pâques 1693, A.S.S. pièce 7278 autographe.
[1376] Lettre adressée à Fénelon, B. N. ms. Nouv. acq. fr. 11 010, f°. 72v°. Ce passage est omis dans les Lettres chrétiennes et spirituelles, Londres (Lyon), 1768, tome I, lettre 227.
[1377] En s’appuyant sur les remarquables apparats de Boislisle, Masson, Levesque, Orcibal, Bruno, Le Brun, Gondal.
[1378] Nous préparons l’édition critique de cette correspondance active et passive qui comporte près de mille cinq cents lettres – édition inexplicablement manquante aujourd’hui. Outre qu’elle forme la base nécessaire à toute étude sérieuse de la ‘querelle quiétiste’ (comme le montre l’utilisation qu’en fait Cognet dans Le Crépuscule des mystiques…), elle est unique par son témoignage sur la direction spirituelle et par la profondeur de son enseignement. Elle couvre une vie entière, transformant la dirigée (par Bertot) en directeur (de Fénelon, de Chevreuse, de disciples cis et trans).
[1379] L’ensemble A.S.S. ms. 2057 Cahiers de jeunesse et autres écrits constitue un gros dossier, fondamental pour la connaissance de Madame Guyon, dans lequel nous avons distingué 21 pièces très diverses (incluant l’autographe du célèbre Traité du Purgatoire).
[1380] Rien n’est moins abandonné que cette jeune femme volontaire, exigeante et inquiète (ce que démontre la correspondance avec Bertot et ce qui permet de comprendre la « dureté » de ce dernier). Elle sera transformée jusqu’à atteindre une très grande souplesse intérieure et attention à la grâce – tout à l’opposé de son naturel.
[1381] à l’exception de pièces de jeunesse du ms. 2057 et du Discours XII édité par Dutoit au vol. V des Lettres, p.142.
[1382] DS, art. Guyon, col. 1328.
[1383] GONDAL, Marie-Louise, “L’autobiographie de madame Guyon (1648-1717) : La découverte et l’apport de deux nouveaux manuscrits”, XVII° Siècle, juillet-septembre 1989, no. 164, 41°année no. 3, 307-323.
[1384] (O) est une copie selon l’addition intéressante faite en marge, p. 230 : « Looke (sic : anglais ou néerlandais ?) the original and add. » : on verra que Poiret disposait non seulement de (O) mais d’une copie proche de (B) ; les étapes de la rédaction sont indiquées sur (O) p. 164 (Vie § 2.8.2) : « ce que j’ai marqué était déjà écrit en mai 1682 » et p. 151, en marge : « ceci est écrit pour la première fois jusqu’ici et finit (le t laisse le sens ambigu : s"agit-il de la rédaction ou du récit ?) en novembre 1682 ».
[1385] (O) p. 284 (Vie 3.8.4) : « Fait ce 21 d'août 1688, âgée de quarante ans; de ma prison, que j'aime ».
[1386] (O) p. 292 (Vie 3.9.9) : « ce 20 septembre 1688 ».
[1387] (O) p. 299 (Vie 3.10.15) : « fin jusqu’en 1688 tout entière ».
[1388] GONDAL, Marie-Louise, “Mme Guyon à Thonon”, dans Rencontres…, p.19, analyse les indices permettant de situer à la Bastille le compte-rendu de sa transformation spirituelle qui eut lieu à Thonon.
[1389] La deuxième partie de O se termine à la fin de (3.21.3) par ‘...impureté (mots biffés) décembre 1709’
[1390] Contrairement à la Vida de Thérèse, texte beaucoup plus court, travaillé sur plusieurs années avec l’intervention de ses confesseurs.
[1391] Certes avec la collaboration à distance et par intermédiaire de Madame Guyon dont témoignent quelques autographes, v. notre description du ms. d’Oxford. Les remaniements liés à ces interventions prouvées de l’auteur se bornent à des suppressions, à quelques modifications dans l’ordre du récit, à des corrections de style.
[1392]En général on trouve des textes ‘mystiques’ ou ‘psychologiques’ ou événementiels et non l’entrelac. La vie naît de l’interaction entre ces composantes.
[1393] Copie du XVIIIe s. ; nous avons vérifié sur un extrait du chapitre 2.21 transmis en 1963 de M. Jean Marchand à M. Jean Bruno (BRUNO, pièce 39). Elle reproduit avec exactitude l’édition Poiret, ses variantes, son résumé plaçé en tête de chapitre et sa numérotation des paragraphes.
[1394] Nous tenons à disposition les copies complètes de O (Vie photocopiée et Supplément sous forme de diapositives), B, C, L - les ms. O et depuis peu B sont microfilmés - mais C (et L ?) ne le sont pas ! P est rare (Sèvres, BN … v. CHEVALLIER, Marjolaine, Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium…)
[1395] GONDAL, Marie-Louise, “L’autobiographie de madame Guyon (1648-1717) : La découverte et l’apport de deux nouveaux manuscrits”, XVII° Siècle, juillet-septembre 1989, no. 164, 41°année no. 3, 307-323.
[1396] Les reproductions récentes de l’édition Poiret n’apportaient rien de nouveau sinon des infidélités. Cf. notre Bibliographie commentée. Par contre les apports de Jean Bruno et de Marie-Louise Gondal constituent les deux étapes importantes pour la compréhension d’épisodes importants de la Vie et par l’édition des Récits de captivité.
[1397] Donné à la fin de notre édition car nous n’avons pas retrouvé dans le corps du texte d’indication permettant de le replacer malgré l’annotation marginale : “transposé à la p : (blanc)”.
[1398] Durand de la Pialière, a également recopié 256 lettres écrites de 1693 à 1698 par Mme Guyon au Duc de Chevreuse et à la Petite Duchesse [de Mortemart]. Gentilhomme normand , Mme Guyon « l’avait chargé en 1695 de lui trouver en Normandie un couvent où elle pourrait demeurer inconnue. Il est auprès de Mme Guyon lors de l’arrestation de celle-ci, le 27 décembre 1695 à Popincourt. En janvier 1707 il est auprès de Jeanne Guyon à Blois et écrit sous sa dictée une lettre ... Il est appelé ‘le gros’ … ou ‘le gros Enfant’ que Du Puy traduit : ‘M. de Pihal .[lière]" » NOYE, Irénée, « Etat documentaire des manuscrits des œuvres et des lettres de Madame Guyon », dans Madame Guyon – Rencontres... , Millon, 1997, p. 60.
[1399] Entre ces deux parties se place une longue section propre au ms. de Saint-Brieuc, donnant des ajouts, introduits chacun par ‘J’ai oublié...’ ; nous avons décidé de les replaçer au fil du texte principal.
[1400] Isaac Du Puy (ou Dupuy) est aussi l’auteur d’une copie des lettres écrites de 1693 à 1698 par Mme Guyon au Duc de Chevreuse. Voir la notice dans la Vie sur ce proche et fidèle disciple, le bon ‘put’, qui joue un rôle important pendant et après la mort de Madame Guyon.
[1401] malgré BRUNO, pièces75, 76.
[1402] GONDAL, Marie-Louise, “L’autobiographie de madame Guyon (1648-1717) : La découverte et l’apport de deux nouveaux manuscrits”, XVII° Siècle, juillet-septembre 1989, no.164, 41°année no.3, 307-323.
[1403] « Selon les renseignements fournis par M. l'Archiviste de l'évêché de Saint-Brieuc, les ms. constituant le fonds ancien de la bibliothèque municipale de cette ville proviennent principalement : du séminaire de Saint-Brieuc, des abbayes de Beauport, Saint-Aubin des Bois et Lantenac, des Cordeliers de Tréguier, des Capucins de Guingamp et de Lannion. Le catalogue des manuscrits avait été dressé sur registre, en 1884, par M. Nimier, puis révisé par M. Petit puis M. Tempier, archiviste du département des Côtes du Nord. » GONDAL, Marie-Louise, “L’autobiographie…”, op. cit., note.
[1404] Madame GUYON, Récits de captivité, texte établi, présenté et annoté par M.-L. Gondal, Millon, Grenoble, 1992
[1405] Madame GUYON, Récits…, op.cit., « Un témoignage », pp. 16 à 25.
[1406] Il serait souhaitable d’en assurer par sécurité une reproduction comme cela a été enfin réalisé pour le manuscrit de Saint-Brieuc ; à présent n’existe que ce seul petit volume contenant l’unique texte connu de ce récit des prisons (en dehors de nos diapositives).
[1407] GONDAL, Marie-Louise, “L’autobiographie… op.cit.
[1408] Choix arbitraire - notre édition utilise déjà B comme leçon secondaire ; il eut été possible de prendre S2 pour leçon mais l’écriture n’est pas celle de O… Les différences s’avèrent en fait mineures, v. notes de variantes.
[1409] Egalement absent de O (qui serait donc ainsi daté de 1694 ? et pouvait appartenir à Fénelon ?), il fut édité pour la première fois par MASSON, Maurice, Fénelon et Mme Guyon. Documents nouveaux et inédits, Paris, 1907.
[1410] « Les légères différences qu'elle présente avec le texte de la Vie imprimée sont dues sans doute à des corrections faites par M. de Chevreuse, à qui Mme Guyon avait soumis sa lettre avant de l'envoyer à destination. C'est lui aussi qui a dû la dater du 25 juillet, tandis que la Vie donne : août 1694, et Deforis après Bossuet : juin 1694. En général, les lettres de Mme Guyon, dans nos manuscrits, ne sont pas datées par elle-même, mais par M. de Chevreuse, qui y inscrivait le jour de réception. » BOSSUET, Correspondance par URBAIN & LEVESQUE, Paris, 1909-1925, 15 vol. [UL], Lettre 1083.
[1411] V. nos notes de bas de page du texte édité. (Osup) améliore le style et omet ou gomme les saillies de (L).
[1412] Selon la déclaration du traducteur et la référence : ‘…à feu ma femme’, Pétronille d’Eischweiler.
[1413] CHEVALLIER, Marjolaine, Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, tome V, Koerner, Baden-Baden, 1985, p.234, 39.1.
[1414] Nous avons consulté à Chantilly l’exemplaire coté A342/217-218-219, actuellement à Lyon ; la bibliothèque de Sèvres possède un deuxième exemplaire, rigoureusement identique, coté 25067bis, (il lui manque seulement le frontispice gravé en tête du vol. I)
[1415] L’an 1717. Le 9 de juin, à Blois note Poiret.
[1416] GONDAL, Marie-Louise, “L’autobiographie…” op.cit.
[1417] CHEVALLIER, Marjolaine, Pierre Poiret… pp.104 à 106.
[1418] On a vu que Poiret disposait bien de deux ms. : O annoté ainsi qu’une copie proche de B.
[1419] Soutenu par le marquis de Fénelon ? On comprend une sensibilité différente des cis et des trans face à la publication de faits récents sensibles.
[1420] Qui se posera par la suite en ‘gardien’ de la mémoire de Fénelon : il écrit une Vie de Fénelon en 1723. On y trouve l’affirmation selon laquelle notre Vie par Madame Guyon aurait été imprimée « contrairement à ses dernières intentions » ce qui est contredit par les corrections autographes de O envoyé à Poiret. Une certaine distance entre Madame Guyon et Ramsay nous apparaît dans la correspondance - ce qui n’empêche pas le ton protecteur de ce dernier qui, lorsqu’il fut un temps secrétaire de ‘Notre Mère’, ajoute au texte dicté par cette dernière des post-scriptum à l’intention des correspondants.
[1421] Cotes A342/220-221-222.
[1422] Mais sous une version au vocabulaire ‘modernisé’ voire simplifié, cas des rééditions actuellement disponibles (comm. pers. Ward)
[1423] Egalement absent de O (qui serait donc ainsi daté de 1694 ? et pouvait appartenir à Fénelon ?), il fut édité pour la première fois par MASSON, Maurice, Fénelon et Mme Guyon. Documents nouveaux et inédits, Paris, 1907.
[1424] La lettre S dénote les archives de Saint-Sulpice (A.S.-S) d’où proviennent ces feuillets. La lettre B est ajoutée parce que ce passage est commun avec le manuscrit de Saint-Brieuc B. A.S.-S nous sert de leçon et nous donnons les variantes B ainsi que les deux paginations afin de faciliter des repérages ou citations éventuelles. Voir ci-dessous le détail des sources secondaires S1 et S2 incluant ces feuillets.
[1425] Souvent pour mieux respecter l’ordre des événements ; mais le premier jet de l’écriture traduit parfois des contraintes psychologiques que nous devons respecter - et nous ne voulons pas contaminer notre leçon O.
[1426] Au prix de légères variantes qui demeurent cachées, ce qui constitue une raison supplémentaire à celle qui s’avère être la majeure : de signaler la décision qui avait été prise à l’époque d’éliminer tel passage que nous éditons entre ‘/’ et ‘//’ – car cette décision eut probablement souvent l’approbation de Madame Guyon (elle est parfois attestée par ses remarques portées en marge, que nous donnons en variantes).
[1427] Poiret disposait en effet d’au moins deux sources manuscrites et était à la fin de sa vie un disciple en relation épistolaire avec Madame Guyon - fort estimé par cette dernière.
[1428] Poiret avait déjà introduit un tel résumé sous la forme de sommaires en tête de ses chapitres. Ils cernaient le contenu spirituel en termes généraux plutôt que les événements parce que ces derniers étaient trop récents. Nous avons donc décidé de refaire le travail en privilégiant ces événements factuels et ceci en utilisant le plus souvent possible les termes mêmes de la Vie. Ce premier travail de condensation du texte de la Vie fut entrepris de nouveau sur le résumé analytique et nous l’avons utilisé dans notre introduction.
[1429] Madame Gondal l’a édité et annoté sous le titre « Récits de captivité ». Il constitue ici une « quatrième partie » de la Vie.
[1430] Ainsi la nommaient non seulement ses ennemis mais aussi le diplomate et sceptique Tronson. Ils soulignaient ainsi le scandale d’une femme qui ose assumer le rôle de médiation réservé à partir du milieu du Grand siècle aux confesseurs « directeurs de consciences ». Nous reprenons cette expression de “Dame Directrice” à son juste titre.
[1431] Il en est de même pour le découpage des Torrents réalisé par le même Poiret (que l’on retrouvera dans l’édition fac-similé chez Olms). Un tel découpage est indispensable pour se référer au texte – ce dernier, bien loin de n’être qu’un poème lyrique, est en effet très précis dans la description du déroulement de la vie intérieure.
[1432] Nous ne sommes pas certains d’avoir résolu tous les problèmes liés aux déplacements et à l’imbrication des textes (on trouvera indiquées en italiques dans les variantes en fin de volume certaines reconstitutions parfois complexes des déplacements opérés par Poiret). Par ailleurs la découverte d’une nouvelle source est toujours possible car une recherche systématique des manuscrits, en particulier à l’étranger, n’a pas été encore menée à terme.
[1433] Nous utilisons en premier la Vie dont nous donnons des citations référencées par la séquence livre, chapitre, paragraphe, v. notre Avertissement. Les principaux travaux sur lesquels s’appuie ce défrichement biographique sont l’œuvre de Cognet (v. le Crépuscule des Mystiques) , Bruno, Orcibal (v. la Correspondance de Fénelon, tome III, pp. 480 à 496), Gondal (v. Madame Guyon, un nouveau visage).
[1434] Citations de la Vie en italiques.
[1435] = La Vie de Madame Guyon écrite par elle-même, Première partie, chapitre 2, § 1.
[1436] = Deuxième partie, chapitre 2, paragraphes 8, 12 et 13.
[1437] Var B = Variante du manuscrit de Saint-Brieuc
[1438] Au cours de l’été, son père offre le logis à la mère de Fouquet et à sa fille Marie, épouse d’Armand de Béthune duc de Charost, exilée depuis 1664 à Ancenis, qui venait d’être autorisée à se rapprocher de Paris. Bruno.
[1439] Lorsque les événements rapportés dans la Vie sont subordonnés à la description détaillée d’états propres au cheminement intérieur, nous attirons l’attention par l’usage du terme description.
[1440] « La variole se serait déclarée chez Mme Guyon et chez son fils cadet le 4 octobre. Une généalogie date du 20 septembre la mort d’Armand-Claude. » BRUNO, Vie… donne la référence B.N. Dossiers bleus, 342.
[1441] Poiret pratique des omissions. Gommant la vivacité primitive, il déplace le sens vers un rigorisme suggérant la frigidité ; ainsi « dès la seconde année de mon mariage » devient chez lui : « dans mon mariage ».
[1442] Après la tempête nocturne attestée dans le journal d’un Montargeois.
[1443] Selon Jean Bruno : « Mme Guyon situerait ces deux morts en juillet, après avoir écrit qu’elle pressentit le décès de son père le jour de la St Erasme (qui est le 2 juin) et qu’elle se proposait de faire une retraite de l’Ascension à la Pentecôte (tombant cette année-là les 26 mai et 5 juin). Une généalogie date la mort de la petite Marie-Anne du 28 mai ...Les différents sur la succession ...furent tranchés par un acte du 3 juillet et le partage établie le 13 août ...il était mort en fait le 1er juin. »
[1444] A la demande de son mari, pour avoir des enfants.
[1445] « Les Dossiers bleus le font naître un an plus tard, le 31 mai 1675, ce qui s’accorderait mieux avec les recoupements fournis par Mme Guyon qui déclare avoir appris le décès de la mère Granger (5 octobre 1674) avant d’être revenue du pèlerinage où son mari avait prié St Edmond de Cantorbéry, enterré à Pontigny, de favoriser de nouvelles naissances. Cependant Mme Guyon dira au chapitre 29 qu’elle a deux jeunes enfants de 4 et 6 ans (différence qui correspond aux dates de 1674 et 1676) et les registres paroissiaux ont bien enregistré le baptême de Jean-Baptiste-Denys le 29 septembre 1674. » BRUNO, Vie…
[1446] « Le nobiliaire de Saint-Allais et GUERRIER L., Madame Guyon, sa vie, sa doctrine et son influence…, Paris, 1881, p.177 fixaient sa naissance au 4 juin 1676. » BRUNO, Vie…
[1447] Faut-il avancer sa rupture avec l’ex belle-mère (voir ci-dessous l’année 1680) ?
[1448] 1681.
[1449] M.-L. GONDAL, “Madame Guyon à Thonon”, dans Madame Guyon, Rencontres…, Millon 1997, p.16.
[1450] GONDAL, Marie-Louise, “Madame Guyon à Thonon…”, op. cit.
[1451] La Vie retarde d’un an ces événements.
[1452] Ou bien de retour d’avoir prêché le Carême en Val d’Aoste, selon GONDAL, Marie-Louise, “Madame Guyon à Thonon », op. cit.
[1453] GONDAL, Marie-Louise, “Madame Guyon à Thonon », op.cit., analyse cette maladie-recréation spirituelle pp. 17-31 : « Un centre inaperçu, ‘insu’, se met à vivre …une source jaillissante. Il s’est produit comme un déplacement du point de gravité dans l’être …Les puissances …sont devenues secondes. Et c’est l’activité du fond qui est première, qui insiste et s’affirme. » (p. 23) – On songe aussi à la « creative illness » évoquée dans un tout autre contexte, celui des grands découvreurs de l’inconscient (Henry F. ELLENBERGER, Histoire de la découverte de l’inconscient, Fayard 1994 (The discovery of the Unconscious. The history and evolution of Dynamic Psychiatry, 1970).
[1454] si l’on interprète ainsi les add.marg. des mss. d’Oxford (2.4.10) et de Saint-Brieuc p. 3.403.
[1455] Ce sera le seul très bref séjour en pays protestant.
[1456] A ne pas confondre avec le célèbre Jean-Pierre Camus (1584 - 1652), écrivain spirituel abondant. Sur toute cette période voir ORCIBAL, Jean, Etudes d’Histoire et de Littérature Religieuses, Klincksieck, 1997, article “Le cardinal Le Camus…”
[1457] Bombardement par Duquesne du 17 au 23 mai 1684 ; signature de la paix à Versailles le 12 février 1685, audience solennelle accordée par Louis XIV au Doge de Gênes et à quatre sénateurs le 3 mai. Ce qui situe le passage de Madame Guyon en mars 1685 : « il n’y avait plus que trois jours jusqu’à Pâques » (2.23.8)
[1458] reproduite par LE MASSON : Eclaicissements sur la vie… ;
[1459] Publications parallèles en latin du P. La Combe, en français de Madame Guyon (Explication de l’Apocalypse). Un véritable travail d’équipe !
[1460] Vie 3.9.10, inédit édité par Masson en 1907 en introduction à la correspondance secrète de Fénelon.
[1461] Pages retirées du manuscrit remis à Bossuet et des éditions : ms. A.S.S. 2057 f°315v° à 318v°. V. p. 000.
[1462] Var. Poiret ; ne se trouve pas dans le ms. O
[1463] Frère de l’écrivain.
[1464] Gilles Fouquet, frère du surintendant, compagnon et disciple de Bertot.
[1465] les partisans de l’effort par soi-même comme Saint Christophe qui porta difficilement l’enfant Jésus opposés aux spirituels, vainqueurs du mal comme Saint Michel le fut du Dragon.
[1466] Elle rédigera séparément un « récit des prisons » auquel nous empruntons les citations qui suivent.
[1467] Ms. de Chantilly/ Sèvres ou ‘Récits de Captivité’, dénoté C et suivi de sa pagination.
[1468] Tronson, A.S.S. ms. correspondance, vol. 34, pièce 326 (annotation en marge) du 16 avril 1697.
[1469] Probablement vers la fin de l’année.
[1470] Le texte suivant figure au début de la Vie éditée par Poiret : “Extrait d’une lettre sur quelques circonstances de la mort de Mad[ame] Guion: Mad[ame] Guion est remontée à son origine après une longue et pénible maladie de trois mois. J’étais auprès d’elle pendant les dernières six semaines, et j’ai vu la consommation de son sacrifice sur la croix. Elle a porté dans ses derniers moments l’état de délaissement de Jésus-Christ sur la croix, depuis six heures du matin jusqu’à onze heures et demi du soir le 9 de juin, qu’elle expira dans une grande paix et dans un silence profond, accompagné d’une insensibilité et une perte de connaissance de tous les objets extérieurs depuis six heures du soir jusqu’au moment de sa mort. / Quand on eut ouvert son corps, on n’y trouva aucune partie saine, à la réserve du cœur, qui pourtant était flétri, et du cerveau, qui se trouva entier comme celui d’un enfant, seulement un peu plus humide qu’à l’ordinaire. Toutes les autres parties et entrailles étaient ou pourries ou enflammées ; et ce qui est remarquable son fiel était pétrifié comme celui de S. François de Sales. Elle avait été, comme ce grand Saint, extrêmement vive et prompte naturellement, mais par la grâce elle était devenue la plus douce des humains et d’une patience angélique, comme il parût par la grandeur et le nombre de ses maladies. De Blois ce 16 juin 1717.”
[1471] Ainsi l’ouvrage par ailleurs vivant et précieux de A. Delplanque, Fénelon et ses amis, Paris, 1910, réussit le tour de force de ne pas citer Madame Guyon !
[1472] Ainsi les Torrens sont édités dans les Opuscules ; seize Discours Spirituels sont édités dans les Lettres ; etc.
[1473] On a souvent jugé trop abondante une production qui a pu apparaître comme la marque maniaque du besoin d’écrire. Cette abondance est relative si on la compare à la production de nombreux contemporains (que l’on songe à Madame Palatine ou à Voltaire!) et si l’on en déduit la moitié constituée par les seules Explications bibliques, genre qui se prête aux développements larges. Elle ne choque que parce que l’on n’associe pas le fait littéraire à Madame Guyon et qu’elle justifia son mode d’écriture. C’est bien plutôt la disparition de la plus grande partie des œuvres de mystiques tel que Jean de la Croix (v. L. Cognet, La Spiritualité moderne, p.106, 111) qui est à déplorer, ce qui renforce l’intérêt de l’exception guyonnienne. Même les œuvres probablement incomplètes d’auteurs tels que Syméon le Nouveau Théologien (9 vol. traduits dans la collection Sources Chrétiennes), de Ruysbroeck (10 vol. prévus au Corpus Christianorum) ne sont pas négligeables.
[1474] Cette Correspondance sera éditée à la suite de la Vie, en trois volumes, dans cette même collection.
[1475] A l’exclusion toutefois de plus de la moitié de la Correspondance.
[1476] L’ensemble des 20 tomes regroupant les explications relatives aux deux Testaments comporte donc un total de 7713 pages, dont de nombreuses tables, errata, additions... soit au total environ 13 millions de signes.
[1477] L’ensemble comporte 1,5 million de signes environ.
[1478] Opérant un choix rigoureux dans ces 4 volumes ainsi que dans celui de l’Ame amante… qui forment un corpus de plus de 1500 pages, nous avons retenu pour une édition future 300 passages auxquels on ajoutera quelques poèmes transcrits de manuscrits des A.S.-S, dont ceux écrits en prison, intéressants parce que leur style n’a pas été « amélioré » par l’éditeur. On en donne deux exemples dans ce volume, à la fin du texte de la Vie.
[1479] On note la réédition d’un large choix en un volume à Berlebourg. Par ailleurs le directeur Mistique est un des rares livres présent chez Dutoit lors de leur saisie par la police Bernoise. De nombreuses lettres sont adressées à Madame Guyon, souvent en réponse aux questions que celle-ci pose sous forme de ‘lettres à l’auteur’ : l’ensemble constitue ainsi une suite fascinante qui complète ce qu’elle rapporte dans la première partie de la Vie.
[1480] L’ensemble comporte environ 2 millions de signes. Les aspects théologiques sont mis au second plan, ce qui contribue à concentrer l’intérêt sur la vie intérieure. Les Justifications forment une belle et cohérente anthologie mystique chrétienne. Il serait souhaitable de rétablir le texte à partir des manuscrits B.N.F. fr. 25092 à 25094 compte tenu de l’ordre différent des passages au sein de chaque chapitre obéissant à une logique toute intérieure et afin de restituer la précision et le tranchant du style. La structure est originale et fait apparaître une objectivité toute moderne : au lieu d’un schéma directeur qui apparaît toujours arbitraire parce qu’il ne peut rendre compte que d’un seul point de vue, l’anthologie évite un tel a priori schématique par le recours à 67 notions clés. Pour chacune sont donnés en premier lieu les passages des Torrents, du Moyen court et du Commentaire au Cantique, ensuite les passages pertinents des auteurs classiques autorisés toujours substantiels, parfois longs et couvrant plusieurs pages, en particulier lorsqu’il s’agit de Jean de la Croix et de Jean de Saint-Samson (Bernières ne pouvait être invoqué compte tenu de sa condamnation post-mortem).
[1481] Cette reproduction du texte issu du travail de Masson sur l’édition Dutoit est complétée des passages spirituels négligés par ce dernier et présents dans les éditions de Poiret et Dutoit, mais elle ne tient pas compte de la découverte par I. Noye - antérieure à 1982 - du ms. B.N.F., N. a. f. 11 010 qui donne la suite de cette correspondance ; à ce jour seules les lettres de Fénelon ont été publiées.
[1482] Reproduction fautive de l’édition Poiret.
[1483] Ce volume et les vol. suivants publiés avec soin par M.-L. Gondal comportent de précieuses préfaces introduisant à la vie de Madame Guyon comme à l’esprit chrétien qui l’anime. On se reportera aussi à l’étude du même auteur : Madame Guyon, un nouveau visage, Beauchesne, 1989.
[1484] Le texte des Torrents est considéré dans la préface comme une expression poétique de « l’avidité du rien » et non comme la description d’une réalité mystique ; il est donc livré en un flux unique, ce qui est conforme au manuscrit mais effaçe sa structure. La division en chapitres qui fut introduite par Poiret nous apparaît fondée et nécessaire : nous préférons donc sa reproduction éditée par Orcibal dans les Opuscules Spirituels.
[1485] Dom Le Masson, Eclaircissements…, p. 58-60. Le titre complet de ce livre, comme celui d’autres sources utilisées dans cette communication, est donné en note au début de la section : « III. Vie mystique ».
[1486] Son autobiographie fut probablement connue de Rousseau, qui écrira : « Jamais … on ne m’a laissé courir seul dans la rue avec les autres enfants… » (Confessions, partie I, livre I). Voir : Madame Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Champion, 2001, Première partie, chapitre 2, section 12 (« Vie, 1.2.12 »). Les passages entre guillemets qui suivent, sont empruntés à cette Vie .
[1487] Lettre du 12 décembre 1684 à Dom Grégoire Bouvier, son frère, n° 68 dans : Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles, Champion, 2003.
[1488] Son premier guide intérieur, belle figure de religieuse remarquée par Bremond.
[1489] Vie, 1.6, 1.16, 1.17.
[1490] Vie, 2.1.7.
[1491] Vie, 2.13 [12.8, réf. éd. Poiret].
[1492] Vie, 2.17.7.
[1493] Voir le Récit que le premier président de la Cour des aides fit au duc de Chevreuse de la lettre du cardinal Le Camus son frère, pièce 80 de la Correspondance de Fénelon, tome septième, Paris, 1828, indiquant des visites « au [couvent du] Verbe incarné, où plusieurs personnes de piété se trouvaient, même des novices de capucins. » - V. aussi les témoignages en sa faveur de Dom Richebracque, un bénédictin.
[1494] Vie, 2.18.6.
[1495] Vie, 2.20.5.
[1496] Vie 2.20.8.
[1497] M. Carlat, « Du désert de Bonnefoy à celui de la Grande Chartreuse, itinéraire d’un voyageur en 1672 : Alfred Jouvin, de Rochefort », revue Analecta cartusiana , n°7, 57-67, p. 62.
[1498] Eclaircissements… p.11-12.
[1499] A ne pas confondre avec le célèbre Jean-Pierre Camus (1584-1652), écrivain spirituel abondant, disciple estimable de François de Sales.
[1500] Lettre adressée à l’évêque de Chartres en 1697. Cette lettre circula à Paris au moment des interrogatoires au donjon de Vincennes. Voir : Phelipeaux, Relation, t. I, p 21 : « Il est bon de rapporter une lettre de M. le cardinal le Camus [...] qui nous fut envoyée à Rome en l'année 1698 » – Madame Guyon, Correspondance II Combats, Champion, 2004, lettre 383.
[1501] Voir A. Cayrol-Gerin, « La Chartreuse de Prémol », revue Analecta Cartusiana, n° 1, 1989, 9-23. Elle souligne que « les thèses quiétistes, ardemment propagées par madame Guyon à Grenoble dans les années 1685-1686, filtrèrent jusqu’à Prémol, où elles furent longuement examinées, sinon adoptées […] Le R. P. [Le Masson] alla jusqu’à sortir de la Grande Chartreuse sans autorisation papale et exécuter un véritable autodafé à Prémol… » (p.17). Elle avance le chiffre de 35 religieuses résidentes en 1698.
[1502] Récit que le premier président de la Cour des aides fit au duc de Chevreuse […], op. cit., p. 168. Le texte porte « Ple… » [et non « Pré… »] ; la suite affirme que Dom Richebracque « assura M. le cardinal que Mme Guyon lui avait soutenu la XLIIe proposition de Molinos » - ce qui indignera le bon bénédictin, qui prendra parti pour madame Guyon.
[1503] J. Martin, Le Louis XIV des Chartreux Dom Innocent Le Masson, 51e général de l'ordre (1627-1703), préface de Jean Guitton, Téqui, 1974, p. 42.
[1504] J. Martin, op.cit., p. 43-45.
[1505] Lettre à Tronson du 11 mai 1696, Correspondance de M. Louis Tronson…, Bertrand, 1904, tome troisième, livre cinquième, page 511.
[1506] Martin, op. cit., App.C. « Lettres inédites... », Lettre à Mme de Vancy, dame de Saint-Louis, aux ursulines de Saint-Germain-en-Laye, p. 200.
[1507] « Pièce manuscrite assez curieuse » reproduite intégralement par Martin, op. cit., p. 48-49.
[1508] Martin, op. cit., p. 49, note 34.
[1509] Bombardement par les français commandés par Duquesne, du 17 au 23 mai 1684.
[1510] Vittorio Augustin Ripa, évêque (1679 – 1691), qui avait pleine confiance dans le P. La Combe, « son confesseur, le chargeant d’enseigner les cas de conscience aux prêtres du diocèse ». Mgr Ripa avait séjourné à Jesi, où Petrucci était évêque : on trouve ainsi un lien entre « quiétistes » italiens et français.
[1511] Lettre reproduite par Le Masson, Eclaicissements… - Madame Guyon, Corrrespondance I Directions spirituelles, 2003, Lettre n°70 : « Je ne pourrais être que de corps partout ailleurs qu’à Genève… »
[1512] Qui conduira à la parution à Verceil, en 1686, de trois ouvrages spirituels : « La Combe fit imprimer son Orationis mentalis analysis et Mme Guyon son Explication de l’Apocalypse, tous deux avec l’approbation de Mgr Ripa, qui lui-même publiait l’édition présumée de l’Orazione del cuore facilitata da Mons. Ripa. [...] Il y a renversement des plans par rapport au schéma traditionnel ; ici c’est la mystique qui ouvre la voie à l’ascèse et provoque la conversion profonde du cœur. » Dict. Spir., tome 13, col. 682 à 684.
[1513] v. sur Cateau-Barbe : Vie 3.18.4 (et lettres de Le Camus et Richebracque en notes, p. 850 de notre édition).
[1514] Vie, 2.25.7. Madame Guyon fut active dans des hôpitaux et appréciée de madame de Miramion.
[1515] Son grand historien est l’abbé Louis Cognet qui consacre la plus grande partie de son Crépuscule des Mystiques (1958) à la biographie de madame Guyon pendant ses premières années parisiennes.
[1516] Vie, 3.13.2.
[1517] Vie 4.3. [« Récits de prison »].
[1518] Vie, 4.4 à 4.7.
[1519] « Supplément à la vie de Madame Guyon… », édité dans Vie…, p. 1006.
[1520] Madame Guyon, Correspondance II Combats, Champion, 2004, lettre 237. – Monsieur Tronson était le troisième supérieur des sulpiciens, confesseur du jeune Fénelon, recours de madame Guyon, qui lui adressa des lettres pathétiques de sa prison ; il est peu favorable à la « dame directrice », n’ayant pas l’inclination mystique du fondateur Olier.
[1521] Le Cantique… de madame Guyon, v. « III. Mystique. Sources ».
[1522] Sujets de méditations sur le Cantique des cantiques, avec son explication selon le sentiment des Pères de l’Eglise, à l’usage des religieuses chartreuses, La Correrie [imprimerie de la Grande Chartreuse], 1691 et 1692.
[1523] A.S.-S., Fénelon, Correspondance, XI1, f°74, lettre qui suit celle, plus anodine, adressée à Tronson, dont nous venons de donner un extrait. Adressée par Dom Innocent à l’abbé de La Pérouse, cette seconde lettre compromettait gravement Mme Guyon ; v. sur tout ceci, l’étude exhaustive de Jean Orcibal soulignant la crédulité de Dom Masson, Etudes d’Histoire et de Littérature religieuses, Klincksieck, 1997, « Le cardinal Le Camus », p. 810 sv., « Madame Guyon devant ses juges », p. 819 sv. - L. Bertrand (Correspondance de Tronson, 1904) donne en note, p. 467, cette lettre – Extrait dans : Madame Guyon, Correspondance II Combats, Champion, 2004, lettre 238.
[1524] V. Orcibal, Etudes…, op.cit., p. 830, sur les « choses terribles », et le déroulement, près de quinze ans plus tard, en 1698, des opérations de police à l’encontre de madame Guyon. Aux yeux de Bremond (dans son Apologie de Fénelon, p. 6), comme aux yeux d’Orcibal (Etudes…, p. 824), de cette accusation découleront les plus graves ennuis pendant son emprisonnement. Bremond et Orcibal retiendront contre Dom Innocent sa crédulité ; v. également Orcibal, Etudes…, p. 810, pour la conclusion d’une histoire - autre que celle impliquant Cateau-Barbe - mettant en cause une demoiselle qui avait un commerce caché avec un prêtre.
[1525] V. Melquiades Andres, La teologia española en el siglo XVI, B.A.C., 1976 ; v. Tellechea Idigoras, introduction à la Guià de Molinos ; v. le procès de ce dernier, actuellement réhabilité.
[1526] Puis suit, dans la même source des A.S.-S, Fénelon, Correspondance, XI1, au f° 92, l’original (non publié par L. Bertrand) d’une lettre de La Pérouse à Tronson qui informe ce dernier que « Mgr de Genève ne veut pas éclaircir les faits » : « Chambéry, le 12 décembre 1694. / Je viens , mon cher père, de recevoir la réponse de M. de Genève et elle suppose qu’il ne lui conviendrait pas d’éclaircir les faits que la Dame suppose pour se justifier, mais que lui peut faire voir ce qu’il a pensé de la doctrine par la lettre circulaire qu’il publia il y a sept ans […] ».
[1527] Lettre XXIV dans Bertrand, Correspondance de Tronson, 1904, tome troisième, livre cinquième, p. 480. – La Vie avait été confiée sous le sceau du secret à Bossuet.
[1528]
Lettre
XXXII dans Bertrand, tome troisième, livre cinquième, p. 490. Nous ne pouvons
accroître trop le volume de cette section. Citons seulement la lettre de
Tronson à Le Masson, entre le 15 juin et le 22 juillet 1698: « Il
(l’Archevêque de Paris) est assez persuadé de leur mauvaise doctrine et de la
corruption de leurs mœurs […] il serait à souhaiter […] que l‘on pût avoir
quelque preuve juridique qui appuyât ce que l‘on dit du Directeur [Lacombe] et
de la Directrice [madame Guyon]. Peut-être que le mystère caché qui vous me
proposez de lui montrer par mon entremise pourrait servir à faire cette
découverte. [Post-Scriptum :]
J’ai montré votre lettre et le mémoire qu’à Monseigneur l’Archevêque de
Paris parce que c’est lui qui est principalement chargé de cette affaire, ayant
le Père et la Dame entre ses mains… »( A.S.-S., ms. 34,
« Correspondance Tronson »).
[1529] Madame Guyon, Correspondance II Combats, Champion, sous presse, lettre 383.
[1530] L’interprétation charnelle saphique ne s’impose pas compte tenu des habitudes du temps, mais elle est suggérée.
[1531] Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, Champion, 2003, lettre 71 du 28 janvier 1688 : « Je ne saurai refuser à la vertu et à la piété de Madame de la Mothe-Guyon la recommandation… ». V. aussi la lettre 72 l’accompagnant : « Madame, Je souhaiterais d’avoir plus souvent que je n’ai des occasions de vous faire connaître combien vos intérêts temporels et spirituels me sont chers… »
[1532] Le duc de Chevreuse, qui n’exerçait aucune pression, cherchant à se renseigner sans éveiller d’opposition. Et Richebracque ne se dédit nulle part.
[1533] « A propos d’une controverse que le général des chartreux soutint contre l’abbé de Rancé, l’abbé Goujet écrit au contraire : « Jamais homme ne fut plus crédule que ce bon général, et plus facile à adopter tout ce qu’on lui disait au désavantage de ceux qu’il croyait avoir raison de ne point aimer. Sa Vie de M. d’Arenthon d’Alex, en particulier, est pleine de pareils traits. (Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques du XVIIIe siècle, Paris, 1736, 3 vol. in-8, t. I, p. 462). » (Note d’Urbain-Levesque, fervent bossuétiste, éditeur de la Correspondance de Bossuet,). - On connait l’opinion tranchée de Bremond exprimée dans son Apologie de Fénelon (1910), p. 6 : « ...il (Dom Innocent] est le grand, l'unique témoin contre cette femme […] Le venimeux Phelipeaux n'a pas d'autre autorité que Dom Innocent. Cette autorité est nulle. La Cour d'assises la plus prévenue congédierait un pareil témoin. Sur la vertu de Dom Innocent on ne peut avoir aucun doute. M. Tronson l'estimait et c'est tout dire ; mais « c'était un homme crédule qui, dans sa solitude recueillait aussi avidement les calomnies qu'il les débite pesamment dans ses livres (La Bletterie). » Du reste, rien de plus décevant que ces terribles livres. Ils nous annoncent les pires horreurs et, en fin de compte, ils ne disent rien. » - Nous avons fait la même expérience.
[1534] Madame Guyon, Correspondance II Années de Combat, Champion, 2004, lettre 489 du 23 avril 1695 au duc de Chevreuse. Dom Richebracque avait été prieur de Saint-Robert de Cornillon près de Grenoble.
[1535] V. lettre n° 97 de Melle Matton sur la Grangée, Correspondance II Années de Combat ; la lettre n° 275, même tome, du R.P. Richebracque à madame Guyon, du 14 Avril 1695. « Est-il possible qu’il faille me chercher dans ma solitude pour fabriquer une calomnie contre vous, et qu’on m’en fasse l’instrument ? » ; le lettre collective n° 493, même tome, de la Mère Le Picard et de religieuses de la Visitation de Meaux du 7 juillet 1695 : « Que si ladite Dame nous voulait faire l’honneur de choisir notre maison pour y vivre le reste de ses jours dans la retraite, notre communauté le tiendrait à faveur… » ; etc.
[1536] Vie, 4.5 (p. 943 dans notre édition) - Correspondance II Combats, lettre n° 396 attribuée au P. Lacombe. « Ce 27 avril 1698. C’est devant Dieu, Madame, que je reconnais sincèrement qu’il y a eu de l’illusion, de l’erreur et du péché… » ; Voir Orcibal, Etudes…, op. cit., p. 831, sur les « quinze nuits » du P. Lacombe avec la Dame (selon Mme de Maintenon) ; etc.
[1537] B.N.F., ms. Fr. 5250 (papiers La Reynie).
[1538] Madame Guyon, Correspondance II Années de Combat, Champion, 2004, pièce 504.
[1539] Orcibal, Etudes…, op.cit., p. 831, sur la retraite finale de Bossuet, citant ici le Procès-Verbal de l’Assemblée…, p. 239.
[1540] Dict. Spir., 6, art. « Guyon », col. 1315.
[1541] « Le Cardinal Le Camus, témoin au procès de Madame Guyon » et « Madame Guyon devant ses juges », reproduits dans Jean Orcibal, Etudes… op.cit., p. 799-817 et p. 819-834.
[1542] M.-L. Gondal, Madame Guyon, un nouveau visage, 1989, p. 168. Voir l’ensemble de son chapitre VII, « Le combat de la vérité ».
[1543] V. Le Saint Evangile de Jésus-Christ selon Saint Matthieu avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, tome II, chap. XVIII, versets 19 & 20.
[1544] Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, 2003, pièce 248, lettre à Fénelon entre le 1er et le 11 avril 1690.
[1545] Orcibal, Correspondance de Fénelon, tome II, Paris, Klincksieck, 1972, Lettre 111 – Madame Guyon, Correspondance I…, op. cit., pièce 249, lettre de Fénelon du 11 avril 1690.
[1546] Correspondance I…, op. cit., pièce 248. Madame Guyon était alors malade. Elle vivra jusqu’en 1717, plus longtemps que Fénelon (1651-1715).
[1547] D. Tronc, « Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon », dans XVIIe siècle, n°1-2003.
[1548] Ceci n’est pas vrai seulement chez des mystiques chrétiens : on retrouve une rigueur comparable chez des maîtres sufis.
[1549] Le Directeur Mystique, vol. IV, lettre 75, p. 247.
[1550] Id., p.248.
[1551] Selon l’expression de Souriau, Deux mystiques normands, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913, p. 196.
[1552] Bernières, Chrétien Intérieur [éd. en huit livres], p. 565.
[1553] Bernières, Œuvres Spirituelles, II, p. 122.
[1554] Bernières, Œuvres Spirituelles, II, p. 364.
[1555] Correspondance I…, op. cit., lettre 370 au marquis de Fénelon de mars 1717.
[1556] Histoire Générale et particulière du Tiers Ordre de S. François d’Assize, par le R.P. Jean Marie de Vernon, Religieux pénitent du tiers ordre de saint François, Paris, 1667, tome troisième, p. 76.
[1557] Vie de Messire Jean d’Arenthon d’Alex, Evêque et prince de Genève, avec son directoire de mort etc…[par Dom Innocent Le Masson], 1697, Lyon in 8°.
[1558] Eclaicissements sur la vie de Messire Jean d’Arenthon d’Alex, Evêque et prince de Genève, avec de nouvelles preuves incontestables de la vérité de son zèle contre le Jansénisme et le Quiétisme [par Dom Innocent Le Masson], à Chambéry, Par Jean Gorrin Imprimeur et marchand libraire de S.A.R. deçà les Monts. [in 8° 382pp. et tables] MDCIC (1699)
[1559] Introduction à la vie Intérieure et parfaite, tirée de l'Ecriture sainte, de l'Introduction à la vie dévote de Saint François de Sales et de l'Imitation de Jésus-Christ. Avec des Réflexions pour en faciliter l'intelligence, utilisant la 4° éd. de 1701, 748 p.
[1560] Direction pour se former au saint exercice de l'Oraison et pour s'y bien gouverner avec ordre et tranquillité, à l'usage des Religieuses Chartreuses, A La Correrie, 1695, 252 p. (suivi d'un Exercice de dévotion au Sacré Coeur de Jésus-Christ).
[1561] Moyen court et très facile pour l’oraison que tous peuvent pratiquer très aisément…, Grenoble, J. Petit, 1685 ; Lyon et Paris, 1686 ; Paris et Rouen, 1690 ; éd. dite de Cologne [par P. Poiret], 1699. – Nous utilisons l’édition par M.-L. Gondal, Le Moyen court et autres récits, une simplicité subversive, Grenoble, Millon, 1995.
[1562] Le Cantique des cantiques, interprété selon le sens mistique et la vraie représentation des états intérieurs, Lyon, A. Briasson, 1685, ouvrage moins dense, écrit « en un jour et demi » (Vie, 2.21.9). Il présente le grand intérêt d’aborder l’état « apostolique » assumant la transmission de la grâce, ce qui s’éloigne de tout parallélisme possible avec la spiritualité exposée par Dom Le Masson. Nous ne le citons pas.
[1563] De la Vie intérieure, choix de quatre-vingts Discours spirituels […], Phénix - La Procure, Paris, 2000. - Madame Guyon, Correspondance [trois volumes], Champion, 2003, 2004.
[1564] C. Morali, Les Torrens…, Millon, Grenoble, 1992.
[1565] Moyen court, ch. II.
[1566] Moyen court, ch. III.
[1567] Moyen court, ch. X.
[1568] Introduction à la vie intérieure et parfaite…, vol. II, 6e avis, p. 109.
[1569] Direction pour se former au saint exercice de l’oraison… , p. 252.
[1570] Introduction…, vol. II, 6e avis, p. 111-112.
[1571] Moyen court, ch. XXI.
[1572] Moyen court, ch. XII, § 2.
[1573] Id., §6.
[1574] Moyen court, ch. XXII, §2.
[1575] Id., §5.
[1576] Id., §7-8.
[1577] H. de Balma, Théologie mystique, « La voie unitive », Cerf, 1996, SC 409, p. 91 (§56). – « L’eau / Gratifie les dix mille êtres / Ne dispute rien à personne, /Et séjourne aux lieux dont chacun se détourne… » (Tao Te King, ch. 8, trad. C. Larre, Desclée, 1977).
[1578] Suite du chapitre XXIV du Moyen court.
[1579] H. de Balma, op. cit., p. 165 (§105).
[1580]
La Direction […] à l’usage des religieuses chartreuses…, p. 34.
[1581] Marie de l’Incarnation, œuvres, Aubier, 1942, ch. LIX-LX, p. 145-146. – Dom Claude Martin, La Vie de la Vénérable Mère Marie de l’Incarnation, 1677, (rééd. Solesmes, 1981), p. 456 et 515 – Comparer la relation de 1654 (où affleure la « vie nouvelle et divine ») à celle de 1633 (témoignant du chemin).
[1582] Vie, 3.21.
[1583] Les secrets sentiers de l’amour divin […], (1623), du capucin Constantin de Barbanson.
[1584] Préface, toute pénétrée de quiétude, de Jean Guitton à Mgr Jacques Martin, Le Louis XIV des Chartreux Dom Innocent Le Masson […] , op.cit., p. 10-11.
[1585] Jean Rohou, Le XVIIe siècle, une révolution de la condition humaine, Seuil, 2002, p. 395.
[1586] Id., p. 540.
[1587] Rapporté dans la Préface de Jean Guitton à Mgr Jacques Martin, Le Louis XIV des Chartreux Dom Innocent Le Masson…, 1974, p. 10-11.
[1588] Ce qui explique la présente d’une brève Orientation bibliographique donnée en fin de volume.
[1589] Titre de l’ouvrage du capucin mystique Constantin de Barbanson, 1623, 1932.
[1590] Un bref complément de seize pièces fut ajouté en 1718, en quatrième partie du quatrième tome des Lettres.
[1591] Lettre au duc de Chevreuse, 11 septembre 1694, Correspondance II Années de Combat, 2004, pièce n° 194, p. 300.
[1592] Benoît de Canfield [1562-1610], La Règle de Perfection, Jean Orcibal, PUF, 1982, partie III, p. 344.
[1593] Hadewijch d’Anvers, trad. J.-B. P[orion], 1954, p.164 [« nouveaux poèmes » de la deuxième Hadewijch, active vers 1280].
[1594] D.2.25 (Discours…, vol. II de l’édition de 1716, pièce n° 25).
[1595] D.2.66
[1596] D.2.69.
[1597] D.3.03 (Discours…, addition 1718, troisième pièce).
[1598] D.2.15.*
[1599] D.1.53, D.2.42*, D.2.61, D.2.64 et suivants, D.3.11.
[1600] D.1.60*. Mme Guyon utilisait pour sa correspondance plusieurs cachets à cire dont certains gravés de motifs spirituels : Jésus, cœurs accolés irradiants, soleil et héliotrope.
[1601] D.2.66.
[1602] D.2.64.
[1603] D.2.61.
[1604] D.2.64.
[1605] D.2.68*.
[1606] Lettre de Fénelon du 11 avril 1690, Correspondance de Fénelon, J. Orcibal, t. II, Paris, Klincksieck, 1972, Lettre 111 ; Correspondance I Directions spirituelles, 2003, pièce n° 249.
[1607] Moyen court et très facile pour l’oraison que
tous peuvent pratiquer très aisément… Grenoble, 1685 ; Lyon,
1686 ; Paris et Rouen, 1690 ;
Cologne, 1699. Indépendamment de ce constat d’un succès éditorial, les
récits de la Vie par elle-même sur un rayonnement apostolique sont
confirmés par les enquêtes faites au moment de son procès (voir J. Orcibal,
« Le Cardinal Le Camus, témoin au procès de Madame Guyon », dans Etudes
d’histoire et de littérature religieuse, Klincksieck, 1997).
[1608] Ce que recouvre le terme quiétiste se révèle flottant et les positions intenables incriminées ne se retrouvent pas dans les écrits condamnés. Pour une appréciation plus précise, voir les articles - en fait des monographies profondément méditées - parus dans le Dictionnaire de Spiritualité (art. « Quiétisme » : en Italie et en Espagne par E. Pacho, et en France par J. Le Brun).
[1609] Dominique Tronc, « Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon », XVIIe siècle, PUF, n°1-2003, 95-116. – Madame Guyon avait reçu auparavant les influences directes du franciscain Archange Enguerrand et de la supérieure bénédictine Geneviève Granger.
[1610] Cette indifférence vis-à-vis de la théologie ne provenait pas d'un manque d'éducation : elle connaissait le latin (v. Discours 1.37) qu'elle avait sans doute appris de sa demi-sœur religieuse puis du précepteur de son fils.
[1611] Il ne s’agit pas de prôner l’isolement car l’aide personnelle et directe des aînés est indispensable (cf. le rôle assuré chez les Pères du désert par ‘l’Ancien’ associé au nouveau solitaire). L’organisation propre aux structures ne peut se substituer à cette fraternité.
[1612] « La Dame Directrice est toujours renfermée dans une Communauté où on ne lui laisse avoir aucune communication avec les personnes de dehors. On ne sait point encore ce qu’elle deviendra dans la suite. Quoi qu’il y ait beaucoup d’accusations contre elle on n’en trouve aucune qui soit assez prouvée pour faire voir en justice. » Tronson au R.P. Général des Chartreux, le 9 août 1697, Arch. Saint-Sulpice, ms. 34.
[1613] Ils couvrent 20 des 39 volumes des Œuvres « complètes » éditées par Poiret (devenues 40 volumes chez Dutoit par ajout de la correspondance avec Fénelon).
[1614] Par ex. : « Dans la déité, nulle apparence de personne… » (Hadewijch d’Anvers, trad. par Fr. J.-B. P[orion], Seuil, 1954, p. 155).
[1615] Jean de Bernières, Le Chrétien intérieur, choix de textes, Arfuyen, 2009 ; Œuvres Mystiques I, L’Intérieur chrétien suivi du Chrétien intérieur augmenté des Pensées, coll. « Sources mystiques », Éditions du Carmel, Toulouse, 2011 ; Rencontres autour de Jean de Bernières, Parole et Silence, 2013.
[1616] Jacques Bertot Directeur mystique, coll. « Sources mystiques », Éditions du Carmel, Toulouse, 2005.
[1617] Lettre au duc de Chevreuse du 11 septembre 1694.
[1618] Les années d’épreuve de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Documents biographiques rassemblés et présentés chronologiquement par Dominique Tronc. Honoré Champion, coll. « Pièces d’Archives », 2009.
[1619] Publiée intégralement chez Champion en trois volumes (v. en fin du présent volume Madame Guyon, Bibliographie (2000-) . Le dernier volume est d’un intérêt mystique comparable à celui des Discours.
[1620] Des disciples écossais visitaient « notre mère », traversant la Hollande (rencontrant Pierre Poiret, près d’Amsterdam), passant par Cambrai (rencontrant « notre père » Fénelon).
[1621] Les luttes en cours entre l’Angleterre et l’Écosse devait susciter des discussions entre eux sur ce qu’il convenait de faire.
[1622]“Supplément à la vie de Madame Guyon écrite par elle-même”, ms. de Lausanne TP1155, f° 42-43, édité en section 5.2 page 1006 de notre édition de Jeanne-Marie Guyon, La vie par elle-même et autres écrits biographiques, Champion, Coll. “Sources Classiques”, 2001, 2014 : description d’une ‘plongée’ dans l’intériorité, auprès d’elle, qui s’effectue spontanément, sans nulle suggestion orale ou rappel de sa part.
[1623]Nombreuses éditions par les jésuites H. Ramières (dès le milieu du XIXe siècle), M. Olphe-Galliard (1987), J. Gagey (2001), D. Salin (2005 avec une intéressante introduction) – sans compter des traductions dans le monde protestant.
[1624] S’ajoutent des « itinérants » dont le marquis de Fénelon, le baron de Metternich, le chevalier Ramsay. Voir : Madame Guyon, Correspondance, I Directions spirituelles, Honoré Champion, 2003, notices et « Jean de Bernières, sources et influences…, III. Rivières cachées » in Rencontres autour de Jean de Bernières (1602-1659), 2013.
[1625] Gerhard Tersteegen, Traités spirituels introduits, traduits et commentés par Michel Cornuz, Labor et Fides, 2005).
[1626] Voir J. Chavannes, J.-Ph. Dutoit, sa vie, son caractère et ses doctrines, Lausanne, 1865, ouvrage toujours utile car proche des sources d’époque.
[1627] M. Masson, Fénelon et Mme Guyon. Documents nouveaux et inédits, Paris, 1907 - Affirmer que Fénelon était son disciple fait encore scandale.
[1628] Voir L. Cognet, Le Crépuscule des mystiques, Desclée, 1958.
[1629] Les deux frères Homfeld, Jan-Luc Wettstein ‘marchand libraire à Amsterdam’, le couple van Ewijck, Israel Norräus (arrivé après la mort de Poiret), vivaient en association près ou dans le village de Rijnsburg (où avait résidé Spinoza en 1660). Voir : M. Chevallier, Pierre Poiret 1646-1719, Labor et Fides, 1994, 116 sq.
[1630] On connaît surtout le Moyen court et les Torrents, œuvres écrites pour être largement diffusées. Voir : Madame Guyon, Œuvres mystiques, Honoré Champion, 2008, où l'on trouvera, outre ces deux titres, un choix effectué sur la totalité de l’œuvre.
[1631]Le sort des bibliothèques privées non transmises à des fonds publics ou religieux est catastrophique : c'est ainsi que les pensées minoritaires ou condamnées tombent en oubli malgré leur valeur intrinsèque. Celle de l’éditeur Poiret a été dispersée peu après la disparition de son cercle et de précieux manuscrits furent perdus. Ses éditions sont elles-mêmes devenus très rares pour la même raison (les volumes rescapés sont répertoriés pour l’Europe par sa biographe : M. Chevallier, Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, t. V, Koerner, Baden-Baden, 1985).
[1632] D.1.62 [438]. [pour le Discours CXII de la page 438 du tome I de l’édition originale] – Dans notre édition nous reportons la pagination de l’édition originale à défaut de numéros de paragraphes.
[1633] D.1.02 §2 [38].
[1634] Jeanne-Marie Guyon, La vie par elle-même…, op.cit., Première partie, Chapitre 8, § 5 à 10 [Vie 1.8.5-10]. Enguerrand faisait allusion aux Confessions de St Augustin, X, 27 : « Vous étiez au-dedans de moi ; mais, hélas ! j'étais moi-même au-dehors de moi-même » (traduction Arnauld d'Andilly).
[1635] Œuvres de Ruysbroeck l’admirable, Trad. de Wisques, t. I, Vromant, 1921. Le Livre des sept clôtures, ch. XIV, p. 180. - Sur le « vide » mystique, on se reportera à l’étude de L. Silburn, « Le vide, le rien, l’abîme », dans coll. Hermès, Le Vide, Expérience spirituelle en Occident et en Orient, 1969.
[1636] D.1.43, [311].
[1637] D.2.05, [47]. Elle mêle aussi ces termes en D.1.44 : « Quand je parle de cœur, j’entends la volonté qui est le cœur de l’âme. »
[1638] En particulier chez Jean de la Croix. Voir Guyon, Vie, 1.9.
[1639] D.1.53, D.1.55, D.1.62, D.2.16, D.2.19 ; voir aussi le début des Torrents. Elle en retira le P. La Combe (Guyon Vie 2.15 et 2.22).
[1640] D.1.38.
[1641] Benoît de Canfield, La Règle de Perfection, Jean Orcibal, PUF, 1982, partie III, p. 344.
[1642]Hadewijch, op.cit., p. 164.
[1643] D.1.40, [300].
[1644] D.1.01.
[1645] D.1.31, [232].
[1646] D.2.25, [161].
[1647] D.3.11
[1648]D.1.31, [234]. (v. aussi D.2.36 sur la mort, la pourriture et la comparaison avec le caillou fait miroir).
[1649] D.2.66.
[1650] D.1.17.
[1651] D.2.69.
[1652] D.2.10.
[1653] D.2.21.
[1654] D.2.54.
[1655] D.1.40 (v. aussi D.2.59, D.1.55, D.2.28).
[1656] D.1.60. Mme Guyon utilisait pour sa correspondance plusieurs cachets à cire dont certains gravés de motifs spirituels : Jésus, cœurs accolés irradiants, soleil et héliotrope.
[1657] D.2.49.
[1658] D.2.51.
[1659] D.1.37.
[1660] D.2.66.
[1661] En 1682, voir Guyon Vie 2.11 et chapitres suivants.
[1662] On trouve de nombreux témoignages de la prise de conscience de cette transmission et de ses modalités dans la seconde partie de la Vie.
[1663] Voir D.1.19, D.2.14, D.2.64.
[1664] J. Bruno, « Madame Guyon et la communication intérieure en silence », Le Maître Spirituel, Hermès 4, 1967, p. 204. Ce volume est consacré aux multiples exemples de transmission de la grâce dans le monde entier.
[1665] Barsanuphe et Jean de Gaza, Correspondance, Solesmes, 1972, p. 19, 73, 104.
[1666] J. Bruno, « La Transmission spirituelle chez un mystique chrétien du XVIIe siècle : Jean-Jacques Olier », Le Maître Spirituel, op. cit., p. 190.
[1667] D.2.61.
[1668] On est très loin du « vide » ou du « vertige du néant » que croient y voir certains auteurs contemporains.
[1669] D.2.64.
[1670] D.2.68 (v. aussi D.2.67).
[1671] Guyon Vie, 2.11, 2.13, 2.17 à 2.20, 2.22, 3.8, 3.10.
[1672] Explications sur Mt. XVIII, 20 : Car en quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en Mon nom, Je m'y trouve au milieu d'elles.
[1673] Début de la lettre du 1er décembre 1689, Madame Guyon, Correspondance, tome I, H. Champion, 2003. Le Discours 2. 25 reprend la suite de cette lettre avec son bel exposé de la transmission cœur à cœur et de la passiveté de l’âme exposée au regard divin.
[1674] Ibid., Lettre 188 de Fénelon. 31 août 1689.
[1675]
Ibid., Lettre 195 de
Fénelon. 10 octobre 1689.
[1676] Ibid., Lettre 248 à Fénelon, écrite entre le 1 et le 11 avril 1690. En fait, Fénelon mourra avant elle en 1715.
[1677] Ibid., Lettre 266 de Fénelon. 25 mai 1690. « Ma. » demeure d’attribution inconnue.
[1678] Sur la vie, les travaux, les amis et l’influence de cet éditeur disciple de Madame Guyon, on lira l’évocation très vivante offerte par M. Chevallier, Pierre Poiret 1646-1719, Du protestantisme à la mystique, Labor et Fides, 1994. Des contemporains dont Leibniz apprécièrent son intelligence sinon sa souplesse.
[1679] Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, tirés la pluspart de la Sainte Ecriture, Vincenti, A Cologne [en fait à Amsterdam], Chez Jean de la Pierre, 1716 [Par Pierre Poiret, deux tomes édités sans le nom de madame Guyon] Tome I : « Préface », 3-23, « Table des Discours… divisés en quatre parties », 24-28, « Discours » [au nombre de 70 : = 1.01 à 1.70 dans notre édition], 1-470, « Table des matières principales » pp. 471-488, trois pages non numérotées donnant la table des passages de l’Écriture et l’errata. Tome II : six pages d’Avis et Table, « Lettre sur l’Instruction suivante », (3-(14 [sic], « Instruction chrétienne d’une Mère à sa Fille », (15-(63, « Discours » [au nombre de 70 comme précédemment : = 2.01 à 2.70 dans notre édition], 1-402, « Table des matières principales du IIe tome » [cette table demeure utile], 402-423, page d’errata. - L’ensemble fut réédité très fidèlement au point de respecter les paginations (!) par le pasteur Jean-Philippe Dutoit, cette fois avec indication du nom d’auteur : Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, tirés la plupart de la Sainte Écriture. Par Madame J. M. B. de la Mothe-Guion. Nouvelle édition corrigée et augmentée, A Paris [en fait à Lyon], Chez les Libraires Associés, 1790.
[1680] Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, Cologne [en fait Amsterdam], J. de La Pierre, 4 tomes, 1717-1718. [Le quatrième tome comporte, après trois parties reproduisant des lettres de Madame Guyon, une « Quatrième partie contenant quelques discours chrétiens et spirituels », 402-509.] - Lettres chrétiennes et spirituelles, nouvelle édition enrichie de la correspondance secrète de M. de Fénelon avec l’auteur, Londres [en fait Lyon], 5 tomes, 1767-1768. [Les discours se trouvent au début du cinquième tome, précédant la correspondance avec Fénelon absente de l’édition Poiret = 3.01 à 3.16 ].
[1681] Ce fut par contre le cas pour La Vie par elle-même dont la phase finale de rédaction en 1709 laissa tout le temps nécessaire à des révisions modestes. Le manuscrit de la Vie, renvoyé en Écosse, fut préservé (ms. d’Oxford) : on y retrouve des traces de l’intervention de madame Guyon).
[1682] Son rôle caché a été sous-estimé : v. Pierre Poiret, Écrits sur la Théologie mystique, 1700, introduction et notes par M. Chevallier, Grenoble, 2005.
[1683] Poiret a parfois disposé de plusieurs sources selon son annotation au D.2.19 : « Il y a des copies où tout ce qui est entre ces deux crochets ne se trouve point. »
[1684] (Poiret 1716) Préface, § II, pages 6 à 9 (avec la ponctuation d'époque).
[1685] De même le découpage qu'il introduisit pour souligner les alternatives et cheminements décrits dans les Torrents nous a paru très justifié (ce découpage a été préservé par Orcibal dans l’édition des Opuscules spirituels comme nous l'avons fait aussi dans notre édition : Madame Guyon, Œuvres mystiques, Honoré Champion, 2008).
[1686] On sait qu’il ne put éviter une grave dissension dans les cercles à l’occasion de la publication, jugée inopportune par Ramsay, de la Vie par elle-même.
[1687] Ces Cent Discours Chrétiens et Spirituels complètent nos ouvrages précédents : en 2001 un choix de 80 Discours a paru en tirage limité chez Phenix / La Procure : ce premier travail devenu introuvable demande des corrections ; un choix limité à 15 Discours parut chez Arfuyen en 2005 comme brève introduction à Madame Guyon sous le titre Écrits sur la vie intérieure ; enfin 49 Discours trouvent place dans le choix établi sur l’ensemble de l’œuvre paru chez Honoré Champion : Madame Guyon, Œuvres mystiques, op.cit., section « Discours spirituels ».
[1688] Les 156 pièces furent numérotés de 1 à 70 au premier tome publié par Poiret (ici 1.01 à 1.70), puis à nouveau de 1 à 70 pour son second tome (ici 2.01 à 2.70) ; s’y ajoutent les discours complémentaires au dernier volume de Lettres publié plus tardivement (ici 3.01 à 3.16).
[1689] Vingt-huit entrées particulièrement abondantes de cet index nous livrent les thèmes spirituels des Discours : Abandon, Âme, Amour, Amour pur, Amour propre, Apostolique, Charité, Cœur, Communication, Connaissance, Dieu, État, Foi, Lumière, Mort, Mortification, Opération, Oraison, Paix, Perte, Présence, Repos, Simple et simplicité, Transformation, Vérité, Vide, Voie, Volonté…
[1690] Liste de lettres reprises dans les Discours : D.2.14 = lettre adressé à Fénelon à la mi-novembre 1689 ; 2.16 = 23 novembre 1689 ; 2.17 = novembre ; 2.25 = 1er décembre ; 2.35 = 2 décembre ; 2.37 = 25 octobre ; 2.42 = novembre ; 2.44 = novembre ; 2.45 = mars ; 2.48 = novembre ; 2.59 = janvier 1689. - Les lettres à Bossuet existent en copies aux Archives Saint-Sulpice : 2.53 = ms. 2057 ff.16-21 & Vie 3.13.6-10, 3.14.1 = vers le 10 février 1694 ; 2.65 = ms. 2057 ff.22-31. – L’ensemble est édité dans Madame Guyon, Correspondance… I, II, III, Honoré Champion, 2003-2005.
[1691] À partir de D1.15, v. note 293
[1692] De même les disciples utilisaient « n.m. » pour « notre mère » - tout comme le firent et le font encore les bénédictines de l’ordre fondé par Mectilde, la « mère du Saint-Sacrement » (1614-1698). Cette dernière est à la source d’un des trois rameaux issus du cercle mystique normand (avec le Canada et la branche ‘quiétistes’ passant par Bertot et Guyon). Elle est aussi une amie considérée comme « sainte » par madame Guyon.
[1693]Exception faite de Port-Royal (ex. Jacqueline la sœur de Pascal).
[1694] De même Fénelon ne reprenait pas ce qu'il avait écrit sur un même thème : il improvisait de nouveau (ce qui conduit à des difficultés pour les éditions critiques à la recherche d’une ‘première source’).
[1695] Abréviations entre parenthèses utilisées dans les notes aux Discours : (Amelote) pour le Nouveau Testament de Louvain repris par le jésuite Amelote ; (Comm. au Cantique) pour cette œuvre de madame Guyon ; (Dict. Rey) pour le Dictionnaire Historique de la Langue Française ; (Grande Dame du pur amour) pour La Grande Dame du Pur Amour, Sainte Catherine de Gênes (1447-1510), traduction et notes de P. Debongnies, numéro des Études Carmélitaines réédité chez Desclée de Brouwer, 1960 ; (Guyon Vie) pour La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2001 ; (Hadewijch) pour Hadewijch d’Anvers, traduite par Fr. J.-B. P[orion], Seuil, 1954 ; (Masson) pour M. Masson, Fénelon et Madame Guyon. Documents nouveaux et inédits, Paris, 1907 ; (Moyen court) ; (Poiret Explic.) pour ses traductions bibliques dans les Explications ; (P. note) pour les notes de Poiret figurant dans son édition des Discours ; (Poiret 1716) pour son édition des Discours ; (Sacy) pour La Bible, traduction de Louis-Isaac Lemaître de Sacy, établie par P. Sellier, Laffont, 1990 ; (Torrents).
[1696] Sur le problème des sources de Catherine de Gênes, voir les pages 184-185 de J.-B. P[orion] dans Hadewijch d’Anvers…, op.cit., 1954.
[1697] (1). PROBLÈME DE RÉFÉRENCES : Nous reproduisons les références bibliques de Poiret qui suivent l’ancienne Vulgate en adoptant les abréviations modernes de la Traduction Œcuménique de la Bible (TOB). Notre choix d’adopter ces abréviations dont l’audience est large et facilitent le recours à une Bible moderne, ne conduit …nulle part si l’on ne tient pas compte des différences entre les références de la Vulgate (basée sur la Septante) et celles de toutes les versions récentes (recourant à l’hébreu). Voici des « passerelles » qui permettent au lecteur novice que nous sommes tous, de recourir à une traduction ancienne à partir de références modernes dont TOB : Vulgate 1 & 2 Rois = 1 & 2 Samuel TOB ; V 3 & 4 Rois = 1 & 2 Rois T ; V 1 & 2 Paralipomènes = 1 & 2 Chroniques T ; V Ecclésiaste Eccl. = Qohélet [Ecclésiaste Qo] T ; V Ecclésiastique Eccli.= Siracide [Ecclésiastique Si] T… Il peut exister des variantes au niveau inférieur de la numérotation des versets, que nous signalons en note en donnant alors les deux références TOB et Vulgate.
(2). PROBLÈME DES SOURCES : Pour le Nouveau Testament, Madame Guyon et Poiret utilisent l’édition catholique de Louvain sous sa forme revue par Amelote. Ils apportent cependant des corrections, le plus souvent légères, mais il y a de notables exceptions affectant des citations jugées essentielles ! On sait que la version de Louvain eut de nombreuses variantes dans ses éditions successives. Nous n’avons pas retrouvé la version utilisée par Poiret pour l’Ancien Testament.
(3). LES TRADUCTIONS QUE NOUS AVONS UTILISÉES : Nous avons eu recours à la version adaptée par Poiret dans son édition des Explications bibliques de Madame Guyon (Le Nouveau Testament de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure… A Cologne [Amsterdam], chez Jean de la Pierre, 8 tomes, 1713 & Les livres de l’Ancien Testament avec des explications…, 12 tomes, 1715), ainsi qu’à la belle traduction dite de Lemaître de Sacy qui se révèle assez proche de Poiret et a été lue par Madame Guyon. Elle éclaire souvent le sens adopté dans son commentaire, aussi nous la citons parfois en parallèle à la version Amelote. La forme est assez proche de l’édition dite de Mons. Nous avons parfois utilisé des versets du Commentaire au Cantique composé par madame Guyon.
(4). QUELQUES STATISTIQUES : Portant sur 409 citations bibliques issues des 80 Discours édités en 2001, elles soulignent un équilibre très remarquable entre les Épîtres (31%), principalement de Paul, les Évangiles (28%), principalement de Jean et de Matthieu, et l’Ancien Testament (38%), principalement des Psaumes, du Cantique, de Job, soit une répartition par tiers. On note que presque rien n’est cité de l’Apocalypse (1% !) ce qui contredit un supposé millénarisme guyonien. L’éventail des citations est très large, ce qui souligne une grande culture ; toutefois 21 citations distinctes, reproduites 3 à 8 fois chacune, représentent 19% de l’ensemble.
[1698] Voir D.1.60 (Poiret, 1716, tome I, Discours LX). – Baruzi est de cet avis dans son Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique (1931, p. 440 : « Plus encore que Fénelon qui, parlant de notre adhésion à Dieu, nous demande d'outrepasser ‘tout autre objet distinct’ et ne consent pas à faire de la foi elle-même une obscurité que ne soutiendrait pas l'évidence de l'autorité, madame Guyon voudrait aller au delà de toute donnée distincte ; elle songe à une immersion ; elle trouve ‘partout, dans une immensité et vastitude très grande, celui’ qu'elle ne possédait plus mais qui l'avait ‘abîmée en lui’. Et telle est la seule ‘extase’ qu'elle juge ‘parfaite ‘, extase qui ne ‘s'opère que par la foi nue, la mort à toutes choses créées, même aux dons de Dieu’, lesquels ‘étant des créatures, empêchent l'âme de tomber dans le seul incréé’ ».
[1699] Lettre à Clerselier.
[1700] Les Ordonnances du Magistère furent à l’origine d’une vaste littérature de controverse qui, établie sans l’expertise nécessaire, s’avère d’intérêt bien moindre. Ceci souligne l’importance de l’Ordonnance de M. de Chartres que l’on peut considérer comme le document capital « anti-quiétiste ». Son étude montre que ses assemblages ne sont pas innocents.
[1701] Trésor spirituel, ces lettres constituent trois volumes récents de la collection « Correspondances » chez le présent éditeur.
[1702] Fénelon, Le Gnostique de Saint Clément d’Alexandrie, « Chap. I, Idée générale de la gnose » : « …le parfait chrétien est l’homme passif des mystiques modernes. » - Le terme « passif » est ambigu car, dans une vision privilégiant une préparation ascétique, porter le travail de la grâce (passiveté) est rapproché de la paresse. (réédition : François de Fénelon, La Tradition secrète des mystiques, ou le Gnostique… Arfuyen, 2006).
[1703] Jean Baruzi, Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, Paris, 1931, page 443. Voir aussi, page 442 : « Fénelon et Mme Guyon n’en sont pas moins les deux êtres qui, pour la première fois, ont donné à la doctrine de saint Jean de la Croix un prolongement de caractère métaphysique. Par eux, par Mme Guyon surtout, une notion de la foi pure et de l’anéantissement intérieur s’est propagée au-delà de l’Église catholique… ».
[1704] D. Tronc, « Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon », XVIIe siècle, n°1-2003, 95-116.
[1705] Histoire Générale et particulière du Tiers Ordre de S. François d’Assise, par le R.P. Jean Marie de Vernon, Religieux pénitent du tiers ordre de saint François, Paris, 1667, tome troisième, 76 & 141.
[1706] Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913 ; R. Heurtevent, L’œuvre Spirituelle de Jean de Bernières, Beauchesne, 1938 ; L. Luypaert, « La doctrine spirituelle de Bernières et le Quiétisme », Revue d’Histoire Ecclésiastique, 1940, 19-130.
[1707] Souriau, Deux mystiques…, 112 ; Boudon, Œuvres II, Migne, 1311.
[1708] Bernières, Chrétien Intérieur, 565, cité par Souriau, 203.
[1709] Bernières, Œuvres Spirituelles, II, 122. Ces rapports simples entre directeur et dirigé se perpétueront et Mme Guyon s’adressera ainsi au jeune marquis de Fénelon, en mars 1717 : « …vous serez dans la maison du petit Maître tant que vous le voudrez et pourrez. Si les bons Écossais viennent, vous pourrez découcher et descendre dans le bas, car je fais de vous comme des choux de mon jardin ».
[1710] Bernières, Œuvres Spirituelles, II, 364.
[1711] Les Œuvres spirituelles de Monsieur de Bernières Louvigni…, Seconde partie contenant les lettres…, Paris, 2e éd., 1675, « Voie illuminative » : lettres n° 25, 30 à 32, et « Voie unitive » : lettres n° 43 à 48, 50, 51, 59, 6.
[1712] Larges extraits dans : Jacques Bertot, directeur Mystique, textes présentés par D. Tronc, Coll. « Sources Mystiques », Ed. du Carmel, 2005. - Le titre complet de l’oeuvre principale du corpus, qui nous intéresse parce qu’il révèle le jeu des influences, est le suivant : Le directeur MISTIQUE [sic], ou les œuvres spirituelles de monsr. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Made. Guion, avec un recueil de Lettres Spirituelles tant de plusieurs Auteurs anonimes, que du R.P. Maur de l’Enfant Jésus, Religieux Carme, & de Madame Guion, qui n’avaient point encore vu le jour. Divisé en Quatre volumes, A Cologne, Chez Jean de la Pierre. 1726.
[1713] L’Addition de la fin du vol. II du Directeur Mistique rapportant les Conseils d’une grande servante de Dieu… Marie des Valées [sic], renvoie aux lettres 40 et 64 du même volume ; des liens étroits unissaient Marie des Vallées, Jean Eudes, Bernières, Renty.
[1714] Madame Guyon, Correspondance II Combats, « Pièces judiciaires 504. Enquête adressée à Madame de Maintenon. Fin 1695 ? ».
[1715] Le directeur Mistique, vol II, lettre 6. – A rapprocher de Tchoang-tzeu (trad. Wieger) : « Quand Il les émeut, tous les êtres deviennent pour lui comme un jeu d’anches. Les monts, les bois, les rochers, les arbres, toutes les aspérités, toutes les anfractuosités, résonnent comme autant de bouches... ».
[1716] Lettre de Mme Guyon au duc de Chevreuse, du 10 janvier 1693 : « La Mère du Saint-Sacrement est celle dont je vous ai parlé, qui est l’Ins[ti]tutrice de cet ordre, fut de mes amies et [est] une s[ain]te. » - Fénelon écrira à une religieuse : « Conservez la simplicité […] que notre chère Mère vous a enseignée. »
[1717] Bernières, Œuvres Spirituelles II, 282 (lettre du 15 février 1647).
[1718] Jacques Bertot, directeur Mystique, op.cit., conclusion à la lettre 4.75, 287.
[1719] Heurtevent dans la notice « Bertot » du Dict. de Spiritualité (rédigée en 1937).
[1720] Voir Rencontres autour de la vie et l’œuvre de Madame Guyon (Thonon 1996), Millon, Grenoble, 1997, et notre bibliographie en fin de volume.
[1721] Baruzi, op.cit., livre IV « La synthèse doctrinale », chap. II « Une critique des appréhensions distinctes », 440.
[1722] L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée, 1958, analyse la première partie de la vie de Mme Guyon (un second volume, annoncé page 7, devait traiter de la suite). Le récit qui la concerne directement couvre la moitié du texte (197 pages sur un total de 396). L’autre moitié, qui inclut un remarquable panorama du mysticisme en France au XVIIe siècle (pages 9 à 55), n’est que très partiellement consacrée à Fénelon.
[1723] V. le choix bibliographique proposé à la fin du présent volume.
[1724] Lettre au duc de Chevreuse du 11 septembre 1694 (Correspondance II Combats, 300).
[1725] La Vie par elle-même…, Champion, 2001, 1.8.6 à 1.8.9 - On note qu’Archange Enguerrand a lui-même rencontré Jean Aumont, « le pauvre villageois », disciple de Bernières ; c’est une deuxième filière reliant Mme Guyon au groupe de l’Ermitage : voir A. Derville, « Un Récollet Français méconnu : Archange Enguerrand », Archivum Franciscanum Historicum, 1997, 177- 203.
[1726] La Vie…, 1.12.7. - Sur Geneviève Granger, voir Eloges... , mère de Blémur, Paris, 1679, t. II, 417- 455, repris par Bremond, II, 465. Geneviève Granger étant née environ vingt ans avant Bertot, les rapports étaient plutôt d’échange entre membres du groupe animé par la triade Jean-Chrysostome, Jean de Bernières, Michelle Mangon (religieuse du couvent de Jourdaine), que de dépendance vis-à-vis d’un confesseur.
[1727] La Vie…, 1.13.3, 1.14.5, 1.17.6, 1.17.7, 1.19.9, 1.19.10 (contrat de mariage à Notre Seigneur enfant, le jour de la Madeleine), 1.23.3 (« Quoi! Vous n’aimez plus Dieu ? » ). Lorsqu’elle meurt (1.20.7) Jeanne-Marie Guyon se retrouve terriblement seule (1.20.6) même si la mère se manifeste par rêve (1.22.7).
[1728] Vie, 1.21.9, 1.24.3, 1.28.4 ; v. Jacques Bertot…, op.cit., « La direction de madame Guyon », 51-62.
[1729] Jacques Bertot…, op.cit., extraits de la lettre 4.75, 286-287.
[1730] Voir Dom Claude Martin, Les voies de la prière contemplative, textes réunis et présentés par dom Thierry Barbeau, Solesmes, 2005. Le mauriste, mystique comme sa mère, prendra la défense du Moyen court en 1695-1696 dans un Traité de la contemplation malheureusement resté sous la forme d’un manuscrit inachevé à sa mort.
[1731] Moyen court et très facile pour l’oraison que tous peuvent pratiquer très aisément… Grenoble, 1685 ; Lyon, 1686 ; Paris et Rouen, 1690 ; Cologne, 1699. Ce fut un succès de librairie. Ce que rapporte la Vie par elle-même quant au rayonnement apostolique de Mme Guyon lors de ses voyages est confirmé par les enquêtes faites au moment de son procès (J. Orcibal, « Le Cardinal Le Camus, témoin au procès de Madame Guyon », dans Etudes d’histoire et de littérature religieuse, Klincksieck, 1997).
[1732] J. Martin, Le Louis XIV des Chartreux Dom Innocent Le Masson, 51e général de l'ordre (1627-1703), préface de Jean Guitton, Téqui, 1974. – D. Tronc, « Quiétude et vie mystique : Madame Guyon et les Chartreux », Transversalités, juillet 2004, 121-149.
[1733] Ce que recouvre le terme quiétiste est très divers et les articles condamnés ne se retrouvent en général pas dans les écrits des suspects.
[1734] Le choix bibliographique en fin de volume est limité aux études fondamentales dont l’orientation n’est pas biographique, dont celles d’Orcibal et de madame Gondal. Il omet donc le récit de Françoise Mallet-Joris, Jeanne Guyon, Paris, 1978, ouvrage aisé à lire qui évoque heureusement la vie à la Cour de France et (en conclusion) « l’inertie contestataire » de l’héroïne. On a déjà souligné l’intérêt du Crépuscule des mystique… de Cognet. Enfin nous renvoyons à notre édition de la Vie…, op. cit.
[1735] L. Cognet, La Spiritualité moderne, 105.
[1736] Vie 2.21.3.
[1737] Vie 2.21.8.
[1738] M. Chevallier, Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, tome V, Koerner, Baden-Baden, 1985 ; Pierre Poiret 1646-1719, Du protestantisme à la mystique, Labor et Fides, 1994 ; Pierre Poiret, Écrits sur la Théologie mystique, Grenoble, Millon, 2005.
[1739] A leur décharge, on avait pu attribuer à la diffusion de textes rendus accessible à tous sous forme imprimée les convulsions de la Réforme et de la Contre-réforme, proches et peu encourageantes.
[1740] L’Abandon à la Providence divine, autrefois attribué à Jean-Pierre de Caussade, Desclée de Brouwer, 2005. Voir l’Introduction par Dominique Salin, s. j. , 7-30. Nous en attribuons l’inspiration à madame Guyon : un premier jet sans repentir, aujourd’hui perdu, serait-il parvenu dans l’est de la France depuis la Visitation de Meaux ? Qui, considérablement corrigé en ce qui concerne sa forme littéraire, serait devenu d’une grande beauté classique, telle une cordée de lave refroidie ? C’est le sentiment peut-être invérifiable issu de notre lecture de L’Abandon faite bien avant celle des œuvres de madame Guyon. On dispose de l’étude approfondie de J. Le Brun (Annales de l’Est, « Les opuscules spirituels de Bossuet, recherches sur la tradition nancéenne », Nancy, 1970). Une comparaison minutieuse entre les textes de madame Guyon et des textes sous influence (L’Abandon… mais aussi les lettres du mystique Milley par exemple) reste à faire.
[1741] Voir J. Orcibal, « L’originalité théologique de John Wesley et les spiritualités du continent », Etudes…, Klincksieck, 1997, 527.
[1742] A. Favre, Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911, « Inventaire et Verbal de la saisie des livres et écrits de M. Dutoit », 115-118 et 107 (traces du cercle spirituel). Voir surtout un contemporain du dernier feu spirituel du cercle de Morges (près de Lausanne) : J. Chavannes, Jean-Philippe Dutoit…, Lausanne, 1865.
[1743] Baruzi, op. cit., p. 442 (de l’édition de 1931), note 1.
[1744] Moyen court, ch. II.
[1745] Moyen court, ch. III.
[1746] Moyen court, ch. X.
[1747] Moyen court, ch. XXII, §2.
[1748] Moyen court, ch. XXII, § 7-8.
[1749] Torrents, I, 9 § 9.
[1750] Dom Le Masson, Introduction à la vie intérieure et parfaite…, vol. II, 6e avis, p. 111. – Le « Louis XIV des chartreux » est à l’origine d’insinuations qui donneront naissance chez d’autres religieux de moindre poids à des accusations extrêmes et infondées.
[1751] Moyen court, ch. XXI.
[1752] Moyen court, ch. XII, § 6.
[1753] Moyen court, ch. XII, § 2.
[1754] Moyen court, ch. XXI.
[1755] Moyen court, ch. XXIV, § 1.
[1756] Mémoire… cité par F. Varillon : Fénelon, Œuvres spirituelles, 1954, 50.
[1757] Moyen court, ch. XXIV, § 6-7.
[1758] Moyen court, ch. XXIV, § 8.
[1759] Discours spirituels, D.1.60, « Différence de la sainteté propriétaire et de la sainteté en Dieu ».
[1760] H. de Balma, Théologie mystique, « La voie unitive », Cerf, 1996, SC 409, §56, 91. – A rapprocher du chap. VIII du Tao Te King : « L’eau / Gratifie les dix mille êtres / Ne dispute rien à personne, / Et séjourne aux lieux dont chacun se détourne… » (trad. C. Larre, Desclée, 1977).
[1761] Correspondance III Chemins mystiques, 2005, 645.
[1762] Ibid., 495.
[1763] Contrairement à ce que laisserait supposer C. Morali dans son essai « Jeanne Guyon ou la pensée nue », p. 54, précédant son édition des Torrents, J. Millon, Grenoble, 1992. Nous sommes très loin du « vide » synonyme de paralysie, voire même d’un « vertige du néant » décrit par certains auteurs. Sur le vide mystique spontané qui apporte énergie : L. Silburn, « Le vide, le rien, l’abîme », dans Hermès n° 6, Le vide, expérience spirituelle en Occident et en Orient, 1969, rééd. 1981.
[1764] Correspondance III Chemins mystiques, 2005, 556. – « Et c’est pourquoi nous devons établir toute notre vie sur un abîme sans fond, et ainsi pourrons-nous éternellement nous enfoncer dans l’amour, et sombrer dans cette profondeur sans fond. Et avec le même amour, nous nous élèverons et nous nous dépasserons nous-mêmes dans l’inconcevable hauteur, et dans cet amour sans mode, nous perdrons notre chemin, et il nous guidera dans l’étendue immense de l’amour de Dieu. » (Ruusbroec, De la Pierre Brillante, trad. M. Huot de Longchamp des lignes 125-130 dans Opera omnia, Corpus Cristianorum CX, Brepols, 1991).
[1765] Torrents, II, 1,§ 1
[1766] Torrents, I, 9 § 4
[1767] Torrents, I, 9 § 20 :
[1768] Torrents, I, 9, § 9
[1769] Torrents, II, 1 § 1.
[1770] Vie par elle-même, ch. 3.21 (p. 872 sq. de notre éd.).
[1771] Correspondance III Chemins mystiques, lettre 571, 692.
[1772] Marie de l’Incarnation, Œuvres, Aubier, 1942, ch. LIX-LX, p. 145-146. – La « vie nouvelle et divine » affleure dans la seconde relation de 1654, tandis que la première de 1633 témoigne du chemin. - V. Dom Claude Martin, La Vie de la Vénérable Mère Marie de l’Incarnation, 1677, rééd. Solesmes 1981, 456, 515.
[1773] Nombreux témoignages de la prise de conscience de cette transmission et de ses modalités dans la seconde partie de la Vie, en particulier II, 13 § 5.
[1774] J. Bruno, « Madame Guyon et la communication intérieure en silence », dans Le Maître Spirituel, Hermès 4, 1967, p. 110 sq.
[1775] Barsanuphe et Jean de Gaza, Correspondance, Solesmes, 1972, pp. 19, 73, 104.
[1776] J. Bruno, « La Transmission spirituelle chez un mystique chrétien du XVIIe siècle : Jean-Jacques Olier », dans Le Maître Spirituel, Hermès 4, 1967, p. 95 sq.
[1777] Correspondance III Chemins mystiques, lettre n°582. Voir Hermès, Le Maître Spirituel selon les traditions d’Occident et d’Orient, 1983, J. Sebeo, « Madame Guyon et l’état apostolique », p. 213 sq.
[1778] Discours…, D.2.61.
[1779] Explication de madame Guyon sur le Psaume 118, 19.
[1780] D.2.64.
[1781] D.2.68 (v. aussi D.2.67.)
[1782] Vie, 2.11, 2.13, 2.17 à 2.20, 2.22, 3.8, 3.10.
[1783] Explication sur saint Matthieu, chap. XVIII, versets 19 & 20.
[1784] Lettre 2.116.
[1785] Lettre de Fénelon du 31 août 1689.
[1786] Discours 2.25.
[1787] Correspondance I Directions spirituelles, 495.
[1788] Ibid., 496-497 (Lettre de Fénelon du 11 avril 1690).
[1789] Ibid., 495 (Lettre à Fénelon écrite au début avril 1690). – « L’esprit directeur » est tiré du Ps. 50, 13-14 : « …affermissez-moi en me donnant un esprit de force / J’enseignerai vos voies… »
[1790] « Supplément à la vie de madame Guyon… », ms. de Lausanne TP 1155, p. 1006 de La Vie…, 2001, op. cit. (la rédaction en est assez terne, souvent hagiographique, mais livre des indications rares qui seraient à compléter par recours aux archives déposées à la bibl. universitaire de Lausanne, principalement en langue allemande, de « divers écrits mystiques »).
[1791] Moyen court et très facile pour l’oraison que tous peuvent pratiquer très aisément…, Grenoble, J. Petit, 1685 ; 2e édition à Lyon chez A. Briasson, 1686 et Paris chez A. Warin. ; 3e éd. Paris et Rouen, 1690 ; texte inclus dans : Recueil de divers traitez de théologie mystique qui entrent dans la célèbre dispute du Quiétisme qui s’agite présentement en France…, Cologne, [Amsterdam], 1699, édition suivie de trois autres par le même Poiret.
[1792] Jean-Jacques Beaulaigue (1649-1735), à l’époque précepteur des jeunes enfants du duc de Luynes. Il sera lié au groupe janséniste et à Noailles, évêque de Châlons en 1680, dont il sera le théologien.
[1793] Nous avons recours au corpus constitué des Ordonnances de l’archevêque de Paris [Harlay], chez F. Muguet, Paris, 1694, (les extraits que nous allons citer figurent pages 5 à 8 et dernière), & de Mgr l’évêque comte de Chaalons… [Noailles], chez J. Seneuze, Chaalons, 12 avril 1695 ; de l’Ordonnance et instruction pastorale… de Mgr l’Evêque de Meaux [Bossuet], chez J. Anisson, Paris, (extraits cités : pages 5 à 11), & de Mgr l’évêque de Chartres [Godet des Marais] (extraits relevés en notes à notre édition des œuvres).
[1794] Voir le Crépuscule des mystiques…, p. 308-310 & 333 sq. (sur Bossuet), 310-311 (Noailles), 352-357 (Godet).
[1795] La première édition « registrée sur le livre de la communauté des libraires » le 26 novembre 1695, est un texte abondant de cinquante grandes pages, publié chez Josse à Paris, avec le privilège du Roi donné à « Paul Desmarets » ; ce même texte sera republié par le même éditeur en 44 pages l’année suivante.
[1796] Il s’agit d’un texte très complet de 76 grandes pages (de la dimension des Ordonnances), reproduite l’année suivante en format maniable, couvrant 190 pages (suivies d’une Addition, p. 191-212).
[1797] Vie, 2.11.5. Ce passage est souvent cité parce qu’il traite de l’écriture dite « automatique », qu’il vaudrait mieux qualifier d’inspirée (à compléter par Vie 2.21.3 & 8-9).
[1798] Voir L.Cognet, Crépuscule des mystiques, Desclée, 1958, p. 79, note 1.
[1799] Cognet, op.cit., p.72.
[1800] J.M. Guyon, Les Opuscules spirituels, Olms, 1978, Introduction (non paginée) par Jean Orcibal ; [cette Introduction - sans les variantes - est reproduite dans J. Orcibal, Etudes d’histoire..., Klincksieck, 1997, 899-909.].
[1801] Introduction aux Opuscules par J. Orcibal.
[1802] L’Introduction par J. Orcibal fait le récit des protestations de l’accusée et donne une description des sources manuscrites.
[1803] Extraits de la double page « 6 », droite, de la double page « 7 » gauche, de la dernière page de l’ « Avertissement » du Recueil de divers traités de théologie mystique…, 1699, assemblé par Poiret, édité « à Cologne » [Amsterdam]. – Sur le caractère « funeste » de l’amitié de Fénelon, on pense après coup à sa lettre adressée à Louis XIV par l’intermédiaire de Mme de Maintenon - qu’elle garda probablement avec bonne raison par devers elle - et à l’incompréhensible fidélité - pour Saint-Simon et la Cour - de l’archevêque à la prisonnière de la Bastille ; la courageuse critique du roi et la défense de la « dame directrice » demeura toutefois secrète à l’époque, aussi le prélat fut-il un temps (avant 1699) suspecté de faiblesse par les disciples.
[1804] Introduction aux Opuscules par J. Orcibal.
[1805] Rééditions récentes suivantes : (1) Les Opuscules spirituels…, G. Olms, Hildesheim, 1978, 129-276 [fac-similé de l’éd. Poiret 1720, précédée d’une « Introduction » par J. Orcibal, comprenant les « Principales variantes des éditions des Torrents de 1712 et 1720 », 36 p. non paginées] ; (2) « Les voies mystiques selon madame Guyon, Les Torrents », Hermès, Les Voies de la Mystique, 1981, [extraits de l’éd. Poiret 1704, 87-118, précédés d’une présentation par M. Bruno, 85-86] ; (3) Madame Guyon, Torrents et Commentaire au Cantique, édités par C. Morali, Grenoble, Jérôme Millon, Coll. « Atopia », 1992, 69-190 [v. dans l’Introduction par C. Morali : « Jeanne Guyon ou la pensée nue », la « Note sur les éditions » dans son édition des Torrents, 58-68, suivie de la leçon du ms. dit d’Autun, provenant des pages 510-645 du ms. 2056 des Archives Saint-Sulpice, avec des variantes de Poiret et des mss. de Sens et de Rome].
[1806] Cercle composé de Godart van Ewijk, sa femme, des deux frères Homfeld, enfin de l’imprimeur Jean-Luc Wettstein. (voir M. Chevallier, Pierre Poiret…, op. cit., chap. V : « La fin d’une vie »).
[1807] Voir Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, 675-677 (présentation de Poiret et de ses associés), 685-700 (lettres aux membres du groupe de Rijnsburg).
[1808] Voir pages 84 & 83 de notre introduction à l’édition de La Vie par elle-même..., 2001.
[1809] Les très nombreuses variantes résultant d’une toilette portant sur l’écriture sont disponibles dans l’édition Morali qui adopte « A » comme leçon : elles atteignent, pour ce seul texte assez court des Torrents, le nombre de 1455 (!), constituées pour leur très grande majorité entre « A » et Poiret 1720 soit deux sources seulement (il s’y ajoute une minorité de variantes jugées significatives entre « A » et les mss. de Sens et de Rome).
[1810] Ces Explications forment la moitié de l’œuvre guyonnienne imprimée au XVIIIe siècle. Il couvre Le Nouveau Testament de Notre Seigneur Jésus-Christ avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure. Divisé en Huit Tomes. On expose dans la préface les conjectures que l’on a touchant l’auteur de cet ouvrage. Vincenti. A Cologne [Amsterdam], chez Jean de la Pierre, 1713. In-8°, & Les livres de l’Ancien Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, divisés en douze tomes comme il se voit à la fin de la Préface. Vincenti. A Cologne chez Jean de la Pierre, 12 tomes, 1715. - Nous avons réalisé une saisie photographique numérique de l’ensemble des vingt volumes de l’édition par P. Poiret. Par permission des Archives Saint-Sulpice, le DVD correspondant peut être communiqué sur demande à nous adresser.
[1811] Vie, 2.21.2 : « …Notre Seigneur me fit expliquer toute la Sainte Écriture. »
[1812] Vie, 2.20.9, et 2.20.8 : « …je n’avais pas le temps de manger, à cause de la grande quantité de monde qui venait… ».
[1813] Vie, 2.20.8 : Ces religieuses provoquèrent en retour des visites de madame Guyon …et l’hostilité de dom Le Masson, le général des chartreux : ce dernier, opposé à son influence dans les chartreuses féminines, fit faire un autodafé d’exemplaires du Moyen court ! (l’histoire se répète : une autre saisie du même texte aura lieu plus tard à Saint-Cyr). Aussi Mme Guyon précise-t-elle : «…je n’allais point aux monastères que l’on ne m’envoyât quérir » (Vie, 2.20.10). Cette période compliquée de la vie de madame Guyon a été heureusement dénouée par Orcibal (Etudes d’Histoire…, Klincksieck, 1997, 810 sq. & 819 sq.), et reprise par nous (Transversalités, 91, 2004, « Quiétude et vie mystique, Madame Guyon et les Chartreux », 121 sq.).
[1814] Vie, 2.21.1.
[1815] Le Cantique des cantiques, interprété selon le sens mistique et la vraie représentation des états intérieurs, Lyon, A. Briasson, 1685 (le texte est repris sans changement dans Les livres de l’Ancien Testament, tome X, 1714, 129-247).
[1816] Le Nouveau Testament… op.cit. « L’Apocalypse de S. Jean Apôtre... » constitue le tome VIII de 1713. La Conclusion [générale] pp. 409-412 contient : « achevé le 23 de Septembre 1683» [1682 corrigé à la main sur l’exemplaire imprimé des A.S.S.].
[1817] Vie 2.21.1.
[1818] Vie 2.21.2.
[1819] Vie 2.21.3.
[1820] Vie 2.21.8.
[1821] Par ordre du P. Lacombe, son confesseur.
[1822] Vie 2.21.3. - Les commentaires bibliques qui constituent ou sont inclus dans certains des Discours chrétiens et spirituels ne font pas double emploi. En effet ces derniers ne furent pas repris des Explications, mais furent élaborés à un âge avancé où l’on devine une maturité achevée (madame Guyon vécut encore trente-trois années après l’achèvement des Explications).
[1823] Tractatus theologico-politicus, publié en 1670.
[1824] « Avertissement » en tête de l’Ancien Testament, t.I, p. 49.
[1825] TOB, p. 2508, note j. – « Il est à votre portée » est ambigu d’un point de vue mystique.
[1826] Le royaume de Dieu est en nous renvoie aux passages suivants dont la TOB donne des traductions illustrant toutes une telle tendance extravertie communautaire : « …le règne de Dieu s’est approché. » (TOB, Mt 10, 7) ; « …le règne de Dieu est arrivé jusqu’à vous » (TOB, Lc 10, 9, accompagné toutefois de la note : « Litt[éralement] s’est approché jusqu’à vous. ») ; « …le Règne de Dieu est arrivé. » (TOB, Lc 17, 11) ; enfin Lc 17, 21, « …Le Règne de Dieu est parmi vous ».
[1827] Ce qui est commun à tous les mystiques accomplis.
[1828] La Genèse et l’Exode avec des explications…, t. I, 1714, ch. XXVI, v. 13, 162.
[1829] Madame Guyon, Explications de la Bible… par D.Tronc, Phénix/ la Procure, 2005, 1-441, propose un choix élargi.
[1830] Problème des sources bibliques : Nous n’avons pas retrouvé la version utilisée par Mme Guyon et Poiret pour l’Ancien Testament. La belle traduction de Lemaître de Sacy se révèle assez proche et fut connue de Mme Guyon : « Demandez pour moi au T[uteur : le duc de Chevreuse] une bible de M. de Sassi [Sacy], sans explications » (Lettre à la « petite duchesse » [de Mortemart] du début d’août 1695, confirmée par celle écrite ensuite directement au duc, le 24 du même mois, demandant le même service.). Pour le Nouveau Testament, Mme Guyon et Poiret utilisent l’édition catholique de Louvain sous sa forme revue par Amelote (les éditions de Lyon 1603, de Paris 1694 reprise de Girodon 1661, de Liège 1701, s’écartent beaucoup plus de Guyon-Poiret que ces derniers ne s’écartent d’Amelote, 1687. Dans ses Explications du Ps. LXVII, Mme Guyon compare sa source à l’une des versions traditionnelles de Louvain). Ils apportent des corrections, le plus souvent légères, mais avec de notables exceptions affectant surtout des citations jugées essentielles.
[1831] Lettre au duc de Chevreuse,18 juillet 1694.
[1832] L. Cognet, Crépuscule des Mystiques, Desclée, 1958, présente l’écheveau des intrigues mêlées aux divergences doctrinales. Sur les Justifications et les travaux parallèles de Fénelon, v. les pages 227, 246 à 250.
[1833] Manuscrits BN Fds Fr. 25092 à 25094 du fond Bossuet ; Les Justifications de Mme J.-M. B. de La Mothe-Guion, écrites par elle-même … avec un examen de la neuvième et dixième Conférences de Cassien, touchant l’état fixe d’oraison continuelle, par feu M. de Fénelon, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1720 ; Justifications de la Doctrine de Madame de la Mothe-Guion, pleinement éclaircie, démontrée et autorisée par les Sts Pères Grecs, Latins et Auteurs cannonisés [sic] ou approuvés ; écrites par elle-même. Avec un examen de la neuvième et dixième Conférences de Cassien sur l’état fixe de l’oraison continuelle, par Mr de Fénelon, archevêque de Cambray, A Paris chez les Libraires Associés, MDCCXC en trois tomes. L’apport de Fénelon se limite aux pages 267-368 du tome III.
[1834] Vie, 3.16.7.
[1835] Jean de la Croix est béatifié le 25 janvier 1675, canonisé le 27 décembre 1726, déclaré docteur de l’Église le 24 août 1926.
[1836] Thérèse d’Avila est béatifiée le 24 avril 1614, canonisée le 12 mars 1622, déclarée docteur de l’Église le 27 septembre 1970 (date assez tardive correspondant à celle de la reconnaissance des femmes).
[1837] Plus précisément, les occurrences des dix auteurs les plus présents sont les suivantes : 293 fois Jean de la Croix, 241 fois Jean de Saint Samson, 156 fois Catherine de Gênes, 117 fois Thérèse, 100 fois Denys, 94 fois Clément d’Alexandrie [pris en charge par Fénelon], 82 fois François de Sales, 75 fois l’Imitation de Thomas a Kempis, 35 fois Jean Climaque, 33 fois Suso. On note l’apport modeste de Fénelon - très présent dans les titres des éditions du XVIIIe siècle de par son rayonnement sur l’Europe toute entière. Voir aussi sur les sources utilisées : L. Cognet, Crépuscule…, op.cit., p. 248.
[1838] Une comparaison entre l’édition et les manuscrits BN Fds Fr. 25092 à 25094 nous a permis de vérifier la fidélité de celle-ci au contenu global des chapitres, en dehors du travail de transformation par « remise en ordre » chronologique des extraits et des amendements portant sur le vocabulaire : l’impression initiale selon laquelle il y aurait de profondes divergences entre le manuscrit et l’édition n’est qu’apparente et se résoud dès que l’on a saisi la nature de cette transformation au sein de chaque clé.
[1839] Coll. « Correspondances », Honoré Champion, Paris : Madame Guyon, Correspondance I Directions mystiques, 2003 ; Correspondance II Combats, 2004 ; Correspondance III Chemins mystiques, 2005.
[1840] De même un parallèle peut être avancé entre la naïveté du P. Lacombe et la « candeur sainte » du P. Jérôme Gracien (v. Thérèse d’Avila, Œuvres complètes, Paris, Cerf, 1995, 1638).
[1841] Correspondance III Chemins mystiques, 2005, pp. 497, 652.
[1842] Ibid., p. 544.
[1843] Ibid., pp. 519, 515.
[1844] Ibid., p. 417.
[1845] Ibid., p. 106.
[1846] Ibid., p. 495.
[1847] Ibid., p. 358.
[1848] Ibid., p. 507.
[1849] Ibid., p. 702.
[1850]Lettre 1.292 à Fénelon, 1690.(Correspondance I Directions mystiques, 2003).
[1851] Lettre 1.283 à Fénelon, automne 1690.
[1852] Lettre 1.276 à Fénelon, été 1690.
[1853] Lettre 3.613. (Correspondance III Chemins mystiques, op.cit.).
[1854] Ibid.
[1855] Lettre 3. 169
[1856] Lettre 1.434, 1717.
[1857] Lettre 1.430 du baron de Metternich, 19 août 1716.
[1858] Lettre 1.124 à Fénelon, avril 1689.
[1859] Ibid.
[1860] Lettre 1.292.
[1861] Lettre 1.157.
[1862] Lettre 1.289.
[1863] Lettre 1.248.
[1864] Lettre 1.263.
[1865] Lettre 1.271 du 11 juin 1690.
[1866] Ibid.
[1867] Lettre 1.385 à Poiret.
[1868] Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, tirés la pluspart de la Sainte Écriture, Vincenti, A Cologne [Amsterdam], Chez Jean de la Pierre, 1716 : deux tomes édités sans nom d’auteur : Tome I : « Préface » pp. 3-23, « Table des Discours… divisés en quatre parties » pp. 24-28, « Discours » [au nombre de 70] pp.1-470, « Table des matières principales » pp. 471-488, 3 pages non numérotées donnant la table des passages de l’Écriture et l’errata. Tome II : 6 pages d’Avis et Table, « Lettre sur l’Instruction suivante » pp. (3-(14 [sic], « Instruction chrétienne d’une Mère à sa Fille » pp. (15-(63, « Discours » [au même nombre de 70 que précédemment] pp. 1-402, « Table des matières principales du IIe tome » pp. 402-423, une page d’errata. L’ensemble fut réédité très fidèlement, au point de respecter les paginations, par le pasteur Jean-Philippe Dutoit cette fois avec le nom de l’auteur. Cette réédition par Dutoit porte le titre : Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, tirés la plupart de la Sainte Écriture. Par Madame J. M. B. de la Mothe-Guion. Nouvelle édition corrigée et augmentée, A Paris [Lyon], Chez les Libraires Associés, 1790.
[1869] Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 4 tomes, 1717-1718. Le dernier tome comporte, outre trois parties de lettres de Madame Guyon, « Quatrième partie contenant quelques [16] discours chrétiens et spirituels » pp. 402-509, suivi d’une « Lettre d’une païsane, sur l’anéantissement du Moi de l’âme et le pur amour » pp. 510-522, enfin de la « Table des matières principales ». Réédition par Dutoit : Lettres chrétiennes et spirituelles, nouvelle édition enrichie de la correspondance secrète de M. de Fénelon avec l’auteur, Londres [Lyon], 5 tomes, 1767-1768 (les Discours figurent au dernier tome, comportant : « Anecdotes et réflexions » [par Dutoit] pp. I-CLX suivies pp. 1-168 d’une « Première partie contenant quelques discours chrétiens et spirituels » eux-mêmes introduits par la note : « Ces discours dans l’édition de Hollande faisaient la clôture du quatrième volume… », puis de la lettre de la simple paysanne précédant les lettres adressées à Fénelon).
[1870] Ce fut par contre le cas pour son autobiographie dont la phase finale de rédaction en 1709 laissa tout le temps nécessaire à des révisions qui demeurèrent d’ailleurs modestes. Le manuscrit de La Vie par elle-même fut renvoyé chez les disciples écossais et ainsi préservé (ms. d’Oxford), tandis que la bibliothèque de Poiret fut dispersée en 1748 et perdue – dont les sources des Discours, sauf quelques lettres qui suggèrent une grande fidélité de la part de l’éditeur Poiret pour leur ensemble.
[1871] Discours…, 1716, Préface, §II, pages 6 à 9.
[1872] Discours 1.02, § 2.
[1873] Vie, 1.8.5-10.
[1874] Tome II, 3e Discours, Poiret 1716 : D.2.03 (ne figure pas dans la présente sélection).
[1875] D.1.02.
[1876] Oeuvres de Ruysbroeck l’admirable, Trad. de Wisques, t. I, Vromant, 1921 : Le Livre des sept clôtures, ch. XIV, p. 180. - Sur le sujet du « vide » mystique : L. Silburn, « Le vide, le rien, l’abîme », Hermès, Le Vide, Expérience spirituelle en Occident et en Orient, 1969.
[1877] D.1.43.
[1878] D.2.05. Elle mêle aussi ces termes en D.1.44 : « Quand je parle de cœur, j’entends la volonté qui est le cœur de l’âme. »
[1879] D.1.53, D.1.62, D.2.19 ; voir le début des Torrents ; voie dont le P. La Combe sera retiré (Vie, 2.15 et 2.22).
[1880] D.1.38.
[1881] Benoît de Canfield, La Règle de Perfection, Jean Orcibal, PUF, 1982, partie III, 344.
[1882] Voir Sandaeus, Pro Theologia mystica clavis, 1640, 1963.
[1883] D.1.40.
[1884] D.1.31.
[1885] D.2.25 (ne figure pas dans la présente sélection).
[1886] D. 1.49.
[1887] D.2.54.
[1888] D.1.60. Mme Guyon utilisait pour sa correspondance plusieurs cachets à cire dont certains gravés de motifs spirituels : Jésus, cœurs accolés irradiants, soleil et héliotrope.
[1889] D.1.31. (v. aussi D.2.36 sur la mort, la pourriture et la belle comparaison avec le caillou fait glace ou miroir).
[1890] D.1.17.
[1891] D.3.11.
[1892] « Et il est un instrument de Dieu vivant et disponible, avec lequel Dieu opère ce qu’il veut et comme il veut ; et il ne s’attribue pas cela, mais il en donne à Dieu l’honneur. » (Ruusbroec, De la Pierre Brillante, trad. M. Huot de Longchamp des lignes 943-945 dans Opera omnia, Corpus Cristianorum CX, Brepols, 1991).
[1893] D.2.66.
[1894] D.2.49.
[1895] D.2.51.
[1896] D.1.40. (v. aussi D.2.28)
[1897] D.2.69.
[1898] D. 1.02,§ 2.
[1899] D.1.37.
[1900] D.2.66.
[1901] D.3.02.
[1902] D.1.38.
[1903] D.1.38, D.2.04, D.2.08, D.3.01.
[1904] D.2.09.
[1905] D.1.19, D.1.31, D.1.36, D.2.19.
[1906] D.1.62, D.3.03.
[1907] D.2.51.
[1908] D.1.36.
[1909] D.1.38, D.2.15.
[1910] D.1.53, D.2.36, D.2.61, D.2.64 et suivants, D.3.11.
[1911] Ou quatre si l’on différencie la fonction apostolique de la troisième étape.
[1912] D.1.01.
[1913] D.2.04.
[1914] D. 2.68.
[1915] D. 2.65.
[1916] Poiret a par contre disposé de plusieurs copies selon son annotation au D.2.19 : « Il y a des copies où tout ce qui est entre ces deux crochets ne se trouve point. »
[1917] J. Le Brun nous a transmis les résultats de sa recherche, confirmés par une recherche de simultanéité d’occurrences portant sur la majorité des pièces de la Correspondance, les Torrents, certains manuscrits des Arch. Saint-Sulpice, une fraction des Explications.
[1918] Hadewijch d’Anvers, poèmes…, Seuil, 1954 : voir les annotations, pages 184-185, de Fr. J.-B. P[orion] sur le problème des sources de Catherine de Gênes.
[1919] A savoir : (Cantique) pour le Commentaire au Cantique de Mme Guyon ; (Grande Dame du pur amour) pour La Grande Dame du Pur Amour, Sainte Catherine de Gênes (1447-1510), traduction et notes de P. Debongnies, numéro des Etudes Carmélitaines, Desclée de Brouwer, 1960 ; (Poiret Explic.) pour son édition des Explications de Mme Guyon ; (Poiret note) pour les notes figurant dans son édition des Discours ; (Sacy) pour La Bible, traduction de Louis-Isaac Lemaître de Sacy, établie par P. Sellier, Laffont, 1990.
[1920] Madame Guyon fut enfermée huit mois à la Visitation St-Antoine en 1688, puis six mois à la Visitation de Meaux en 1695, enfin de façon continue de la fin décembre 1695 à mars 1703, passant dix mois à Vincennes, vingt mois à Vaugirard, quatre ans et neuf mois à la Bastille. Au total, sur la période « parisienne », les 8,4 années d’emprisonnements l’emportent sur les 7,8 années passées en liberté. Elle témoigne ainsi de terribles conditions et pressions psychologiques dans son Récit des prisons (notre quatrième partie de La vie…, 881sq.), chap. 4, § 6 : « Alors le P. Martineau me dit : « Je n'ai de pouvoir de vous confesser qu'en cas que vous alliez mourir tout à l'heure. » Je lui dis que, s'il me prenait quelques nouvelles syncopes, je ne serais plus en état de me confesser et qu'ainsi je mourrais sans confession. »
Sur la présence d’un « mouton », technique utilisée de tout temps pour obtenir des informations : « J'avais toujours cette femme qui épiait mes paroles et toutes choses, croyant faire fortune par là. Une de mes femmes m'envoya, par Desgrez, un bonnet piqué qu'elle avait fait. Cette femme le décousit. Il y avait un billet écrit de son sang, n'ayant pas d'encre, et elle me mandait, dans un petit morceau que j'y trouvai encore, qu'elle serait toujours à moi malgré ce qu'on lui pouvait faire. Elle le prit encore et donna le tout à M. du Junca. »
[1921] « Deuxième chambre de la tour du Trésor » (Journal de M. Du Junca, Ravaisson, IX, p. 67) soit un « appartement » obscur car on pouvait difficilement y lire compte tenu de l’épaisseur des murs (1,5 m.) combinée à l’étroitesse des ouvertures, d’une surface intérieure que nous évaluons à 30 m2. Vivaient là : la prisonnière avec au moins une personne de compagnie (une servante aimée de Mme Guyon, qui, trop fidèle, sera remplacée par des « moutons » successifs). Par ailleurs les archives de la Bastille renseignent sur ce qui tenait lieu de chauffage aux prisonniers, notamment pendant le terrible hiver de 1709 : « [G. Gerberon] a repris une partie de ses forces qu’il conserve par le secours de deux ou trois bouteilles de vin qu’il boit tous les jours » Philippe Lenain, Dom Gabriel Gerberon…, Septentrion, 1997, pp. 167 et 168 (voir ses notes 1192 et 1185). Elles renseignent aussi sur les conditions à Vincennes, selon le récit qu’en fit en 1710, dans trois lettres écrites du monastère de Saint Florent de Saumur, un bénédictin prisonnier, Dom Thierry de Viaixnes : « il n’y a rien qu’on n’emploie, les faux actes, les calomnies, les interrogatoires falsifiés ou supposés ... même quelquefois d’autres prisonniers gagnés et corrompus. » Le même continue : « C’est un usage qu’on a tiré d’Italie ... Il consiste dans l’infection de tous les aliments qu’on donne aux prisonniers sans exception et même du linge ... de tout ce qui est à leur usage, et cela particulièrement par le sel végétal, le soufre, l’ail, le pavot et autres drogues qu’on emploie pour faire perdre la mémoire aux prisonniers, ... pour les faire parler pendant qu’ils dorment la nuit ... Ces ingrédients bien ménagés empêchent quantité de maux et surtout la fièvre, ils entretiennent nets et sans vermines, mais ils attaquent le cerveau d’une manière inexprimable. On en augmente et diminue les doses selon les différentes situations où on veut mettre le prisonnier ». Mme Guyon rapporte de son côté le service rendu par un médecin charitable qui la prévient à mi-voix de ne pas prendre un remède proposé (probablement un opiat).
[1922] Ms. 2057, pièce 34°.
[1923] Sur cette seconde série de tortures morales, dans son Récit des prisons, 4.6, Mme Guyon témoigne ainsi : « Sitôt que je pus me tenir debout [en équilibre] dans une chaise, M. d’Argenson vint m'interroger. Il était si prévenu et avait tant de fureur que je n'avais jamais rien vu de pareil. […] J'avais résolu de ne rien répondre. Comme il vit en effet [que] je ne lui répondais rien, il se mit dans une furieuse colère et me dit qu'il avait ordre du roi de me faire répondre. […] On commença, quoique je fusse très faible, un interrogatoire de huit heures sur ce que j'avais fait depuis l’âge de quinze ans jusqu'alors, qui j'avais vu, et qui m'avait servie. Ces trois articles furent le sujet de plus de vingt interrogatoires, chacun de plusieurs heures […] rien ne m'a jamais tant fait souffrir que ces interrogatoires où, sûre de dire la vérité, je la disais, mais je craignais de ne la pas dire assez exactement, faute de mémoire. Les tours malins que l'on donnait à tout et aux réponses les plus justes, ne les rendant jamais ni dans les termes, ni dans le sens, sont des choses qui ne se peuvent exprimer. » D’Argenson est décrit ainsi par Saint-Simon : « Avec une figure effrayante qui retraçait celle des trois juges des enfers, il s'égayait de tout avec supériorité d'esprit. [Il avait] un discernement exquis pour appesantir et alléger sa main, penchant toujours aux partis les plus doux, avec l'art de faire trembler les plus innocents devant lui. ».
[1924] Lettres 365 & 366 à la Reynie, 5 au12 avril 1696, Correspondance, II Combats, 516-517.
[1925] A.S.S. pièce 2057, section 23° (voir sources manuscrites décrites dans le texte principal). Reproduit dans : Vie par elle-même, Champion-Slatkine, 2001, « Cantique V », p. 1041. La pièce est écrite dans un fascicule de tout petit format pour pouvoir le cacher et écrit très serré par manque de papier.
[1926] A.S.S. pièce 2057, section 39°. Extrait du cantique intercalé entre des passages rétablis dans la Vie… dont le fameux texte décrivant la rencontre avec Fénelon. - En marge du poème figure un autographe de Mme Guyon (alors que le texte lui-même est une copie): « ce sont des vers fais (sic) dans ma prison » (souligné deux fois). – Reproduit dans : Vie…, op.cit., « Cantique VI », p.1042.
[1927] A.S.-S., pièce 2057, section 34°, f°280r° à 303°, ensemble de très petit format, partiellement autographe, écrit très serré à partir du f°286.
[1928] Ce poème qui ne traduit pas la déréliction fut édité fidèlement : Poésies et cantiques, Tome I , XXII, « Il ensemence et rend l’esprit fécond. »
[1929] L’enfance des débuts de la vie spirituelle.
[1930] Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, Lettre n°370 adressée au marquis de Fénelon (1716 ?). « Le boiteux » est le surnom affectueux donné à Gabriel-Jacques de Salignac de La Mothe, marquis de Fénelon, qui reçut une grave blessure le 31 août 1711 au siège de Landrecies, lors de l’enlèvement du camp ennemi.
[1931] Vol. 1, Cantique 3, p. 4 : Le Tout de Dieu et le Rien de l’homme. Sur l’air de : La jeune Iris me fait aimer ses chaînes !
[1932] Vol. 1, Cantique 8, p. 12 : Les dons de Dieu doivent retourner à lui. Sur l’air de : Leandre ; ou : Dirai-je mon Confiteor…
[1933] Vol. 1, Cantique 23, p. 34 : La vraie pauvreté d'esprit. Sur l’air de : Je ne veux de Tirsis.
[1934] Vol. 4, Sect. II, Ct 79 : Dieu seul est tout en l’âme anéantie. Sur l’air de : Joconde, ou : Seigneur ! Vous avez bien voulu.
[1935] Madame Guyon, Récits de captivité, op.cit., « XV - Le Tourbillon, n°62 ». Sur l’air de : Celui qui m'a soumise.
[1936] Vol. 1, Ct 73 : Extase de la volonté. Sur l’air de : Mon cher troupeau : ou, Réveillez-vous.
[1937] Vol. 4, Sect. IV, Poème 14, p. 160 : Vie heureuse d'une âme abandonnée & perdue en Dieu.
[1938] Vol. 1, Ct 46, p. 73 : Extase de la volonté. Sur l’air de : Mon cher troupeau : ou, Réveillez-vous.
[1939] Vol. 1, Ct 156, p. 253 : Suivre Dieu sans savoir où. Sur l’air de : On ne vit plus dans nos forêts.
[1940]
Vol. 3, Ct 43 : Loi du divin amour. Sur l’air de : Le beau berger Tirsis.
[1941]
Vol. 3, Ct 58 : Les états de Jésus-Christ portés par les âmes fidèles… Sur l’air de :
Les folies d'Espagne.
[1942] Vol. 1, Ct 175, p. 285 : Tranquille douceur de l'amour divin en une âme ressuscitée. Sur l’air de : La jeune Iris.
[1943] Vol. 3, Ct 156, p. 228 : Amour pur insensible. Sur l’air de : La jeune Iris.
[1944] Vol. 4, Sect. IV, Poème 13 : …Pauvreté abondante d’une âme ressuscitée avec lui [Jésus-Christ].
[1945] Vol. 1, Cantique 122, p. 199 : Nature et effets d’un abandon véritable… Sur l’air de : L’éclat de vos vertus.
[1946] Vol. 1, Ct p.172 : Nuit effroyable de l’esprit. Sur l’air de : Hélas ! Brunette.
[1947]
Vol. 1, Ct 32, p. 49 : Bonheur de l'anéantissement. Sur
l’air de : Songes agréables.
[1948] Vol. 3, Ct 141, p. 206 : Heureuse perte en Dieu. Sur l’air de : La bergère Célimène.
[1949] Le choix de 1990 comme date de départ conduit à omettre les publications de la correspondance avec Fénelon par Masson, 1907, de textes par Griselle, etc. Ces apports ont été intégrés dans les publications postérieures à 1990. Restent à mettre en valeur les compte-rendus des interrogatoires, ouvrage qui incluant des extraits de témoignages (édités dans la Correspondance), prendrait la suite de l’année 1695 sur laquelle s’achève le Crépuscule des mystiques de Cognet.
[1950] Les approches directes de l’animatrice du cercle quiétiste sont rares malgré l’immense littérature consacrée à la querelle et à ses suites.
[1951] Le « Glossaire (thèmes spirituels) » donné dans Correspondance I Directions Spirituelles, pages 873-881, forme un florilège qui peut être lu pour lui-même, à mi-chemin entre la stérilité d’un dictionnaire par mots (Mme Guyon utilisant le vocabulaire le plus simple), et l’abondance que demanderait une étude approfondie par thème. On peut également consulter l'index du vocabulaire mystique donné à la fin de Maurice Masson, Fénelon et Mme Guyon. Documents nouveaux et inédits, Paris, 1907, et surtout ceux de la grande édition Poiret du début du XVIIIe siècle.
[1952] Des cercles actifs existaient à Blois auprès de Madame Guyon, à Cambrai auprès du « père » archevêque Fénelon, en Hollande auprès de Pierre Poiret (1646-1719), érudit et premier éditeur d’une œuvre pour laquelle il rassembla de nombreuses sources, en Écosse, enfin en Suisse dont le groupe de disciples fut par la suite animé par le second éditeur Jean-Philippe Dutoit (1721-1793).
[1953] Nous éditons intégralement la correspondance entre madame Guyon et Fénelon dans la même série (La direction de Fénelon par Madame Guyon). Le volume reprend la correspondance couvrant un peu plus d’une année (1688-1689), bien connue, car éditée par Dutoit, puis couvre les années 1690 à 1711, suite méconnue, car redécouverte récemment.
[1954] Elles font partie des 623 lettres que nous avons publiées en Correspondance Tome III Chemins mystiques, Honoré Champion, 2005 ; ici les notes sont réduites. Nous rappelons entre crochets leurs n° de l’édition critique et de l’édition Dutoit (à partir de la cinquième lettre retenue).
[1955] Méfiance en terres catholiques après les condamnations du quiétisme (1687, Molinos ; 1699, Fénelon) comme en terres protestantes vis-à-vis de la mystique en général. L’œuvre inspira cependant des piétistes (dont Poiret et Dutoit), des méthodistes, des quakers. Elle est aujourd’hui lue et appréciée beaucoup plus largement.
[1956] Lettre 41. « Foi passive et nue. Abandon ».
[1957] Lettre 4. « État d’une âme perdue en Dieu ». - En contrepoint à notre citation : Madame Guyon, La vie par elle-même, « 3.21 L’état simple et invariable », Honoré Champion, 2001, page 873 : « …Le fond de cet état est un anéantissement profond, ne trouvant rien en moi de nominable […] tout est perdu dans l’Immense, et je ne puis ni vouloir ni penser. » - Les premières lettres données infra 1 à 4 sont « récapitulatives », car elles proviennent en conclusion d’une autre source, signalée en fin de lettre n°1.
[1958] Expérience mystique reconnue dans toutes les traditions, par exemple sous le nom de bhakti en Inde.
[1959] Les Torrens (1683) de la jeune Madame Guyon demeure le texte le plus reconnu pour son élan et pour ses suggestives comparaisons empruntés à la nature. C’est un « poème » pour certains, une carte spirituelle pour d’autres.
[1960] Jeanne-Marie GUYON, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 29, 2001.
[1961] Déclaration indiquant la disposition à se ranger sous l’autorité de quelqu’un, à obéir.
[1962]Expression utilisée par Tronson dans sa correspondance avec des tiers religieux.
[1963]« La spiritualité du Directeur mystique ressemble étrangement à celle de Mme Guyon. Est-ce M. Bertot qui l’a formulée ou est-ce Mme Guyon qui l’a attribuée à son directeur ? » Dictionnaire de Spiritualité (DS), [1937], vol. I, col. 1537.
[1964] Déjà en 1907, Masson, reprenant des lettres éditées au XVIIIe siècle, en avait retiré des parties jugées d’intérêt purement spirituel. La correspondance « définitive » de Fénelon, éditée de 1972 à 1999, omet les lettres de Madame Guyon. Cette apparente injustice s’explique : une édition séparée avait été envisagée, comme en témoigne l’annotation d’Orcibal, t. III, p. 226 : « M. Irénée Noye […] publiera bientôt les lettres de Mme Guyon, beaucoup plus nombreuses et plus longues. » Mais ce dernier fut absorbé par l’achèvement de la Correspondance de Fénelon. Il nous a généreusement aidé dans notre entreprise en nous communiquant ses travaux préparatoires.
[1965] Voir L. Cognet, Crépuscule des Mystiques, Desclée, 1958 ; J. Le Brun La Spiritualité de Bossuet, Klincksieck, 1972 ; DS, tome 12, art. « Quiétisme », II. France ; Fénelon, Œuvres I, notices par J. Le Brun, Gallimard, Bibl. de la Pléiade, 1983. […]
[1966] On la complètera par la biographie chronologique plus ample donnée en annexe à La Vie par elle-même, Champion, 2001, p. 1052-1070.
[1967] « Madame Guyon , rencontres autour de la vie et l’œuvre », Actes du colloque de Thonon-les-Bains qui eut lieu en septembre 1996, publiés par Jérôme Millon, Grenoble, 1997. V. « Etat… » p. 51-61.
[1969] Une précieuse liste détaillée fut établie en vue de préparer cette synthèse. Elle associe à chaque numéro de pièce (« A.S.-S. pièce xxxx » dans cette édition) son incipit. Sa saisie informatique nous fut libéralement communiquée par monsieur Noye en octobre 1996, au premier jour de notre entreprise. Nous l’avons reprise et revue.
[1970] Nous ne reprenons pas cette présentation par destinataires mais regroupons les sources par types. Le regroupement par destinataires se retrouve en effet dans l’édition elle-même comme Directions puis dans la mesure où le duc de Chevreuse et la « petite duchesse » de Mortemart se succèdent l’une à l’autre dans le second volume Combats.
[1971] Des informations détaillées sur les sources figurent à la fin de chacune des lettres. Nous les répétons sans trop les abréger, afin de faciliter l’utilisation séparée d’une lettre. De même la numérotation de nos notes, sans compter celle des variantes, est reprise à chaque lettre.
[1972]
Pierre Poiret (1646-1719), pasteur qui vécut près d’Amsterdam, fut un défenseur
de la mystique remarquable par ses travaux d’édition. Il devint à la fin de sa
vie un disciple apprécié de Madame Guyon que nous présentons en tête de la
dernière section de ce volume intitulée : Autres directions et relations après
1703.
[1973] Sur le pasteur Jean-Philippe Dutoit (1721-1793), enthousiaste disciple guyonien et personnage notable dans l’histoire littéraire de la Suisse d’expression française, v. J. Chavannes, Jean-Philippe Dutoit…, Lausanne, 1865, & A. Favre, Un théologien mystique vaudois, Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911.
[1974] La « Correspondance secrète » fut écartée en vue de préserver Fénelon, jusqu’à l’ouvrage de Masson paru en 1907.
[1975] Il constitue en quelque sorte un « tombeau » littéraire - on pense aux « tombeaux » musicaux élevés par Marais à Lully (1701), par Weiss à Mr de Logy (1721) - où Monsieur Bertot est présenté en préface par Madame Guyon. Le Directeur Mystique est un des rares livres présents chez Dutoit lors de la saisie effectuée par la police bernoise. De nombreuses lettres sont adressées à Madame Guyon, souvent en réponse aux questions que celle-ci pose sous forme de « lettres à l’auteur ».
[1976] Ces 21 dernières lettres de Madame Guyon se retrouvent aussi dans l’édition Dutoit.
[1977] Le Directeur Mystique ou Extrait des oeuvres Spirituelles de Monsr. Bertot. Ami intime de feu Mr Bernières et directeur de Mad. Guyon, tiré des quatre volumes de ces mêmes oeuvres de M. Bertot imprimé à Cologne 1726. À Berlebourg, imprimé par Christoffle Michel Regelein, 1742, 488 pages.
[1978] La liste complète des traités figure dans notre édition de la Vie par elle-même, annexe « Bibliographie ».
[1979] Les éditeurs pratiquaient en général la récupération des manuscrits qui étaient recyclés et ainsi perdus. Poiret, qui rassembla patiemment un grand nombre d’entre eux, eut certainement la volonté de conserver les autographes de Madame Guyon mais sa bibliothèque fut perdue. Cela explique la complémentarité entre les deux grandes masses, imprimés et manuscrits, qui ne se recouvrent presque jamais.
[1980] Isaac Du Puy ou Dupuy, fidèle disciple qui vivra longtemps et sera la « mémoire » respectée par le cercle des disciples, informateur en 1733 du marquis de Fénelon. Voir ci-après sa biographie en note de la lettre du 16 février 1690.
[1981] Copiste également du ms. d’Oxford de La Vie, gentilhomme normand qu’on voit dans l’entourage de Mme Guyon qui l’avait chargé en 1695 de lui trouver en Normandie un couvent où elle pourrait demeurer inconnue. Il est auprès de Mme Guyon lors de l’arrestation de celle-ci, le 27 décembre 1695 à Popincourt. En janvier 1707 il est auprès de Jeanne Guyon à Blois…
[1982] Voir la note d’Orcibal, (CF), tome III, p.226 ; quelques lettres furent insérées dans l’édition (du XVIIIe s.) des Lettres chrétiennes et spirituelles de Madame Guyon.
[1983] E. Picard, « Les Théatins de Saint-Anne-la-Royale », Regnum Dei, 1980, 99-374. Nous citons ici les deux passages susceptibles de faciliter une recherche : « …on se prend à penser que les théatins partageaient pour le moins les préventions de Nicole pour la mystique : à peine 4% de la section [soit : c) La Théologie], 22 volumes dont 18 [nous soulignons] de la seule Madame Guyon… » (p. 303) ; « L’inventaire de leur bibliothèque fait en 1791 lorsque la municipalité parisienne fit mettre les scellés sur la bibliothèque avant de déménager les livres au dépôt de Saint-Paul […][en note : ] est conservé aux Archives Nationales sous la cote S 4354-55. » (p. 269-270).
[1984]
Récapitulatif par volumes ou ms. du
« fond Guyon » des A.S.-S. établi par I. Noye, que nous
résumons ainsi :
ms 2055 de 229 ff. : Copie Isaac Dupuy, principalement de lettres à Chevreuse.
ms 2056 de 960 p. : Torrents, Catéchisme de la mère Bon, poèmes.
ms 2057 de 322ff. : Purgatoire, fragment de la Vie, Ecrits de jeunesse, lettres et poèmes.
ms 2170, pièces 7014 à 7026 : Soumissions, témoignages, lettres.
ms 2171, pièces 7029 à 7122 : Anonyme et notes modernes.
ms 2172, pièces 7133 à 7232 : Lettres à Chevreuse principalement, autographes et copies.
ms 2173, 205 p. : Copie de La Pialière.
ms 2174, pièces 7246 à 7330 : Suite des lettres à Chevreuse et à la « petite duchesse ».
ms 2176, 195p. : Livre du Marquis de Fénelon.
ms 2177, pièces 7421 à 7492 : Lettres aux disciples (Marquis de Fénelon, Metternich, Ecossais…)
ms 2178, pièces 7499 à 7566 : Suite des lettres aux disciples (Marquis de Fénelon principalement, Ramsay)
ms 2179, pièces 7569 à 7596 : Certificats, soumissions, lettres de Lacombe, etc.
[1985] On peut négliger les publications antérieures à 1900. Citons toutefois l’apparat critique de l’édition de Saint-Simon par Boislisle et des éditions non remplacées d’œuvres de Fénelon incluant, dans celle de 1828 chez Le Clere à Paris, une correspondance élargie aux pièces « quiétistes » ; l’édition Gaume-Lefort de 1848-1852 est plus complète mais moins fidèle.
[1986] On note la confusion possible entre les contenus de l’appendice III appartenant au tome VI et ceux de l’appendice III appartenant au tome VII !
[1987] De même un parallèle peut être avancé entre la naïveté du P. Lacombe et la « candeur sainte » du P. Jérôme Gracien (v. Thérèse d’Avila, Œuvres complètes, Paris, Les éditions du Cerf, 1995, p. 1638).
[1988] Prenant la suite de l’éditeur Poiret - ce dernier probablement responsable aussi de certains ajouts entre parenthèses - nous n’avons pas cru devoir convertir celles-ci en crochets, sauf cas évidents.
[1989] C’est une des raisons de présenter un texte modernisé dont nous venons d’exposer les libertés. Nous avons constitué, pour notre travail, en ce qui concerne Bertot et Guyon, un corpus scanné ou photographié. Il pourrait - avec l’accord des A.S.-S. et de notre éditeur - être mis à la disposition des chercheurs sur un ou des sites à définir ou sous forme de Cdrom.
[1990] Le rôle de la Mère Granger fut probablement aussi important.
[1991] Les voyages comme une relative obscurité expliquent cette disparition ; la correspondance avec le P. Lacombe est regroupée en fin de II Combats.
[1992] Poiret, les deux frères Homfeld, von Ewijck et son épouse, Wettstein… Certains vivaient en communauté au village de Rijnsburg, près de Leyde.
[1993] Particulièrement près d’Aberdeen. Ce qu’illustrent par exemple les échanges épistolaires croisés au moment de la mort de Madame Guyon, dont on trouvera quelques exemples à la fin de la « série écossaise ».
[1994] Particulièrement à Morges. À Lausanne perdurera un groupe guyonien actif, illustré plus tardivement par Dutoit (1721-1793).
[1995] La fin de ce volume regroupe donc les directions qui d’un point de vue chronologique devaient appartenir au volume III – ce qui l’eût démesurément grossi tout en rendant difficiles d’utiles comparaisons entre formation reçue et enseignement.
[1996]Lettre 51 de Bertot (2e lettre avant avril 1681).
[1997]Lettre 55 de Bertot (6e lettre avant avril 1681).
[1998]« Elle [Geneviève Granger] avait reçu de Dieu une lumière surnaturelle pour connaître l’intérieur de ses filles […] Approchant d’elle, leurs nuages étaient dissipés… » Mère de Blémur, Eloges de plusieurs personnes…, t. II, p. 417 ss., Paris, 1679.
[1999]Lettre 107 à Fénelon, mars 1689.
[2000]Lettre 95 à Fénelon.
[2001]Lettre 116 à Fénelon, mars 1689.
[2002]Explication sur saint Matthieu, chap. XVIII, versets 19 et 20 : « De plus je vous dis, que si deux d'entre vous s'accordent ensemble sur la terre, quoi qu'ils demandent, il leur sera donné par mon Père qui est dans les cieux. 20. Car en quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en son nom, je m'y trouve au milieu d'eux. » (trad. des Explications).
[2003]Lettre 132 à Fénelon, début mai 1689.
[2004]Lettre 177 à Fénelon, 27 juillet 1689.
[2005]Lettre 255 à Fénelon, avril 1690.
[2006]Lettre 85 à Fénelon, octobre-novembre 1688.
[2007]Lettre 124 à Fénelon, avril 1689.
[2008]Lettre 273 à Fénelon, juin – juillet 1690.
[2009]Lettre 283 à Fénelon, automne 1690.
[2010]Lettre 442 du Dr James Keith à Lord Deskford, 10 septembre 1717.
[2011]Lettre 220 à Fénelon, janvier 1690.
[2012]Lettre 292 à Fénelon, 1690.
[2013]Lettre 171 à Fénelon, 18 juillet 1689.
[2014]Même lettre 171.
[2015]Lettre 223 à Fénelon, décembre 1689. De même, la lettre 146 : « L’on me fait tout porter, tout souffrir et tout soutenir pour vous. »
[2016]Lettre 443 à Lord Deskford, 12 janvier 1715.
[2017]Lettre 276 à Fénelon, été 1690.
[2018]Lettre 283 à Fénelon, automne 1690.
[2019]Lettre 434 de 1717.
[2020]Lettre 52 de Bertot (3e lettre avant avril 1681).
[2021]Lettre 276 à Fénelon, été 1690.
[2022]Lettre 248 à Fénelon, entre le 1er et le 11 avril 1690.
[2023]Comme en témoigne la lettre 264. Voir aussi les conseils qu’elle lui donne à propos de ses amis.
[2024]Lettre 164 : « …il me paraît qu’en mourant, je ne changerais point de disposition et que je vous emporterais de cette sorte dans le ciel, où vous me seriez en Dieu là-haut ce que [vous] m’êtes ici en Dieu, et où je ferais incessamment auprès de Lui ce qu’il m’y faut faire ici. »
[2025]Lettre 248.
[2026]Lettre 428 au baron de Metternich, 1715 : « …Vous avez sans doute appris la perte que nous venons de faire par la mort de N. [Fénelon]. Mais il est présentement dans le sein de Dieu. Il est plus que jamais avec nous si nous savions le trouver dans notre centre commun. Pour moi, je le trouve plus que jamais présent à mon cœur. Je ne puis croire que je l’ai perdu. Je lui parle, et je le prie de prier le divin petit Maître d’avancer Son règne. Unissez-vous à lui : il connaît vos infirmités, et vous procurera de grands secours. »
[2027]Lettre 444 à Lord Deskford, 13 mars 1715.
[2028]Lettre 430 du baron de Metternich, 19 août 1716.
[2029] Le directeur Mystique [sic] ou les Oeuvres spirituelles de M. Bertot…, 1726, analysé précédemment dans les sources de la correspondance.
[2030] Jean de Bernières, mort en 1659, fit l’objet d’une condamnation post-mortem en 1689.
[2031] Dont probablement Madame de Charost (1641 ? – 1716), qui eut elle-même une influence sur la jeune Madame Guyon : « Je voyais sur son visage quelque chose qui me marquait une fort grande présence de Dieu… » Vie 1.8.2.
[2032] Voir ses œuvres éditées sous le titre L’entrée à la Divine Sagesse…, Bibliothèque mystique du Carmel, Soignies, 1921 ; DS, art. « Maur de l’Enfant-Jésus » par Blommestijn, le spécialiste de Jean de Saint-Samson ; M. de Certeau, « Le Père Maur de l’Enfant-Jésus… », Revue d’Ascétique et de Mystique, no. 139, 1959, p. 266-303.
[2033] DS, art. « Maur de l’Enfant-Jésus », 10.829.
[2034] DS, 10.830.
[2035]20e lettre de Maur.
[2036]2e lettre de Maur.
[2037]12e lettre de Maur.
[2038]2e lettre de Maur.
[2039]19e lettre de Maur.
[2040]1re lettre de Maur.
[2041]20e lettre de Maur.
[2042]1ere lettre de Maur.
[2043]13e lettre de Maur.
[2044]20e lettre de Maur.
[2045]1erelettre de Maur.
[2046]4e
lettre de Maur.
[2047]3e lettre de Maur.
[2048]11e lettre de Maur.
[2049]21e et dernière lettre de Maur.
[2050] Catherine de Bar, Lettres inédites, Bénédictines du Saint sacrement, Rouen, 1976 : lettres à la Mère Dorothée du 3 septembre 1659 et du 8 août 1660.
[2051] Addition 127 au Journal de Dangeau dans Boislisle, t. II, p. 413.
[2052] Boislisle, t. XXX, 71.
[2053] Nous complèterons cet aperçu historique par des textes normatifs et par des extraits d’autres lettres dans un ouvrage séparé, Monsieur Bertot, Directeur mystique de Madame Guyon, qui, après une étude historique, présentera un choix fait dans ses sept ouvrages publiés sans nom d’auteur.
[2054]Lettre 23.
[2055]Lettre 24.
[2056]Lettre 33 du 22 mars 1677.
[2057]Lettre 24.
[2058]Ces lettres constitueront le début du volume III Mystique.
[2059]Nous indiquons entre crochets la pagination de ce vol. I du DM.
[2060] Voir Orcibal, Jean, Correspondance de Fénelon, Tome I, Fénelon, sa famille et ses débuts, Klincksieck, 1972 – V. la Chronologie figurant dans la CF, t. III, p.480-496, pour étudier en détail la période 1659-1694 (nomination à l’archevêché de Cambrai – V. les Notices de Fénelon, Œuvres I & II, Gallimard Pléiade, éd. présentée, établie et annotée par J. Le Brun, 1983 & 1997.
[2061]Les lettres de Fénelon - notre correspondance passive - ayant été éditées seules : Fénelon (Orcibal), t. II.
[2062] La correspondance Fénelon (Orcibal) édite en deux « lettres » séparées la séquence des questions diverses de Fénelon puis la séquence de leurs réponses par Madame Guyon : ainsi chaque « lettre » (numéros 1373 et 1373A ) présente une séquence de paragraphes disjoints au niveau du sens, ce qui n’incite guère à comparer la première lettre à la suivante - tâche d’ailleurs malaisée : le lecteur doit avoir préalablement numéroté tous les paragraphes afin d’accorder les réponses aux questions. En outre le respect de l’orthographe guyonienne (respect dont le caractère exceptionnel est d’ailleurs signalé dans l’introduction aux notes de la lettre 1373A) obscurcit le sens. Il faut s’intéresser de bien près à la direction spirituelle pour surmonter de tels obstacles.
[2063] Correspondance (Orcibal), tome I, p. 241-267.
[2064]« Je vous l’ai écrit dès le commencement, dans le temps même que je n’avais point de commerce [spirituel] de lettres avec vous. » (lettre 85, octobre-novembre 1688). V. la discussion de Masson, « Introduction », p. XXXVI-XXXVII, soulignant les rapports probables entre le supérieur des Nouvelles Catholiques et la fondatrice à Gex.
[2065]On utilise la chronologie donnée en fin du tome III de la Correspondance de Fénelon par Orcibal, qui s’appuie elle-même en partie sur Masson, ainsi que de rares indications datées fournies par la Vie et par la Correspondance. Aucune lettre autre que celles échangées avec Fénelon ne nous est parvenue pour la période 1689-1690.
[2066]Vie 3.10.1-2 et Correspondance (Orcibal), t. III, note 1, p.153.
[2067]Vie 3.11.1-2.
[2068]Correspondance (Orcibal), t. III, note 1, p.159 ; note 15, p. 168.
[2069]Correspondance (Orcibal), t. III, note 2, p. 182-183.
[2070]Correspondance (Orcibal), t. III, note 12, p. 189.
[2071]Correspondance (Orcibal), t. III, note 1, p. 211.
[2072]Correspondance (Orcibal), t. III : note 2, p. 221 et note 4, p. 223 ; v. lettre 215 du 26 novembre : « je cherche souvent votre cœur… »
[2073] Correspondance (Orcibal), lettre 96.
[2074]Lettre 231 de Madame Guyon à Fénelon.
[2075]Vie 3.11.5.
[2076]« J’espère que vous vous trouverez bien d’entrer en société spirituelle avec M. N. Vous vous aiderez mutuellement dans le chemin de la foi et de l’amour. Je veux bien y entrer en tiers en esprit. » (Première lettre de Madame Guyon).
[2077]A. Delplanque, Fénelon et ses amis, Paris, 1910, VI, 167ss.
[2078]R. Faille, « Autour de l’Examen de conscience pour un roi de Fénelon », Revue Française d’Histoire du livre 1974, page 7, note 1.
[2079] Œuvres spirituelles de feu Monseigneur François de Salignac de La Mothe-Fenelon, …, nouvelle édition revue et considérablement enrichie [par rapport à celles de 1718 et 1723], À Rotterdam, Chez Jean Hofhout, 1738 in-4; réédité sans nom d’éditeur, mais précédé d’un “Avis de l’imprimeur” qui s’étend sur “l’amour de Dieu pour Lui-même”, 1740, 4 vol. in-12.
[2080]Pages III-XLVIII de l’édition de 1738. Nous éditerons dans le vol. II Combats cet exposé clair et précis de la Querelle. Le texte du marquis reflète en effet fidèlement la vision du cercle guyonien, représenté dans le Complément à la Vie de Lausanne, précédemment édité à la suite de la Vie.
[2081]La plus grande partie est en fait consacrée à Madame Guyon : pour cette raison nous l’éditons dans le volume II Combats.
[2082]Sauf pour la trente-huitième et dernière, que nous avons placée en tête, et deux interversions justifiées par les dates.
[2083]Le directeur Mystique…, vol. II à IV, 1726.
[2084] M. Chevallier, Pierre Poiret 1646-1719, Du protestantisme à la mystique, Labor et Fides, 1994.
[2085] Supplément à la vie de Madame Guyon écrite par elle-même, ms. de Lausanne TP1155, édité dans : Vie, « Compléments biographiques ».
[2086] CHEVALLIER, Marjolaine, Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, tome V, Koerner, Baden-Baden, 1985.
[2087] M. Chevallier, Pierre Poiret…, p. 76.
[2088] ANDERSON, Mystics of the N.-E., 1934.
[2089] Lettre du 10 novembre 1739, citée par M. Chevallier, Pierre Poiret…, p. 118.
[2090]Adaptation de la courte notice parue dans : Biographisch-Bibliographisches Kirchenlexicon, Verlag Traugott Bautz, Herzberg 1993, V. band, p. 1399. Bibliographie jointe : La joie permanente de l’esprit et une collection d’écrits théosophiques parus en 1729.
Le catalogue de la B.N.F. en donne le résumé suivant : « Alethophili Meditationes aliquot sacrae et philosophicae : I. de existentia Dei, immortalitate animae … II. de Sacrosancta Trinitate ; III. de activitate creaturarum propria … IV. de aparitionibus spirituum ; V. de una, vera et catolica fie … VI. de fide falsa … VII. de transmutatione metallorum … VIII. de artibus philosophorum ad occultandam artem …, Francofurtiae, 1729, In-8°, 119 p. » (Catalogue des livres, Auteurs, no. 113, « Metternich (Bon Wolf von) pseud. Alexophilus… »).
On voit que le baron continua à s’intéresser à la « chimie », malgré les conseils de Madame Guyon : « Votre application à la chimie peut vous divertir quelques moments, mais je ne voudrais pas en faire mon application : vos affaires, le temps qu’il faut donner à Dieu doivent être préférés à tout. » (lettre 389).
[2091] M. Chevallier, Pierre Poiret…, p. 135-136.
[2092] Henderson, G. D., Mystics of the North-East, Aberdeen, printed for the Third Spalding Club (serie of nearly vol.), 1934 ; outre la correspondance éditée, la remarquable Introduction (p. 11-73) fait revivre le groupe quiétiste.
[2093] Scougal, Life of God in the soul of man, 1677 ; réédité de nos jours : Christian Heritage, 1996.
[2094] Henderson, p.61.
[2095] Prophétesse mystique née à Lille en 1616, morte exilée et persécutée en 1680 ; v. M. Chevalier, Pierre Poiret, op.cit., chap. III.
[2096] Henderson, p. 38 & 60.
[2097] Henderson, p. 67.
[2098] Henderson, p. 34.
[2099] Henderson, p. 85, relève la confusion qui s’ensuit chez Cherel ; la corruption en «milor Exford » est présente dans le cahier de lettres du marquis de Fénelon.
[2100] Il existe une branche suédoise guyonienne dont le lien pourrait ainsi provenir des Forbes. Mais deux autres contacts s’avèrent possibles, l’un suisse, passant par le chevalier de Klinkjoström, et l’autre hollandais, passant par le compagnon suédois de Poiret, I. Norraüs.
[2101] The House of Forbes, ed. by A. & H. Tayler, Aberdeen, printed for the Third Spalding Club, 1937, v. p. 239ss. & 348ss. ; paru postérieurement à l’étude d’Henderson.
[2102] id., p. 348.
[2103] The House of Forbes, p. 349-350.
[2104] Henderson, p. 46.
[2105] Henderson, p. 50.
[2106]
A. Chérel, Un aventurier religieux au
XVIIIe siècle, André-Michel Ramsay,
Paris, 1926 – G. D. Henderson, Chevalier
Ramsay, Aberdeen, 1952.
[2107] Chérel, Un aventurier…, p. X.
[2108] Encyclopédie de la Franc-Maçonnerie, art. « Ramsay », 2000, p.697.
[2109] Cahiers de la grande loge de France, 1982, VIOT, M., « Inquiétude mystique et quête de la réintégration : les origines de l’Ecossisme. »
[2110] Chérel, Un aventurier…, p. 63 ; Henderson, op. cit., 233.
[2111] Chérel, Un aventurier…, p. 106-107.
[2112] Henderson, p. 235.
[2113] Henderson, p. 110. Elle réagira aussi en 1732 à la Relation du quiétisme de Phelippeaux.
[2114] Vie, 2.14.8.
[2115] Voir Chavannes, J.-Ph. Dutoit, sa vie, son caractère et ses doctrines, Lausanne, 1865 ; un large fonds guyonien reste à exploiter à la bibliothèque universitaire de Lausanne, dont de très nombreuses lettres (en allemand) de Fleischbein ; de nombreux documents concernent Lacombe, Dutoit, etc. Nous avons publié le ms. TP1155 dans Vie « 5. Compléments biographiques. »
[2116] V. notre note étendue sur Fleischbein, La Vie…, p. 1008.
[2117]Chavannes, J.-Ph. Dutoit…, op.cit. ; Favre, J.-Ph. Dutoit, Genève, 1911.
[2118] On peut toutefois consulter l'index du vocabulaire mystique donné à la fin de Maurice Masson, Fénelon et Mme Guyon. Documents nouveaux et inédits, Paris, 1907.
[2119] S’y ajoutent évidemment des “relations”, plus étendues, mais relativement faciles d’accès ; nous en proposons au lecteur (passionné) un court inventaire : v. notice, Relations et autres pièces biographiques.
[2120] Ce qui est notre but : la Vie et la Correspondance achèvent le volet de l’œuvre portant sur le vécu, que l’on est en droit de scruter en premier. Les deux autres volets de l’œuvre, formant une assise stable, porteront sur l’appui envers les traditions (Explications des Ecritures puis Justifications par les mystiques) et l’enseignement (les divers Traités, opuscules et Discours).
[2121] Elle améliore et corrige même parfois la chronologie figurant dans notre édition de la Vie.
[2122] A. S.-S., pièce manuscrite 2072 du fonds Fénelon, intitulée : Mémoire sur le Quiétisme adressé à Madame de Maintenon, éditée dans la seconde partie de ce volume.
[2123] V. la série extraite de la correspondance de Mme de Maintenon, présentées dans les documents de ce volume, où Noailles, archevêque de Paris ayant succédé à Harlay, est remarquablement manipulé.
[2124]Ph. Nemo, Histoire des idées politiques, P.U.F., 2002, p.131. v. aussi son analyse des républiques de 1588-1621 et de 1650-1672 dans les Provinces-Unies, de 1641-1660 puis de 1688 en Angleterre, de 1776 en Amérique, dont les éléments sont repris en 1789 en France.
[2125] Le mot d’ordre de Guy de la Brosse, « la vérité et non l’autorité », n’est pas réalisable en pratique ; voir la description de ravages occasionnés par le mensonge obligé dans R. Pintard, Le Libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Paris, 1943 ; rééd. Slatkine, Genève, 2000.
[2126] Il n’en est pas de même chez les religieux, comme le montre par exemple la lutte des carmélites centrée sur ce point précis du choix du confesseur, au résultat finalement incertain malgré les instructions fermes et écrites de leur fondatrice.
[2127] C’est le nom que lui donne l’honnête Tronson, en qui elle plaçait en dernier recours sa confiance (par ex. lorsqu’il écrit au général de la Grande Chartreuse le 9 août 1697 : « …La Dame directrice est toujours renfermée dans une communauté… », le 14 février 1698 : « Ce que vous me mandez des sectateurs du P. Directeur et de la Dame Directrice… », etc.).
[2128] Successivement : Visitation de la Rue Saint-Antoine, Sainte-Marie de Meaux, Vincennes, maison de Vaugirard dépendant de la communauté des sœurs de St Thomas-de-Villeneuve, Bastille.
[2129] Ce qui limite la portée des interprétations psychologiques.
[2130] Il faut pour cela croire à l’existence de la grâce, et donc en avoir fait l’expérience. Ce dernier point est fort gênant puisque Madame Guyon, qui s’appuie sur elle seule, ne peut guère l’invoquer vis-à-vis de ses ennemis. Par ailleurs on se moquera à la Cour de la « naïveté » du bon duc de Chevreuse qui en fera état (v. son résumé de la vie de Mme Guyon et la pièce 13 du choix dans la correspondance de Mme de Maintenon).
[2131] On est donc conduit à risquer une approche de l’expérience spirituelle sous ses divers aspects, comme l’entreprit L. Cognet, par exemple dans le Crépuscule des mystiques.
[2132] Laissant de côté un troisième monde, d’une extrême diversité, celle des anabaptistes, quakers, etc.
[2133]J. Le Brun, notice « Le quiétisme », Fénelon, Œuvres I, Bibl. de la Pléiade, p.1531.
[2134]V. la notice « quiétisme » à la fin du second tome de l’édition de Fénelon dans la Bibliothèque de la Pléiade, par J. Le Brun ; cette notice introduit en outre à la Métaphysique des saints, texte fondamental qui résume la controverse vue par le cercle guyonnien. V. les articles « quiétisme » du Dictionnaire de spiritualité, par E. Pacho et J. Le Brun, qui couvrent l’Espagne, l’Italie et la France.
[2135] DS, art. « Quiétisme » par E. Pacho et J. Le Brun, col. 2762.
[2136] Id., col. 2774
[2137] Id., col. 2775.
[2138] En 1686, Lacombe fit imprimer son Orationis mentalis analysis… , Madame Guyon son Explication de l’Apocalypse, Ripa son Orazione del cuore facilitata…, « fruits de cette association spirituelle ».
[2139] Id., col. 2818
[2140] Id., col. 2809 et 2811.
[2141] DS, art. « Quiétisme » par J. Le Brun, col. 2806 – Le plus souvent amour-propre est écrit sans trait d’union par le copiste Dupuy, ce que nous corrigeons en accord avec l’orthographe moderne, mais cette absence de trait d’union rend bien compte du sens profond qu’en donne Madame Guyon : l’amour recourbé sur lui-même, bien au-delà d’une « tendance à la fierté » (1640) ou du « sentiment de sa valeur, de son honneur » (aujourd’hui). (Rey).
[2142] Id., col. 2817.
[2143] Id., col. 2820 et 2821.
[2144] Quiroga [José de Jésus-Maria, 1562-1629], Apologie mystique[…], Chap. 6, « Où l'on expose plus à fond cette quiétude de la contemplation… », Krynen, Thèse secondaire, A.S.-S., gV-189 ; M. Huot de Longchamp, FAC, 1990.
[2145] Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure…[1716], 2.65 État Apostolique. Appel à enseigner. (Madame Guyon, De la vie intérieure…, La Procure, Phénix, 2000, p. 384).
[2146] Œuvres spirituelles de feu Monseigneur François de Salignac de la Mothe-Fenelon, […] ; la référence complète est donnée en fin du texte reproduit, comme nous le ferons pour chacune des pièces de ce volume.
[2147] Extraits des lettres de 1733, publiées dans notre vol. I.
[2148] P. III-VIII.
[2149] P. VIII-XXVIII.
[2150] Jusqu’à Cognet (cf. Crépuscule…), qui éclaire le rôle de Madame Guyon.
[2151] P. XXIX à XLVIII. Nous utilisons le même corps, sans retrait, compte tenu de la longueur de la « citation » de cet Avertissement.
[2152] Pour une bibliographie ciblée, voir : « Annexe III : L’œuvre de madame Guyon ».
[2153] Vie, 2.21.2 : « …Notre-Seigneur me fit expliquer toute la Sainte Ecriture. »
[2154] Vie, 2.20.9 - « …je n’avais pas le temps de manger, à cause de la grande quantité de monde qui venait… » (Vie, 2.20.8).
[2155] Vie, 2.20.8 - Ces visiteurs religieux provoquèrent en retour des visites, dont elle se défend, face à l’hostilité de dom Le Masson, Général des chartreux. Ce dernier se sentit obligé de porter le contre-feu chez les chartreuses qu’elle attirait trop à son goût (autodafé d’exemplaires du Moyen court). Madame Guyon précise : «…je n’allais point aux monastères que l’on ne m’envoyât quérir. » (Vie, 2.20.10).
[2156] Vie, 2.21.1.
[2157] Publié dès 1683.
[2158] Cf. Table... II. Nouveau Testament, donnée ci-après ; L’Apocalypse de S. Jean Apôtre... Tome VIII... 1713 : La Conclusion [générale] pp. 409-412 contient : « achevé le 23 de Septembre 1683” [1682 corrigé à la main sur l’exemplaire imprimé des A.S.S.].
[2159] Vie 2.21.1. (Seconde partie, chapitre XXI, paragraphe premier ; nous suivons notre édition critique qui utilise comme leçon le ms. d’Oxford : Jeanne-Marie Guyon, La Vie par elle-même…, Honoré Champion, 2001).
[2160] Vie 2.21.2.
[2161] Vie 2.21.3.
[2162] Vie 2.21.8
[2163] Par ordre du P. Lacombe, son confesseur.
[2164] Vie 2.21.3. - On remarque que les commentaires bibliques qui constituent ou sont inclus dans certains des Discours chrétiens et spirituels ne font pas double emploi. En effet ces derniers commentaires ne sont pas repris des Explications, mais furent élaborés à un âge avancé où l’on devine une maturité achevée (madame Guyon vécut encore trente-trois années après l’achèvement des Explications).
[2165] Tractatus theologico-politicus, publié en 1670.
[2166] Avertissement en tête de l’Ancien Testament, p.49.
[2167] Ce qui renvoie à de nombreux passages dont la TOB donne les traductions suivantes : « …le règne de Dieu s’est approché. » (TOB, Matthieu, 10, 7) ; « …le règne de Dieu est arrivé jusqu’à vous » (TOB, Luc 10, 9, accompagné toutefois de la note : « Litt. s’est approché jusqu’à vous. ») ; « …le Règne de Dieu est arrivé. » (TOB, Luc 17, 11) ; enfin Luc 17, 21, « …Le Règne de Dieu est parmi vous ».
[2168] TOB, p. 2508, note j).
[2169] Voir pour le Cantique, Guillaume de Saint-Thierry, Rashi, etc.
[2170] Un excès caractéristique est atteint dans l’ouvrage qui influa sur tout le siècle dernier, du jésuite A. Poulain, Des grâces d’oraison, (1901, 10e ed. 1922).
[2171] Explication à la Genèse, ch. XXVI, v. 13, [Tome I, p. 162].
[2172] M. Chevallier, Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, vol. V, 1985 ; éditée par André Séguenny, Baden-Baden, Koerner [bibliographie commentée des nombreuses œuvres éditées par Pierre Poiret - dont celles de Madame Guyon - et relevé des ouvrages présents dans diverses bibliothèques européennes].
[2173] Des adaptations très partielles existent en anglo-américain, v. « Madame Guyon in America : an annotated bibliography” by P. A. Ward in Bull. of Bibliography, vol. 52, No. 2, June 1995, 107-111.
[2174] Commentaire au Cantique, texte établi par C. Morali, Grenoble, Jérôme Millon, Coll. « Atopia », 1992, p. 191 sv.
[2175] Nous omettons les paginations quand il s’agit des seuls versets, qui peuvent précéder assez largement la partie reproduite de son commentaire. - Nous avons omis certaines précisions entre parenthèses que nous avons jugées inutiles car très probablement ajoutées par Poiret.
[2176] Exceptionnellement apparaissent en italique dans le commentaire des mots ou expressions absents des versets : il s’agit alors de mots soulignés en petites capitales par Poiret, propres au commentaire : « amour », « volonté », etc. (rappels en notes).
[2177] Son soutien et premier guide intérieur, belle figure de religieuse.
[2178] Le mot d’ordre de Guy de la Brosse, « la vérité et non l’autorité », n’est pas réalisable en pratique ; voir la description de ravages occasionnés par le mensonge obligé dans R. Pintard, Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Paris, 1943 ; Genève, 2000.
[2179] C’est le nom que lui donne l’honnête Tronson, envers qui elle plaçait en dernier recours sa confiance.
[2180] Il faut pour cela croire à l’existence de la grâce, et donc en avoir fait l’expérience. Ce dernier point est fort gênant puisque Madame Guyon, dont la certitude ne s’appuie que sur cette expérience, ne peut guère l’invoquer vis-à-vis de ses ennemis. On se moquera à la Cour de la « naïveté » du bon duc de Chevreuse qui en fera état.
[2181] On trouvera des parallèles dans l’Espagne de la première moitié du XVIe siècle, v. Melchiades Andres, La teologia espanola…, 1976, parte II, cap. 14. Il faudrait aussi étudier les figures de mystiques qui nous paraissent très proches : Joseph de Jésus Maria Quiroga (1562-1628), disciple et défenseur de Jean de la Croix ; Grégoire Lopez (1542-1596), mexicain lu et apprécié par Poiret et des proches de madame Guyon ; Falconi (1596-1638) dont la Lettre du serviteur de Dieu est éditée avec des opuscules de la même ; etc.
[2182] Laissant de côté un troisième monde, d’une extrême diversité, celle des anabaptistes, quakers, etc.
[2183] Voir la notice « quiétisme » à la fin du second tome de l’édition des Œuvres de Fénelon dans la Bibliothèque de la Pléiade, par J. Le Brun ; cette notice introduit en outre à la Métaphysique des saints, texte fondamental qui résume la controverse vue du cercle guyonnien. Les articles « quiétisme » du Dictionnaire de spiritualité [DS], par E. Pacho et J. Le Brun, couvrent l’Espagne, l’Italie et la France.
[2184] DS, art. « Quiétisme » par E. Pacho et J. Le Brun, col. 2762.
[2185] Id., col. 2774-2775.
[2186] En 1686, Lacombe fit imprimer son Orationis mentalis analysis, Madame Guyon son Explication de l’Apocalypse, Ripa son Orazione del cuore facilitata, « fruits de cette association spirituelle ».
[2187] DS, art. « Quiétisme » par J. Le Brun, col. 2806.
[2188] Id., col. 2817.
[2189] Id., col. 2820 et 2821.
[2190] Quiroga [José de Jésus-Maria, 1562-1629], Apologie mystique[…], Chap. 6, « Où l'on expose plus à fond cette quiétude de la contemplation… », Krynen, Thèse secondaire, A.S.-S., gV-189 ; M. Huot de Longchamp, FAC, 1990.
[2191] Discours Chrétiens et Spirituels sur … la vie intérieure…, [1716], « 2.65 État Apostolique. Appel à enseigner. » (Madame Guyon, De la vie intérieure…, La Procure, Phénix, 2000, p. 384).
[2192] Par contre on a perdu la plus grande partie de l’œuvre de Jean de la Croix : « ce qui nous reste … ne représente qu’une faible partie de ce qu’il a écrit… » (Cognet, La Spiritualité moderne, p. 105).
[2193] La liste des défenseurs qui ont surmonté une certaine « étrangeté » est cependant et diverse et de qualité : on en détachera les noms de Fénelon, Poiret, Dutoit, Chavannes, Masson, Brémond, Bergson, Cognet, Mallet-Joris, Gondal, Le Brun.
[2194] Implicite, non atténuée par une appartenance religieuse comme cela est le cas pour Marie de l’Incarnation, qui en dehors de son admirable témoignage personnel montre un conformisme qui rassure ; on note l’extrême difficulté pour sortir du cercle clérical dès que le domaine de l’intériorité propre à la « vocation » est en cause : les modèles féminins proposés récemment par l’église catholique sont Thérèse de l’Enfant-Jésus et Edith Stein, deux religieuses. Il est sain qu’une femme d’expérience comme Madame Guyon parle à des laïcs des étapes de leur vie d’autant plus précisément qu’elle a eu une vie sociale, familiale, physiologique qui se rapproche de la leur (tout en ayant malheureusement manqué un plein épanouissement). La règle ordinaire suppose une vie accomplie jusqu’à la quarantaine (ainsi dit Ruusbroec) pour voir s’épanouir une vie intérieure au-delà d’aspirations qui sont une des merveilles de la jeunesse.
[2195] Bref Cum Alias d’Innocent XII, 12 mars 1699.
[2196] Complétant ainsi le très objectif Bertot. Ce dernier aussi précise longuement pour assurer un bon diagnostic, fait des ajouts pour dissiper tout malentendu, tout comme un bon médecin dont le fait n’est pas le style.
[2197] Le Moyen court fut publié à l’insu de l’auteur dès 1685.
[2198] On note l’insistance de Bertot sur le contrôle nécessaire par un directeur. Mais les directeurs mystiques sont rares.
[2199] Relation de 1654 de Marie de l’Incarnation, etc.
[2200] Les Torrents ne furent publiés que tardivement par Poiret (1704, 1712, 1720).
[2201] Les points de suspension séparés du texte indiquent une omission, ici conséquente : du cinquième au trentième paragraphe. Nous omettons dans cet article la mise entre crochets afin d’alléger la lecture.
[2202] Impureté foncière, qui est l'effet de l'amour-propre et de la propriété que Dieu veut détruire. Ajout de l’édition de 1720.
[2203] Il s’agit de la conclusion de ce long récit autobiographique : 3.21 désigne le 21e chapitre de la 3e partie.
[2204] Bernardino de Laredo, Subida del Monte Sion ; Jean de la Croix, Subida del Monte Carmelo ; etc.
[2205] 1.01 désigne le premier opuscule ou « discours » de la première partie.
[2206] Des Noms Divins, chap. 4 : « [704 A] C’est cette Beauté qui produit toute unité et qui est principe universel, parce qu’elle produit et qu’elle meut tous les êtres … [713 B] Par désir amoureux … nous entendons une puissance d’unification et de connexion, qui pousse les êtres supérieurs à exercer leur providence à l’égard des inférieurs, ceux de rang égal à entretenir de mutuelles relations… » (trad. M. de Gandillac).
[2207] Madame Guyon est issue du courant spirituel fondé par le franciscain du tiers ordre régulier Chrysostome de Saint-Lô ; elle cite beaucoup Catherine de Gênes, tertiaire - à égalité avec Jean de la Croix ainsi qu’avec le réformateur des Grands Carmes en France, Jean de Saint-Samson, dans ses Justifications. Ces trois figures viennent largement en tête des 76 auteurs représentés.
[2208] Ps 104, 30 : « Envoyez votre esprit et ces choses seront créées ; et vous renouvellerez la face de la terre. »
[2209] La Vie par elle-même en donne des descriptions précises dont sa découverte à Thonon, avec le P. Lacombe.
[2210] Dutoit, t. II, Lettre CXCII, p.588-590 - Masson, 1907, Lettre LXXIV, p. 179-180. Nous ne donnerons pas par la suite, dans cet article, ces références de sources que l’on trouvera dans notre édition.
[2211] D.2.1 : Première lettre du deuxième volume publié par Dutoit ; le titre qui suit est de ce dernier.
[2212] Le Directeur Mystique…, 1726, 4.81 : 81e lettre qui conclut la contribution de Bertot au quatrième volume du DM. Nous donnons des extraits de cette lettre adressée à la jeune madame Guyon : elle montre l’esprit commun qui anime Bernières, Bertot, Guyon.
[2213] Cette lettre d’une personne simple (on a cependant peine à l’attribuer sans retouches à une simple paysanne) fut placée intentionnellement à la fin de la correspondance de madame Guyon éditée en cinq volumes par Dutoit.
[2214] Voir L. Cognet, Dict. de Spir., art. « Fénelon », t. V, 1962, col. 155, & le Crépuscule des mystiques, 1958.
[2215] Gnostique, chap. 9.
[2216] Gnostique, chap. 16 ; Stromates 1, 1 ; Eusèbe, Hist. Eccl. V, 11.
[2217] Cette belle ouverture le distingue de l’esprit qui anime le controversiste Tertullien, son contemporain latin, né vers 160 et mort après 220.
[2218] Gnostique, chap. 17.
[2219] Pour l’exposé complet des deux points de vue de Bossuet et Fénelon, voir la remarquable préface de Dudon (cet érudit perd toutefois son sang-froid quand il parle de madame Guyon).
[2220] Str. IV 22, 135-136 ; Gnostique, chap. 5.
[2221] Gnostique, chap. 8.
[2222] Gnostique, chap. 17 (les citations de ce paragraphe).
[2223] Gnostique, chap. 16.
[2224] Gnostique, chap. 3.
[2225] Gnostique, chap. 17.
[2226] Gnostique, chap. 11.
[2227] Gnostique, chap. 17.
[2228] Fénelon, « Réflexions sur les décisions prises à Issy », (publiées par Levesque in Revue Bossuet, p. 219).
[2229] voir J. Le Brun, La spiritualité de Bossuet, 1972, 499 : « La contemplation selon Fénelon exclut le raisonnement, les images et le discours et s’oppose à la « méditation discursive par actes réfléchis » ; dans cet état le mystique n’a ni actes, ni dispositions, ni objets, ce qui est dépasser d’emblée le conceptualisme que soutenait depuis longtemps Bossuet…»
[2230] Gnostique, chap. 16.
[2231] Tradition des Pères et des Auteurs ecclésiastiques sur la Contemplation, 1708, tome I, p.72.
[2232] Nouvel état présent des travaux sur Fénelon, CRIN 36, 2000, « Bibliographie chronologique (1940-2000) ».
[2233] Fénelon, Œuvres spirituelles, Introduction et choix de textes par François Varillon S.J, Aubier, 1954 ; François Trémolières, Fénelon et le sublime, Littérature, anthropologie, spiritualité, Honoré Champion, 2009.
[2234] L’authenticité de la correspondance avec la « Dame directrice » ne sera reconnue qu’en 1907 par un érudit d’origine suisse.
[2235] Madame Guyon, Correspondance Tome I Directions spirituelles, Honoré Champion, 2003 [CG], [ échanges avec Fénelon : « I. La ‘correspondance secrète’ en 1688 et 1689, II. Le ‘complément’ de l’année 1690. III. Lettres écrites après 1703, 215-564 ] - Synthèse avec des additions : La direction de Fénelon par madame Guyon, présentation par Murielle et Dominique Tronc, 2015, web.
[2236] Nous bénéficions de l’édition assemblée par I. Noye et publiée en 2007. Elle achève la monumentale Correspondance de Fénelon [CF] sous le titre fort discret de Suppléments et corrections. Il s’agit du tome XVIII et dernier de l’entreprise. Il livre à la suite de diverses lettres retrouvées : « II. Lettres spirituelles » [LSP], 87-223. Ces « pages détachées » sont accompagnées de renvois aux lettres éditées dans les tomes II, IV, VI, VIII, XII (1972 à 1999). – Nous allons recourir largement à ce [CF 18].
[2237] Œuvres spirituelles de Messire François de Salignac de la Mothe-Fénelon…, Volume second contenant ses lettres spirituelles, A Anvers, Chez Henri de la Meule, 1718 [OS 2].
[2238] Comparé par exemple aux Moralistes du XVIIe siècle assemblés par J. Lafond, « Bouquins », Robert Laffont, 1992.
[2239] Des correctifs furent apportés par A. Delplanque (1907), par la Revue Fénelon (1911-1812) dirigée par E. Griselle, par Jeanne-Lydie Goré (1957), par Mino Bergamo (1994), par Irénée Noye (2007), par F. Trémolières (2009).
[2240] desengaño : désillusion, désenchantement. Attribué à des auteurs de la fin du siècle d’or espagnol.
[2241] Sobriquet attaché à la ‘veuve Guyon’ par des ecclésiastiques jaloux ou incompréhensifs : c’est le cas de son inventeur Tronson, malgré son honnêté rare. Tronson (1622-1700) fut le directeur de Saint-Sulpice et le confesseur du jeune abbé.
[2242] « Maintenant quand je découpe, je n’ai plus en esprit que le principe. Mes sens n’agissent plus ; seule ma volonté est active. Suivant les lignes naturelles du bœuf, mon couteau pénètre et divise, tranchant les chairs molles, contournant les os, faisant sa besogne comme naturellement et sans effort. Et cela sans s’user… » (Tchoang-tseu, chap. 3, B, traduction Léon Wieger, Cathasia, 1950).
[2243] La « nature » est aujourd’hui perçue autrement depuis Darwin, mais chez Fénelon on découvre un beau lyrisme – qui l’interprète ‘au second degré’ selon la perception unifiante mystique commune à diverses traditions : « Mais parce que Vous êtes trop au-dedans d’eux-mêmes, où ils ne rentrent jamais, Vous leur êtes un Dieu caché […] tout ce qui n’est point Vous disparaît, et à peine me reste-t-il de quoi me trouver encore moi-même… » [OP 1, 44-45].
[2244] Le choix de recourir à des notes assez étendues permet de ne pas rompre une première lecture à but méditatif de « Fénelon par lui-même ». - Nous y reportons ce qui est moins « mystique », mais témoigne de résistances diverses de dirigé(e)s comme du soin dévoué du directeur archevêque (il est comparable en cela à celui de l’évêque François dans son pauvre diocèse). Nous y reportons les très précieuses notices d’Orcibal [O] et de Noye [N].
[2245] [CF] n° impairs, en fin des volumes.
[2246] « Les années d’épreuves de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien », Honoré Champion, 2009, [EG], ‘dossier’ précédé d’une brève synthèse : « Années d’épreuves et stratégie inquisitoriale », 14-30, situant les événements de la période couvrant la majorité des documents livrés dans le présent volume. Ces événements succèdent à ceux, mieux connus, d’une ‘période publique’ qui prend fin en 1695 (elle couverte par le Crépuscule des mystiques de Louis Cognet).
[2247] Qui n’était pas un médiocre même s’il reste à l’ombre de sa « dirigée ». Voir François La Combe (1640-1715), Correspondance avec Mme Guyon, Œuvres, Etudes, assemblées par D. Tronc, hors commerce, 2016.
[2248] Nous avons procédé par travail exhaustif opéré sur des volumes de la [CF]. Nous pouvons fournir à des chercheurs les échafaudages : OCR, etc. Ils pourraient facilement être publiés.
[2249] Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles, Edition critique établie par Dominique Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2003, dont nous reprenons les numéros de lettres.
[2250] Les nombreuses notes que nous leur attachons constituent un premier choix bibliographique.
[2251] M. Masson, Fénelon et Mme Guyon, Paris, 1907. – Masson était un érudit d’origine suisse comme le fut longtemps auparavant le pasteur Dutoit – Mambrini, auteur vaudois notable et deuxième éditeur des oeuvres de Mme Guyon, après le pasteur Poiret. – L’érudit Masson omet de longs fragments qu’il juge de peu d’intérêt. Mais il met en parallèle de nombreux passages d’écrits de Fénelon justifiant une authenticité qui avait été niée pour défendre l’archevêque de Cambrai. – Nous ne reprenons pas ces parallèles ni de nombreuses autres notes utiles et bien établies par J. Orcibal, v. les Correspondances citées infra.
[2252] Par un inventaire de la bibliothèque des Théatins dispersée à la Révolution.
[2253] Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles, op.cit. - Les lettres de Fénelon, qui constituent ce que l’on nomme une « correspondance passive », ici imprimée en italiques, furent seules éditées et annotées par J. Orcibal dans la Correspondance de Fénelon, tome II et III, Klincksieck, 1972 (avec en notes quelques résumés ou brèves citations issues des lettres de madame Guyon. Ainsi cette dernière demeura-t-elle assez longtemps encore mal connue).
[2254] La Correspondance de Fénelon édite ce document en deux « lettres » séparées : la séquence des questions diverses de Fénelon puis la séquence de leurs réponses par Madame Guyon : ainsi chaque « lettre » (numéros 1373 et 1373A) présente une séquence de paragraphes sans liens entre eux, ce qui n’incite pas à comparer les deux lettres - tâche malaisée puisque le lecteur doit avoir préalablement numéroté tous les paragraphes afin d’accorder réponses aux questions… En outre le respect d’une orthographe purement phonétique - le caractère exceptionnel d’un tel respect envers la seule madame Guyon est signalé dans l’introduction aux notes de la lettre 1373A – fait apparaître aux yeux des modernes la rédactrice comme inculte – ce qui n’est certes pas le cas.
[2255] Madame Guyon, Correspondance, Tome III Chemins mystiques, Edition critique établie par Dominique Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2005.
[2256] Madame Guyon, Correspondance, Tome II Combats, Edition critique établie par Dominique Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2004, 952 p. [Les lettres de l’animatrice du cercle quiétiste couvrent surtout les années 1693-1698 ; elles sont augmentées de Témoignages ; l’ensemble constitue le « dossier » utile pour aborder les aspects de la « querelle » relatifs au vécu intérieur – et apprécier ses conséquences].
[2257] Correspondance, Tome I Directions spirituelles, 565-586. – Sont-elles vraiment ‘dignes’ de Fénelon ? Certes il s’agit de chansons plutôt que de poésies, c’est le cas de poésies de madame Guyon qui ne font pas partie de ses chefs d’œuvres (v. un aperçu émouvant dans Madame Guyon, Œuvres mystiques, Honoré Champion, 2008, 763-777).
[2258] Correspondance de Madame Guyon en trois tomes cités supra. - On aura largement recours aux admirables notes de la Correspondance de Fénelon, Klincksieck puis Droz, où J. Orcibal donne de nombreuses précisions concernant - entre autres - les disciples de « notre père » Fénelon et de « notre mère » madame Guyon (v. les premiers de dix-huit tomes). Il s’agit des travaux d’une vie d’où procèdent plusieurs milliers de notes (volumes impairs) attachées aux lettres (volumes pairs).
Pour le lecteur désirant aller au-delà d’une lecture à seule fin spirituelle proposée dans le présent volume, une vue d’ensemble des événements vécus par la « Dame directrice » est bien éclairée par Louis Cognet, Crépuscule des mystiques, Desclée, 1958, ouvrage réédité. Prennent sa suite Les années d’épreuve de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Documents biographiques rassemblés et présentés chronologiquement par Dominique Tronc, Honoré Champion, 2009.
[2259] Lettres oubliées du tome I, éditées au tome III, prise en compte de l’errata en fin de ce tome dernier, etc.
[2260] « Je vous l’ai écrit dès le commencement, dans le temps même que je n’avais point de commerce [spirituel] de lettres avec vous. » (Correspondance, Tome I Directions spirituelles, lettre 85, octobre-novembre 1688,). V. la discussion de Masson, « Introduction », p. XXXVI-XXXVII, soulignant les rapports probables entre le supérieur Fénelon des Nouvelles Catholiques et la fondatrice madame Guyon à Gex.
[2261] On a recours à la chronologie donnée par Orcibal en fin du tome III de la Correspondance de Fénelon, qui s’appuie elle-même en partie sur Masson, ainsi que sur de rares indications datées fournies par la Vie par elle-même et par les Correspondances I à III..
[2262] Vie par elle-même [Vie], 3ème partie, chapitre 10, § 1 -2 = 3.10.1-2 dont nous reproduison un choix infra et Correspondance de Fénelon [CF] t. III, note 1, p.153.
[2263] [Vie] 3.11.1-2.
[2264] [CF] t. III, note 1, p.159 ; note 15, p. 168.
[2265] [CF] t. III, note 2, p. 182-183.
[2266] [CF] t. III, note 12, p. 189.
[2267] [CF] t. III, note 1, p. 211.
[2268] [CF] t. III : note 2, p. 221 et note 4, p. 223 ; v. lettre 215 du 26 novembre : « je cherche souvent votre cœur… »
[2269] [CF] lettre 96.
[2270] Correspondance, Tome I Directions spirituelles, L.231 de Madame Guyon à Fénelon.
[2271] [Vie] 3.11.5.
[2272] Dictionnaire de Spiritualité ascétique et mystique [désormais cité par numéro de fascicule et de colonne, ici « DS 9.32 » : il s’agit du fascicule imprimé « 9 » sur sa tranche et « LIX-LX Labadie-Leduc » en page de couverture], Beauchesne, Paris, 1975, article « LA COMBE (FrançoIs), barnabite, 1640-1715. 1. Vie. -- 2. Œuvres. -- 3. Spiritualité. »
[2273] En DS, 9.32 : « Etudes : P. Dudon, La Combe et Molinos, dans Recherches de science religieuse, t. 10, 1920, p. 183-211. - O. Premoli, Storia dei Barnabiti nef Seicento, t. 2, Rome, 1922. - G. Boffito, Scrittori Barnabiti, t. 2, Florence, 1933, p. 305-311 (voir aussi p. 336-337, et t. 3, 1934, p. 220). - Sur le séjour de La Combe à Lourdes, J.-Fr. Boulet, Traditions et réformes religieuses dans les Pyrénées.., Pau, 1974, p. 308-312. - Voir surtout A. M. Bianchi, Fr. La Combe, un barnabite sacrificato, thèse, Gênes, 1972 / Sur la spiritualité de La Combe, cf la lettre à lui adressée par le jésuite Honoré Fabri (Arch. de Saint-Sulpice, ms 2043, 1) ; H. Delacroix, Etudes d’histoire et de psychologie du mysticisme, Paris, 1908, p. 193, 256 svv ; – J. Le Brun, La spiritualité de Bossuet, Paris, 1973, table ; DS, t. 1, col. 31-33, 48-49 ; t. 4, col. 675-676 ; t. 6, col. 13 061 336, passim.
[2274] Citation de la Contribution d’Orcibal. Elle est reproduite en entier à la fin du présent volume, section « Sources associées ».
[2275] Résumé tel que nous l’avons établi dans notre édition de la Vie par elle-même avant que notre intérêt ne se focalise sur le P. Lacombe. Seul le début du chapitre sera ici cité, § 1-2. -- Nous « situerons » contextuellement tous nos extraits en les faisant précéder de résumés couvrant les chapitres auxquels ils appartiennent.
[2276] Les titres de chapitres sont nôtres. Ici, précédé de « 1.18 » : première partie de la Vie par elle-même, chapitre 18.
[2277] Paragraphe numéroté par le premier éditeur Poiret.
[2278] Cette information nous permet de dater cette première rencontre entre la jeune madame Guyon et le Père Lacombe aux mois de mai-juin 1671 (dans le chapitre Vie 1.15 la variole est datée du 4 octobre 1670. Madame Guyon perdant alors une partie de sa beauté à « 22 ans et quelques mois », c’est l’une des rares dates « marquantes » qu’elle cite dans sa Vie. Elle citera celle de l’enfermement de La Combe…).
[2279] Pagination du manuscrit-source d’Oxford.
[2280] L’effet de « présence de Dieu sur mon visage » signalé précédemment est probable et bien reconnu des mystiques ; mais madame Guyon savait-elle à l’époque « qu’il serait à Dieu » ?
[2281] La suite du chapitre revient sur les difficultés rencontrées au logis, « les croix dans l’économie admirable que Vous y gardez », « la charité que Notre-Seigneur m’avait donnée pour les pauvres » […]. Le chapitre suivant 1.19 traite de la recontre décisive avec Monsieur Bertot (1620-1681). Il sera son directeur durant dix ans. Puis Madame Guyon se tournera sans tarder vers le Grand Carme Maur de l’Enfant-Jésus et vers le Père La Combe.
[2282] Jacques Bertot Directeur mystique, Textes présentés par D. Tronc, coll. « Sources mystiques », Editions du Carmel, Toulouse, 2005.
[2283] CG 1, 51-74, 21 lettres préservées du P. Maur. - Maur de l’Enfant-Jésus, Ecrits de la maturité 1664-1689, coll. « Sources mystiques », Toulouse, Editions du Carmel, 2007, Entrée à la Divine Sagesse, Editions du Carmel, coll. « Sources mystiques », Toulouse, 2008.
[2284] Information intéressante à confirmer.
[2285] Elle est écrite à Rome avant l’année 1683, date du seul échange épistolaire direct entre La Combe et Guyon qui nous soit parvenu (avant 1687, ils sont en relation directe et en nombreux déplacements peu favorables à la conservation de lettres ; après leurs arrestations – qui furent presque simultanées : 3 octobre 1687 pour La Combe, 29 janvier 1688 pour Guyon -- seules les lettres de La Combe pouvaient survivre hors de prison et nous ne possédons aucune lettre de celle-ci qui lui seraient parvenues).
[2286] [CG 2], Pièce 1, p.51, reprise intégrale.
Nous résumons également dans la présente note la
source et les explications données en petits caractères à la suite du texte de
la lettre en [CG 2] :
« A.S.-S.,
fonds Fénelon, ms. 2043, copie
intitulée : « Pièces concernant le père Lacombe » :
La première
de ces pièces est une lettre de Lacombe au père Fabry, en latin, paginée 1 à 47, que nous ne
reproduisons pas. La seconde pièce est la lettre en français qui figure ici. La
troisième pièce, « Doctrine du P. Lacombe », est une copie également soignée,
mais d’une autre main et de format différent. La quatrième et dernière pièce,
de loin la plus importante, « Le Gnostique de
Clément d’Alexandrie / mss. Original » est l’œuvre de Fénelon (édité pour
la première fois par Dudon, Beauchesne, 1930 ; repris avec corrections par
nous-même : « La tradition secrète des mystiques ou le
Gnostique de Clément d’Alexandrie », Arfuyen, 2006).
On devine une
circulation d'opuscules et lettres divers au sein du cercle guyonnien, qui
joignent ainsi dans le même ensemble manuscrit les deux compagnons auxquels se
confia « notre mère » : l’ainé de sept années Lacombe et le
cadet de quatre années Fénelon.
[2287] Contraction d’Isaie, 14, 13-14 : …in caelum conscendam super astra […] ascendam super altitudinem nubium ero similis Altissimo. [Vulgata, Gryson] Je monterai au ciel au-dessus des astres […] Je me placerai au-dessus des nuées les plus élevées, et je serai semblable au Très-Haut. [Sacy].
[2288]
Matt., 20, 16 : sic erunt
novissimi primi et primi novissimi. Multi enim sunt vocati, pauci autem electi .
[Vulgate]. Ainsi les derniers seront les premiers et les premiers seront les
derniers, parce qu’il y en a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. [Sacy].
[2289]
Baruch, 4, 26 : Mes enfants les
plus tendres ont marché en des chemins âpres ; ils ont été emmenés comme
un troupeau exposé en proie à ses ennemis. [Sacy].
[2290] Tout ce développement digne d’un prêche baroque justifie les interprétations critiques qui ne manqueront pas.
L’on ne peut exclure des dérapages au sein de cercles quiétistes italiens et français (dont au sein du cercle animé par Rouxel près de Dijon ?).
Mais Madame Guyon et La Combe et leurs proches s’inscrivent -- ce que nous avons tendance à oublier à cause du retentissement de la « querelle du quiétisme », phénomène local amplifié à la Cour du puissant Monarque -- dans un mouvement global très large « où les thèmes mille fois répétés semblent prendre le pas sur le contact avec l’expérience vécue » (J. Le Brun, La spiritualité de Bossuet, Klincksieck, 1972, 444).
[2291]
Baruch, 4, 1-2 (contracté) :
C’est ici le livre des commandements de Dieu, et la loi qui subsiste
éternellement. [Tous ceux qui la gardent arriveront à la vie, et ceux qui
l’abandonnent tomberont dans la mort.] Convertissez-vous, ô Jacob, et embrassez
cette loi ; marchez dans sa voie à l’éclat qui en rejaillit, et à la lueur
de sa lumière. [Sacy].
[2292] Nous n’avons pas vu la lettre. A chercher dans les écrits d’Aranthon d’Alex ?
[2293] Expériences mystiques en Occident. Une école du cœur. (Tome IV à paraître).
[2294] « […] On y voit qu'après sa première disgrâce, ce fut chez la duchesse de Charost, à Beynes, château tout voisin de Saint-Cyr, qu'elle trouva asile, et que la duchesse de Mortemart la conduisit à Meaux, le 13 janvier 1695, pour se mettre à la disposition de Bossuet. Ses doctrines ayant été condamnées le 10 mars, et ce jugement suivi de sa rétractation solennelle, elle obtint la permission de se rendre aux eaux de Bourbon; mais les deux duchesses vinrent la prendre, le 9 juillet, et la ramenèrent à Paris, d'abord dans le faubourg Saint-Germain, puis dans le faubourg Saint-Antoine, où Desgrez l'arrêta vers la fin de décembre. » (Boislisle, tome II, n. 4 de sa p. 65).
[2295] En témoignent les très nombreux échanges précédant de très peu l’embastillement de Mme Guyon, (Correspondance Tome II Annéess de Combats, lettres à la « Petite Duchesse »). Ils portent sur plus de cent lettres écrites entre juin 1695 et mai 1698, le dernier contact avec l’embastillée).
[2296] « Au premier mot qu'ils [les Beauvilliers entreprennent de marier sa fille au fils du ministre Chamillart] en touchèrent à la duchesse de Mortemart, elle bondit de colère, et sa fille y sentit tant d'aversion, que plus d'une année avant qu'il se fit, la marquise de Charost, fort initiée avec eux, lui ayant demandé sa protection en riant lorsqu'elle seroit dans la faveur, pour la sonder là-dessus: ‘Et moi la vôtre, lui répondit-elle, lorsque par quelque revers je serai redevenue bourgeoise de Paris.’ » (Saint-Simon, Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 6, chap. 8 [1708], 163).
[2297] Dernière fille dans la famille de neuf enfants, deux soeurs aînées ayant épousées les deux ducs de Chevreuse et de Beauvilliers qui tenaient l’un et l’autre de hautes fonctions. Voir Annexe. La famille Colbert.
[2298] Notre incertitude quant à « la succession » tient au fait que le travail intérieur auprès des disciples de deux cercles, auxquels s’ajoutent leurs visiteurs provenant de l’étranger, a dû être distribué. Voir en fin d’ouvrage : « Annexe. Liste chronologique de membres ou de sympathisants de la Voie : une équipe ? » A part Mortemart on évoqua Gramont « la Colombe » (notre première supposition).
[2299] Attribution par A. Delplanque en 1907.
[2300] Edition [CF 18] par I. Noye, Droz, 2007 : un progrès par siècle !
[2301] « Marie-Anne Colbert, soeur cadette des duchesses de Beauvillier et de Chevreuse, née le 17 octobre 1668, épousa, le 14 février 1679, Louis de Rochechouart, duc de Mortemart, fils du maréchal de Vivonne et général des galères en survivance. Elle n'avait que treize ans, et son mari quatorze. Devenue veuve le 3 avril 1688, elle mourut à Saint-Denis, le 14 janvier 1750. Selon Mme de Caylus, son mariage avait coûté quatorze cent mille livres au Roi. » (Boislisle, tome second, n. 1 de sa p. 7) – « Le Roi donnait d'ordinaire deux cent mille livres, à moins que les embarras financiers du moment ne le forçassent de réduire ses libéralités, Mlle de Beauvillier eut cette somme quand elle épousa le duc du Mortemart [fils de la ‘petite duchesse’], en 1703. » (Boislisle, t. second, n. 3 de sa p. 8).
[2302] [CF] 3, L.168, n.2 d’Orcibal.
[2303] « L’esprit Mortemart » est cité et décrit ainsi de manière assez irrésistible par le même Saint-Simon à l’occasion d’une autre figure : « Mme de Castries étoit un quart de femme, une espèce de biscuit manqué, extrêmement petite, mais bien prise, et aurait passé dans un médiocre anneau ; ni derrière , ni gorge, ni menton, fort laide, l'air toujours en peine et étonné , avec cela une physionomie qui éclatait d'esprit et qui tenait encore plus parole. Elle savait tout : histoire, philosophie, mathématiques, langues savantes, et jamais il ne paroissait qu'elle sût mieux que parler français, mais son parler avait une justesse, une énergie, une éloquence, une grâce jusque dans les choses les plus communes, avec ce tour unique qui n'est propre qu'aux Mortemart [notre soulignement]. Aimable, amusante, gaie, sérieuse, toute à tous, charmante quand elle voulait plaire, plaisante naturellement avec la dernière finesse sans la vouloir être, et assénant aussi les ridicules à ne les jamais oublier, glorieuse, choquée de mille choses avec un ton plaintif qui emportait la pièce, cruellement méchante quand il lui plaisait, et fort bonne amie, polie, gracieuse, obligeante en général, sans aucune galanterie, mais délicate sur l'esprit et amoureuse de l'esprit… » (Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 1, chap. 25 [1696], 406.)
[2304] « Ce mot se trouve plusieurs fois dans Saint-Simon avec le sens de chansons satiriques, ou simplement de reproches vifs et piquants. » (Chéruel).
[2305] Saint-Simon, Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 4, chap. 12 [1703], 213-214.
[2306] Le « pilier mâle » est bien entendu « l'abbé de Fénelon, qui était leur prophète, dans qui ils ne voyaient rien que de divin » selon cette même addition au journal de Dangeau (réf. n. suivante).
[2307] Saint-Simon, Mémoires, Boislisle, 413, « Addition de Saint-Simon au Journal de Dangeau », « 127. Mme Guyon et les commencements de son école. »
[2308] V. Annexe. Les enfants Mortemart.
[2309] Correspondance de Fénelon, 1829, tome onzième, 345.
[2310] Saint-Simon, Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 6, chap. 8 [1708], 165. – nous modernisons toujours l’orthographe, « gardoit » en « gardait », etc.
[2311] V. Ecoles du cœur au Siècle des Lumières, Disciples de madame Guyon & influences, édité en ligne.
[2312] « Petite » duchesse parce que cadette des duchesses de Chevreuse et de Beauvillier. Mais consciente et fière de sa famille, par fois raide, car d’un fort tempérament : elle n’hésitait pas à provoquer certains à la Cour en allant sans se cacher rendre visite à « l’exilé » de Cambrai.
[2313] Fénelon, Correspondance, Tome XVIII, Suppléments et corrections, par Jacques Le Brun, Bruno Neveu (+) et Irénée Noye [ce dernier a assuré l’essentiel du travail], Genève, Droz, 2007.
Le modeste sous-titre de Suppléments et corrections voile l’intérêt très exceptionnel de ce dernier tome : en effet il présente en partie centrale la séquence chronologique des Lettres spirituelles, en donnant les références de celles qui furent publiées dans les tomes précédents à leurs dates attestées ou estimées, et surtout en les complétant par de nombreuses lettres ou fragments. Il s’agit dans ce dernier cas des merveilles choisies et publiées par le cercle des disciples en 1718 sans dates ni nom de destinataires : elles n’avaient donc pas trouvé leur place dans l’édition critique des dix-sept tomes précédents qui respectait très rigoureusement la chronologie et excluait de ce fait toute lettre ou fragment non daté. Fénelon, dont la plus grande partie des écrits si appréciés au XVIIIe siècle a quelque peu vieilli, demeure ici très vivant par le cœur intemporel de son œuvre. Car ce très grand directeur spirituel est un mystique qui analyse sans concession mais avec grande finesse et complétude le domaine intérieur profond le plus souvent demeuré caché, même aux plus grands moralistes du XVIIe siècle, puisqu’il suppose, outre des qualités d’introspection, le travail à plus grande profondeur opéré par la grâce.
[2314] Mémoires de Saint-Simon, Nouvelle Edition collationnée sur le manuscrit autographe, augmentée des additions de Saint-Simon au Journal de Dangeau et de notes et appendices, par A. de Boislisle, et suivie d’un Lexique des mots et locutions remarquables, Paris Hachette, [nos extraits :] tome second, 1879, & tome quatrième, 1884. – édité de 1879 à 1930 par A. de Boislisle (1835-1908).
- http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k52571
- http://www.saint-simon.net/bibliographie/ conseille :
« - Mémoires, nouvelle édition collationnée sur le manuscrit autographe, augmentée des Additions au Journal de Dangeau et de notes et appendices par Arthur de Boislisle, Paris, Hachette, collection « Les Grands Écrivains de la France » 1879-1928, 41 vol. et 2 vol. de Tables. À consulter pour l’appareil critique (surtout historique) d’une richesse exceptionnelle.
« - Mémoires, Additions au Journal de Dangeau, édition établie par Yves Coirault, Gallimard, « La Pléiade », 1983-1988, 8 vol. L’édition de référence. »
[2315] Mémoires complets et authentiques de Louis de Saint-Simon duc et pair de France, sur le siècle de Louis XIV et la Régence d’après le manuscrit original entièrement écrit de la main de l’Auteur. Texte collationné et annoté par Adolphe Chéruel. – édité à partir de 1858 par Adolphe Chéruel (1809-1891). – réédité Paris, Jean de Bonnot, 1966. - https://fr.wikisource.org/wiki/M%C3%A9moires_(Saint-Simon)/Tome_1
Cette édition, certes inférieure à celle de Boislisle, est celle dont on retrouve facilement le texte - et à prix imbattable - sur Amazon-Kindle. Celle de Boislisle semble par contre « protégée » par l’édition Pléiade et difficilement accessible même sur Gallica ! (en 2016 pas de table résumant les 42 volumes de l’éd. Boislisle).
[2316] La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siècle : I. Introductions, Florilège issu de Traditions franciscaines (Observants, Tiers Ordres, récollets), II. Florilège de figures mystiques de la réforme Capucine, III. Un grand siècle franciscain à Paris & Nécrologe capucin, Le franciscanisme et l’invasion mystique, Figures mystiques féminines, minimes, Un regard sur les héritiers, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2014.
[2317] Rencontres autour de Monsieur de Bernières (1603-1659) Mystique de l’abandon et de la quiétude, coll. « Mectildiana », Éditions Parole et Silence, 2013.
[2318] Fénelon mystique, un florilège, coll. « Chemins mystiques », non édité, 2016.
[2319] Louis Cognet, Crépuscule des mystiques, Paris, 1958 ; Raymond Schmittlein, L’aspect politique du différend Bossuet-Fénelon, Bade, 1954 ; Dictionnaire de Spiritualité, art. ‘Quiétisme, II. En France’, 12.2805/2842.
[2320] Les années d’épreuve de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Documents biographiques rassemblés et présentés chronologiquement, Paris, Honoré Champion, coll. « Pièces d’Archives », 2009.
[2321] Expériences mystiques en Occident IV Une École du Cœur, synthèse en préparation.
[2322] Concluant : Lilian Silburn, Le Vide, les Voies, le Maître, contributions parues dans la revue Hermès & Varia, 2016, Hors Commerce.
[2323] Le Nuage d’Inconnaissance, Documents spirituels, Cahiers du sud 6, 1953, rééditée en Points Sagesses, éditions du Seuil, 1977. (un « must » à faible coût de 8 euros).
[2324] Mise à disposition sur le net : A book of Contemplation the which is called the Cloud of Unknowing, in the which a soul is oned with God, with an Introduction by Evelyn Underhill. Le Cloud seul est repris infra.
[2325] Le Nuage de l’Inconnaissance et les épîtres qui s’y rattachent... par dom Noetinger, Solesmes, 1925 réédition 1977, utile pour son honnête traduction du Nuage l’est beaucoup pour l’Épître de la direction intime et d’autres.
[2326] v. le Dictionnaire de Spiritualité, tome 11, colonnes 497 à 508.
[2327] L’édition de base en anglais ancien a été établie par P. Hodgson, 2 vol. (The Cloud. . . & Dionise…), Oxford Univ. Press, 1958.
L’adaptation en anglais moderne du Cloud par Wolters, Penguin, 1961, est décevante.
[2328] Cuenca est une belle ville médiévale quelque peu isolée. Elle est située à 150 km environ de Madrid, à l’entrée de la région montagneuse du même nom, sur le chemin vers la Méditerranée. Son climat est rude.
[2329] Et déjà auparavant, le vieux compagnon Antonio de Jesus, marqué par sa vie antérieure comme carme chaussé, penchait vers une activité élargie.
[2330] Réduit obscur débilitante en été, cette prison conventuelle n’était donc pas réservé au seul grand ennemi des carmes de l’Observance.
[2331] Malgré ce que rapporte un Quiroga soucieux d’établir la paix au sein de l’Ordre.
[2332] Le grand sujet de discorde. Ces carmélites sont dirigées par Graciàn, le proche de Teresa rattaché à l’Observance par nécessité à la suite de sa propre éviction des Déchaussés.
[2333] Mais je n’ai pas accédé à l’étude première de Fortunado Antolin. Ni à ses contributions parues dans la revue « Monte Carmelo » (en réponse à mon courriel adressé en Espagne, elles ne serait plus disponibles aux archives d’ « Editorial Monte Carmelo » !).
7 Dom Philippe Chevallier (1884-1972), moine de Solesmes (étude influente : Le cantique spirituel de Saint Jean de la Croix, Docteur de l'Eglise, 1933).
[2335] Nouveau foyer de tension : se présente un Baruzi non catholique mais co-rénovateur des études sur un Jean de la Croix dont le rayonnement est devenu universel.
[2336] Reconnue par des « étrangers » à l’Ordre tels que dom Ph. Chevallier, Jean Baruzi, Jean Krynen, le P. Max de Longchamp.
[2337] Recours incontournable pour tout travail allant au-delà d’une compilation. Car les éditions de Jean de la Croix ont souffert de manipulations. Ce que soulignait dès 1927 dom Chevallier, moine bénédictin de Solesmes, pour la Vida (je livre infra sa contribution), et de même pour la Subida selon la contribution du Dictionnaire de Spiritualité. Ma demande de reproduction de manuscrit est en cours auprès de la Bibliothèque Nationale d’Espagne.
[2338]
1914, fin du tome III,
pages 511-576 : les 22 chapitres de Don… sont suivis d’une brève Repuesta.
[2339] Une très libre adaptation ! Marie du Saint-Sacrement combine Don… para guiar las almas a Dios et brève Repuesta… qui l’accompagne ; elle redécoupe les chapitres et omet des passages… mais toujours avec profondeur spirituelle. Je donne ses titres de chapitres dès ce dossier du texte espagnol, afin d’assurer une passerelle vers le « Quiroga français ». J’ai exploité des archives restées méconnues depuis leur retour de Bangalore au Carmel de Clamart.
[2340] La conclusion du chapitre XXII du Don que tuvo san Juan de la Cruz para guiar las almas a Dios justifie l’a volonté d’enrichir spirituellement le récit de la Vida (ce qui est absent des Vida qui suivirent ; par exemple celle de Crisogono excelle par sa précision biographique) : «…en faltando en ella la influencia y magisterio de Nuestro Santo Padre Fray Juan de la Cruz, entraron otros Maestros, que favoreciendo más el discurso de la razón y a la operación inquieta del alma, que los actos sencillos espirituales, donde se recibe la operación divina y los efectos de la influencia sobrenatural que obran nuestra perfección, hacían en sus discípulos tan diferente labor, que saliendo de ellas muchas veces con las cabezas lisiadas, se conocían pocos espíritus elevados. Y como en los noviciados no les enseñaban cómo habían de caminar a la contemplación, cuando estuviesen sazonados para ella, salían de la escuela sin saber lo principal de su vocación, y después se quedaban lo demás de su vida sin saberlo (ici se place une des très rares notes de protestation de l’éditeur de 1914), trabajando en la oración con su operación natural, sin dar lugar a la divina que introduce la perfección en el alma, de la cual procuraba preservar a sus discípulos. »
[2341] Les fuyards pouvaient terminer sur les galères papales, ce qui faillit arriver à Graciàn [Gratien], confesseur de Teresa qui fut chassé de l’Ordre des Déchaussés et termina dans l’Observance en confessant en Flandre Ana de Jésus.
[2342] On retrouvera de tels affrontements au cours de tentatives avortées de prise de contrôle par les carmes espagnols des carmélites françaises, exposée par Stéphane Morgain pour la France.
Rappelons que la « Vida y virtudes » interdite en Espagne, où l’on commanda de nouvelles Vida aux rédactions simples et sans vertu, sera traduite plusieurs fois en Italie comme en France. Traductions lues au XVIIe siècle, oubliées apparemment depuis.
Madame Guyon, l’autre grande mystique emprisonnée, en parle ainsi dans les Justifications, tome III, 58, « Scandale » , § 8 : « […] ces personnes de si bas aloi ne sont, en comparaison des spirituels totalement perdus, que terre, que sens, que tout désordre, qu'immortification. Ce qui serait encore bien plus véritable si elles étaient en autorité, (ici se place une note) parce que cela leur donnerait toute licence de faire ainsi. »
[note :] « On rapporte ce propos du bienheureux Jean de la Croix dans sa vie que, dans l'extrémité des peines qu’il souffrit dans sa dernière maladie, le prieur du couvent le traita et le persécuta avec une dureté incroyable, lui refusant tout ce qui pouvait lui donner quelque soulagement, soit dans le corps, soit dans l'esprit, et lui procurant tous les ennuis qu'il pouvait. Voyez la vie du bienheureux Jean de la Croix, écrite par le révérend père Joseph de Jésus Maria [Quiroga], livre 3, chapitre 17. Voyez aussi dans le[s] chapitre[s] 15 et 19 une autre persécution que le définiteur de l'ordre lui suscita environ le même temps. »
[2343] « Sans traitement, l’évolution de l’érysipèle peut être spontanément favorable, avec une phase fébrile et d’extension durant 1 ou 2 semaines. Cependant, le plus souvent survient un abcès cutané et parfois une septicémie ou une atteinte rénale, avec un décès dans 15 à 40 % des cas. » (Wikipedia).
[2344] Œuvres spirituelles et mystiques du divin contemplatif f. Iean de S.Samson […] avec un abrégé de sa vie, recueilly et composé par le P. Donatien de S.Nicolas, Pierre Coupard, Rennes, 1658-1659.
[2345] Notre section « Sources » reprend ci-après les diverses éditions des œuvres de Jean de Saint-Samson.
[2346] On observe une disparité entre la qualité des sources : certaines mains transcrivent une dictée beaucoup plus clairement que d’autres.
[2347] En particulier par ses introductions aux traités de la Pratique essentielle de l’Amour, Coll. « Sagesses chrétiennes », Cerf, 1989.
[2348] A.-E. Steinmann, La Nuit et la Flamme, Chemins du Carmel, Paris-Fribourg, 1982.
[2349] C. Janssen, dans Les Origines de la réforme des carmes en France au XVIIe siècle, Martinus Nijhoff, s’Gravenhage, 1963, p. 225, souligne l’influence des déchaux sur les pratiques ; S.-M. Morgain, dans Pierre de Bérulle et les carmélites de France, Cerf, 1995, p. 69, souligne le rôle du chartreux dom Beaucousin, « l’œil des contemplatifs », qui fut en relation étroite avec les deux groupes réformateurs.
[2350] L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée, 1958. Le titre fera fortune, ce qui est peut-être à regretter.
[2351] H. Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux, 11 vol., Paris, 1916-1933. (Le volume II, « L’Invasion mystique », 1930, traite de Jean de Saint-Samson au chap. V.)
[2352] L.Reypens s.j., Dict. spir. , art. « Âme », t. I, col. 462.
[2353] S.-M. Bouchereaux, La Réforme des carmes en France et Jean de Saint-Samson, Vrin, 1950.
[2354] H. Blommestijn, Jean de Saint-Samson, L’Aiguillon, les flammes, les flèches et le miroir de l’amour de Dieu…, Pontificiae Universitatis Gregorianae, Rome, 1987.
[2355] La Vie, les Maximes et partie des oeuvres du très excellent contemplatif, le vénérable Fr. Ian de S.Samson…, par le R.P. Donatien de S. Nicolas, Paris, 1651. – Les Œuvres spirituelles et mystiques du divin contemplatif F. Jean de S. Samson…, À Rennes, Par Pierre Coupard, 1658, t. I, « Abrégé de la vie… » p. 1-60. [première pagination, 1-72, suivie de la pagination des Œuvres, 1-1044…].
[2356] La Vie, les Maximes…, op.cit., p. 3.
[2357] Ibid., p. 9 et 10.
[2358] Voir H. Blommestijn, op. cit., « 4. La vie de Jean de Saint-Samson », p. 69-87.
[2359]
Arias (†1605)
et Louis de Grenade (1504-1588), dont les Traités
spirituels peuvent « remplacer les ouvrages très médiocres de
Nervèze » (Blommestijn, op. cit.,
p. 99).
[2360] Choix éclairé des plus grands mystiques : Ruusbroec (1293-1381), Tauler (1300-1361), Harphius (1400-1477), La Perle évangélique (éd. 1535) de (ou d’une amie de) Maria van Hout ; Le Jardin des contemplatifs (1605) est une compilation didactique et pratique de valeur.
[2361] La Vie, les Maximes…, op. cit., p.17.
[2362] La Vie, les Maximes…, op. cit., p. 21.
[2363] Ibid., p. 36.
[2364] H. Blommestijn, op. cit., p. 81-82, citations reprises de La Vie, les Maximes…, op. cit., p. 27-28.
[2365] Thibault impose la méditation méthodique telle qu’il l’avait pratiquée chez les jésuites et les chartreux ; il doit tenir compte de démêlés avec le général Sylvius et le provincial Le Roy, voir C. Janssen, Les Origines…, p. 158 et 160 suiv.
[2366] Blommestijn, op.cit., p.83 – Il résume p.84 la situation délicate qui permit au convers aveugle d’assumer le rôle central dans la réforme dite de Touraine : « Les chefs de file de la réforme de Rennes, ayant bien compris la nécessité de cet équilibre dynamique entre la structuration régulière [fortement ascétique, selon les Exercitia conventualia de 1615] et l’expérience spirituelle, s’étaient employés à accueillir le simple frère de Dol chez eux pour donner corps à leurs aspirations contemplatives. C’est pourquoi ils lui avaient donné une place centrale dans le noviciat et avaient favorisé son extraordinaire rayonnement. Le modèle mystique de Jean de Saint-Samson devint rapidement de ce fait la charpente de la réforme. »
[2367] Ibid., p.86-87.
[2368] Les Secrets Sentiers de l’amour divin (1623) du capucin Constantin de Barbanson.
[2369] Les Œuvres spirituelles et mystiques du divin contemplatif F. Jean de S. Samson…, à Rennes, Pierre Coupard, 1658-1659, p. 60, B. (Nous abrégerons les citations extraites de cette « édition définitive » du maître par son disciple Donatien : ici « R 60B » où R dénote Rennes [P désignera une édition parisienne antérieure] et B reproduit la lettre entre les deux colonnes de l’édition à la hauteur du début des extraits. B majuscule pour la col. de droite, b minuscule pour la col. de gauche.)
[2370] Ms. de Rennes, 41n1, 68v° (classement par boite [ici H41], dossier [ici no1], folio : voir en fin du présent volume l’annexe décrivant le fonds des archives d’Ille-et-Vilaine à Rennes).
[2371] 40n11-2, 294v°.
[2372] 40n11-2, 296v°-297r°.
[2373] 40n11-1, 239r°-v°.
[2374]
R
[2375] Donatien, La Vie, les Maximes et partie des œuvres, Paris, 1651, p. 6 : ce que nous abrégeons par « P[aris] 6 » qui reprend — en le modifiant, ce que nous soulignons — le ms. 9H, 40n11-1, f°252v° : « Combien de fois, ô mon amour, ai-je eu sujet de vous prier en mon abondance possédée de vous et en vous de fuir de moi hâtivement, si vous ne me vouliez voir mourir de joie et d'amour, présentement devant vos yeux ? »
[2376] La Vie, les Maximes, p. 8.
[2377] R 755E.
[2378] P 6.
[2379] 40n11-2, 291r°.
[2380] P 92.
[2381] R 62b (Vrai Esprit du Carmel, chap. 11).
[2382] « Les oiseaux s’esgayent à leur gré dans la vasteté de l’air » (François de Sales).
[2383] R 762A.
[2384] R 79A (Vrai Esprit du Carmel, chap. 16).
[2385] R 773e.
[2386] R 79a.
[2387] P 498.
[2388] rédigé : réduit
[2389] Le mot pouvait être au masculin à l’époque.
[2390]
R
[2391] R 78a — « Rien n’est rien et tout cela n’est rien » (Attar, Langage des oiseaux, « Invocation »).
[2392] 43n2, 217r° (Vrai Esprit du Carmel, chap. 8).
[2393] 43n2, 219v°.
[2394] R 759E (De l’effusion de l’homme…)
[2395] R 71B,D (Vrai Esprit du Carmel, chap. 13).
[2396] R 760A.
[2397] R 74b.
[2398]
R
[2399] 40n11-2, 292v°.
[2400] R 309b.
[2401] P 495-497.
[2402] P 510.
[2403] R 683c, R 683B.
[2404] R 754a.
[2405] R 767c.
[2406] R 145a.
[2407]
R
[2408] 42n5, 286r°.
[2409] 43n2, 200r°.
[2410] 42n5, 288r°-v°.
[2411] 43n2, 204v°.
[2412] 43n2, 227r°.
[2413] 43n2, 235r°.
[2414] 42n1, 2r°-3r°.
[2415] R 169D.
[2416] V. Bouchereaux et Blommestijn, op.cit.
[2417] Constitué d’extraits de l’œuvre, dont une partie du Vrai Esprit du Carmel démembré.
[2418] Courts extraits de l’œuvre regroupés par thèmes.
[2419] « L’aiguillon, les flammes, les flèches et le miroir de l’amour de Dieu… » [ms. « 42n6 », v. la description du fond de Rennes en fin du présent volume] et « Epithalame de l’Époux divin… » [ms. 40n11-2] en versions modernisées établie à partir des manuscrits. Utile introduction.
[2420] Texte du manuscrit de L’Éguillon, les flammes… [ms. 42n6].
[2421] Cinq petits traités : « La pratique essentielle de l’amour » [ms. 43n5], « Exercices de l’amour suprême » [ms. 40n10], « Le retour de l’épouse à son Époux » [chap. 3 & 4 du Cabinet mystique, mss. 40n11-2 & 43n2], « Exercice de l’amour simple, Résumé de la vraie liberté » [ms. 40n6], en versions modernisées établies à partir des manuscrits. Utiles introductions attachées à chaque traité.
[2422] Transcriptions de dictées manuscrites [dont les mss. 40n11-2, 41n5-1, 43n1-1, 43n4, 43n7]. Ces trois volumes s’inscrivaient dans un projet d’édition en dix volumes dont deux non parus devaient être consacrés aux oeuvres mystiques (dont le Vrai Esprit du Carmel et le Cabinet mystique).
[2423] Devenue très rare ; nous avons utilisé l’exemplaire relié en un volume des archives du Carmel de Clamart. La reproduction complète sur DVD de cet exemplaire, accompagnée de celles des éditions antérieures par Donatien (elles sont complètes au Carmel du Broussey qui par contre ne dispose pas de l’édition « définitive ») est disponible sur demande.
[2424] Œuvres complètes, Migne, 3 tomes, 1862 ; Sainte Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal, sa vie et ses œuvres Œuvres diverses , Paris, Plon, huit tomes [ le tome I contient le Mémoire de la mère de Chaugy sur la vie de la fondatrice ; les tomes II de 1875 et III livrent papiers et ‘dits’ de la Mère de Chantal ; les tomes suivants IV à VIII sont rendus caducs par : Jeanne–Françoise Frémyot de Chantal, Correspondance, édition critique établie et annotée par sœur Marie-Patricia Burns, Cerf, six tomes (t. I, 1986)].
Nous venons de rééditer pour ouvrir la série « Jeanne de Chantal » une moitié du contenu des tomes II de 1875 & III, car ils conservent un grand intérêt malgré leur caractère d’édition ‘contaminée’ sans renvois vers les sources : Jeanne de Chantal, Écrits mystiques relevés dans l’édition de 1875 par Dominique Tronc, 2014.
[2425] Voir en fin du présent volume : « Quelques archives et imprimés préservés à la Visitation d’Annecy ».
[2426] Saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal, Une extraordinaire amitié, Correspondance, recueillie et mise en orthographe actuelle par les soins des religieuses de la Visitation d’Annecy, Annecy, 2010. Introduction par Max Huot de Longchamp, IX-XXXVII. L’ouvrage comporte 467 lettres de François (dont 13 pièces) pour 51 lettres de Jeanne, 1-646.
[2427] Nous reprenons la présentation de Jeanne de Chantal comme figure des Expériences mystiques en Occident II. L’invasion mystique en France des Ordres anciens, Éditions Les Deux Océans, 2012.
[2428] Mémoire qu’elle adressa à dom Jean de Saint-François concernant sa vocation (Annecy, 26 décembre 1623) : reproduit dans Jeanne de Chantal, Choix d’écrits… , op.cit.., « Lettre … au Révérend Père dom Jean de Saint-François ». [II, 248 sq. de l’édition 1875-1876]
[2429] Jeanne–Françoise Frémyot de Chantal, Correspondance, édition critique établie et annotée par sœur Marie-Patricia Burns, op.cit.
[2430] Bremond l’estimait plus avancée que François, ce qui valut à sa Sainte Chantal (Paris, 1912) d’être mise à l’Index.
[2431] La source essentielle de toutes les biographies est le Memoire très fidelle pour la vie… de Françoise-Madeleine de Chaugy qui avait été communiqué aux premiers biographes, Fichet (1643, …) et Henri de Maupas (1644, …) (DS 8.868) ; Sainte Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal…, op. cit., I.
[2432] Elle demanda en effet que l’on mette sur elle dans son cercueil, les papiers de ses vœux de chasteté, d’obéissance et de pauvreté, propres à la vie religieuse, écrits par François de Sales et par elle, ce dernier signé de son sang. (Sainte Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal…, op. cit., II, 49).
[2433] Cantique, 3, 6.
[2434] Madame Guyon, Vie par elle-même, 1. 4. 8.
[2435] Nous donnons les numéros de lettres [L.] de la Correspondance, op. cit., 1996, ou bien des extraits de ses Oeuvres, op. cit., 1875 : [numéro du tome, page].
[2436] Passer par l’étamine, être soumis à des épreuves (Littré).
[2437] E. Lecouturier, Françoise-Madeleine de Chaugy et la tradition salésienne au XVIIe siècle, Paris, 1933.
[2438] DS 16.1002/10, (art. « Visitandines » par sœur Burns, l’éditrice de la Correspondance que nous citons).
[2439] Coutumier, Annecy, 1850, 120 [l’édition s’avère très exacte comparée à ses sources, à la différence des Œuvres éditées en 1875 et destinées à un public élargi].
[2440] Boudon, Œuvres, Migne, I, « Le Règne de Dieu en l’oraison mentale », 607 ; ce beau passage est reproduit également dans la note 4 attachée par soeur Burns à la lettre n°1858.
[2441] Réponses de notre sainte mère Jeanne-Françoise Frémiot, baronne de Chantal… sur les Règles, Constitutions et Courtumier de l’Institut, Annecy, 1849 [comme précédemment, l’édition s’avère très exacte].
[2442] La fondation de la Congrégation est associée à François de Sales par la Mère de Chantal.
[2443] Jean-Joseph Surin, Correspondance, textes établi, présenté et annoté par Michel de Certeau, « Bibliothèque Européenne », Desclée de Brouwer, 1966.
[2444] L’ocr de l’édition livre 3 532 000 caractères sans espaces et reste à mettre en forme (ocr brut mais de bonne facture, disponible sur demande pour usage personnel). Mon florilège livre 260 000 caractères sans espaces au 17 janvier 2017 soit ~ 7,2 % ou ~150 pages …pour 1827 pages de l’édition.
[2445] D. Tronc, Expériences mystiques en Occident III. Ordres nouveaux et Figures singulières. Editions Les Deux Océans, 2014, 75 sv.
[2446] C’est la surface qui évacue le fond : de même la contemporaine de Surin Marie des Vallées est souvent réduite à la « possédée », la Madeleine de Pierre Janet à la folie qui résume ce qu’est aux yeux du médecin la mystique, et plus récemment, certaines analyses du « langage du corps » opèrent de même.
[2447] « Au lendemain de la mort de Surin, au dire d'un témoin, « on a de la peine à trouver quelque chose qui lui ait appartenu pour en donner à ceux qui en demandent, plusieurs personnes de qualité et de considération ayant tout emporté. Un président a pris le bâton dont il se servait ; son chapelet a été donné à un autre ; son bréviaire, aux conseillers ; on garde sa calotte pour monseigneur le prince de Conti. » Ces « personnes de mérite » exprimaient ainsi « l'estime qu'elles faisaient de sa sainteté » [Lettres de témoins, citées par Henry-Marie Bouton, L'Homme de Dieu en la personne du R. Père Jean-Joseph Seurin, religieux de la Compagnie de Jésus, Chartres, Claude Peigne, 1683, 400-401]. Il en fut de même pour les manuscrits, emportés et distribués de tous côtés. Avec la disparition de l'auteur, s'accentuait l'effritement d'une oeuvre où chacun allait puiser à sa guise les matériaux qu'il utiliserait selon sa dévotion. » (Michel de Certeau, « Les œuvres de Jean-Joseph Surin Histoire des textes », Revue d'ascétique et de mystique, t. XL (1964) n° 160.)
[2448] Jean-Joseph Surin, Guide Spirituel pour la perfection, texte établi et présenté par Michel de Certeau, Collection « Christus » n°12, Desclée de Brouwer, 1963.
[2449] Etude désirable sur Madame du Houx !
Etude moins utile sur les deux volets de la relation Surin avec Jeanne des Anges :
-- Relation très intime. Est-ce l’effet d’une imprégnation mystique ? car on en connaît peu sur les effets possibles d’une « communication » de nature mystique au moment même où elle se produit et dans ses suites (laquelle « communication » ne semble plausible que pour quelques-uns).
-- Relation freinée par un doute levé par la sœur des Anges elle-même quant à son directeur. Et Surin nous apparaît nettement plus à l’aise dans les relations épistolaires qui le lient à Madame du Houx et avec Anne Buignon.
Sur Jeanne des Anges, petite fille malformée et maltraitée dans son enfance devenue vindicative, on s’en tiendra à Certeau qui nous confie en ouverture à la lettre 332 (nous l’avons intitulée férocement « Vengeance ? ») : « Les peccadilles de la religieuse et son châtiment outre-tombe vont être jetés dans le public… » Voir aussi le Voyage en Savoie, page 425 : « Dans son récit de petite fille délaissée devenue un miracle ambulant, insatiable du succès qui ne la rassurent jamais, elle fait défiler ses princes… »
La condamnée jetée au public offre toutefois une silhouette bien édifiante : jamais possédée et tournée vers l’exercice de la charité.
[2450] Nous avons disposé de l’édition de 1676 à Vannes, « chez Jean Galle près le séminaire », ici référencée Triomphe, partie. chapitre, page.
[2451] L’édition (expurgée) de 1552 de la Vie de Catherine de Gênes est traduite dès le début du XVIIe siècle et très lue.
[2452] Triomphe II. 3, 37.
[2453] Brémond, Histoire littéraire du sentiment religieux…, Tome V, 122-123.
[2454] « …la coutume dans cette maison était que tous les soirs, après le souper, on faisait la lecture de la vie des saints, ou autre livre spirituel qui traitait de même matière […] comme elle eut pris goût d’entendre les lectures, et que celles qu’on faisait le soir ne la satisfaisaient pas pleinement, elle pria une des filles de la maison, qui depuis a été religieuse chez les Ursulines de la même ville [Ploërmel], de lui lire quelque chose de fois à autre, ce que cette jeune demoiselle faisait fort volontiers ; et Dieu permit qu’un jour elle lui lût un livre qui traitait de la Passion de Notre Seigneur et des travaux qu’il avait soufferts…» (Triomphe… I. 3).
[2455] Henri Bremond cite pour les seules femmes : la Mère de Matel, Amice Picard, Catherine Daniélou, Mme du Houx… (Histoire littéraire …, t. V, chap. III, « Jean Rigoleuc et la Bretagne mystique »). On y ajoutera Anne-Toussainte de Volvire, plus tard Madeleine Morice… (André Moisan, Trois mystiques en Brocéliande, 2008, éd. Mine de Rien – Bretagne, Le Bois de la Roche, 56430 Néant-sur Yvel).
[2456] Il ne pourra pas suivre les exemples offerts par Jean de Brébeuf et d’Isaac Jogues : ce dernier parcourut la France, les oreilles coupées par les Indiens, témoignant des missionnaires martyrs, avant son retour au Canada où il fut (enfin ?) martyrisé. Et Rouen où Louis résida longtemps, n’est-elle pas la patrie de Corneille ?
[2457] Pierre Champion, La Vie et la doctrine spirituelle du Père Louis Lallemant, Paris, 1694 ; Introduction à la Doctrine spirituelle…, Desclée, « Christus », 1959, 9, 53, 141, 157.
[2458] Au milieu du siècle, outre quatre missionnaires à Quimper, Vannes est le port d’attache de Rigoleuc, Bernard, Thomas, Maunoir, Huby… Ils sont assistés par M. de Kerlivio, Catherine de Francheville, Marguerite de Kerderf…
[2459] Pierre Champion (1633-1701). D’origine normande, enseignant en Bretagne, en Normandie, etc., il participe à des missions navales… « De Nantes, son ministère appelait souvent le P. Champion en Bretagne. C’est là que semblait l’attendre pour lui passer le flambeau, un jésuite septuagénaire, le P. Vincent Huby, disciple et héritier du P. Jean Rigoleuc, qui l’avait été lui-même du P. Louis Lallemant. Cette généalogie mystique, cette « suite » si intéressante pour nous, est nettement marquée par le P. Champion » (Histoire littéraire…, Tome V, Chap. I La Doctrine Spirituelle de Louis Lallemant, 6). « L’Ecole du Père Lallemant… » : tel est le début du titre donné par Bremond à son tome V.
[2460] « Il faisait ses voyages à peu de frais, se traitant mal et vivant comme les pauvres … Il ne portait ordinairement point d’autre provision qu’un petit sac de farine … C’était un proverbe dans le pays pour exprimer la misère des serviteurs mal nourris, de dire qu’ils étaient traités comme le cheval du P. Rigoleuc » (Hist. littéraire…, V, 71).
[2461] Hist. Litt. V, Chap. I, 6 & Chap. II, 69 sv. ; Dict. Spir. 13.674/80.
[2462] Voir son témoignage à la fin du Triomphe : « Je m'estimerais coupable d'une omission très importante devant Dieu, et devant le monde, si je ne donnais le témoignage public que l'on me demande de la vérité de cette Vie, ayant eu le bien de connaître et de servir environ trente ans l'excellente âme dont elle parle… ».
[2463] André Moisan, Trois mystiques… op.cit., page 13, note 9 ; l’oubli d’Huby par Bremond est compensé par l’étude d’Henry Marsille : Dict. Spir., tome 7, col. 842-851.
[2464] Ce qui donne lieu à une littérature d’opuscules (« tracts », Dict. Spir., tome 7, col. 843 ; analysés en 54 entrées, col. 844-848).
[2465] Dict. Spir., tome 7, col. 843. – « Il suffit de ces mots : Dieu est celui qui est, après quoi l’âme doit se tenir dans un profond silence, accoisant [calmant] doucement et sans effort les saillies de l’imagination qui ne laisse pas au commencement de courir comme une folle… » (col. 851).
[2466] Dict. Spir., tome 8, col. 855.
[2467] Hippolyte Le Gouvello, Une mystique bretonne au XVIIe siècle, Armelle Nicolas, dite la Bonne Armelle, Servante des Hommes et Amante du Christ, 1606-1671, Paris, 1913, 1934 - le visage d’Armelle présenté en vignette de notre couverture provient du tableau de 1654 reproduit en frontispice - son texte reprend largement le Triomphe… ; H. Bremond, Hist. littér. du sentiment religieux, t. V, p. 120-138 – voir la note attachée à la p. 120 : « …texte mystique de tout premier ordre … la plupart de ses 713 pages [édition parisienne de 1683 utilisé par Bremond] ont été lues à l’héroïne elle-même et approuvées par elle » ; André Moisan, Trois mystiques…, op.cit. (Armelle couvre les pages 5-20).
[2468] On comparera ces craintes à celles de Marie des Vallées (1590-1656), de seize ans son aînée, qui demeura dans le Cotentin, dans un environnement assez comparable.
[2469] Triomphe I. 12, [118, 119].
[2470] Mme Guyon, Les Torrents, I 4.
[2471] Pierre Poiret réédita les deux volumes de l’édition parisienne de 1683, regroupés en seul volume, sous le titre savoureux suivant : L’École du pur Amour de Dieu ouverte aux savans et aux ignorans dans la vie merveilleuse d’une pauvre fille idiote, païsanne de naissance et servante de condition, Armelle Nicolas vulgairement dite la bonne Armelle décédée depuis peu en Bretagne, par une fille religieuse de sa connaissance, A Cologne, chez Jean de la Pierre 1704.
[2472] J.Orcibal, “Les spirituels Français et Espagnols”, in Études d’histoire et de littérature religieuses, Klincksieck, 1997, p. 207.
[2473] J. Byrom, disciple de P. Poiret, résume les dits de la bonne Armelle en vers [!] et en publie une traduction allemande faite par J. Chr. Jacobi (Jean Orcibal, Études…, op. cit., p. 208).
[2474] Ce dernier était en relation avec des intellectuels (Wesley en tant que traducteur, J. Byrom, le docteur Cheyne, des membres du groupe d’Aberdeen, etc.) et des spirituels (consulter J. Orcibal, Études…, op. cit., index).
[2475] J. Wesley la considérait comme un « complément naturel de son adaptation de la Vie de Mme Guyon » ; et il loue l’une et l’autre au point de pouvoir être considéré comme leur disciple. (Malheureusement, il ne l’apprécia vraiment qu’à la fin de sa vie, donc trop tard pour influer fortement sur les méthodistes dont il est l’origine). Toutefois il met en garde contre l’insistance supposée des deux femmes sur la valeur de la souffrance (J. Orcibal, Études…, op.cit., p. 540 et p. 536 n. 12). – Paraît en 1754 à Germantown (Georgia) The daily conversations with God exemplify’d in the holy life of A. Nicolas (ibid., p. 208).
[2476] Espagnol cultivé dans sa jeunesse, passé de la Cour à la condition d’ermite dans le Mexique du XVIe siècle, et dont les dits, rapportés par son ami Llosa, traduits en France par Arnauld d’Andilly, sont de grande profondeur, au-delà du charme exotique.
[2477] LE TRIOMPHE DE L'AMOUR DIVIN DANS LA VIE D'UNE GRANDE SERVANTE DE DIEU NOMMÉE ARMELLE NICOLAS. Décédée l’An de Notre-Seigneur 1671. Fidèlement écrite par une religieuse du monastère de Sainte-Ursule de Vennes, de la Congrégation de Bordeaux, et divisée en deux parties. Première édition en 1672. Deuxième édition en 1676, Vannes, chez Jean Galle près le séminaire. Suivent des éditions à Paris en 1678, 1683, etc., ainsi que des traductions et adaptations en anglais et allemand.
[2478] Dominique Duviard, Groix, l’île des thoniers, Chronique maritime d’une île bretonne1840-1940, Éditions des 4 Seigneurs, Grenoble, 1978.
[2479] Albert Deblaere, S. J. (1916-1994). Ce meilleur des connaisseurs de la mystique flamande est l’auteur d’études rassemblées dans Essays on mystical littérature, Leuven, 1994. S’ajoutent des contributions admirables dans le Dictionnaire de Spiritualité, dont seul le ton affirmé pourrait encore écarter aujorud’hui quelque lecteur sensible,. Elles abordent les principaux thèmes propres aux mystiques du Nord et d’ailleurs.
[2480] Auteur de la notice « Marie Petyt » parue dans le DS.
[2481]
Il est paru récemment un ouvrage collectif qui offre d’intéressants aperçus
concernant le cadre vécu à une époque difficile (l’époque de la « guerre de Trente Ans ») : Maria
Petyt, A Carmelite Mystic in Wartime,
editors Joseph Chalmers, Elisabeth Hense, Veronic Meeuwsen and Esther Vate,
Radbout Studies in Humanities, Brill, 2015. Les textes sont accessibles et
rendus lisibles sur le web à l’adresse suivante:
http://booksandjournals.brillonline.com/content/books/9789004291874
Ces approches historiques et sociales sont accompagnées d’abondantes bibliographies réparties par contributions. Toutefois on n’y recherchera aucune approche orientée mystiquement. En voici un bref aperçu :
Après une première brève partie introductive, « Maria Petyt in Her Contexte », 1-80, vient une vaste deuxième partie, « The Latin Manuscript about the Dutch War and Its Interpretation », 81-292. En effet « Esther van de Vate discovered a set of folios – Post III 70, fol. 30r-49v – which present a new image of this female mystic. Here Maria Petyt proves herself to be very interested and deeply engaged in political affairs. She inwardly absorbed herself in the Dutch War of Louis XIV and intensely shared in his victories and defeats… ». Il s’agit d’une monographie bâtie autour d’un petit fragment du vaste ensemble de textes issus de Marie Petyt. Si elle n’offre guère d’approche intérieure, elle met en valeur une ouverture sur le monde « féministe avant l’heure » jusqu’ici négligée.
[2482] Michel de Saint-Augustin, Introduction à la vie intérieure et pratique fruitive de la vie mystique, Éditions Parole et Silence, 2005. – Nous l’avons lu et apprécié avant de lire Marie Petyt.
[2483] Les deux ont dirigées leurs proches : béguines « sœurs » autour de Maria, membres laïcs de cercles « quiétistes » animés par la « dame directrice ». Parfois insupportables aux yeux de certains clercs.
[2484] Je retiens qu’un exemple d’une douzaine de traductions partielles éditées par L. van den Bossche en premier lieu dans Vie Spirituelle, revue accessible et téléchargeable sous Gallica. Leur liste est donnée par André Derville, DS tome 12, col. 1229, v. infra. Elles me paraissent marquées par une approche souvent religieuse plutôt que mystique, cas obligé durant les années 1928 et suivantes. Je reprends par contre l’ensemble paru ensuite dans les Etudes Carmélitaines.
[2485] Maria Petyt, A Carmelite Mystic in Wartime, op.cit., livrant d’abondantes bibliographies. Un bref aperçu de ce collectif a été donné en « Présentation », note 4.
[2486] Je ne partage pas une tendance à classer par étapes successives (« oraison de quiétude », « annihilation », « amour unifiant », « union pleine », « mariage » ou « vie transformée ») la diversité des expériences mystiques (leur variance est extrême, même au sein de la seule population de la Tradition chrétienne. Et la vie mystique opère ppour chacun par aller-retours répétés – il s’git d’assouplir le cuir ! - comme l’expose le carme Jean de Saint-Samson de grande influence sur Maria et sur Michel). De par la diversité des pèlerins, la vie intérieure s’écarte de tout chemin tracé. Mais peut-être est-il utile pour certains de classer linéairement des états afin de suggérer la réalité d’une dynamique vitale.
[2487] D. Tronc, Expériences mystiques en Occident II. L’invasion mystique en France des Ordres anciens & III. Ordres nouveaux et Figures singulières. Editions Les Deux Océans, 2012, & 2014.
[2488] « Le Vide, Expérience spirituelle en Occident et en Orient », Hermès Recueils de textes et d’études, Editions de Deux Océans, Hermès 6,1969, & Hermès 2 Nouvelle série, 1981.
« Les Voies de la Mystique ou l’accès au sans-accès », Hermès Recueils de textes et d’études, Editions de Deux Océans, Hermès I Nouvelle série, 1981.
« Le Maître Spirituel selon les traditions d’Orient et d’Occident », Hermès Recueils de textes et d’études, Editions de Deux Océans, Hermès 3 Nouvelle série, 1981, 2010.
« Tch’an, Zen racines et floraisons », Hermès Recueils de textes et d’études, Editions des Deux Océans, Hermès 4 Nouvelle série, 1985.
Les éditions des Deux Océans dont le site est fermé ont été récemment rachetées. On se reportera avant tout à : Jacqueline Chambron, Lilian Silburn, une vie mystique, Editions Almora, 2015, ouvrage mettant en lumière la profondeur et l’originalité de l’expérience mystique de Lilian Silburn (incluant également une bibliographie complète, 317-323).